POURQUOI LE COUT DES JEUX OLYMPIQUES EST-IL TOUJOURS SOUS-ESTIME? LA "MALEDICTION DU VAINQUEUR DE

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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
    POURQUOI LE COUT DES JEUX OLYMPIQUES EST-IL TOUJOURS
       SOUS-ESTIME? LA «MALEDICTION DU VAINQUEUR DE
                 L’ENCHERE» (WINNER’S CURSE)

                                                                     WLADIMIR ANDREFF1
                                Professeur émérite à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne
     Président d’honneur de la International Association of Sport Economists et de la European
                                                                Sports Economics Associaition
     Membre d’honneur de la European Association for Comparative Economic Studies, ancien
                      président de l’Association Française de Science Economique (2007-08).

                                                                  Fecha recepción: junio de 2012
                                                               Fecha aceptación: octubre de 2012

JEL: L83.

INTRODUCTION

Une question récurrente se pose aux villes candidates à accueillir et à organiser les
Jeux Olympiques (J.O.). Pourquoi les promesses affichées pendant la candidature
en matière d’impact économique et/ou de bénéfice social finissent-elles pratiquement
toujours par ne pas être tenues ou pas au niveau annoncé? Et donc pourquoi à
l’euphorie initiale d’une candidature olympique succède une déception post-
olympique quand ce n’est pas un déficit à payer par les contribuables? Pendant 30
ans après les J.O. de Montréal, 24 ans après les J.O. d’hiver de Grenoble et ainsi de
suite.

Une notion connue dans de la théorie des enchères, «la malédiction du vainqueur de
l’enchère» (en anglais: winner’s curse) fournit une explication assez convaincante
des causes profondes de la déception du gagnant de l’enchère due à des coûts plus
élevés qu’initialement prévu. Cet écart entre coûts anticipés ex ante et coûts
observés ex post est inhérent au processus d’enchères lui-même. Il faut donc étudier
le processus de candidature d’une ville et d’attribution des J.O. en présence d’autres
candidats2, i.e. le processus de sélection de l’un des candidats par un organisme
central mondial, le Comité International Olympique (CIO). Parmi les trois variantes de
la winner’s curse existant dans la littérature, on retient ici celle qui s’applique à la
sélection d’un projet (d’une ville) par un décideur centralisé et bureaucratique,
autrement dit à l’aide d’un processus de sélection non marchand. Le CIO est un

1
  Une version un peu différente de ce texte a été présentée au Séminaire DESPORT qui s’est tenu à
l’Université Pierre Mendès France de Grenoble le 8 avril 2011. Une troisième version plus courte
existe en anglais (Andreff, 2012).
2
  Une condition de réalisation de la winner’s curse est qu’il y ait plus d’un candidat à l’attribution face à
la situation de monopole du CIO décrite ci-après. S’il n’y avait qu’une seule ville candidate pour
chaque édition des J.O., on serait en situation de monopole bilatéral non marchand dans laquelle on
sait, depuis Edgeworth (diagramme de), que l’issue des négociations et la transaction seraient
strictement déterminées par les rapports de force bruts (pouvoir de marchandage) respectifs du CIO
et de la ville candidate unique.
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
organisme mondial d’allocation d’évènements sportifs mondiaux, les J.O., car même
si les rivalités en son sein sont très réelles, elles ne sont pas de l’ordre de la
concurrence sur un marché. A proprement parler, le CIO ne vend pas l’organisation
d’un évènement sportif sur un véritable marché où se forme un prix.L’analyse
présentée dans cet article s’applique certainement à d’autres évènements sportifs
mondiaux tels le Mondial de football, les championnats et les coupes du monde des
différents sports et, par extension, certains évènements sportifs internationaux plus
régionaux (Euro de football, etc.) Dans ce premier travail sur la winner’s curse, on
concentre l’attention sur les J.O.

On définit les séquences temporelles suivantes. En t-3, la ville envisage de se lancer
dans la course à l’attribution des Jeux. En t-2, elle se porte candidate, en t-1 les Jeux
lui sont attribués par le CIO, en t se situe la cérémonie d’ouverture des Jeux, en t+1
survient la cérémonie de clôture des Jeux, en t+2 prend fin l’habituelle récession
économique post-olympique après le «boom» qui atteint son maximum pendant le
déroulement des Jeux, en t+3 on date la fin de tous les effets économiques et
sociaux des Jeux, fin des paiements du déficit par les contribuables et/ou fin des
bénéfices tirés par les habitants des infrastructures non sportives créées à l’occasion
des Jeux. D’où :
• t-3 à t-2 : phase de préparation à la candidature; pour simplifier, on fait
    l’hypothèse qu’elle ne comporte aucun coût, même si parfois est déjà réalisée
    une étude d’impact;
• t-2 à t-1 : phase de candidature; elle comporte des coûts encore limités,
    notamment une étude d’impact ou plus rarement une analyse coût/avantage de
    l’accueil des Jeux, avant que l’attribution ne soit pas prononcée; on néglige ces
    coûts dans la suite;
• t-1 à t: phase d’investissement et d’organisation des Jeux où sont réalisées la
    plupart des dépenses olympiques ainsi que des investissements en équipements
    sportifs et en infrastructures non sportives, le plus souvent avec des révisions en
    hausse; ce sont les coûts majeurs que nous prenons en compte;
• t à t+1 : phase de déroulement des Jeux où se concrétisent l’essentiel des
    revenus tangibles tirés des Jeux (et parfois encore quelques surcoûts inattendus);
• t+1 à t+2 : la fin des Jeux entraîne un ralentissement de l’activité économique
    locale (récession post-olympique), qui peut durer de quelques mois à un an, en
    dépit de quelques revenus post-olympiques tangibles (tourisme post-olympique
    sur les sites olympiques) et d’effets intangibles (bénéfices et coûts sociaux);
• t+2 à t+3 : effets à long terme tangibles (couverture du déficit, usage et entretien
    des équipements sportifs et non sportifs) et intangibles (satisfaction de la
    population locale, amélioration de l’image de la ville, meilleur climat social, autres
    bénéfices sociaux et coûts sociaux)3.

