Charbonnages de France et la société française
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H i s t o i r e d ’ u n e g r a n d e m u t a t i o n i n d u s t r i e l l e Charbonnages de France et la société française Le 19 avril 1946, l’Assemblée La constitution L’autre grande région de production est la Loire, où les évolutions sont égale- Nationale vote la loi « relative à des bassins miniers ment sensibles. D’abord centré autour de Rive-de-Gier à l’est, le bassin se la nationalisation de l’industrie Il est communément admis que cette déplace peu à peu vers l’ouest, en des combustibles minéraux » par histoire commence au XIIIe siècle avec direction de Saint-Etienne, puis dans la des gisements en affleurement, exploi- vallée de l’Ondaine. Dès 1837 se pro- 516 voix contre seulement 31. tés, terme peut-être un peu fort, dans les duisent les premiers mouvements de régions de Saint-Étienne, du Creusot, concentration des exploitations, entraî- L’avenir de Charbonnages de d’Alès et de Carmaux. C’est déjà la nant déjà la fermeture des unités peu France et des Houillères de carte de la France industrielle du XIXe et productives et la création, dix ans plus du XXe siècles qui se dessine. Le char- tard, de la Compagnie des Mines de la Bassin paraît prometteur ; en bon n’est alors qu’un produit de substi- Loire, qui emploie 4 000 ouvriers et tution du bois dont l’intérêt produit plus d’un million de tonnes de fait, pour le charbon français, économique n’apparaît vraiment qu’à houille par an. partir du XVe siècle. A côté de ces grands bassins, d’autres c’est le commencement de régions connaissent dans une moindre D’abord tributaire pour son approvi- l’épilogue d’une longue histoire. sionnement des pays voisins, Angleterre mesure la fièvre de l’exploitation de la et Belgique, la France voit se multiplier houille : au sud de la Loire, les mines du Gard, de La Mure en Isère, de Gardanne les forages. Mais les productions restent par Philippe de Ladoucette dans les Bouches-du-Rhône. Dans le longtemps artisanales. Le changement Président Directeur Général Tarn, Carmaux ; plus au nord dans de Charbonnages de France d’échelle se produit dans le Nord où l’Aveyron, Decazeville. Dans les années une première veine, découverte à 1820, Decazeville n’est encore en effet Fresnes-sur-Escaut en 1720, initie la qu’un minuscule hameau : trente ans grande aventure de ce qui sera le bassin L ’histoire du charbon d’abord, celle de Charbonnages ensuite, sont étroitement liées aux muta- tions industrielles de la France au cours des deux derniers siècles. Il n’est pas minier du Nord et du Pas-de-Calais. La compagnie d’Anzin, fondée en 1756, fait ainsi figure de précurseur en pro- duisant à la fin du XVIIIe siècle près de plus tard, c’est une ville de 9 000 habi- tants. De tels exemples se retrouvent en Bourgogne, avec les sites du Creusot et de Blanzy - Montceau-les-Mines. Enfin, si dans le nord-est les premières 300 000 tonnes de charbon par an et en exagéré de dire que les mutations recherches remontent à 1784 dans la industrielles dépendirent longtemps employant 4 000 mineurs. région d’Hayange, l’intégration de la exclusivement du charbon, de sa Au cours du XIXe siècle, les évolutions Sarre à la France, en 1792, fait que ce découverte et des balbutiements de son et les mutations sont profondes, tant est sont d’abord les mines sarroises qui exploitation, de son essor et de son exigeante l’exploitation « intensive » de sont exploitées jusqu’au second traité développement, jusqu’à son déclin. Le la houille en zone rurale. La population de Paris en 1815. Après plusieurs tenta- charbon a, en effet, contribué à mode- des deux départements du Nord et du tives relativement infructueuses, ce ler le paysage physique et industriel de Pas-de-Calais double. Le Nord est le n’est qu’en 1856 que débute, avec l’ex- nombre de régions françaises. premier exploité, le Pas-de-Calais ploitation de Petite-Rosselle, le déve- A la veille de l’arrêt du dernier puits en devient à partir de 1830 une région de loppement minier en Moselle. Vers activité, en Lorraine, en avril 2004, un prospection intense. A l’ouest de 1860, les contours de la carte de France retour dans le temps permet un aperçu Douai, l’industrie minière part à la des bassins miniers sont donc définiti- de ces mouvements constitutifs de conquête de nouvelles terres : vement tracés. l’économie française. Ce n’est pas une Courrières, Dourges, Lens, Ostricourt, L’extraction du charbon occupe désor- simple facilité ; la réalité économique Liévin, Drocourt… Le bassin du Nord- mais une main d’œuvre de plus en plus de nombreuses régions s’enracine réel- Pas-de-Calais fournit la moitié de la importante, 33 000 personnes en 1850, lement dans la longue histoire du char- production française à la fin du XIXe 80 000 en 1870 pour une production bon. siècle. totale de 13 millions de tonnes, près de M a i 2 0 0 4 7
200 000 mineurs et une production de la demande diminue d’un tiers, voit le de tonnes seulement peuvent être 41 millions de tonnes à la veille de la chômage partiel se généraliser, et ses importés, dont la moitié en provenance Première Guerre mondiale. En 1913 le effectifs chuter. Entre 1931 et 1936, la des Etats-Unis. charbon représente 98 % de la deman- main-d’œuvre employée dans les mines Devant ces difficultés, le gouvernement de française d’énergie. tombe de 330 000 à 236 000 per- lance alors la « bataille du charbon », sonnes. avec le fameux discours de Maurice Pendant cette période, les dirigeants Thorez à Waziers (21 juillet 1945) L’Entre-deux guerres des sociétés houillères ont une attitude devant les mineurs du Nord, les appe- La Grande Guerre frappe sévèrement malthusienne visant à éviter toute lant à produire plus, et l’intervention du l’économie française : la production « aventure ». Certaines ont poursuivi général de Gaulle à Béthune. charbonnière tombe à 22 millions de