Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit

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Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
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Vie des arts

Nouvelle peinture espagnole
Écoles de Barcelone et de Madrid
Guy Robert

Number 27, Summer 1962

URI: https://id.erudit.org/iderudit/55152ac

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Publisher(s)
La Société La Vie des Arts

ISSN
0042-5435 (print)
1923-3183 (digital)

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Robert, G. (1962). Nouvelle peinture espagnole : écoles de Barcelone et de
Madrid. Vie des arts, (27), 16–25.

Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1962                      This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
parce que plusieurs collectionneurs canadiens possèdent des
œuvres de jeunes peintres espagnols
         parce que ces jeunes peintres espagnols attirent de plus en
plus l'attention dans les expositions internationales
        parce que Tharrats, un des animateurs de cette jeune
peinture espagnole, exposait récemment à Montréal
         Vie des Arts vous offre cette étude sur les Ecoles de
Barcelone et de Madrid.

                                                                    NOUVELLE
                                                                    PEINTURE
                                                                    ESPAGNOLE
                         É C O L E S      DE     B A R C E L O N E         ET     D E     M A D R I D

                                                        par guy robert

Ci-dessus: José Maria SUBIRACHS. Frontal 381. Pierre et bois. 7 7 / 8 " x 18%" x 3!/ 2 " (20 x 48 x 9 cm). Sala Gaspar, Barcelone.
Page ci-contre: Antonio TAPIES. Composition. 1956. Huile. 45" x 35" (114,65 x 89 cm). Collection de Paul Larivière, Montréal.

