Production laitière en Europe - Rencontres avec des producteurs en France, Allemagne et Roumanie - Deutsch-Französischer ...
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Production laitière en Europe Rencontres avec des producteurs en France, Allemagne et Roumanie. Un article de : Tressia Boukhors Lucie Morvan Victoria Weidemann Ce contenu est le résultat d’un travail de groupe effectué dans le cadre du programme 2019 du Dialogue d’avenir franco-allemand. Afin de mieux comprendre les raisons expliquant la perte de confiance croissante des citoyens européens dans la politique, les participant.e.s de la promotion 2019 ont réalisé des projets de groupes binationaux. Par ce biais, ils ont rencontré et discuté de la démocratie et de l’Europe avec divers acteurs de la société civile.
Production laitière en Europe Rencontres avec des producteurs en France, Allemagne et Roumanie. En 2019, la plus grosse part du budget de initiatives contestataires telles que « Wir haben l’Union européenne (UE) est à nouveau allouée es satt », en Allemagne, ou « Les agriculteurs à l’agriculture, avec 161,7 milliards d’euros soit rémunérés au juste prix », en France, dénoncent 36,1 % du budget global. Et pour cause. Depuis de plus en plus fortement des inégalités de son origine, la Politique Agricole Commune (PAC) rémunération, des charges de travail trop a été un choix délibéré pour l’unité de l’Europe, importantes et un déséquilibre général entre pour favoriser la libre circulation des marchandises consommation et production. Une situation dans et contre une concurrence nationaliste. Dès sa laquelle certains semblent mieux se porter que création, cette politique a souvent été perçue d’autres. Tandis que la France reste le plus grand comme un « accord franco-allemand » qui servirait producteur agricole au sein de l’UE et donc le à la fois à équilibrer la prépondérance de l’industrie plus gros bénéficiaire de la PAC, l’Allemagne allemande en faveur de l’agriculture française, et craint un amoindrissement de ses subventions en comme un instrument permettant à l’Allemagne 2020. Selon les mêmes prévisions, la part de la d’acquérir des denrées nécessaires à un prix PAC prévue pour la Roumanie resterait quasiment compétitif. identique. Quand on parle d’identité européenne et de Afin d’aborder la question d’une identité relations franco-allemandes au sein de l’Europe, européenne dans ce secteur, il nous semblait une analyse du secteur agricole s’impose donc. Afin indispensable d’échanger avec les hommes d’aboutir à des résultats concrets et comparables et femmes du métier. Nous tenions à recueillir par pays, nous avons choisi de nous concentrer l’expérience du terrain et l’auto-perception des sur un produit en particulier : le lait. Le lait est non producteurs plutôt que de nous baser sur des seulement un produit emblématique pour l’Europe statistiques généralistes. Parmi les questions qui de par les quantités consommées chaque année, nous intéressaient : mais il est également ancré dans l’imaginaire collectif : le lait constitue le fil rouge dans la vie Comment les agriculteurs d’Allemagne, de France alimentaire d’un citoyen. Nourri d’abord par sa et de Roumanie, vivent-ils l’évolution de leur mère, il passe ensuite au lait de vache qui promet métier ? Quelle part représentent les subventions de lui apporter nutriments et santé. Si ces dernières de l’UE dans leur entreprise ? Quels sont les années les débats sur les bienfaits du lait de vache questionnements, problématiques et tendances ont été menés avec tant de ferveur, ce n’est qu’un communs entre les trois pays ? Est-ce que ces défis autre signe de l’importance de ce produit dans communs mènent vers une identité commune ou notre quotidien. Nous nous rappelons également bien même vers une identité européenne des l’épisode du lait frelaté en Chine en 2008, à la suite agriculteurs ? duquel des supermarchés allemands et français Pour tenter de répondre à ces questions, nous auraient été « dévalisés » par des Chinois en quête avons mené six entretiens : en Allemagne, Sylvia de poudre de lait non-contaminée. Ou encore la Zeidler de l’exploitation Agrargenossenschaft discussion autour du Partenariat transatlantique de «Spreetal » eG à Neu Lübbenau et Sigmar commerce et d’investissement (TTIP) entre 2013 et Goldammer du Hof Marienhöhe à Bad Saarow ; 2016, où les positions des États-Unis et de l’Europe en France, Nicolas Tertrais à Champnetery, dans étaient perçues par le grand public comme la le Limousin, et Véronique et Frédéric Kaak du Mas confrontation entre « le poulet au chlore » et « le Gilard, de la même région ; en Roumanie, le Dr. fromage au lait cru ». Mihai Voloseniuc à Vatra Dornei ainsi que Dacian Le lait - produit européen par excellence, qui ne Badea de la coopérative Fermele Ecologice fédère cependant pas toujours tout le monde. Des Silvania près de Cluj. 2
