REPRÉSENTATIONS SOCIALES DU SPORT CHEZ LA FEMME OU L'INTÉRÊT D'UN CONCEPT MÉCONNU

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LE HER Michel, Professeur au CREPS de DINARD

  REPRÉSENTATIONS SOCIALES DU SPORT CHEZ
    LA FEMME OU L'INTÉRÊT D'UN CONCEPT
                MÉCONNU

Cet article se donne pour but d'introduire dans le domaine des sciences du sport la
perspective psychosociale des représentations sociales et plus généralement
d'analyser les pratiques sportives et les discours sur elles à la lumière des théories
du sens commun qui ouvrent des perspectives intéressantes pour comprendre la vie
quotidienne. Il est bien évident que ce type d'approche n'est pas nouvelle en sport.
Ainsi, à la suite des travaux de P. BOURDIEU et de son école, des auteurs comme
C. POCIELLO, J.Y. LE POGAM et toute l'équipe de l'INSEP ont ils tenté de
comprendre les logiques pratico-sociales mises en oeuvre dans les pratiques
corporelles des français.
Ce qui particularise la théorie des représentations sociales c'est qu'elle porte sur les
représentations, c'est-à-dire sur des productions cognitives, et qu'elle pose bien sûr
le problème fondamental du langage, d'une part comme produit de ces opérations
cognitives et d'autre part comme moyen, pour le chercheur, de parvenir à ces « faits
de conscience ». Enfin, ce qui fait sa spécificité c'est qu'elle envisage la nature
sociale de ces productions discursives qui sont spécifiques d'une «pensée en
usage» (U. WINDISCH, 982) et qui sont marquées par les conditions même de la
communication.
Dans un premier temps, après les avoir situés dans le cadre plus général de la
psychosociologie du sens commun, nous présenterons les divers aspects du
concept et de la théorie des représentations sociales. Dans un second temps nous
présenterons quelques résultats de notre recherche qui porte plus précisément sur
les déterminants des représentations sociales de la pratique physique et sportive et
du sport chez les institutrices (M. LE HER, 1987).

PREMIERE PARTIE : ASPECTS THEORIQUES PRESENTATION DU CONCEPT
ET DE LA THEORIE DES REPRESENTATIONS SOCIALES

1 - UNE DOUBLE ORIGINE
Bien que le concept de représentation sociale ait une origine sociologique (la notion
de représentation collective chère à DURKHEIM), on peut affirmer aujourd'hui qu'il
est l'un des concepts majeurs de la psychologie sociale française. Il doit son
développement aux travaux de S. MOSCOVICI (1976) qui définit la psychologie
sociale comme étant la science qui tente de comprendre « le conflit immémorial du
personnel et du collectif » (1961). Dans sa préface du livre de JODELET, VIET et
BESNARD (1976), ce même auteur définit la position de la psychologie sociale par
rapport aux deux sciences mères que sont la psychologie et la sociologie, affirmant
qu'en dernière analyse elle se caractérise par une lecture ternaire                     de
l'environnement, substituant ainsi aux modèles:

              EGO-------------------------------------->OBJET
              (sujet individuel)

              SUJET COLLECTIF----------------->OBJET
                                            (institution)
                                            (groupe social)

                                            Le modèle :

Si cette tentative de démarcation de la psychologie sociale est caractéristique d'une
science qui se constitue, il n'en demeure pas moins que les différents usages du
concept de représentation sociale gardent les traces de cette double origine.

D. JODELET distingue ainsi 6 approches théoriques différentes :
1- Celle qui s'attache à la dimension cognitive des représentations sociales. Celles-
ci apparaissent comme un cas particulier de cognition sociale d'un sujet porteur et
véhiculant les idéologies de son groupe social.
2- Celle qui met l'accent sur les aspects signifiants de l'activité représentative. Le
sujet acteur social est vu ici comme producteur de sens et exprimant par ce sens
son type d'insertion dans le monde social. Ce monde lui fournit les cadres de
référence, un système de codes, qui participent à l'élaboration des perceptions et
des conduites. Avec C. HERZSLICH (1972), R. KAES (1968), CHOMBARD DE
LAWE (1979), l'accent est mis aussi sur le rôle de l'imaginaire social dans
l'élaboration des représentations sociales.
3- Avec U. WINDISCH (1982) apparaît un courant plus sociologique qui étudie la
représentation sociale comme forme de discours d'un sujet en situation de
communication. Celui-ci met en oeuvre une logique discursive directement
dépendante dé sa situation sociale.
4- Avec GILLY (1982) la représentation est vue comme une pratique sociale d'un
sujet reflétant les idéologies, les normes qui découlent de sa position statutaire.
5- Le cinquième courant de recherche envisage la représentation comme destinée à
réguler, anticiper, justifier les relations sociales qui s'établissent entre les différents
groupes sociaux.
6- Le sixième courant enfin (BOURDIEU, BOLTANSKI) envisage l'acte de
représentation comme production de schèmes de pensée socialement déterminés.
Les représentations du sujet sont le produit de déterminations sociales,
déterminations qui sont à l'origine de la constitution de l'habitus vu comme système
de dispositions et de perceptions.
Ces 6 approches définissent en fait deux grandes orientations. La première, plus
psychologique, centre son travail sur l'analyse de la structure et du fonctionnement
des représentations sociales. Il s'agit ici d'une orientation cognitive qui tente de
comprendre le fonctionnement psychique d'un individu en situation sociale
d'interaction.
La seconde, plus sociologique, pourrait être appelée interprétative dans la mesure
où elle analyse, à travers les productions mentales des agents, leurs places dans le
système social et l'influence des déterminations sociales sur ces productions
psychiques.

