Portraits d'entreprises gestionnaires de HUB (aéroports et ports)

 
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Portraits d’entreprises gestionnaires de HUB (aéroports et ports)

Ferrovial/ BAA

Charlotte Halpern, chargée de recherche FNSP (Pacte / IEP de Grenoble), charlotte.halpern@iep-
grenoble.fr ;
Dominique Lorrain, directeur de recherche CNRS (Cems/EHESS) lorrain@ehess.fr
mars 2010.

Travaux de la chaire ville de Sciences Po

La globalisation des échanges dans l'économie a renforcé une fonction très ancienne des villes,
essentielle à leur développement : celle de commutateur général1. Ainsi la ville peut se définir
comme une plaque tournante qui gère des flux dans des territoires toujours plus vastes. Plusieurs
infrastructures supportent cette fonction d'échange : les ports, les aéroports, les chemins de fer, les
autoroutes et l'intermédiation financière. Chacune d'entre elles offre la possibilité à des firmes de
participer à la fabrique urbaine. A l'exception des banques, ces firmes ne furent pas toujours
privées. Robert Millward (2007) a rappelé les raisons d'économie générale et de sécurité militaire
qui ont expliqué l'engagement des Etats dans le développement et la gestion de ces infrastructures.
A partir du milieu des années 1980 les politiques de libéralisation ont contribué à remettre en cause
cet équilibre. Des entreprises publiques ont été privatisées ; d'autres ont connu une ouverture
partielle de leur capital. Dans tous les cas le paysage actuel apparaît très différent de ce qu'il était
au début des années 1980.

Nous engageons une série de portraits sur des entreprises qui gèrent des aéroports ou des ports. Ces
deux infrastructures font partie des systèmes techniques qui équipent et caractérisent les très
grandes métropoles aujourd'hui. Par l'attractivité de ces équipements, elles se livrent une
concurrence feutrée, mais réelle, qui fixe leur place dans les grands flux de marchandises et de
personnes, et contribue à leur centralité dans le développement économique des territoires
nationaux. Dans ces conditions, renforcer les fonctions de hub et améliorer la qualité de ces
équipements passe par des stratégies à niveaux multiples, où il arrive que les intérêts des

1
 En téléphonie le commutateur est un système centralisé permettant d'établir une liaison entre deux abonnés.
Le Nouveau Petit Robert. Dictionnaire Le Robert, Paris, 2004, p. 486.
2
gouvernements urbains et ceux des opérateurs de réseaux se rejoignent, dans une nouvelle
illustration des coalitions de croissance (Logan et Molotch, 2007), mais qu’ils puissent aussi se
concurrencer.

Concernant les aéroports, par lesquels nous commençons, trois types d'entreprises interviennent
aujourd'hui comme opérateurs. On trouve d'abord des opérateurs publics, modernisés suite à
l’ouverture partielle ou totale de leur capital et de la réforme de leurs modes opératoires. A cette
famille (d’anciennes) entreprises publiques, se rattachent BAA plc (anciennement British Airport
Authority, renommée BAA plc lors de sa privatisation en 1987), Aéroport de Paris (ADP) et
Fraport (aéroport de Francfort), qui constituent les principaux opérateurs aéroportuaires européens
(voir Annexe 1). Selon des rythmes et des modalités distincts ils ont profondément évolué depuis
leur création dans les années 1950s, acquérant un statut central dans l’évolution du transport aérien,
le développement des économies nationales et l’aménagement des territoires métropolitains.
Viennent ensuite de grandes entreprises de construction qui se diversifient car c'est une manière de
mieux équilibrer leur portefeuille d'activités en y ajoutant des activités de long terme permettant de
compenser les cycles des marchés de construction. Ferrovial et Hochtief ont suivi cette stratégie
dans les aéroports mais relevons que la plupart des grandes firmes européennes de construction se
sont développées dans les services quel que soit le support (autoroutes, parking, déchets, ports)
(voir les portraits sur l'Allemagne, l'Espagne, la Grande Bretagne ; Lorrain 2006, 2007a, 2007b).
Enfin, élément nouveau survenu au cours de ces années de libéralisation : l'arrivée de groupes
financiers (banques et fonds de private equity), parmi lesquels s'impose la banque australienne
Macquarie. Cette dernière fut la première à s'engager dans les infrastructures et reste une
référence dans ce domaine.

A l'exception du premier groupe d’entreprises (ADP, BAA, Fraport, etc.), et pour chacune des
autres firmes, la gestion d'aéroport ne représente qu'une activité parmi d'autres. Dans ces conditions
en quoi une entrée par les firmes fait-elle sens ? Ici un point de méthode s'impose. En général, les
travaux de sciences sociales qui étudient les aéroports ou les ports considèrent ces infrastructures
comme de simples outils au service de politiques sectorielles (développement du trafic aérien), ou
de l’industrie aéronautique (compagnies aériennes, avionneurs, motoristes etc.). Ces travaux,
parfois menés dans une perspective comparée, font une large place aux conflits politiques et
sociaux liés au développement de ces infrastructures, aux règles d’organisation des marchés et à la
réorganisation de ce secteur d’activités à différents échelons, notamment régional et européen
(Halpern, 2006). Mais revers de la médaille cette approche fonctionnaliste tend à réduire la portée
de l’action des opérateurs, dont les choix organisationnels, les structures de financement et les
orientations technologiques jouent pourtant un rôle croissant.
3

L'entrée que nous adoptons ici est différente et représente un fil d'Ariane pour l'écriture de tous ces
portraits d'entreprises. S'il est une entrée sectorielle, il en est une autre à partir de la firme. Si l'on
veut prendre en compte le rôle des firmes dans l'action publique urbaine il ne suffit pas de les
ajouter à l’intérieur d’une lecture sectorielle comme une variable supplémentaire après le secteur,
le territoire, les politiques publiques ; leur apport ne serait pris en compte que par petite tranche.
Pour analyser les transformations introduites par les firmes, il faut les étudier en bloc, chacune
avec son portefeuille d'actifs, son centre de gravité, ses contraintes et sa stratégie. Cette approche
globale permet d’appréhender la place de l’activité étudiée dans la stratégie de cette firme. Ce
choix se fait certes au prix d’une analyse fine des logiques sectorielles, territoriales et politiques à
l’œuvre, mais cette perte est largement compensée par la compréhension des arbitrages globaux
entre secteurs, entre régions du monde et entre types d’activités au sein d’une même firme ; ils
expliquent largement les stratégies suivies.

