Photographie et Politique - sous la direction de Christophe David Joan Grandjean

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Photographie et Politique - sous la direction de Christophe David Joan Grandjean
Photographie
  et Politique
      sous la direction de
        Christophe David
          Joan Grandjean
Photographie et Politique

                               Sommaire

Présentation                                               9

   I. La photographie face à l’horreur
Devant la torture des autres                              21
             Susan Sontag
Photographies d’agonie                                    37
            John Berger
Le temps figé de Tchernobyl –
La politique de Guillaume Herbaut                         41
             Jean-Paul Engélibert
Le surréalisme humanitaire d’Omar Imam                    55
             Eric Gottesman
Le débat sur la photographie documentaire : esthétique
ou inesthétique ? ou what’s so funny about peace, love,
understanding and social documentary photography ?        69
             David Levi Strauss

   II. Le photomontage comme arme
Fabriquer le mécontentement.
Le médium de masse de John Heartfield                     79
             Sabine Kriebel
Topple the Mighty : La satire politique de Leon Kuhn      95
            Philip Kuhn
Glaner dans la foule : Jana Traboulsi et autres,
crise des poubelles au Liban, été/automne 2015            109
             Joan Grandjean
III. L’art (politique) de lire les images (politiques)
Profusion paratextuelle. Photographie et texte dans l’ABC
de la Guerre de Brecht                                         129
             Jonathan Long
Lire une archive. La photographie entre travail et capital     147
             Allan Sekula
Photographie et Politique — Entretien avec Jacques Rancière    167
            propos recueillis par Diletta Mansella
            et Patrizia Atzei
Guerre, technique, photographie et humanité
dans les photo-livres d’Ernst Jünger                           189
             Nicolás Sánchez Durá
Art et politique : une réévaluation                            209
              Conversation entre Victor Burgin
              et Hilde van Gelder
Walid Raad et l’Atlas Group                                    233
            Kaelen Wilson-Goldie
Un « débat » continu. « A Photographic Conversation from Bourj al-
Shamali Camp » de Yasmine Eid Sabbagh (2001 - )                 243
            Daniel Berndt
Une histoire potentielle. Penser en fonction de la violence    263
             Ariella Azoulay
IV. Le portrait est une histoire de clichés
Comment la photographie a inventé
l’identité. Des pouvoirs du portrait                              297
              Stéphanie Solinas
Les Masks d’Arthur Renwick                                        313
           Sophie Guignard
Portraitiste de France                                            327
              Guillaume Leingre
épidermiques. Usages politiques du portrait close up              341
           Christine Bergé

   V. Autant de négations de la citoyenneté, autant d’adresses
   à la communauté du contrat civil photographique
Le village de carton de la gare de Shinjuku (1996-1998)           355
             Naoko Sakakowa
« Quand les critiques blancs parlent d'œuvres d'artistes noirs,
c'est en mettant la race au centre »                              363
             Conversation entre Carrie Mae Weems
             et bell hooks
« Notre travail est ancré dans des problématiques locales rencontrées
par de vraies communautés humaines.
C’est ce qui fait sens pour nous. »                                375
             Conversation entre Carole Condé
             et Karl Beveridge
Quand Paolo Woods s’exposait à Port-au-Prince                     385
           Arnaud Robert
La politique de la photographie                                   405
             Jo Spence
PHOTOGRAPHIE ET POLITIQUE