cette tactique de prudence au cours de 1946 voit deux événements majeurs : la tonnes seulement en 1919. Mais elle a la reprise de 36-39, produisant nette- nationalisation des mines et le vote du aussi pour conséquence de faire ment en-dessous des besoins pour Statut du mineur (2). Le principe de la prendre conscience de l’infériorité fran- conserver une nationalisation çaise face à l’industrie lourde alleman- marge de sécurité, C’est en Lorraine que les pro- avait été posé dès de. Alors que la remise en état des à charge pour l’im- grès de productivité mécanique 1943, par le mines prend un temps considérable - portation de la sont les plus spectaculaires Conseil national dans celles du Nord - Pas-de-Calais, combler. Les de la Résistance, qu’il faut « dénoyer », la tâche ne sera importations de qui exigeait dans totalement achevée qu’en 1927 – charbon pesant lourdement sur la ses résolutions « l’instauration d’une s’amorcent les prémices d’une politique balance des paiements, le potentiel de véritable démocratie économique et dirigiste de l’énergie. l’hydraulique est considéré en 1936 sociale, impliquant l’éviction des Les importations pétrolières sont pla- comme sous-exploité, et ce malgré les grandes féodalités économiques et cées sous le contrôle de l’Etat (1928) ; efforts lancés depuis 1920, mais totale- financières et le retour à la nation des l’hydroélectricité devient la « houille ment arrêtés par la crise. Le gouverne- grands moyens de production monopo- blanche », par opposition à la « houille ment du Front Populaire lance alors un lisés ». noire », et constitue le nouvel espoir programme de « grands travaux » qui Le Commissariat général du Plan est « d’énergie nationale », qui permet de prévoit une relance des investissements créé par le décret du 3 janvier 1946. Le faire des économies de charbon impor- de production et de transport. 19 avril, quelques jours après la natio- té. La Compagnie nationale du Rhône nalisation du gaz et de l’électricité, est créée par la loi du 25 mai 1921 et, celle des mines de combustibles miné- entre 1920 et 1930, la construction de La bataille du charbon raux solides est votée. Le décret d’ap- plus de 50 barrages est lancée. Bien La volonté de « reconstruction » pré- plication de juin crée Charbonnages de avant le lancement du programme vaut dans l’immédiat après-guerre. France et neuf Houillères de Bassin : nucléaire, le charbon n’est déjà plus le Dans une France qui manque alors de Nord - Pas-de-Calais, Lorraine, Loire, choix privilégié de la France pour la tout, où les investissements marquent le Cévennes, Blanzy, Aquitaine, Provence, production d’électricité. pas depuis de longues années, il est, Auvergne, Dauphiné (3). La recherche de productivité méca- dans un premier temps, vital de rétablir Opérant dans les conditions d’une éco- nique dans les différentes sociétés la production charbonnière à son nomie de pénurie, les experts du pre- minières caractérise la période de niveau d’avant-guerre, avec la volonté mier Plan, dit Plan Monnet, recherchent l’Entre-deux guerres. De ce point de de très vite le dépasser. L’objectif est avant tout une renaissance rapide de vue, c’est en Lorraine que les progrès ambitieux car la situation, dans la plu- l’économie et donnent la priorité, en seront les plus spectaculaires. part des bassins, est assez dégradée. La particulier, aux goulots d’étranglement L’accroissement sensible de la produc- production française est en effet de 27 et aux industries de base. A ce double tion lorraine durant cette période pro- millions de tonnes en 1944, soit la moi- titre, les sources d’énergie sont au vient essentiellement de l’accrois- tié de celle de 1929. centre de leurs préoccupations. sement du rendement obtenu par la C’est dans ce contexte qu’est prise la Alors que les coupures de courant sont modernisation de l’exploitation. Cette première mesure symbolique d’après- très fréquentes - elles se poursuivront amélioration de la productivité, abais- guerre, avec la nationalisation des jusqu’en 1949 - l’électricité est considé- sant fortement les prix de revient du Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, rée, à côté du charbon, comme la « prin- charbon, permet aux mines lorraines de par l’ordonnance le 13 décembre 1944. franchir sans trop de dommage la crise Dans les premiers mois de 1945, la pro- (1) En 1938, sur les 95 haveuses utilisées dans les des années 30, contrairement aux duction reprend difficilement. Elle bassins miniers, 90 se trouvaient en Lorraine. (2) Loi du 14 février 1946 portant Statut du Mineur autres bassins (1). atteindra 35 millions de tonnes, mais concernant la protection sociale et les avantages en Mais cette crise a des conséquences cela sera encore largement insuffisant, nature (notamment le logement). (3) La création de 9 Houillères de Bassin est une profondes sur le secteur minier. A partir d’autant que les fournisseurs d’avant- simplification de l’organisation précédente dans laquelle les Sociétés privées étaient sensiblement de 1930, la production décline progres- guerre (Grande-Bretagne, Belgique, plus nombreuses (3 en Provence, 4 en Lorraine et sivement. L’industrie du charbon, dont Allemagne) sont défaillants : 5 millions 18 dans le Nord). 8 A n n a l e s d e s M i n e s