Politique Agricole Commune tenue par ses parents - produisait 30.000 litres de lait en 1996, la production a quasiment doublé peu La PAC a été mise en place en 1962 afin d’assurer après l’arrêt des quotas laitiers, et ce en accord des revenus satisfaisants aux agriculteurs et des avec sa laiterie. À présent, la GAEC Tertrais compte prix convenables aux consommateurs. L’ensemble 130 vaches et produit plus d’un million de litres de des producteurs laitiers que nous avons rencontrés lait par an. en France, en Allemagne et en Roumanie sont bénéficiaires des subventions allouées dans le La PAC s’articule autour de deux piliers, le cadre de la PAC. Pourtant, loin de revendiquer à premier allouant notamment des aides directes tout prix davantage de subventions, les producteurs aux agriculteurs, et le second visant à soutenir le portent un regard nuancé sur cette politique. développement rural. La France est le plus gros bénéficiaire de la PAC, avec plus de 64 milliards d’euros obtenus pour la période 2014-2020, et le sera encore malgré une baisse à venir de 3,9 % pour la période 2021-2027. L’Allemagne, quant à elle, perçoit 44 milliards d’euros pour la période de 2014-2020, contre 41 milliards d’euros pronostiqués pour la période à venir. Les subventions prévues pour la Roumanie s’élèveraient à 3,4 milliards d’euros par an pour cette période, un montant stable par rapport aux années 2015-17. Il est, tout d’abord, impossible d’évoquer la « Je préférerais que politique laitière européenne sans citer le régime mon lait soit payé plus des quotas laitiers instaurés entre 1984 et 2015 d’abord en France puis dans l’ensemble de cher et me passer de l’Union européenne. Quatre années plus tard, la subvention PAC. » ce mécanisme de maîtrise de l’offre reste ancré dans les esprits, particulièrement auprès des Pour certains des producteurs rencontrés, producteurs français. Cet instrument a laissé un comme en France par exemple, cette subvention fort ressentiment envers la concurrence déloyale représente environ 20 % des recettes annuelles. au sein même de l’UE. Nicolas Tertrais indique Bien qu’il s’agisse d’une aide non négligeable, ainsi : « je suis partagé au sujet des quotas : c’est nombre d’entre eux préféreraient vivre de leur une bonne chose, sauf que nous ne sommes pas travail en étant rémunéré au juste prix. Nicolas logés à la même enseigne dans l’UE. Certains pays Tertrais nous confie : « Je préférerais que mon lait n’ont pas respecté les limitations et on a été très soit payé plus cher et me passer de la subvention pénalisé. » Alors que son exploitation - encore PAC. » 3
Ce sentiment est renforcé par le constat d’une « Identité européenne bureaucratisation » croissante, en décalage avec Quand on enquête sur l’identité européenne chez la réalité du métier. « On est débordé au niveau les producteurs de lait de France, Roumanie et administratif. […] Maintenant, on gère plus l’aspect Allemagne, le premier constat peut paraître assez subvention que l’aspect pratique pour nos vaches décevant : personne ne s’identifie explicitement » nous dit notamment Nicolas Tertrais. On souligne comme appartenant à une communauté « également à la fois la difficulté des changements européenne ». Alors que tous profitent plus ou de politique trop fréquents et des contraintes moins directement de subventions de l’Union croissantes. « Sur l’exploitation, vous ne pouvez européenne et s’intéressent à la situation de leurs pas changer votre fusil d’épaule tous les 4 à 5 ans » confrères dans d’autres pays, aucun n’exprime explique Nicolas Tertrais au sujet des critères et l’idée d’une spécificité de produit, de technique procédures d’attribution des financements. ou d’attitude qui le