Charbonnages de France et la société française

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H i s t o i r e               d ’ u n e           g r a n d e                m u t a t i o n            i n d u s t r i e l l e

                                                         Charbonnages de France
                                                            et la société française
   Le 19 avril 1946, l’Assemblée             La constitution                              L’autre grande région de production est
                                                                                          la Loire, où les évolutions sont égale-
 Nationale vote la loi « relative à          des bassins miniers                          ment sensibles. D’abord centré autour
                                                                                          de Rive-de-Gier à l’est, le bassin se
   la nationalisation de l’industrie         Il est communément admis que cette           déplace peu à peu vers l’ouest, en
des combustibles minéraux » par              histoire commence au XIIIe siècle avec       direction de Saint-Etienne, puis dans la
                                             des gisements en affleurement, exploi-       vallée de l’Ondaine. Dès 1837 se pro-
   516 voix contre seulement 31.             tés, terme peut-être un peu fort, dans les   duisent les premiers mouvements de
                                             régions de Saint-Étienne, du Creusot,        concentration des exploitations, entraî-
     L’avenir de Charbonnages de             d’Alès et de Carmaux. C’est déjà la          nant déjà la fermeture des unités peu
       France et des Houillères de           carte de la France industrielle du XIXe et   productives et la création, dix ans plus
                                             du XXe siècles qui se dessine. Le char-      tard, de la Compagnie des Mines de la
     Bassin paraît prometteur ; en           bon n’est alors qu’un produit de substi-     Loire, qui emploie 4 000 ouvriers et
                                             tution du bois dont l’intérêt                produit plus d’un million de tonnes de
    fait, pour le charbon français,          économique n’apparaît vraiment qu’à          houille par an.
                                             partir du XVe siècle.                        A côté de ces grands bassins, d’autres
         c’est le commencement de                                                         régions connaissent dans une moindre
                                             D’abord tributaire pour son approvi-
 l’épilogue d’une longue histoire.           sionnement des pays voisins, Angleterre      mesure la fièvre de l’exploitation de la
                                             et Belgique, la France voit se multiplier    houille : au sud de la Loire, les mines du
                                                                                          Gard, de La Mure en Isère, de Gardanne
                                             les forages. Mais les productions restent
      par Philippe de Ladoucette                                                          dans les Bouches-du-Rhône. Dans le
                                             longtemps artisanales. Le changement
         Président Directeur Général                                                      Tarn, Carmaux ; plus au nord dans
         de Charbonnages de France
                                             d’échelle se produit dans le Nord où
                                                                                          l’Aveyron, Decazeville. Dans les années
                                             une première veine, découverte à
                                                                                          1820, Decazeville n’est encore en effet
                                             Fresnes-sur-Escaut en 1720, initie la
                                                                                          qu’un minuscule hameau : trente ans
                                             grande aventure de ce qui sera le bassin

L       ’histoire du charbon d’abord,
        celle de Charbonnages ensuite,
        sont étroitement liées aux muta-
tions industrielles de la France au cours
des deux derniers siècles. Il n’est pas
                                             minier du Nord et du Pas-de-Calais. La
                                             compagnie d’Anzin, fondée en 1756,
                                             fait ainsi figure de précurseur en pro-
                                             duisant à la fin du XVIIIe siècle près de
                                                                                          plus tard, c’est une ville de 9 000 habi-
                                                                                          tants. De tels exemples se retrouvent en
                                                                                          Bourgogne, avec les sites du Creusot et
                                                                                          de Blanzy - Montceau-les-Mines.
                                                                                          Enfin, si dans le nord-est les premières
                                             300 000 tonnes de charbon par an et en
exagéré de dire que les mutations                                                         recherches remontent à 1784 dans la
industrielles dépendirent longtemps          employant 4 000 mineurs.                     région d’Hayange, l’intégration de la
exclusivement du charbon, de sa              Au cours du XIXe siècle, les évolutions      Sarre à la France, en 1792, fait que ce
découverte et des balbutiements de son       et les mutations sont profondes, tant est    sont d’abord les mines sarroises qui
exploitation, de son essor et de son         exigeante l’exploitation « intensive » de    sont exploitées jusqu’au second traité
développement, jusqu’à son déclin. Le        la houille en zone rurale. La population     de Paris en 1815. Après plusieurs tenta-
charbon a, en effet, contribué à mode-       des deux départements du Nord et du          tives relativement infructueuses, ce
ler le paysage physique et industriel de     Pas-de-Calais double. Le Nord est le         n’est qu’en 1856 que débute, avec l’ex-
nombre de régions françaises.                premier exploité, le Pas-de-Calais           ploitation de Petite-Rosselle, le déve-
A la veille de l’arrêt du dernier puits en   devient à partir de 1830 une région de       loppement minier en Moselle. Vers
activité, en Lorraine, en avril 2004, un     prospection intense. A l’ouest de            1860, les contours de la carte de France
retour dans le temps permet un aperçu        Douai, l’industrie minière part à la         des bassins miniers sont donc définiti-
de ces mouvements constitutifs de            conquête de nouvelles terres :               vement tracés.
l’économie française. Ce n’est pas une       Courrières, Dourges, Lens, Ostricourt,       L’extraction du charbon occupe désor-
simple facilité ; la réalité économique      Liévin, Drocourt… Le bassin du Nord-         mais une main d’œuvre de plus en plus
de nombreuses régions s’enracine réel-       Pas-de-Calais fournit la moitié de la        importante, 33 000 personnes en 1850,
lement dans la longue histoire du char-      production française à la fin du XIXe        80 000 en 1870 pour une production
bon.                                         siècle.                                      totale de 13 millions de tonnes, près de

M                    a                   i                               2                0                   0                   4    7
200 000 mineurs et une production de            la demande diminue d’un tiers, voit le       de tonnes seulement peuvent être
    41 millions de tonnes à la veille de la         chômage partiel se généraliser, et ses       importés, dont la moitié en provenance
    Première Guerre mondiale. En 1913 le            effectifs chuter. Entre 1931 et 1936, la     des Etats-Unis.
    charbon représente 98 % de la deman-            main-d’œuvre employée dans les mines         Devant ces difficultés, le gouvernement
    de française d’énergie.                         tombe de 330 000 à 236 000 per-              lance alors la « bataille du charbon »,
                                                    sonnes.                                      avec le fameux discours de Maurice
                                                    Pendant cette période, les dirigeants        Thorez à Waziers (21 juillet 1945)
    L’Entre-deux guerres                            des sociétés houillères ont une attitude     devant les mineurs du Nord, les appe-
    La Grande Guerre frappe sévèrement              malthusienne visant à éviter toute           lant à produire plus, et l’intervention du
    l’économie française : la production            « aventure ». Certaines ont poursuivi        général de Gaulle à Béthune.
