Promotion du Hijab : le Conseil de l'Europe retire sa campagne - Reforme.net

La page est créée Maryse Favre
 
CONTINUER À LIRE
Par Sophie Nouaille

Promotion du Hijab : le Conseil de
l’Europe retire sa campagne
Une campagne promouvant la liberté en Europe en mettant en avant le port du
Hijab et censée lutter contre les discriminations, lancée par le Conseil de l’Europe
la semaine dernière, a été retirée devant la polémique suscitée en France.

Lancée jeudi dernier par le Programme pour l’inclusion et la lutte contre les
discriminations, géré par le Conseil et cofinancé par l’Union européenne, cette
campagne proposait des portraits de plusieurs jeunes femmes, voilées sur une
seule moitié de l’image.
Un message en anglais indiquait notamment: “Beauty is in diversity as freedom is
in hijab” (“la beauté est dans la diversité comme la liberté est dans le hijab”).

La campagne a provoqué une vive
polémique
Passée dans un premier temps relativement inaperçue, elle a fini par déclencher
une vive polémique, de l’extrême droite au gouvernement.
“L’islam est l’ennemi de la liberté. Cette campagne est l’ennemie de la vérité”, a
tweeté le polémiste Eric Zemmour, probable candidat à la présidentielle,
dénonçant un “djihad publicitaire”. “Cette communication européenne en faveur
du voile islamiste est scandaleuse et indécente alors que des millions de femmes
se battent avec courage contre cet asservissement”, a lancé de son côté Marine
Le Pen, candidate du Rassemblement national.

Unanimité politique pour désapprouver
les visuels
“Ceci n’est pas un campagne de propagande des Frères musulmans mais du
Conseil de l’Europe”, a ironisé de son côté le député souverainiste Nicolas
Dupont-Aignan, toujours sur Twitter.
A droite, la présidente de la Région Île-de-France Valérie Pécresse a elle aussi fait
part de sa “stupeur”, estimant que le voile n’était “pas un symbole de liberté mais
de soumission”.
Prétendant à l’investiture des Républicains pour 2022, le maire de Nice Eric
Ciotti a dénoncé une “promotion du voile islamique” et une “négation de nos
racines judéo-chrétiennes, de notre civilisation, de l’esprit des Lumières”.
Quant au chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, il a estimé que le
Conseil de l’Europe promouvait “désormais ouvertement la soumission aux
mœurs islamistes”.
La campagne a également fait réagir à gauche, l’ancienne ministre des Droits des
femmes, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, estimant que “dire que la
liberté est dans le hijab” revenait à “en faire la promotion”. L’ancien Premier
ministre PS, Manuel Valls, l’a lui jugée “choquante, ahurissante et dangereuse”.
Au sein du gouvernement, la secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse Sarah El
Haïry a indiqué sur LCI que la France avait “fait part de sa désapprobation
extrêmement vive, d’où le retrait de cette campagne dès (mardi)”.
“Ces tweets ont été retirés et nous allons réfléchir à une meilleure présentation
de ce projet”, a confirmé dans un communiqué transmis à l’AFP le Conseil de
l’Europe, l’organisation paneuropéenne basée à Strasbourg.

Un projet européen de lutte contre les
discriminations
Ils “faisaient partie d’un projet conjoint” du Conseil et de l’Union européenne
lancé en 2019 contre la discrimination, dont l’objectif est “de sensibiliser à la
nécessité de respecter la diversité et l’inclusion et de combattre tout type de
discours de haine”, a encore justifié le Conseil.
Les tweets “reflétaient les déclarations faites de manière individuelle par des
participants dans l’un des ateliers du projet et ne représentent pas la position du
Conseil de l’Europe ou de sa Secrétaire Générale” Marija Pejčinović Burić, a
encore assuré l’organisation.

Si la Commission européenne a bien contribué à financer à hauteur de 340.000
euros l’ensemble du projet, qui s’efforce d’associer “jeunes et organisations de la
société civile” à des ateliers et campagnes de sensibilisation, le Conseil de
l’Europe “joue un rôle de chef de file” et Bruxelles “n’a pas validé les éléments”
controversés, a déclaré mercredi un porte-parole de l’exécutif européen.
Pour autant, la Commission appelle à prendre en considération “les autres
actions” de ce programme contre les discours haineux, a-t-il ajouté. “Notre
position est extrêmement claire: les femmes doivent pouvoir porter ce qu’elles
veulent, selon les lois du pays où elles vivent”, a insisté un second porte-parole de
l’institution.

Sophie Nouaille avec AFP

Par Matthias Wirz
La Suisse débat de l’interdiction
du voile intégral
Proscrire par référendum la dissimulation du visage dans l’espace public : le
peuple helvétique en décidera le 7 mars. Dans une confrontation souvent
émotionnelle, les représentants des religions s’opposent en majorité à cette
mesure jugée disproportionnée et liberticide.

« Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage. » C’est le libellé de l’initiative
populaire (référendum) sur laquelle le peuple suisse se prononce dans les urnes le
dimanche 7 mars. La mesure, qui doit s’appliquer à tout l’espace public, ne
prévoit d’exceptions que dans les lieux de culte et pour des raisons sanitaires,
sécuritaires, climatiques ou festives (on pense aux masques de carnaval).

Une campagne qui vise « l’idéologie
islamiste radicale »
L’initiative a été lancée par un groupe proche de la droite identitaire, qui a déjà
remporté une première victoire populaire en 2009. À son instigation, la Suisse
avait alors interdit par 57,5 % des voix la construction de minarets sur son
territoire. En proposant ce nouvel objet, le « comité d’Egerkingen » entend
défendre l’égalité, la liberté et la sécurité : égalité entre personnes et religions
dans l’espace public ; liberté notamment pour les femmes, qui ne seraient plus
opprimées par un vêtement qui leur serait imposé ; et sécurité, puisque
l’interdiction toucherait également les casseurs ou les hooligans masqués. Mais
c’est bien sûr le voile intégral que les partisans visent. Il est « contraire à notre
mode de vie », affirment-ils. Et il est surtout « étroitement lié à l’idéologie
islamiste radicale ». Car c’est bien cette dernière qu’ils ont en ligne de mire.