                             PRÉSENTATION DU PROJET D’ÉDITION

                               Christophe David et Joan Grandjean

Passionnés par la photographie et par la politique, nous lisions des choses ici et là mais ne
trouvions pas un volume faisant un état des lieux des rapports entre photographie et politique.
Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls à nous intéresser à cette question dans le monde
francophone. Pendant que nous préparions cet ouvrage (mis en chantier début 2012), un dossier
est paru dans une revue canadienne (« Imaginaires du présent. Photographie, politique et
poétique de l'actualité », Cahier ReMix, n° 1/mars 2012, Montréal, sous la direction de Vincent
Lavoie) et une journée d’étude s’est tenue à l’Université de Paris VII (« (Re-)politiser les discours
sur la photographie », organisée par le chantier de recherche Photo/savoirs/critiques de
l’Association de Recherche sur l’Image Photographique, le 7 décembre 2015), pour ne mentionner
que ces deux événements académiques.
La dimension internationale et « historique » de l’ouvrage s’est d’emblée imposée à nous. Nous
avons décidé de parler de l’Allemagne des années 1930, moment où se noue une réflexion
décisive sur la photographie et la politique. Nous avons également choisi de nous faire l’écho de
ce qui s’est écrit et fait aux États-Unis et au Proche Orient ces quinze dernières années. Nous ne
nous sommes pas pour autant limités à ces zones. Notre numéro parle aussi, par exemple, des
raisons de la vandalisation d’une exposition de photos à Port-au-Prince — exposition politique
reçue politiquement — et de l’expérience d’une photographe de Tokyo avec les sans-abris de la
Gare de Shinjuku — qui en fait le récit à la première personne.
Liés au département d’histoire de l’art de l’Université de Rennes 2, un de nos soucis était de ne
pas limiter notre champ à la photographie documentaire mais de faire place également à la
photographie d’art et à la façon dont l’art contemporain utilise la photographie dans des
installations et des performances.
On trouvera ici des textes portant sur des choses déjà connues et d’autres sur des photographes
peu commentés en France. On lira, par exemple, un texte sur les photos d’Abu Ghraib mais aussi
un texte sur le photomonteur anglais Leon Kuhn, sur lequel il n’existe à cette date rien en français.
On trouvera aussi dans ce volume des auteurs prestigieux tels Susan Sontag (avec un article
inédit en français) ou Jacques Rancière (avec un entretien réalisé spécialement pour ce numéro)
et des chercheurs moins connus dont les travaux nous semblent pourtant remarquables.
Nous avons organisé cet ouvrage en cinq moments que nous présentons dans le document
suivant intitulé « Présentation de l’ouvrage ».
Notre sujet nous imposait d’introduire des visuels dans l’ouvrage. Faire un numéro de revue sur la
photographie sans montrer les photos dont on parle n’a aucun sens. C’est ce qui explique notre
demande de subvention.
PHOTOGRAPHIE ET POLITIQUE

                               PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

                            Christophe David et Joan Grandjean

Cet ouvrage est une anthologie contenant diverses sortes de textes. Il rassemble des
articles relevant de l’histoire, de l’histoire de l’art, de la critique d’art, de la philosophie de
l’art, de la philosophie politique, des essais, des chroniques, des récits, des entretiens.
Certains ont été écrits aujourd’hui, d’autres plus anciens sont des documents. Ces textes
se répondent et le volume y gagne une seconde cohérence, souterraine celle-là.

Bien sûr, formulée de façon aussi ouverte — photographie et politique —, la problématique
de ce volume peut sembler tailler large et de ce fait nous l’avons organisé en cinq
moments.

Le premier moment du volume porte sur une question dont nous avons presque envie de
dire qu’elle concerne la psychologie sociale : il s’agit de l’impact qu’ont sur nous les photos
de guerres ou de catastrophes auxquelles nous sommes constamment exposés. Cette
question a été le nerf de la réflexion de Susan Sontag de Sur la Photographie (1977) à
« Devant la torture des autres » (2004), l’article dont nous proposons ici la première
traduction française, en passant par Devant la douleur des autres (2002).

À l’époque de la guerre du Vietnam, John Berger avait déjà parlé des photos de guerre
« saisissantes » et du double décalage qu’elles produisent à partir de photos de Don
McCullin (un des grands photographes de guerre de la seconde moitié du XXe siècle,
interdit de Guerre des Malouines par le gouvernement Thatcher et ayant choisi ensuite
ironiquement de « cultiver son jardin », autrement dit de photographier... des fleurs à la
manière d’un Karl Blossfeldt) : elles nous montrent une réalité qui nous dépasse et nous
montrent, en même temps, à quel point nous sommes moralement dépassés.

