À propos de l'école de Paris : quelques repères pour la consultation psychosomatique On the subject of l'école de Paris : Reference point for ...

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Santé mentale au Québec

À propos de l’école de Paris : quelques repères pour la
consultation psychosomatique
On the subject of l’école de Paris : Reference point for
psychosomatic consultation
Claude Fortier

Volume 13, Number 1, June 1988                                                 Article abstract
                                                                               In his report, the author suggests that psychoanalysts working in hospitals
La réinsertion sociale                                                         must deal with the distinct nature of the psychoanalytic listening of somatic
                                                                               patients. The author defines the theoretic base for psychoanalytic listening as
URI: https://id.erudit.org/iderudit/030423ar                                   psychosomatics (as opposed to psychosomatic medicine). The author presents
DOI: https://doi.org/10.7202/030423ar                                          two models from which descend all the various psychoanalytic approaches of
                                                                               psychosomatic clinics. Emphasis is mostly placed on contributions made by the
                                                                               Ecole de Paris : the importance given to sensorimotor manifestations ; the
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                                                                               evolutionist point of view ; the development of an original psychosomatic
                                                                               nosography, inspired by psychoanalysis ; and the somatization processes. The
                                                                               study covers a wide range of aspects, namely theoretical and clinical
Publisher(s)                                                                   considerations of allergy as a structural phenomenon and as a way of relating
                                                                               to the world ; operational thinking in its proper historical context ; essential
Revue Santé mentale au Québec
                                                                               depression as a notion of great importance in psychosomatics. The author
                                                                               finally draws a profile of the various forms of psychoanalytic treatments
ISSN                                                                           offered to somatic patients.
0383-6320 (print)
1708-3923 (digital)

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Fortier, C. (1988). À propos de l’école de Paris : quelques repères pour la
consultation psychosomatique. Santé mentale au Québec, 13(1), 18–33.
https://doi.org/10.7202/030423ar

Tous droits réservés © Santé mentale au Québec,1988                           This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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                                                                              This article is disseminated and preserved by Érudit.
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                                                                              Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                              promote and disseminate research.
                                                                              https://www.erudit.org/en/
Santé mentale au Québec, 1988, XIII, 1, 18-33.

                                              À propos de Pécole de Paris:
                     quelques repères pour la consultation psychosomatique

                                                                                                              Claude Fortier*

        Pour le psychanalyste travaillant en milieu hospitalier, il est nécessaire de dégager Ia spécificité de l'écoute psycha-
        nalytique des malades somatiques ; écoute dont l'élaboration théorique constitue ce qu'on appelle îa psychosomati-
        que (à distinguer de la médecine psychosomatique).
        L'auteur évoque deux modèles auxquels on peut rapporter les différentes approches psychanalytiques de la clinique
        psychosomatique, D s'attache surtout à souligner les apports de l'École de Paris : l'importance accordée à la sensorîo-
        motricité; le point de vue évolutioraiiste; la constitution d'une nosographie psychosomatique originale, inspirée
        de la psychanalyse; et les processus de somatisât ion.
        Des considérations théoriques et cliniques sur l'allergie comme mode de relation au monde et comme structure
        viennent illustrer ses propos. La pensée opératoire tst replacée dans son contexte historique; la dépression essen-
        tielle est présentée comme une notion d'une importance majeure en psychosomatique.
        En terminant, l'auteur esquisse un tableau des différentes formes que peut prendre le traitement psychanalytique
        des malades somatiques.

                                       «Ecoute: cordage servant à            vous pouvez en dire comme psychanalyste consultant
                                       orienter une voile, et à l'amar-
                                                                             dans le service de psychosomatique d'un hôpital
                                       rer à son coin inférieur sous le
                                       vent, qui est le point d'écoute. »    général ?
                                       (Le Petit Robert)                        On vous l'adresse d'ailleurs parce que vous exer-
                                       «J'appris ce jour-là qu'une           cez ce qu'on appelle une « profession de la santé » ;
                                       main peut, pour qui sait l'obser-     vous voilà partie prenante à ce qu'on appelle la méde-
                                       ver, refléter les émotions aussi
                                       bien qu'un visage, aussi bien et
                                                                             cine psychosomatique, expression, à bien y penser,
                                       mieux qu'un visage car elle           bizarre et redondante — comme s'il y avait une méde-
                                       échappe davantage au contrôle         cine qui pouvait se dispenser de l'être, psychosoma-
                                       de la volonté. Et les doigts de       tique.
                                       cette main-là se tendaient et se         Même ambiguïté du côté du malade. Comment
                                       pliaient, se pressaient et
                                       s'accrochaient, se livraient à la
                                                                            en serait-il autrement? Son lot est la solitude non
                                       plus intense mimique tandis          pas du coureur de fond mais du « bénéficiaire » (la
                                       que le visage et tout le corps       langue de bois administrative a de ces coquetteries !)