cipale priorité d’investissement pour conduire la Reconstruction ». Pour éco- nomiser le charbon et le réserver aux besoins du chauffage et de la sidérurgie, on décide de privilégier les investisse- ments hydroélectriques par rapport aux centrales thermiques (4). Il y a là une continuité certaine avec les orientations et les priorités de l’entre-deux guerres, qui ne sera pas sans conséquence sur le devenir des Charbonnages. L’exploitation du charbon nécessite, pour parvenir au niveau de production souhai- tée par le Plan, un effort important de modernisation. Les objectifs fixés par le premier Plan sont extrêmement ambi- Effectifs inscrits (tous agents à fin de période). tieux : 69 millions de tonnes en 1952 et 71 millions de tonnes en 1955. Les pre- la baisse : les 69 Mt de 1952 sont rame- C’est le début d’une alternance de mières mesures prises par le gouverne- nés à 60. hauts et de bas pour l’industrie du char- ment sont des mesures d’urgence, qui se Ce retour aux réalités économiques et bon. La fin de 1950 et l’année 1951 traduisent essentiellement par une aug- financières n’est pas étranger à la repri- sont marquées par une relance vigou- mentation considérable des effectifs, qui se de l’agitation sociale, notamment reuse de l’économie suscitée par la atteignent 360 000 salariés fin 1946, dans les mines, en cette fin de 1947. guerre de Corée, et par une hausse de contre 236 000 en 1938. Le mot d’ordre Symboliquement, en signe de protesta- 17 % de la consommation d’énergie. est donc de produire, sans trop se préoc- tion contre cette politique, le premier Celle du charbon passe de 62,7 à cuper des prix de revient et des équilibres président des Charbonnages, le com- 73,1 Mt, ce qui entraîne une augmenta- financiers. muniste Victorin Duguet, démissionne tion des importations qui passent de Les deux années1946 et 1947, grâce le 10 novembre. A l’automne suivant la 13,8 Mt en 1950 à 18,8 en 1951, ce qui aux efforts exceptionnels du personnel situation se dégrade sérieusement conduit à revoir une nouvelle fois, mais et en dépit d’installations en mauvais quand les décrets de Robert Lacoste cette fois-ci à la hausse, les pro- état et souvent vétustes, voient la pro- touchent notamment au régime social grammes de production des Charbon- duction charbonnière atteindre, puis et au Statut du mineur (5). nages. dépasser celle de 1938, avec 45,4 Mt La grève débute le 4 octobre et l’arrêt Cette situation favorable du marché en pour 1947. Mais l’enthousiasme, total du travail dans les mines va durer 1951 n’empêche pas l’ensemble des conforté par les avantages accordés par près de deux mois. Le gouvernement Houillères d’être déficitaire, pour la le nouveau statut du mineur et une aug- évoque une « grève insurrectionnelle », première fois depuis la nationalisation. mentation sensible des rémunérations fait appel à l’armée pour dégager les Il est vrai qu’en incluant le charbon (les salaires sont portés au niveau de fosses occupées et les affrontements dans l’indice des prix, le gouvernement ceux de la métallurgie parisienne), ne sont violents. ne permet pas aux Houillères de tirer va pas durer. Le 28 novembre, le Comité national de profit du marché quand il est favorable. Les mouvements sociaux du début de grève (6) donne l’ordre de reprise géné- Le 9 mai 1950, la proposition hardie de 1947 touchent de nombreux secteurs rale. La relance de la production est Robert Schuman, Ministre des Affaires dont les usines Renault et la presse. Ils acquise mais le climat politique et étrangères, de mettre en commun la provoquent, lorsque les ministres com- social qui l’avait permise est définitive- production et la consommation de munistes décident de soutenir le mou- ment révolu. charbon et d’acier de la France et de vement, la rupture au sein du Le Plan Monnet est à nouveau révisé à l’Allemagne aboutit à la création, le 18 Gouvernement Ramadier et leur départ la baisse en 1949, puis en 1950. Il avril 1951, de la Communauté euro- le 5 mai. semble en effet que les prévisions de péenne du charbon et de l’acier (Ceca). En octobre 1947, de sérieuses difficul- consommation faites en 1946 n’ont pas Mais la Ceca ne peut empêcher, ce tés financières conduisent le Gouver- suffisamment tenu compte de la baisse nement Ramadier à établir un « Plan de de consommation liée à l’évolution freinage » par rapport aux orientations technologique. du premier Plan. Une « Commission Ainsi les besoins de la SNCF et des (4) Les centrales de Charbonnages n’ont pas été incluses dans le périmètre d’EDF, pas plus que des Investissements des activités de foyers domestiques ont-ils diminué de celles de la SNCF. base » entreprend la révision et l’étale- plus de 20 % par rapport à 1938, ceux (5) Décrets du 17 septembre 1948 qui concernent la compression du personnel au jour, la modifica- ment des programmes d’investissement. de l’industrie non sidérurgique de tion du régime de Sécurité Sociale, les conditions d’embauchage et de licenciement. Les objectifs de production sont revus à 10 %. (6) FO et la CFTC s’étaient désolidarisés du mou- vement. M a i 2 0 0 4 9
n’est d’ailleurs pas son rôle, les fortes Le choc plus favorables, à l’arrêter sur fluctuations de la production nationale. d’autres… » [2]. Les années suivantes vont, en effet, du Plan Jeanneney Les conditions ont effectivement chan- reproduire ce stop and go : fin des hos- gé, notamment avec la création de la tilités en Corée et tassement du marché Les années 60 marquent un réel tour- Communauté économique européenne de l’acier, troubles en Iran et nationali- nant. Les chiffres soulignent sans ambi- qui, en instaurant un régime d’échanges sation du pétrole d’où besoin accru de guïté la part croissante du pétrole et du libres, marque, en somme, l’entrée de charbon, reprise des exportations d’où gaz naturel, dont la consommation l’économie et de la société françaises effet inverse, crise de Suez, etc. décuple presque entre 1957 et 1962 dans une époque de mutations brus- Ces fréquentes modifications des objec- dans le bilan énergétique national. Elle quées, d’évolutions accélérées, qui pro- tifs n’auraient qu’un effet relatif si elles s’exprime également dans les déclara- voquent, chez un peuple foncièrement n’étaient accompagnées de freinage tions politiques et la vision de l’avenir conservateur, traumatisme, inquiétude brusque ou d’accélération intempestive qui les sous-tend. et incertitude de l’avenir. en matière d’investissements, ce qui Par son allocution télévisée du 14 juin Ce traumatisme et cette inquiétude