distinguerait de producteurs américains, asiatiques ou africains. Ce n’est pas « Sur l’exploitation, faute d’éléments de comparaison : 4 sur les 6 vous ne pouvez pas personnes interviewées voyagent souvent à titre professionnel ou se forment même dans d’autres changer votre fusil régions : la Savoie, le Jura ou encore le Burkina Faso d’épaule tous les 4 à 5 pour les Kaak et Sigmar Goldammer, les Balkans et le Royaume-Uni pour Dacian Badea. Ces échanges ans. » ne semblent pourtant pas suffire à comprendre la situation dans son ensemble. « On ne connaît pas Enfin, une des modifications en cours de assez pour pouvoir comparer », nous disent les discussion pour le nouveau budget 2021- 2027 Kaak alors que Mme Zeidler, très impliquée dans le est un plafonnement des subventions PAC à réseau de producteurs de sa région, soutient : « On 100.000 euros par ferme, de sorte à soutenir les ne s’y connaît tout simplement pas dans d’autres petites et moyennes exploitations. Ce projet régions. Les conditions de production sont très préoccupe particulièrement Dacian Badea, de différentes. » la coopérative Fermele Ecologice Silvania : « Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la Roumanie car nous avons de très grandes fermes. À court « On ne connaît pas terme, ce sera très dur [financièrement, ndlr] ; à assez pour pouvoir long terme, le manque de subventions conduira à une hausse des prix qui sera répercutée sur la comparer. » population ». D’après lui, la conséquence d’une À la question du rôle de l’Europe en revanche, telle évolution se fera non seulement ressentir sur la plupart de nos interlocuteurs savent répondre les prix mais également sur la structure même des en donnant des exemples d’impact très concret exploitations : « chaque grande entreprise laitière de la politique européenne sur leur métier. sera amenée à s’organiser en Holding, détenant Lorsque l’UE a autorisé la vente de produits 5 ou 10 plus petites entreprises ». Il est, selon lui, à base de lait cru par exemple, certains pays essentiel de maintenir un système de financement membres ont été plus rapides que d’autres dans qui ne désavantage pas les grosses structures car l’adoption de la loi, notamment la France. Sigmar il s’agirait là de la seule solution économiquement Goldammer se souvient : « On avait alors cette viable, permettant d’investir dans de nouvelles situation absurde où nous proposions dans notre technologies. boutique à la ferme des produits à base de lait « Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la Roumanie car nous avons de très grandes fermes. » 4
cru venant de France alors que nous n’avions pas le droit de vendre nos propres produits même quelques kilomètres plus loin à Berlin ! » Ce qui est perçu comme étant une absurdité par les uns est représentatif d’une bonne administration fonctionnelle pour les autres. Dacian Badea, sur sa ferme en Roumanie, est fier d’appartenir à l’Union européenne même si cela signifie un niveau de bureaucratie élevé : « Respecter les règles de l’UE, c’est normal pour nous, cela fait partie du monde civilisé. » En France, cette même bureaucratie suffit déjà à en contrarier certains. Les règles seraient parfois difficiles à comprendre et peu égalitaires : « Je ne suis pas contre l’Europe mais il faut que les règles soient les mêmes pour tout le monde » nous dit Nicolas Tertrais. Cependant, en dehors de ces réponses concrètes à la question explicite sur l’UE, l’Europe reste singulièrement absente du discours de nos interlocuteurs. Ils situent leur métier et leur situation économique dans un contexte beaucoup Régionalismes plus large, à savoir mondial. Tous les producteurs que nous avons rencontrés Dacian Badea soutient : « Les fermiers dans éprouvent un fort sentiment d’attachement à leur le monde entier sont pareils : terriens, pas région. On perçoit un lien indissociable entre lieu théoriciens. C’est peut-être pour cela qu’il manque et produit, peut-être plus présent encore que pour une organisation commune qui réunisse tout le d’autres produits agricoles comme les céréales, où monde. » Moins explicites sur la question, les de plus grandes distances entre lieu de production exploitations conventionnelles sont pourtant et lieu de consommation sont possibles - sans avoir aussi au cœur d’échanges internationaux