                                       demeuraient immobiles. »             engagé dans une course dont il ne comprend guère
                                       (Vercors, Le silence de la mer).     ni les étapes, ni le terme. Sa vie, ou sa survie, est
                                                                            scandée par la survenue imprévisible d'examens
Quel est le point d'écoute en
                                                                            divers, suite à des colloques auxquels il assiste de
psychosomatique ?                                                           l'extérieur sans en saisir l'objet. La tentation est
  Ce malade somatique qu'on vous demande de voir                            grande alors de s'abandonner : au sens de rompre
— mais qui, le plus souvent, ne vous a rien demandé                         avec soi-même, et au sens de s'en remettre à l'appa-
— comment l'écouter, que lui dire, et qu'est-ce que                         reil hospitalier pour penser sa vie... L'appareil ins-
                                                                            titutionnel peut remplacer l'appareil mental, comme
*   L'auteur est psychanalyste. Il remercie les collègues qui lui           chez le malade qui disait de son séjour dans une ins-
    ont permis de participer à leur réflexion sur la psychosomati-          titution: «J'y ai été vécu pendant neuf ans... »
    que lors de séminaires au cours des dernières années, et, plus
    particulièrement, Dominique Scarfone, qui dirige avec lui un                II arrive parfois que la consultation en psychoso-
    séminaire clinique en milieu hospitalier.                               matique ait la fonction d'un siège éjectable. Si « le
À propos de l'école de Paris                                           19
malade n'a rien», sauf un corps souffrant, l'ombre            Existe-t-il des malades
de l'hystérie se profile à l'horizon, bien que ce dia-        psychosomatiques ?
gnostic dit d'exclusion tombe en désuétude.
(«L'hystérie est un diagnostic d'exclusion», nous                 On emploie généralement l'épithète « psychoso-
disait un professeur de clinique en médecine). De             matique » pour désigner les malades atteints d'une
nos jours, c'est la dépression, masquée ou pas, qui           maladie où les facteurs d'ordre affectif seraient à
a la cote. Ce transfert de diagnostic... d'exclusion          prendre en compte, sinon dans la genèse du trouble,
tiendrait-il au fait que certaines formes de dépres-          du moins dans son traitement — le plus souvent d'une
sion répondent bien aux antidépresseurs, donc à un            manière adjuvante par rapport au traitement médi-
traitement biologique : alors que l'hystérie...               cal classique. « C'est un psychosomatique » dira-t-
    Si le malade a « quelque chose », et s'il a le mau-       on aussi d'un malade dont les symptômes ne parais-
vais esprit de se manifester autrement que par les            sent relever d'aucune étiologie somatique de bon aloi.
anomalies de ses épreuves de laboratoire, le rôle du          L'expression est donc lourde de malentendus, et a
consultant serait-il de considérer ces manifestations         des relents d'un dualisme psyché-soma qui n'est plus
(traits de caractère, symptômes psychotiques ou               de saison pour qui s'intéresse maintenant à l'appro-
névrotiques) comme autant d'épiphénomènes à                   che psychanalytique des malades somatiques.
réduire afin de rétablir le bon ordre biologique?                 Ce qu'on appelle « la psychosomatique » (le mot
    Pourtant il existe chez nos collègues médecins et         étant employé substantivement) ne saurait se
chirurgiens une demande d'un tout autre ordre, même           confondre avec la médecine psychosomatique, et le
si elle n'est pas toujours exprimée d'une manière             modèle bio-psycho-social qui l'inspire: démarche
explicite. De telle sorte que le tableau que nous             médicale d'une part, démarche psychanalytique de
venons d'esquisser — dont l'aspect caricatural est            l'autre. Il n'y a vraiment aucun intérêt à les confondre.
voulu — conduit avant tout à une interpellation de            La psychosomatique désigne le regard et l'écoute du
la psychiatrie dans sa tendance biologisante actuelle,        psychanalyste, sa réflexion, l'élaboration théorique
et sur l'exclusion qui en résulte — ne disons pas du          qu'il fait de la rencontre avec le malade somatique.
psychologique, terme lourd de confusion et d'ambi-            Du moins c'est ainsi qu'on voudra bien l'entendre
guïté — mais de la dimension de l'inconscient dans            dans la suite de cet exposé.
la compréhension de la maladie somatique.                         Pourquoi ne pas le déclarer d'emblée? Il n'y a
    « There is no thinking without a brain. » Cet apho-       pas de malades psychosomatiques. Mais la psycho-
risme nous est souvent servi pour signifier la pri-           somatique existe tout de même.
mauté absolue du biologique, comme si le corps qui                Ceci étant, on ne s'étonnera pas qu'ici comme
nous occupe en psychosomatique se réduisait à                 en d'autres domaines, on soit prisonnier du langage.
l'ensemble de ses fonctions biologiques, d'où éma-            Et l'on se trouve tout naturellement amené à parler
nerait une vie mentale étroitement conditionnée par           de malades, ou de maladies «psychosomatiques»,
cet ensemble.                                                 alors même qu'on veut réfuter théoriquement l'apho-
    Quel est le point d'écoute en psychosomatique?            risme de la dualité psycho-soma, et qu'on a le pro-
Ce n'est pas d'hier que des psychanalystes fréquen-           pos de contester la relégation dans une Sibérie
tent l'hôpital général, et cherchent des réponses à           somatique de malades souffrant dans leur corps, mais
cette question: réponses diverses et parfois                  qui ne seraient pas ... psychosomatiques !
contradictoires, à l'image sans doute de l'objet de               Usage, commodité de langage, à nommer ainsi
leur étude.                                                   des sujets qui, pour des raisons diverses et parfois
    Il s'agit d'écouter ce qui de l'inconscient se dit        mal définies, « mériteraient » plus que d'autres l'accès
dans le corps : mais cette expression qu'on emploie           à une écoute psychanalytique. Non pas qu'il
volontiers « le langage du corps », ne saurait rendre         convienne d'allonger tout un chacun sur le divan;
compte de tout en psychosomatique. Il y a des                 mais quand on fait de la psychosomatique, il y a une
moments où l'on se heurte au silence obstiné des              exigence théorique à s'intéresser à tous les aspects
organes malades. Sauf à dresser à cet endroit la              du spectre psychosomatique.
borne-frontière de la psychosomatique, on doit se
demander ce qu'on entend par psychosomatique ; et
par maladie psychosomatique.