                                                                                                                                     17
Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
LA PEINTURE ESPAGNOLE                      L'année 1948 marque le tournant               Juan Eduardo Cirlot, moins fiévreux.
      connaît une rythmique plutôt capri-        définitif. Est-ce seulement par hasard             Un autre écrivain, Arnald Puig, quit-
      cieuse et fiévreuse, depuis le lyrisme     que, la même année, nous connaissions              tait bientôt la jeune équipe pour un
      sublime et les longues métamorphoses        ici, à Montréal, les manifestations               séjour à Paris. Les quatre peintres
      du Greco : les portraits subtils et un      fébriles des Automatistes, et le «Refus           principaux se nommaient Tapies, Cui-
      peu maniérés de Velasquez n'ont             global» ? Canadiens-français et espa-             xart, Tharrats, Ponce.
      qu'une bien mince parenté avec les          gnols ont beaucoup en commun,                        Leurs recherches premières débor-
      cataclysmes sanglants et les tour-         quand ils ont l'occasion d'échanger                daient déjà généreusement les appro-
     nantes explosives de Goya, après            des points de vue sur l'ensemble des              ximations et constituaient l'affirma-
      quoi il faudra attendre près d'un           phénomènes de leur civilisation réci-             tion solide et diversifiée de la pré-
      siècle une nouvelle vague originale.       proque : notre rencontre avec Thar-                sence espagnole dans le contexte de la
     Mais de début du vingtième siècle           rats nous l'a amplement prouvé...                  peinture non-figurative. Il n'y avait
     compte parmi les dix noms les plus                                                             pas eu de manifeste, mais les ceuvres
      importants de toute la peinture euro-          1948. À Saragosse, on formait le
                                                 premier groupe d'artistes non-figura-              s'accumulaient. Cette «École» de Bar-
     péenne, quatre espagnols : Picasso,                                                            celone n'avait toutefois pas été pensée
      Juan Gris, Miro, Dali.                     tifs. Westerdahl fondait le Grupo de
                                                 Canarias. À Santander, les amis du                 en fonction du développement d'un
         Picasso d'abord passe brusquement       critique Gullon constituaient l'École              nouveau système académique : cha-
     de ses périodes bleue et rose au cu-        d'Altamira. Et, autour de la revue                 que membre tenait trop à la liberté de
      bisme, avant d'entreprendre cette          Dau al Set s'établissait le groupe du              son expression, de son agir. Après
      vaste synthèse de toute l'histoire de la   même nom, le plus important de tous               quelques années d'un travail amical
     peinture, de la préhistoire au futu-        ces mouvements, qui allait devenir                et comparatif, on s'attendait tout na-
     risme, où il s'amuse, avec une faconde      l'École de Barcelone. Miro, installé               turellement à ce que le groupe se dis-
     et une acrobatie géniales, à trans-         à Majorque, venait tout juste d'être               solve, sa fonction étant remplie. Thar-
     poser les grandes expériences plasti-       révélé à quelques jeunes peintres ibé-             rats me faisait cette remarque que
     ques dans son propre monde, dont            riques par Joan Prats.                             Dau al Set se définirait mieux comme
     l'intégration ne faiblit jamais. Gris                                                          courant plutôt que comme école, puis-
     élaboré patiemment, avec une minutie            Quand se tient à Ténériffe en 1935            que c'était justement pour s'opposer à
     exemplaire, ses démarches cubistes.         une exposition surréaliste, nous som-             tout académisme, à toute recette, à
      Miro prospecte les frontières des rêves    mes encore loin sans doute de la ré-              toute sclérose, qu'on avait tenté l'aven-
     et en ramène des poèmes limpides.           ceptivité fiévreuse qui accueillera la            ture.
     Dali jouxte le surréalisme et poursuit      grande Exposition du Surréalisme de
                                                  1948, organisée par Eduardo Wester-                  La revue Dau al Set, dont le but
     ses voyages fantastiques avec une dé-                                                         était de créer une certaine documen-
     sinvolture aussi calculée que provo-        dahl, fondateur et é d i t e u r de la
                                                 Gaceta de Arte. Le critique Cirlot,               tation de pensée, de réflexion, était
     cante.                                                                                        publiée, parfois en clandestinité, par
                                                 membre de Dau al Set, résumait
         Mais ces quatre artistes avaient dé-    ainsi l'influence s u r r é a l i s t e sur la    les soins de Tharrats de 1948 à 1955;
     serté leur pays et avaient choisi Paris     jeune peinture espagnole : «Quelques              mais, dès 1950. Antonio Tapies part
     comme port d'attache à peu près per-        jeunes artistes, entre 1947 et 1951,              pour Paris, puis pour New York où
     manent. En Espagne même, l'art de           ont suivi une esthétique que l'on peut            l'attendait un grand succès : Tapies
     notre siècle ne pénétrait que par le        situer entre Ernst et Klee, avec une              a été le premier du groupe catalan à
     cubisme hésitant de Vasquez Diaz et         prédominance de ce dernier . . . Du               profiter de l'élan initial et à s'affir-
     de Francisco Cossio : les implications      point de vue de l'idéologie générale,             mer sur le marché international.
     géométriques de leurs œuvres refu-          on prend ici en considération ce que                  Tapies demeure un contemplatif,
     saient sans doute le naturalisme tri-       le surréalisme a affirmé ou découvert             porté à exploiter les effets de textures
     vial de la peinture académique des          (l'automatisme, la métaphore nou-                 et de surfaces dans les cadres d'un
     années 1900-1940, mais aucune ori-          velle, la valorisation des rêves, les             coloris émanant de la matière p;ctu-
     ginalité plastique ne s'affirmait avec      techniques a r t i s t i q u e s ) , sans tenir   rale elle-même; de mystérieux graffiti
     grande chaleur. L'impétuosité avait         compte de ses négations».                         viennent illuminer ses compositions
     déserté l'Espagne, du moins dans le                                                           de signaux magiques qui leur donnent
     monde de la peinture . . .                      En 1953, une grande exposition                une polyvalence étrange : derrière la
                                                 internationale d'art abstrait se tient            f"-o;deur souvent brutale de cet art
      Le tournant 1948                           à Santander, et à Ténériffe s'ouvre le            dépouillé, on devine, on ressent un
        À partir de 1945 toutefois, le sur-      musée d'art abstrait. En 1955, un                 immense apaisement de la matière,
     réalisme de Klee, Ernst, Picabia            nouveau groupe se forme dans l'héri-              du cosmos, de la nature. Les «murs»
     éveille dans la jeune génération de         tage de Dau al Set, le Taull, rassem-             s'animent d'une imagerie interne, im-
     nouvelles préoccupations : le surréa-       blant les noms de Tapies, Tharrats,               plicite, s'accrochant aux discrets si-
     lisme se présentait aux peintres espa-      Cuixart, Guinovart...                             gnaux, avec une densité telle qu'on
     gnols impatients de révélations et de                                                         en oublie toute la palpitation, tout le
     découvertes comme une voie royale           Ecole de Barcelone: «Dau al Set»                  frémissement, toute la sensibilité, der-
     dc la libération tant espérée des aca-          L'École de Barcelone se développait,          rière la réduction des techniques et
     démismes lourds, des exercices folk-        à partir de 1948. autour de la revue              des gestes. Tapies réussit une concré-
     loriques, des plagiats à peine déguisés.    Dau al Set, éditée par Juan José                  tisation de la peinture, dans un refus
     On ne voulait pas nécessairement re-        Tharrats. Le poète Juan Brossa y dé-              intransigeant de tout intellectualisme,
     nier toutes les traditions d'enracine-      fendait la possibilité de lier à des tra-         de toute convention, de toute littéra-
     ment, tous les héritages accumulés,         ditions folkloriques bien assimilées des          ture. Il établit une psychanalvse de
     mais on voulait se projeter dans des        ouvertures radicales sur les valeurs              la matière qui révèle une ambiguïté
     expressions rajeunies, neuves, où le        caractéristiques d'un siècle en ebulli-           troublante, celle du signe qui ne veut
     lyrisme naturel et explosif de l'âme        tion : sa pensée, anti-bourgeoise et              plus jouer le jeu; chez Tapies, le
     espagnole pourrait dérouler en toute        quelque peu révoltée, était tempérée              signe tend à exister en soi, et non plus
     liberté ses incantations impulsives.        par la présence de l'historien de l'art           en relation avec un système de sym-

