Pratiques de partenariat, pratiques d'articulation identitaire et mouvement communautaire
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Document generated on 01/10/2022 9:15 p.m. Nouvelles pratiques sociales Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire et mouvement communautaire Jacques Caillouette La dynamique partenariale : un état de la question Article abstract Volume 14, Number 1, June 2001 Does partnership mean the decline of the “community movement” or, on the contrary, its spreading-out? Partnership represents new social practices for URI: https://id.erudit.org/iderudit/008326ar community organizations. But it is important to differentiate these practices DOI: https://doi.org/10.7202/008326ar from those between the community organizations themselves, practices directed towards construction of a social movement. Indeed the theoretical interest of this article is first the conceptualization of identity articulation See table of contents practices and then that of partnership practices. Furthermore, the purpose is to explore relationships between these identity articulation practices and partnership practices within the perspective of the formation of the Publisher(s) “community movement”. Université du Québec à Montréal ISSN 0843-4468 (print) 1703-9312 (digital) Explore this journal Cite this article Caillouette, J. (2001). Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire et mouvement communautaire. Nouvelles pratiques sociales, 14(1), 81–96. https://doi.org/10.7202/008326ar Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2001 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
❖ ◆ Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire et mouvement communautaire Jacques CAILLOUETTE Département de service social Université de Sherbrooke L’espace partenarial est-il celui du déclin du mouvement commu- nautaire ou, au contraire, le lieu de son déploiement ? Les pratiques de partenariat constituent, selon l’auteur, de nouvelles pratiques sociales à occuper pour les organismes communautaires. Cepen- dant, il est important de différencier ces pratiques de mise en relation de celles des organismes communautaires entre eux, qui tendent à construire le mouvement social. L’apport théorique de cet article est la conceptualisation des notions de pratiques d’articulation identitaire, d’un côté, et de pratiques partenariales, de l’autre, ainsi que la recherche des relations à établir entre ces deux types de pratiques pour penser le mouvement communautaire. Does partnership mean the decline of the “community move- ment” or, on the contrary, its spreading-out? Partnership represents new social practices for community organizations. But it is important to differentiate these practices from those between the community organizations themselves, practices directed towards construction of a social movement. Indeed the theoretical interest of this article is first the conceptualization of identity articulation practices and then that of partnership practices. Furthermore, the purpose is to explore relationships between these identity articulation practices and partnership practices within the perspective of the formation of the “commu- nity movement”. © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
82 La dynamique partenariale : un état de la question INTRODUCTION La problématique du partenariat s’inscrit dans une mutation des politiques publiques. Au cours de cette dernière décennie, le gouvernement québécois a introduit des mécanismes de partenariat dans plusieurs de ses politiques, qu’elles concernent la santé et les services sociaux, la famille ou le dévelop- pement régional (Secrétariat à l’action communautaire autonome [SACA], 2000). Le partenariat se présente, dans le discours gouvernemental, comme un renouvellement du rapport de l’État à la société civile, qui doit bénéficier de structures institutionnelles propices au développement de son dynamisme et de sa capacité d’initiative. L’État se veut, dès lors, plus partenaire que maître d’œuvre. D’où la reconnaissance institutionnelle des organismes commu- nautaires et même, si on se fie à la proposition de politique du ministre Boisclair, du mouvement communautaire, cet « acteur des plus progressistes, mais également des plus critiques, au sein de la société québécoise » (SACA, 2000 : 13). Signalons, en outre, l’émergence de l’économie sociale qui, par sa construction hybride, recourt de façon importante à des mécanismes de partenariat. Nous traversons donc une ère de partenariat où les acteurs sont invités à cohabiter étroitement, à entrer en complémentarité, à entremêler leurs styles et leurs logiques d’action respectives. Mais ce mélange des genres est-il destructeur des identités ? Qu’advient-il des acteurs qui se sont imposés au cours des décennies précédentes ? L’espace partenarial marquera- t-il le déclin progressif du mouvement communautaire ou sera-t-il un lieu d’ac- tion propice à son déploiement ? Nous défendons, dans cet article, la thèse selon laquelle les partena- riats constituent le lieu de nouvelles pratiques d’action, de nouveaux savoir- faire à incorporer au répertoire d’actions des organismes communautaires. Toutefois, nous préconisons que les organismes communautaires continuent à travailler, par l’entremise de