    charbonnière tombe à 22 millions de             cette tactique de prudence au cours de       1946 voit deux événements majeurs : la
    tonnes seulement en 1919. Mais elle a           la reprise de 36-39, produisant nette-       nationalisation des mines et le vote du
    aussi pour conséquence de faire                 ment en-dessous des besoins pour             Statut du mineur (2). Le principe de la
    prendre conscience de l’infériorité fran-       conserver         une                                                    nationalisation
    çaise face à l’industrie lourde alleman-        marge de sécurité,         C’est en Lorraine que les pro-                avait été posé dès
    de. Alors que la remise en état des             à charge pour l’im-        grès de productivité mécanique                1943,        par      le
    mines prend un temps considérable -             portation de la            sont les plus spectaculaires                  Conseil national
    dans celles du Nord - Pas-de-Calais,            combler.          Les                                                    de la Résistance,
    qu’il faut « dénoyer », la tâche ne sera        importations       de                                                    qui exigeait dans
    totalement achevée qu’en 1927 –                 charbon pesant lourdement sur la             ses résolutions « l’instauration d’une
    s’amorcent les prémices d’une politique         balance des paiements, le potentiel de       véritable démocratie économique et
    dirigiste de l’énergie.                         l’hydraulique est considéré en 1936          sociale, impliquant l’éviction des
    Les importations pétrolières sont pla-          comme sous-exploité, et ce malgré les        grandes féodalités économiques et
    cées sous le contrôle de l’Etat (1928) ;        efforts lancés depuis 1920, mais totale-     financières et le retour à la nation des
    l’hydroélectricité devient la « houille         ment arrêtés par la crise. Le gouverne-      grands moyens de production monopo-
    blanche », par opposition à la « houille        ment du Front Populaire lance alors un       lisés ».
    noire », et constitue le nouvel espoir          programme de « grands travaux » qui          Le Commissariat général du Plan est
    « d’énergie nationale », qui permet de          prévoit une relance des investissements      créé par le décret du 3 janvier 1946. Le
    faire des économies de charbon impor-           de production et de transport.               19 avril, quelques jours après la natio-
    té. La Compagnie nationale du Rhône                                                          nalisation du gaz et de l’électricité,
    est créée par la loi du 25 mai 1921 et,                                                      celle des mines de combustibles miné-
    entre 1920 et 1930, la construction de
                                                    La bataille du charbon                       raux solides est votée. Le décret d’ap-
    plus de 50 barrages est lancée. Bien            La volonté de « reconstruction » pré-        plication de juin crée Charbonnages de
    avant le lancement du programme                 vaut dans l’immédiat après-guerre.           France et neuf Houillères de Bassin :
    nucléaire, le charbon n’est déjà plus le        Dans une France qui manque alors de          Nord - Pas-de-Calais, Lorraine, Loire,
    choix privilégié de la France pour la           tout, où les investissements marquent le     Cévennes, Blanzy, Aquitaine, Provence,
    production d’électricité.                       pas depuis de longues années, il est,        Auvergne, Dauphiné (3).
    La recherche de productivité méca-              dans un premier temps, vital de rétablir     Opérant dans les conditions d’une éco-
    nique dans les différentes sociétés             la production charbonnière à son             nomie de pénurie, les experts du pre-
    minières caractérise la période de              niveau d’avant-guerre, avec la volonté       mier Plan, dit Plan Monnet, recherchent
    l’Entre-deux guerres. De ce point de            de très vite le dépasser. L’objectif est     avant tout une renaissance rapide de
    vue, c’est en Lorraine que les progrès          ambitieux car la situation, dans la plu-     l’économie et donnent la priorité, en
    seront     les    plus    spectaculaires.       part des bassins, est assez dégradée. La     particulier, aux goulots d’étranglement
    L’accroissement sensible de la produc-          production française est en effet de 27      et aux industries de base. A ce double
    tion lorraine durant cette période pro-         millions de tonnes en 1944, soit la moi-     titre, les sources d’énergie sont au
    vient essentiellement de l’accrois-             tié de celle de 1929.                        centre de leurs préoccupations.
    sement du rendement obtenu par la               C’est dans ce contexte qu’est prise la       Alors que les coupures de courant sont
    modernisation de l’exploitation. Cette          première mesure symbolique d’après-          très fréquentes - elles se poursuivront
    amélioration de la productivité, abais-         guerre, avec la nationalisation des          jusqu’en 1949 - l’électricité est considé-
    sant fortement les prix de revient du           Houillères du Nord et du Pas-de-Calais,      rée, à côté du charbon, comme la « prin-
    charbon, permet aux mines lorraines de          par l’ordonnance le 13 décembre 1944.
    franchir sans trop de dommage la crise          Dans les premiers mois de 1945, la pro-      (1) En 1938, sur les 95 haveuses utilisées dans les
    des années 30, contrairement aux                duction reprend difficilement. Elle          bassins miniers, 90 se trouvaient en Lorraine.
                                                                                                 (2) Loi du 14 février 1946 portant Statut du Mineur
    autres bassins (1).                             atteindra 35 millions de tonnes, mais        concernant la protection sociale et les avantages en
    Mais cette crise a des conséquences             cela sera encore largement insuffisant,      nature (notamment le logement).
                                                                                                 (3) La création de 9 Houillères de Bassin est une
    profondes sur le secteur minier. A partir       d’autant que les fournisseurs d’avant-       simplification de l’organisation précédente dans
                                                                                                 laquelle les Sociétés privées étaient sensiblement
    de 1930, la production décline progres-         guerre (Grande-Bretagne, Belgique,           plus nombreuses (3 en Provence, 4 en Lorraine et
    sivement. L’industrie du charbon, dont          Allemagne) sont défaillants : 5 millions     18 dans le Nord).

8   A       n      n       a       l      e     s                d        e       s               M        i       n       e        s
cipale priorité d’investissement pour
conduire la Reconstruction ». Pour éco-
nomiser le charbon et le réserver aux
besoins du chauffage et de la sidérurgie,
on décide de privilégier les investisse-
ments hydroélectriques par rapport aux
centrales thermiques (4). Il y a là une
continuité certaine avec les orientations
et les priorités de l’entre-deux guerres,
qui ne sera pas sans conséquence sur le
devenir des Charbonnages.