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Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
Ci-contre: Manolo MILLARES.       bole, d'évocation : l'extrapolation es-        du devenir». On y indiquait les voies
Cuadro 153. 1961. Huile. 28%"     thétique s'absente de cet art du con-          artistiques s'ouvrant devant les pein-
x 23Vi" (73,25 x 60 cm). Pierre   cret, de l'univoque.                           tres qui avaient vécu ces heures hé-
Matisse Gallery, New York.           Les somptueuses conjugaisons des            roïques de l'Epagne prenant con-
                                  noirs et des ors a pendant quelques            science du surréalisme d'abord, puis
Ci-dessous: Julio GONZALES.       années fait l'intérêt des toiles de Cui-       dc l'art abstrait. Et l'Espagne se sou-
(1876-1942). Homme cactus no      xart. On y remarquait aussi des re-            venait ainsi de cette présence orien-
                                  liefs d'une belle qualité. Cuixart ne          tale de la contemplation des mystères
I. 1939-40. Bronze. Hauteur :     dédaignait pas à l'occasion la provo-          en territoire ibérique, depuis des siè-
251/2" (65 m). Musée des Beaux-   cation, son audace et son lyrisme rap-         cles.
Arts de Montréal.                 pelant l'ancêtre Goya, et ses tech-               Joan Ponce était déjà depuis un
                                  niques précieuses évoquant un héri-            bon moment parti pour le Brésil,
                                  tage de Velasquez. La dramatisation            après avoir partagé les anxiétés et les
                                  picturale parfois baroque et souvent           découvertes, les fièvres et les joies
                                  romantique de Cuixart se déroule, im-          de la première équipe de Dau al Set,
                                  prévisible, et s'exprime dans des cata-        qui se métamorphoserait en 1955 en
                                  lyses apparentées à l'alchimie.                le groupe Taull, et, en 1961, en un
                                     Le dernier numéro de la revue Dau           nouveau groupe autour de la galerie
                                  al Set (la septième face du dé : ex-           Gaspar : telles sont les trois étapes
                                  pression éminemment surréaliste), en           de ce qu'on appelle l'École de Bar-
                                   1955, marquait la fin de l'aventure,          celone, et qui possède comme anima-
                                  du groupe, et s'intitulait «Esthétique         teur central Tharrats.

