Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales - OpenEdition Journals
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Géocarrefour 94/1 | 2020 Des lieux pour apprendre et des espaces à vivre : l’école et ses périphéries. Des places et des agencements Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales Practice CDI: CDI spaces as issues of social representations Morgane Govoreanu et Jessica Tillard Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/14636 DOI : 10.4000/geocarrefour.14636 ISSN : 1960-601X Éditeur Association des amis de la Revue de géographie de Lyon Référence électronique Morgane Govoreanu et Jessica Tillard, « Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales », Géocarrefour [En ligne], 94/1 | 2020, mis en ligne le 15 mars 2020, consulté le 28 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/14636 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/geocarrefour.14636 Ce document a été généré automatiquement le 28 mars 2020. © Géocarrefour
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 1 Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales Practice CDI: CDI spaces as issues of social representations Morgane Govoreanu et Jessica Tillard Introduction 1 La question des lieux pour apprendre et des espaces à vivre se pose particulièrement pour les CDI, centres de documentation et d’information en milieu scolaire. Le sujet est d’actualité entre la réforme du lycée qui en remodèle profondément la fonction et le redéploiement des heures de documentation1. Depuis les années 2000, nombre de rapports sont publiés en vue de transformer les CDI en Espaces de culture, documentation et Information (ECDI) (Fourgous, 2010), Learning Center (LC) (Jouguelet, 2009), centres de connaissances et de culture (3C) (Vademecum, mai 2012 ; circulaire de rentrée, 2012), BibliO-Lab (rapport Charvet, 2019), notamment en raison de l’influence des nouvelles technologies (Britan-Fournier, 1997). L’impact sur les activités des professeurs documentalistes (responsables des CDI) se traduit par exemple dans les séminaires des groupes de travail académiques en documentation par la place de plus en plus importante accordée à la thématique des aménagements spatiaux des CDI. Ces changements du métier sont encadrés par une nouvelle circulaire de missions (n° 2017-051)2 qui énonce les compétences spécifiques du professeur documentaliste : « un enseignant et maître d'œuvre de l'acquisition par tous les élèves d'une culture de l'information et des médias » [compétence didactique et pédagogique], « maître d'œuvre de l'organisation des ressources documentaires de l'établissement et de leur mise à disposition », « acteur de l'ouverture de l'établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel ». 2 Professeures documentalistes depuis quelques années, fortes de formations universitaires et d’expériences professionnelles diverses dans l’enseignement et la Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 2 recherche, en année de stage pour la validation du Certificat d'aptitude aux fonctions d'enseignement du privé (CAFEP) dans l’enseignement privé catholique sous contrat, c’est la prépondérance des questions spatiales au sein des CDI qui a retenu notre attention. Chacune a interrogé les représentations sociales de cet espace chez certaines catégories d’usagers dans des perspectives différentes au sein de deux mémoires de Master 2 Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF). D’un côté, il s’agissait de saisir les représentations sociales du métier à partir des pratiques spatiales des membres de la communauté éducative dans les CDI par l’observation et une enquête par questionnaires dans l’académie de Toulouse, d’autre part, de comprendre les représentations sociales des CDI et des professeurs documentalistes élaborées par les élèves à travers des dessins dans l’académie de Paris 3. Cet article est donc un exercice d’intertextualité dans lequel les résultats vont être discutés en regard de la problématique choisie. S’inscrivant dans les sciences de l’éducation, enrichie des savoirs de la géographie, de l’anthropologie et aidée de la méthodologie d’exploitation objective des données, l’analyse de contenu, cette étude va tenter de montrer dans quelle mesure les pratiques des espaces CDI révéleraient diverses représentations sociales des CDI et du métier de professeur documentaliste chez les élèves. Dans une perspective ethno-méthodologique et institutionnaliste, il s’agit de saisir comment les gens fabriquent les institutions au quotidien, soit l’institutionnalisation du social par le bas. 3 Ce thème se veut original d’abord parce qu’il reprend, pour l’analyser, l’association polémique des espaces CDI avec leur responsable, le professeur documentaliste, en s’inscrivant dans la continuité du travail d’O. Britan-Fournier (1997). Il s’agit de comprendre comment fonctionnent certains des mécanismes de cette association, autant dans les pratiques spatiales au sein des CDI que dans les représentations sociales élaborées dans et sur ces espaces scolaires particuliers. Ensuite, cette question sort des cadres prescriptifs de l’institution, décalant ainsi le regard habituellement pratique et formatif sur ce sujet. L’hypothèse principale défendue ici est double. D’une part, les élèves auraient une vision uniformisée autant des CDI que du métier de professeur documentaliste. D’autre part, les pratiques et les territorialités des professeurs documentalistes influenceraient les représentations sociales des élèves quant aux CDI. L’intérêt de cette étude réside notamment dans l’exploration des relations entre ces deux hypothèses générales. Nous cherchons à savoir s’il existe une corrélation entre les pratiques spatiales des professeurs documentalistes dans les CDI, les représentations sociales de leur métier et les représentations sociales des CDI. 4 Pour mener à bien cette recherche, nos postulats théoriques (PT) et méthodologiques (PM), ainsi que nos hypothèses générales (H1, H2) et secondaires (H4) ont été élaborés, le tout mis en perspective avec le dispositif d’analyse et d’éventuelles remarques (tabl. 1). Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 3 Tableau 1 : Hypothèses et dispositif d’analyse 5 Les objectifs généraux de ce travail visent d’abord à comprendre les représentations sociales des élèves concernant les CDI. Ensuite, il s’agit non seulement d’un enjeu théorique mais également d’un enjeu méthodologique : saisir les représentations sociales à partir des pratiques spatiales. Cet article porte aussi une visée épistémologique, à savoir prendre en compte le vécu et la parole des élèves, trop peu sollicités dans les études sur et dans les espaces scolaires - ces derniers étant entendus ici dans le sens large des espaces géographiquement situés au sein des établissements scolaires. Enfin, cette recherche propose également de répondre à des enjeux de terrain. Nous aspirons, par l’apport de connaissances sur les pratiques spatiales au sein des CDI, à prendre conscience en tant que professionnelles des paradoxes à l’œuvre dans l’espace des CDI. In fine, il s’agit de participer à la compréhension mutuelle entre tous les membres de la communauté éducative (élèves, familles, personnels enseignants et non enseignants). 6 Par facilité de langage, les termes CDI et professeur documentaliste seront employés au singulier comme au pluriel, renvoyant simplement à une conception générale ou au contraire particulariste du lieu ou du professionnel. 7 Après un état des recherches sur les CDI en tant qu’espace, les concepts (représentations sociales, noyau central…) et les méthodes (analyse de contenu...) utilisés seront précisés. L’exposition des résultats précédera leur discussion. Le CDI : espace charnière et de médiation 8 Un CDI est un espace scolaire qui remplit certaines fonctions de bibliothèque scolaire, soit la fourniture de ressources adaptées aux publics tout en accueillant des cours. Dispensés soit par le professeur documentaliste dans le cadre de l’EMI 4, en co- animation avec un autre enseignant ou un personnel de vie scolaire, ces cours peuvent aussi être exclusivement dispensés par un enseignant au CDI sans la participation du professeur documentaliste. Le CDI est donc un espace charnière entre la vie scolaire (conseiller principal d’éducation, assistant d’éducation) et les équipes enseignantes, Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 4 « aux confluences des mutations » (Le Roux, 2004) sociales et technologiques, « cœur de l’établissement » (MEN, 1989 ; Hassenforder, 1996, p. 54-55), « cœur du projet pédagogique » (Bayard-Pierlot, Birglin, 1991). Un objet polysémique 9 Héritiers de l’architecture conventuelle perpétuée sous la IIIe République, les CDI se retrouvent, pour les plus anciens, à l’extrémité d’un bâtiment. Les plus récents font l’objet d’expérimentations en termes de design et d’architecture d’intérieur 5. L’évolution du CDI et celle de son responsable sont historiquement liées au sein de l’institution, l’acronyme CDI s’imposant en 1973 lorsque les deux corps de métier travaillant dans les bibliothèques des professeurs (les documentalistes) et dans les bibliothèques centrales ouvertes aux élèves (les bibliothécaires) s’unissent (Britan- Fournier, 1997, p. 13). Le passage d’une fonction de service à une fonction éducative est marqué par la création d’une circulaire de mission pour les documentalistes (1986) et l’avènement d’un CAPES (1989) créant le corps des professeurs documentalistes. L’introduction du terme bibliothéconomique de « politique documentaire » en milieu scolaire (2004) renvoie le professeur documentaliste à ses missions de gestion et le CDI à un espace de services. Ce retour d’une conception gestionnaire du CDI et du métier semble renforcé par les réflexions autour de l’aménagement des espaces scolaires. Ce lien repose notamment sur l’idée que différents facteurs spatiaux, compris comme environnementaux, favoriseraient l’apprentissage, tels le bien-être (Musset, 2012), l’autonomie et des apprentissages actifs (Maury, 2011 ; Foiray, 2016), comme cela est recommandé sur les pages institutionnelles (sites académiques, éduscol) et par les partenaires du Ministère de l'Éducation nationale (Archiclasse, 110bis). 10 Le CDI devient progressivement à la fois un lieu de médiation entre des élèves et des ressources (physiques, numériques), ainsi qu’un espace de formation à la recherche documentaire par l’accompagnement aux usages des technologies d’information et de la communication. Les évolutions techniques et technologiques, l’accélération du temps (Rosa, 2013) dans la société, le retour de l’interdisciplinarité, entraînent de nouvelles transformations des besoins documentaires des membres de la communauté scolaire (FABDEN, 2015). Cela explique la parution de textes officiels concernant le LC, le 3C et désormais en lycée uniquement instaurant une césure collège/lycée inédite depuis la création des CDI : le BibliO-Lab. Les changements sont triples, pensés à l’aune des transformations spatiales des CDI (Charvet, 2019, p. 70) : • 1). Le BibliO-Lab s’inscrit à l’échelle départementale et régionale (plus dans le local) au sein d’« un réseau de mutualisation de pratiques et d’informations » (p.14-15). • 2). « Lieu[x] de ressources et d’accompagnement » (p.69), les établissements scolaires ont une vocation sociétale en tant qu’espaces scolaires (Marion-Beaufils, Durpaire, Zoïa, 2017). • 3). Le CDI serait un espace d’orientation : « espace de formation intellectuelle, d’acculturation et de socialisation... où les nouvelles approches numériques peuvent les escorter, dans la recherche de l’information ». 