La suite de portraits que nous entamons montre que ce choix méthodologique est particulièrement
pertinent pour analyser les stratégies des différents types de firmes identifiés. Les textes qui suivent
permettent de préciser cette démarche à travers l’exemple de Grupo Ferrovial, entreprise de
construction, puis de Macquarie, groupe financier, deux acteurs au cœur des principales
transactions enregistrées au cours des dernières années. Nous poursuivrons ces deux portraits par
ceux d’entreprises publiques modernisées – BAA plc, ADP et Fraport – pour plus tard ouvrir le
dossier des grands opérateurs portuaires : HIT (Hong Kong), PSA (Singapour).
4
Ferrovial/BAA : une transaction de trop ?

C'est l'histoire d'un crocodile qui entre chez un maroquinier …. (Coluche)

L’étude d’une firme urbaine passe par la présentation de son histoire, de son portefeuille d'actifs et
de sa stratégie. Ces différents éléments permettent de la caractériser et, par comparaison avec
d'autres firmes, d’identifier régularités et différences, de dessiner pas à pas les contours d’un
paysage des grandes firmes urbaines. Grupo Ferrovial a ainsi fait l’objet d’un précédent portrait
(Lorrain, 2007a). La reprise de ce dossier trois ans plus tard permet de développer une autre
dimension de l'action des firmes - la relation avec l'environnement dans lequel elles évoluent.
L'idée la plus communément admise est celle de leur pouvoir. Les grandes firmes seraient des
organisations aux ressources importantes qui bénéficient d'un avantage compétitif par rapport aux
PME, d'une asymétrie d'information vis à vis des collectivités locales, et, dans certains cas, des
autorités publiques nationales. Bref, elles dominent les choses et maîtrisent leur environnement.
Cette représentation peut faire sens pour une partie des transactions mais elle sous-estime une autre
pan : les grandes opérations et leurs risques.

Les firmes se développent par croissance interne (ou croissance organique). A partir de leur
position dans le marché un flux régulier d'affaires en partie calculable vient à elles. Elles se
développent aussi par croissance externe : elles soumissionnent à de très grands contrats, elles
peuvent racheter un concurrent. Ce dernier type d’opération s’inscrit dans un autre registre. Dans
ces cas les firmes sortent de leur univers familier ; elles explorent de nouveaux secteurs d’activités
ou territoires, elles doivent faire appel à des organismes de conseils, elles sont obligées de monter
des plans de financement qui les placent en situation de dépendance vis à vis des banques. La taille
de ces opérations conduit parfois à d’importantes transformations et restructurations internes ; une
fusion avec une firme presque équivalente en taille, avec sa propre histoire et sa culture interne ne
peut être considérée comme une opération ordinaire. Certains gros contrats – un chemin de fer
dans un pays émergent, une ville nouvelle ou une très grande concession - changent les équilibres
internes, conduisant parfois à placer ces firmes en situation de vulnérabilité. Ces grands opérations
sont toujours à risque car en raison de leur taille les changements par rapport aux prévisions sont
porteuses de lourdes conséquences : chute du résultat, pénalités de retard, actions en justice.

Pour réduire ces risques, et, d’une manière générale, faire face aux situations d’incertitude, les
firmes doivent anticiper sur la conjoncture ; et devraient en principe prévoir une solution de repli
dans leur modèle de développement économique. L'histoire nous enseigne que les crises
économiques, les catastrophes naturelles et les conflits politiques et sociaux surviennent de
5
manière récurrente et que l'harmonie (chère aux philosophes politiques chinois) est plus un horizon
d'attente qu'une réalité. Les firmes doivent aussi envisager le changement des règles d’organisation
du marché, qu’elles contribuent parfois à précipiter, notamment lorsque leurs opérations fragilisent
le système national de régulation existant (Humphreys et al., 2007). Les firmes qui travaillent dans
les pays émergents le savent : d'ailleurs les financiers introduisent un facteur risque dans le coût du
capital. L'idée est moins admise pour les opérations menées dans les grands pays industriels. Et
pourtant les plus beaux schémas du monde peuvent se trouver mis en cause lorsque le régulateur
procède à la modification des règles d’organisation du marché en milieu de partie.

Voici donc l'histoire de Ferrovial et de BAA, qui comporte de multiples dimensions. Il s’agit
d'abord d’une diversification audacieuse ; mais c’est aussi une opération réalisée dans un contexte
de transformation du secteur des aéroports en Grande Bretagne (Starkie, 2001), un pays industriel
qui a été aux avants poste de la libéralisation. Il s’agit enfin d’un cas de compétition par l'action sur
les règles. Les dirigeants de Ferrovial croyaient intervenir dans un monde rationnel et calculable
mais très rapidement ils ont découvert à leur dépend que les règles d'organisation, soubassement du
calcul de la valeur, correspondent à des facteurs modifiables. Cette histoire est une invitation à
reconsidérer ce qui se dit sur le pouvoir absolu de la firme, et sur les effets politiques et sectoriels
de certaines grosses opérations. Cette histoire interroge également sur la fiabilité des expertises
d'évaluation en valeur de marché. Elle introduit un doute sur la capacité prévisionnelle des travaux
de l'industrie de la finance et du conseil, qui présente le calcul comme scientifique car, en ce qui la
concerne, l'important est d'organiser les transactions – en achat comme en vente, en survalorisation
ou en braderie. Qu'importe la valeur pourvu qu'il y ait mouvement.
Ferrovial : une quête de diversification.
Ce groupe espagnol, aujourd'hui le second du pays, a été créé en 1952 par M. Rafael del Pino pour
des travaux sur les voies de chemin de fer (Chislett, 2007 ; Lorrain, 2007a). Il se développe dans
les années 1960 dans les routes et les programmes autoroutiers, puis rentre dans la construction de
logements, la promotion immobilière et quelques opérations à l'étranger. En 1988 avec une activité
de 686 M€, il se classe au cinquième rang des groupes de construction espagnols.