pratiques d’articulation identitaire, à se bâtir en tant que mouvement social, en tant que « constituants d’un mouvement social d’intérêt public » (SACA, 1996). En fait, selon notre analyse, c’est grâce à leur capacité à s’affirmer comme mouvement social que les organismes com- munautaires pourront participer à la construction de dynamiques partenariales fructueuses, au service du développement social et communautaire. Prenant appui sur nos travaux antérieurs (Caillouette, 1999, 1997), nous distinguerons d’abord deux pratiques de mise en relation : l’une dirigée vers le partenariat, l’autre vers le mouvement social. Il nous est, en effet, apparu opportun de développer et de distinguer les concepts de pratiques d’articulation identitaire (« entre nous ») et ceux de pratiques partenariales, (« avec eux »). Ensuite, nous mettrons en relation ces deux concepts afin de démontrer dans quelle mesure les pratiques partenariales peuvent favoriser la construc- tion de liens sociaux bénéfiques au mouvement communautaire et comment NPS, vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire... 83 l’autonomie du communautaire ne renvoie pas à un acteur extérieur au social, mais bien à un acteur compris et se comprenant à l’intérieur de ce social. Toutefois, nous notons qu’une « marchandisation » et une bureaucratisation des rapports humains conduisent à la déconstruction du vivre-ensemble. Il devient dès lors urgent d’encourager et de participer à la réinscription des personnes et des collectivités à des appartenances communautaires, identitaires et territoriales. Ces appartenances, loin de conduire à un repli sur le local ou à un « tout au communautaire », peuvent au contraire servir d’ancrage à la défense et à la promotion de la citoyenneté. Enfin, cherchant à nous démarquer d’une vision naïve des partenariats, nous invitons le lecteur à saisir ces partenariats en tant qu’espace à la fois de conflit, de négociation et de médiation. PRATIQUES DE PARTENARIAT VERSUS PRATIQUES D’ARTICULATION IDENTITAIRE Pour comprendre la formation de l’action collective et de ses acteurs, il convient d’insister sur la dimension herméneutique des phénomènes sociaux. En effet, toute action collective demande un acteur et un sujet de l’action en question. De plus, sur le plan identitaire, la construction de cet acteur ne peut s’opérer qu’à travers des modalités d’interprétation. La compréhension de sa réalité, pour l’acteur, et la création de nouveaux sens, de nouveaux savoirs, interviennent comme des éléments déterminants en regard de sa mobilisa- tion et de sa constitution. En fait, l’acteur évolue, se maintient, se construit toujours au sein de situations sociales et politiques qu’il se doit d’interpréter et par rapport auxquelles il doit s’interpréter, se définir. Voilà la situation herméneutique qu’affronte continuellement l’acteur, autant pour réaliser son action que pour se réaliser lui-même. Soulignant l’importance de cette dimension herméneutique constitutive de l’acteur, André Gorz prône une « herméneutique du sujet » (1997 : 102). Gorz s’appuie notamment sur l’ouvrage de Touraine, La critique de la modernité (1992), où sont mis en relation mouvements sociaux et défense du sujet. C’est ainsi que Gorz, dont nous adoptons la perspective, appelle à une recherche plus attentive à la réflexivité de subjectivation des acteurs en émergence. En tout temps, en toute situation, l’acteur, individuel comme collectif, doit se définir et définir le monde où il agit, où il évolue. La prise en compte de cette situation herméneutique conduit directement aux questions de l’identité et de la construction identitaire. Comme l’affirme Gadamer, comprendre, pour le sujet, n’est pas un comportement parmi d’autres, mais son mode de vie (1976 : 10). Sur le plan de la sociologie de la connaissance, l’acteur ne peut être qu’impliqué dans le procès de construction sociale de la réalité, dont d’ailleurs il est un élément (De Munck, 1999 ; Eyerman et NPS , vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
84 La dynamique partenariale : un état de la question Jamison, 1991 ; Berger et Luckman, 1979). Il n’est pas surprenant, dès lors, que l’acteur – pris ici dans le sens de mouvement social – comporte en son sein de l’approximatif et même de l’hétérogène. Il est traversé par différents courants historiques, particulièrement le mouvement communautaire. L’auto- interprétation est au centre de la constitution de l’acteur, de sa mobilisation et de la définition de la nature de son action (Snow et Benford, 1992). En outre, cette interprétation est perpétuellement sujette à une réinterprétation. L’acteur se voit en effet non seulement confronté à sa dynamique propre d’évolution interne, mais aussi aux changements externes. Tout ce monde en transformation représente autant d’occasions que de contraintes, qui s’offrent ou s’imposent à lui. Enfin, tout ce travail incessant d’interprétation et de réinterprétation s’accomplit dans un univers communicationnel qui implique une mise en relation, un travail de « réseautage ». Les nouveaux savoirs, les nouveaux concepts créés pour se définir et se saisir de la réalité sociale ont besoin, pour prendre forme, d’espaces de validation intersubjectifs. Étudiant les processus de cognition, De Munck (1999) parle de ces espaces