et se à maintenir une chaîne du froid. Cet attachement fournissent en soja et semences d’insémination au à la région devient d’ailleurs souvent un argument Brésil ou aux Etats-Unis. C’est chez « les bio » que publicitaire : « Nous sommes une bande de la prise de conscience est la plus totale : « Quand il Transylvaniens, amoureux des champs verdoyants y avait la crise du lait, c’était la catastrophe partout. et des vaches douces, travaillant ensemble dans le Même aujourd’hui il n’y a pas un pays qui s’en sort comté de Silvania. », peut-on lire sur le site web de beaucoup mieux que d’autres. C’est le « monde la coopérative Silvania en Roumanie. Mme Zeidler, selon Monsanto» ». quant à elle, aurait aimé aller encore plus loin dans la promotion de sa région : « Nous voulions vendre Plutôt qu’une identité européenne on retrouve le lait du Spreewald. Le Spreewald est célèbre, très donc chez ces producteurs de lait un sentiment de connu à Berlin. Mais la laiterie s’y est opposée. communauté professionnelle mondiale. L’Europe Avec plusieurs autres exploitations nous formons est ainsi cette case vide entre une appartenance maintenant la marque laitière du Brandenbourg régionale ou nationale souvent très marquée et, de [région dans laquelle se trouve le Spreewald, ndlr] l’autre côté, le « citoyen du monde », ou plutôt : agriculteur du monde. « Même aujourd’hui il n’y a pas un pays qui s’en sort beaucoup mieux que d’autres. C’est le « Monde selon Monsanto »! » 5
que nous avons personnalisée.” tenter des expériences à des endroits « oubliés » par les hommes politiques, créer du lien. Sigmar Les campagnes marketing faisant état de la Goldammer nous explique : « Les politiciens sous- proximité entre les productions laitières et les estiment le rôle des exploitations agricoles dans consommateurs sont en effet légion. « Le lait d’ici les zones rurales. Nous animons les villages. » Ce » en France, décliné parfois selon les régions, le qui fait en grande partie la motivation et la raison lait des Alpes, du Holstein ou encore de la Bavière d’être du Hof Marienhöhe : « Aujourd’hui les gens en Allemagne sont censés garantir la qualité et sont déracinés. Ils ne font que dormir au village la fraîcheur du produit, qu’il soit de production mais il n’y a plus d’agriculture. Nous essayons de biologique ou conventionnelle. recréer ce lien. » Beaucoup plus que le garant de l’approvisionnement en produits alimentaires, la production agricole devient ainsi dans ces régions vecteur de relations humaines et de stabilité sociale. « Nous animons les villages. » Nicolas Tertrais nous dit être fier de retrouver son lait au supermarché du coin, et même déçu de Bio vs. Conventionnel ne pas y trouver davantage de produits locaux : « Quand je vois le maigre rayon local des produits Plus encore que la dichotomie entre pays ou laitiers au supermarché de Saint-Léonard-de- régions, le clivage entre production biologique Noblat, ça me fait grimacer. » « Les bio » sont eux et conventionnelle nous est apparu comme aussi organisés par région pour la collecte du lait prévalant. Pour certains, comme Sylvia Zeidler à et la défense de leurs intérêts. Un lien fort avec leur Neu Lübbenau, la production laitière en agriculture région s’est également instauré grâce à la vente biologique est une évidence et s’inscrit dans une de leurs produits transformés sur les marchés des longue continuité. « La ferme est située sur une environs. Et c’est tout naturellement qu’ils appellent réserve naturelle protégée. Avant la chute du mur, donc les agriculteurs arrivés d’une autre partie de nous étions déjà bio » précise-t-elle. Il en va de la France « les étrangers » : les Normands et les même pour Dacian Badea à Cluj : « il y a 30, 40 ans Bretons le sont au même titre que « les Hollandais de cela, durant le communisme, notre agriculture » ou « les Belges ». était en quelque sorte bio. » Pour d’autres, comme Sigmar Goldammer, dont l’exploitation est la Enfin, ce régionalisme affiché va souvent de pair, plus vieille ferme Demeter d’Allemagne, tout a chez les producteurs, avec l’impression d’un devoir commencé à la façon d’une expérimentation vis-à-vis de leurs contrées : ranimer les villages, sociale, en 1924, « bien avant que le bio ne devienne partout une mode ». La famille Kaak, quant à elle, a