sont dans une industrie lourde comme celle 1960, le général de Gaulle donne le particulièrement ressentis dans le du charbon n’est guère réaliste, et com- ton : « Il s’agit de transformer notre monde des charbonnages, lorsque le mence à saper la confiance des cadres vieille France en un pays neuf et de lui Ministre de l’Industrie, Jean-Marcel des Houillères : « le début des années faire épouser son temps. Il s’agit qu’elle Jeanneney, s’exprimant devant le Sénat cinquante fut l’époque de la première en tire la prospérité, la puissance et le le 21 juin 1960, présente le Plan douche froide quant à l’espoir de rayonnement. Etant le peuple français, d’adaptation des Charbonnages de pérennité du char- il nous faut accéder France pour la période 1960-1965. bon national : la L’annonce d’un objectif de au rang de grand L’annonce d’un objectif de production période faste des production de 53 Mt pour Etat industriel ou de 53 Mt pour 1965, par rapport aux Houillères s’ache- 1965 crée un véritable choc nous résigner au 58,7 de I959, crée un véritable choc vait déjà…. La déclin. Notre choix (7). Il s’agit là d’un véritable plan de production natio- est fait ». récession auquel la très grande majori- nale perdait sa priorité et les De tels propos, prononcés en 1945, té des 216 000 salariés des Houillères Charbonnages allaient se voir imposer auraient été une exhortation à la pro- et de Charbonnages n’est pas préparée, des consignes contradictoires succes- duction du charbon national ; quinze bien que le poids du charbon dans sives qui, à terme, les condamneront. », ans plus tard, leur signification est tout l’économie française se réduise forte- indique Robert Coeuillet, ancien diri- autre. Le général de Gaulle l’explique ment : sa part dans la demande d’éner- geant des Houillères et de CdF [1]. très claire- ment dans ses Mémoires : gie est tombée de 80 % en 1946 à 56 % Alors que le gouvernement demande en « Les nécessités de l’immédiat après- en 1960. 1954 à CdF d’étudier une réduction des guerre nous avaient conduits à tirer de Pour la production d’électricité, le productions les plus déficitaires, ce qui nos mines tout ce qu’elles pouvaient grand programme hydraulique défini concerne essentiellement le Centre- fournir… Car pour remettre en marche par le Plan Monnet est en passe d’être Midi, il met en place en 1955, par les notre sidérurgie, nos usines, nos che- achevé (8). Ce premier grand program- décrets Pflimlin, les premières « zones mins de fer et fabriquer du courant me d’équipement, qui vise à donner à spéciales de conversion », à Béthune et électrique, c’était presque la seule sour- la France son indépendance énergé- dans tout l’ouest du bassin Nord - Pas- ce d’énergie dont nous disposions en tique et qui sera bientôt suivi par celui de-Calais. Il ne s’agit alors que d’utiliser propre. Les charbonnages français, en du nucléaire, permet à l’énergie les locaux inoccupés après la fermeture la personne de leurs dirigeants, de leurs hydraulique d’assurer 56 % des 72 TWh des premières mines. ingénieurs, de leurs mineurs, s’étaient de la production d’électricité de 1960 Même si la production charbonnière donc installés dans la situation d’une (9), alors que le charbon n’en représen- poursuit sa progression et atteint son industrie capitale et qui se voyait sans te qu’un peu moins de 30 %. niveau record en 1958, avec 58,9 Mt, la cesse sollicitée d’augmenter son effort. Le ministre de l’Industrie est d’ailleurs tendance est insensiblement à la dimi- Or les conditions ont changé. Les com- parfaitement clair quant à la logique nution de la consommation de char- munications, le crédit, les échanges … qui désormais préside à la définition bon, tant de la part des particuliers que nous permettent d’importer des char- de la part de l’industrie. Cette tendance bons meilleurs que les nôtres pour (7) Si on veut faire référence à la production totale est d’ailleurs accompagnée par le 3e diverses utilisations industrielles ou française de charbon, il faut ajouter les autres Plan qui oriente nettement la produc- domestiques. Enfin nos propres gise- mines, dont les mines en découverte des Landes, exploitées par EDF, et quelques petites mines non tion énergétique vers de nouvelles res- ments, à force d’être fouillés, excluent nationalisées ; à ce titre le record de production est en 1958 de 60,039 Mt. sources : atome, hydrocarbures, gaz de plus en plus une exploitation ren- (8) EDF avait, pour ce faire, créé au sein de sa naturel. table. Il nous faut nous résoudre à res- direction de l’Equipement, 9 régions d’équipement hydraulique chargées de la réalisation des barrages treindre les tonnages extraits, à dont les plus importants sont le barrage de Tignes, mis en service en 1952, une dizaine de barrages concentrer le travail sur les points les sur le Rhône, et le barrage de Serre-Ponçon dans la vallée de la Durance, terminé en 1960. 10 A n n a l e s d e s M i n e s
des objectifs, dans la lettre qu’il adresse Mais, entre cette affirmation et l’arrêt de régions de vieille tradition industrielle aux dirigeants de Charbonnages de la dernière mine, en avril 2004, allaient conduisent très vite conduire la Datar à France le 7 juillet 1960 : « La produc- encore s’écouler quarante et un ans, s’impliquer dans les mutations dues au tion des Houillères de Bassin doit être pendant lesquels Charbonnages de ralentissement de la production char- désormais déterminée tant par les pers- France, les Houillères, et l’ensemble du bonnière. Et la centrale de Chinon pectives offertes par la consommation personnel connaîtraient beaucoup marque la première étape de ce qui prévisible que par les coûts de produc- d’événements, de crises et de luttes, deviendra le programme d’équipement tion des charbons, et tenir compte des ainsi que, malheureusement, de tra- nucléaire français de 1974 dont le suc- prix des charbons étrangers suscep- giques