2 - UN CADRE THEORIQUE UNIFICATEUR ? LA THEORIE DU SENS COMMUN

Mais c'est avec la théorie du sens commun que le concept et la théorie des
représentations sociales acquièrent leurs lettres de noblesse. Dans cette
perspective, la représentation sociale est vue comme une production psychique,
mais aussi un processus psychique, mis en oeuvre par les individus ordinaires en
situation ordinaire. Il s'agit donc d'une activité de construction mentale du réel à
partir d'informations tirées de sa propre expérience mais aussi de celles des autres.
Loin d'être une copie du réel, la représentation sociale est une tentative de la part
des sujets ordinaires, en situation de vie quotidienne, de faire du monde une
organisation cohérente, claire, simple, qui permettra à chaque individu, ou à chaque
groupe, de comprendre ce monde et d'agir sur lui. Ce mode de connaissance donne
ainsi lieu à des produits langagiers, « à des contenus conscients et communicables
comme forme de pensée, façon de savoir et d'opiner » (MOSCOVICI, JODELET,
1980, p.6). Il s'agit donc d'un savoir du sens commun.
Il est bien-sûr difficile de savoir où commence et où s'arrête le sens commun. Celui-
ci « comporte des images et des liaisons mentales qui sont utilisées et parlées par
tout le monde quand les gens s'efforcent de résoudre les problèmes familiers et d'en
prévoir l'issue. C'est un corpus de connaissances fondées sur les traditions
partagées et enrichies par des milliers « d'observations », « d'expériences »,
sanctionnées par la pratique » (MOSCOVICI, HEWSTON, 1985, p. 542). Il s'agit
d'un corpus de connaissances reconnues par tous, emmagasinées dans le langage,
dans l'esprit et dans le corps des membres d'une société, caractéristiques qui leur
confèrent son aspect d'évidence.

Outre ces connaissances de première main, produites spontanément, issues des
traditions et véhiculées par le langage oral, le sens commun est composé aussi
d'images, de connaissances d'origine scientifique, « consommées et transformées
pour servir à la vie quotidienne» (MOSCOVICI-HEWSTONE p. 546) et que l'on
nomme connaissances de seconde main.
Ces productions mentales du sens commun sont le résultat de processus mentaux
particuliers qui, dans leur logique et leur fonctionnement, différent des processus
mentaux mis en oeuvre dans la pensée scientifique. Ainsi MOSCOVICI oppose-t-il
une pensée informative, formée de concepts et de signes dont la validité est
empirique, pensée dominée par le comment, dans laquelle la succession des actes
mentaux est limitée, organisée et qui n'utilise que certaines formes syntaxiques, à la
pensée représentative, rassemblement d'images et de symboles, à validité
consensuelle, pensée dominée par le pourquoi, dans laquelle les actes mentaux
sont flexibles, et qui utilise toutes les formes syntaxiques disponibles.
On retrouve avec U. WINDISCH (1982), dans une perspective plus socio-cognitive
et socio-linguistique, ce souci d'étudier la nature et le fonctionnement de la pensée,
du langage en usage dans la vie quotidienne, des différents groupes sociaux,
« d'étudier les différentes façons de parler, connaître, agir dans la vie quotidienne »
(WINDISCH, 1982, p. 6). Etudiant les logiques mises en oeuvre dans la vie
quotidienne, en particulier dans l'explication de la xénophobie, WINDISCH montre
que les différents groupes ne disposent pas des mêmes structures socio-cognitives
pour « voir » la réalité. Ainsi distingue-t-il cinq formes logicodiscursives, sortes de «
modèles idéaux d'explication » : La causalité segmentée, sans fil directeur, simples
associations d'idées ; la causalité circulaire, forme de démonstration à contrario ; la
causalité contingente, qui établit des liens simples entre les phénomènes sur la
base de leur proximité spatiale ou temporelle ; la sursaturation causale consistant à
ne recourir qu'à très peu de causes ; et enfin la causalité multiple, opposée aux
quatre autres et qui manifeste un authentique travail cognitif de recherche et
d'analyse du réel.
La représentation sociale, en tant que processus mental, fait donc partie des
mécanismes mentaux en usage dans la pensée en acte, dans la communication. Ce
sont des « systèmes intellectuels collectifs élaborés en vue de la communication
dans la vie sociale » (MOSCOVICI, 1972, p. 60).
En tant que produit de ce processus, les représentations sociales sont des « blocs
organisés d'idées, de croyances et d'attitudes qui fonctionnent comme dogmes du
quotidien et qui semblent servir de principe de démarcation et de différenciation
entre les groupes » (MORIN, 1983/1984, p. 826). Elles ne sont donc pas une fausse
conscience ni une conscience déformée, mais une réalité en soi. Elles sont
structurées par le social mais s'autonomisent aussi par rapport à la réalité pour
devenir des discours utilisables ici et maintenant. Dans le souci de toujours pouvoir
communiquer quelque chose à quelqu'un, les individus semblent devoir disposer,
pour leur vie de tous les jours, d'un corpus de mots, reflets de sentiments, de
croyances, d'opinions, objets disponibles, autonomes, permettant d'affirmer sa
connaissance, même de l'inconnu. Rendre l'absent présent, l'inconnu connu est en
effet une des fonctions essentielles des représentations sociales.