Le gouvernement fédéral et le parlement s’opposent à cette initiative. Ils la
trouvent disproportionnée au phénomène de la dissimulation du visage, jugé
marginal sur le plan national. L’interdiction serait d’ailleurs inappropriée à un
système fédéraliste où chaque canton réglemente souverainement son espace
public. Elle risque enfin d’être contre-productive, en excluant davantage encore
les femmes qu’elle dit vouloir défendre. C’est pourquoi un contre-projet plus ciblé
a été ficelé, qui impose de se découvrir uniquement pour des besoins
d’identification. Il entrera en vigueur en cas de résultat négatif le 7 mars.

Objet émotionnel
Au-delà des arguments politiques, sociaux ou religieux, le débat touche un
élément éminemment émotionnel : le visage. Révélateur de l’individualité de
chaque personne et constituant à la fois la dernière barrière pour la protéger,
c’est « la vitrine de l’intériorité », selon le théologien Bruno Chenu. La campagne
est donc sensible et n’évite pas l’irrationalité. D’autant que les mesures sanitaires
imposent ironiquement aux interlocuteurs de débattre en se voilant eux-mêmes le
visage derrière un masque chirurgical…

Des arguments pour ainsi dire symétriques sont d’ailleurs avancés de part et
d’autre. Si les partisans du projet veulent empêcher la discrimination des femmes
contraintes à porter le voile, les opposants arguent qu’en les stigmatisant la
mesure discriminerait aussi les femmes. Alors que les premiers trouvent le voile
liberticide, c’est son interdiction que les autres considèrent comme liberticide.
Tandis que l’égalité signifie pour les uns se faire face à visage découvert, cette
même égalité implique pour les autres le droit de se vêtir comme on l’entend.

         « Les partisans du projet qualifient cette confrontation de “guerre
                                 des civilisations” »

Les prises de positions dépassent le clivage entre la droite (favorable au texte) et
la gauche (opposée). Des femmes notamment socialistes soutiennent l’interdiction
pour des motifs d’égalité des genres ; une gauche laïque la défend contre le retour
de signes religieux.

Certains partisans du projet, comme le parlementaire fédéral Jean-Luc Addor, du
Valais, n’hésitent pourtant pas à qualifier cette confrontation de « guerre des
civilisations ». C’est que la question ne touche pas seulement la place des femmes
dans la société : elle concerne le vivre-ensemble et l’intégration des pratiques de
foi dans un pays devenu multiculturel et multireligieux. Mais elle excite surtout
une certaine peur du terrorisme dans un contexte où le sentiment anti-islamique
apparaît toujours moins tabou.
Religions opposées à la mesure
Ce n’est pas un hasard si l’objet du vote est généralement nommé « initiative anti-
burqa ». Même si ce symbole vestimentaire propre à l’Afghanistan ne se rencontre
pas en Suisse (où les femmes musulmanes voilées portent le niqab, moins strict),
il inquiète. Une frange de la population redoute en effet une propagation de
l’islam et la menace qu’elle ferait peser sur la culture chrétienne. Une crainte qui
s’est déjà traduite dans les urnes suisses par l’adoption, dans les cantons du
Tessin et de Saint-Gall, en 2016 et 2018, d’une interdiction de la dissimulation du
visage. Une mesure cependant repoussée dans cinq autres cantons durant la
dernière décennie.

C’est précisément pour encourager la paix religieuse et la liberté de culte que le
Conseil suisse des religions (CSR) a exprimé son opposition unanime au texte.
Une position qui a toutefois été attaquée par les milieux musulmans libéraux et
certains groupes chrétiens. Ainsi, selon le pasteur Shafique Keshavjee, ne pas
interdire le voile ferait le jeu de groupes musulmans politiques qui entendent
« utiliser nos lois pour faire avancer les leurs ».

L’Église évangélique réformée de Suisse se range derrière la prise de position du
CSR (dont elle est membre). Ses arguments reposent sur la défense de la
démocratie et des libertés individuelles. La présidente de l’Église, la pasteure Rita
Famos, regrette ainsi que la discussion fasse « purement et simplement
abstraction » de la position des femmes qui seraient touchées par cette mesure.
Et elle observe l’inutilité de celle-ci sur l’islam extrémiste, en pointant la France :
« Une interdiction du voile y existe depuis dix ans, mais elle n’a pas permis de
contenir l’islam radical. »

Plus d’articles sur la question du voile :

  Le voile, une obsession vestimentaire

  Tout voile dehors
“Le voile me cache et m’expose”

  Et si le voile était là pour interroger notre société ?

  Voile, laïcité, République : une controverse sans fin

  Affaire du voile : “L’État se refuse à trancher”

  Laïcité : la soutane hier, le voile aujourd’hui

Par Augustine Passilly

Dix            ans            d’enquête                     sur   les
Françaises qui portent le niqab
Auteure de l’ouvrage Derrière le niqab. 10 ans d’enquête sur les femmes qui ont
porté et enlevé le voile intégral, la sociologue Agnès De Féo appelle à sortir des
clichés sur cette pratique et insiste sur les conséquences négatives de la loi qui
l’interdit en France depuis 2010.

En France, les femmes adoptent le niqab par choix et le nombre de « niqabées » a
augmenté depuis la loi du 11 octobre 2010 l’interdisant dans l’espace public.
Voici deux des nombreux enseignements tirés par la sociologue Agnès De Féo
après dix années à enquêter sur ce petit morceau de tissu couvrant l’intégralité
du visage à l’exception des yeux, porté chez certaines femmes musulmanes et
souvent accompagné d’un jilbab – longue robe dissimulant le corps et les cheveux.

Auteure du livre Derrière le niqab. 10 ans d’enquête sur les femmes qui ont porté
et enlevé le voile intégral (1) sorti le 30 septembre, la chercheuse revient sur un
travail découlant d’une précédente enquête de terrain.