comme de ceux d’une « discursivité ». En nous intéressant aux mouvements sociaux et au travail identitaire déployé en leur sein, nous pouvons parler d’une « discursivité » de l’acteur. C’est au travers de leur « discursivité » et de la mise en relation qu’implique celle-ci, que différentes personnes, différents groupes, différents regroupements vont élaborer un discours identitaire par lequel ils pourront à la fois se poser dans le social, en devenir un élément et agir sur lui. Bref, l’acteur, notamment dans sa forme de mouvement social, se crée par le biais d’une « discursivité », laquelle implique l’articulation de différents discours qui se rencontrent. D’aucuns objecteront que le partenariat suppose, lui aussi, une « discur- sivité » entre différents acteurs, qu’eux aussi, se rencontrant, ont à mettre au point une lecture commune pour sous-tendre leur action. Dès lors, la question se pose : l’espace partenarial conduit-il à une création identitaire ? En arrive-t-on à un nouvel acteur, plus global, doté d’une identité plus large ? La question du partenariat renvoie en effet à celle du sujet du système d’action mis en branle par ce partenariat. Autrement dit, l’action partenariale laisse- t-elle percer une voix composite qui serait celle d’un nouvel acteur collectif ? Nous pensons que non. Certes, l’action produite par la pratique partenariale exige une certaine rencontre des acteurs, et ce, non seulement sur le plan matériel, mais aussi sur le plan symbolique. Il est vrai également que produire une action commune peut conduire à une production de soi en commun. Mais là s’arrête l’analogie avec les processus de création identitaire que l’acteur, en tant que mouvement social, met en œuvre pour se constituer. C’est que le cadre partenarial ne NPS, vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire... 85 se pose pas, pour ses acteurs, dans une finalité de création identitaire. Il est saisi simplement en tant qu’espace de collaboration. La synthèse identitaire entre les acteurs en rencontre n’est pas au programme de leur action. Si on vise une action commune, on ne vise pas à se produire en commun. Cette volonté n’entre pas dans la pratique. Au sein de l’hétérogénéité qu’implique le partenariat, les diverses composantes demeurent distinctes. Elles trouvent ailleurs leur référence identitaire. En fait, le concept de partenariat dérive directement de celui de partenaire, et il faut au moins deux partenaires pour parler de partenariat. L’assujettissement et l’« instrumentalisation » peuvent définir la relation, mais alors le rapport de partenariat s’estompe, disparaît, ne devient qu’un manteau, un simulacre pour couvrir autre chose. Les pratiques de partenariat doivent donc se comprendre, à notre point de vue, comme une mise en relation qui vise non pas la création d’un nouvel acteur, mais la coopération étroite entre des acteurs différents. Si, au contraire, la mise en relation est le fruit de la volonté d’une production de soi en commun, ou conduit à une identité commune, il ne faut plus parler de pratiques partenariales, mais de pratiques d’articulation identitaire. Dans ce cas, la rencontre des différences dépasse la collaboration : les acteurs unissent leurs différences dans un travail de réflexion commun afin de se définir et de se nommer à travers une identité plus globale dans laquelle les identités particulières peuvent se reconnaître tout en s’enrichissant de la différence des autres. Nous pensons, par exemple, au mouvement commu- nautaire. Par la mise en relation des diverses générations historiques (Bélanger et Lévesque, 1992) qui le traversent, les différents acteurs de ce mouvement s’investiront dans un travail d’articulation de leurs différentes traditions d’action communautaire. Par ces pratiques d’articulation identitaire, les acteurs des diverses composantes du mouvement chercheront alors à se saisir et à s’interpréter dans une identité d’appartenance plus globale. Plus riche et plus large que les identités particulières qui la créent, cette identité viendra renforcer les éléments qui participent à sa définition. En fait, les organismes communautaires participent à des pratiques d’articulation identitaire lorsqu’ils déploient entre eux des activités relation- nelles et discursives qui les mobilisent et les amènent à se construire selon une énergie de mouvement communautaire. Le terme « mouvement » appelle à une certaine cohésion identitaire, alors que « milieu » ou « secteur » commu- nautaires pourraient ne référer qu’à un agrégat disparate d’organismes. Le concept de pratiques d’articulation identitaire que nous cherchons à développer ici s’inspire de la notion de pratiques d’articulation d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe (1993), à laquelle nous ajoutons la perspective de l’identité. Nous définissons donc les pratiques d’articulation identitaire en référence à la création d’un acteur à partir d’une diversité d’éléments qui se rencontrent. Ces pratiques représentent en fait un travail d’interprétation et NPS , vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