20                                            Santé mentale au Québec

La psychosomatique, c'est plus que                          où l'humour trouve bien peu à s'ébattre, par son dia-
la psychosomatique                                          logue entre l'Empereur Charlemagne et le Cheva-
                                                            lier inexistant.
    Si, pour des raisons historiques, du fait de la             «Hé! paladin, c'est à vous que je parle! insista
confusion entre psychosomatique et médecine                     Charlemagne. Pourquoi diantre ne montrez-vous
psychosomatique, et pour des raisons qui tiennent              pas votre visage au roi?
à l'objet de notre étude, on est amené dans ce                  C'est que je n'existe pas, Majesté.
domaine à accorder un intérêt privilégié aux mala-             Eh bien ! vrai ! s'écria l'empereur. Voici que nous
des que l'on rencontre dans les services médicaux               avons en renfort un chevalier inexistant ! Faites
et chirurgicaux, il n'en reste pas moins que ce serait         voir un peu. Agilulfe parut hésiter un instant : puis
créer un autre ghetto que de limiter là l'intérêt de           d'une main sûre, mais lente, il releva la visière.
la psychosomatique.                                            Le heaume était vide. Dans l'armure blanche au
    Passant du lit d'hôpital au divan psychanalytique,         beau plumail iridescent, personne.
n'y-a-t-il pas bien des analysants, catalogués névro-          Tiens, tiens ! On en voit des choses ! fit Charle-
sés de caractère, chez lesquels on risque de négliger          magne. Et comment vous acquittez-vous de vos
l'élément somatique, et ses répercussions économi-             charges, vu que vous n'y êtes pas?
ques? Certes, dans les cas favorables, l'analyste saura        À force de volonté, Sire, dit Agilulfe, et de foi
s'adapter intuitivement aux failles de la mentalisa-           en la sainteté de votre cause !
tion, de niveaux divers, et de significations varia-           Eh ! Eh ! Voilà qui est bien dit, c'est justement
bles, qui peuvent découler de ces situations.                  ainsi que l'on fait son devoir. »
    C'est en ce sens que la psychosomatique est plus           On ne saurait mieux dire le désaveu du pulsion-
que la psychosomatique, entendue dans un sens res-          nel, le recours à un idéal impersonnel, la désolation
trictif, (sauf à considérer que tout est donné au           identifîcatoire, l'exil du corps, qui laissent l'interlo-
départ), puisqu'elle nous amène à poser la question         cuteur perplexe, et le renvoient à ses propres
des commencements de la vie psychique, de la genèse         moments « opératoires ».
du fantasme, et de l'avènement du sexuel. Diverses              C'est sans doute pourquoi, par mesure de com-
formulations peuvent rendre compte de cette pro-            pensation, lors de séminaires cliniques, après les
blématique. Citons parmi d'autres : Joyce McDou-            investigations les plus pauvres en matériel suscepti-
gall (1986) qui parle de la « désomatisation de la          ble d'interprétations symboliques, se déchaîne parmi
psyché » ; Jean Laplanche (1970) qui théorise l'étayage     les participants une activité fantasmatique intense,
du plan de la sexualité sur le plan de l'auto-              destinée à combler le vide où nous a laissé un dialo-
conservation ; Piera Aulagnier (1986) qui évoque le         gue particulièrement dévitalisé.
processus de mise en vie de l'appareil psychique,
temps préalable à la mise en scène, et à la mise en
sens de cet appareil.                                        Les deux modèles de la théorisation
    À poser ainsi la question de l'étayage du pulsion-       psychosomatique
nel sur l'instinctuel, prend-on le risque de sortir du
champ propre de la psychanalyse? Sauf à s'interdire              L'horreur du vide fantasmatique — mais
toute navigation au plus près du littoral, faudrait-il       convient-il de poser la question en terme de « vide »
s'empêcher de chercher des repères accidents géo-            ou de « plein »? — fait souvent postuler l'action d'un
graphiques divers — hors du domaine maritime? Il             fantasme «derrière» comme on dit, le symptôme
vaut mieux éviter les réponses péremptoires. Rien            somatique. Sans entrer dans une discussion sur le
n'empêchera d'exister ce que l'on observe parfois —          fantasme, ce qui serait hors de notre propos, citons
mais pas toujours — en clinique psychosomatique :            ici Jean-Louis Langlois (1982) en guise d'introduc-
une sidération de la vie mentale ; une pauvreté fan-         tion à la distinction qu'établit Sami-Ali entre les deux
tasmatique; une séquestration des forces vives de            modèles de théorisation en psychosomatique.