Le milieu des années 1990 marque un net changement de stratégie. Le fils du fondateur, âgé alors
de 33 ans, diplômé de la Sloan School of Management (MIT) rejoint la direction du groupe et
contribue à la mise en place d’une politique plus audacieuse faite de croissance externe et de
diversification dans les services et les concessions. Sous son impulsion, une série d'activités sont
d’abord filialisées : la construction, les parkings, l'immobilier, les services d'environnement et une
affaire dans les télécommunications. A ceci s’ajoute une impressionnante série d'acquisitions (voir
6
chronologie), qui s’accompagnent de la constitution d’une alliance stratégique avec Macquarie2,
après de nombreux affrontements. Dans une étude publiée au début de 2004, les analystes de CDC
Ixis évoquent "un modèle innovant et agressif de constructeur, développeur, concessionnaire"
(CDC Ixis, 2004).

Chronologie : développement du groupe Ferrovial (1995-2006).
1995    Fusion avec Agroman, un groupe plus ancien, introduit en bourse et de taille assez
        proche : 777 M€ de chiffre d'affaires contre environ 1 G€ pour Ferrovial. Le nouveau
        groupe rentre dans les cinq premiers espagnols du secteur.
1998    Création de Cintra, une nouvelle société, au sein de laquelle les activités dans les
        concessions autoroutières et les parkings sont regroupées.
1999    Introduction en bourse de Ferrovial (printemps). Peu de temps après il remporte
        l'ETR 407, concession autoroutière à Toronto, devant Macquarie3.
2000    Reprise de Budimex, le premier groupe de construction polonais.
2002    Alliance stratégique entre Ferrovial et Macquarie. Macquarie Infrastructure Group
        (MIG) prend une participation de 40% dans Cintra en apportant 816 M€. Peu de temps
        après Ferrovial vient appuyer Macquarie pour la reprise de l'aéroport de Sydney (20%
        de participation).
2003    Rachat de Amey par Ferrovial, qui acquiert ainsi plusieurs contrats en Grande
        Bretagne (partenariats publics privés), en particulier dans le métro de Londres (Jubilee,
        Northern et Piccadilly lines) ;
        Reprise de Cespa, le second groupe de déchets espagnol cédé par Agbar dans le cadre
        du plan de désendettement engagé par Suez.
2004    Introduction en bourse de Cintra : Macquarie cède ses 28% ; Ferrovial garde le
        contrôle avec une participation de 67%4.
2005    Ferrovial et Macquarie remportent la concession du Chicago Skyway
        (investissement : 1,82 G$ ; durée : 99 ans), devant une alliance d'Abertis (groupe ACS-
        Dragados) et Autostrade.
        Rachat de Swissport, filiale de SwissAir (en faillite) qui intervient dans les services.
2006    Reprise de l'Indiana Toll Road par les deux associés (investissement : 3,85 G$ ;
        durée : 75 ans).

Ces évolutions contribuent à la transformation en profondeur du groupe Ferrovial, qui enregistre
une croissance rapide avec un chiffre d'affaires qui progresse de 75% entre 2001 et 2004 (voir
Annexe 2). Les activités de construction qui représentaient les quatre cinquièmes de l'activité sont
ramenées en dessous de la moitié et un pôle de services recouvre un tiers de l'activité en 2004.
Mais le revers de la médaille, comme le notent les analystes de CDC Ixis, réside dans la capacité à
"digérer la croissance" : "Depuis 1997 Ferrovial a dépensé plus de 5 G€ pour se diversifier dans le
métro (Amey), les autoroutes, les aéroports" (FT 28 février 2006). Dans le même temps,
l’endettement du groupe a augmenté sans toutefois atteindre un point critique. Dès 2004, les
analystes formulaient un avis de prudence, s’accordant sur le fait que cette exceptionnelle

2
  Un portrait sera consacré à Macquarie dans cette série.
3
  Financial Times, 14 avril 1999 & 1er mai 2006.
4
  Financial Times, 23-24 mai 2004.
7
croissance ne serait pas éternelle, tout en reconnaissant que la stratégie de diversification
représentait la seule manière pour le Groupe Ferrovial de se protéger du risque de retournement du
marché espagnol.

BAA et le secteur des aéroports au point haut d'un cycle.
Dans ce contexte de stratégie de croissance gagnante, la direction de Ferrovial entreprend début
février 2006 l’examen d’une offre d'achat sur BAA. Créée en 1965, la British Airports Authority a
présidé, sous la forme d'une entreprise publique, au développement et à la gestion de trois
aéroports londoniens (Heathrow, Gatwick et Stansted) auxquels s’ajoutèrent progressivement trois
aéroports écossais (Glasgow, Edimbourg et Aberdeen) et celui de Southamptom dans le sud du
pays. Contrairement aux opérateurs d’autres aéroports britanniques d’envergure, la British Airports
Authority constituait un groupe d’aéroports à part, dans la mesure où l’entreprise n’appartenait pas
à un gouvernement local. Malgré les propositions de démantèlement de l’opérateur londonien,
formulées à l’occasion de sa privatisation en 1987, le gouvernement Thatcher opta pour la
privatisation en bloc de l'entreprise, renommée BAA plc, pour 1,5 G£ (Forsyth et Niemeier, 2008,
p. 5 et p. 24). Depuis cette date, le secteur des aéroports britanniques est régit par le Airports Act
(1986), qui reconnait la situation particulière des opérateurs des aéroports londoniens (Heathrow,
Gatwick et Stanted) et de Manchester : ceux-ci font l’objet d’une forme de régulation extensive,
qui prévoit la fixation quinquennale des tarifs (single till principle) par l’autorité de l’aviation
civile (CAA)5. A ceci s’ajoute jusqu’en 2003, date de mise en conformité avec la réglementation
européenne sur la concurrence, le maintien de la possibilité, pour le Gouvernement britannique, de
s’immiscer dans les choix opérés par la direction de BAA (golden share).