L’exploitation du charbon nécessite, pour
parvenir au niveau de production souhai-
tée par le Plan, un effort important de
modernisation. Les objectifs fixés par le
premier Plan sont extrêmement ambi-           Effectifs inscrits (tous agents à fin de période).

tieux : 69 millions de tonnes en 1952 et
71 millions de tonnes en 1955. Les pre-       la baisse : les 69 Mt de 1952 sont rame-         C’est le début d’une alternance de
mières mesures prises par le gouverne-        nés à 60.                                        hauts et de bas pour l’industrie du char-
ment sont des mesures d’urgence, qui se       Ce retour aux réalités économiques et            bon. La fin de 1950 et l’année 1951
traduisent essentiellement par une aug-       financières n’est pas étranger à la repri-       sont marquées par une relance vigou-
mentation considérable des effectifs, qui     se de l’agitation sociale, notamment             reuse de l’économie suscitée par la
atteignent 360 000 salariés fin 1946,         dans les mines, en cette fin de 1947.            guerre de Corée, et par une hausse de
contre 236 000 en 1938. Le mot d’ordre        Symboliquement, en signe de protesta-            17 % de la consommation d’énergie.
est donc de produire, sans trop se préoc-     tion contre cette politique, le premier          Celle du charbon passe de 62,7 à
cuper des prix de revient et des équilibres   président des Charbonnages, le com-              73,1 Mt, ce qui entraîne une augmenta-
financiers.                                   muniste Victorin Duguet, démissionne             tion des importations qui passent de
Les deux années1946 et 1947, grâce            le 10 novembre. A l’automne suivant la           13,8 Mt en 1950 à 18,8 en 1951, ce qui
aux efforts exceptionnels du personnel        situation se dégrade sérieusement                conduit à revoir une nouvelle fois, mais
et en dépit d’installations en mauvais        quand les décrets de Robert Lacoste              cette fois-ci à la hausse, les pro-
état et souvent vétustes, voient la pro-      touchent notamment au régime social              grammes de production des Charbon-
duction charbonnière atteindre, puis          et au Statut du mineur (5).                      nages.
dépasser celle de 1938, avec 45,4 Mt          La grève débute le 4 octobre et l’arrêt          Cette situation favorable du marché en
pour 1947. Mais l’enthousiasme,               total du travail dans les mines va durer         1951 n’empêche pas l’ensemble des
conforté par les avantages accordés par       près de deux mois. Le gouvernement               Houillères d’être déficitaire, pour la
le nouveau statut du mineur et une aug-       évoque une « grève insurrectionnelle »,          première fois depuis la nationalisation.
mentation sensible des rémunérations          fait appel à l’armée pour dégager les            Il est vrai qu’en incluant le charbon
(les salaires sont portés au niveau de        fosses occupées et les affrontements             dans l’indice des prix, le gouvernement
ceux de la métallurgie parisienne), ne        sont violents.                                   ne permet pas aux Houillères de tirer
va pas durer.                                 Le 28 novembre, le Comité national de            profit du marché quand il est favorable.
Les mouvements sociaux du début de            grève (6) donne l’ordre de reprise géné-         Le 9 mai 1950, la proposition hardie de
1947 touchent de nombreux secteurs            rale. La relance de la production est            Robert Schuman, Ministre des Affaires
dont les usines Renault et la presse. Ils     acquise mais le climat politique et              étrangères, de mettre en commun la
provoquent, lorsque les ministres com-        social qui l’avait permise est définitive-       production et la consommation de
munistes décident de soutenir le mou-         ment révolu.                                     charbon et d’acier de la France et de
vement, la rupture au sein du                 Le Plan Monnet est à nouveau révisé à            l’Allemagne aboutit à la création, le 18
Gouvernement Ramadier et leur départ          la baisse en 1949, puis en 1950. Il              avril 1951, de la Communauté euro-
le 5 mai.                                     semble en effet que les prévisions de            péenne du charbon et de l’acier (Ceca).
En octobre 1947, de sérieuses difficul-       consommation faites en 1946 n’ont pas            Mais la Ceca ne peut empêcher, ce
tés financières conduisent le Gouver-         suffisamment tenu compte de la baisse
nement Ramadier à établir un « Plan de        de consommation liée à l’évolution
freinage » par rapport aux orientations       technologique.
du premier Plan. Une « Commission             Ainsi les besoins de la SNCF et des              (4) Les centrales de Charbonnages n’ont pas été
                                                                                               incluses dans le périmètre d’EDF, pas plus que
des Investissements des activités de          foyers domestiques ont-ils diminué de            celles de la SNCF.
base » entreprend la révision et l’étale-     plus de 20 % par rapport à 1938, ceux            (5) Décrets du 17 septembre 1948 qui concernent
                                                                                               la compression du personnel au jour, la modifica-
ment des programmes d’investissement.         de l’industrie non sidérurgique de               tion du régime de Sécurité Sociale, les conditions
                                                                                               d’embauchage et de licenciement.
Les objectifs de production sont revus à      10 %.                                            (6) FO et la CFTC s’étaient désolidarisés du mou-
                                                                                               vement.

M                    a                    i                               2                    0                      0                        4    9
n’est d’ailleurs pas son rôle, les fortes       Le choc                                       plus favorables, à l’arrêter sur
     fluctuations de la production nationale.                                                      d’autres… » [2].
     Les années suivantes vont, en effet,
                                                     du Plan Jeanneney                             Les conditions ont effectivement chan-
     reproduire ce stop and go : fin des hos-                                                      gé, notamment avec la création de la
     tilités en Corée et tassement du marché      Les années 60 marquent un réel tour-             Communauté économique européenne
     de l’acier, troubles en Iran et nationali-   nant. Les chiffres soulignent sans ambi-         qui, en instaurant un régime d’échanges
     sation du pétrole d’où besoin accru de       guïté la part croissante du pétrole et du        libres, marque, en somme, l’entrée de
     charbon, reprise des exportations d’où       gaz naturel, dont la consommation                l’économie et de la société françaises
     effet inverse, crise de Suez, etc.           décuple presque entre 1957 et 1962               dans une époque de mutations brus-
     Ces fréquentes modifications des objec-      dans le bilan énergétique national. Elle         quées, d’évolutions accélérées, qui pro-
     tifs n’auraient qu’un effet relatif si elles s’exprime également dans les déclara-            voquent, chez un peuple foncièrement
     n’étaient accompagnées de freinage           tions politiques et la vision de l’avenir        conservateur, traumatisme, inquiétude
     brusque ou d’accélération intempestive       qui les sous-tend.                               et incertitude de l’avenir.