86 La dynamique partenariale : un état de la question de négociation entre ces divers éléments en vue de leur participation commune à une conscience collective partagée. Une conscience qui, étymo- logiquement, pourrait renvoyer à une communauté (cum) de savoirs (scientia), (Balibar, 1998 : 21). Précisons que ces savoirs ne sont pas que théoriques ou instrumentaux par rapport à l’acteur. Ils sont des savoirs, et le plus souvent des contre-savoirs, qui nourrissent son identité. Ils renvoient en effet à des aspects à la fois représentatifs, cognitifs et émotionnels. Cette connaissance informe l’acteur, en ce sens qu’elle lui donne forme quant à sa position, à ses dispositions, à ses représentations et à sa mission. Ces diverses dimen- sions cognitives autorisent, à notre avis, à parler des pratiques d’articulation en termes de pratiques identitaires, au sens d’un travail « autoréflexif » collectif. Le qualificatif « identitaire » s’ajoute à la notion de pratiques d’articulation, car il s’agit de pratiques découlant de la volonté de production de soi en tant que sujet plutôt qu’élément du système. Dans l’univers d’occasions et de contraintes où il évolue, l’acteur se construit en cherchant à sortir des rôles assignés pour entrer dans une dynamique de sujet acteur. La pratique d’articulation identitaire constitue un creuset identitaire où différents discours se rencontrent pour se comprendre, en commun, les uns à la lumière des autres. Les éléments qui se rencontrent dans ce creuset articulent leurs imaginaires particuliers pour se comprendre à travers un acteur bénéficiant d’une masse critique supérieure et d’un potentiel accru pour marquer les consciences et s’incorporer dans les représentations sociales. Le mouvement communautaire comporte de multiples lieux de pratiques d’articulation identitaire. Certes, le travail essentiel sur ce plan se fait au quo- tidien, à la base, au sein des organismes et entre eux ; c’est là, dans l’action, que se tissent, se consolident, se renouvellent les identités. Mais celles-ci, pour se maintenir, se valider, s’enrichir, ont besoin d’espaces plus larges. Les regroupements nationaux, régionaux, locaux, sectoriels et multisectoriels remplissent cette fonction. Les grands événements ou les luttes, tels le Contre- Sommet des peuples d’Amérique, la Marche mondiale des femmes ou le travail de positionnement du mouvement communautaire face à la propo- sition de politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire, servent également d’espaces privilégiés au déploiement de ces pratiques. Enfin, pour conclure sur les notions de pratique d’articulation identitaire et de pratique partenariale, retenons que l’arrière-plan de la première renvoie, pour ses acteurs, à une relation d’appartenance mutuelle, alors que les acteurs de la pratique partenariale vivent celle-ci dans la différence, laquelle s’exprime dans la complémentarité ou la coopération conflictuelle. D’une pratique à l’autre, l’intention n’est pas la même. La pratique d’articulation identitaire prend pour horizon un « entre nous », la partenariale, un « avec eux ». La mise en forme de chacune des pratiques, bien que toutes deux soient relationnelles, se fait dans le cadre d’intentions différentes. Du côté identitaire, il y a volonté NPS, vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire... 87 de synthèse dirigée vers une énergie de mouvement communautaire. Du côté partenarial, le but est tout simplement l’addition et l’orchestration des forces en vue de la participation à une action commune. COMPLÉMENTARITÉ DES PRATIQUES DE PARTENARIAT ET D’ARTICULATION IDENTITAIRE Après avoir distingué les pratiques identitaires des pratiques partenariales, voyons comment les pratiques partenariales peuvent contribuer, indirec- tement, à la construction de l’acteur communautaire ainsi qu’au renforcement de l’action de ce mouvement sur le social. L’analyse doit éclairer deux enjeux liés entre eux : l’autonomie du mouvement communautaire, d’un côté, et la reconstruction des communautés territoriales, de l’autre. La défense et la promotion de son autonomie sont au cœur de l’action du mouvement communautaire. La reconstruction des communautés découle d’abord d’un constat d’éclatement des liens communautaires et de la nécessité d’une action sociale d’ensemble en appui aux possibilités d’affiliations communautaires pour remédier au problème. Enfin, les deux enjeux sont reliés par l’idée que les dynamiques communautaires représentent un terreau d’enracinement pour le développement du mouvement communautaire et donc de son pouvoir d’autonomie. C’est à la lumière de ce double jeu, du processus d’autonomisation du mouvement communautaire et du besoin, pour ce mouvement, de créer dans le social les conditions favorables à son déploiement, que les pratiques partenariales prennent tout leur sens pour le mouvement communautaire. Le processus d’autonomisation L’autonomie est l’une des revendications centrales du mouvement commu- nautaire. Dès lors, la question se pose : les pratiques partenariales peuvent- elles servir cette autonomie ? D’emblée, d’aucuns tendront à ne concevoir le partenariat qu’en termes de perte identitaire. En effet, incitant au décloisonnement, à l’’homogénéisation et à l’uniformisation des acteurs, les partenariats ne risquent-ils pas d’atrophier les capacités d’autonomie du mouvement communautaire ? Bien que le danger existe, le mouvement communautaire, à notre avis, a plus à gagner qu’à perdre en occupant l’espace des partenariats. Sur la question de l’autonomie, voyons d’abord la pensée de Louis Maheu et Paul-Antoine Bien-Aimé (1996). Quoique leur réflexion porte sur le processus d’autonomisation professionnelle, elle n’en aide pas moins à comprendre le défi de l’autonomie pour le mouvement communautaire. Qui plus est, elle aide à comprendre cet enjeu, car elle prend en compte le présent contexte de développement des pratiques partenariales NPS , vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