Jusqu’en 2006, le développement de BAA est marqué par plusieurs évolutions. Premièrement, les
aéroports londoniens tirent parti de la hausse globale du transport aérien : entre 1987 et 2005,
Londres Heathrow passe de 34,7 millions de passagers transportés à 67,7 millions (soit 95% de
hausse) ; à Londres Gatwick la progression est des deux tiers (de 20 à 33 millions de passagers) et
l'aéroport de Stansted explose avec des flux qui passent de moins d'1 million de passagers à 22
millions sur la même période (Forsyth et Niemeier, 2008, p. 25). Ainsi, en 2006, 63% des
passagers empruntant un aéroport britannique était accueillis dans un aéroport de BAA
(Humphreys et al., 2007 : 339). Deuxièmement, BAA se démarque aussi de ses concurrents en
innovant dans sa politique de marketing, et en développant très tôt une activité commerciale dans
ses aéroports (Datamonitor, 2008). Troisièmement, et en vue de l’opérationnalisation du Livre
Blanc sur le Future du transport aérien, publié par le Gouvernement britannique en 2003, BAA

5
 Cette classification et ses conséquences pour la gestion des aéroports londoniens seront abordées dans le
portrait que nous consacrerons prochainement à BAA. Sur ce point, voir aussi Starkie (2001).
8
développe un ambitieux programme d’investissements (terminaux, pistes, etc.), en vue de
l’extension et de la modernisation de la capacité aéroportuaire des infrastructures
londoniennes (Heathrow et Stansted principalement, Gatwick à plus long terme). Ces ambitions se
heurtent cependant à deux incertitudes, entendues par les spécialistes du centre d’étude sur les
industries régulées comme de simples ombres et non de véritables menaces (Scott, 2004). La
première concerne le financement de ce programme d’investissement dans un contexte de
renégociation des tarifs pour la période 2008-13 par la CAA. L’autre, plus diffuse, concernant la
capacité de cette dernière à légitimer le maintien d’un régime de concurrence spécifique pour les
aéroports londoniens, et à résister aux velléités manifestées par l’Office of Fair Trading (OFT),
Bureau de la concurrence créé en 1973, de procéder à une enquête dans le secteur des aéroports en
vertu de sa compétence d’autosaisine, acquise en 2003 en conformité avec la réglementation
européenne de la concurrence.

Les ambitions affichées par BAA s’inscrivent en effet dans un secteur en pleine croissance,
favorisée par la reprise du transport aérien après le coup d'arrêt du 11 septembre 2001. Dans ce
contexte, les aéroports constituent des actifs particulièrement attractifs, ce que ne manque pas de
rappeler le Financial Times dans la pleine page consacrée à cette question dans son édition du 9
février 2006 sous la forme d’un titre particulièrement explicite : "Airports draw investors. Why
BAA is so attractive ?" Ainsi, les transactions se multiplient et accélèrent l’entrée du secteur privé
dans un secteur qui était resté largement dominé par les entreprises publiques : privatisation des
aéroports de Delhi et de Bombay6, introduction en bourse d'Aéroport de Paris et d'Amsterdam
Schipol, privatisation de l’aéroport de Budapest, remporté en 2005 par BAA, privatisation des
aéroports de Bruxelles (2004) et de Copenhague (2005) au bénéfice de Macquarie. Cette évolution
marque à la fois l’intérêt de groupes extérieurs au secteur pour les opérateurs aéroportuaires, ainsi
qu’une troisième étape dans la diversification des activités des opérateurs aéroportuaires eux-
mêmes comme le montrent les stratégies développées par les principaux opérateurs européens.

Des négociations sous tension.
L’offre de reprise de l'opérateur britannique par le groupe espagnol survient donc à la jonction
d'une stratégie de croissance exogène de Grupo Ferrovial et du succès du modèle industriel de
BAA plc. L’annonce de Ferrovial, le 8 février 2006, selon laquelle l’entreprise de construction
déclare examiner une offre d'achat sur BAA prend les marchés par surprise et sans doute
également la direction de l'opérateur aéroportuaire. Quelques jours auparavant, l’opérateur avait
lancé un emprunt obligataire de 1,9 G£ afin de financer son programme d’investissements. Comme

6
  Au bénéfice d'une firme indienne de construction associée à Fraport (Francfort) pour Dehli et d'une autre
firme indienne associée à un opérateur Sud Africain pour Bombay.
9
le remarqua un journaliste du Financial Times dans son édition du 9 février 2006, "personne ne
considérait BAA comme une cible potentielle et les investisseurs étaient satisfaits d'acheter des
obligations" (I. Simensen, Financial Times 9 février 2006, p. 19). Dès la nouvelle connue, les
actions de BAA montent de 15% pour s'établir à 752 pence (voir annexe 4). Différentes
évaluations circulent ; il est question d'une valeur à 785 pence ce qui porte la capitalisation à
environ 8,5 G£. Les observateurs relèvent les différences de taille entre les deux protagonistes ; la
capitalisation de l'assaillant (6,23 G£)7 est bien plus petite que celle de la cible. Quelques formules
expriment le sentiment d'une opération osée : "La possibilité de cet achat fait penser au boa
constrictor qui tente d'avaler une vache" ou bien "it may be biting off more than it can chew" (FT,
10 février 2006). Avant de rendre compte du déroulement de cette opération, nous présenterons les
protagonistes et leurs conseils.

BAA est contrôlée par des fonds mutuels dont chacun ne détient jamais plus de 5% : Invesco
Perpetual 5%+, Schroder Asset Management 5%, Scottish Widow 3,1%, Threadneedle Asset
Management 2%. Leur participation dans l'opérateur aéroportuaire représente un investissement
parmi d'autres qu'ils vont chercher à maximiser. Ces fonds jouent un rôle considérable dans le
déroulement de l'offre déposée par Grupo Ferrovial en apportant leur soutien à la stratégie de
défense prônée par le président Marcus Agius, ancien président de la banque Lazard à Londres. Ce
dernier connaît parfaitement l'establishment financier et il est rompu aux manœuvres qui entourent
les opérations de fusions et acquisitions. BAA est conseillée par UBS et par NM Rothschild ; elle a
aussi l'appui de Goldman Sachs comme "defense adviser". Du côté de Ferrovial les choses sont
plus simples : la famille del Pino en contrôle 58% ; elle est conseillée par Citigroup, puis sera
appuyée par Macquarie Bank.