Un travail débuté en Asie
« Je me suis intéressée au début des années 2000 aux sociétés matrilinéaires au
Vietnam et au Cambodge où la transmission des biens s’effectue de mères en
filles. En 2002, j’ai croisé une femme portant le niqab au Cambodge et j’ai pensé
comme tout le monde qu’il s’agissait d’un marqueur de radicalisation dicté par un
homme. Or, je me suis aperçue que cela relevait en réalité d’une démarche
volontaire », raconte Agnès De Féo.

Son directeur de thèse lui demande par la suite d’étudier ce phénomène en
France. Nous sommes en 2008, soit un an avant le lancement d’un rapport
parlementaire à ce sujet, précédant la loi de 2010. « Cela a été formidable de
commencer à travailler sur ce sujet avant la polémique. J’ai pu observer le
passage d’une coutume ultra minoritaire concernant quelques femmes très
piétistes à une espèce de mode du voile intégral résultant d’une fascination pour
l’interdit, à l’image d’héroïnes qui défient la loi et se positionnent contre l’Etat »,
poursuit la chercheuse, par ailleurs réalisatrice de documentaires sur le niqab.
Une loi contre-productive
D’après les entretiens menés avec plus de 200 femmes dont une centaine suivie
pendant plusieurs années, Agnès De Féo affirme que « cette législation a eu un
effet incitatif et contre-productif. » Car cela a accru la stigmatisation envers ces
femmes « néo-niqabées », souvent issues de familles arabes s’étant éloignées de
la religion ou bien au contraire de parents athées voire islamophobes. Parmi elles,
une partie a tout simplement abandonné le voile. Mais d’autres se sont au
contraire radicalisées jusqu’à rejoindre l’Etat islamique.

« Peut-être que les femmes qui se sont mis à porter le niqab ont fini par
disparaître de l’espace public, mais avec des séquelles à la suite des agressions
dont elles ont été victimes, souligne la sociologue. Beaucoup se sont fait insulter
devant leurs enfants. Je me demande comment ces derniers vont réagir en
grandissant face à une société qui a harcelé leur mère… »

Donner la                   parole             aux         principales
concernées
Abordées par hasard, dans la rue ou à la sortie d’une mosquée, ces femmes ont
systématiquement accepté de répondre aux questions de la chercheuse. Et
aucune d’entre elles ne s’est dit contrainte de porter le voile intégral même si « je
ne prétends pas que cet échantillon soit représentatif des femmes salafistes »,
insiste celle qui se base sur des observations qualitatives et non des statistiques.

« Je n’irai pas jusqu’à évoquer une démarche féministe car elles ne le
revendiquent pas toutes. Certaines avancent tout de même le droit à disposer de
leur corps comme elles l’entendent, ce qui rappelle la base du féminisme des
années 1970, remarque Agnès De Féo. D’autres se situent dans une volonté de
bonification après avoir mené une vie dissolue. Il y a aussi celles qui souhaitent
protéger leur corps après avoir été violées », énumère la chercheuse, précisant
que peu de ces femmes justifient le port du niqab par des arguments d’ordre
religieux.

La sociologue juge en tout cas primordial de donner la parole aux principales
concernées et regrette qu’une seule d’entre elles avait été interrogée dans le
cadre du rapport présenté à l’Assemblé nationale en janvier 2010. Alors que
l’islam revient en pleine actualité avec le projet de loi contre le séparatisme
dévoilé le 2 octobre, Agnès De Féo entame une étude sur l’hyper-médiatisation de
cette thématique. Qui, selon elle, « attise la haine contre les musulmans, faisant
souffrir cinq millions de personnes à cause de quelques cas isolés de terroristes
atteints de troubles psychiatriques. »

(1) Derrière le niqab. 10 ans d’enquête sur les femmes qui ont porté et enlevé le
voile intégral, Agnès De Féo, Armand Colin, 288 pages, 17,90 €.

Par Raphaël Georgy

Signes religieux : faut-il de
nouvelles lois ?
Quinze ans après la loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école, on
s’interroge à nouveau sur les moyens d’assurer le respect de la laïcité dans
l’espace public.

Le voile fait partie de ces polémiques pour lesquelles aucun élu ne peut
s’empêcher de réagir. Et qui ne semble toujours pas avoir été dépassée. Un
exemple ? En octobre dernier, au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté,
un élu du Rassemblement national s’offusque qu’une femme arbore un voile
islamique dans la tribune des visiteurs. Les propositions fusent ensuite, à droite.
Deux semaines plus tard, 18 députés Les Républicains dont Guillaume Peltier,
Claude Goasguen ou l’ancien ministre Éric Ciotti, déposent une proposition de loi
pour interdire de “manifester ses opinions religieuses sur son lieu de travail”. Le
président du groupe LR Christian Jacob, plus modéré, ne soutient pas cette
démarche et se contente de demander l’interdiction du port du voile par les
parents accompagnateurs lors des sorties scolaires. Le énième feu est éteint, mais
l’incendie n’est pas encore vaincu.

Stasi : objectif atteint ?
La commission Stasi, consacrée à ce sujet épineux et voulue en 2004 par le
président Jacques Chirac, aurait-elle raté sa cible ?

Après de longues consultations, elle était parvenue à exiger la discrétion
religieuse aux élèves en interdisant les signes religieux ostentatoires. Dix ans plus
tard, l’Observatoire de la laïcité, composé d’une trentaine de parlementaires et
d’universitaires, dresse un bilan plutôt positif. Il rappelle que l’interdiction des
signes religieux manifestant ostensiblement une appartenance religieuse “vise à
protéger les élèves et en particulier les plus jeunes d’entre eux contre les
pressions qui peuvent s’exercer sur eux pour les contraindre à porter des tenues
qui les identifient d’abord par leur appartenance religieuse”.

Selon l’adage humaniste, à l’école de Cicéron, on n’apprend pas à être cicéronien,
mais à être soi-même. En deux ans, le nombre de signes religieux recensés a été
divisé par deux. Dans 96 cas seulement, les élèves ont volontairement quitté leur
établissement pour s’inscrire dans l’enseignement privé ou par correspondance.
Quarante-sept exclusions ont été prononcées. La plupart des élèves concernés ont
accepté de retirer le signe religieux en question. “La phase de dialogue
obligatoire instaurée par la loi a donc permis, dans la très grande majorité des
cas, d’éviter le prononcé d’une sanction d’exclusion”, se réjouissent les membres
de l’Observatoire. Des élèves de familles musulmanes se sont tournés vers des
établissements privés catholiques sous statut associatif, permettant ainsi de
contourner la règle commune.