accidents collectifs causant de cès enlèvera au charbon un des ses tibles d’être importés et des prix des nombreuses victimes. débouchés principaux. combustibles directement concur- La grève de 1963 débute le 1er mars et est Entre 1965 et 1968, alors que la pro- rents ». d’emblée très suivie. Les conditions duction de charbon décline de manière Ces objectifs, qui deviennent ceux du météorologiques de cette fin d’hiver étant continue (de 53 Mt à 43,5 Mt), la situa- 4e Plan, se décomposent en 28 Mt pour particulièrement rudes, le gel des canaux tion financière de CdF se détériore le Nord - Pas-de-Calais,13,5 Mt pour la perturbe l’approvisionnement de la sérieusement. Le déficit dépasse pour la Lorraine et 11,5 Mt pour les Houillères région parisienne en combustible, ce qui première fois le milliard de francs du Centre et du Midi qui doivent sup- conduit le gouvernement, qui craint une (152,5 M€) en 1966 et s’aggrave à hau- porter la plus forte aggravation de la teur de 1 350 MF (205,8 M€) l’année baisse. C’est En 1963, la centrale de Chinon pénurie, à faire suivante. C’est au cours de ces années d’ailleurs la raison marque la première étape signer le 4 mars au que CdF va être conduit à mettre sur pour laquelle un du futur programme d’équipe- général de Gaulle pied une véritable politique de conver- décret du 30 juillet ment nucléaire de 1974 un décret portant sion et d’industrialisation des régions ouvre droit à la réquisition des minières. retraite anticipée à mineurs qui reste 30 ans d’ancienne- lettre morte. Le té pour les mineurs de ces zones. mouvement, dont l’objectif est d’obtenir Les Charbonnages, L’application de ce Plan va poser de une augmentation des salaires de 11 %, pionniers de la conversion sérieux problèmes dans les premières prend une ampleur nationale, avec des exploitations menacées, en Aveyron et manifestations sur tout le territoire, y Dans une France qui ne connaît pas le dans les Cévennes. Decazeville connaît compris à Paris. Le travail ne reprend que chômage, la prise de conscience des ainsi, à partir de décembre 1961, un début avril, après la signature d’un effets du déclin d’une industrie comme mouvement de grève et d’occupation accord portant sur une hausse des le charbon sur l’économie locale n’est du fond, dont la durée de deux mois et salaires de 6,5 % au 1er avril, portée à 8 % pas immédiate. Sa perception n’est pas la forte mobilisation locale devaient en octobre, puis enfin à 11 % en janvier la même à Decazeville, ville créée par sensibiliser le gouvernement, sans 1964. le charbon et donc extrêmement sen- l’amener toutefois à renoncer à la fer- Epreuve de force ou baroud sible à toute décision récessive, et dans meture du site, prévue en 1966. d’honneur ? Toujours est-il que ces évé- le Nord - Pas-de-Calais où les Vouloir ramener, après quinze ans de nements ne modifient en rien les orien- Houillères, avec près de 80 000 per- croissance, la production charbonnière tations arrêtées par le Plan Jeanneney. sonnes (200 000 vingt ans plus tôt) sont au-dessous de son niveau de 1929 Au demeurant, la désaffection des parti- encore le principal employeur régional. (54 Mt), n’est pas une décision anodine, culiers pour le charbon au profit du Les problèmes récurrents, puis le dépôt même si ces années furent, comme on pétrole et du gaz s’accélère et la pro- de bilan de la Chaudronnerie Tôlerie de l’a vu, marquées de nombreux aléas. La duction des Charbonnages continue de l’Aveyron (CTA), entreprise qui a permis décision qui est prise en ce début 1960 baisser pour atteindre les 53 Mt en à Decazeville la conversion des sera finalement irréversible. 1965 prévues par le Plan Jeanneney. mineurs touchés par l’arrêt du fond, ali- Lorsque le général de Gaulle commente Pendant que la profession élabore des mentent un vrai débat au sein de CdF la grande grève de 1963, en répondant à mesures sociales qui rendent gérables sur la nécessité d’une approche structu- une question sur l’avenir de la profession cette diminution de la production et rée du reclassement, et donc de l’indus- de mineurs à la sortie du Conseil des accentue ses efforts de mécanisation trialisation des régions concernées par Ministres du 27 mars 1963, ses propos pour endiguer l’accroissement des prix les fermetures de puits. A Decazeville, sont lapidaires : « Elle n’en a guère. C’est de revient (10), deux faits vont, en pourquoi elle s’est livrée à ce soubresaut, 1963, avoir une réelle influence sur les sans doute pour la dernière fois (…). Des Charbonnages : la création de la Datar, (9) La production électrique française est de grèves comme celle-là ne peuvent pas qui marque les débuts de la politique 33 TWh en 1950, 140 TWh en 1970, 246 TWh en recommencer avant plusieurs années. Et d’aménagement du territoire, et la mise 1980, 525 TWh en 2000. En 1960, le thermique assure 32 TWh sur 72 (minéraux solides 66,2 %, dans plusieurs années, l’heure du char- en service de la centrale nucléaire gra- Fioul 7,8 %, gaz naturel 11,2 %, divers 14,4 %). In « Informations sur l’Energie » Ed. 2003 CEA. bon sera passée… » [3] phite-gaz de Chinon. Les questions de (10) Le rendement fond (kg/hp) passe de 1 732 en reconversion et d’industrialisation des 1959 à 2 865 en 1973. M a i 2 0 0 4 11