                                                           M)     ' ' vW—

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Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
Ce groupe, autour de la Sala Gaspar,   lise la pierre, le bois, le fer, séparé-   de Barcelone, mais a dû renoncer à
     nous intéresse particulièrement parce     ment ou tout ensemble, et les pro-         devenir architecte, à cause de la révo-
     qu'il représente les espoirs les plus     jette dans un contexte inédit : les        lution civile d'abord, puis à cause de
     fascinants de la jeune peinture espa-     trouvailles de formes, l'élégance du       la guerre mondiale. Attiré par l'art
     gnole. On y a publié une série de         geste, le sens naturel d'un dramatique     contemporain qui se faisait hors de
     petits livres. «O figura», dont le pre-   contenu et retenu, l'exploitation verti-   l'Espagne, mais qu'on n'y connaissait
     mier rendait hommage à l'œuvre de         gineuse d'un langage rigoureusement        à peu près pas, Tharrats entreprend
     Velasquez, de la part des artistes        plastique dans des cadres d'une fan-       d'accumuler une documentation de
     contemporains. Un deuxième titre,         taisie inépuisable, l'étonnante force      plus en plus considérable, qui devient
     consacré à Vilacasas, nous révèle         d'expression des matériaux, telles sont    une révélation fantastique pour le
     cette étrange peinture dont le thème      quelques qualités du jeune sculpteur       groupe en formation Dau al Set : la
     principal se déploie en variantes de      Subirachs, vedette de la nouvelle fa-      revue, qu'éditera Tharrats sous le
     villes vues d'avion : l'eau, la terre,    mille de Barcelone, celle de la Sala       même nom, contribuera principale-
     les réseaux de circulation, les acci-     Gaspar.                                    ment à la mise en marché du nouvel
     dents de terrains, tout entre dans ces                                               art espagnol. En 1948, Tharrats a
     compositions à la fois lyriques et sé-    Tharrats                                   trente ans et il se donne pour mission
     vères. L'urbanisme enfin y devient un                                                d'ouvrir l'Espagne à l'art de Kandisky,
     grand art ! Les mêmes préoccupa-             En mai 1962, Juan José Tharrats         de Mondrian, de Klee, des surréa-
     tions terriennes se retrouvent dans les   exposait en même temps des tapis-          listes- Le régime franquiste soup-
     aigiles et terres cuites de Vilacasas.    series à New York, des sculptures et       çonne d'abord des activités subver-
        Un autre livre de la même collec-      des bijoux à Londres, des tableaux         sives dans ce mouvement Dau al Set,
     tion nous fait connaître un des sculp-    et des maculaturas à Montréal. Thar-       mais bientôt on décide de tolérer
     teurs les plus généreux et inventifs      rats est né à Gerona en 1918; il a         sous surveillance les ébats artistiques
     que je connaisse : Subirachs II uti-      étudié à l'École des Arts appliqués        de jeunes anarchistes . . .

20
Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
Picasso même était à peu près in-
connu en Espagne jusqu'à la publi-
cation du « Picasso » de Pellicer, en
 1946. Miro vivait en solitaire à Ma-
 jorque, depuis 1940, et ce n'est qu'en
 1947 qu'il sera révélé aux artistes
espagnols par Joan Prats. Tharrats
avait donc fort à faire pour accomplir
sa mission ! Ce temps et ces énergies
qu'il consacrait à poursuivre sa do-
cumentation, à organiser un groupe, à
déployer une énorme patience et une
attentive lucidité dans son esprit cri-
tique, Tharrats les dérobait à son
oeuvre personnelle de peintre. Une
première phase se développe, celle de
la vague surréaliste. Tous les jeunes
peintres espagnols, entre 1947 et
 1950, sont plus ou moins surréalistes.
Mais Tharrats n'est pas satisfait de
cette première ouverture : son lyris-
me naturel de pur catalan l'incitait
à chercher dans la peinture abstraite
une zone d'expression plus libérée qui
conviendrait mieux à son fougueux
tempérament.
   Tharrats a longtemps sacrifié sa
propre oeuvre pour mieux servir
d'animateur à la nouvelle peinture es-
pagnole : maintenant qu'elle se trouve
en plein élan, il s'occupera un peu plus
de lui-même. Depuis 1950, il a tenu
dc grandes expositions à Barcelone,
Stockholm, New York, Zurich, Lau-
sanne, Sao Paulo, Venise, etc. Plu-
sieurs de ses toiles, de ses bijoux
évoquent de prestigieux fonds marins
où les lumières tissent des textures
miroitantes, des transparences délica-
tes, des velours humides; où des per-
les, des pierres précieuses acquièrent