3- REPRESENTATION SOCIALE ET SITUATION D'INTERACTION

Les représentations sociales sont donc des produits spécifiques d'une pensée
sociale en usage et de ce fait elles sont marquées par leur statut même de
production langagière. Ce discours doit donc être considéré comme un langage
c'est-à-dire «comme une pratique de celui qui, attaché à comprendre pour agir, se
sert du langage en vue de fins pratiques, juste assez pour les besoins de la pratique
et dans les limites de l'urgence pratique» (BOURDIEU, 1980, p.53).
L'interaction verbale qui permet la récolte de ce produit langagier est, il ne faut pas
l'oublier, un marché linguistique où sont mis en oeuvre des stratégies, souvent
inconscientes. Ce que récolte l'enquête psychosociale n'est donc pas une
manifestation directe de la compétence, mais un produit complexe de la relation
entre une compétence et un marché et ce produit n'existe pas hors de cette relation.
Or, devant cette situation de légitimation qu'est le rapport enquêteur-enquête, les
agents sont mis en demeure de produire quelque chose à propos d'un objet sur
lequel ils n'ont peut-être pas réfléchi. La production verbale ainsi obtenue n'est donc
pas toujours l'expression d'un déjà-là pensé, mais l'expression d'une adaptation
immédiate à la situation de légitimité. Pour ce faire, les agents puisent dans le
répertoire collectif des idées et des mots, « dans ces propositions-clefs qui
permettent de déterminer une certaine figure du réel, d'y classer des individus et des
événements » que MOSCOVICI (1976, p. 20) appelle des génotypes sémantiques.
« Complexes refoulés », « refoulement inconscient », concepts à partir desquels
sont construits un tas de variantes, jouent ce rôle de « mots matrices » pour la
psychanalyse. Ainsi, toute la représentation de la psychanalyse se trouve-t-elle
concentrée dans ces « supraconcepts ». Ceux-ci bloquent l'extraordinaire diversité
du réel et construisent une réalité simple, compréhensible, et partagée par tous, tout
du moins pour un temps.

4- LE CONTENU ET L'ORGANISATION DES REPRESENTATIONS SOCIALES

4-1 - Représentations sociales / mythes / idéologies

Avec le concept de représentation apparaît donc dans la littérature psychologique la
dimension symbolique dans l'analyse des comportements. Cette variable
intermédiaire place en effet comme déterminant central des comportements, « non
pas les éléments objectifs présents et observables de la situation, mais la
signification que le sujet leur attribue» (ABRIC-MARDELLAT, 1974). Nous n'avons
plus alors à faire à un sujet réactif mais à un individu créateur de sens dont les
comportements sont à comprendre par rapport aux significations qu'il accorde à
l'objet.
Si l'on considère que la représentation est un acte de pensée (et le produit de cet
acte) d'un individu relativement à un objet, une évocation de quelque chose d'absent
dans le champ perceptif, la représentation sociale se caractérise par le fait qu'il
s'agit d'une représentation partagée par les membres d'un groupe, produite
collectivement, et ayant une fonction sociale, à savoir établit des communications
entre les membres du groupe et avec ceux d'autres groupes.
Production mentale collective, la représentation sociale se distingue du mythe.
Celui-ci est pour l'homme primitif une philosophie unique, une science totale qui
cherche à imposer aux hommes un sens de l'Histoire et de leur propre histoire. C'est
une explication totale qui règle les pratiques, les pensées, les perceptions des
individus d'une société donnée. Pour DUMONT (1974), le mythe vise à construire un
horizon objectif et à surmonter l'indétermination de l'Histoire en fixant une Histoire.
La représentation sociale, par contre, est une des formes d'explication du réel de
l'homme contemporain, au même titre que la science, la religion, les théories
politiques et syndicales, mais elle s'en différencie par le fait qu'il s'agit d'une
construction du sujet lui-même. C'est cet aspect constructif qui la distingue aussi de
l'idéologie conçue comme vision du monde organisée, schématisée et simplifiée qui
présente une explication de l'organisation sociale. En même temps, celle-ci impose
des valeurs dont le but est de construire un système de représentations exerçant
une fonction pratico-sociale.
La représentation sociale c'est donc de la science, de l'idéologie, du mythe,
reconstruits, ré-interprétés par les acteurs sociaux et utilisés à des fins de
communication. Il s'agit « d'une forme de connaissance autonome. Sa logique, son
style portent le sceau de sa raison d'être, à savoir de consolider la structure interné
d'un groupe ou d'un individu, de l'actualiser et de la communiquer, d'établir des
liaisons avec autrui » (MOSCOVICI, 1976, p.79).
4-2 - L'organisation des représentations sociales
« Unité d'images, de croyances, d'opinions » (KAES, 1976)
« Unité d'images, de concepts, de significations ayant trait à l'objet » (MOSCOVICI,
1976).
« La représentation englobe concepts, images, connaissances, croyances »
(CHOMBARD DE LAVE, 1983 / 1984).
Quelque soit la nature exacte de ses éléments constitutifs, la représentation sociale
peut être analysée à travers trois dimensions :
-« L'information-dimension ou concept- à trait à l'organisation des connaissances
que possède un groupe à propos d'un objet social » (MOSCOVICI, 1976, p.66).
Cette dimension renvoie donc à la quantité d'informations dont dispose chaque
individu, chaque groupe social, à propos de l'objet, mais aussi à la nature des
informations disponibles.
-« L'attitude achève de dégager l'orientation globale par rapport à l'objet »
(MOSCOVICI, p. 69). Si l'on en croit C. HERZLISCH, elle apparaît comme une
dimension plus primitive dans la mesure où elle existe dans le cas d'une information
réduite et d'un champ peu structuré. MOSCUVICI y voit quant à lui la dimension «
génétiquement première » à partir de laquelle viendront se greffer les informations. Il
s'agit donc du versant dynamique des représentations sociales, celui qui oriente la
prise d'informations et leurs transformations.
- Le champ de représentation renvoie « au contenu concret et limite des
propositions portant sur un aspect précis de l'objet de la représentation »
(MOSCOVICI, p. 67). Cette notion renvoie ainsi à l'idée que les informations
disponibles sont organisées, hiérarchisées, et comme le dit GILLY, « c'est à son
propos que l'on peut parler d'éléments centraux et périphériques » (1980, p. 32). On
retrouve cette notion avec les recherches d'ABRIC quand il affirme : « La structure
interne d'une représentation sociale a pour caractéristique essentielle d'être
organisée autour d'un noyau central. C'est par rapport à lui que les autres éléments
présents dans le champ représentatif sont interprétés, pondérés, évalués
positivement ou négativement» (ABRIC, 1983/1984, p. 861).
La recherche de ces noyaux centraux pose encore quelques problèmes
méthodologiques. Ainsi MOSCOVICI dégage-t-il le noyau figuratif des
représentations sociales de la psychanalyse sur la base d'une analyse intuitive des
entretiens qu'il a récoltés. Par contre ABRIC utilisera une méthodologie statistique
(l'analyse des similitudes ABRIC / VACHEROT, 1975l976) pour dégager le noyau
central des représentations sociales de l'artisan et de l'artisanat.