la question est en partie réglée par l’an- Le Premier ministre notifie ces orienta- général avec la sidérurgie, 30 à 40 % de nonce, lors d’un voyage du Premier tions au Président de CdF dans une lettre leurs dépenses de fonctionnement. ministre Georges Pompidou à Rodez, datée du 10 août 1966. Son importance Par ailleurs, le comité interministériel du d’une aide de l’Etat de 50 MF (7,6 M€) pour toute l’action d’industrialisation mois de février 1967 autorise CdF et les pour la construction d’une aciérie à oxy- menée par la suite par CdF est considé- Houillères à créer une société financière gène par une société filiale à 50 % des rable : de reconversion « destinée à prendre des Houillères d’Aquitaine. La participation « L’évolution des données économiques participations minoritaires dans des entre- financière des Houillères à ce type d’opé- dans le domaine de l’énergie et les néces- prises devant faciliter l’embauche des ration n’est pas une première, mais elle sités de la modernisation contraignent mineurs appelés à quitter leur emploi ». n’est évidemment pas idéale en termes de notre production charbonnière à la régres- Cette décision permet au Conseil gestion ; de telles prises de participation sion (…). Une telle politique ne pourra être d’Administration de CdF, le 17 mars 1967, relèvent davantage d’une problématique menée à bien que si elle s’accompagne d’arrêter le principe de la création de la d’aménagement du territoire que d’une d’un effort en faveur de l’industrialisation Sofirem, qui sera effective le 27 juillet. Ni stratégie industrielle rationnelle. des régions charbon- nières. Les expé- banque ni établissement de crédit, la Dans le Nord - Pas-de-Calais, la réflexion riences récentes ont montré l’utilité d’un Sofirem est la première société de conver- sur l’évolution du tissu industriel a débuté rôle positif des établissements existants sion créée en France, « originale dans les dès les années 1963-1964, notamment au dans l’implantation des industries nou- idées qui ont présidé à sa conception et sein d’un groupe de travail informel dans velles. Cette intervention implique tout dérogatoire dans ses procédures de fonc- lequel se retrouvent plusieurs chefs d’en- d’abord une collaboration active à la mise tionnement ». Elle fera de nombreux treprise, dont le directeur général des en place d’organismes et de personnes émules à partir de 1975. Houillères de Bassin du Nord - Pas-de- chargés d’animer la conversion en s’ap- Le capital initial de 10 MF (1,5 M€) est Calais (11). Ce groupe fait pression au puyant sur des structures existantes. Je sou- partagé entre CdF (40 %) et les Houillères niveau local pour que soit créé un orga- haite vivement, que conformément à vos de Bassin Nord, Lorraine et Loire, chacu- nisme chargé des pro- vues, les Houillères ne 20 %. La mission de la nouvelle socié- b l è m e s Désormais la « conversion de Bassin et les CdF té est définie au départ de manière assez d’industrialisation industrielle », qui deviendra concourent large- stricte : étudier les projets de développe- dans la région. Si le l’industrialisation, est une poli- ment à de telles ini- ment industriel, non situés en aval des taux de chômage est tique à part entière de CdF tiatives (…). J’ai activités du groupe CdF, mais susceptibles supérieur à la moyen- chargé le Délégué à de comporter un intérêt pour les ne nationale, son l’Aménagement du Houillères, analyser les plans de finance- niveau, enviable aujourd’hui, n’est que de Territoire de suivre ces problèmes en liai- ment et participer éventuellement au 2,6 % (moyenne nationale 2,1 %). La son avec le Ministre de l’Industrie (…). Les capital de façon minoritaire. Le premier vraie question concerne l’emploi indus- établissements me paraissent devoir inter- objectif est de favoriser la création de triel qui n’a cessé de diminuer depuis venir essentiellement de deux manières : 1 500 à 2 000 emplois, dont une propor- 1952 (12), en raison des difficultés suc- en jouant un rôle de recherche, d’accueil, tion importante doit servir au reclasse- cessives du charbon, du textile et de la de conseil et d’assistance technique au ment des mineurs volontaires pour cette sidérurgie. profit des activités nouvelles, voire en leur conversion. Le but est pratiquement Cette réflexion rencontre celle de la offrant à des conditions favorables les ter- atteint dès janvier 1968, avec cinq Datar, qui cherche à structurer le territoire rains, bâtiments et équipements dont ils affaires, dont l’implantation de la société français en répertoriant les espaces à sou- disposent ; en prenant des participations Quillery dans le Nord. Ce qui conduit à tenir. Il s’agit notamment d’ensembles financières, temporaires ou définitives, porter le capital de la Sofirem à 40 MF urbains à développer ou d’espaces indus- dans ces nouvelles industries avec le triple (6 M€), puis à 80 MF (12,2 M€) en triels à reconvertir, les deux se confondant objectif d’aider à leur lancement, de veiller décembre 1969. parfois pour les régions touchées par les à leur rentabilité et de faciliter l’embauche L’ensemble des responsables de CdF, et difficultés des industries traditionnelles du personnel des Houillères. Ces interven- notamment les partenaires sociaux, ont (charbon, sidérurgie). C’est ainsi que la tions devront s’accompagner d’une sépara- conscience que cette décision marque un Lorraine, la Loire, mais surtout le Nord - tion totale de l’activité minière et des tournant car elle laisse supposer que la Pas-de-Calais deviennent des zones privi- activités nouvelles sur le plan de la comp- fonte naturelle des effectifs ne suffira pas à légiées d’intervention innovante de la part tabilité et des statuts des personnels. (…) ». résoudre entièrement les problèmes de de la Datar. L’essentiel est dit ; ce sont ces principes personnel, et que, désormais, la conver- En ce qui concerne la conversion, la pre- qui guideront la politique de CdF en ce sion industrielle, qui deviendra au fil des mière étape va être la création en 1966 domaine. ans l’industrialisation, est une politique à d’associations pour l’expansion indus- Conformément aux orientations du part entière de CdF. Jusque-là, le groupe trielle que les partenaires industriels Premier ministre, les Houillères s’impli- CdF avait fait de l’action industrielle au locaux vont en partie financer, et dont les quent donc dans les organismes consti- premiers délégués généraux seront nom- tués d’abord sous forme d’association, qui (11) Préfiguration des Commissions de développe- ment économique régional (Coder), créées en I964. més, l’année suivante, « Commissaires à deviennent des Commissariats à la (12) 640 430 en 1952, 606 940 en 1962, 575 480 la conversion industrielle ». conversion industrielle ; elles assurent, en en 1968. 12 A n n a l e s d e s M i n e s