11 De plus, le professeur documentaliste, à l’instar d’autres personnels (CPE, professeurs principaux) déjà concernés par l’orientation des élèves, devient l’organisateur du travail d’équipe avec les psychologues scolaires. Les compétences en EMI deviennent centrales dans l’accompagnement à la recherche d’information sur l’orientation, pour contrer les inégalités, en termes d’accès aux ressources ou de manque de capital Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 5 culturel. L’une des fonctions traditionnelles des CDI ressurgit : introduire la rénovation des espaces scolaires dans les établissements. Le CDI-cœur devient « foyer de l’orientation », « cœur d’une ruche », « lieu d’accueil de cellules satellites » entre autres « cyber lieux ». Cela s’explique par deux principes sous-jacents : la modularité et l’innovation supposées des CDI seraient un avantage dans « la combinaison idéale des trois espaces - travail scolaire et lecture, recherches dédiées à l’orientation, vie culturelle » optimisant les relations entre lieux d’apprentissage et lieux de socialisation (Charvet, 2019, p. 72). 12 Les nombreux questionnements d’ordre épistémologique (information-documentation) et praxéologique (les pratiques au sein du lieu) concernant le CDI débouchent sur trois axes d’analyse : le CDI comme facteur d’innovation et d’évolution dans l’institution, la culture informationnelle et l’éducation à l’information-documentation, enfin les questions relatives au management documentaire (système d’information, espace documentaire). En effet, le CDI a été étudié selon différentes approches (sociologique, historique, pédagogique, stratégique, systémique) qui l’ont révélé porteur de changement (Petit, 1980 ; Canario, 1988), système d’information singulier (Mollard, 1996), innovation multimodale (Metzger, Van Cuyck et al., 1998, Duarte, 2000). Par exemple, le CDI peut être aussi bien vécu comme un tremplin pour l’innovation que comme un sanctuaire, un supermarché, ou encore une garderie (Gaillot, 1987). Alors, la posture adoptée concernant l’évolution technologique ici est que « le propre de l’innovation au CDI est d’engager dans une dynamique qui est de l’ordre de l’action, de l’expérience partagée, de l’ouverture sur l’extérieur » (Maury, 2010, p. 4). En dépit de la place croissante concédée à la documentation en raison de ses enjeux sociétaux (gestion des données, recherche d’information…) une question demeure « celle de la place et du rôle incertains de la documentation - vue à travers les CDI - dans l'institution, d'hier à aujourd'hui » (Maury, p. 4). Ainsi, objet mouvant, flou et évolutif, le CDI est un lieu de tensions complexes entre conservation et nouveautés, gestion et pédagogie, autonomie et dépendance, liberté d’action et environnement de prescriptions. Un espace topographique 13 Le CDI serait tout à la fois un espace au sens où il est produit par une société et en tant qu’il agit sur elle en retour (Lefebvre, 1974). Cet article accorde la priorité au lieu CDI, lieu pratiqué et habité. Il s’agit donc d’interroger les types de relations à l’espace qui se développent dans les CDI. 14 Le CDI est un espace pluriel, « carrefour » (Cordier, 2009), à la fois lieu de vie et centre de formation. En effet, il est le lieu de la rencontre des pratiques formelles et non formelles issues d’apprentissages non structurés explicitement. Ainsi, il est un lieu à part dans l’espace scolaire même s’il en fait partie, caractérisé par ses règles d’utilisation mais aussi par une relative liberté de mouvement et d’activité. En 2002, A. Piponnier définissait neuf topoï « lieux communs censés doter le territoire de repères lisibles et permettre sa distribution voire son parcours » : accueil, banque de prêt, coin lecture, « bibliothèque », salle de documentation, postes informatiques, la salle de travail, la salle audiovisuelle, la salle informatique. Ces éléments ont le mérite de proposer une grille de lecture de l’espace que nous utiliserons pour l’analyse. Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 6 Habiter le CDI ? 