l'inconscient, qu'on peut appeler pensée opératoire,             « Pour les kleiniens, Suzan Isaacs par exemple,
dépression essentielle, ou encore alexithymie.                   la satisfaction pulsionnelle primitive s'accompa-
    Italo Calvino (1962) donne une illustration sai-             gne de fantasmes d'incorporation et de projec-
sissante et pleine d'humour, de cette réalité clinique           tion des objets. Cette conception du fantasme
À propos de l'école de Paris                                          21
   primitif est tout à fait différente de ce que Freud       tent tout de même l'attention des psychanalystes inté-
   entend par fantasme inconscient. Pour Freud, la           ressés à la psychosomatique. C'est dire qu'il y a une
   genèse du fantasme suppose la frustration de la           partie du champ psychosomatique qui déborde celui
   satisfaction pulsionnelle. Le concept de fantasme         de la psychanalyse ; et que c'est justement ce débor-
   chez Freud exige une relative autonomie de la             dement qui constitue la question principale pour les
   fonction de représentation d'objet, par rapport aux       psychosomaticiens.
   expériences sensorimotrices de satisfaction pul-              Le modèle hétérogène ainsi défini repose sur la
   sionnelle. Par contre, les fantasmes primitifs klei-      distinction, toujours maintenue par Freud tout au
   niens paraissent souvent chargés d'affect, et même        cours de son œuvre, entre névrose actuelle et psycho-
   de sensorialité» (notre traduction).                      névrose. D'une part une pathologie explicable uni-
   Penser qu'il existe un « prélude à la vie fantasma-       quement par les lois de la physiologie, à comprendre
tique» (Michel Fain, 1971), ou au contraire qu'on            dans un registre actuel et anhistorique ; d'autre part,
trouve, dès l'origine, des manifestations de cette vie,      ses formations symptomatiques inscrites dans une
renvoie à deux manières opposées de concevoir la             histoire individuelle, renvoyant aux avatars de la
psychosomatique, que Sami-Ali (1969) appelle « le            sexualité infantile dont les conflits sont réactions
modèle homogène» et le «modèle hétérogène».                  après coup.
                                                                 À vrai dire, l'intérêt du modèle hétérogène ne
Le modèle homogène
                                                             réside pas tant dans cette distinction, qui pourrait
    Selon ce modèle, les symptômes psychosomati-             fort bien servir à conforter l'idée d'un dualisme
ques expriment au moyen du « langage du corps »              psyché-soma, stérile en psychosomatique. Il s'agit
des pulsions, des fantasmes et des conflits qui sont         plutôt de marquer les limites d'un champ, d'une façon
demeurés refoulés, auxquels fut interdit l'accès à           assez généreuse pour que toute la pathologie soma-
l'expression psychologique. Il s'agit le plus souvent        tique puisse y être considérée, y compris les mala-
d'une conception qui assimile les troubles psycho-            dies dont on sait qu'un facteur héréditaire y joue un
somatiques à des variantes de la conversion hysté-            rôle déterminant; il s'agit également, à partir de ce
rique.                                                        que la clinique nous impose, de se donner les moyens
    On donne ainsi une grande extension à la notion           de comprendre ce qui fait l'articulation entre psyché
de conversion, à mettre en rapport avec un temps              et soma, et les ratages de cette articulation.
(temps logique ou temps réel) du développement                   Dans ses commentaires sur la complaisance
mental où psyché et soma ne seraient que deux                 somatique, Freud nous indique une voie de dégage-
aspects d'un même phénomène. Par l'interprétation,            ment. Parlant du symptôme de conversion, il note
il ne s'agirait pas tellement de donner un sens au            qu'il y a toujours un grain de sable de névrose actuelle
symptôme somatique, mais bien plutôt de le déga-              autour duquel se constitue la perle psychonévroti-
ger de la gangue somatique où il se trouve pris, telle        que (Freud, 1912, 248). Il utilisera aussi une autre
Minerve sortant, déjà armée et casquée, du crâne              image : celle du fil de fer (névrose actuelle) autour
de Jupiter.                                                   duquel s'enroule la guirlande (psychonévrose)
    Le psychosomatique ou, dirions-nous plutôt, le            (Freud, 1905, 84-85).
somatique se trouve réduit au conversionnel. C'est               L'École de Paris fera sienne cette distinction entre
ce qui fait la séduction de ce modèle, et en constitue        névrose actuelle et psychonévrose, non pas tant pour
en même temps les limites.                                    en exploiter l'opposition apparente; mais bien, dans
    À postuler un fantasme sous-jacent à toute pro-           une perspective évolutionniste, pour étudier les for-
duction somatique, on risque de restreindre singu-            mes de passage entre somatose et névrose, entre
lièrement le champ de la psychosomatique, en                  « corps malade et corps erotique » (Fain et Dejours,
fermant la porte de l'élaboration fantasmatique aux           1984). Ou bien, si l'on veut, comment l'esprit vient
malades qui n'auraient pas, ou paraîtraient ne pas            au corps.
avoir, de fantasmes à présenter comme laisser-passer.