Cet effet pervers de la loi se serait estompé avec le temps. “Nous ne constatons
plus aujourd’hui de surreprésentation d’élèves de confession musulmane dans les
établissements privés”, note le rapporteur général de l’Observatoire, Nicolas
Cadène.

Alors faut-il vraiment étendre l’interdiction aux accompagnateurs de sorties
scolaires ? Le Premier ministre Édouard Philippe a fait savoir qu’il ne souhaitait
pas de loi sur ce sujet, en alertant sur le “danger de la déscolarisation” si une
telle loi était adoptée.

Extension de l’interdiction
“Cette proposition, à l’inverse de la loi de 2004, ne répond de fait à aucun
problème sur le terrain”, estime le rapporteur. “La loi de 1905 est très claire,
abonde l’historienne Valentine Zuber. L’État garantit la liberté de conscience de
tous, mais aussi d’exprimer ses convictions dans l’espace public. S’il n’y a que la
liberté de conscience – et les protestants le savent –, ce n’est qu’une demi-
liberté.” La démocratie serait donc plus en danger que la laïcité.

Mais d’autres font valoir que les sorties scolaires font partie du même cadre que
la classe et devraient être soumises à la même règle de neutralité. “Si l’on
considère que les personnes qui accompagnent les enfants font une mission de
service public, alors elle doit être laïque et républicaine, avance un préfet qui a
souhaité garder l’anonymat. Je remarque très clairement dans le département où
je suis un noyau de salafistes qui font du prosélytisme, notamment auprès des
jeunes femmes dans les lycées. Nous avons de plus en plus de femmes qui se
marient à 18 ans avec des salafistes. Certaines se promènent dans la rue
entièrement couvertes. Au lieu de mettre un voile, elles portent un masque anti-
poussière, afin de se faire arrêter par la police et tenter de faire évoluer la
jurisprudence.”

Pour un motif de sécurité, la loi interdit depuis 2010 de dissimuler son visage. Le
préfet tient à rappeler l’esprit de celle de 1905 : “En tant que protestants, nous
avons pu nous exprimer aussi grâce à la loi de 1905, où l’on a combattu la
mainmise de la religion catholique sur la société. Je ne comprendrais pas que l’on
accepte la mainmise d’une autre religion alors qu’on a combattu pour la liberté de
conscience.”

Mais pour Nicolas Cadène, élargir l’interdiction est une mauvaise solution :
“Concernant l’islam radical, à notre sens, ce n’est pas en offrant l’argument de la
discrimination aux extrémistes religieux qui instrumentalisent ces polémiques,
qu’on luttera efficacement contre ce danger.”

Valentine Zuber appelle au discernement : “En France, nous avons tendance à
toujours faire des interdictions générales, même pour des cas très peu nombreux.
Il peut y avoir des interdictions ponctuelles, mais elles doivent toujours être
proportionnées.”

  Le conflit des laïcités en Europe
  Si le principe de laïcité est accepté dans tous les États de droit, deux modèles
  se font face. Le modèle français de laïcité, d’abord, s’est construit pour
  soustraire la République et les services publics à l’influence des religions et des
  congrégations. Le modèle britannique, pour sa part influencé directement par
  le modèle américain, vise d’abord à protéger les religions contre le pouvoir de
  l’État. En France, l’égalité de tous devant la loi est la clé de voûte de la laïcité.
  En Grande-Bretagne, c’est d’abord la non-discrimination. L’État ne doit
  manifester aucune hostilité envers telle ou telle religion, mais il doit, en plus,
  regarder avec bienveillance leurs revendications particulières. Il est mis en
  demeure de prouver sa bienveillance par des “accommodements raisonnables”.

  La Cour européenne des droits de l’homme s’est toujours refusée à trancher
  entre ces modèles, quitte à sacrifier la laïcité sur l’autel de la paix civile.
  Comme en 2018, lorsqu’elle a refusé de sanctionner le droit autrichien qui
  comporte un délit de “dénigrement de doctrine religieuse”. La Cour européenne
  a toléré la condamnation d’une conférencière qui avait évoqué en ces termes le
  mariage entre le prophète Mahomet et la jeune Aïcha, âgée de 6 ans, union
  consommée trois ans plus tard : “Un homme de 56 ans avec une fille de 6 ans
  […]. De quoi, s’agit-il, sinon de la pédophilie ?”
Par Jean-Paul Willaime

C’est l’excommunication sociale
du religieux qui nourrit le
communautarisme !
Le sociologue des religions Jean-Paul Willaime dit son opposition à une nouvelle
législation sur le voile.

Interdire le port du voile aux accompagnatrices de sorties scolaires serait, de fait,
vouloir étendre, au-delà de la sphère publique, la neutralité de l’État et des
pouvoirs publics.

Or, si l’école est bien une institution essentielle de la République, elle est aussi
une institution de la nation ouverte à la diversité de la population.

Les accompagnatrices des sorties scolaires ne se transforment pas
momentanément en agents de l’État sous prétexte que, sous l’autorité des
professeurs, elles sortent avec les élèves dans l’espace commun de nos rues.

Au contraire, elles offrent le beau symbole d’une école républicaine qui, sans rien
abandonner de sa mission éducative laïque, accueille dans sa diversité les élèves,
mais aussi leurs parents, les faisant momentanément participer, tels qu’ils sont, à
cette mission éducative.
La volonté de laïciser la société
Je ne pense pas qu’à l’occasion de quelques sorties scolaires, la brève
participation – plus passive qu’active car il s’agit d’”accompagne” – de quelques
mères au service public transforme magiquement leur statut, telle la
transsubstantiation des espèces dans l’eucharistie catholique, d’acteur social de
la société civile en celui d’agent d’un service public.

Elles restent des mères ordinaires participant, un court moment, et telles qu’elles
sont, à un service public garanti par des professeurs qui, de leur côté,
n’abandonnent pas leur statut d’agents publics en sortant de l’enceinte scolaire.