Ce débat a marqué le début du XXIème siècle avec l’occultation (au nom du bon goût et du
droit des familles) des images des victimes du 11 septembre puis la gestion par
l’administration Bush des photos d’Abou Ghraib. Le photojournalisme est de plus en plus
interdit de guerre. L’armée américaine mène des « technoguerres » qu’elle
« télécontrôle » (l’Afghanistan a été bombardé depuis Tampa, Floride). Elle fournit elle-
même des flux d’images télévisuelles et ne veut plus entendre parler des photos de guerre,
ces photos « plus incisives » qui se gravent dans la mémoire. Vous doutez que la
photographie puisse être politique ? C’est le Pentagone lui-même qui vous le dit !

Un autre débat aura accompagné celui-ci : la photographie qui accompagne le
répréhensible et le calamiteux n’a pas à être esthétique. La discussion s’est cristallisée
autour de la figure de Sebastião Salgado. Nous avons choisi pour l’évoquer un texte de
David Levi Strauss. Il nous a semblé que faire intervenir sur fond de ce débat les photos
réalisées par Guilllaume Herbaut dans la zone interdite de Tchernobyl (Jean-Paul
Engélibert) et celles réalisées par Omar Imam dans des camps de réfugiés syriens du
Liban (Eric Gottesman) n’était pas déplacé. C’est une façon pour nous de dire qu’il n’y a
pas à choisir. La photo produit des documents et crée des œuvres d’art visuelles, c’est un
fait. Des photos qui montrent la souffrance peuvent être belles, le tout est de ne pas
exagérer. « Une photo vue dans un album ou imprimée sur du vulgaire papier journal [...]
prend une signification différente lorsqu’elle est exposée dans une boutique Agnès
B. » (Sontag).

Le deuxième moment parle du photomontage. On sort un peu de la photographie dans la
mesure où la photographie est le matériau, la matière première du photomontage. « Utilise
la photographie comme une arme ! » disait John Heartfield dans l’Allemagne du début des
années 1930 (Sabine Kriebel).

C’est exactement dans le même esprit que travaillait Léon Kuhn dans l’Angleterre de
Thatcher, Blair, Cameron... (Philip Kuhn). Le photomontage est frontalement politique. En
cinquante ans, le photomonteur a troqué les ciseaux pour des logiciels de morphing mais
n’a rien perdu de la violence de son art. Nous voulions nous entretenir avec Leon Kuhn ;
c’est en cherchant ses coordonnées que nous avons appris son décès. Le photomontage
n’est pas mort avec lui. Se référant à la fois à Heartfield et à Kuhn, un Azlan McLennan
illustre aujourd’hui cette tradition.

C’est aussi dans cette tradition qu’on peut ranger Jana Traboulsi qui, lors du pic de la crise
des poubelles au Liban, à l’été 2015, a arraché cette démarche au journal pour la lancer à
l’assaut des réseaux sociaux (Joan Grandjean).

Le troisième moment aborde la question de la pédagogie et de lecture des images. Les
photos ne sont pas d’abord politiques. Elles ne le deviennent que portées par un projet
politique, dans un contexte idéologique. Découpant la réalité sociale photo par photo, la
photographie en propose de fait une conception nominaliste, atomisée et demande à être
complétée. Les photos montrent, mais il faut les faire parler. C’est ce qu’avaient bien
compris Brecht et Benjamin qui ont dit avec force comment la légende et le commentaire
peuvent donner voix à la photo (Jonathan Long). Gênés par la tendance de la photographie
à esthétiser le négatif social (c’est leur principal grief à l’endroit de la Nouvelle Objectivité
et, en particulier, d’Albert Renger-Patzsch), ces « moralistes marxistes ou prétendus
tels » (Sontag) ont senti la nécessité de l’accompagner.

Allan Sekula, qui connaît Benjamin et Brecht sur le bout des doigts, est un autre de ces
moralistes qui déclare que « la photographie n’est pas un système de langage indépendant
et autonome [mais] résulte de conditions discursives plus vastes, comprenant
invariablement celles que le système du langage établit, qu’il soit verbal ou écrit. Le sens
d’une photo est toujours une construction hybride, le résultat d’un jeu entre les conventions
iconiques, graphiques et narratives ».

Jacques Rancière revient à sa façon sur le rapport entre photo et texte en expliquant que
« les mots sont nécessaires pour suppléer le relatif silence des formes visuelles mais [que]
ce supplément n’est pas d’abord celui de l’explication mais celui de la modalisation ».