Le modèle hétérogène                                          L'école de Paris
   II y a des manifestations du corps qui ne relèvent             « C'est d'Amérique, ce pays qui ne recule devant
pas d'une interprétation symbolique, mais qui méri-               l'audace d'aucun progrès, que ce mouvement est
22                                             Santé mentale au Québec

    parti (...) vaste mouvement dont les flots, par delà     tian David (1963) présentent le mémoire intitulé :
    l'Atlantique, viennent battre les rivages de notre       Aspects fonctionnels de la vie onirique ; Pierre Marty
    vieux continent. Sous ce flot déferlant, nos ter-        et Michel de M'Uzan (1963) font une communica-
    rains anciens perdent parfois de leur solidité. La       tion sur La pensée opératoire. Les deux textes seront
    vieille médecine française elle-même, avec son           publiés dans la Revue française de psychanalyse en
    fonds de rationalisme, y peut parfois glisser,            1963, année même de la parution du livre signé
    comme sur un terrain mouvant, hors de la « zone          Marty, de M'Uzan et David (1963) : L'investigation
    de sécurité » de la critique scientifique » (Bona-       psychosomatique.
    parte, 1954, 276).                                           Quant à l'influence américaine sur les premiers
    Ces commentaires de Marie Bonaparte, adres-              écrits de l'École de Paris, il est hors de notre propos
sés « à notre si sympathique collègue Marty » (1954,         d'en rechercher les signes d'une manière systéma-
277) ; ainsi que d'autres moins amènes, qui ont suivi        tique.
le mémoire de Marty et Fain sur L'importance de                  Remarquons tout de même l'influence certaine
la motricité dans la relation d'objet (1955), provo-         exercée par Alexander, et de sa critique sur l'exten-
queront éventuellement cette réponse des auteurs :           sion de la théorie de la conversion hystérique à tou-
    «Nous sommes très émus à la pensée que                   tes les réactions psychosomatiques, «exemple
    Madame Marie Bonaparte soit tellement sensi-             typique d'une erreur qui s'est produite fréquemment >
    ble à ce que nous avançons. Son intérêt pour notre       dans l'histoire des sciences : celle de l'application
    travail a été très grand. Lorsqu'elle nous décrit        non critiquée de concepts d'un domaine où ils sont
    laborieux, peinant, geignant sous le faix, obscurs       valables à un autre domaine où ils ne le sont pas. »
    tâcherons d'un long et inutile travail, Madame           (cité par Debray, 1983, 11).
    Bonaparte fait une erreur et confond la peine et             On sait qu'Alexander (1950) a étudié de manière
    l'acharnement qu'elle a mis à nous lire, le temps        privilégiée les maladies suivantes, au nombre de
    qu'elle a dépensé à tenter de nous comprendre            sept: les ulcères duodénaux, les colites, l'hyperten-
    «mais le temps ne fait rien à l'affaire», avec le        sion, l'asthme bronchique, les dermites d'origine ner-
    plaisir que nous avons ressenti à rédiger ce que,        veuse, l'arthrite rhumatismale, et l'hyperthyroïdie
    contrairement croyons-nous à sa pensée profonde,         dites maladies psychosomatiques, par opposition à
    elle qualifie de monstre inutile. » (Marty et Fain,      celles qui n'auraient pas accès à ce statut. Pourrait-
    1955, 319).                                              on parler d'une époque « coloniale » de la psychoso-
    Avouons pour notre part le plaisir que nous avons        matique, par analogie avec le temps où sept compa-
à citer cet échange polémique, témoin d'une rhéto-           gnies pétrolières qu'on appelait les « sept sœurs » se
rique dont la tradition semble avoir été emportée par        partageaient d'une manière exclusive le marché du
les flots déferlants de la bienséance et de la neutra-       pétrole?
lité bienveillante qui régissent bien de nos échanges            De toute manière, malgré la «colonisation»
scientifiques.                                               dénoncée par Marie Bonaparte (1954), le souci de
    Qu'en est-il de ce « monstre » théorique dont les        repérer un conflit névrotique spécifique à l'origine
auteurs de l'École de Paris ont accouché dans le             d'une maladie somatique précise ne va pas caracté-
plaisir?                                                     riser la démarche de l'École de Paris. Non pas qu'en
    C'est à partir de 1950 que Marty et Fain, seuls          clinique psychosomatique ne s'impose parfois l'idée
ou en collaboration, commenceront à publier: étu-            d'une corrélation frappante entre l'expression soma-
des sur diverses entités pathologiques (hypertension,        tique et la configuration de la conflictualite mentale
céphalée essentielle, ulcère gastro-duodénal, glau-          d'un sujet, dans les cas où le modèle homogène de
come...); exposés de cures psychanalytiques de               Sami-Ali paraît rendre compte des manifestations
malades présentant des troubles somatiques ; écrits          somatiques. Le projet sera plutôt d'étudier les ava-
théoriques; et interventions diverses.                       tars de la mentalisation, et ce qui fait qu'il y a ren-
    Si l'on s'en tient aux repères bibliographiques,         contre, ou rendez-vous raté, entre le soma et la
c'est vers la fin des années 50 que Michel de M'Uzan         psyché.
et Christian David se joindront à eux. En 1962, au               Entre la somatique et le mental, les auteurs de
22e congrès des psychanalystes de langues romanes,           l'École de Paris ont fait une place particulière à la
l'École de Paris est constituée. Michel Fain et Chris-       sensorio-motricité. Les premiers travaux de Marty
À propos de l'école de Paris                                        23
(1951) ont porté sur les céphalalgies, et avec Fain               sensorio-motrice primitive, qui constitue juste-
(Marty et Fain, 1952) sur les rachialgies. Marty et               ment le fantasme. » (Marty, de M'Uzan et David,
Fain (1955) encore ont présenté au congrès des lan-               1963, 19).