Prétendre prévenir le communautarisme en voulant, après avoir laïcisé l’État,
laïciser la société, risque de produire l’effet contraire au but recherché, à savoir
renforcer l’entre-soi des communautés comme si la religion devait être désormais
la moins visible possible. La laïcité n’implique ni l’invisibilisation du religieux, ni
son exclusion de l’espace social. Laïquement, je dis “non” à l’excommunication
sociale du religieux !

Par Valentine Zuber
Les Français musulmans, des
boucs émissaires
L’historienne Valentine Zuber s’inquiète du climat de doute et de suspicion à
l’égard des musulmans.

Nous vivons des moments effarants, qui rappellent le climat dangereusement
xénophobe et antisémite des débats politiques en France lors des heures peu
glorieuses d’avant-guerre.

Alors qu’un polémiste peut déployer injures et haine contre les musulmans
pendant plus d’une heure sur une chaîne de télévision spécialisée dans
l’information, alors qu’un “sage de la laïcité” désigné comme tel par le ministère
de l’Éducation nationale peut risquer un amalgame éhonté entre une mère d’élève
voilée et des djihadistes ou des pédophiles sur les réseaux sociaux, alors qu’un élu
RN peut dénier à une personne dans le public le droit d’assister aux débats d’une
assemblée républicaine, on peut s’indigner justement de la brutalisation du
langage employé actuellement dans la plupart des médias à l’encontre des
citoyens français de religion musulmane.

Un nouveau type de racisme
On peut aussi déplorer la banalisation de ce nouveau type de racisme qui
s’énonce sur le même registre, à la fois chez les tenants de l’extrême droite et
ceux d’une gauche se désignant elle-même comme “républicaine”.

À gauche, le ministre de l’Éducation nationale, sur une autre chaîne d’information
et à une heure de grande écoute, peut considérer que le port du hidjab ne
correspond pas à “nos” valeurs, que ce dernier, sans être interdit par la loi, “n’est
pas souhaitable dans notre société” et ainsi donner des arguments aux
prohibiteurs de tous genres.

À droite, un député de Vendée peut tenter de prolonger le buzz médiatique en
s’insurgeant contre l’éventualité (toute théorique) de la constitution de listes
“communautaires” aux prochaines élections municipales et demander que le port
du voile soit interdit sur les affiches électorales.
Le doute et la suspicion
Ces attaques répétées visent à faire de nos concitoyens musulmans les boucs
émissaires de la crise engendrée par la persistance de la menace terroriste, en
instillant le doute et la suspicion sur leurs comportements et sur la liberté de
leurs choix personnels.

Cette stigmatisation n’est pas de bon augure pour notre société et devrait
rappeler de bien mauvais souvenirs aux protestants et aux juifs…

Par Nathalie Leenhardt

Laïcité : la soutane hier, le voile
aujourd’hui
L’historien Jean Baubérot établit un parallèle entre le débat sur la soutane des
prêtres en 1905 et la polémique autour du voile.

La question du port des vêtements religieux dans l’espace public n’est pas
nouvelle. Au début du XXe siècle, en 1903, en 1904, des maires prennent des
arrêtés municipaux pour interdire aux prêtres en soutane de circuler dans leur
commune. Ce qui me frappe, dans un contexte très différent, c’est l’analogie des
arguments. Au cours du XIXe siècle se répand le port de la soutane, sous
l’influence d’un catholicisme ultramontain. Les opposants au port de la soutane
vont alors parler de l’influence “d’un souverain étranger” en évoquant le pape, et
jugent cette tenue plus politique que religieuse. Ils vont voir dans le port de la
soutane “un acte permanent de prosélytisme”, une forme de “soumission du
prêtre” qui symbolise “un monde ignorant, étroit”.

Au nom de la liberté individuelle
Lors des débats parlementaires sur la loi de 1905, plusieurs députés exigèrent
l’interdiction de la soutane. Aristide Briand (1862-1932) leur répondit que le
projet de loi n’interdisait pas le port du vêtement religieux dans l’espace public.
Et ce non pas par omission mais délibérément. Proscrire une façon de se vêtir
aurait été contraire à la liberté fondamentale de l’individu, expliqua-t-il, et aurait
représenté une rupture dans l’égalité des citoyens. L’interdiction fut rejetée par
391 voix contre 184.

Pourtant, aujourd’hui, les opposants au port du voile utilisent le même
vocabulaire. Au nom d’une “nouvelle” laïcité, ils affirment que le port du voile
n’est pas conforme à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, quitte à
en dévoyer l’esprit.

L’exemple de l’institution militaire
Pour ma part, je trouve ridicule que l’on se focalise à nouveau sur cette question.
C’est selon moi une façon très claire de faire diversion, selon l’expression de
l’historien Gérard Noiriel. Faire diversion face aux problèmes mondiaux
autrement plus préoccupants, comme le réchauffement climatique, ou faire
diversion face aux vrais problèmes de sécurité liés au terrorisme. Comment peut-
on imaginer que des “sages” exigent que Latifa Ibn Ziaten, dont le fils a été tué
par Mohammed Merah, enlève son voile quand elle intervient dans les lycées ?
Elle refuse de le faire, or c’est le contraire d’une femme “soumise” ou
“radicalisée”. À cet égard, je trouve que l’institution militaire se débrouille bien
mieux que l’Éducation nationale. Elle autorise les jeunes musulmans, nombreux,
qui entrent dans ses rangs à prier et à manger halal tout en les formant comme
tout autre citoyen français. Elle pratique une véritable laïcité inclusive. C’est bien
cela dont notre pays a besoin. Construire et fabriquer ce “non-événement”, cette
intégration silencieuse, voilà l’objectif. Interdire le voile lors d’une sortie scolaire,
c’est renforcer le ressenti victimaire et c’est ça qui est dangereux…

Propos recueillis par Nathalie Leenhardt

À savoir

Jean Baubérot vient de publier le tome 1 de La loi de 1905 n’aura pas lieu.
Histoire politique des séparations des Églises et de l’État (1902-1908), Maison
des sciences de l’homme.