A de rares exceptions près, aucune étude d’impact économique ou incluant les
coûts/bénéfices sociaux n’est réalisée ex post, après t+1, pour la plupart des
évènements sportifs mondiaux, notamment les J.O. Les analyses coûts/avantages
(au sens de bénéfices sociaux) sont assez rares pour l’instant car elles donnent en
général une image beaucoup moins favorable des effets économiques des
évènements sportifs. Pour l’un des rares évènements sportifs mondiaux où l’on

3
  A part t à t+1 qui dure 15 jours et t+1 à t+2 qui dépasse rarement un an, chacune des autres
séquences s’étend sur plusieurs années.
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
dispose d’une étude d’impact ex ante à la méthodologie peu explicitée (ESSEC,
2007), d’une étude d’impact ex post à méthodologie rigoureuse et élaborée, puis
d’un bilan coûts/avantages ex post (Barget & Gouguet, 2010): l’accueil de la Coupe
du Monde de rugby 2007 en France. On relève :
• impact économique ex ante : 8 milliards €,
• impact économique ex post : 539 millions €,
• bénéfice social net (avantages moins coûts) : 113 millions €.

Les économistes soulignent à juste titre les erreurs et les biais que comportent les
études d’impact économique, en particulier les études ex ante, et privilégient
l’analyse avantages/coûts (Baade & Matheson, 2001; Barget & Gouguet, 2007 &
2010; Crompton, 1995; Johnson et al., 2001; Késenne, 2005; Matheson, 2009;
Porter, 1999; Walker & Mondello, 2007). Ils ont des doutes au sujet des retombées
économiques mirobolantes présentées aux médias et au public et réévaluent les
effets d’annonce en baisse avec une méthodologie plus rigoureuse. Un fort
scepticisme entoure les études d’impact économique des J.O. dans notre profession.
Cependant, aucun économiste n’a songé jusqu’à présent à expliquer la surestimation
des retombées économiques et la sous-estimation systématique des coûts des
évènements sportifs par la winner’s curse.

Les commentaires sceptiques des économistes sont rarement suivis d’effet, ni
entendus par les décideurs et les commanditaires qui, inlassablement, font réaliser
des études d’impact économique ex ante, spécialement entre t-2 et t-1. En effet, les
décideurs dans les villes candidates sont infiniment désireux d’obtenir une étude qui
démontre un impact économique positif de l’accueil des Jeux pour leur cité et sont
prêts à payer le prix fort à un prestigieux bureau d’études pour cela. Ce que sachant,
le bureau d’études fournira volontiers une étude majorant plus ou moins
artificiellement (ou méthodologiquement) l’impact positif réel à attendre, condition
pour obtenir à nouveau un contrat d’étude avec une prochaine ville candidate ici ou
là. En s’intéressant, à juste raison, à la faible qualité méthodologique des études
d’impact réalisées, les économistes touchent donc un point sensible, mais perçoivent
rarement une cause fondamentale de la sous-estimation systématique des coûts
(même avec la meilleure méthodologie du monde), car elle tient aux modalités du
processus de candidature puis d’attribution des évènements sportifs mondiaux qui,
en s’articulant, créent la winner’s curse dont l’existence garantit que les coûts réels
seront supérieurs aux coûts anticipés. Cet aspect peu étudié amène donc à travailler
sur la comparaison entre la phase de candidature et la phase
d’investissement/organisation des évènements sportifs mondiaux. Est-ce à dire que
les études d’impact sont totalement inutiles et les analyses coûts/avantages d’une
utilité très partielle? Puisque le seul résultat vraiment certain est connu d’avance: le
dépassement des coûts. Certainement pas, mais il faut savoir qu’elles sont l’un des
enjeux du processus de sélection des villes candidates en situation d’asymétrie
d’information, dont les villes cherchent à tirer parti vis-à-vis du CIO, mais dont elles
sont les premières «victimes maudites» lorsque l’évènement sportif mondial leur est
attribué.

Après avoir présenté brièvement trois variantes de la winner’s curse (1), puis avoir
adapté l’une d’elles au processus centralisé d’attribution des J.O. en situation
d’asymétrie d’information (2), on montre quels pourraient être des indicateurs
empiriques de l’existence de la winner’s curse, en insistant sur la difficulté à mobiliser
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
les informations nécessaires à renseigner ces indicateurs (3). On présente pour finir
quelques indices préliminaires laissant supposer l’existence d’une winner’s curse
dans les J.O. pour lesquels l’information a pu être mobilisée (4).