entamé la conversion de son exploitation en bio en 2013 et a été soutenue partiellement par des aides financières dédiées. Ce changement est le fruit de la recherche d’alternatives aux difficultés économiques après la crise du lait de 2009, mais aussi de l’émergence d’une conviction personnelle et d’une relation partenariale forte avec la coopérative Biolait, premier collecteur français de lait bio. Véronique Kaak, a joué un rôle considérable dans cette démarche, très marquée par le film « Le monde selon Monsanto ». Celle-ci insiste aussi sur l’enjeu de la production de soja pour le monde laitier, puisque les charges y étant liées représentent parfois jusqu’à 50 % du prix du lait : « La production 6
du soja est une gangrène pour l’agriculture et pour l’écologie ». Par ailleurs, bien que la conversion ait eu un impact considérable sur les volumes de production, passant de près de 700.000 litres de lait par an en 2008 à 320.000 litres par an depuis 2012, elle a permis à la famille de producteurs un meilleur équilibre financier et une approche différente du métier. Frédéric Kaak ajoute : « Nous avons diminué notre production par deux mais nos coûts par trois. […] Je n’ai fait qu’une erreur, c’est de ne pas avoir fait du bio plus tôt. » « Nous avons diminué notre production par deux mais nos coûts par trois. […] Je n’ai Cette forte demande pour le lait bio pose à nouveau la question des aides directes dans le cadre du fait qu’une erreur, premier pilier de la PAC mais également du second, c’est de ne pas avoir par le biais des aides spécifiques à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique. Sylvia fait du bio plus tôt. » Zeidler, de la région du Spreewald, nous confie ainsi craindre une croissance artificielle trop forte Produire en bio, « c’est une histoire de conviction » du lait bio. Elle explique en ces termes : « [Les résume Nicolas Tertrais, en tant que producteur hommes politiques] doivent faire attention à ne pas conventionnel. Quand bien même la demande trop amplifier [i.e. trop subventionner, ndlr] le bio. en lait bio est croissante, il ne s’imagine pas Il faut que les exploitations puissent encore être aller vers cette voie. Fort d’un savoir-faire acquis dans la capacité de se maintenir économiquement de ses parents et d’une tradition tirée de ses et cela est important pour la terre. [...] Personne ne origines bretonnes, donc « historiquement un comprend que si on le subventionne encore plus, le peu intensive », il ne se sent ni formé ni avoir l’état marché du bio va s’effondrer. » En substance, il serait d’esprit adéquat pour cela. « Il faut avoir la tête là- nécessaire de veiller à un bon équilibre, de sorte à dedans. Si je deviens bio un jour, c’est que j’aurai ce que les subventions vers un type d’agriculture ne été forcé » précise-t-il. le rendent pas disproportionnément attractif. Cela conduirait non seulement à une surproduction, une « Il faut avoir la tête là- surexploitation des terres mais aussi à une chute des prix et à la fin d’un modèle économiquement dedans. Si je deviens viable. bio un jour, c’est que « Personne ne j’aurai été forcé. » comprend que si on le Au-delà de la rupture entre les deux écoles, nous avons pu observer des variations dans le modèle subventionne encore de production au sein même d’exploitations plus, le marché du bio laitières bio. S’il est un modèle d’agriculture de petite échelle se revendiquant paysan, militant va s’effondrer. » et à contre-pied du productivisme, il est aussi des structures de très grande taille et équipées de robots de traite performants, notamment en Roumanie ou dans le Brandebourg, pour répondre à une demande croissante. 7