profit des régions minières « sans le savoir prévue et se limite à 46 000 ; le nombre de En 1974, le nouveau Délégué général à », en valorisant l’extraction, en dévelop- salariés est encore en 1975 de 85 000. l’Energie Jean Blancard demande à CdF de pant ses débouchés dans la carbonisation, Quoi qu’il en soit, cette évolution marque réexaminer les orientations des Houillères les centrales électriques et la chimie, évo- une rupture définitive ; plus jamais, la pro- à l’horizon de 10 ans, pour développer des quée ici pour mémoire car le cas de CdF- duction charbonnière ne remontera au- productions supplémentaires, et reporte la Chimie nécessiterait un article à lui seul. dessus de ces 24 Mt, que ce soit après le fermeture du Dauphiné, prévue à la fin de premier choc pétrolier ou même après la 1975. La réduction des effectifs « fond » relance du charbon annoncée par François ralentit et passe à 7 % par an en moyenne Le Plan Bettencourt, Mitterrand en 1981. contre 12 à 13 % les années précédentes. une accélération En Lorraine même, l’effectif ne diminue pas, pour la première fois depuis quinze de la régression La reprise avortée ans, en partie grâce à l’embauche locale et Les premiers succès de ces nouveaux dis- de 1974 en partie grâce à la main d’œuvre maro- positifs sont dus, à la fois, à une conjonc- caine « temporaire », suivant en cela la ture économique favorable, à un taux de Le choc pétrolier de 1973 (multiplication méthode utilisée dans le Nord - Pas-de- chômage faible et au fait que les zones du prix du pétrole par quatre) prend la Calais. prioritaires sont encore très peu nom- France complètement à contre-pied car Endeuillée le 27 décembre par la terrible breuses. Cette priorité portée aux zones de son approvisionnement énergétique est catastrophe de Liévin qui fait 42 victimes, vieille tradition industrielle est encore constitué à 77 % de pétrole importé du l’année se termine sur des résultats très accentuée par l’annonce, en décembre Moyen-Orient. La part du nucléaire dans la supérieurs à ceux des années précédentes. 1968, par le Ministre de l’Industrie d’un production électrique est encore très La très nette augmentation des prix de plan de réduction drastique de la produc- faible, avec 14 TWh, alors que le fioul vente, qui valorise la tonne à 190 F tion charbonnière. Le plan Bettencourt représente 75 % et le charbon 25 % des (28,9 €) en décembre 1974 par rapport à porte le rythme annuel de régression à 113 TWh produits par le thermique clas- 115 F (17,5 €) en décembre 1973, permet 3 Mt, avance la fermeture du Bassin de la sique. Le taux d’indépendance énergétique de réduire sensiblement le déficit d’exploi- Loire, prévue en 1975, au 1er Janvier 1974, de la France n’est alors de 23,9 %, alors tation (400 MF, 61 M€, contre et celle des bassins d’Auvergne, des qu’il est de l’ordre de 50 % pour 1 260 MF,192 M€). Cévennes et du Dauphiné à la fin de 1975. l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Les instructions données aux CdF sont En Lorraine, deux sièges doivent être fer- Sur le plan de la politique énergétique, la assez novatrices en ce qui concerne les més, dont celui de Sainte-Fontaine, et dans réaction du Gouvernement Messmer est programmes de production à moyen le Nord la production doit être réduite de essentiellement de faire lancer par EDF, en terme. En effet, ce ne sont plus des chiffres 50 %. La réduction des effectifs envisagée mars 1974, 19 réacteurs nucléaires de de production qui sont approuvés, mais est d’environ 70 000 personnes, dont 900 MW sur deux ans. De manière beau- des orientations générales, avec un enca- 50 000 doivent provenir du « dégonfle- coup moins nette, il décide une pseudo drement économique défini par une réfé- ment » naturel, et 20 000 d’un effort com- relance du charbon qui n’est en fait qu’un rence coût/thermie, en l’occurrence, 3 plémentaire de dégagement, réparti entre simple ralentissement de la régression. centimes la thermie : l’idée est que tout ce retraite anticipée et conversion au sens de Il y a dans cette position une ambiguïté du qui pourra être produit dans les dix ans à « reclassement ». Si l’effort à produire est même ordre que celle qui prévaudra, de venir dans ce cadre de référence sera le important, l’effet psychologique sur le per- manière très amplifiée, entre 1981 et bienvenu. sonnel de Charbonnages et sur son enca- 1983. En fait, si ce sont bien sur de telles bases drement ne l’est pas moins ; pour que sont réalisées les études de production beaucoup, c’est la certitude de la fin du charbon. En réalité, l’augmentation du rendement est loin de couvrir l’accroissement des charges de main-d’œuvre, des dépenses de fourniture et des charges financières. Aussi le déficit sans cesse croissant des Charbonnages atteint-il, en 1968, 1 600 MF (244 M€) et la concurrence toujours plus forte des autres sources d’énergie, en premier lieu du pétrole, mais aussi celle du charbon importé, se poursuit. Le plan ne sera pas exécuté à la lettre. Si la diminution de la production dépasse les objectifs - elle n’est plus que de 24 Mt en 1975 -, la réduction des effectifs est de moindre ampleur que celle initialement Production nette Fond + Découvertes (kt). M a i 2 0 0 4 13