1. LA «MALEDICTION DU VAINQUEUR DE L’ENCHERE» : TROIS VARIANTES

Commençons par saisir à l’aide de brefs exemples l’enjeu de la «malédiction du
vainqueur de l’enchère» (winner’s curse). Lorsque Londres s’est vue attribuer les
J.O. 2012 en juillet 2005, son dossier de candidature promettait un coût de
réalisation du projet de 2,4 milliards £. Fin 2008, ce coût avait au moins quadruplé
(9.4 milliards £)4. Des articles de presse ont suggéré que les promoteurs de la
candidature de Londres ont délibérément sous-estimé la facture des J.O. pour les
obtenir et que cette facture a été volontairement minorée en négligeant la TVA (taxe
à la valeur ajoutée), le budget des Paralympiques et une partie des coûts de
sécurité. Le dossier de candidature ne mentionnait pas la création d’un nouveau
fonds en 2008 pour provisionner la hausse des coûts des J.O. La malédiction d’avoir
remporté les Jeux contre Paris 2012 (winner’s curse) s’abat depuis lors sur Londres
et ses habitants.5 Pour l’heure, le seul moyen de conclure que cela valait la peine
d’accueillir les J.O. 2012 à Londres a été de tenir compte de (supposés) effets
intangibles, telle la fierté nationale et locale d’avoir accueilli les Jeux, par la méthode
d’évaluation contingente donnant un consentement à payer positif des non résidents
à Londres (Walton et al., 2008). Pour les J.O. d’hiver de Sotchi, au moment où la ville
les a obtenu en juin 2007, elle annonçait un budget de 8,5 milliards $. Depuis lors, le
budget n’a cessé de croître. En août 2010, le budget était déjà à 12,8 milliards $ (une
hausse de 51% en 3 ans), soit environ le coût cumulé des Jeux de Nagano 1998,
Salt Lake City 2002 et Turin 2006 réunis.

Dans le même sens, lors de la clôture des J.O. de Montréal, les contribuables ont
découvert qu’ils auraient à payer des taxes locales spéciales pour couvrir le déficit et
ceci pendant 30 ans. Après le désastre financier de Montréal, le nombre de villes
candidates s’est réduit et il fut proclamé à partir de ceux de Los Angeles 2004 que,
désormais, «les Jeux paieront les Jeux». Le nombre des villes candidates est
remonté renforçant à nouveau la winner’s curse. Le nouveau slogan fut pris au pied
de la lettre aux J.O. d’Albertville 1992 qui se soldèrent néanmoins par un déficit6 de
285 millions F.

Un dernier aspect lié à la winner’s curse est que l’on ne parvient pas à bien expliquer
à l’aide de variables classiques (économiques, localisation, climat, etc.) le choix de la
ville candidate remportant l’enchère. Feddersen et al. (2008) ont modélisé la
probabilité d’une ville de gagner sa campagne de candidature à partir de l’échantillon

4
  Andrew Zimbalist m’a signalé avoir vu des chiffres allant jusqu’à 20 milliards $ en 2010.
5
  Au-delà de la winner’s curse, Londres 2012 doit aussi faire face à l’impact de la crise économique et
financière. Par exemple, un gros problème est de trouver à financer le village olympique qui devait
l’être par des sponsors privés, dont certains ont fait faillite entre temps, notamment Nortel (qui devait
apporter 45 millions €) mis en faillite en janvier 2009 (Andreff, 2009). Ce n’est pas ce fait exceptionnel
(crise) qui est étudié ici.
6
  Déficit annoncé quant à son existence, sinon son montant, dans une étude ex ante (Andreff, 1991).
Un tel effet d’annonce est très rare dans la littérature. Imaginez-vous aller dire au maire de Londres –
qui vous aurait payé une étude d’impact – qu’il vallait mieux laisser tomber sa candidature pour 2012
pour cause de futur déficit !
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
des 48 candidatures aux Jeux d’été de 1992 à 2002. Les deux variables qui sortent
les plus significatives de la régression statistique sont la distance entre les sites des
compétitions et le village olympique et la température locale, comme si le CIO ne se
préoccupait pas de la dimension économique et financière des Jeux. D’ailleurs, le
modèle explique à 100% les candidatures qui ont échoué et à 50% celles qui ont
abouti à l’obtention des Jeux. N’y aurait-il pas de la winner’s curse là dessous?

1.1. La malédiction du gagnant: “tu as payé trop cher pour ce que tu as
obtenu”

La notion de winner’s curse apparaît pour la première fois dans la littérature
économique en 1971 bien que la réalité du phénomène soit probablement très
antérieure en économie de marché et plus encore dans les économies centralement
planifiées (ECP). L’hypothèse fut d’abord avancée par Capen et al. (1971) pour
expliquer le faible retour sur investissement des entreprises qui ont remporté des
appels d’offres par enchères pour obtenir l’exploitation d’une source de gaz ou de
pétrole. L’impression est qu’elles ont payé le bail trop cher par rapport aux revenus à
attendre de l’exploitation (Gilley et al., 1986); en langage courant, “elles se sont fait
avoir” (traduction possible de “to be cursed”). Autrement dit, le prix issu de ce
processus d’enchères n’était pas le prix d’équilibre du marché. De même, les
enchères organisées pour prendre le contrôle de banques en faillite en économie de
marché débouchent souvent sur la winner’s curse (Gilberto & Varaiya, 1989).