gues romanes un mémoire intitulé : Importance de                  Une activité fantasmatique ou intellectuelle
la motricité dans la relation d'objet. Enfin, dans            consciente, plus ou moins coupées de ses sources
L'investigation psychosomatique, de Marty, de                 dynamiques inconscientes d'une part ; et d'autre part
M'Uzan et David (1963), une grande place est faite            un enlisement dans la sensorio-motricité et éventuel-
aux manifestations sensorio-motrices, soit comme              lement dans le somatique surchargé économique-
ébauches d'une activité fantasmatique, soit comme             ment. Formulation qui rend compte de ce qui sera
signe de l'échec de cette activité.                           nommé plus tard «névrose de comportement», s'il
   L'attention portée à ce thème est une constante            s'agit d'un sujet au développement marqué de trau-
à travers tous les écrits de l'École de Paris.                matismes précoces, empêchant l'instauration de
                                                              relais ultérieurs d'ordre psychique de plus en plus
                                                              complexes ; ou fonctionnement régressif d'organi-
                                                              sations plus évoluées en état de dépression essen-
La sensorio-motricité et le principe                          tielle. Ainsi dans tous les cas, «les vagues
d'équivalence énergétique.                                    inconscientes ne semblent pas d'ordinaire troubler
                                                              la surface lisse d'une conscience apparemment sim-
Somatisation versus conversion
                                                              ple». (Marty, de M'Uzan et David, 1963, 258).
     II est assez curieux et ironique qu'on reproche              Le principe d'équivalence énergétique est le résul-
souvent aux auteurs de l'École de Paris la notion de          tat d'une élaboration empirique au cours des inves-
carence fantasmatique, où on semble vouloir par-              tigations, où l'on accorde une attention particulière
fois limiter, avec la pensée opératoire, leur                 aux manifestations sensorio-motrices et éventuelle-
contribution théorique à la psychosomatique, alors            ment viscérales qui viendront couper le fil de la rela-
qu'on trouve énoncé dans leurs écrits le projet ini-          tion (Marty, de M'Uzan et David, 1963).
tial « d'agréger aussi loin que possible le somatique             On peut l'énoncer ainsi : le symptôme somatique
à la même dynamique et à la même énergétique que              est la forme directe que prend un quantum d'énergie
celles qui régissent la vie mentale des malades névro-        auquel les voies d'expression plus évoluées sont cou-
tiques. » (Marty, de M'Uzan et David, 1963, 1).               pées. L'activité somatique perturbée représente une
    En ce qui concerne la carence fantasmatique, rap-         activité certes dégradée, mais équivalent, par un pri-
pelons donc qu'on désigne ainsi la pauvreté d'une             vilège accordé à l'économique qui paraît s'imposer
activité mentale consciente, fantasmatique ou intel-          dans les cas les plus graves, aux autres activités rela-
lectuelle, dans sa fonction de fournir des voies              tionnelles: perceptives, imaginaires, et intellec-
d'expression « évoluées », c'est-à-dire mentales, à la        tuelles.
pression pulsionnelle. Il ne s'agit pas de conclure               Équivalence, donc, du point de vue économique ;
à l'inexistence de la vie fantasmatique. La valeur éco-       mais pas nécessairement du point de vue dynami-
nomique d'une fonction ne dépend pas de son acti-             que. C'est ce qui différencie la somatisation de la
vité propre, considérée isolément, mais dans son              conversion. Celle-ci signifie un conflit qui a son ori-
intégration harmonieuse dans un ensemble de fonc-             gine sur la scène mentale, alors que la somatisation
tions hiérarchiquement organisées.                            viendrait exprimer, si l'on peut dire, un négatif:
    La «mimique de fantasme», activité sensorio-              l'incapacité d'élaborer mentalement un conflit, que
motrice se produisant au cours de l'investigation,            cette incapacité soit structurale ou conjoncturelle,
se déployant à l'égard d'un objet-support extérieur,          pour parler en termes ... économiques.
et venant rompre la relation avec l'interlocuteur,                Le principe d'équivalence énergétique, issu de la
manifeste souvent par contre un fantasme sous-jacent          clinique de l'investigation psychosomatique, illus-
qui n'a d'autre expression que sensorio-motrice.              tre bien le débordement du champ de la psychoso-
    « On a (...) le sentiment de Y existence indubita-        matique par rapport à celui de la psychanalyse, sans
    ble d'un fantasme profondément enfoui, mais ce            pour autant que celle-ci perde la position centrale
    dernier reste (...) non mobilisable, comme si le          qui lui revient, en pointe évolutive. Débordement
    sujet se trouvait sidéré et pris dans une forme           qui impose l'élaboration d'une nosographie propre
24                                               Santé mentale au Québec

à la psychosomatique, extension de la nosographie              tasmatique.
psychanalytique.                                                   Pourtant, s'il y a une structure psychosomatique
    À mesure qu'elle se constitue à partir de la psycha-       par excellence, c'est bien la structure allergique, car
nalyse, la psychosomatique se dégage progressive-              c'est en un point particulier de fixation précisément
ment de la médecine psychosomatique. Elle se donne              somatique qu'elle trouve sa principale attache évo-
ses propres critères, qui n'ont rien à voir avec les           lutive.