4-3 - La représentation sociale comme processus psychique
Si la représentation sociale est un corpus organisé de connaissances, elle est aussi
un processus psychique « grâce auquel les hommes rendent la réalité intelligible,
s'insèrent dans un groupe ou un rapport quotidien d'échange, libèrent les pouvoirs
de leur imagination » (MOSCOVICI, 1976, p.27-28). La représentation sociale
comme produit est ainsi le résultat d'une construction mentale solidaire de l'insertion
des agents dans un réseau de communications et d'échanges. MOSCOVICI dégage
deux processus majeurs dans cette construction : L'objectivation et l'ancrage.
L'objectivation rend compte de la transformation d'une connaissance en
représentation par le social, l'ancrage, quant à lui, rendant compte du processus
inverse, celui de la transformation du social par la représentation.
4-3-1 - L'objectivation : « Le social dans la représentation »
Dans le cas de la représentation sociale de la psychanalyse étudiée par
MOSCOVICI, l'objectivation conduit à rendre réel une structure conceptuelle par
nature abstraite et formelle. Production de l'esprit, la théorie, pour être comprise et
utilisée, doit acquérir le statut d'image quasi-matérielle et l'objectivation est le
processus qui rend possible cette opération. MOSCOVICI écrit ainsi : « Par cette
décentralisation, les éléments de la langue scientifique passent dans le langage
courant où ils obéissent à de nouvelles conventions » (1976, p.108). Surchargée de
sens que l'on ne comprend pas, faute de disposer des outils pour la comprendre, la
psychanalyse doit devenir compréhensible et l'objectivation est là pour résorber cet
excès de signification en matérialisant le concept. Il s'agit ainsi de rendre l'abstrait
concret et le polysémique monosémique.

- Cette opération est appelée naturalisation. Ainsi, le concept de complexe devient-il
une quasi-réalité physique ; on peut le voir sur autrui.
L'autre opération de l'objectivation est la classification (encore appelée
catégorisation), qui ordonne le réel et le simplifie. On retrouve d'ailleurs cette
opération de catégorisation sociale à la base de la construction de l'identité sociale
dont parle G. BRUANT quant il étudie l'identité sociale des athlètes : « Elle se
construit à partir de processus de catégorisation sociale qui tend à ordonner
l'environnement en termes de catégories de personnes ou groupes de certains de
leurs attributs » (BRUANT, 1987, p.354).
L'objectivation est donc le résultat de ces deux processus conjoints. Cette première
phase aboutit à la création de ce que MOSCOVICI appelle le noyau figuratif de la
psychanalyse.

Ce schéma figuratif est prégnant, c'est-à-dire qu'il correspond avec ce qui se
dégage de l'expérience quotidienne. Il permet aussi d'instrumentaliser un modèle
scientifique trop complexe et de le traduire en une réalité simple. Il acquiert ainsi le
statut d'instrument pour orienter la perception et les jugements des individus. Il va de
soi que les concepts de schéma figuratifs et d'objectivation sont marqués par la
nature même de l'objet étudié par S. MOSCOVICI, à savoir une théorie scientifique.

Mais, que ce soit à propos de la maladie (HERZLISCH), de la culture (KAES), de
l'élève (GILLY), de l'enfance (CHOMBARD DE LAWE), tous les auteurs s'accordent
pour affirmer que la pensée en usage fonctionne en réduisant la complexité du réel
pour aboutir à des noyaux souvent bipolaires (maladie / mode de vie, santé /
individu ; enfant / authentique / naturel, adulte / non authentique / socialisé).
4-3-2 - L'ancrage : La représentation dans le social
C'est donc le processus qui suit l'objectivation et qui équivaut à l'attribution d'une
fonctionnalité. Ainsi la psychanalyse devient-elle un système de classification des
individus et des phénomènes et un système d'interprétation de la vie quotidienne.
L'ancrage manifeste ainsi l'effort de l'individu pour donner un sens à ses rapports
avec le monde mais aussi avec autrui. C'est ce que l'on retrouve avec l'usage de
plus en plus fréquent de termes sportifs dans d'autres domaines de la vie publique.
Etre sport ou ne pas l'être, être fair play ou non, etc. c'est être classé, jugé, dans la
vie, à travers le filtre du vocabulaire sportif.

Notons pour terminer cette présentation que des auteurs comme POSTAM et
BRUNER (in LEVY, 1978) ont montré que la perception sociale procède par
sélection, accentuation et fixation. Parlant des rumeurs, ALLPORT et POSTAM (in
LEVY, 1978) montrent que celles ci sont soumises à des mécanismes de sélection
et d'assimilation. ROUQUETTE (1975), pour sa part, décrit l'omission,
l'intensification, la généralisation, l'attribution et l'assimilation comme étant les
mécanismes majeurs mis en oeuvre dans la pensée naturelle.
Ainsi donc, la structure même des représentations sociales est à rechercher dans
les mécanismes cognitifs mis en oeuvre dans la pensée sociale. Il s'agit de ce que
MOSCOVICI nomme les « déterminations latérales » des représentations sociales.
Les « déterminations centrales régissent quant à elles l'émergence et le contenu des
représentations. C'est l'étude de quelques unes des déterminations centrales des
représentations sociales du sport chez les institutrices qui a fait l'objet de notre
travail et que nous allons exposer dans une seconde partie.

DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DE QUELQUES DETERMINANTS DES
REPRÉSENTATIONS SOCIALES DU SPORT CHEZ LES INSTITUTRICES

1 - PROBLEMATIQUE DES DETERMINANTS DES REPRESENTATIONS
SOCIALES DU SPORT CHEZ LES INSTITUTRICES
Peu d'études ont porté jusqu'ici sur les déterminants des représentations sociales, la
tradition psychologique et la formation de base des chercheurs relevant de ce
courant de recherche ayant orienté celles-ci vers l'étude de la structure des
représentations sociales.
Notre recherche sur l'études des déterminants des représentations sociales du sport
est marquée bien entendu par la nature même de l'objet, à savoir le sport. Cette
spécificité tient, semble-t-il à trois caractéristiques essentielles :
- La première est, qu'en tant que pratique corporelle, elle renvoie pour chaque
individu aux multiples expériences corporelles qui jalonnent son existence. Le
rapport, même parlé, au sport est inévitablement un rapport au corps, et penser et
parler sport c'est, en paraphrasant JODELET et MOSCOVICI (1980) « penser et
parler son corps». C'est l'une des raisons pour laquelle notre problématique repose
sur les travaux de P. BOURDIEU et de son équipe, même si nous ne devons jamais
oublier que BOURDIEU s'attache à découvrir les principes pratiques de l'action
pratique qui sont irréductibles aux principes logiques que peuvent en fournir les
acteurs.
Nous pensons pourtant que les discours sur le sport ne sont pas totalement
indépendants de ce qu'il nomme l'habitus, entendu comme système de dispositions
et de perceptions qui règlent les pratiques. Nous verrons plus loin que notre
population se prête, de par ses caractéristiques, à une étude indirecte de l'influence
des conditions éducationnelles qui sont au principe de la construction et de
l'incorporation de l'habitus. D'autre part, si les représentations sociales du sport
s'organisent à partir des informations que les sujets puisent dans leurs expériences
privées, elles s'organisent aussi à partir des pratiques et des savoirs socialement
transmis ; or ces savoirs sont sans aucun doute répartis différemment en fonction
des classes sociales. Nous aurons à le vérifier.

- La seconde caractéristique de notre objet est sa très forte valorisation en cette fin
de vingtième siècle et la multiplication des discours dont il est l'objet, discours
hygiéniques, éducatifs, médicaux dans lesquels ne manquent pas de puiser les
institutrices pour construire leurs représentations sociales.

- La troisième caractéristique de notre objet d'étude est qu'il est une pratique, vécue
ou perçue, socialement classée et classante, pour reprendre la formule de P.
BOURDIEU. C'est un élément de style de vie des individus par lequel ils marquent
leur appartenance à tel ou tel groupe social, ethnique ou sexuel, et leur différence
avec tel ou tel autre groupe. Les représentations sociales du sport, c'est-à-dire les
discours sur sa pratique ou sur le sport en général, sont donc aussi l'expression de
cette appartenance / différenciation qui est au principe de la socialisation.

A ces trois caractéristiques liées à l'objet s'ajoute, en outre, une caractéristique
essentielle liée à la population elle-même. Nous étudions en effet les
représentations de femmes, à propos d'un objet jusqu'ici fortement masculinisé et
qui est aujourd'hui un véritable enjeu de lutte des sexes. Les discours sur le sport
sont donc très certainement marqués par cet enjeu. D'autre part, ce statut de femme
n'est pas sans avoir influencé les conduites éducatives qui sont à la base des
modèles esthétiques, des modèles de rôles sexuels qui participent aussi à
l'orientation et à la sélection des représentations sociales. Notons enfin pour
terminer que les représentations sociales d'un agent, parce que recueillies dans une
situation particulière d'enquête, sont entièrement déterminées par cette situation de
légitimité. Rien ne nous donne le droit d'affirmer qu'elles ne seraient pas autres dans
une autre situation de communication.

Nous présentons ci-après un modèle de ce que peuvent être les déterminants
essentiels des représentations sociales du sport chez les institutrices.
2 - METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

2-1 - Les Hypothèses

Dans un premier temps nous faisons l'hypothèse que les représentations sociales
du sport chez les institutrices sont profondément déterminées par leur situation de
femme en demeure de construire un discours sur un objet masculin, objet qu'elles
tentent de s'approprier pratiquement mais aussi de manière discursive. Les
représentations sociales du sport sont donc des discours de lutte, à travers lesquels
les femmes créent leur propre sport et par ce fait tentent d'exister dans le champ
sportif.
D'autre part, ce discours pour l'existence sportive, véritable discours performatif,
porte la marque, dans sa structure profonde, du statut social de ces femmes. En
effet, et nous le verrons plus loin, les institutrices françaises sont, dans leur grande
majorité, issues d'un milieu modeste et appartiennent, de part leur profession et leur
situation maritale à la classe moyenne aujourd'hui. Ces deux « conditions objectives
» ne sont pas sans influencer les représentations sociales de cet objet masculin.

Mais au delà de cette situation générale, c'est-à-dire valable pour la plus grande
partie de la population, nous faisons l'hypothèse que ces deux conditions objectives
permettent d'expliquer les représentations sociales « marginales » de notre
population. Ce sera ainsi l'occasion pour nous de vérifier que le monde des
institutrices, au delà d'une homogénéité apparente une même profession les unit -
est en fait hétérogène du point de vue du style de vie. C'est sans doute cette
hétérogénéité qui permet aussi d'expliquer la variabilité des pratiques pédagogiques
(et leur absence fréquente) en éducation physique.