A chaque fois il est observé que dans un processus d’enchère dont l’objet a une
valeur incertaine mais qui, en fin de compte (et d’enchère), est la même pour tous les
candidats, gagnant et perdants, le gagnant de l’enchère est celui qui a le plus
surestimé la valeur de l’objet et ainsi remporté l’enchère en surenchérissant sur tous
ses concurrents. Les participants à l’enchère ne sont pas conscients de cette
possibilité et «vraisemblablement se font avoir» (are likely to be cursed) ; c’est en
particulier le cas du gagnant de l’enchère qui “paie trop cher pour l’objet qu’il obtient”.
Ainsi quand la winner’s curse se concrétise, le gagnant de l’enchère est perdant d’un
point de vue financier: son ultime surenchère dépasse la valeur réelle de l’objet
remporté et sa firme perd de l’argent (Thaler, 1994). C’est un cas typique de
sélection adverse dont le résultat est que l’enchère produit un retour sur
investissement infranormal ou même négatif, contrairement à tous les
enseignements de la théorie du choix rationnel des investissements.

Un parallèle avec l’attribution des J.O. est possible. Le CIO, en lançant un appel à
candidature et en fixant des délais pour la réception puis l’évaluation de dossiers de
candidature, est dans une situation comparable à l’émetteur d’un appel d’offres pour
la concession d’un gisement gazier ou pétrolier. Personne ne connaît a priori la réelle
valeur marchande du fait d’être désigné comme ville d’accueil des J.O., pas même,
et surtout pas le CIO. Le problème du CIO est seulement de trouver une ville
désireuse d’accueillir les Jeux et de les organiser au mieux («au mieux disant» ex
ante); il a donc intérêt à la surenchère entre les villes candidates car il est
bénéficiaire de la winner’s curse. Les villes candidates sont dans les conditions
décrites ci-dessus: si elles veulent avoir la moindre chance d’obtenir les Jeux, elles

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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
ont tout intérêt à surenchérir sur les autres candidats jusqu’à la date7 de l’attribution
(du vote des membres du CIO). Si on fait l’hypothèse8 que le CIO choisit le meilleur
projet d’un point de vue économique pour lui, la ville qui remporte l’enchère «se fait
avoir»: elle paie très (trop) cher en investissement pour avoir les Jeux au plus grand
bénéfice du CIO qui obtient le projet le plus grandiose et, en tout cas, le plus coûteux
(mais qu’il ne paie pas à son coût). La sélection adverse a joué, on a presque
toujours les Jeux les plus chers possibles. Plus la ville candidate a minoré ses coûts
affichés pour l’emporter plus la winner’s curse se matérialise par des coûts plus
élevés par rapport à ceux anticipés lors de la candidature et plus le risque de déficit
de l’évènement sportif mondial est élevé.

1.2. La malédiction du gagnant: «se faire avoir sur les marchés financiers et de
l’occasion»

Quarante ans après l’article de Capen et al., la littérature sur la winner’s curse s’est
énormément développée pour une raison très simple: le concept a trouvé à
s’appliquer aux marchés financiers qui représentent aujourd’hui la quasi-totalité de
ses applications (Kagel & Levin, 2002). Ceci vaut en particulier pour la sous-
estimation du cours d’introduction en bourse d’une société par actions (Rock, 1986;
Levis, 1990), phénomène général, mais qui a été particulièrement remarqué au cours
des privatisations par ventes d’actifs sur les nouveaux marchés boursiers des
économies en transition post-communistes (Andreff, 2000, 2003 & 2005). Il en est de
même pour le prix sous-estimé résultant de différents types d’enchères: sous
scellées (fermées), à l’anglaise, au premier prix, à l’aveugle, ainsi que des jeux de
marchandage bilatéral. Il s’agit d’exemples très techniques et spécialisés, qu’on ne
peut transposer au cas des enchères entre villes candidates à l’accueil des J.O.

On peut aussi rencontrer la winner’s curse sur le marché des voitures d’occasion, la
valeur d’un «rossignol»9 (lemon) est en effet incertaine et inconnue des acheteurs
potentiels. Akerlof (1970) a montré que le marché conduit alors à une sélection
adverse en asymétrie d’information entre le vendeur qui sait exactement à quel point
son véhicule est un rossignol et l’acheteur qui ne peut le déceler. Il y a même un
exemple d’application de la winner’s curse au marché des joueurs professionnels de
baseball expérimentés qui bénéficient du statut de joueur autonome - free agent
(Cassing & Douglas, 1980) qui ne révèlent que leurs qualités, pas leurs défauts, à
leurs futurs employeurs. Contrairement aux joueurs nouveaux entrant sur la rookie
draft après évaluation par des experts, les joueurs autonomes sont, en quelque
sorte, des joueurs d’occasion qui se vendent eux-mêmes; les employeurs peuvent
dont «se faire avoir» sur leur valeur. Dans toutes ces situations, l’emporter contre
des concurrents qui poursuivent la même stratégie de surenchère implique de
surestimer la vraie valeur des actifs, des baux, des véhicules d’occasion ou du talent
des joueurs autonomes. Cette surestimation conditionne le fait de remporter
l’enchère: vous gagnez l’enchère et vous perdez de l’argent. Peu transposables à

7
  Le fait que la sélection des villes candidates se fasse désormais en deux étapes, d’abord entre
plusieurs villes d’un même pays, puis entre les «qualifiés» de quelques pays ne change rien à l’affaire;
ceci dédouble la winner’s curse et accentue son effet de minoration du coût affiché par rapport au coût
réel.
8
  Plus loin, on lève cette hypothèse en introduisant des facteurs moins économiques influençant la
décision du CIO tels le marchandage (bargaining), le lobbying et, éventuellement, la corruption.
9
  Véhicule d’occasion en mauvais état non immédiatement décelable.
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
l’attribution d’un évènement sportif par enchères, ces exemples ne seront pas
retenus dans ce qui suit.