Le 18 mars Ferrovial fait une offre de 810 pence par action qui valorise le groupe à 8,75 milliards
de livres, soit 14,8 G£ en incluant la dette. En fait, le groupe de construction détient 60% d'un
consortium qui comprend la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP) et le GIC principal
fonds d'investissement du gouvernement de Singapour. Afin de favoriser l'acceptation de son
projet par l'autorité de régulation (CAA) le groupement s'engage à respecter le programme
d'investissement et à ne pas démanteler les aéroports de BAA pour financer l'opération. (FT 19
mars 2006).

Quelques jours plus tard, le comité des acquisitions (Takeover Panel) intervient pour introduire une
date limite pour cette transaction : l'offreur dispose d'un mois pour faire une offre définitive ou se
retirer, ce qui porte la limite des négociations au 24 avril 2006. La spéculation continue et le titre

7
    Capitalisation de 9 G€ avec une livre à 1,445 euros.
10
vaut alors 837 pence. Au milieu du mois d'avril, Goldman Sachs entre dans la transaction. La
banque de New York, associée à plusieurs acteurs financiers, fait une offre à 870 pence par action
qui valorise le groupe à 9,4 G£. A ce moment de la négociation, la valeur de BAA a augmenté d'un
tiers en partant du cours de bourse précédant l'annonce de Ferrovial (voir annexe 4). "Le defense
adviser" change de position pour devenir offreur. Le fait est inhabituel et ce comportement entraîne
une réaction de la banque elle-même, quelques semaines plus tard ; "Hank Paulson, chairman and
chief executive of Goldman Sachs issued an edict forbidding the bank from making unsolicited
bids if it uses its own money" (Lina Saigol, FT 7 juin, 2006).

La direction de BAA répond à ces offres par une fin de non recevoir : "the offer on the table does
not begin to reflect the true value of its assets" ; elle met en avant la valeur de son portefeuille
d'aéroports en Grande Bretagne et à l'étranger (FT 17 avril 2006). Ferrovial fait une nouvelle
proposition à la fin du mois de mai à 900 pence par action soit une valeur sans la dette de 9,73 G£.
La réponse reste invariable. Dans un document de défense la direction estime que BAA a une
valeur supérieure à 940 pence par action et la dernière offre à 900 pence " … still falls well short of
the true value of the company" (FT, 31 mai 2006, p. 20).

Les choses alors s'accélèrent ; les réunions se succèdent jusqu'à l'acte final. Comme le raconte Lina
Saigol qui a suivi les derniers instants de cette bataille pour le Financial Times, "no one in the City
of London can remember seeing anything like this" (FT 6 juin 2006). Selon le calendrier révisé par
le Takeover Panel, Ferrovial ne peut augmenter son offre après le lundi 5 juin à minuit ; Goldman
Sachs dispose de quelques jours supplémentaires. Deux heures avant la date buttoir, la banque
américaine fait une offre à 955 pence un quart. Ferrovial ne peut que sur enchérir ou se démettre.
Une demi-heure avant minuit elle soumet une nouvelle proposition de 950 pence un quart par
action et un paiement de dividende de 15 pence un quart par action. La direction de BAA l'accepte
trois minutes avant la limite. La direction et les principaux actionnaires ont accepté de vendre BAA
pour 10,3 G£ soit un coût total de 16,4 G£ en incluant la dette. En quatre mois depuis la première
annonce de Ferrovial, la valeur boursière a augmentée de plus de trois milliards de livres soit
presque 50%. Il reste au consortium vainqueur à financer l'opération et à prendre les commandes
du premier groupe privé d'aéroports.

Une illustration de la loi de Murphy.
Ce qui suit ressemble fort à une illustration de la loi de Murphy et de l'enchaînement des
dysfonctionnements. Immédiatement après l'acceptation de l'offre le 5 juin 2006 pour 10,3 G£
commencent les difficultés. Ferrovial doit négocier avec les détenteurs de l'emprunt obligataire de
BAA émis au début de l'année pour 1,9 G£ : les grands fonds de pension britanniques qui dominent
11
le marché en sterling. L’enjeu porte sur le prix de rachat avant le terme ; des fonds d'arbitrage ont
racheté une partie de cette dette et tous veulent en tirer le meilleur prix. Ces acteurs financiers
savent que Ferrovial doit obtenir un compromis pour ensuite pouvoir faire appel au marché pour
financer l'opération.

Une première tentative de maintien des actionnaires en place échoue. Il avait été envisagé de
monter une société ad-hoc cotée en bourse. Les actionnaires de départ reçoivent une partie du
paiement en cash, une autre en action de cette société qui est elle-même actionnaire de la cible.
Cette technique permet de réduire le coût de financement, mais, pour qu'elle soit possible, il faut
qu'un nombre assez grand d'actionnaires s'y rallient. Au début du mois de juillet deux actionnaires
importants vendent leurs titres, fermant ainsi la possibilité de recourir à cette option. Il ne reste plus
que le rachat total, plus coûteux (FT, 2 juillet 2006).

Suivent d'autres événements plus connus du grand public. La mise en route d'un nouveau terminal
à Heathrow pendant l'été 2006 se passe mal ; de nombreux incidents dans le système de livraison
des bagages entraînent des retards considérables qui se répercutent sur la ponctualité de nombreux
vols. L'affaire devient publique ; la télévision, la presse écrite s'en saisissent, mettant directement
en cause BAA et la qualité des services offerts aux différents utilisateurs de ses plates-formes
(passagers, compagnies aériennes, etc.). L’opérateur est accusé de privilégier le développement des
activités commerciales sur la plate-forme, au détriment de l’accueil des passagers. De manière plus
confidentielle, le système de régulation en vigueur pour les aéroports londoniens, et en particulier
la capacité de la CAA à impulser, par le biais de la fixation des tarifs, la modernisation des services
fournis par cet opérateur sont à nouveau mis en doute (Toms, 2007). Ces problèmes sont à
l’origine de tensions dans les relations entre Ferrovial et la direction de BAA. Le groupe espagnol
avait opté dans un premier temps pour une solution visant à garder la direction en l’état, y compris
Marcus Agius le président dont l'opiniâtreté et les manœuvres lui avait pourtant coûté si cher ! (FT
14 juillet 2006). Ces bonnes intentions ne résistent pas aux incidents répétés de l'été : plusieurs
dirigeants démissionnent à l'automne.