Réforme le présentera prochainement dans ses pages.

Par Frédérick Casadesus

Affaire du voile : “L’État se refuse
à trancher”
Les déclarations du ministre de l’Éducation nationale ont suscité des réactions
contradictoires au sein même de la majorité. C’est dire si la question du voile en
France demeure irrésolue.
Affaire du voile : questions à Jean-François Colosimo, philosophe et
théologien

Pourquoi le voile provoque-t-il un tel état de confusion dans le débat
public ?

Tout d’abord parce que l’État se refuse depuis trois décennies à trancher. L’année
du bicentenaire de la Révolution, en 1989, éclate la première affaire médiatisée
avec l’exclusion de trois lycéennes portant le foulard, à Creil (Oise). La France
chavire. Le pouvoir exécutif se défausse sur le Conseil d’État, lequel à son tour se
défausse sur les enseignants et les abandonne en rase campagne. Dans le même
temps, la laïcité devient un mot-valise et les instrumentalisations vont bon train.
L’extrême droite cherche à polariser la question pour favoriser un affrontement,
bloc contre bloc. L’extrême gauche prône le relativisme afin de s’approprier un
levier potentiel de contestation. Par calcul, la droite et la gauche des
gouvernements confient les quartiers défavorisés à des imams improvisés et
militants. Rien d’étonnant, donc, à la confusion actuelle. D’autre part, sur le plan
théorique, parce que l’on continue d’ignorer que le religieux est l’inconscient du
politique et que le voile manifeste cette imbrication. Enfin, parce que l’on ne
cesse de confondre le voile et le voilement, le fait coutumier et le prosélytisme
idéologique.

Pourquoi l’État s’est-il défaussé, selon vous, alors qu’une loi définit les
conditions du port du voile ?

L’affaire de la crèche Baby Loup dans les Yvelines, en 2010-2014, et l’émeute de
Trappes en 2013 ont montré que les lois de 2004 et de 2010 n’ont pas été reçues.
La multiplication des commissions, conseils, fondations, rapports, avis laisse voir
l’étendue des atermoiements sur la burqa et le burkini.

Jusque-là, le Conseil d’État tranchait les litiges en renvoyant au principe de laïcité
sans avoir à l’expliciter. L’État affirmait son droit à dire et à faire la loi dans
l’espace public en excluant l’hypothèse que des droits religieux puissent
fragmenter la République. Aujourd’hui, nous assistons à une inversion de l’esprit
de 1905 : la tolérance est comprise comme la faculté qu’auraient les
confessionnalismes à réclamer la reconnaissance de leurs particularismes. C’est
un exemple supplémentaire de l’erreur dominante sur les droits de l’homme qui
consisteraient en un droit absolu à toujours plus de droits subjectifs.
Voulez-vous dire que L’État se montre complaisant à l’égard de l’islam ?

Le pouvoir régalien n’a pas exercé sur l’islam la neutralisation qu’il a opérée au fil
du temps sur les autres confessions historiques. La “police religieuse” a été une
constante de tous les régimes en France, monarchiques ou républicains. Mais
cette expression ne doit pas tromper : l’État ne se transforme ni en théologien ni
en inquisiteur, mais il régule l’entrée et la présence du religieux dans l’espace
public en limitant sa puissance de conflictualité, en désarmant et en dépolitisant
les communautés de croyance en ce qu’elles ont d’exclusif et d’oppressif. C’est un
pacte gagnant-gagnant : les confessions historiques y ont toutes trouvé une
liberté, une créativité et une vitalité inégalées ailleurs.

Les Français musulmans vous paraissent-ils traités différemment ?

Depuis les années 1960, le paysage religieux s’est modifié sous l’effet des
nouveaux confessionnalismes entrants, mais aussi des changements au sein des
confessions anciennes. Au regard de la crise planétaire qu’il traverse et de sa
visibilité dans le cadre national, l’islam concentre l’attention.

L’islam de France est-il possible ?

Il relève de la nécessité. Pour les Français non musulmans, pour les Français
musulmans et pour les musulmans du monde entier qui pourraient profiter de
cette expérience de la laïcité, au regard de ce qu’elle qu’apporte de libération et
d’universalisation pour toute foi. Ceux qui prétendent que les différences sont
irréductibles laissent se développer l’indifférence, laquelle permet des ruptures
d’égalité entre les citoyens. Il faut arrêter de traiter nos compatriotes qui
adhérent au Coran comme une sorte d’indigénat. Les musulmans de France
méritent notre respect têtu.

Mais encore une fois, le voile enflamme l’actualité…

Il serait malvenu de se laisser enfermer dans ce débat. Non, la République n’a pas
à rudoyer les immigrées arrivant pour qui le voile est une coutume. Oui, il est de
jeunes Françaises qui le portent librement. Mais la vraie question est planétaire :
qu’en pensent les femmes qui, dans la quarantaine de pays qui appliquent peu ou
prou la charia, encourent des punitions physiques lorsqu’elles se dévoilent ? Jean-
Michel Blanquer, en tant que ministre de l’Éducation nationale, haut lieu de la
laïcité, est dans son rôle lorsqu’il rappelle que ce qui n’est pas formellement
interdit n’est pas pour autant souhaitable. Je note qu’il est l’un des rares à pallier
les manquements et défaillances de l’État. Car l’essentiel du problème est là.

Le titre de votre dernier ouvrage s’appelle La Religion française.
Pourquoi ?

À la différence du reste de l’Europe, où la forme influence le fond, la matrice
française du religieux a engendré des invariances. Tout en respectant la
spécificité de chaque mémoire blessée, il faut voir le lien structurel entre les
terribles dragonnades des Cévennes et les colonnes infernales de Vendée. Mais
aussi entre la destruction de Port-Royal lors du Grand Siècle et l’expulsion des
congrégations sous la troisième République. Ou encore entre la Compagnie du
Saint-Sacrement à la fin du xviie siècle et le Grand Orient au début du xxe siècle.
Quelles en sont les sources ?