     en matière d’investissements, ce qui         Par son allocution télévisée du 14 juin          Ce traumatisme et cette inquiétude sont
     dans une industrie lourde comme celle        1960, le général de Gaulle donne le              particulièrement ressentis dans le
     du charbon n’est guère réaliste, et com-     ton : « Il s’agit de transformer notre           monde des charbonnages, lorsque le
     mence à saper la confiance des cadres        vieille France en un pays neuf et de lui         Ministre de l’Industrie, Jean-Marcel
     des Houillères : « le début des années       faire épouser son temps. Il s’agit qu’elle       Jeanneney, s’exprimant devant le Sénat
     cinquante fut l’époque de la première        en tire la prospérité, la puissance et le        le 21 juin 1960, présente le Plan
     douche froide quant à l’espoir de            rayonnement. Etant le peuple français,           d’adaptation des Charbonnages de
     pérennité du char-                                                 il nous faut accéder       France pour la période 1960-1965.
     bon national : la           L’annonce d’un objectif de             au rang de grand           L’annonce d’un objectif de production
     période faste des           production de 53 Mt pour               Etat industriel ou         de 53 Mt pour 1965, par rapport aux
     Houillères s’ache-          1965 crée un véritable choc            nous résigner au           58,7 de I959, crée un véritable choc
     vait déjà…. La                                                     déclin. Notre choix        (7). Il s’agit là d’un véritable plan de
     production natio-                                                  est fait ».                récession auquel la très grande majori-
     nale perdait sa priorité et les              De tels propos, prononcés en 1945,               té des 216 000 salariés des Houillères
     Charbonnages allaient se voir imposer        auraient été une exhortation à la pro-           et de Charbonnages n’est pas préparée,
     des consignes contradictoires succes-        duction du charbon national ; quinze             bien que le poids du charbon dans
     sives qui, à terme, les condamneront. »,     ans plus tard, leur signification est tout       l’économie française se réduise forte-
     indique Robert Coeuillet, ancien diri-       autre. Le général de Gaulle l’explique           ment : sa part dans la demande d’éner-
     geant des Houillères et de CdF [1].          très claire- ment dans ses Mémoires :            gie est tombée de 80 % en 1946 à 56 %
     Alors que le gouvernement demande en         « Les nécessités de l’immédiat après-            en 1960.
     1954 à CdF d’étudier une réduction des       guerre nous avaient conduits à tirer de          Pour la production d’électricité, le
     productions les plus déficitaires, ce qui    nos mines tout ce qu’elles pouvaient             grand programme hydraulique défini
     concerne essentiellement le Centre-          fournir… Car pour remettre en marche             par le Plan Monnet est en passe d’être
     Midi, il met en place en 1955, par les       notre sidérurgie, nos usines, nos che-           achevé (8). Ce premier grand program-
     décrets Pflimlin, les premières « zones      mins de fer et fabriquer du courant              me d’équipement, qui vise à donner à
     spéciales de conversion », à Béthune et      électrique, c’était presque la seule sour-       la France son indépendance énergé-
     dans tout l’ouest du bassin Nord - Pas-      ce d’énergie dont nous disposions en             tique et qui sera bientôt suivi par celui
     de-Calais. Il ne s’agit alors que d’utiliser propre. Les charbonnages français, en            du nucléaire, permet à l’énergie
     les locaux inoccupés après la fermeture      la personne de leurs dirigeants, de leurs        hydraulique d’assurer 56 % des 72 TWh
     des premières mines.                         ingénieurs, de leurs mineurs, s’étaient          de la production d’électricité de 1960
     Même si la production charbonnière           donc installés dans la situation d’une           (9), alors que le charbon n’en représen-
     poursuit sa progression et atteint son       industrie capitale et qui se voyait sans         te qu’un peu moins de 30 %.
     niveau record en 1958, avec 58,9 Mt, la      cesse sollicitée d’augmenter son effort.         Le ministre de l’Industrie est d’ailleurs
     tendance est insensiblement à la dimi-       Or les conditions ont changé. Les com-           parfaitement clair quant à la logique
     nution de la consommation de char-           munications, le crédit, les échanges …           qui désormais préside à la définition
     bon, tant de la part des particuliers que    nous permettent d’importer des char-
     de la part de l’industrie. Cette tendance    bons meilleurs que les nôtres pour
                                                                                                   (7) Si on veut faire référence à la production totale
     est d’ailleurs accompagnée par le 3e         diverses utilisations industrielles ou           française de charbon, il faut ajouter les autres
     Plan qui oriente nettement la produc-        domestiques. Enfin nos propres gise-             mines, dont les mines en découverte des Landes,
                                                                                                   exploitées par EDF, et quelques petites mines non
     tion énergétique vers de nouvelles res-      ments, à force d’être fouillés, excluent         nationalisées ; à ce titre le record de production est
                                                                                                   en 1958 de 60,039 Mt.
     sources : atome, hydrocarbures, gaz          de plus en plus une exploitation ren-            (8) EDF avait, pour ce faire, créé au sein de sa
     naturel.                                     table. Il nous faut nous résoudre à res-         direction de l’Equipement, 9 régions d’équipement
                                                                                                   hydraulique chargées de la réalisation des barrages
                                                  treindre les tonnages extraits, à                dont les plus importants sont le barrage de Tignes,
                                                                                                   mis en service en 1952, une dizaine de barrages
                                                  concentrer le travail sur les points les         sur le Rhône, et le barrage de Serre-Ponçon dans la
                                                                                                   vallée de la Durance, terminé en 1960.