15 « Questionner les manières d’habiter les espaces documentaires d’accès aux savoirs » (Fabre, Liquète, à paraître) interrogerait alors les territorialités. Ainsi, l’habiter (Stock, 2007) est régulièrement repris dans l’univers scolaire. « Condition spatiale de l’existence » (De Certeau, 1990, p. 239-254), l’habiter produit « un “Je” en tant qu’il est relié aux autres (“Nous” et “Eux”) et aux lieux géographiques ». L’habiter n’est pas ici compris de façon traditionnelle en tant qu’« être dans l’espace » mais d’une façon nouvelle « faire avec l’espace », c’est-à-dire dans des rapports multiples à l’espace, plus en cohérence avec la société contemporaine. Habiter l’espace c’est le pratiquer, ce qui donne au lieu son sens pour l’individu à travers son intentionnalité. Un même espace aura donc plusieurs significations, interprétations, selon l’utilisation qui en est faite. Alors, les lieux sont reliés aux représentations, aux valeurs, aux imaginaires des individus qui les pratiquent. Ainsi, « le rapport aux lieux n’existe pas en soi, de façon indépendante, mais est toujours relié à la question des pratiques » (Stock, 2004), la pratique étant donc à replacer dans son contexte spatial (Lussault, 2000). Par conséquent, l’intérêt porté aux actions et aux actes décrits dans les dessins ou dans les discours se base sur le concept de compétence de spatialité (Lussault, 2018) qui propose de penser l'interaction de l’élève avec son environnement comme un processus d’apprentissage, qu’il soit formel ou informel. L’habiter est donc à la fois la conséquence des représentations déjà à l’œuvre chez l’élève et dans le même temps une construction (apprentissage, représentation). 16 Dans les modes de relation envisagés ici, l’appropriation, revendiquée dans l’aménagement des espaces scolaires, est réfutée en ce qu’elle comporte des permanences qui ne sont pas apparues sur le terrain. Alors que les territorialités, entendues comme des modes de relation à l’espace reconnu, familier, fréquenté par un groupe auquel on appartient (Raffestin, 1986, p. 92), soit la structure physique et chorologique de la quotidienneté (1982, p. 186) seront contemplées dans l’intensité du lien affectif c’est-à-dire l’expérience psycho-affective et sensorielle forte (Monnard, 2015) générée par les pratiques de cet espace. De même, les CDI comme territoires du conflit (Merklen, 2013, p. 37) situés au milieu d’un espace conflictuel (l’école) se révèlent éminemment politiques, en raison du rejet d’un ordre social où l’écrit exerce une fonction de hiérarchisation (Goody, p. 148). Alors que le CDI représente un espace d’apprentissage ouvert, ses conditions matérielles (horaires d’ouverture par ex.) sont souvent dépeintes comme des entraves aux apprentissages par les élèves et leurs familles. Les représentations sociales : outils de compréhension des CDI 17 Les représentations sont utilisées pour donner sens aux pratiques observées, recueillies et dessinées dans et sur les CDI. En effet, elles constituent un « système de valeurs et de pratiques relatif à des objets ou des dimensions du milieu social » (Moscovici, 1961). Se situant dans la double dialectique individu/société d’une part et intérieur/extérieur (de l’individu, du groupe considéré) d’autre part, elles sont un « sous-sol qui échappe aux individus même, dont elles façonnent les actes et les paroles et à qui elles permettent de coexister » (Moscovici, 1989, p. 10). À travers leur système de références, elles revêtent une fonction structurante pour l’individu, lui permettant de donner un sens à ses actions et une place dans la société (Abric, 1994 ; Jodelet, 2003). Ce qui sera alors Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 7 utilisé ici est le noyau central soit l’élément fondamental de la représentation, déterminant la signification et l’organisation de cette dernière. Composé d’opinions, de croyances, d’informations, il fait consensus dans le groupe porteur de la représentation (Molinier, 1998). Lié au contexte historique, sociologique et idéologique, le noyau central est en lien avec les valeurs, les normes. Il est donc partagé et stable. Les éléments périphériques sont liés au contexte, à l’environnement immédiat et à l’individu, son histoire, son vécu. Ils sont moins importants que le noyau, plus fragiles et instables. Néanmoins, ils gravitent autour de lui, chacun avec des degrés de saillance variables et remplissent une fonction de concrétisation (Flament, 1987) qui permet d’ancrer la représentation dans la réalité. Ainsi, l’analyse tentera de faire émerger des constantes allant vers les « noyaux figuratifs » des représentations (Abric, 1997) pour mieux comprendre le système de références à partir duquel le sujet va construire ses apprentissages et qui souvent prévaut à l'intervention didactique (Meirieu, 2016, p. 56). 18 Les concepts d’identité positive (Tajfel, 1972) et de « “zone muette” des représentations » (Chokier, Moliner, 2006) sont également utilisés pour décrire des mécanismes des représentations sociales opérant dans et sur les CDI. En effet, l’identité positive en tant qu’estime de soi est un besoin en vue du sentiment d’appartenance à un groupe, ce qui est central dans la positivité de l’identité. La positivité et la négativité étant évaluatives, les processus de comparaison sociale, soit l’attribution de valeur, sont pris en compte pour comprendre les relations établies au CDI. Enfin, la « “zone muette” des représentations » correspond à la zone de la représentation rendue muette « en raison d’un processus de pression normative ». Composée « d’éléments contre- normatifs » et d’un contexte de substitution permettant de « réduire la pression normative » (Abric, 2003, p. 75), elle favorise ainsi l’expression d’opinions socialement non désirables. Un cadre méthodologique composite 19 Les données récoltées sont doubles. Elles se composent d’une part de questionnaires adressés aux deux groupes qui nous préoccupent : les élèves en premier puis les professeurs documentalistes. D’autre part, 248 dessins ont été collectés (124 sur le CDI, 124 sur le professeur documentaliste) en deux périodes (septembre 2018 (130) et décembre 2018 (118)) parmi des élèves de sixième et 65 autres dessins entre janvier et juin 2018 en lycée professionnel (LP) (40 sur les CDI, 25 sur le professeur documentaliste), dans