La France débute avec l’élection d’Hugues Capet, avec la projection d’un État qui
permet l’avènement d’une nation. Alors que le continent européen est dominé par
la papauté et le Saint Empire romain germanique, la monarchie française s’établit
sur le modèle du royaume biblique d’Israël pour affirmer sa radicale
indépendance. Elle scinde le religieux et le politique : le pape consacre les
évêques, le prince les nomme.

C’est une révolution. Face à l’Église, l’État crée sa propre cléricature, son droit
canon, sa juridiction, sa prétention à l’universalité. Il absorbe dans son domaine
les attributs de la souveraineté ultime.

Lors de la Réforme, quand le Nord deviendra toujours plus protestant et le Sud
toujours plus catholique, la France, pour sortir de la guerre civile, sera le seul
pays d’Europe essayant de vivre avec deux confessions à la fois. Je ne magnifie
pas ce tableau. Mais l’idée initiale de la paix de Nantes a déterminé ce que je
nomme la « religion française ».

Certes, mais cela s’est traduit par de nombreuses violences…

C’est vrai. Et ce, sans exception. Bien qu’on l’oblitère, l’émancipation des Juifs,
commencée par Louis XVI, votée par l’Assemblée constituante, codifiée par
Napoléon, aura eu sa part de violence symbolique en ayant contraint un univers
traditionnel à la modernité citoyenne. Chaque fois, la puissance publique entend
transcender tous les credo. Quand l’État juge des affaires de l’État, résumera
Richelieu, il ne procède pas à un acte juridique, mais continue à acter sa
politique. D’où le droit administratif qui irrite le monde anglo-saxon, mais reste
constitutif de notre singularité. En France, seul l’État, et non pas les religions ou
autres communautés d’élections, fait la loi. Le communautarisme ne convient pas
à notre logiciel millénaire.

Propos recueillis par Frédérick Casadesus

  Le point de vue d’un pasteur qui a vécu à
  Beyrouth
  Pierre Lacoste, pasteur de l’Église évangélique libre est président de la
  commission de la Fédération protestante de France en charge des relations
  avec l’islam. “Le Macron d’avant élection avait une certaine liberté de parole, il
  était capable de positions courageuses. Depuis qu’il est président,
  malheureusement, il n’a plus la même épaisseur de parole. Il semblait pourtant
  avoir pris la mesure de la complexité du sujet en déclarant que la France avait
  une part de responsabilité dans le phénomène d’islamisation. Mais après
  l’attaque de la préfecture de Paris, il s’est mis à parler de “société de
  vigilance”. Je vois ressortir de vieux fantômes de société de suspicion, de
  dénonciation et cela, je n’en veux pas. Ces termes évoquent de très vieux
  souvenirs, parmi les plus douloureux et les plus honteux de notre histoire.
  J’attendrais d’Emmanuel Macron qu’il soit le bon élève de Ricoeur. Qu’il se
  souvienne que si l’on n’accueille pas tout ce qui fait notre pays dans toute sa
  complexité, il manque la connaissance et donc, la reconnaissance. Il faudrait
  mettre en place de nouveaux lieux de rencontre et de discussion qui seraient le
  terreau de la connaissance mutuelle, pour parvenir à une reconnaissance
  mutuelle. Il faut s’écouter et écouter l’autre tel qu’il se présente lui-même. Sans
  cela, nous finissons par projeter sur l’autre des choses qui nous conviennent,
  nous l’enfermons dans des caractéristiques dans lesquelles il ne se reconnaît
  pas.”

  Madeleine Koch
À lire

La Religion française
Jean-François Colosimo,
Le Cerf (2019),
400 p., 20 €.

Aveuglements
Jean-François Colosimo,
Le Cerf (2018),
544 p., 22,90 €.

Par Marjolaine Koch

Voile, laïcité, République : une
controverse sans fin
La cacophonie dans la classe politique sur la liberté religieuse et les règles de vie
commune est réelle. Une fois encore, c’est l’islam et ses rapports tortueux avec
l’État qui remettent la question sur la table.
Un demi-mandat sans véritable débat sur la question. Le délai avait été
exceptionnellement long, mais il n’aura pas tenu plus longtemps : le voile a refait
surface, comme c’est régulièrement le cas depuis déjà trente ans. En élisant
Emmanuel Macron, cette partie de la France que l’on nomme la “majorité
silencieuse”, peu portée sur la question de la place du voile dans l’espace public,
semblait parvenue à éteindre l’éternel débat. Car l’actuel président n’a jamais
amené le sujet sur la place publique. Pour le sociologue et philosophe Raphaël
Liogier, “Emmanuel Macron a préféré s’orienter vers l’Europe, vers un projet de
paix, positif et libéral. Cette Europe qui doit être une sorte de lumière au-delà des
violences, des régressions du nationalisme et des subjectivités de groupe.” Sauf
qu’avec l’attaque de la préfecture de Paris et l’affaire du voile au conseil régional
de Bourgogne-Franche-Comté, il vient de se faire happer par une force
centrifuge.

Paroles maladroites
D’abord, les paroles maladroites de son ministre de l’Intérieur Christophe
Castaner sur les “signaux d’alerte” à surveiller. Puis Julien Odoul, élu
Rassemblement national au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté,
allume l’étincelle en demandant à cette mère, accompagnatrice d’une sortie
scolaire, de retirer son voile. Dès lors, chaque parti s’exprime. L’occasion est trop
belle de se repositionner sur l’échiquier politique et de reconstituer son bassin de
recrutement, surtout à quelques mois des élections municipales. Sans tarder, le
président fraîchement élu à la tête des Républicains Christian Jacob monte au
créneau : de voile, il ne veut pas en voir l’ombre d’un lors des sorties scolaires.
Dans la foulée, les Républicains déposent une proposition de loi sur les
“accompagnants scolaires”, visant directement ces mères musulmanes.

À l’extrême droite de l’échiquier, Marine Le Pen ne semble pas fière du coup
d’éclat de l’élu local : c’était une “interpellation rugueuse et maladroite”, qu’elle
regrette sur la forme, moins sur le fond, car “il pose les bonnes questions”,
estime-t-elle. Quant à la gauche, son éclatement est tel qu’il rend les voix
inaudibles de celles et ceux qui pourraient défendre la laïcité comme entendu
dans la loi de 1905.