10   A       n      n       a      l      e      s              d      e       s               M      i         n         e         s
des objectifs, dans la lettre qu’il adresse   Mais, entre cette affirmation et l’arrêt de    régions de vieille tradition industrielle
aux dirigeants de Charbonnages de             la dernière mine, en avril 2004, allaient      conduisent très vite conduire la Datar à
France le 7 juillet 1960 : « La produc-       encore s’écouler quarante et un ans,           s’impliquer dans les mutations dues au
tion des Houillères de Bassin doit être       pendant lesquels Charbonnages de               ralentissement de la production char-
désormais déterminée tant par les pers-       France, les Houillères, et l’ensemble du       bonnière. Et la centrale de Chinon
pectives offertes par la consommation         personnel connaîtraient beaucoup               marque la première étape de ce qui
prévisible que par les coûts de produc-       d’événements, de crises et de luttes,          deviendra le programme d’équipement
tion des charbons, et tenir compte des        ainsi que, malheureusement, de tra-            nucléaire français de 1974 dont le suc-
prix des charbons étrangers suscep-           giques accidents collectifs causant de         cès enlèvera au charbon un des ses
tibles d’être importés et des prix des        nombreuses victimes.                           débouchés principaux.
combustibles directement concur-              La grève de 1963 débute le 1er mars et est     Entre 1965 et 1968, alors que la pro-
rents ».                                      d’emblée très suivie. Les conditions           duction de charbon décline de manière
Ces objectifs, qui deviennent ceux du         météorologiques de cette fin d’hiver étant     continue (de 53 Mt à 43,5 Mt), la situa-
4e Plan, se décomposent en 28 Mt pour         particulièrement rudes, le gel des canaux      tion financière de CdF se détériore
le Nord - Pas-de-Calais,13,5 Mt pour la       perturbe l’approvisionnement de la             sérieusement. Le déficit dépasse pour la
Lorraine et 11,5 Mt pour les Houillères       région parisienne en combustible, ce qui       première fois le milliard de francs
du Centre et du Midi qui doivent sup-         conduit le gouvernement, qui craint une        (152,5 M€) en 1966 et s’aggrave à hau-
porter la plus forte                                                 aggravation de la       teur de 1 350 MF (205,8 M€) l’année
baisse.         C’est        En 1963, la centrale de Chinon          pénurie, à faire        suivante. C’est au cours de ces années
d’ailleurs la raison         marque la première étape                signer le 4 mars au     que CdF va être conduit à mettre sur
pour laquelle un             du futur programme d’équipe-            général de Gaulle       pied une véritable politique de conver-
décret du 30 juillet         ment nucléaire de 1974                  un décret portant       sion et d’industrialisation des régions
ouvre droit à la                                                     réquisition       des   minières.
retraite anticipée à                                                 mineurs qui reste
30 ans d’ancienne-                                                   lettre morte. Le
té pour les mineurs de ces zones.             mouvement, dont l’objectif est d’obtenir
                                                                                             Les Charbonnages,
L’application de ce Plan va poser de          une augmentation des salaires de 11 %,         pionniers de la conversion
sérieux problèmes dans les premières          prend une ampleur nationale, avec des
exploitations menacées, en Aveyron et         manifestations sur tout le territoire, y       Dans une France qui ne connaît pas le
dans les Cévennes. Decazeville connaît        compris à Paris. Le travail ne reprend que     chômage, la prise de conscience des
ainsi, à partir de décembre 1961, un          début avril, après la signature d’un           effets du déclin d’une industrie comme
mouvement de grève et d’occupation            accord portant sur une hausse des              le charbon sur l’économie locale n’est
du fond, dont la durée de deux mois et        salaires de 6,5 % au 1er avril, portée à 8 %   pas immédiate. Sa perception n’est pas
la forte mobilisation locale devaient         en octobre, puis enfin à 11 % en janvier       la même à Decazeville, ville créée par
sensibiliser le gouvernement, sans            1964.                                          le charbon et donc extrêmement sen-
l’amener toutefois à renoncer à la fer-       Epreuve de force ou baroud                     sible à toute décision récessive, et dans
meture du site, prévue en 1966.               d’honneur ? Toujours est-il que ces évé-       le Nord - Pas-de-Calais où les
Vouloir ramener, après quinze ans de          nements ne modifient en rien les orien-        Houillères, avec près de 80 000 per-
croissance, la production charbonnière        tations arrêtées par le Plan Jeanneney.        sonnes (200 000 vingt ans plus tôt) sont
au-dessous de son niveau de 1929              Au demeurant, la désaffection des parti-       encore le principal employeur régional.
(54 Mt), n’est pas une décision anodine,      culiers pour le charbon au profit du           Les problèmes récurrents, puis le dépôt
même si ces années furent, comme on           pétrole et du gaz s’accélère et la pro-        de bilan de la Chaudronnerie Tôlerie de
l’a vu, marquées de nombreux aléas. La        duction des Charbonnages continue de           l’Aveyron (CTA), entreprise qui a permis
décision qui est prise en ce début 1960       baisser pour atteindre les 53 Mt en            à Decazeville la conversion des
sera finalement irréversible.                 1965 prévues par le Plan Jeanneney.            mineurs touchés par l’arrêt du fond, ali-
Lorsque le général de Gaulle commente         Pendant que la profession élabore des          mentent un vrai débat au sein de CdF
la grande grève de 1963, en répondant à       mesures sociales qui rendent gérables          sur la nécessité d’une approche structu-
une question sur l’avenir de la profession    cette diminution de la production et           rée du reclassement, et donc de l’indus-
de mineurs à la sortie du Conseil des         accentue ses efforts de mécanisation           trialisation des régions concernées par
Ministres du 27 mars 1963, ses propos         pour endiguer l’accroissement des prix         les fermetures de puits. A Decazeville,
sont lapidaires : « Elle n’en a guère. C’est  de revient (10), deux faits vont, en
pourquoi elle s’est livrée à ce soubresaut,   1963, avoir une réelle influence sur les
sans doute pour la dernière fois (…). Des     Charbonnages : la création de la Datar,
                                                                                             (9) La production électrique française est de
grèves comme celle-là ne peuvent pas          qui marque les débuts de la politique          33 TWh en 1950, 140 TWh en 1970, 246 TWh en
recommencer avant plusieurs années. Et        d’aménagement du territoire, et la mise        1980, 525 TWh en 2000. En 1960, le thermique
                                                                                             assure 32 TWh sur 72 (minéraux solides 66,2 %,
dans plusieurs années, l’heure du char-       en service de la centrale nucléaire gra-       Fioul 7,8 %, gaz naturel 11,2 %, divers 14,4 %). In
                                                                                             « Informations sur l’Energie » Ed. 2003 CEA.
bon sera passée… » [3]                        phite-gaz de Chinon. Les questions de          (10) Le rendement fond (kg/hp) passe de 1 732 en
                                              reconversion et d’industrialisation des        1959 à 2 865 en 1973.