88 La dynamique partenariale : un état de la question ainsi que les modalités d’institutionnalisation que connaît le mouvement communautaire. Selon ces auteurs, pour « construire une pratique autonome prenant appui sur les médiations institutionnelles », il convient d’éviter deux extrêmes. Le premier serait l’abdication devant les structures, c’est-à-dire l’adoption d’une pratique marquée par une identité de retrait et de confor- misme. L’automatisme des tâches réduit la pratique à « des formes stéréotypées, autoritaires et rigides d’action ». Le deuxième extrême serait un « anti-structuralisme » se cantonnant dans le refus de « toute compromis- sion avec l’instrumentalité ». Le danger devient alors celui de « projeter l’ac- teur social, tant individuel que collectif, hors du monde des structures, des compromis, des médiations institutionnelles, des stratégies et du pouvoir par où chemine l’action ». Entre ces deux extrêmes, toujours selon Maheu et Bien-Aimé, loge un espace pour « des revendications de statut, d’autonomie et de reconnaissance sociale ». Les auteurs ajoutent que ces revendications doivent s’appuyer sur « une communauté d’appartenance avec des usagers » et se poser comme « une résistance aux tentatives de dégradation des services destinés aux usagers ». Certes, comme nous l’avons déjà souligné, le propos de ces auteurs prend pour objet l’identité professionnelle et non l’identité communautaire. Toutefois leur analyse est heuristique, en ce qu’elle ouvre des pistes de réflexion fructueuses lorsqu’elle est appliquée au processus d’autonomisation du mouvement communautaire. Il devient alors possible d’imaginer ce processus d’autonomisation à travers le déploiement de pratiques partenariales conservant une distance optimale à l’égard de l’institutionnel. Pour le mouvement communautaire, il s’agit de ne pas se perdre dans cet institutionnel, ni de s’en exclure. Dans ces conditions, l’autonomie signifie la capacité du mouvement de construire son discours à partir de lui-même, mais aussi d’énoncer ce discours sur la place publique, de lui donner prise sur la réalité sociale. Or, cette expression ne pourrait s’accomplir dans une position d’extériorité par rapport au système, comme si le mouvement était au-dessus ou à côté de ce système. Cet « à côté », s’il peut être la position d’un acteur refusant de cautionner une action dans laquelle il ne se reconnaît pas, peut se lire aussi comme l’exclusion de cet acteur d’une zone d’influence, même si cette exclusion revêt la forme plus achevée de l’autoexclusion (White, 1994). Au demeurant, suivant l’ana- lyse de la trajectoire du mouvement communautaire que font Paul R. Bélanger et Benoît Lévesque (1992), il apparaît de plus en plus clair que le mouvement communautaire ne peut espérer se poser en enclave dans le système, sans courir le danger de participer à une « dualisation » du social. Les auteurs font valoir que l’analyse doit tenir compte de la forme de régulation sociale pré- dominante dans l’ensemble de la société : le mouvement n’est pas en dehors NPS, vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire... 89 de la situation sociale qu’il veut changer. Cet environnement lui est aussi intérieur. Autrement dit, le mouvement ne peut se poser dans un strict rapport d’extériorité à l’égard du social. Il émerge de ce social, est conditionné en partie par lui. Or, avec la mondialisation et l’avancement de la modernité, ce social se caractérise de plus en plus par une déstructuration des communautés et des solidarités. À vrai dire, on baigne dans une hypermodernité dont l’imaginaire marchand pousse à une atomisation et à une individualisation toujours plus poussées du vivre-ensemble. Les gens tendent de plus en plus à vivre les uns à côté des autres plutôt qu’ensemble. Les liens autres qu’utilitaires s’étiolent. La logique de marché, avec sa culture de consommation sans fin, tend à « produire » un vide de sens (Robin, 2000), à conduire, dirions-nous, à un manque de projets rassembleurs, de liens d’appartenances communautaires et identitaires. L’avancement de la modernité, d’un capitalisme en l’occur- rence plus étendu dans l’espace et ancré plus profondément dans la vie des gens, conduit à une crise du lien social, à un démantèlement des institutions intermédiaires de la régulation sociale, dira Nicole Laurin (1999), à une mutation de la société salariale, doublée d’une crise de la société domestique, dira Lipietz (1996). Il ne s’agit pas ici de porter un regard nostalgique sur la tradition mais de prendre en considération le vide institutionnel actuel, le manque de soutien aux liens d’appartenance, d’affiliations et de solidarités entre les membres de la société. S’intéressant à l’histoire de l’économie sociale, Jacques Defourny, Louis Favreau et Jean-Louis Laville (1998 : 31) indiquent comment cette situation d’éclatement n’était pas celle du monde ouvrier du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Les gens étaient alors reliés par le travail, par une même culture populaire et par des luttes communes. Une action d’ensemble en appui aux affiliations communautaires L’atomisation du social entrave le développement du mouvement commu- nautaire. Pour se créer d’une manière large et profonde, ce mouvement a besoin de réseaux sociaux où prendre racine et se développer. Par consé- quent, le mouvement communautaire n’a pas seulement à mobiliser des communautés déjà existantes, il doit aussi, au préalable ou en même temps, travailler à leur émergence. Notre point de vue rejoint celui de Donzelot et Roman (1998), qui soutiennent que le travail sur le social ne consisterait plus seulement à dénoncer la société, mais aussi à la produire. Cette exigence demanderait d’aider les institutions, de travailler avec elles, plutôt que seulement en marge d’elles. À l’éclatement du social s’ajoute celui de l’inter- vention. En plus d’évoluer dans un monde éclaté, l’usager doit affronter des NPS , vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
90 La dynamique partenariale : un état de la question services eux aussi morcelés, rompant les uns avec les autres.Ceci conduit les personnes à avoir une vision compartimentée d’elles-mêmes et de leur collec- tivité. C’est comme si, s’ignorant mutuellement, les acteurs territoriaux se projetaient en des trajectoires parallèles : l’absence de points de rencontre bloquerait tout sentiment d’appartenance plus global. De plus en plus isolées dans leurs parties, les collectivités et les personnes deviennent ainsi impuis- santes à se penser et à penser leur action selon une perspective d’ensemble. La participation à un espace territorial vécu s’appauvrit. Et cette perte du sentiment du vivre-ensemble fait que les acteurs, individuels comme collectifs, éprouvent de plus en plus de difficultés à se comprendre et à comprendre leur action à travers des appartenances communautaires et identitaires. En fait, loin d’être un lieu communautaire, l’espace où évoluent les personnes tend à renvoyer à la monétarisation et à la bureaucratisation du monde vécu. Le sentiment d’enracinement dans des espaces communau- taires, que ces derniers soient de mouvement social ou de territorialité, tend ainsi à s’affaiblir. Privées d’enracinement communautaire, les populations deviennent plus fragiles et vulnérables face aux méfaits de l’exclusion et de l’exploitation. De même, il devient difficile pour ces populations de s’orga- niser et de lancer des projets de renforcement de leurs pouvoirs collectifs. Le mouvement communautaire, par l’entremise de pratiques partenariales, peut, à notre avis, favoriser l’émergence d’actions qui aident les personnes et les collectivités à recréer des appartenances communautaires et identitaires. Loin de participer à l’éclatement ambiant, l’action institutionnelle, dans son ensemble, devrait donner de la texture aux idées de société et de commu- nauté. Pour favoriser le pouvoir communautaire des collectivités, la cohésion sociale de ces dernières doit se fonder sur des rapports d’inclusion. Il importe de créer des lieux de participation qui permettent aux gens de se vivre autrement que dans l’isolement, l’exclusion et la précarité dans lesquels ils sont trop souvent confinés. Les partenariats peuvent aussi prendre la forme d’efforts communautaires pour accroître les ressources sociales et économiques destinées aux populations appauvries. Ils peuvent aider ces populations et leurs organisations à se connecter sur les personnes et les institutions qui gèrent et contrôlent la distribution des ressources. En fait, les partenariats doivent être conçus comme des dispositifs d’interface pour contrer les logiques d’atomisation, de ghettoïsation et de fragmentation de l’action et des acteurs sur les territoires. Trop d’actions, publiques ou privées, tendent à se couper de toute dimension ou préoccupation communautaire. Il s’agit, au contraire, d’augmenter la capacité de la population et des diffé- rents acteurs sur le territoire à engendrer une action enracinée et constitu- tive d’appartenances communautaires et identitaires. C’est en ce sens que les pratiques de mise en partenariat nous semblent un terrain que devraient NPS, vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire... 91 investir les organismes communautaires. Toutefois, il reste à établir une dialectique entre les pratiques partenariales et les pratiques d’articulation identitaire : les unes devraient nourrir les autres. Mise en rapport des pratiques partenariales et d’articulation identitaire D’un côté, la participation aux pratiques partenariales exige la présence dans la société d’un mouvement communautaire fort, d’où le besoin des pratiques d’articulation identitaire. De l’autre, la condition d’existence d’un mouvement communautaire réside dans son action à l’égard des institutions. Or, les partenariats représentent un espace de réforme institutionnelle, un lieu de légitimation et d’actualisation du discours communautaire dans la société. Comme on le sait, le mouvement communautaire s’inscrit en faux contre l’esprit du capitalisme et celui, en général, d’une modernité