Dans un autre registre, le plan de financement par la dette est mis en difficulté par la crise
financière de l'été 2007 et le retournement de conjoncture. La crise a un impact sur le cash flow de
Ferrovial ; ses autres activités dans la construction et les autoroutes enregistrent des baisses. Le
groupe doit céder des actifs "non core" ; il réduit sa participation dans le consortium de contrôle de
BAA. Le financement de l'opération prend plus de temps que prévu. Un plan complexe finira par
être mis sur pied en août 2008.
12
Enfin, les autorités britanniques envisagent de changer les règles d'organisation du secteur des
aéroports. Les difficultés de l'été 2006 dans les aéroports londoniens tout comme la forte hausse
des tarifs payés par les compagnies aériennes, décidée par la CAA pour les années 2008-13,
donnent des arguments aux opposants du monopole de BAA. Les usagers expriment leur
mécontentement et le font savoir aux élus, contribuant à justifier la saisine de ce dossier par l’OFT
sans que la CAA ne parvienne à s’interposer, comme cela avait été le cas lors des précédentes
tentatives (Toms, 2007). A ceci s’ajoutent les mises en cause réitérées de la pertinence du maintien
de la liste établie par le Airports Act de 1986 : l’opérateur aéroportuaire de Manchester demande à
être soumis au régime général de tarification, ou à un traitement distinct des aéroports londoniens,
plusieurs observateurs s’interrogent sur l’opportunité d’inscrire l’aéroport de Londres Luton sur
cette liste. British Airways et Ryanair se déclarent également en faveur d’un éclatement du
monopole. Loin d’être un enjeu récent, la réforme des règles d’organisation du secteur des
aéroports constitue un serpent de mer de la politique britannique du transport aérien, évoquée lors
de la création de BAA, avant la privatisation et quelques années plus tard. A chaque fois, les
autorités ont suivi les recommandations de la CAA et répondu qu'une entreprise unique était
préférable à une séparation des aéroports (Foryth et Niemeier, 2008). Ainsi, l’achat de BAA par
Grupo Ferrovial ne suscite pas de débat liés à la nationalité de l’acquéreur, mais justifie la mise à
l’agenda du monopole exercé sur les aéroports londoniens, signant ainsi une nouvelle étape dans
l’autonomisation de l’opérateur face au Gouvernement britannique. L’OFT engage une enquête à
l'automne 2006, qui conclut à la nécessité d’engager une investigation approfondie par la
commission de la concurrence (FT 23-24 septembre 2006).

La combinaison de ces différents facteurs (la crise, les tensions avec la direction de BAA, et
l’enquête de la commission de la concurrence) accroissent les difficultés de Ferrovial. La crise se
fait en effet sentir sur les comptes de BAA. L’opérateur affiche un résultat avant impôt négatif en
2007 (- 408 M£) suivi par un autre bien plus détérioré pour 2008 (-1,3 G£). Le coût de la dette et la
baisse du trafic aérien, qui touche l’ensemble des aéroports mondiaux (voir Annexe 1) pèsent sur la
situation de l’opérateur et sur ses projets d’investissements (FT 26 février 2009). La commission
de la concurrence publie un rapport préliminaire en août 2008 qui recommande la vente de
plusieurs aéroports. Dans sa décision finale, rendue public en mars 2009, la commission de la
concurrence donne deux ans à BAA pour vendre les aéroports londoniens de Gatwick et de
Stanted, ainsi qu’un aéroport écossais, à choisir entre Glasgow ou Edimbourg. A défaut de
respecter ce délai, la commission nommerait un exécuteur qui procéderait à la vente. La direction
de Ferrovial se trouve mise sous tension.
13
Les observateurs ne s'y trompent pas : Kevin Done qui suit ce dossier pour le Financial Time
évoque "the most draconian corporate divestiture ever demanded by the Competition
Commission". Un directeur de KPMG déclare "it is a harsh decision which couldn't come at a
worse time for BAA. To complete the sale of three airports within two years as the Commission has
ordered will be difficult, particularly in the current environment with little or no debt around and
air passenger numbers falling. Valuation will be tricky." (FT 20 mars 2009, p. 18). BAA peut
rapidement mesurer la difficulté de l'exercice imposé. Anticipant sur la décision de la commission
le groupe a mis en vente l'aéroport de Gatwick à l'automne 2008. Il lui faudra plus d'un an pour
parvenir à un accord et en acceptant une baisse d'environ 25%. Après plusieurs rebondissements,
l'offre de trois consortia, des retraits et des retours dans la transaction, la vente se fait, en octobre
2009, au bénéfice de Global Infrastructure Partners pour 1,5 G£. GIP est une association de Crédit
Suisse et de General Electric, formée en 2006, et déjà présente dans le secteur des aéroports
londoniens, puisque GIP possède en partie l’aéroport London City. Ferrovial passe une charge de
142 M€ dans ses comptes pour enregistrer la moins value comptable (FT 22 octobre 2009).

La pression est forte. En mars 2010, le groupe espagnol doit rembourser 1G£ de dette (Les Echos,
9 & 10 octobre 2009). Pour la troisième année consécutive, en 2009, BAA affiche des pertes (- 935
M€) dues pour une bonne part à la vente de Gatwick. S'il y a baisse globale du trafic l'aéroport
d'Heathrow résiste assez bien (-1,5%). Ces difficultés ont un impact sur Ferrovial qui possède 56%
de BAA. Son résultat brut d'exploitation (ebitda) baisse pour s'établir à 2,5 G€, pour un chiffre
d'affaires de 12 G€ en baisse de 8%, et une dette nette en hausse à 23,3 G€ soit plus de 9 fois le
résultat brut (FT 23 Février 2010).