Page ci-contre, à gauche de haut en bas :
MILLARES : Cuadro 138A. Huile
1961. 5lV4" x 64" (130 x 163 cm);
Pierre Matisse Gallery, New York. Juan
Joseph THARRATS. Icare. Huile. 1961.
32" x 39" (81,50 x 99,35 cm). Collec-
tion particulière, Montréal. TAPIES.
Composition. 1959. Huile. 27" x 29Vi"
(68,80 x 75,15 cm). Galerie Dresdnere,
Montréal: à droite: Modest CUIXART.
Peinture objet. 1958. Collection de M.
René P. Métras, Barcelone

                                            Ci-dessus : TAPIES. Ocre sur gris vert.
                                             1959- Huile. 51" x 32" (130 x 81,50
                                            cm). Collection de Marcelle et Gérard
                                            Beaulieu, Montréal. Ci-contre: GON-
                                            ZALES. Le couple. 1927-9. Bronze
                                            (pièce unique). Hauteur: 3Vi (8cm),
                                            longueur: 7Vi" ('9 cm); Collection
                                            de Walter Carsen. Toronto.

                                                                                      21
Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
une présence magique, d'une étonnan-        juguent avec générosité dans des bra-
                                                            te qualité. La plupart des récentes         celets, des broches, des bagues qui dé-
                                                            compositions de Tharrats nous offrent       gagent on ne peut mieux la beauté
                                                            des danses d'astres, des tempêtes si-       des matériaux et l'ingéniosité de l'ar-
                                                            dérales, des tourbillons de nébuleu-        tiste.
                                                            ses. Viennent s'ajouter des sculptures,        « Jusqu'à présent, je n'ai pas fait
                                                            des lithographies, des maculaturas :        beaucoup de sculpture : ce mode
                                                            « Il s'agit en somme de collages, mais      d'expression m'intéresse pourtant et
                                                            dans un sens un peu particulier. De-        m'attire de plus en plus. Dans les
                                                            puis ma jeunesse, les arts graphiques       prochains mois, je compte bien com-
                                                            me fascinent et je m'attardais sou-         mencer à travaiiler sérieusement les
                                                            vent à construire, en partant d'épreu-      pierres, et surtout les ardoises. J'ai
                                                            ves de bouts de papiers, des mon-           déjà fait quelques compositions en
                                                            tages improvisés. Dans la revue             métal, mais c'est l'ardoise que j'aime-
                                                            Dau al Set, qui connaissait parfois         rais maintenant aborder. La sculp-
                                                            des tirages aussi limités que 50 exem-      ture me permettra de réussir une meil-

      mm
                                            ' • ' ' / • •

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                                                            plaires, je prenais plaisir à insérer       leure intégration de mon monde plas-
                                                            de ces maculaturas »                        tique. D'ailleurs, je me suis toujours
                                                               Une qualité de l'oeuvre de Tharrats      intéressé à tout ce qui se rattachait
                                                            se trouve dans sa versatilité, dans         à l'art plastique : mises en page et
                                                            l'exigence qu'il manifeste à poursuivre     arts graphiques, décors et costumes,
                                                            de multiples expériences. Ses bijoux        tapisseries et tissus imprimés, faïences
                                                            allient la finesse attentive de l'artisan   et émaux, gravures et maculaturas,
     Haut de la page: THARRATS. Petit                                                                   peinture et sculpture ».
                                                            soigneux à l'audace inventive du dres-
     magasin d'astres. 1961. Composition                    seur de mondes et répondent ainsi              Le sens cosmique particulier à un
     d'objets. Sala Gaspar, Barcelone; ci-des-              aux grandes chorégraphies astrales de       Tharrats se comprend sans doute dans
     sus : Joan VILACASAS. Planimetria.                     ses tableaux dans un registre opposé,       la perspective apocalyptique de saint
      1960. 76i/2" x 51" (195 x 130 cm).                    celui du microcosme. Pierres pré-           Jean : « Je vis un nouveau ciel et
     Sala Gaspar, Barcelone.                                cieuses, perles, métaux nobles se con-      une nouvelle terre, car le premier ciel