des classes de seconde à terminale et en BTS (post-baccalauréat). Le dessin : un medium pour l’analyse des représentations en milieu scolaire 20 Le choix du médium dessin pour analyser les représentations des élèves est un choix méthodologique. Le dessin fait émerger le vécu personnel de l’enfant/élève, le langage graphique et le langage verbal ne reposant pas sur le même canal perceptif. Il permet de restituer la « vision intérieure, immatérielle, d'un instant de la vie... tel que le sujet dessinant l’a saisi personnellement » (Royer, 1995, p. 44). Le dessin permet aussi une liberté que des questions construites en fonction d’idées préétablies n’auraient pu faire ressortir (orientation de la page, types d’éléments, nombre, surface/taille, couleurs etc.). Cette liberté donne libre court à l’expression d’éléments qui n’auraient pu Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 8 émerger à l’oral ou à l’écrit, en laissant une possibilité de manifestation de messages spontanés et originaux. De plus, le dessin permet d’éviter d’introduire la notion de recherche auprès des élèves et de ne pas laisser s'immiscer une éventuelle peur du jugement. Ce médium a déjà été utilisé pour faire émerger la différence de représentations mentales entre le professeur documentaliste et les élèves (Fabre et Veyrac, 2008). Recueillir des données à l’école : des classes et des professeurs 21 La production de ce matériau s’inscrit dans le cadre scientifique précité dont découlent plusieurs éléments : un temps, du matériel homogène, une consigne. La production du dessin devait se faire en 5 minutes à partir de l’énonciation de la consigne. Le matériel de dessin était distribué (feuilles blanches format A4, distribuées en biais de la main à la main afin de laisser le choix d’orientation), mais les outils pour dessiner étaient ceux des élèves car cela permettait un choix large. Pour la consigne, c’est en référence au test de Jung qui consiste à demander d’associer rapidement un mot à un autre, émis par le testeur, que nous avons travaillé pour l’adapter au dessin. Cette méthode laisse toute liberté à l’interlocuteur tout en limitant le temps de réflexion pour obtenir la spontanéité. La consigne choisie pour le premier dessin fut : « Pour vous, c’est quoi un CDI ? », et pour le second : « Pour vous, c’est quoi un ou une professeur.e documentaliste ? ». Elle fut donnée verbalement à l’ensemble des élèves, puis répétée au besoin individuellement, sans variante. Il a été choisi, pour respecter totalement l’enfant, de rendre les dessins anonymes. De plus, les élèves ont dessiné dans un lieu différent du CDI pour ne pas influencer les dessins, les expressions graphiques pouvant dès lors être spontanées. Deux informations complémentaires étaient demandées aux élèves (à noter au verso du dessin) : s’ils étaient venus au CDI avant ce jour et la présence d’une bibliothèque scolaire dans leur école primaire ou non. La récolte eut lieu fin septembre puis fin décembre 2018. Entre les deux a pris place une séquence pédagogique en info- documentation. 248 dessins anonymes ont été obtenus et ont permis l’élaboration d’une analyse de contenu basée sur un corpus conséquent. 22 Le questionnaire proposé aux élèves6 a obtenu 83 réponses validées, 48 lycéens ont répondu à partir de questionnaires papier (BTS, première, seconde) ou d’un lien envoyé sur leur messagerie scolaire : les élèves de seconde ont répondu lors d’une séance d’EMI réalisée au CDI avec le professeur documentaliste ; les élèves de première étaient en classe pendant une co-intervention entre le professeur documentaliste et un enseignant de mathématiques sur l’environnement d’apprentissage ; la classe de terminale y a participé pendant un cours d’anglais en fin d’année. 29 élèves de classes de BTS ont également participé à l’enquête par l’intermède de leur professeur principal qui a supervisé le remplissage du questionnaire en salle de classe. Le lien a également été diffusé sur des forums7 ne générant que 8 participations extérieures à l’établissement, dont 6 validées. Basés sur le volontariat, les dessins ont été réalisés sous la supervision du professeur documentaliste dans le CDI (secondes, terminales) avec le questionnaire posé sur le bureau, alors que les élèves de BTS l’ont réalisé en classe avec leur professeur principal. Les 65 dessins récoltés en LP sont une sous- catégorie des questionnaires papier. Les consignes pour la réalisation des dessins étaient respectivement : « s’il n’y avait aucune contrainte (ni matérielle, ni physique, ni financière), comment serait le CDI de vos rêves ? Représentez-le ci-dessous s’il-vous- plaît, depuis ses murs (comment sont-ils ?) avec tout ce que vous aimeriez y faire, y Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 9 trouver » et « selon vous, à quoi ressemble un.e professeur.e documentaliste (sans vous baser sur celle de cette année) et à quoi devrait-il.elle ressembler ? ». Les dessins récoltés portent soit sur le CDI (40) soit sur le professeur documentaliste (25) et se ventilent de la manière suivante : 12 élèves de seconde MS ont représenté le CDI ; 30 élèves de première ont représenté sur une page le CDI et sur une autre l’enseignant ; 19 élèves de terminale et 4 des 29 élèves de BTS ayant participé, ont réalisé un dessin (un seul est dessiné, les autres élèves ayant écrit des commentaires). La méthode de l’analyse de contenu pour exploiter les données 23 L’analyse du dessin détaillée par Royer (1995) a été est couplée à l’analyse de contenu (Bardin, 1977 ; Mucchielli, 1977) pour repérer les éléments pertinents et effectuer un relevé systématique sans entrer dans l’interprétation psychologique, par la création de catégories en vue d’une interprétation contrôlée des résultats. Qualitative et quantitative, fondée sur la déduction et l’inférence, « l’analyse de contenu se veut une méthode capable d’effectuer l’exploitation totale et objective des données informationnelles » (Mucchielli, 1977, p. 17). Elle n'est pas l'étude d'un vocabulaire, mais la recherche des sens d’un « texte ». On sait depuis F. De Saussure qu’il n’y a pas de lien entre le signifié et le signifiant. Ainsi, l’analyse de contenu n’est pas limitée aux productions écrites, mais elle est possible quel que soit le support–signifiant. Elle peut donc être réalisée à partir du langage parlé, d’images, de musique, de dessins, à partir de corpus donnés a priori, d’un matériel rassemblé à des fins d'analyse ou d’un matériel créé pour la recherche, comme ici. La méthode s’organise en 3 étapes, la préanalyse (codage et catégorisation, élaboration d’indicateurs, conception d’un tableau de collecte), l’exploitation du matériel (repérage des indices, application systématique des décisions prises lors de la préanalyse) et le traitement des résultats (inférences et interprétations), à partir des statistiques. L’étape du repérage des indices et de l’élaboration d’indicateurs permet de relever les différents éléments présents dans les dessins afin d’en faire des indicateurs (unités comparables) : les unités d’enregistrement (mot, thème, objet ou référent, personnage, évènement…) et les unités de contexte (unité de compréhension pour le codage : Classe, Consigne, déjà venu CDI, CDI ancienne école, Format choisi...). Par exemple, pour l’indice bibliothèques, 7 indicateurs pouvaient être relevés : présence/absence, longueur des linéaires, degré de remplissage, surface dans la feuille, position dans la page, éventuelle particularité, présence/absence de livres. Pour l’indice professeur documentaliste, 31 indicateurs ont pu être isolés. C’est à partir de ces indicateurs que des catégories ont été créées. Ce type de méthode permet aussi d’analyser le paralangage (Trager, 1958) qui explore les attitudes, les postures, les gestes, les regards, les mouvements... Population d’étude : de la sixième au BTS 24 Les lycéens interrogés proviennent de deux filières spécifiques : métiers de sécurité (MS), avec une classe préparatoire aux concours de police et de gendarmerie ainsi que systèmes numériques (SN), les orientant autant vers la programmation informatique que la réparation d’électroménager, selon la spécialité choisie. Parmi les classes de brevet de technicien supérieur (BTS), des classes avec des orientations très diverses : management des unités commerciales (MUC) de première année, négociation des relations commerciales (NRC) de deuxième année, ont été interrogées compte tenu de Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 10 leurs importants effectifs. Toutes ces filières demandées et l’établissement bien classé au niveau départemental et régional, les classes sont sélectives (une place pour quatre dossiers en moyenne). Cela permet d’interroger des élèves qui ont plusieurs années d’expérience du lieu, de comparer les résultats obtenus entre les classes, afin de mesurer un éventuel impact des pratiques du professeur documentaliste (hypothèse 2) que la plupart des élèves avaient comme professeur depuis plusieurs années. 25 Les collégiens sont des élèves de deux classes mixtes de 6 e (66 élèves) d’un établissement du sud parisien, privé sous contrat d’association avec l’État, classé favorablement, avec un taux de réussite au brevet de 99 % et dont les élèves sont issus d’un milieu socio-professionnel de médecins, cadres et professions libérales. Trois raisons prévalent à ce choix de niveau : l’accès formel aux élèves dans le cadre du « Parcours documentation » ; le fait que ces élèves n’ont pas encore fréquenté le CDI de leur établissement (cf. date des dessins) ; leur âge (10-12 ans) en lien avec les stades d’évolution du dessin d’un enfant (Luquet, 1967 : de 1 à 3 ans, stade du « gribouillage » ; de 3 à 5 ans, stade du « réalisme fortuit » - l’enfant commence à réaliser qu’il peut y avoir un lien entre ce qu’il a tracé par hasard et l’apparence d’un objet - ; de 5 à 12 ans vient le stade du « réalisme intellectuel » - l’enfant ne cherche pas à reproduire « ce qu’il voit » mais « ce qu’il sait » des choses - ; vers 12 ans vient le « réalisme visuel » lors duquel l’enfant tente, entre autres, de tenir compte de la perspective). Ainsi, avec des élèves de 6e il était possible d’obtenir des dessins à mi-chemin entre la représentation de ce qui est vu dans un objectif de ressemblance et une représentation de ce qui est su, de façon subjective. Les représentations des CDI : entre ambivalence, influence et méconnaissance H1. Une vision uniformisée chez les élèves ? 