1.3. La malédiction du gagnant lors de l’attribution de fonds d’investissement
centralisés

Dans le cadre du plan quinquennal des ECP, chaque année des fonds
d’investissement étaient alloués aux entreprises d’Etat lors d’enchères ouvertes par
l’administration centrale, afin qu’elles puissent réaliser leurs investissements. Ce
n’était évidemment pas un processus marchand, mais une sorte d’appel à soumettre
des projets, mis en rivalité, l’autorité centrale étant supposée attribuer les fonds aux
meilleurs projets.

En Yougoslavie jusqu’en 1956, l’Institut Fédéral de Planification ouvrait une enchère
pour les fonds d’investissement à allouer dans l’année, collectait des projets remis
par les entreprises autogérées et arbitrait en faveur des projets à la fois les plus
efficients et les plus conformes aux objectifs du plan (Neuberger, 1956). Les
entreprises porteuses de ces projets se voyaient répartir entre elles l’enveloppe
globale du fonds national d’investissement. En URSS, le fonds national
d’investissement était centralement réparti par le planificateur (Gosplan) entre les
ministères sectoriels (chacun ayant tutelle sur une branche de l’industrie) à charge
pour chacun d’eux d’allouer une fraction de son fonds d’investissement sectoriel
entre les entreprises placées sous sa tutelle. Le ministère annonçait le montant de
l’enveloppe globale de fonds à répartir et appelait les entreprises à soumettre les
meilleurs projets possibles, se réservant de sélectionner les plus efficaces (Dyker,
1983). Les critères d’efficacité utilisés en URSS jusqu’aux années 1960 étaient très
discutables du point de vue de la rationalité économique (Andreff, 1993). Après les
réformes des années 1960, les critères de choix des investissements se sont
rapprochés de ceux ayant cours pour les investissements des entreprises publiques
en économie de marché. Pour chaque projet d’investissement k, il convient de
calculer son bénéfice actualisé Bk (sa rentabilité sociale sur la durée de vie du
projet), soit :

                                          
                                                Rkt − C kt
                                  Bk =   ∑
                                         t =0   (1 + a )t
où Rkt désigne les revenus tirés de l’investissement pendant toute sa durée de vie
(de t = 0 à N), Ckt tous les coûts de l’investissement (Ckt = C0 + Ct + Cft, avec C0 le
coût de l’investissement initial, Ct le coût des tranches suivantes de l’investissement
dans le cas d’un investissement pluriannuel et Cft le coût de fonctionnement de
l’investissement pendant sa durée de vie) et a le taux d’actualisation choisi par le
planificateur. En présence de projets rivaux soumis par les entreprises, les
ministères sectoriels auraient dû normalement suivre la double règle de sélection:
• règle 1: choisir un projet k si et seulement si Bk 0 (pour tout k);
• règle 2 : en présence de n projets rentables, choisir le projet 1, puis 2, puis 3,
     etc., jusqu’à épuisement de l’enveloppe financière du fonds d’investissement si :
     B1 > B2 > B3 > … > Bn.

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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
Si cette enveloppe ne permettait de financer que les trois premiers projets, en
attribuant les fonds aux entreprises porteuses des projets 1, 2 et 3, le ministère les
aurait alloués de la façon la plus socialement rentable. Aucun biais de sélection
adverse. Pour chaque entreprise, une fois son fonds d’investissement reçu, la
réalisation de cet investissement (donc les coûts, les revenus et les productions
afférents) devenait la base de son plan annuel, à exécuter impérativement à l’époque
soviétique.

Dans la réalité, l’allocation des fonds d’investissement ne fonctionnait pas
exactement comme il vient d’être décrit théoriquement en raison d’une situation
d’asymétrie d’information. Chaque direction d’entreprise connaissait bien son
équipement, sa technologie, la qualité et la productivité de sa main-d’œuvre, sa
capacité de production et donc ses coûts réels et ses délais de réalisation possibles
d’un investissement moyennant l’allocation d’un montant de fonds donné. En
revanche, le ministère sectoriel n’en avait qu’une idée approximative, vague ou pas
d’idée du tout. Dans cette situation, afin d’augmenter ses chances de se voir allouer
des fonds d’investissement, chaque entreprise avait tout intérêt à ne pas révéler la
grandeur de ses variables internes susmentionnées (non transparence de
l’information créant un contexte d’aléa moral) et à «tricher»10 par rapport à la réalité
de ses coûts, de ses délais de réalisation et des revenus attendus de
l’investissement. Il est démontré que cette «tricherie» était systématique dans les
ECP (Kornaï, 1980; Dyker, 1983; Andreff, 1993) et prenait les formes suivantes:
• l’entreprise k déclarait dans son projet d’investissement envoyé au ministère un
     coût de réalisation – et de fonctionnement – de l’investissement ck et non pas le
     coût réel Ck, avec évidemment ck < Ck (pour tout k) afin d’augmenter ses
     chances d’obtenir des fonds du ministère;
• l’entreprise k annonçait un délai de réalisation extrêmement bref, très optimiste,
     voire totalement irréaliste; les économies soviétiques restent à tout jamais
     célèbres pour la permanence de leurs chantiers inachevés (investissements qui
     n’ont pas été réalisés dans les délais et n’ont pas ensuite reçu les rallonges de
     fonds d’investissement qui auraient permis d’achever ces chantiers) ;
• accessoirement l’entreprise k surestimait le retour à attendre de son
     investissement: rk > Rk ; . la conséquence évidente de la sous-estimation des
     coûts et de la surestimation des revenus anticipés est que la rentabilité sociale
     affichée par l’entreprise k pour son projet d’investissement était supérieure à sa
     rentabilité sociale réelle : bk > Bk.