2-2 - L'outil méthodologique

Après une pré-enquête en deux temps-entretiens semi-directifs réalisés auprès de
15 institutrices et la région malouine puis pré questionnaires distribués à 40 autres
institutrices - nous avons abouti à un questionnaire définitif composé de 30
questions ouvertes, la questions semi-ouvertes et 20 questions fermées.
23 questions portent sur les pratiques physiques ou sportives personnelles, 12 sur
le sport et les sportifs, 13 sur les activités culturelles liées au sport (spectacle sportif,
télévision, lecture), 13 sur les connaissances proprement dites du phénomène
sportif, 14 questions servent enfin à identifier les institutrices (âge, profession du
conjoint, profession du père, etc.)

2-3 - La population. l'échantillon
Nous avons précisé que nous travaillons sur une population féminine. Le choix des
femmes de cette profession est bien entendu lié à leur sur-représentation dans le
monde instituteur (75 % dont 97 % en maternelle).

Notre enquête a porté sur 290 institutrices de la région bretonne (ceci est lié aux
facilités que nous avions pour réaliser cette enquête dans cette région). Grâce à
l'amabilité des C.P.D, et des C.P.C, nous avons récupéré plus de la moitié des
questionnaires distribués (290 sur 500). Les impératifs que nous leur avions formulé
(distribution à des institutrices d'une même école et non aux institutrices
« sportives » ou faisant plus d'éducation physique) nous font penser que
l'échantillon n'est pas biaisé et qu'il est représentatif de la population globale des
institutrices françaises, si l'on excepte les particularités régionales qui ne sont sans
doute pas sans effet sur les représentations sociales du sport.

Les tableaux (en annexe) précisent les caractéristiques de la population et de
l'échantillon.
2-4 - Les outils statistiques

Afin de dégager les représentations sociales dominantes du sport, nous avons
utilisé les tableaux de fréquences des réponses aux questions posées. Les
pourcentages obtenus n'ont que peu de valeur en eux-mêmes car ils dépendent de
la nature même du questionnement (Questions à choix simple, à choix multiple,
questions ouvertes ou fermées, questions conditionnelles...), mais l'analyse
générale de la structure des réponses nous permettra de dégager de précieuses
indications sur la spécialité des représentations sociales de cette population.
L'analyse des influences respectives des conditions objectives de vie
(essentiellement l'origine sociale et la profession du conjoint) a été effectuée grâce à
l'utilisation de plusieurs analyses factorielles des correspondances. Cette méthode
d'analyse de la structure d'un ensemble de variables a été complété par des tri
croisés qui tentaient de valider les résultats de ces analyses des correspondances.
Etant donné les limites imposées à cet exposé nous ne présenterons que quelques
résultats sur la seule base de quelques analyses factorielles.

3- QUELQUES RESULTATS DE L'ENQUÊTE

3-1 - Le noyau organisateur des représentations sociales de la pratique
sportive

La nature même de notre outil méthodologique (enquête par questionnaires) rend
difficile, voir hasardeuse, l'émergence de la structure des représentations sociales.
Telle n'était d'ailleurs pas notre objectif premier. L'analyse intuitive des réponses à
certaines questions nous permet quant même de cerner ce que l'on peut appeler les
noyaux centraux des représentations sociales de la pratique physique ou sportive et
du sport en général.
C'est sur l'analyse des réponses aux questions portant sur les pratiques
personnelles et les modalités de cette pratique que repose notre extrapolation.
Notons à ce sujet que le noyau central est dégagé. des réponses des institutrices
qui avouent une pratique physique ou sportive plus ou moins régulière (90 % des
femmes qui répondent au questionnaire).
Les tableaux ci-dessous renferment les résultats que nous paraissent les plus
intéressants et les plus significatifs.

QUAND VOUS PRATIQUEZ UNE APS VOUS DESIREZ : (2 réponses au plus)
- Exercer, faire fonctionner votre corps 58 %
- Découvrir la nature                    33, 6 %
- Maîtriser votre corps                  28, 6 %
- Découvrir des sensations               17, 9 %
AU COURS DE CETTE PRATIQUE VOUS AIMEZ : (2 réponses au plus)
- Faire de l'activité physique 73 %
- Faire des exercices          34,1%
- Faire des jeux               18,3 %
- Faire de la compétition      2,4 %

PAR VOTRE PRATIQUE SPORTIVE VOUS CHERCHEZ PRIORITAIREMENT
(2 réponses au plus)
- A améliorer votre forme phys.
- A maintenir votre forme phys.  77, 6 %
- A améliorer votre forme psych.
- A maintenir votre forme psych. 54, 6 %
- A améliorer votre esthétique
- A maintenir votre esthétique   24, 5 %

QUAND VOUS PRATIQUEZ UNE A.P.S., VOUS PREFEREZ
- Faire des efforts intenses     10,3 %
- Aller à votre rythme           79 %
- Ne ressentir aucune fatigue    5%
- NR                             4%

Ces questions fermées ou semi-fermées, qui « imposent » en quelque sorte une
réponse, même si la non-réponse est toujours possible, nous permettent de dégager
un élément fondamental des représentations sociales de la pratique physique chez
les institutrices : Ce que l'on pourrait appeler le « fonctionnalisme corporel ». Le
sport, l'activité physique c'est d'abord faire de l'activité physique, faire fonctionner
son corps, rechercher la forme physique, aller à son rythme. Il s'agit moins par
contre de faire des exercices, encore moins des jeux, et l'acquisition de la forme
psychique, la découverte de sensations nouvelles, etc.., sont secondaire.
Nous voyons la confirmation des recherches entreprises par C. POCIELLO et son
équipe, à la suite des travaux de P. BOURDIEU. En effet, les institutrices, issues
d'un milieu modeste en général, et appartenant à ce que l'on peut appeler la classe
moyenne aujourd'hui, expriment une attitude fonctionnaliste à l'égard du corps,
attitude qui caractérise plutôt les classes modestes. Il y a ici prédominance de la
fonction sur la forme, contrairement à ce que trouvent JODELET et MOSCOVICI
quand ils analysent les représentations sociales du corps chez les femmes des
classes aisées (Doc, ronéoté E.H.E.S.S. 1980).
Ce fonctionnalisme corporel est à notre sens l'élément central, et le plus profond,
des représentations sociales de cette population. A ceci vient s'ajouter, en surface,
des représententations plus communes, plus «transclassistes » qui manifestent
l'ancrage des discours dans des idéologies dominantes sur la pratique physique.
Bien-être, équilibre, mais aussi détente, maîtrise de soi, maintien, rigueur sont des
expressions qui reviennent fréquemment et qui nous rappellent que nous avons à
faire à une population de femmes que l'on pourrait situer aussi dans la petite
bourgeoisie.
3-2 - Représentations sociales :