M                    a                   i                                  2                0                       0                        4    11
la question est en partie réglée par l’an-          Le Premier ministre notifie ces orienta-              général avec la sidérurgie, 30 à 40 % de
 nonce, lors d’un voyage du Premier                  tions au Président de CdF dans une lettre             leurs dépenses de fonctionnement.
 ministre Georges Pompidou à Rodez,                  datée du 10 août 1966. Son importance                 Par ailleurs, le comité interministériel du
 d’une aide de l’Etat de 50 MF (7,6 M€)              pour toute l’action d’industrialisation               mois de février 1967 autorise CdF et les
 pour la construction d’une aciérie à oxy-           menée par la suite par CdF est considé-               Houillères à créer une société financière
 gène par une société filiale à 50 % des             rable :                                               de reconversion « destinée à prendre des
 Houillères d’Aquitaine. La participation            « L’évolution des données économiques                 participations minoritaires dans des entre-
 financière des Houillères à ce type d’opé-          dans le domaine de l’énergie et les néces-            prises devant faciliter l’embauche des
 ration n’est pas une première, mais elle            sités de la modernisation contraignent                mineurs appelés à quitter leur emploi ».
 n’est évidemment pas idéale en termes de            notre production charbonnière à la régres-            Cette décision permet au Conseil
 gestion ; de telles prises de participation         sion (…). Une telle politique ne pourra être          d’Administration de CdF, le 17 mars 1967,
 relèvent davantage d’une problématique              menée à bien que si elle s’accompagne                 d’arrêter le principe de la création de la
 d’aménagement du territoire que d’une               d’un effort en faveur de l’industrialisation          Sofirem, qui sera effective le 27 juillet. Ni
 stratégie industrielle rationnelle.                 des régions charbon- nières. Les expé-                banque ni établissement de crédit, la
 Dans le Nord - Pas-de-Calais, la réflexion          riences récentes ont montré l’utilité d’un            Sofirem est la première société de conver-
 sur l’évolution du tissu industriel a débuté        rôle positif des établissements existants             sion créée en France, « originale dans les
 dès les années 1963-1964, notamment au              dans l’implantation des industries nou-               idées qui ont présidé à sa conception et
 sein d’un groupe de travail informel dans           velles. Cette intervention implique tout              dérogatoire dans ses procédures de fonc-
 lequel se retrouvent plusieurs chefs d’en-          d’abord une collaboration active à la mise            tionnement ». Elle fera de nombreux
 treprise, dont le directeur général des             en place d’organismes et de personnes                 émules à partir de 1975.
 Houillères de Bassin du Nord - Pas-de-              chargés d’animer la conversion en s’ap-               Le capital initial de 10 MF (1,5 M€) est
 Calais (11). Ce groupe fait pression au             puyant sur des structures existantes. Je sou-         partagé entre CdF (40 %) et les Houillères
 niveau local pour que soit créé un orga-            haite vivement, que conformément à vos                de Bassin Nord, Lorraine et Loire, chacu-
 nisme chargé des pro-                                                        vues, les Houillères         ne 20 %. La mission de la nouvelle socié-
 b l è m e s                     Désormais la « conversion                    de Bassin et les CdF         té est définie au départ de manière assez
 d’industrialisation             industrielle », qui deviendra                concourent large-            stricte : étudier les projets de développe-
 dans la région. Si le           l’industrialisation, est une poli-           ment à de telles ini-        ment industriel, non situés en aval des
 taux de chômage est             tique à part entière de CdF                  tiatives (…). J’ai           activités du groupe CdF, mais susceptibles
 supérieur à la moyen-                                                        chargé le Délégué à          de comporter un intérêt pour les
 ne nationale, son                                                            l’Aménagement du             Houillères, analyser les plans de finance-
 niveau, enviable aujourd’hui, n’est que de          Territoire de suivre ces problèmes en liai-           ment et participer éventuellement au
 2,6 % (moyenne nationale 2,1 %). La                 son avec le Ministre de l’Industrie (…). Les          capital de façon minoritaire. Le premier
 vraie question concerne l’emploi indus-             établissements me paraissent devoir inter-            objectif est de favoriser la création de
 triel qui n’a cessé de diminuer depuis              venir essentiellement de deux manières :              1 500 à 2 000 emplois, dont une propor-
 1952 (12), en raison des difficultés suc-           en jouant un rôle de recherche, d’accueil,            tion importante doit servir au reclasse-
 cessives du charbon, du textile et de la            de conseil et d’assistance technique au               ment des mineurs volontaires pour cette
 sidérurgie.                                         profit des activités nouvelles, voire en leur         conversion. Le but est pratiquement
 Cette réflexion rencontre celle de la               offrant à des conditions favorables les ter-          atteint dès janvier 1968, avec cinq
 Datar, qui cherche à structurer le territoire       rains, bâtiments et équipements dont ils              affaires, dont l’implantation de la société
 français en répertoriant les espaces à sou-         disposent ; en prenant des participations             Quillery dans le Nord. Ce qui conduit à
 tenir. Il s’agit notamment d’ensembles              financières, temporaires ou définitives,              porter le capital de la Sofirem à 40 MF
 urbains à développer ou d’espaces indus-            dans ces nouvelles industries avec le triple          (6 M€), puis à 80 MF (12,2 M€) en
 triels à reconvertir, les deux se confondant        objectif d’aider à leur lancement, de veiller         décembre 1969.
 parfois pour les régions touchées par les           à leur rentabilité et de faciliter l’embauche         L’ensemble des responsables de CdF, et
 difficultés des industries traditionnelles          du personnel des Houillères. Ces interven-            notamment les partenaires sociaux, ont
 (charbon, sidérurgie). C’est ainsi que la           tions devront s’accompagner d’une sépara-             conscience que cette décision marque un
 Lorraine, la Loire, mais surtout le Nord -          tion totale de l’activité minière et des              tournant car elle laisse supposer que la
 Pas-de-Calais deviennent des zones privi-           activités nouvelles sur le plan de la comp-           fonte naturelle des effectifs ne suffira pas à
 légiées d’intervention innovante de la part         tabilité et des statuts des personnels. (…) ».        résoudre entièrement les problèmes de
 de la Datar.                                        L’essentiel est dit ; ce sont ces principes           personnel, et que, désormais, la conver-
 En ce qui concerne la conversion, la pre-           qui guideront la politique de CdF en ce               sion industrielle, qui deviendra au fil des
 mière étape va être la création en 1966             domaine.                                              ans l’industrialisation, est une politique à
 d’associations pour l’expansion indus-              Conformément aux orientations du                      part entière de CdF. Jusque-là, le groupe
 trielle que les partenaires industriels             Premier ministre, les Houillères s’impli-             CdF avait fait de l’action industrielle au
 locaux vont en partie financer, et dont les         quent donc dans les organismes consti-
 premiers délégués généraux seront nom-              tués d’abord sous forme d’association, qui           (11) Préfiguration des Commissions de développe-
                                                                                                          ment économique régional (Coder), créées en I964.
 més, l’année suivante, « Commissaires à             deviennent des Commissariats à la                    (12) 640 430 en 1952, 606 940 en 1962, 575 480
 la conversion industrielle ».                       conversion industrielle ; elles assurent, en         en 1968.