détruisant les appartenances communautaires et identitaires. Ainsi, les organismes commu- nautaires au sein des partenariats n’ont pas à fonctionner comme des appareils de diffusion des mises en forme bureaucratiques et marchandes du social. Pour le mouvement communautaire, les partenariats sont une occasion de stopper cette déconstruction des solidarités communautaires et identitaires. En ce sens, Dionne, Klein et Tremblay (1997) ont raison de penser que la recomposition des mouvements sociaux passe, pour une bonne part, par un travail de restructuration du lien social à travers les mobilisations socio- territoriales. L’action des partenariats sur le social doit favoriser cette mobi- lisation socioterritoriale, et non pas détruire les possibilités d’affiliations communautaires. Faute de quoi s’ensuit une destruction des potentiels d’action communautaire. Par ailleurs, la vigueur de la présence communautaire dans la société agit d’une manière positive sur la question citoyenne. Comme Gorz (1997) l’explique, bien qu’étant de nature différente, les liens de communauté et de citoyenneté se renforcent mutuellement. La force des droits sociaux est tributaire, à la longue, des solidarités communautaires vécues dans la société. Dans la mesure où ils vivront des appartenances communautaires, les gens se montreront favorables à des politiques sociales reflétant cette solidarité vécue, ressentie. Le travail de construction de liens communautaires vécus contribue ainsi à la défense de la citoyenneté. La dimension citoyenne devient dès lors un arrière-plan important du développement des pratiques partenariales. Toutefois, des enjeux autour des pratiques partenariales, retenons surtout le tandem affirmation de l’autonomie communautaire et mobilisation des communautés territoriales. D’un côté, le sens de la participa- tion aux pratiques partenariales se fonde sur une recherche d’autonomisation NPS , vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
92 La dynamique partenariale : un état de la question du mouvement communautaire par l’entremise de médiations institutionnelles. Les partenariats sont alors investis en tant que canal de diffusion de la voix communautaire dans le social. De l’autre côté, les partenariats sont poten- tiellement générateurs de solidarités communautaires au sein des collectivités locales. Si les liens identitaires de territorialité ne recoupent pas en tous points ceux qui président à la mise en forme des mouvements sociaux, ces énergies communautaires, de part et d’autre, sont loin de s’opposer. Au contraire, nous avons soutenu que l’émergence des unes favorisait celle des autres. Ceci dit, et pour terminer la réflexion, il convient de considérer l’espace partenarial comme une interface où la rencontre des acteurs doit certes se comprendre comme des relations d’interdépendance, mais aussi de conflit, de même que de négociation et de médiation. LES PARTENARIATS COMME ESPACE DE CONFLIT, DE NÉGOCIATION ET DE MÉDIATION En tant que lieu d’action pour les organismes et le mouvement communau- taires, les partenariats doivent se concevoir en termes à la fois de conflit, de négociation et de médiation. De conflit, parce que le partenariat est lieu de tension, implique la présence d’acteurs de cultures et d’intérêts différents. Certes, officiellement, les instances en présence cherchent à agir en commun, à additionner leurs différences ; toutefois, comme nous l’avons déjà signalé, sous un voile de partenariat peuvent se glisser des pratiques de négation de l’autre plutôt que de collaboration avec lui. Une dimension politique, au sens de rapports de pouvoir, traverse donc l’espace partenarial et y introduit un élément de conflit à prendre en compte pour penser les pratiques partenariales. De négociation, car l’action doit se développer, ne peut se figer dans le conflit, ce qui exige la négociation d’un espace symbolique commun minimal. La définition de l’orientation de l’action implique un travail cons- cient de négociation entre les discours qui s’entrecroisent pour former cette action. Dans la sémantique de l’action partenariale, il importe de retrouver la trace de toutes les voix qui participent à la construction de l’action. Au sein de l’action partenariale, il devrait toujours exister au moins deux voix en rencontre, et non pas une seule qui aurait instrumentalisé l’autre. Les partena- riats doivent se concevoir également comme des lieux de négociation et de conflit par les contextes de néolibéralisme et d’éclatement de la société salariale d’où ils émergent. En fait, comme le font valoir Jacques Boucher et Louis Favreau (1997), les espaces de partenariat sont dorénavant des lieux d’action pour les mouvements sociaux, les lieux d’une « nouvelle forme de négociation sociale » où s’engagent au quotidien des luttes pour la modification des rapports sociaux afin d’obtenir un pouvoir accru de la population et des salariés. NPS, vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Pratiques de partenariat, pratiques d’articulation identitaire... 