données biologiques, quantifiables et mesurables,                  «Pour ma part», écrit Marty, «je n'ai toujours
de la discipline médicale. Comme l'écrit Michel Fain           pas abandonné lefantasme (c'est nous qui soulignons)
en 1956, c'est l'appréciation de la relation d'objet qui       d'un mécanisme de fixation pré-natal. Comme à
constitue la référence essentielle, par la prise en            l'habitude des névroses, (bien que les affaires ici se
compte des symptômes psychonévrotiques, psycho-                situent dans un domaine plus large) cette fixation
somatiques et psychotiques, des traits de caractère,           ne doit théoriquement constituer qu'un moment pri-
des sublimations permettant d'évaluer dans quelle              vilégié d'une phase habituelle de l'évolution. Le pri-
mesure et par quels moyens « le moi s'épuise dans              vilège à ce moment accordé qui cristallise
une lutte stérile contre son énergie pulsionnelle. »           l'organisation libidinale en cours en la chargeant subi-
(Fain, 1956, 507).                                             tement d'un poids particulièrement important, résulte
   Ceci conduira à un réaménagement global du                  sans doute d'événements ayant une valeur inhabi-
champ psychosomatique. La meilleure illustration               tuelle, c'est-à-dire traumatique. » (Marty, 1969, 246).
en est le dégagement de l'entité constituée par la                 La relation d'objet allergique a les caractéristi-
structure allergique, en passant par la notion de rela-        ques suivantes:
tion d'objet allergique.                                           1. une indistinction entre soi et les autres,
                                                               constituant la base d'une étonnante faculté d'empa-
                                                               thie;
La relation d'objet allergique                                     2. une grande facilité d'établir des relations avec
                                                               les autres, les sujets signalant avec une naïve coquet-
    Les deux articles de Pierre Marty sur l'allergie,          terie le fait que de nombreuses personnes s'adres-
publiés en 1958 et 1969 dans la Revue française de             sent à eux spontanément et à tout propos ;
psychanalyse, sont séparés dans le temps par la                    3. une aptitude étonnante à remplacer l'investis-
constitution d'une nosographie à proprement parler             sement d'un objet par celui d'un autre objet;
psychosomatique.                                                   4. une absence d'agression envers les autres ; (si
    Le texte de 1969 ne rend pas caduc celui de 1958,          les objets investis se montrent par trop étrangers au
qui conserve toute sa pertinence. Mais il relativise           sujet, de nouveaux investissements surviendront rapi-
la prise en considération des manifestations allergi-          dement, sauf en cas de mauvais fonctionnement du
ques diagnostiquées médicalement. De telle sorte               caractère allergique : auquel cas c'est la crise soma-
que le diagnostic de « structure allergique » (pour par-       tique qui éclate);
ler comme en 1969) peut se faire en l'absence d'une                5. une représentation de la mère idéale
symptomatologie allergique définie médicalement ;              constituant la référence obligée de toute relation, le
de même que la présence d'une telle symptomatolo-              décalage trop grand entre cette représentation et
gie n'entraîne pas nécessairement que l'organisation           l'objet investi provoquant un conflit intérieur désor-
psychosomatique d'un individu soit tributaire au pre-          ganisant (Marty, 1958, 1969, 1980).
mier chef de l'allergie comme structure.                           En somme, un allergique n'a qu'un désir, unique
    Communément, la notion de « structure psycho-              et capital : se rapprocher le plus possible de l'objet
somatique » renvoie aux notions de pauvreté rela-              jusqu'à se confondre avec lui. Le sujet allergique
tionnelle, d'atonie libidinale et de carence                   se trouve constamment engagé dans deux mouve-
fantasmatique que la clinique nous amène souvent               ments : la saisie de l'objet (immédiate, totale et bru-
à associer aux atteintes somatiques graves. Il ne s'agit       tale) ; et l'aménagement de l'objet (mouvement plus
pas de cela ici: au contraire, on retrouve dans la             long dans le temps, et plus nuancé, véritable instal-
relation d'objet allergique une présentation tout en           lation dans l'identification première).
contraste avec cette description : une libido toujours             « Je viens vous voir parce que vous êtes asthmati-
en éveil, et une richesse particulière de l'activité fan-          que. » (Marty, 1958, 6). « Vous désirez sans doute
A propos de l'école de Paris                                           25
     que je vous parle de votre mère. » (Marty, 1958, 6).      méré précédemment les principaux traits de carac-
     Ces déclarations illustrent bien le mouvement de          tère.