Cette stratégie étant conduite par toutes les entreprises placées sous sa tutelle, le
ministère central se trouvait dans une situation de choix embarrassante, proche de
l’impossibilité de décider rationnellement. Cette situation d’indécision face à une
myriade de projets mirobolants poussait les ministères à gonfler leurs fonds
d’investissement en début de plan quinquennal (Bauer, 1978) et à engendrer un
cycle d’investissement typique des ECP, avec beaucoup moins de projets financés
en fin de plan quinquennal. Tous les projets soumis au ministère étaient mirobolants,
présentant une extraordinaire rentabilité sociale, à des coûts dérisoires et dont
l’achèvement était promis à très brève échéance. La règle de choix n°1 énoncée ci-
dessus n’éliminait aucun projet et la règle n° 2, appliquée dans la limite du fonds

10
   Pour faire bref et imagé. En termes académiques: biaiser, distordre et/ou manipuler l’information
transmise aux autorités de tutelle (ministères sectoriels).
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
d’investissement sectoriel disponible, éliminait des projets tout à fait extraordinaires
ou mirobolants (en apparence du moins). Cette situation engendrait inéluctablement
la sélection adverse de projets finalement peu efficaces ou inefficaces et donnait lieu
à des pratiques de marchandage, de lobbying, voire de corruption avérée de la part
des entreprises à l’égard des fonctionnaires du ministère chargés d’allouer les fonds
d’investissement.

Dans la mesure où les entreprises trichaient beaucoup plus par sous-estimation des
coûts et des délais que par surestimation de leurs objectifs de production et de
revenus, et pour simplifier, on raisonner ici seulement sur les coûts. En réponse à
son enchère, le ministère reçoit des projets tels que : c1 < c2 < c3 < … < ck <
… < cn. S’il choisit les trois premiers, il peut très bien avoir choisi les trois projets
les moins efficaces ou, du moins, il n’est pas certain du tout d’avoir choisi les trois les
plus efficaces. Imaginons d’abord que tous les projets ont en réalité exactement le
même coût effectif C*. Cela signifie tout simplement que c1 = C1 – C* est le projet
dont l’entreprise a le plus sous-estimé son coût affiché par rapport au coût réel, c2 =
C2 – C* est le deuxième projet le plus sous-estimé en coûts, et cn = Cn – C* est celui
dont le coût est le moins sous-estimé. C’est pourtant ce dernier projet qui n’a aucune
chance de recevoir des fonds pour sa réalisation alors que les premiers projets, les
plus probablement financés par le ministère, ont les coûts les plus sous-estimés et
sont donc les moins véritablement réalisables aux coûts et dans les délais affichés.
Sélection adverse.

Si on lève l’hypothèse que tous les projets ont un coût identique C*, mais ont des
coûts différents, tout dépend alors de la relation entre les coûts effectifs et les coûts
annoncés c1 < c2 < c3 < … < ck < … < cn, c’est-à-dire du degré de sous-
estimation des coûts propre à chaque projet. Imaginons que les coûts réels soient
tels que C1 < C2 < C3 < … < Ck < …Cn, alors le risque de sélection adverse est
difficile à préciser mais il est proche de son minimum. En revanche, le risque est
élevé de choisir des projets inefficaces si C1, C2 ou C3, les coûts réels sont tels que
B1, B2 et B3 < 0, malgré des b1, b2 et b3 > 0 affichés dans les réponses des
entreprises à l’enchère. Maintenant, si les coûts réels sont tels que Cn < … < Ck < …
< C3 < C2 < C1, la sélection adverse est à son maximum. Les projets choisis sont
systématiquement les plus inefficaces, mais affichés comme les meilleurs. Ceci
correspond à l’hypothèse où, plus une entreprise soumet à financement un projet
peu efficace et plus elle sous-estime (masque, triche) ses coûts réels. Cette
hypothèse était la plus réaliste dans l’économie soviétique, mais elle reste plausible
dans les économies de marché car les entreprises présentant des projets
d’investissement moins bons ont intérêt à tricher plus que les concurrents (à sous-
estimer plus qu’eux les coûts et les délais et à surestimer plus qu’eux les revenus
attendus du projet).

Ainsi, lorsqu’un organisme centralisé en situation de monopole d’allocation de fonds
utilise pour les attribuer à des candidats (entreprises) un processus d’enchère par
appel à projets rivaux, la sélection adverse est extrêmement probable. D’où la
winner’s curse. Le ministère «se fait avoir», il attribue les fonds d’investissement aux
projets les moins efficaces et il s’en apercevra lorsque les entreprises bénéficiaires
des fonds se révèleront incapables de réaliser leurs projets aux coûts et dans les
délais annoncés. D’une certaine façon, l’entreprise d’Etat bénéficiaire de l’allocation
des fonds «se fait avoir» aussi: en trichant, elle propose un projet irréalisable que, en
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
pratique, elle ne parviendra pas à réaliser dans les délais et aux coûts prévus (mais
intégrés dans son plan annuel). Dans le système soviétique, une entreprise ne
réalisant pas correctement son plan était passible de sanctions (suppressions des
primes, des décorations, blâmes, pire sous Staline). Pour les éviter, l’entreprise
complétait sa tricherie sur l’information par d’autres pratiques (Andreff, 1993), dites
«comportements stratégiques» dans la théorie économique standard.