12   A       n       n       a       l      e       s              d       e       s                  M      i        n        e        s
profit des régions minières « sans le savoir         prévue et se limite à 46 000 ; le nombre de     En 1974, le nouveau Délégué général à
», en valorisant l’extraction, en dévelop-           salariés est encore en 1975 de 85 000.          l’Energie Jean Blancard demande à CdF de
pant ses débouchés dans la carbonisation,            Quoi qu’il en soit, cette évolution marque      réexaminer les orientations des Houillères
les centrales électriques et la chimie, évo-         une rupture définitive ; plus jamais, la pro-   à l’horizon de 10 ans, pour développer des
quée ici pour mémoire car le cas de CdF-             duction charbonnière ne remontera au-           productions supplémentaires, et reporte la
Chimie nécessiterait un article à lui seul.          dessus de ces 24 Mt, que ce soit après le       fermeture du Dauphiné, prévue à la fin de
                                                     premier choc pétrolier ou même après la         1975. La réduction des effectifs « fond »
                                                     relance du charbon annoncée par François        ralentit et passe à 7 % par an en moyenne
Le Plan Bettencourt,                                 Mitterrand en 1981.                             contre 12 à 13 % les années précédentes.
une accélération                                                                                     En Lorraine même, l’effectif ne diminue
                                                                                                     pas, pour la première fois depuis quinze
de la régression                                     La reprise avortée                              ans, en partie grâce à l’embauche locale et
Les premiers succès de ces nouveaux dis-             de 1974                                         en partie grâce à la main d’œuvre maro-
positifs sont dus, à la fois, à une conjonc-                                                         caine « temporaire », suivant en cela la
ture économique favorable, à un taux de              Le choc pétrolier de 1973 (multiplication       méthode utilisée dans le Nord - Pas-de-
chômage faible et au fait que les zones              du prix du pétrole par quatre) prend la         Calais.
prioritaires sont encore très peu nom-               France complètement à contre-pied car           Endeuillée le 27 décembre par la terrible
breuses. Cette priorité portée aux zones de          son approvisionnement énergétique est           catastrophe de Liévin qui fait 42 victimes,
vieille tradition industrielle est encore            constitué à 77 % de pétrole importé du          l’année se termine sur des résultats très
accentuée par l’annonce, en décembre                 Moyen-Orient. La part du nucléaire dans la      supérieurs à ceux des années précédentes.
1968, par le Ministre de l’Industrie d’un            production électrique est encore très           La très nette augmentation des prix de
plan de réduction drastique de la produc-            faible, avec 14 TWh, alors que le fioul         vente, qui valorise la tonne à 190 F
tion charbonnière. Le plan Bettencourt               représente 75 % et le charbon 25 % des          (28,9 €) en décembre 1974 par rapport à
porte le rythme annuel de régression à               113 TWh produits par le thermique clas-         115 F (17,5 €) en décembre 1973, permet
3 Mt, avance la fermeture du Bassin de la            sique. Le taux d’indépendance énergétique       de réduire sensiblement le déficit d’exploi-
Loire, prévue en 1975, au 1er Janvier 1974,          de la France n’est alors de 23,9 %, alors       tation (400 MF, 61 M€, contre
et celle des bassins d’Auvergne, des                 qu’il est de l’ordre de 50 % pour               1 260 MF,192 M€).
Cévennes et du Dauphiné à la fin de 1975.            l’Allemagne et la Grande-Bretagne.              Les instructions données aux CdF sont
En Lorraine, deux sièges doivent être fer-           Sur le plan de la politique énergétique, la     assez novatrices en ce qui concerne les
més, dont celui de Sainte-Fontaine, et dans          réaction du Gouvernement Messmer est            programmes de production à moyen
le Nord la production doit être réduite de           essentiellement de faire lancer par EDF, en     terme. En effet, ce ne sont plus des chiffres
50 %. La réduction des effectifs envisagée           mars 1974, 19 réacteurs nucléaires de           de production qui sont approuvés, mais
est d’environ 70 000 personnes, dont                 900 MW sur deux ans. De manière beau-           des orientations générales, avec un enca-
50 000 doivent provenir du « dégonfle-               coup moins nette, il décide une pseudo          drement économique défini par une réfé-
ment » naturel, et 20 000 d’un effort com-           relance du charbon qui n’est en fait qu’un      rence coût/thermie, en l’occurrence, 3
plémentaire de dégagement, réparti entre             simple ralentissement de la régression.         centimes la thermie : l’idée est que tout ce
retraite anticipée et conversion au sens de          Il y a dans cette position une ambiguïté du     qui pourra être produit dans les dix ans à
« reclassement ». Si l’effort à produire est         même ordre que celle qui prévaudra, de          venir dans ce cadre de référence sera le
important, l’effet psychologique sur le per-         manière très amplifiée, entre 1981 et           bienvenu.
sonnel de Charbonnages et sur son enca-              1983.                                           En fait, si ce sont bien sur de telles bases
drement ne l’est pas moins ; pour                                                                    que sont réalisées les études de production
beaucoup, c’est la certitude de la fin du
charbon.
En réalité, l’augmentation du rendement
est loin de couvrir l’accroissement des
charges de main-d’œuvre, des dépenses de
fourniture et des charges financières. Aussi
le déficit sans cesse croissant des
Charbonnages atteint-il, en 1968, 1 600
MF (244 M€) et la concurrence toujours
plus forte des autres sources d’énergie, en
premier lieu du pétrole, mais aussi celle du
charbon importé, se poursuit.
Le plan ne sera pas exécuté à la lettre. Si la
diminution de la production dépasse les
objectifs - elle n’est plus que de 24 Mt en
1975 -, la réduction des effectifs est de
moindre ampleur que celle initialement                 Production nette Fond + Découvertes (kt).