Reste les membres du gouvernement, dont certains, comme la porte-parole Sibeth
Ndiaye, ont vite pris position. “Je n’ai pas de difficulté à ce qu’une femme voilée
participe à des sorties scolaires”, a-t-elle assumé. Mais au même moment, Jean-
Michel Blanquer, à l’opposé de l’échiquier, déclarait que “le voile, en soi, n’est
pas souhaitable dans notre société”. Le ministre de l’Éducation nationale assume
une “laïcité identitaire”, décrypte le chercheur spécialiste de l’islam Franck
Frégosi. “Il suffit de se rappeler que François Fillon avait prévu de mettre
monsieur Blanquer au poste de ministre de l’Éducation nationale pour
comprendre son positionnement intransigeant”, rappelle le chercheur.

Édouard Philippe au charbon
Mais lorsque le torchon brûle entre le ministre et le député LaREM Aurélien
Taché qui lui reproche d’apporter de la “confusion” au débat, il faut sonner la fin
de la partie. Impossible d’échapper à la question : comment ce gouvernement se
positionne-t-il sur la présence du voile dans l’espace public ?

Ce sera à Édouard Philippe de s’avancer en terrain miné. La loi, et uniquement la
loi, assène-t-il. Ni la loi de 1905 ni celle de 2004 sur les signes religieux dans les
écoles publiques ne seront modifiées. Emmanuel Macron, lui, se contentera d’une
courte intervention depuis Toulouse : un appel à ne pas stigmatiser les
musulmans, à “faire bloc et ne pas se diviser pour lutter avant tout contre la
radicalisation dans notre société”.

Le président sait qu’il ne coupera pas à une intervention pour clarifier son
positionnement. Mais il estime que le temps n’est pas encore venu, car s’il est un
parti qui a montré ses dissonances à l’occasion de cette polémique, c’est bien le
sien. Avec à son bord d’anciens socialistes comme d’anciens républicains, difficile
à faire front commun sur la question. Pour Emmanuel Macron, se prononcer
signifie risquer de décevoir une partie de sa majorité parlementaire, et même
désavouer certains de ses ministres. Même si l’on ne relève pas de phénomène de
fronde au sein de LaREM, le groupe parlementaire a connu des défections cet été.
Quatre députés ont rejoint les sept marcheurs déjà dissidents. Or, la majorité ne
compte plus que 304 sièges au palais Bourbon. La majorité absolue cesse à 289
députés. La marge est étroite.

Pourtant, avant son élection, Emmanuel Macron s’était distingué grâce à un
positionnement très libéral qui avait séduit les chercheurs. “Lors de la vague
d’attentats, alors que Manuel Valls déclarait “vouloir comprendre, c’est vouloir
justifier”, Emmanuel Macron avait estimé qu’il fallait “parvenir à identifier quel
est le terreau social dont se nourrissent ceux qui légitiment le recours à la
violence”, se remémore Franck Frégosi. Sa volonté de prendre du recul et un
temps de réflexion quasiment sociologique était courageuse.”

Le syndrome Sarkozy
Pourtant, deux ans et demi après avoir pris les rênes du pays, “il n’y a pas eu de
progrès, regrette Raphaël Liogier. La polémique sur la grille d’évaluation de
l’université de Cergy pour repérer les signaux faibles de radicalisation n’est pas
forcément la plus rassurante qui soit.”

Pour le chercheur, un grave syndrome guette le président : “Au lieu de se
maintenir dans son pari libéral positif vis-à-vis de la laïcité, qui lui a permis d’être
élu, il reste au milieu du gué. C’est ce que j’appelle le “syndrome Sarkozy”. Il
n’ose plus déplaire, il souhaite satisfaire ceux qui hurlent en oubliant cette
majorité silencieuse, peu portée sur ces questions, qui l’a pourtant élu. Or, à force
de trop vouloir plaire, on mécontente tout le monde.”

Par Valentine Zuber
Face à la crise du terrorisme, ne
faisons pas des musulmans des
boucs-émissaires
Nous vivons des moments effarants, qui rappellent le climat dangereusement
xénophobe et antisémite des débats politiques en France lors des heures peu
glorieuses d’avant-guerre.

Alors qu’un polémiste peut déployer injures et haine contre les musulmans
pendant plus d’une heure sur une chaine de télévision spécialisée dans
l’information, alors qu’un « sage de la laïcité » désigné comme tel par le Ministère
de l’Éducation nationale peut risquer un amalgame éhonté entre une mère d’élève
voilée et des djihadistes ou des pédophiles sur les réseaux sociaux, alors qu’un élu
RN peut dénier à une personne dans le public le droit d’assister aux débats d’une
assemblée républicaine, on peut s’indigner justement de la brutalisation du
langage employé actuellement dans la plupart des medias à l’encontre des
citoyens français de religion musulmane. On peut aussi vouloir déplorer la
banalisation de ce nouveau type de racisme qui s’énonce étonnamment sur le
même registre à la fois chez les tenants de l’extrême droite et ceux d’une gauche
se désignant elle-même comme « républicaine ». Ces attaques répétées visent
cependant à une seule et même chose : faire de nos concitoyens musulmans de
véritables boucs-émissaires de la crise engendrée par la persistance de la menace
terroriste, en instillant le doute et la suspicion sur leurs comportements et la
liberté de leurs choix personnels.

Le port du hidjab
Mais lorsque le Ministre de l’Éducation nationale lui-même, sur une autre chaine
d’information et à une heure de grande écoute, peut considérer que le port du
hidjab ne correspond pas à « nos » valeurs, que ce dernier « n’est pas souhaitable
dans notre société », que sans être « quelque chose d’interdit, (…) ce n’est pas
non plus quelque chose à encourager », une limite essentielle est alors franchie.
Une personne dépositaire de l’autorité publique doit garantir le respect absolu de
la loi et son opinion personnelle ne peut l’autoriser à la contredire. Cette vindicte
et cette stigmatisation, quand elles deviennent « officielle » devraient rappeler de
bien mauvais souvenirs à la fois aux protestants et aux juifs…
Vous pouvez aussi lire