des relations commerciales agricoles - dont le rôle a été renforcé par la loi EGalim - a permis en septembre 2019 d’aboutir à un accord entre Lactalis et des producteurs sur la prise en compte des coûts de production. Conséquence du dispositif législatif ou nouvel argument marketing, toujours est-il que Lactalis met depuis peu en avant, sur le packaging des briques Lactel, la rémunération du producteur, à savoir 40 centimes par litre. Sans viser une quelconque représentativité, Alors qu’en France, les agriculteurs ont manifesté le les entretiens menés en France, Allemagne et 22 octobre puis le 27 novembre 2019 pour réclamer Roumanie montrent des modèles de production plus d’interventionnisme du Président Macron et variés et toute la difficulté à définir la juste politique des « sanctions dans le cas où les industriels ou la agricole et ce qu’est le bon produit « lait ». grande distribution ne joueraient pas le jeu », les agriculteurs en Allemagne se sont, eux, élevés le Dans les trois pays, les consommateurs portent même jour en octobre ainsi que le 26 novembre davantage d’importance à la qualité du produit 2019 contre les réglementations gouvernementales « lait », qu’il soit labellisé national, local et/ou en matière de climat et de réforme agricole. Leurs biologique. En Allemagne, particulièrement, les principales inquiétudes sont la disparition des packagings des briques identifient clairement les petites exploitations familiales, le bashing anti- laits sans OGM, les laits des Alpes allemandes agriculteurs, mais aussi les mesures contraignantes (« Alpenmilch ») ou distinguent encore les laits sur la protection de l’environnement et des de foin (« Heumilch ») des laits de pâturage (« animaux adoptées par le cabinet Merkel IV en Weidemilch ») dans la grande distribution. septembre 2019 (régulation sur l’usage des produits phytosanitaires, instauration d’un label Un objectif essentiel pour la pérennité du monde de bien-être animalier, programme de protection agricole reste la juste rémunération des hommes des insectes, etc.). L’Allemagne reste le plus gros et femmes éleveurs. Alors que les producteurs producteur de lait en Europe devant la France (32 laitiers font face à des difficultés économiques, la milliards contre 25 milliards de litres par an) et son prise de conscience du consommateur joue un prix moyen à la production hors taxe – autrefois rôle considérable dans l’évolution des modèles. En légèrement plus élevé – est, en 2018, identique au France, l’initiative « C’est qui le patron », créée en prix en France : 35,7 centimes d’euros le litre. En 2016, vise une fixation du prix par la concertation Roumanie, il est de 31 centimes la même année et des consommateurs et l’intégration des coûts réels la balance commerciale sur ce produit est négative. de production. Le premier produit commercialisé Le Milk Market Observatory de la Commission sous cette « marque des consommateurs » a Européenne a retenu, quant à lui, un indicateur d’ailleurs été le lait. La coopérative Biolait, quant légèrement différent : le prix moyen du lait cru à elle, a garanti un prix stable et identique à en euros pour 100 kg. Les données mensuelles tous ses éleveurs. Ces pratiques sont d’autant recensées jusque novembre 2019 pour chaque novatrices que les géants du marché laitier pays nous permettent d’identifier, cette dernière français sont critiqués pour leur rapport de force année, une hausse du prix du lait cru en France par disproportionné. Parmi le classement des 20 plus rapport à l’Allemagne ainsi qu’une évolution stable grosses entreprises laitières au monde figurent en Roumanie : quatre fleurons français : Lactalis, Danone, Sodiaal et Savencia. Au premier rang des critiques, Lactalis occupe la deuxième place du classement mondial et est le collecteur d’un producteur laitier sur cinq en France. La loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (appelée « loi Alimentation » ou « loi EGalim ») visait justement à rétablir l’équilibre des relations commerciales entre producteurs et grande distribution. L’intervention du médiateur 8
Enfin, les vifs débats sur l’orientation budgétaire de la PAC pour la période 2021-2027 illustrent les difficultés à maintenir un équilibre entre offre et demande. Face à des habitudes de consommation et à un marché mondial variables, face aux impacts environnementaux, la PAC se retrouve au cœur de nombreux défis. Longtemps critiquée pour avoir favorisé une agriculture industrielle et polluante au détriment des petits producteurs, elle s’apprête à instaurer des mécanismes de plafonnement de subvention des grosses structures. La production laitière en Europe reflète, in fine, une identité européenne toujours fragmentée et la complexité à prendre en compte des disparités, singularités et spécificités nationales et locales dans la mise en œuvre d’une politique agricole commune. 9
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