22
Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
et la première terre avaient disparu, et      L'École de Madrid
la mer n'était p l u s . . . » Tharrats
veut en somme métamorphoser les                  Près de dix ans après le Dau al Set
réalités naturelles en poèmes, et sa          de Barcelone, se développait le groupe
discipline fondamentale en est une de         El Paso à Madrid. On n'y possédait
création du monde, où les espaces des         pas l'héritage historique de Barcelone,
astres et des mers se confondent dans         dans le courant de l'art contemporain:
l'oeuvre lumineuse de liberté, lieu           à Barcelone en effet, le jeune Picasso
d'une exploration poétique émerveil-          faisait ses premières armes, aux
lée. Cet art revendique pour l'aven-          « Quatre Gats ». El Paso s'établis-
ture esthétique, une dimension spiri-         sait en marge du courant parisien de
tuelle qui fait heureusement oublier          « l'art informel », et en marge du cou-
les conditionnements d'une civilisa-          rant américain. de l'action painting.
tion mécanique, matérialiste. L'artiste       Les quatre peintres les plus importants
a peut-être toujours eu pour fonction         de cette école de Madrid sont Mil-
de sauver l'homme de la barbarie...           lares, Feito, Canogar, Saura.

          $LJL\0                                                                        Ci-contre, haut : Luis FEITO : Peinture
                                                                                         158. 1959. 39%" x 39V4" (100 x 100
                                                                                        cm). Collection de Gérard Beaulieu,
                                                                                        bas : FEITO. Peinture. 20" x 28" (50,95
                                                                                        x 71,30 cm). Collection du Dr Paul La-
                                                                                        rivière; ci-dessus de haut en bas : Ma-
                                                                                        nuel RIVERA. Metamorfosis 1961. Fil
                                                                                        de fer et cadre d'aluminium. 39Vi" x
                                                                                        28%" (100 x 73.25 cm). Antonio SAU-
                                                                                        RA. Diotima. 1960. Huile. 63%" x
                                                                                        51V4" (162,40 x130,50 cm). Pierre Ma-
                                                                                        tisse Gallery. New York. VILACASAS.
                                                                                        Planimetria 60. Eau-forte. 9%" x 19Vz"
                                                                                        (25 x 30 cm) Galerie Dresdnere.