possible, les pouvoirs publics veulent surtout importé, en attendant que le tion totale mais avec une inversion garder une certaine « réversibilité » des nucléaire prenne le relais. Faute de sou- entre le fioul en baisse et le charbon en décisions, ce qui en matière minière plesse, cette stratégie est toutefois diffi- hausse ; l’hydraulique est stable avec n’est guère aisé, un développement de cile à mettre en œuvre rapidement. En 27 % mais le nucléaire, avec 23,7 %, a la production impliquant en effet des 1975, la production est inférieure aux pratiquement triplé depuis 1973. La investissements de longue durée et une prévisions et la situation financière décision prise en 1979 du passage au embauche de main-d’œuvre. Ceci s’aggrave, le gouvernement ayant très palier 1 300 MW (4x1 300 MW par an) explique qu’en fortement limité va encore accentuer cette tendance. La dépit de cette Le Fonds destiné au textile, l’augmentation Commission Energie du VIIe Plan approche novatri- à la sidérurgie et à la construc- espérée par CdF indique d’ailleurs que les besoins en ce et « responsabi- tion navale vient concur- des prix du char- charbon pour les centrales vont lisante » pour rencer les dispositifs d’indus- bon. décroître de façon considérable pour l’entreprise, toutes trialisation des Charbonnages La signature d’un arriver en 1990 à 9 ou 10 Mt et qu’en les décisions au contrat d’entreprise conséquence, hormis Carling et le cours des années en janvier 1978 Havre, il n’y a pas lieu d’engager de 1975, 1976 et entre CdF et les nouveaux investissements dans les cen- 1977 feront l’objet d’âpres discussions pouvoirs publics, pour une durée de trales thermiques. Ce qui n’empêche avec les ministères de tutelle. trois ans, ouvre un nouveau type de pas le Ministre de l’Industrie André Un premier train de mesures qui relations, reposant sur : Giraud d’accepter le principe de la concernent surtout la Lorraine est arrê- - la liberté pour CdF de fixer les prix de construction d’un nouveau groupe de té en novembre 1975. Il prévoit la remi- barème en fonction du marché, ce qui 600 MW au charbon à Gardanne. se en exploitation de Sainte-Fontaine, doit contribuer à réaliser l’équilibre Sur le plan économique, le choc pétro- arrêtée en janvier 1972, et la saturation financier, lier a provoqué une crise aiguë, notam- des sièges de l’Est. C’est à ce moment - la restauration par l’Etat du bilan de ment dans le secteur industriel. Entre que CdF et les HBL présentent un projet l’entreprise en la soulageant des 1973 et 1975 le taux de chômage a de nouveau groupe de 600 MW à charges d’endettement courant jusqu’à augmenté brutalement, passant de 2,7 à Carling. L’accord sur la pérennisation la fin de 1977. 4 % ; il atteint près de 7 % à la fin 1980. de La Houve n’est pris qu’un an plus Les CdF deviennent maîtres du choix de Alors que le taux de croissance annuel tard, après de multiples tergiversations, leurs investissements, sous réserve de passe de 6 % en moyenne entre 1960 et révélatrices des vrais débats sur l’intérêt respecter un plafond contractuel. Ce 1974 à 2 %, la part de l’industrie dans d’une production de charbon–vapeur, changement reporte en principe sur l’emploi total chute de 26 % à 22 %. alors que le charbon importé coûte l’entreprise les décisions de fermeture Les régions du Nord et de l’Est connais- moins cher que les 3 c/th de référence. des exploitations non rentables car sent de nouvelles difficultés. Les zones Cette décision, prise peu après la catas- dans les conditions ainsi fixées la survie de conversion prioritaires se sont multi- trophe de Merlebach de septembre, qui de la totalité des exploitations est pliées et la mise en place de nouveaux fait 16 victimes, est annoncée le 24 impossible. CdF respecte à peu près ce outils d’intervention, tels le Fonds novembre à Metz par le Président de la contrat la première année. Spécial d’Adaptation Industrielle desti- République, Valéry Giscard d’Estaing, Sept ans après le premier choc pétrolier né au textile, à la sidérurgie et à la venu présenter un plan d’aide à l’éco- et un an après le second, fin 1980, construction navale, viennent concur- nomie lorraine malmenée par les quelle est la situation ? Sur le plan de la rencer les dispositifs d’industrialisation restructurations de la sidérurgie. production charbonnière, la Lorraine a des CdF. Et ce d’autant que de nom- L’accord sur le projet du groupe 6 de pris, dès 1975, le relais du Nord-Pas-de- breuses grandes entreprises confrontées Carling n’interviendra qu’en octobre Calais en tant que la plus importante aux problèmes de reclassement et de 1977, quand EDF aura estimé en avoir des Houillères avec des effectifs en aug- création d’emplois créent, à l’exemple besoin. mentation et une production à peu près de CdF avec la Sofirem, leurs propres C’est également en 1975 que le minis- maintenue. Le Nord, dans des condi- sociétés de conversion. C’est le cas tère de l’Industrie incite CdF à s’impli- tions d’exploitation de plus en plus dif- d’Elf avec la Sofrea, de Rhône Poulenc quer davantage dans l’importation de ficiles, a diminué sa production et ses avec la Sopran, de Thomson avec le charbon, à la fois par la signature de effectifs de moitié, alors que le Centre- Geris, de Saint-Gobain avec Saint- contrats de longue durée, mais aussi Midi a vu fondre ses effectifs de 40 % et Gobain Développement… La conver- par des prises de participation dans diminuer sa production de 12 %. Au sion devient un métier, et la Datar « les ressources étrangères » (13). total les CdF produisent 19,7 Mt avec devient le « pompier » des espaces en Produire plus et mieux, importer, inves- 61 000 salariés, soit 7,4 Mt et 30 500 crise. tir dans des mines à l’étranger : cette personnes de moins qu’en 1973. Il est clair également - et les dirigeants stratégie tous azimuts répond en fait Sur le plan de la production d’électrici- de CdF en sont conscients - que les aux impératifs immédiats de la produc- té, bien que proportionnellement en tion électrique dont les recours au diminution, le thermique classique pétrole diminuent au profit du charbon, représente encore 48 % de la produc- (13) Lettre du Ministre de l’Industrie au Président de Charbonnages de France du 10 juillet 1975. 14 A n n a l e s d e s M i n e s
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