Enseignements.
Cette histoire n'est pas finie : nous ne savons pas comment Ferrovial sortira de cette zone de
turbulences si la crise du marché immobilier espagnol devait se poursuivre et si ses activités de
concessions continuent sur une tendance baissière. Reste qu'il y a gros temps sur la maison del
Pino. Ceci étant plusieurs questions méritent d'être posées

Que signifie la notion de cadre institutionnel stable ? Le monopole de BAA est très ancien ; il a
fonctionné alors que la firme était soit sous un statut public (1965-1987) soit sous un statut privé
(depuis 1987). La question de sa mise en cause au bénéfice d'un structure démembrée a bien été
étudiée à plusieurs reprises dans les années récentes (1991, 1999) mais à chaque fois la réponse du
gouvernement conduisit au maintien du monopole et d’un régime spécifique de régulation des trois
aéroports londoniens et de Manchester. Encore en 2002, la question fut évoquée à travers la
question technique de l'unité budgétaire : "single ou dual till basis". Après une étude faite par des
14
économistes – Starkie et Yarrow, 2000 – la Commission de la concurrence trancha en faveur d'une
politique tarifaire sur une seule unité (Foryth et Niemeier, 2008, p. 5). Donc pourquoi avoir
attendu quelques mois après la vente de la firme britannique à un groupe espagnol et ses associés
pour instruire la remise en cause de ce monopole ? Pourquoi cette hypothèse n'a-t-elle jamais été
évoquée pendant les mois tumultueux de la transaction ? Nous n'avons trouvé aucune mention de
cette possibilité dans la presse économique. Or il est évident que la valeur énorme atteinte par
BAA ne pouvait se justifier qu'à périmètre constant. Ici il y a une relation directe entre les
politiques publiques et la valeur des actifs privés. Ce changement des règles, une fois accroché
l'acheteur, correspond à une nouvelle forme de risques. Les travaux d'économie des infrastructures
acceptent de prendre en compte le coût des risques politiques dans les pays émergents. Ce cas
démontre que le problème se pose tout autant dans des pays où le cadre institutionnel est de qualité.
L'action sur les règles y devient une modalité de la concurrence intra firmes.

Réévaluer la notion de « fair competition » ? Une partie importante de ce dossier s'est joué aussi
dans une négociation qui ressemble à bien des égards à un grand marchandage, dans lequel des
institutions publiques ont contribué au résultat. Si Ferrovial avait acquis BAA autour de 9 milliards
de livres, soit environ 835 pence on aurait sans doute été autour plus près de la valeur ; Ferrovial
serait dans une meilleure situation et pourrait plus facilement conduire son programme
d'investissement dans les aéroports britanniques, qui opérationnalise, rappelons-le, les objectifs à
moyen terme fixés par le Gouvernement britannique dans son Livre blanc de 2003. Il ne faut pas
perdre de vue que si les ressources correspondent à une donnée finie, l'unité marginale qui est
allouée en dernier ressort aux actionnaires n'est plus disponible pour moderniser l'actif ou
rémunérer les salariés. Ici la question de l'optimum fait sens. Ce cas illustre que cet état d'équilibre
fonctionne mal si un groupe d'acteurs surpuissants fonctionne avec pour seul objectif la
maximisation immédiate.

Quel est le rôle de l'industrie de la finance et du conseil dans l'élaboration de la stratégie? Dans
l'évaluation? Goldman Sachs est d'abord intervenue comme conseil de BAA, puis devient acheteur
concurrent de Ferrovial. Si l'on examine cette transaction comme un jeu il ressort que l'organisation
du jeu a créé une situation dans laquelle Ferrovial ne pouvait avoir la main : i) le comité des
acquisitions (Takeover Panel) en fixant un délai d'un mois, après la première offre, plaçait l'offreur
sous tension et d'autant qu'après cette décision il ne restait plus que trois semaines ; ii) ensuite le
changement de rôle de Goldman Sachs a totalement modifié la donne. Etant rentrée dans cette
transaction comme défenseur de la cible la banque avait accès à de nombreuses informations. Elle
a ensuite formulé ses deux offres à des moments qui laissaient le minimum de marge de manœuvre
à Ferrovial. La première intervient vers le 15 mai, soit une semaine avant la date limite initialement
15
fixée par le comité des acquisitions; la seconde est formulée deux heures avant l'expiration du délai
final. Donc le comportement de la banque a contribué à faire monter la valeur de BAA et à placer
Ferrovial dans une situation de choix binaire : quitter ou surenchérir. Les commentateurs après
l'accord soulignent que le président de BAA, Marcus Agius, a parfaitement su exploiter la menace
potentielle de Goldman Sachs pour faire monter les offres et ce d'autant plus que l'offre de
Goldman Sachs "ne fut jamais faite formellement" (P.T Larsen, Man in the news, Marcus Agius,
FT 11 juin 2006). La banque semble bien avoir joué le rôle du lièvre pour le bénéfice d'autres
acteurs de l'industrie financière.

Par ailleurs, l’entrée en lice de la banque introduit dans le processus un mode de valorisation de
l'industrie financière par « la somme des parties ». En partant des valeurs de marché de chaque
partie de BAA, calculées à partir des dernières transactions réalisées lors de la privatisation
d’opérateurs aéroportuaires publics (Budapest, Bruxelles etc…) il est possible de valoriser BAA
plc à 10 milliards de livres. Pour la banque, ce type de calcul fait sens car cela ne lui pose pas de
problème de faire suivre l’achat global par une série de ventes des différents aéroports qui forment
BAA, et en particulier, du système aéroportuaire londonien. Autrement dit, en calculant en
"somme des parties" la valeur se trouve poussée à son maximum, tandis que le financement de
l'acquisition conduit à vendre les parties. Le mécanisme de calcul et la vision de la firme portés par
l'industrie financière pendant la transaction créent donc son marché pour la suite. Elle va pouvoir
organiser la vente des parties et œuvrer à séparer industriellement des services qui étaient réunis
sous la houlette de BAA. En revanche, la question se pose différemment pour un acquéreur qui
recherche des économies d’envergure et des synergies entre les différentes parties. Comme le
relève dès 2008 une directrice de KPMG « there will be enormous structural difficulties (involving
technology, property, data, people contractors, services providers, pensions, etc..) in separation.
Managing these whilst continuing to operate the airports will not be straightforward » (FT
September 18, 2008, p. 24. Les travaux d’économie sur les infrastructures ont souvent souligné les
risques liés aux firmes intégrées. Leur critique s’adressait avant tout aux grands opérateurs de
réseaux capables de réunir ingénierie, travaux et gestion ; la situation créée par la montée en
puissance de l’industrie financière aboutit à une autre forme d’intégration – évaluateur, opérateur et
démanteleur – toute aussi puissante mais aux effets bien plus désintégrateurs.
16
Annexes

Annexe 1. Classement des aéroports mondiaux (en millions de passagers).