Il n’y a pas que les « moralistes marxistes ou prétendus tels » qui ont dit la nécessité
d’encadrer les photos. Ernst Jünger l’a fait également, non seulement en tant qu’auteur
mais en tant qu’éditeur de photo-livres (Nicolás Sánchez Durá).

Autre figure de moraliste, Victor Burgin n’hésite pas à fustiger un art trop facilement
politique et explique que les photos les plus politiques ne sont pas celles qui se donnent
pour les plus évidemment politiques. Il faut dès lors inventer des dispositifs pour encadrer
ces photos non évidemment politiques (l’esprit de l’installation — où un texte dit vient
s’ajouter à la photo — succède à celui de la légende et du commentaire) pour leur
permettre de délivrer leur sens au carrefour de l’iconique et du narratif.

Encadrer les photos par des performances plus que par des installations, c’est le choix de
Walid Raad (Kaelen Wilson-Goldie) et Yasmine Eid-Sabbagh (Daniel Berndt) qui inventent
(de façon troublante) ou accompagnent (en les montrant sans les montrer) des archives
photographiques.

Faire parler des photos qu’on laisse dormir dans des archives pour réécrire une histoire
potentielle à laquelle on substitue d’autres récits (celui, israélien, de l’inévitable conflit
national ou celui, palestinien, de la Nakba), c’est, pour Ariella Azoulay une façon de
retrouver un « point zéro » et de contribuer à la construction d’une nouvelle histoire
israélienne.

Le quatrième moment aborde la question du portrait. Dans La Chambre claire, Roland
Barthes commente le portrait de « William Casby, born in slavery » réalisé par Richard
Avedon, en 1963 (Avedon fera le portrait de Dwight David Eisenhower, ancien président
des États-Unis, l’année suivante, en 1964) : « L’essence de l’esclavage est ici mise à nu : le
masque, c’est le sens, en tant qu’il est absolument pur (comme dans le théâtre antique).
[...] Le masque est pourtant la région difficile de la photographie. La société, semble-t-il, se
méfie du sens pur. [...] Aussi la photo dont le sens [...] est trop impressif, est vite
détournée : on la consomme esthétiquement, non politiquement », écrit-il.

Alphonse Bertillon, l’inventeur de la photographie judiciaire, dont parle ici Stéphanie
Solinas, dit exactement le contraire : « En photographie judiciaire, il suffit de mettre de côté
toute considération esthétique et de ne s’occuper que du point de vue scientifique et plus
spécialement policier ».

Si les photos d’Edward Sheriff Curtis, l’auteur de cette énormité qu’est The North American
Indian (20 volumes, 1907-1930, 2228 photogravures), étaient admirées pour leur valeur
esthétique (bien que contestées dans leur authenticité), les portraits d’Arthur Renwick, dont
parle ici Sophie Guignard, sont des actes politiques. Il les qualifie de « Masks ». Il s’agit de
dénoncer les masques imposés aux visages indiens en les dénonçant comme des
grimaces.

Les critères des photographes possédant le titre de portraitiste de France, dont parle
Guillaume Leingre dans un morceau de bravoure qu’on peut lire comme de la sociologie
narrative ou, directement, comme de la littérature, c’est encore autre chose : « Vous voulez
un portrait comment : sérieux ou décontracté ? On va vous faire quelque chose de
sympa. »

Avec Christine Bergé, on se rapproche encore, on passe du portrait au close-up et on
s’interroge sur le sens de ce geste.

Il nous a semblé que nous pouvions regrouper diverses « études » dans un cinquième
moment autour du concept de « contrat civil photographique » proposé par Ariella Azoulay
dans The Civil Contract of Photography (2008). L’idée, s’appuyant à la fois sur le Benjamin
des « Thèses sur le concept d’Histoire » et sur la Arendt de Condition de l’homme
moderne, est qu’à travers chaque photo, les non-citoyens d’un pays peuvent s’adresser à
la communauté transnationale et atemporelle du contrat civil photographique — qui occupe
plus ou moins la place qu’occupe l’humanité chez Kant. Les non-citoyens, ce sont ceux
dont l’on ne reconnaît pas la pleine citoyenneté, voire pas de citoyenneté du tout. Dans son
article qui figure dans notre troisième point, Ariella Azoulay reprend ses analyses de The
Civil Contract of Photography et les prolonge en développant à partir d’elles le concept d’
« histoire potentielle ». Que dit-elle dans son livre de 2008 ?