                                                                                                                                  23
                                           **&:W*:
Nouvelle peinture espagnole Écoles de Barcelone et de Madrid - Érudit
Manolo M illares avait d'abord fait       un cyclone de passion, en une énergie        dc Madrid ont obligé les critiques
     des paysages réalistes, puis de nom-          cosmique éternelle . . . Ce besoin irré-     espagnols à faire des distinctions dans
     breuses recherches dans les chemins           pressible de s'exprimer, de participer       l'abstraction : dramatique, romantique
     surréalistes. Peu à peu se dévelop-           aux grandes énergies de l'univers, vers      ou géométrique, tellement ce mouve-
     pait chez lui une magie des lignes et         l'expansion totale ou vers la concen-        ment devenait dynamique. Les gran-
     des couleurs, une poésie des formes           tration dynamique ».                         des expositions internationales rap-
     qui l'incitaient à glisser d'un surréalis-       Malgré un retard considérable, mal        pellent, chaque année, la présence
     me de plus en plus dépouillé à un art         gré le régime franquiste. l'Espagne          diversifiée et passionnée des peintres
     non-figuratif où les éléments de la           retrouve cette dramatisation picturale       espagnols.
     composition tendent à s'équilibrer.           de Greco, de Goya, et l'expression               La sculpture, dont le sort se main-
     Puis, de nouvelles matières se joignent       fiévreuse de grandes sources créatri-        tient plus ou moins en parallèle avec
     aux pâtes : pièces de bois, jutes, mor-       ces libère les secrets remous où             celui de la peinture, s'impose à l'at-
     ceaux de tissus cousus en surface. Les        s'agitaient les exorcismes d'un lourd        tention mondiale surtout, et parado-
     couleurs se dépouillent vers les zones        silence. Le « magicisme plastique »          xalement, par le nom de Julio Gon-
     du noir, du blanc, du gris, des ocres.        dont parlait Cirlot, dans le courant de      zalez, un des pionniers les plus signi-
     Les récentes œuvres de Millares cons-         Luis Bunuel ou de Salvador Dali, est         ficatifs de la sculpture nouvelle, mort
     tituent des expressions extrêmes, sans        devenu, grâce aux groupements de             à peu près inconnu en 1942. Gonza-
     doute brutales, mais fascinantes et           Barcelone et de Madrid, un mouve-            lez s'attachait à « construire avec l'es-
     d'une lucidité presque insoutenable,          ment d'une générosité et d'une diver-        pace comme s'il s'agissait d'un maté-
     dans ce monde inépuisable de l'art            sité qui l'apparentent à notre nouvelle      riau », et il a signé dans le métal des
     abstrait.                                     peinture canadienne : nous avons con-        oeuvres irréductibles. Avec les héri-
         Luis Feito avance sur la voie de          nu les mêmes naissances, les mêmes           tiers de Gonzalez nous sommes loin
      l'austérité et de l'ascétisme : sa tech-     évolutions. S'ils conservent une nette       de la renaissance catalane de 1910.
      nique se dépouille de plus en plus,          avance, c'est qu'il possèdent un héri-       dans le sillage de Maillol : les ré-
      vers les noirs, les rouges, les blancs, et   tage qui nous fait défaut.                   centes expériences d'Eduardo Chi lida.
     des reliefs apparaissent, cratères de                                                      de José Subirachs, de Martino Chi-
      lumières ou de drames : « Je creuse          L ' a v e n i r d e la                       rino nous font oublier parfois les
      vers les racines, jusqu'à ce que je          peinture espagnole                           oeuvres d'un Gaudi ou d'un Cargallo,
     trouve mon chemin de lumière ou                                                            et nous permettent de rêver à un mer-
     dc ténèbre. Et l'espace se crée, où               Depuis quinze ans, un public tou-        veilleux avenir pour l'art plastique
     je pénètre, en violant son silence, en        jours grandissant s'intéresse en Espa-       espagnol, en si bonne santé.
      lui arrachant son mystère ». Feito            gne aux expositions d'art abstrait,             Catalane ou castillane, la nouvelle
      possède une imagination tournée vers          mais les collectionneurs sont encore        peinture espagnole tend vers des re-
     l'intérieur, qui tient de la contempla-        en bonne part de tendance moins ac-         cherches de matières fortement tac-
     tion, mais de la contemplation par-            tuelle. Un peu comme dans tous les          tiles. Deux noms peuvent assez net-
     fois violente.                                 autres pavs. la civilisation y subit des    tement représenter les deux Espagnes:
         Rafael Canogar a étudié avec Vas-          crises d'uniformisation, et les nou-        l'ascétisme ardent et fixe de Tapies,
     quez Diaz la composition géométri-             veaux équilibres sont difficiles à bâtir.   dont les « murs » lézardés nous li-
     que dont se souvient encore ses œu-            Les jeunes peintres se livrent tout         vrent les secrets signaux de leurs
     vres récentes malgré sa technique              naturellement aux expériences non-          graffiti inépuisables et Millares, avec
     informelle. Très souvent, ses tableaux        figuratives, mais Tharrats nous expli-       l'absurdité concrète de ses trouées, de
     contiennent un axe fort d'où s'échap-         quait qu'ils copient et transposent les      ses vides, de ses torsions de la ma-
     pent des espaces légers en des tons           oeuvres de la génération précédente          tière, du jute, de la pâte. Le sens
     soutenant la dominante. Pour le mo-           plus souvent qu'ils créent vraiment          s'impose d'une beauté en creux, d'une
     ment, cette
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