Présentations sociales Nous avons mentionné que les représentations sociales sont
des représentations construites collectivement pour communiquer. Cette
communication porte sur un contenu particulier, mais l'analyse plus profonde de
certaines des réponses nous montre que les représentations sociales doivent aussi
être considérées comme de véritables présentations sociales grâce auxquelles les
femmes se situent, et sont situées, dans l'espace des sports. Les résultats suivants
nous le montrent.
Nos deux premières questions portaient sur les pratiques physiques ou sportives
régulières (1 fois par semaine au moins) ou occasionnelles et/ou saisonnières. Elles
proposaient à chaque institutrice une liste d'activités qu'elle pouvait d'ailleurs
compléter (tableau 1 et 2). L'analyse plus poussée de ces tableaux ne nous
intéresse pas présentement. Attachons nous à l'étude de quelques une des
particularités de ces résultats.

Question 2 :
Pratiques régulières ? (c'est-à-dire une fois par semaine environ)

Pratiques régulières                            n            %

Aucune                                          91           31,4
Marche / Vélo / Natation                        42           14,5
Gymnastique Volontaire d'Entretien              36           12,4
G.V. + (Marche et/ou Vélo et/ou Natation        25           8,5
Voile / Equitation / Tennis                     35           12,1
G.V. + (Voile et/ou Equitation et/ou Tennis     19           6,6
Danse / Yoga                                    27           9,3
(Marche et/ou Vélo et/ou Natation) +
(voile et/ou Equitation et/ou Tennis)           15           5,2
Tableau 1

D'une part, nous sommes surpris par les faibles pourcentages des femmes qui
s'avouent « non sportives » (non-réponse aux deux questions). Ceux-ci sont bien
plus faibles que ceux que l'on retire des autres enquêtes sur les pratiques physiques
ou sportives. Nous attribuons ceci à la possibilité qu'avaient les sujets de cocher des
activités telles la marche ou le vélo. Même si nous ne sommes pas certain de la
fréquence ou de la durée de ces activités, ce qui importe à nos yeux c'est que
31,8 % des femmes interrogées choisissent de cocher une de ces activités, c'est-à-
dire en fait, choisissent de ne pas être considérées comme inactives, voire non
sportives. Face à la légitimité de la question qui place chaque sujet devant la
nécessité de répondre à propos d'un objet socialement valorisé aujourd'hui, une
partie des institutrices choisit la marche, le vélo, la natation (la baignade ?), pour
signifier qu'elles sont aussi à placer dans la catégorie valorisée des sportives.

Ceci nous est confirmé par les analyses factorielles des correspondances et les
croisements que nous avons effectués entre ces deux variables (les deux questions
précédentes) et les variables statutaires classiques (âge, origine sociale, profession
du conjoint) - voire les analyses des correspondances en annexe) - Ces analyses et
croisements nous indiquent que les réponses ne sont indépendantes ni de l'âge des
sujets (on s'en serait douté !) ni de la profession du conjoint, ni de l'origine sociale.
Ainsi les femmes qui s'avouent totalement non sportives (NR aux deux questions)
sont en général les plus âgées (plus de 45 ans), elles sont d'origine agricole et,
curieusement, leur conjoint est souvent instituteur ! On retrouve là le vieux couple
pédagogique de la 3ème république, dont la vie toute entière à été axée sur l'école
et la culture et qui n'éprouve pas le besoin aujourd'hui de se montrer sportif.
Par contre, ce n'est point le cas des femmes qui n'avouent qu'une pratique
occasionnelle de la marche, du vélo ou de la natation (question 2). Leur âge (35-40
ans), leur origine sociale un peu plus élevée (père ouvrier) mais surtout la
profession de leur conjoint (ouvrier mais surtout cadre moyen ou technicien) nous
incitent à penser que ces femmes ne sont pas plus actives ou plus sportives que les
précédentes. Toutefois leur plus jeune âge, leur situation sociale actuelle plus
élevée, font qu'elles tolèrent plus difficilement que les précédentes de se classer et
d'être classées parmi les non sportives.

Un troisième exemple nous fait penser que ces réponses sont aussi des
présentations sociales. Ces institutrices dont nous venons de parler plus haut (plus
de 45 ans, d'origine rurale) n'avaient donc pas la possibilité (puisque ne répondant
pas aux deux premières questions) de répondre aux 13 questions suivantes portant
sur les modalités de cette pratique. C'est sans doute la raison pour laquelle ce sont
ces femmes qui vont répondre le plus fréquemment aux autres questions portant
cette fois sur le sport, sur le spectacle sportif, sur les connaissances sportives. Il
nous semble ainsi que, par ces réponses, elles tentent, elles aussi, de se situer
dans l'univers des sportives.

Pratiques irrégulières ou occasionnelles               n          %

Aucune                                                 26         9
Natation (choisie seule)                               25         8,6
Marche / Vélo / G.V. (avec ou sans natation)           47         16,2
Randonnée + (Marche / Vélo / Natation /G.V.)           48         16,6
Ski de fond + (Marche / Vélo /
Natation / G.V./ Randonnée)                            26         9
Tennis / Voile / Equitation
sans Ski de descente                                   16         5,5
Tennis / Voile / Equitation
avec Ski de descente                                   17         5,9
(Marche / Vélo / G.V. / Randonnée) .
+ (Tennis / Voile / Equitation) sans Ski               35         12,1
de descente
(Marche / Vélo / G.V. / Randonnée) +
(Tennis / Voile / Equitation) avec Ski                 50         17,2
de Descente
Tableau 2
NB : Des difficultés liées au programme de traitement des données expliquent cette
classification.