26 La première hypothèse émise était que les élèves auraient une vision uniforme du CDI. La lecture des résultats infirme cette proposition. Les élèves de 6e, issus d’un milieu favorisé parisien et les lycéens d’un lycée professionnel d’une ville moyenne de l’académie de Toulouse, confrontée à un taux de pauvreté élevé n’ont pas une vision similaire. Du CDI 27 Alors que pour les premiers, le CDI est principalement un lieu dans lequel on peut s’asseoir et bénéficier d’un accès numérique mais dont la principale caractéristique est de mettre à disposition des livres, pour les seconds, le CDI est avant tout un lieu pour utiliser des ordinateurs. L’analyse des dessins des élèves de 6 e n’étant jamais venus au CDI (20 sur 66 en septembre) révèle cet aspect car seul 1 dessin montre une bibliothèque vide alors que les 19 autres ont au moins 1 livre. Pour les lycéens, 14 dessins seulement sur 65 représentent des étagères et des livres, bien que les questionnaires fassent tout de même état d’une préférence pour le coin lecture (31 %), une utilisation majoritaire des ordinateurs (71 %) et des impressions (46 %). Ensuite, pour les 6e, dans 13 dessins sur 20, il y a des meubles pour s'asseoir (chaises, fauteuils, banquettes, poufs, tabourets), ce qui signifie qu’il n’y a rien pour s'asseoir dans 7 Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 11 dessins : ne s’y trouvent que bibliothèque, bureau, table ou ordinateur. L’observation des tables dans l’ensemble des dessins montre un résultat très élevé : 83 % en présentent quelles que soient leurs formes et leurs tailles. Cet élément semble être une constante dans les dessins et nous sommes tentées d’inclure les deux items table et siège dans le noyau de représentation. Pour ces élèves, la représentation serait donc constituée d’un noyau dur bibliothèque+livres+tables+sièges et d’un élément satellite accès à un ordinateur, ce dernier étant plutôt de l’ordre du noyau pour les lycéens. Enfin, un autre élément inattendu est la quasi-absence d’êtres humains. Pour les 6e et parmi tous les dessins représentant un CDI, 77 % ne représentent aucun être humain dans le CDI, seuls 18 % montrent des élèves. De plus, une baisse de 10 dessins est constatée entre les dessins de septembre et de décembre. Quant aux lycéens, 57,5 % représentent des êtres humains, certains en représentant même plusieurs. Cela semble en cohérence, pour les lycéens, avec l’importance qu’ils accordent au CDI pour les travaux de groupe et ses potentialités socialisantes (rencontrer des camarades, y venir avec des camarades). 28 Pour les élèves de 6e, globalement, les dessins présentent des lieux « rangés ». Sur les dessins représentant le CDI et montrant des livres dans les bibliothèques, 96,5 % font apparaître des livres ordonnés (83 % sur les dessins représentant le professeur documentaliste). Alors que pour les élèves de LP, plus qu’un CDI rangé, 82,5 % représentent le CDI en sous-espaces (ordinateur/informatique, étagères/lecture…), certains ayant même représenté un carré ou un rectangle composé de blocs (19 %). 29 La représentation du CDI par les élèves, après analyse de l’ensemble des résultats, peut donc être structurée de la façon suivante (tabl. 2) : Tableau 2 : Représentations sociales du CDI par les élèves de 6e et de lycée Élèves de 6e Lycéens « Qu’est-ce que le CDI » « CDI rêvé » Noyau central Étagères + tables + sièges + ordre Lecture + ordinateur + travail de groupe Éléments périphériques Livres + ordinateurs + lecture Nourriture + cinéma + musique Du professeur documentaliste 30 Dans 64 % de tous les dessins des élèves de 6e représentant des professeurs documentalistes, il s’agit de femmes. Les lycéens expriment également cette prégnance des femmes dans leurs dessins à 50 %. À noter ici que sur l’autre moitié, les hommes représentent 21 % des professeurs documentalistes représentés, 21 % ne renvoient pas à un genre et 8 % sont incarnés par un animal. 31 Avec plus de 74 % de visages souriants chez les 6e (dessins des professeurs documentalistes), que ce soit dans les dessins de septembre ou de décembre, et 36 % chez les lycéens, le professeur documentaliste est quelqu’un de souriant. Néanmoins, à l’étude du regard (bienveillant, souriant, présent, complice, absent, vide, triste, fermé, méchant) les chiffres montrent un équilibre presque parfait (chez les 6 e) entre un professeur présent et bienveillant et un professeur plutôt triste et absent. Il est à noter que, là où l’accueil s’exprime à travers des sourires et des regards, les questionnaires (lycéens) traduisent l’accueil non plus à travers le professeur documentaliste mais à Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 12 travers le CDI. C’est l’espace qui est assez accueillant (20 %), plutôt accueillant (18 %), très accueillant (12 %), aimé pour sa convivialité (25 %), son accueil (19 %), ses espaces de travail (13 %). L’uniformité des représentations pourrait s’envisager si l’on affirme que c’est l’ambivalence dans le regard porté qui est commune. Plutôt négatif pour les lycéens qui déclarent ne pas aller au CDI et positif du côté des collégiens dans les sourires, mais très largement nuancé par les regards, l’accueil n’est donc pas constitutif du noyau. 32 La présence des livres est, dans les dessins du professeur documentaliste des élèves de 6e, moins importante que dans ceux du CDI. La différence est conséquente (-41 %) et tendrait à montrer que le livre semble ne pas faire partie du noyau de la représentation des élèves, mais plutôt être un élément gravitationnel, contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre. En fait, le professeur documentaliste est plutôt associé à la notion plus générale de document (feuille de papier, livre, revue). En effet, les lycéens le représentent à 56 % avec un document et les collégiens à 44 %. Si peu de lycéens dessinent des livres autour du professeur documentaliste (8 %), 3 le représentent avec un livre, un dictionnaire et des formules mathématiques, en guise de visage. 