     M                     a                     i                                 2                 0                  0                   4    13
possible, les pouvoirs publics veulent         surtout importé, en attendant que le               tion totale mais avec une inversion
     garder une certaine « réversibilité » des      nucléaire prenne le relais. Faute de sou-          entre le fioul en baisse et le charbon en
     décisions, ce qui en matière minière           plesse, cette stratégie est toutefois diffi-       hausse ; l’hydraulique est stable avec
     n’est guère aisé, un développement de          cile à mettre en œuvre rapidement. En              27 % mais le nucléaire, avec 23,7 %, a
     la production impliquant en effet des          1975, la production est inférieure aux             pratiquement triplé depuis 1973. La
     investissements de longue durée et une         prévisions et la situation financière              décision prise en 1979 du passage au
     embauche de main-d’œuvre. Ceci                 s’aggrave, le gouvernement ayant très              palier 1 300 MW (4x1 300 MW par an)
     explique      qu’en                                                  fortement      limité        va encore accentuer cette tendance. La
     dépit de cette             Le Fonds destiné au textile,              l’augmentation               Commission Energie du VIIe Plan
     approche novatri-          à la sidérurgie et à la construc-         espérée par CdF              indique d’ailleurs que les besoins en
     ce et « responsabi-        tion navale vient concur-                 des prix du char-            charbon pour les centrales vont
     lisante » pour             rencer les dispositifs d’indus-           bon.                         décroître de façon considérable pour
     l’entreprise, toutes       trialisation des Charbonnages             La signature d’un            arriver en 1990 à 9 ou 10 Mt et qu’en
     les décisions au                                                     contrat d’entreprise         conséquence, hormis Carling et le
     cours des années                                                     en janvier 1978              Havre, il n’y a pas lieu d’engager de
     1975, 1976 et                                                        entre CdF et les             nouveaux investissements dans les cen-
     1977 feront l’objet d’âpres discussions        pouvoirs publics, pour une durée de                trales thermiques. Ce qui n’empêche
     avec les ministères de tutelle.                trois ans, ouvre un nouveau type de                pas le Ministre de l’Industrie André
     Un premier train de mesures qui                relations, reposant sur :                          Giraud d’accepter le principe de la
     concernent surtout la Lorraine est arrê-       - la liberté pour CdF de fixer les prix de         construction d’un nouveau groupe de
     té en novembre 1975. Il prévoit la remi-       barème en fonction du marché, ce qui               600 MW au charbon à Gardanne.
     se en exploitation de Sainte-Fontaine,         doit contribuer à réaliser l’équilibre             Sur le plan économique, le choc pétro-
     arrêtée en janvier 1972, et la saturation      financier,                                         lier a provoqué une crise aiguë, notam-
     des sièges de l’Est. C’est à ce moment         - la restauration par l’Etat du bilan de           ment dans le secteur industriel. Entre
     que CdF et les HBL présentent un projet        l’entreprise en la soulageant des                  1973 et 1975 le taux de chômage a
     de nouveau groupe de 600 MW à                  charges d’endettement courant jusqu’à              augmenté brutalement, passant de 2,7 à
     Carling. L’accord sur la pérennisation         la fin de 1977.                                    4 % ; il atteint près de 7 % à la fin 1980.
     de La Houve n’est pris qu’un an plus           Les CdF deviennent maîtres du choix de             Alors que le taux de croissance annuel
     tard, après de multiples tergiversations,      leurs investissements, sous réserve de             passe de 6 % en moyenne entre 1960 et
     révélatrices des vrais débats sur l’intérêt    respecter un plafond contractuel. Ce               1974 à 2 %, la part de l’industrie dans
     d’une production de charbon–vapeur,            changement reporte en principe sur                 l’emploi total chute de 26 % à 22 %.
     alors que le charbon importé coûte             l’entreprise les décisions de fermeture            Les régions du Nord et de l’Est connais-
     moins cher que les 3 c/th de référence.        des exploitations non rentables car                sent de nouvelles difficultés. Les zones
     Cette décision, prise peu après la catas-      dans les conditions ainsi fixées la survie         de conversion prioritaires se sont multi-
     trophe de Merlebach de septembre, qui          de la totalité des exploitations est               pliées et la mise en place de nouveaux
     fait 16 victimes, est annoncée le 24           impossible. CdF respecte à peu près ce             outils d’intervention, tels le Fonds
     novembre à Metz par le Président de la         contrat la première année.                         Spécial d’Adaptation Industrielle desti-
     République, Valéry Giscard d’Estaing,          Sept ans après le premier choc pétrolier           né au textile, à la sidérurgie et à la
     venu présenter un plan d’aide à l’éco-         et un an après le second, fin 1980,                construction navale, viennent concur-
     nomie lorraine malmenée par les                quelle est la situation ? Sur le plan de la        rencer les dispositifs d’industrialisation
     restructurations de la sidérurgie.             production charbonnière, la Lorraine a             des CdF. Et ce d’autant que de nom-
     L’accord sur le projet du groupe 6 de          pris, dès 1975, le relais du Nord-Pas-de-          breuses grandes entreprises confrontées
     Carling n’interviendra qu’en octobre           Calais en tant que la plus importante              aux problèmes de reclassement et de
     1977, quand EDF aura estimé en avoir           des Houillères avec des effectifs en aug-          création d’emplois créent, à l’exemple
     besoin.                                        mentation et une production à peu près             de CdF avec la Sofirem, leurs propres
     C’est également en 1975 que le minis-          maintenue. Le Nord, dans des condi-                sociétés de conversion. C’est le cas
     tère de l’Industrie incite CdF à s’impli-      tions d’exploitation de plus en plus dif-          d’Elf avec la Sofrea, de Rhône Poulenc
     quer davantage dans l’importation de           ficiles, a diminué sa production et ses            avec la Sopran, de Thomson avec le
     charbon, à la fois par la signature de         effectifs de moitié, alors que le Centre-          Geris, de Saint-Gobain avec Saint-
     contrats de longue durée, mais aussi           Midi a vu fondre ses effectifs de 40 % et          Gobain Développement… La conver-
     par des prises de participation dans           diminuer sa production de 12 %. Au                 sion devient un métier, et la Datar
     « les ressources étrangères » (13).            total les CdF produisent 19,7 Mt avec              devient le « pompier » des espaces en
     Produire plus et mieux, importer, inves-       61 000 salariés, soit 7,4 Mt et 30 500             crise.
     tir dans des mines à l’étranger : cette        personnes de moins qu’en 1973.                     Il est clair également - et les dirigeants
     stratégie tous azimuts répond en fait          Sur le plan de la production d’électrici-          de CdF en sont conscients - que les
     aux impératifs immédiats de la produc-         té, bien que proportionnellement en
     tion électrique dont les recours au            diminution, le thermique classique
     pétrole diminuent au profit du charbon,        représente encore 48 % de la produc-               (13) Lettre du Ministre de l’Industrie au Président
                                                                                                       de Charbonnages de France du 10 juillet 1975.

14   A       n       n       a       l      e       s             d       e       s                M      i        n         e        s
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