              2000                                 2008                      2009 (résultats provisoires)
Rang Ville                Total     Rang     Ville              Total     Rang Ville              Total
     (aéroport)                              (aéroport)                         (aéroport)
 1   Atlanta              80,1      1        Atlanta            90        1     Atlanta           88
  2     Chicago O’hare 72,1         2        Chicago O’hare 69,3          2       Londres         66
                                                                                  Heathrow
  3     Los Angeles       66,4      3        Londres            67        3       Beijing         65,3
                                             Heathrow
  4     Londres           64,6      4        Tokyo Haneda       66,7      4       Chicago         64,4
        Heathrow                                                                  O’hare
  5     Dallas/Fort       60,7      5        Paris CDG          60,8      5       Tokyo           61,9
        Worth                                                                     Haneda
  6     Tokyo Haneda      56,4      6        Los Angeles        59,4      6       Paris CDG       57,9
  7     Francfort         49,4      7        Dallas/Fort        57        7       Los Angeles     56,5
                                             Worth
  8     Paris CDG         48,2      8        Beijing            55,9      8       Dallas/Fort     56
                                                                                  Worth
  9     San Francisco     41        9        Francfort          53,4      9       Francfort       50,9
 10     Amsterdam         39,6      10       Denver             51,2      10      Denver          50,2
Source : Airport Council International / Data centre.

Annexe 2. L'activité de Ferrovial

                                              2001              2004             2007 (b)
Construction                                  81,0% (a)         48,3%            36,0%
Concessions                                   8,2%              8,2%             33,0%
Services (urbains et à l'industrie)           5,1%              33,1%            31,0%
Immobilier                                    8,8%              10,3%            ---
Total                                         4,24 G€           7,42 G€          14,63 G€

(a) chiffres qui doivent être corrigés des échanges intra groupe
(b) Comas, 2008, p. 8. Activité qui intègre la reprise de BAA en juin 2006
17
Annexe 3. Les aéroports britanniques

Annexe 3a. Propriété des aéroports britanniques en 2007

Propriétaire                     aéroport (rang)                          chiffre d'affaires 2005-06
                                                                          (en millions de livres)
BAA-Ferrovial                              Heathrow (1)                              1 195
                                            Gatwick (2)                               361
                                            Stansted (4)                              176
                                            Glasgow (6)                               83
                                           Edimbourg (7)                              77
                                           Aberdeen (14)                              34
                                         Southampton (18)                             22
Metropolitan Council                       Manchester (3)                             290
                                       Nottingham East (10)                           56
M. Council-Macquarie                      Birmingham (5)                              111
ACS-Abertis                              London Luton (8)                             77
                                      Belfast International (15)                      22
                                            Cardiff (17)                              22
Macquarie-Copenhague                       Newcastle (9)                              51
Ferrovial-Macquarie                          Bristol (12)                             50
Ferrovial                                   Belfast City
Source : Starkie, 2008, pp. 22-26.

Annexe 3b. Classement des aéroports britanniques, en millions de passagers

                  1990                      2000                       2007                     2009
Rang Ville               Total    Ville            Total    Ville             Total   Ville            Total
     (aéroport)                   (aéroport)                (aéroport)                (aéroport)
 1   Londres              42,6    Londres          64,3     Londres           67,8    Londres          65,9
     Heathrow                     Heathrow                  Heathrow                  Heathrow
 2   Londres               21     Londres          31,9     Londres           35,2    Londres          32,4
     Gatwick                      Gatwick                   Gatwick                   Gatwick
 3   Manchester           10,1    Manchester       18,4     Londres           23,8    Londres          19,9
                                                            Stansted                  Stansted
  4     Glasgow           4,3     Londres          11,9     Manchester        21,9    Manchester       18,6
                                  Stansted
  5     Birmingham        3,5     Birmingham       7,5      Londres           9,9     Londres          9,1
                                                            Luton                     Luton
  6     Londres           2,7     Glasgow          6,9      Birmingham        9,1     Birmingham       9,09
        Luton
  7     Edimbourg         2,5     Londres          6,2      Edimbourg         9       Edimbourg        9,04
                                  Luton
  8     Belfast Int.      2,3     Edimbourg        5,5      Glasgow           8,7     Glasgow          7,2
  9     Aberdeen          1,9     Newcastle        3,5      Bristol           5,9     Bristol          5,6
 10     Newcastle         1,5     Belfast Int.     3,1      Newcastle         5,6     Liverpool        4,9
Total Total UK           102,3    Total UK         180      Total UK          240,7   Total UK         218,1
Source : UK Airport Statistics, CAA : http://www.caa.co.uk/
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Annexe 4. Synthèse : le déroulement de l'offre de Ferrovial pour BAA.

            Evénement                    Date (a)      valeur du titre capitalisation    valeur avec
                                                                                            dette
      Valeur en bourse        année 2005                 570p-650p        7 G£(b)
Annonce d'une offre Ferrovial   09-02-                     752p           8,1 G£
                                 2006
  Estimation des analystes                                 785p           8,4 G£          14 G£ (c)
     Offre de Ferrovial        19-03-06                    810p           8,75 G£          14,8 G£
 Décision Takeover Panel :     23-03-06                  837 pence        9,05 G£
 Ferrovial a 1 mois pour faire
     une offre / se retirer
  Offre de Goldman Sachs                 17-04-06             870p         9,4 G£
Réponse BAA (management) :
"the offer on the table does not
begin to reflect the true value of
            its assets"
 Nouvelle offre de Ferrovial             31-05-06             900p        9,73 G£
 Réponse BAA (directeur) :
"It still falls well short of the true
       value of the company"
 Décision Takeover Panel :
    extension date butoir
Offre finale de Goldman Sachs            07-6-06         955p 1/4
   Offre finale de Ferrovial             07-6-06       950p 1/4 +15p      10,3 G£       14,4 G£ (d) de
                                                                                          dividende
Source : Archives du Financial Times pour la période

(a) Date enregistrée à partir du quotidien Financial Times donc l'événement survient J-1.
(b) 1£ = 1,445 €
(c) A l'époque Ferrovial a une capitalisation de 9 G€ soit 6,23 G£
(d) Soit une valeur totale, dette incluse, de 23,6 G€
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Bibliographie

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