33 Alors que le professeur documentaliste est souvent associé à son lieu d’exercice, la réciproque se questionne. La moyenne des deux séries de dessins des 6e (CDI et professeur) donne 85 % de dessins qui ne représentent aucun professeur dans le CDI. Cela pose la question de la perception du lien entre le CDI et le professeur documentaliste par les élèves. Il est à noter qu’aucun autre indice ne permet de penser que les individus dessinés représentent quelqu’un d’autre. Cet endroit semble strictement réservé au professeur documentaliste et aux élèves quand ils sont présents. Néanmoins, les lycéens questionnés sur la façon dont ils nomment le professeur documentaliste font apparaître une majorité d’appellations associant la fonction enseignante (« prof »…) avec le lieu (CDI), par exemple « Madame/Monsieur le CDI », « celle/celui du CDI », parfois « prof de CDI ». Pourtant, 53 % des professeurs documentalistes interrogés déclarent ne pas avoir de surnom ou d’appellation lié au lieu du CDI. Comment comprendre cette apparente contradiction entre la déconnexion déclarée par les professeurs documentalistes et la prégnance du sigle « CDI » de la part des élèves ? Cette étude n’apporte pas la réponse à cette question. 34 Enfin, les élèves ont dessiné une part non négligeable de professeurs documentalistes avec des lunettes : 24 % pour les lycéens, là où les collégiens le font à 39 %. 35 La représentation du professeur documentaliste par les élèves, après analyse de l’ensemble des résultats, peut être structurée de la façon suivante (tabl. 3) : Tableau 3 : Représentations sociales du professeur documentaliste par les élèves de 6e et de lycée Élèves de 6e Lycéens Noyau central sourire + femme sourire + femme Éléments périphériques bienveillance/hostilité + Accueil + bienveillance + accueil + CDI + proches document document Eléments périphériques CDI + livre + document + lunettes lunettes + livre + savoir lointains Géocarrefour, 94/1 | 2020
Pratiquer les CDI : Les espaces des CDI comme enjeux de représentations sociales 13 H2. Les professeurs documentalistes influenceraient les représentations sociales des élèves 36 Les premiers résultats concernent les pratiques des professeurs documentalistes dans les CDI. Pour eux, les activités les plus importantes en termes de volume horaire sont l’accueil des membres de la communauté éducative au CDI, l’enseignement de l’EMI et la gestion documentaire. La formation à la recherche documentaire vient ensuite, enfin la mise à disposition de ressources et l’accompagnement à l’autonomie et à la responsabilisation ex-æquo. Les pratiques des professeurs documentalistes font ici écho aux représentations des élèves. Il existerait bien une corrélation entre les pratiques et les représentations dans le CDI. Cela est-il en lien avec l’organisation et la scénarisation de l’espace ? Les données suivantes ne permettent pas de l’affirmer. En effet, les professeurs documentalistes considèrent à 93,1 % que l’espace est une dimension importante dans leur travail. De fait, concernant les activités qu’ils mènent en lien avec l’espace, ils considèrent avant tout l’initiation à la recherche documentaire et l’enseignement de la documentation (80 %) comme la première activité en lien avec l’espace. L’EMI vient ensuite pour 77 participants puis le fait d’impulser ou de participer à la réflexion collective sur la gestion de cet espace (51). Paradoxalement, les formations à l’aménagement et la participation à des formations sur le sujet n’arrivent que bien après (27). Finalement 66,3 % des répondants estiment que ces réflexions sur l’espace n’ont pas changé leur vision du métier ni leurs pratiques professionnelles. Concernant ce trait, il semble impossible au vu du dispositif de collecte des données d’établir un lien fort : la faible représentation de livres et du professeur documentaliste dans une posture pédagogique ne permettent pas de l’affirmer. Quid des étagères : seraient-elles en corrélation avec les pratiques de gestion du professeur documentaliste ? 37 Une autre ambivalence s’exprimerait dans les données récoltées : le rapport au bureau enseignant dans le CDI. En effet, à la question des usages du bureau enseignant au CDI, ceux-ci témoignent d’une appropriation de cet espace de travail, allant à l’encontre de l’injonction à la modularité dans les CDI dont témoignent les différents rapports et formations destinées aux professeurs documentalistes. En effet, une majorité de participants déclarent que le bureau est à la disposition exclusive du professeur documentaliste, mais que certains membres de la communauté éducative autorisés peuvent l’utiliser ponctuellement (29 %), quand 22 % déclarent qu’il est seulement à leur disposition et que personne d’autre ne peut l’utiliser. Ceux qui le partagent avec un collègue (20 %) sont bien plus nombreux que ceux qui le mettent à la disposition de tous les personnels enseignants et de vie scolaire (11 %) ou de tous, élèves inclus (8 %). Dans les dessins de 6e, le bureau est dessiné de façon englobante. Le professeur documentaliste paraît isolé presque enfermé dedans, il y disparaît. Le bureau du CDI est dans les faits grand et dans un angle. Il semblerait que leur fréquentation du CDI ait induit cela puisqu’aucun bureau enfermant n’apparaît en septembre. C’est à la suite de cela que nous avons pris conscience que le bureau pouvait ressembler à une barrière et éventuellement rendre difficile l’accès au professeur. Une réflexion sur de possibles solutions a été lancée par la suite. Géocarrefour, 94/1 | 2020
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