93 De médiation, enfin, car celle-ci constitue autant le but que le moyen des pratiques partenariales, lesquelles renvoient, et ce, à plusieurs niveaux, à des pratiques relationnelles. Un premier niveau de médiation tient au fait que les pratiques de partenariat mettent en communication des gens, des orga- nismes, des systèmes d’action qui, laissés à eux-mêmes, tendent au repli sur soi. Le second niveau de médiation s’attarde à reconstruire sur des expériences vécues une conscience de communauté, un sentiment d’appartenance commun qui dépasse les pures stratégies de calcul et d’intérêt. Enfin, en troisième lieu, la médiation implique des pratiques partenariales débouchant sur des actions et des modalités d’action qui, au quotidien, redonnent aux gens du pouvoir social, économique et politique. Dominique Bondu (1998 : 17) décrira la médiation sociale comme « un ensemble émergent de pratiques […] visant la nécessité de reconstruire du lien social ». En fait, la médiation dans les partena- riats, à tous les niveaux, traduit toujours une mise en lien communautaire. CONCLUSION Dorénavant, les partenariats traversent les politiques économiques et sociales. On veut décloisonner, mélanger les genres, créer des cultures communes. Pour notre part, nous avons abordé la question en nous préoccupant surtout des constructions identitaires présidant aux pratiques partenariales ou découlant d’elles. Ce faisant, nous avons rapidement ressenti le besoin de conceptualiser différemment le travail de mise en relation dirigé vers la cons- truction du mouvement social (les pratiques d’articulation identitaire) et celui présidant à la construction des partenariats (les pratiques partenariales). Toutefois, au lieu d’opposer les deux pratiques, nous les avons analysées dans leur complémentarité. Nous croyons que les organismes communautaires gagneraient à adopter activement et consciemment les deux types de pratiques : – Les pratiques d’articulation identitaire, parce qu’un mouvement communautaire fort constitue non seulement une condition centrale pour la protection de l’identité des organismes communautaires, mais aussi le gage de la réussite de partenariats dynamiques et fructueux avec les autres acteurs sociaux ; – Les pratiques partenariales, car pour le mouvement communautaire, les partenariats représentent un espace où exercer une pression de réforme sur les institutions pour les inciter à développer une action de soutien au développement des solidarités communautaires et territoriales. En fait, les partenariats, en tant qu’espaces de conflit, de négociation et de médiation, se présentent au mouvement communautaire comme un lieu de construction de compromis institutionnels au service d’une société NPS , vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
94 La dynamique partenariale : un état de la question plus communautaire, moins assujettie à une rationalité purement marchande ou bureaucratique. Mais les pratiques partenariales exigent une énergie démesurée, se réalisent dans des rapports asymétriques, empiètent sur le travail de terrain des organismes (Bouchard, 1998). Il importe donc que ces pratiques soient pleinement reconnues comme faisant partie de la tâche des organismes. En fait, les autorités subventionnaires doivent comprendre que les pratiques partenariales et les pratiques identitaires des mouvements sociaux représentent des activités légitimes et nécessaires au développement local et sociétal. Bibliographie BALIBAR, Étienne (1998). John Locke. Identité et différence. L’invention de la conscience, Paris, Seuil, Coll. « Points », 325 pages. B ÉLANGER , Paul R. et Benoît L ÉVESQUE (1992). « Le mouvement populaire et communautaire : de la revendication au partenariat (1963-1992) », dans DAIGLE, Gérard et Guy ROCHER, Le Québec en jeu. Comprendre les grands défis, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 713-747. BERGER, Peter et Thomas LUCKMANN (1979). The Social Construction of Reality. A Treatise in the Sociology of Knowledge, New York, Penguin Books, 249 pages. BONDU, Dominique (1998). Nouvelles pratiques de médiation sociale. Jeunes en difficulté et travailleurs sociaux, Paris, ESF Éditeur, Collections « Actions Sociales / Société », 219 pages. BOUCHARD, Johanne (1998). « Parole d’une partenaire éprouvée dans une expérience de partenariat éprouvante », Partenariat et régionalisation sur l’île de Montréal : le nouvel âge de la démocratie ?, Montréal, Centre Saint-Pierre, 50-56. BOUCHER, Jacques L. et Louis FAVREAU (1997). « Néolibéralisme et redéfinition des mouvements sociaux : quelques paramètres », dans KLEIN, Juan-Luis, TREMBLAY, Pierre-André et Hugues DIONNE (sous la direction de), Au-delà du néolibéralisme. Quel rôle pour les mouvements sociaux ?, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 125-134. CAILLOUETTE, Jacques (1999). Processus de construction identitaire au sein du milieu communautaire de la région de Québec, Thèse de doctorat, Université Laval, École de service social, 291 pages. CAILLOUETTE, Jacques (1997). « L’identité communautaire : une perspective théorique », Service social, vol. 46, no 1, 95-118. DEFOURNY, Jacques, FAVREAU, Louis et Jean-Louis LAVILLE (sous la direction de) (1998). Insertion et nouvelle économie sociale : Un bilan international, Paris, Desclée de Brouwer, 372 pages. DE MUNCK, Jean (1999). L’institution sociale de l’esprit, Paris, Presses universitaires de France, 202 pages. NPS, vol. 14, no 1, 2001 © 2001 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
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