« Contrairement à ce que dit le célèbre énoncé de Roland Barthes qui cherchait à capter
l’essence de la photographie en tant que témoignage dans le fait qu’ “[une] chose a été là”,
quand on regarde [des] photos, quand on ne se contente pas de jeter un coup d’œil
dessus, quand on les lit à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des relations politiques
instaurées par la photographie, elles semblent attester que les gens photographiés ont été
là. Si l’hypothèse est non seulement qu’il y a les gens photographiés mais qu’en plus, ils
sont toujours présents au moment où je les regarde, mon acte est moins susceptible de
devenir immoral. S’adresser à ces photos est une tentative limitée partielle, parfois
imaginaire pour répondre aux figures photographiées [...] et pour réaliser, même si ce n’est
que fugitivement, un espace de relations positives entre ceux qui sont gouvernés, un
espace dans lequel la demande de ne pas être gouverné ainsi devient la base de toute
négociation civile. J’ai commencé à écrire ce livre au début de la seconde intifada. Avec le
recul, je peux dire que les insupportables spectacles présentés dans les photos des
territoires occupés [...] ont été les principaux motifs pour écrire ce livre. The Civil Contract
of Photography est une tentative pour ancrer le fait d’être spectateur dans un devoir civique
envers les personnes photographiées qui ne cessent jamais d’être là, envers les citoyens
dépossédés qui, en retour, m’ont permis de repenser le concept et la pratique de la
citoyenneté. [...] Pourquoi ces hommes, femmes, enfants et familles me regardent-ils ?
Pourquoi ont-ils accepté d’être photographiés comme s’ils avaient voulu pouvoir me
regarder ainsi ? [...] Le consentement de la plupart des sujets photographiés d’être pris en
photo ou même de s’initier à la photographie même dans des circonstances extrêmement
difficiles suppose l’existence d’un espace civil dans lequel photographes, sujets
photographiés et spectateurs partagent la reconnaissance que ce à quoi ils assistent est
intolérable ».

Ils s’adressent à une « communauté virtuelle », où Palestiniens et Israéliens, Noirs et
Blancs, Exclus et Inclus sont tous des citoyens à part entière, cette communauté, c’est
l’humanité (au sens kantien) telle que dans la photographie elle se réfléchit, revue et
corrigée dans l’esprit du non-identique (au sens adornien). Ces regards et la réponse que
nous leur faisons sont notre façon de communiquer avec le passé et de reprendre à zéro
des négociations.

C’est cette communauté que regardent les sans-abris japonais photographiés par Naoko
Sakokawa. C’est cette communauté que regardent les figures noires photographiées par
Carrie Mae Weems. C’est cette communauté que regardent les ouvriers mis en scène par
Carole Condé et Karl Beveridge. C’est dans cet espace qu’est intervenu Paolo Woods en
accrochant les photos de l’exposition LÉTA sur le mur de la faculté d’ethnologie de Port-au-
Prince. Il n’a pas seulement voulu permettre aux Haïtiens de prendre à témoin de leur
souffrance la communauté virtuelle des photographes, sujets photographiés et spectateurs,
à la manière de Carole Condé et Karl Beveridge, mais il a leur a montré son regard. Ce
regard, les Haïtiens le lui ont rendu, comme l’écrit Arnaud Robert. L’exposition a été
saccagée...

Nous ne voulions pas ne pas faire figurer dans ce volume une figure qui nous semble
incarner une idée hautement politique de la photographie. Jo Spence est présente ici à
travers un article publié dans le n°1 de Camerawork, en 1976, qui plaide en faveur d’une
réappropriation par toutes et tous de la photographie. Proposition magnifique d’une
photographe qui aura su faire descendre la politique jusque dans l’intime.
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