Les réponses à un questionnaire renvoient donc à une stratégie de la part des
répondeurs. Ces stratégies (de présentations) ne sont peut être pas intentionnelles.
Il s'agit d'une forme d'ajustement verbal à une situation particulière d'enquête dans
laquelle l'objet même de l'enquête et l'enquêteur (mais aussi ceux qu'il représente)
font partie intégrante.

Représentations sociales : Discours de lune
Si ces représentations sociales sont des discours de présentation, ils sont aussi des
discours de lutte où ceux qui les produisent introduisent leurs préoccupations, leurs
désirs, leurs revendications qui ne sont pas indépendants de leur situation présente
dans l'espace social et de la perception qu'ils en ont et de celle qu'ils veulent en
donner.
Le tableau 3 donne les résultats de la question N°20 (note 1). Les activités sont
classées par ordre décroissant en fonction des pourcentages d'accords obtenus. Lé
commentaire de ce tableau mériterait un long développement, mais ce qui nous
intéresse présentement c'est le fait qu'en ouvrant la définition du sport à tout ce qui
bouge, en considérant la gymnastique volontaire et la randonnée pédestre (2
activités à elles) aussi sportives que le 100 m, ou le match de football et bien plus
sportives que la course automobile ou la compétition de tir à l'arc, les femmes se
permettent de se classer et d'être classées comme sportives à part entière. La
définition d'un champ de pratiques est manifestement un enjeu de lutte qui permet à
ceux qui le définissent de se définir eux-mêmes. C'est aussi un discours de lutte car
il permet aux femmes de construire leur sport par opposition au sport de l'Autre.

Question 20 :
Ces activités sont-elles du sport ?
                                      % d'accord

1 - 100 Mètres                        96,2 %
2 - Randonnée - Football              92,4 %
3 - Transatlantique                   91,4 %
4 - Gymnastique volontaire            90,7 %
5 - Match de Tennis avec un ami       90,0 %
6 - Danse                             82,4 %
7 - Spéléologie                       76,6 %
8 - Promenade à Vélo                  75,2 %
9 - Golf                              72.4 %
10 - Tir à l'Arc                      70,0 %
11 - Automobile                       55,9 %
12 - Yoga                             50,3 %
13 - Jardinage                        40,0 %
Tableau 3

Les tableaux 4 et 5 regroupent les résultats des réponses aux questions 21, 22, 24,
25, 28, 29 (note 2).
Ainsi L'« Autre » est sélectif, argent, dénaturé, le leur est sociabilité, détente, loisir,
bien être, plaisir. L'« autre » est violent, excessif, exhibitionniste, inintelligent, le leur
est grâce, beauté, élégance, harmonie du corps, expressivité.

Bien sûr ces systèmes d'oppositions sont-ils induits par le questionnement (pourtant
issu d'entretiens semi-directifs), mais il ne faut pas oublier que c'est le propre des
représentations sociales que de rentrer volontiers dans des classifications rigides du
réel.

L'ensemble de ces premiers résultats nous montrent manifestement que les
représentations sociales du sport chez les institutrices sont déterminées par leur
statut même de femme, femmes mises en demeure de produire un discours sur un
objet, non seulement valorisé socialement, mais aussi appartenant à l'« Autre »
comme le dirait S. DE BEAUVOIR (1949). Nous avons à faire ici à ce que l'on peut
appeler le déterminant central des représentations sociales. Nous avons d'ailleurs
précisé que cette situation de femme était aussi une situation de classe comme
semble nous le montrer le noyau organisateur des discours sur les pratiques.

3-3 - Etude de quelques autres déterminante des représentations sociales

3-3-1 - Influence des discours actuels sur le sport

A cette détermination positionnelle et existentielle s'ajoute bien entendu l'ensemble
des discours éducatifs, politiques, idéologiques, médicaux, qui orientent les
perceptions et les actions de chaque sujet. L'analyse des noyaux organisateurs des
représentations sociales nous a déjà montré que ceux-ci étaient traversés ou
«recouverts» par toute une phraséologie plus moderne. Bien-être, équilibre, loisir,
santé sont des vocables qui renvoient bien sûr à des expériences intimes, mais nous
sommes persuadé qu'ils ne sont aussi très souvent que des expressions
automatiques que l'on puise dans la réserve de mots que nous procure notre
entourage et qu'orientent les différents discours que présentent les médias.

Le sport de Compétition   %        (1)      Le Sport « non Compétitif »        %          (1)

NR                        22.4             NR                                  24,1
Sélection                 30,6     39,5    Détente                             32,4       42,7
Argent                    30,3     39,1    « Sociabilité »                     20,6       28,2
Effort / Courage          18,6     24      Bien être / Equilibre               17,9       23,6
Dénaturé                  17,2     22,2    Plaisir                             16,8       22,2
Spectacle                 14,8     19,1    Délassement                         13,1       17,2
Sportif vertueux          11,3     14,6    Loisir                              9,6        12,7
Sportif dévalorisé        11,3     14,6    Forme physique                      8,6        13,3
Un sport valorisé         9,15     12,4    Entretien physique                  8,6        13,3
                                           Effort / Maîtrise                   6,5        8,6
                                           Modéré / Adapté                     5,1        6,8
                                           Autres                              5,8        7,7
Tableau 4 - (1) % ne tenant compte que des réponses effectives.

SPORT LE MOINS AIME                 %          SPORT LE PLUS FEMININ                  %
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