En difficulté pour achever son plan annuel d’investissement dans les délais, une
entreprise cherchait à obtenir une rallonge au fonds d’investissement obtenu en
début d’année mais qui était insuffisant du fait de la sous-estimation des coûts et des
délais de réalisation du projet. Pour cela elle entamait un marchandage (bargaining)
avec son autorité de tutelle visant à obtenir une révision de son plan: rallonge de
fonds, attribution de moyens supplémentaires (inputs physiques, main-d’œuvre),
réduction en baisse des objectifs à réaliser y compris la construction partielle de son
projet, i.e. l’inachèvement du chantier d’investissement, et ainsi de suite. Les
grandes entreprises soviétiques avaient même mis au point une stratégie s’appuyant
sur des tolkatchis (littéralement des «pousseurs» de dossiers de demande de
moyens vers les ministères). Il s’agit d’employés de l’entreprise qui résidaient à
Moscou et démarchaient les ministères de tutelle pour demander des rallonges de
moyens et de fonds d’investissement et des révisions en baisse des objectifs
planifiés à réaliser. En un mot, la variante soviétique du lobbying. Devenu quasiment
une institution (informelle) de l’économie soviétique, le tolkatch était le sous-produit
direct de la winner’s curse. S’étant fait avoir, par sa propre stratégie de sous-
estimation des coûts, l’entreprise essayait par des pressions, ou en se rappelant à
l’attention des autorités centralisées, de se faire attribuer des moyens
supplémentaires de réaliser effectivement son projet d’investissement.

Les tolkatchis étaient en général dotés, par leur directeur d’entreprise, d’une caisse
noire leur permettant d’«acheter» les fonctionnaires des ministères en leur verser
des pots de vin (bribes) pour qu’ils satisfassent la demande de rallonge de moyens
de l’entreprise, pour qu’elle soit traitée avant celle des entreprises rivales (qui se sont
également «fait avoir» lors de l’enchère) et pour faire avancer son dossier de
demande quand il s’était perdu dans les méandres kafkaïens du ministère. En bref,
les entreprises corrompaient les fonctionnaires chargés de décider de l’attribution
des fonds nécessaires à réaliser leurs projets d’investissement.

Ainsi, une entreprise victime de la winner’s curse, face à un organe centralisé
d’attribution des fonds d’investissement est très fortement incitée à - ou souvent elle
n’a pas d’autre issue que de - marchander, faire pression et corrompre. Bargaining,
lobbying, bribery étaient devenus les maîtres mots des pratiques les plus courantes
du monde des affaires dans les ECP soviétiques. Elles pourraient bien être
devenues monnaie courante dans le processus de sélection parmi les villes
candidates à l’accueil des J.O. si la winner’s curse y était à l’œuvre.

2. LA PROCEDURE D’ATTRIBUTION CENTRALISEE DES J.O. EN ASYMETRIE
D’INFORMATION

L’analogie entre la winner’s curse qui affectait l’allocation des fonds d’investissement
en ECP et celle qui touche l’attribution des J.O. à une ville candidate n’est pas une
identité terme à terme. Le mécanisme de sélection parmi les villes candidates est un
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
processus d’enchère non marchand amorcé par un organisme centralisé, le CIO, qui
provoque pratiquement les mêmes effets. Notons dès le départ une différence. Dans
l’ECP, l’organe centralisé proposait des fonds pour réaliser une tâche, lançait un
appel d’offre à des projets candidats à ces fonds et, en fin d’enchère, attribuait des
fonds. Pour les J.O., le CIO annonce une tâche à réaliser, accueillir et organiser les
prochains Jeux, puis fait appel à des projets qui sont candidats non pas à des fonds
du CIO mais à réaliser un montage financier couvrant le coût des nombreux
investissements nécessaires pour l’accueil des J.O. et, en fin d’enchère, il attribue
les Jeux au projet affiché le plus intéressant. Le fait que ce ne soit pas des fonds qui
sont directement attribués par le CIO mais le statut de ville organisatrice des Jeux
n’élimine ni ne réduit le risque de winner’s curse. Ce risque est peut-être plus élevé
que dans les ECP car les enjeux, et donc l’incitation à tricher sur l’information, sont
sans commune mesure: pour une ville, obtenir les Jeux, c’est s’engager dans toute
une série d’investissements sur une durée de 5 à 7 ans, et bénéficier du label
«organisateur des J.O.» lui confère une capacité unique de mobiliser des fonds. Les
montants en jeu sont aussi sans commune mesure: on compte en milliards de dollars
pour l’organisation des J.O., on comptait en millions de roubles, parfois moins, pour
les investissements des entreprises en ECP.

Dans le processus d’enchère, le CIO est-il comparable à un planificateur central (ou
à un ministère sectoriel allouant des fonds)? Commençons par la version faible du
planificateur central déduite par Oskar Lange (1937) du modèle de commissaire
priseur de Walras. Ce dernier annonce un système de prix, les entreprises de
l’économie planifiée après avoir effectué leur calcul économique (maximisation du
profit sous contraintes de ressources) lui renvoient des quantités (de production et
d’inputs). Si les quantités demandées comme inputs ne s’égalisent pas aux
productions offertes, le planificateur révise les prix, les entreprises refont leurs
calculs et renvoient des quantités au planificateur central. Ces itérations se
poursuivent jusqu’à atteindre l’égalité des quantités offertes et demandées aux prix
d’équilibre11. L’enchère ouverte pour l’attribution des J.O. diffère de ce modèle parce
que le CIO n’émet aucun prix au départ. Ensuite, il ne cherche pas à réaliser un
équilibre général offre/demande et prix/quantités à la Walras.

Inversons le modèle précédent, ce qui serait une sorte de planificateur ‘Marshallien’
(au sens d’Alfred Marshall) qui fut naguère modélisé par Malinvaud (1956), Manove
(1971) et de façon plus opérationnelle pour la planification en Hongrie (Kornaï &
Liptak, 1965). Le principe est alors que le planificateur annonce des quantités à
produire et des inputs à allouer et demande aux entreprises de répondre par des
annonces de prix avec convergence vers l’équilibre après un certain nombre
d’itérations – théorème du point selle. On se rapproche ici du processus d’enchère
du CIO. Celui-ci envoie bien des quantités à produire, d’une certaine façon, à savoir
un assortiment déterminé (non négociable) d’équipements sportifs qui devront être
opérationnels à l’ouverture des Jeux. On y ajoute, même s’il ne s’agit pas de normes
quantitatives explicites, un certain nombre d’infrastructures non sportives: de
transport, de télécommunications, d’aménagement urbain, etc. En retour, le CIO
reçoit-il des prix en provenance des villes candidates? Pas vraiment, il reçoit des
dossiers de candidature qui comportent à la fois des quantités (équipements sportifs,
autres infrastructures) et des prix (coût de ces investissements et budget du comité

11
     Pour une modélisation du processus d’itération: Andreff (1993).
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Andreff, Wladimir. Pourquoi le cout des jeux olympiques est-il toujours sous-estime? la
«malediction du vainqueur de l’enchere» (winner’s curse).
local d’organisation des Jeux). Pour aller plus loin, il faut s’interroger sur les objectifs
respectifs du CIO et des villes candidates.

L’existence même du CIO est justifiée par quatre responsabilités ou objectifs, dont
l’un est explicitement d’élire tous les quatre ans une ville chargée d’organiser les
Jeux d’été et les Jeux d’hiver et de superviser ensuite son COJO – Comité (local)
d’organisation des Jeux Olympiques (Chappelet & Kübler-Mabbott, 2008). Cet
objectif correspond-il à une maximisation sous contrainte comme dans les modèles
de planification? Sous contrainte certainement: la contrainte est que la ville candidate
fournisse tous les équipements requis et s’engage sur un budget d’organisation, la
ville élue ne le sera qu’à cette condition minimale. Y a-t-il d’autres conditions qui
maximisent la fonction-objectif du CIO? Certainement la meilleure qualité possible
des Jeux, ce qui inclut une garantie de bon fonctionnement des compétitions (qualité
des équipements sportifs, distance sites des épreuves/village olympique, etc.), une
qualité d’accueil (village olympique, transport), de sécurité, d’animation (cérémonies
d’ouverture et de clôture), de médiatisation (qualité des télécommunications), et
aujourd’hui la qualité environnementale, selon les 20 chapitres que contient le
dossier de candidature. Si le CIO maximise quoique ce soit, c’est la qualité du projet
qui devrait laisser de chaque édition des Jeux une image grandiose, une couverture
médiatique sans précédent, un souvenir inoubliable et une marque indélébile dans le
paysage de la ville hôte. Pour obtenir le projet le plus grandiose et mirobolant, le CIO
a intérêt à laisser jouer la surenchère entre les villes candidates, voire à la susciter,
ce qu’il fit après la candidature unique de Los Angeles en 1984.

          Tableau 1: Coût ex ante comparé de la ville olympique sélectionnée
Jeux d'été 2012: coûts affichés
New York                Londres                 Madrid                   Paris
Total: 10,68M$          Total: 18,25M$          Total: 3,64M$            Total: 8,87M$
Investissement:7,59M$ Investiss.:15,79M$        Investissement:1,64M$    Investissement:6,21M$
Opération: 3,09M$       Opération: 2,46M$       Opération: 2M$           Opération: 2,66M$
Moscou
Total: 11,86M$
Investissement:10,07M$
Opération: 1,79M$
Jeux d'été 2016
Chicago                 Tokyo                   Madrid                   Rio de Janeiro
Total: 3,3M$            Total: 4,07M$           Total: 4,18M$            Total: 9,53M$
Investissement: 2,6M$   Investissement:2,11M$   Investissement: 2,35M$   Investiss.:7,6M$
Opération: 0,7M$        Opération: 1,96M$       Opération: 1,83M$        Opération: 1,93M$
Sources: presse.

Je n’ai pas mentionné volontairement le coût des Jeux comme l’un des arguments de
la fonction-objectif du CIO, au sens de projet le «mieux disant» ou de minimisation
des coûts. En premier lieu, il est plus que probable que ce n’est pas un critère décisif
dans le vote des 104 membres du CIO. En outre, un critère de coût minimal entre,
jusqu’à un certain point, en conflit avec la maximisation de la qualité mirifique des
Jeux. La meilleure preuve en est que le vote du CIO a beaucoup plus souvent
sélectionné le projet de candidature le plus cher et pratiquement jamais le moins
cher. Le Tableau 1 montre, pour Londres 2012 et Rio de Janeiro 2016, que le projet
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