saisie immédiate de l'objet, en même temps qu'elles                C'était « un modèle de gentillesse, d'amabilité, de
dénotent un mécanisme de projection ; mais une pro-            profonde bonté de laquelle était exclu tout sentiment
jection qui a une visée infiniment plus vaste que celle        de révolte ou d'agressivité» (...) «Mais c'est à une
que l'on rencontre habituellement dans la clinique             indistinction profonde entre lui et les autres, mise
des névroses et des psychoses. Il ne s'agit pas                à jour dans notre relation, que portait l'essentiel de
d'exclure de soi ce qu'on peut considérer comme                son caractère. Les nombreux exemples qui s'y rat-
mauvais — l'allergique n'a que faire de la discrimi-           tachent seraient fastidieux à énumérer, mais pour-
nation entre bon et mauvais — mais bien de servir              tant celui où, de retour de vacances, il me demanda
l'objectif d'une identification totale à l'objet.              si j'avais convenablement passé les miennes à
Contrairement à ce qui se passe chez un malade para-           l'endroit d'où il revenait et qu'il lui fallut trois bon-
noïde, « le moindre mouvement d'approche de l'objet            nes minutes pour se rendre compte de sa méprise,
provoque un revirement du sujet qui, d'apparemment             me semble assez évocateur de cette confusion en rap-
persécuté qu'il était, se sent alors aimé. » (Marty,           port avec sa perception atypique des autres et de lui-
 1958, 22).                                                    même. »
     Nous avons déjà insisté sur l'importance de la dis-           La visée de la psychothérapie — en plus du trai-
tinction entre diagnostic médical et diagnostic                tement médical qui s'impose dans ce genre de cas
psychosomatique. Albert Dingli, à propos de                    — ne saurait être la même que dans le cas de la struc-
l'asthme, en a donné une illustration clinique                 ture oedipienne mentionnée en premier lieu. «Elle
convaincante au Vie Congrès de médecine psycho-                permettra les réinvestissements affectifs nécessaires.
somatique de Montréal en 1981.                                 Elle indiquera au sujet ses mouvements inconscients
     Contestant « l'image d'Épinal que constitue le pro-       et soulignera la précarité de ses relations objectales
 fil de l'asthmatique en vogue dans certains milieux »,         à outrance. Cela, du moins, jusqu'à ce que l'indi-
 il évoque les cas de trois enfants, en traitement avec        vidu puisse à l'extérieur de la relation trouver un
 lui, qui présentaient des asthmes sévères nécessi-             « objet-hôte » convenable, véritable suppléant du thé-
 tant des anti-inflammatoires majeurs, voire des                rapeute. »
 séjours en réanimation, mais chacun avec une struc-               Le troisième cas, celui d'une petite fille, pourrait
 ture mentale distincte.                                       faire penser à une sorte de synthèse entre le premier
     Le premier cas est celui d'un enfant de 7 ans,            et le deuxième cas. Grande malade asthmatique, elle
 très handicapé par la maladie asthmatique dans son             se montre pourvue de mécanismes de défense de
 évolution scolaire, mais qui a montré au cours de             l'ordre de la mentalisation qui ne fonctionnent cepen-
 la cure qui a duré deux ans, une particulière richesse         dant que par intermittence. Pendant la cure, cela se
 de sa vie mentale. Il s'agissait d'une organisation            manifesta dans le discours par des moments fugitifs
 oedipienne avec des points de fixation de type anal,           d'indistinction évoquant un état de confusion oniri-
 recourant en cas de conflits à des défenses d'ordre            que à forte participation orale. Le thérapeute mani-
 phobique.                                                      festant sa présence par une intervention, cet état
      Comment comprendre, dans un cas semblable,                cessait aussitôt pour faire place à un discours plus
 la double réactivité qui s'exprime lors de décompen-           organisé.
 sations : d'une part, la mobilisation de défenses men-             Gardant à l'esprit qu'il s'agissait d'une malade sus-
 tales d'un type évolué (une symptomatologie                    ceptible d'une désorganisation somatique grave, le
 psychonévrotique, par exemple), en même temps que              thérapeute, dans ces moments de grande régression,
 s'installe une crise somatique grave (par exemple un           qu'il avait pu mettre contre-transférentiellement en
 asthme exigeant une hospitalisation, et une interven-          rapport avec un trop grand rapprocher ou au contraire
 tion médicale d'urgence)?                                      un désintérêt de sa part, se gardait d'interprétations
      Nous reviendrons à cette question après l'évoca-          propres à confronter la malade à sa conflictualité,
 tion des deux autres vignettes cliniques de Dingli.            craignant une fuite désorganisante dans la somati-
      Le second cas, également un jeune garçon de sept          sation.
 ans, correspondait tout à fait à la description de la              « C'est ainsi qu'elle dessina un jour un gros et
 structure allergique essentielle, dont nous avons énu-         énorme serpent près d'une rivière. Alors que je
26                                             Santé mentale au Québec

m'enquérais pour savoir ce que représentait cet ache-         Le point de vue évolutionniste
minement indéfiniment hélicoïdal du trajet de son
                                                                   Le principe d'équivalence énergétique, énoncé
crayon sur la feuille, elle me signala la présence de
                                                               précédemment, accorde une valeur relationnelle, au
ce redoutable serpent en même temps sur la feuille,
                                                               cours de l'investigation, aussi bien aux manifesta-
sous le divan, mais aussi au-dessus des nuages aper-
                                                               tions purement somatiques qu'aux activités percep-
çus par la fenêtre. Elle me dit: «C'est toi ce ser-
                                                               tives, imaginaires et intellectuelles. Il convient
pent, il va te manger ». Elle poursuit : « Je te mange,
                                                               cependant d'insister sur le fait qu'il y a une grada-
c'est bien fait pour toi».
                                                               tion du somatique au mental, et qu'ainsi se trouve
    « Je sais, dit Dingli, qu'on pourrait faire abstrac-      posé implicitement un point de vue évolutionniste.
tion de cette minime confusion, et se lancer dans
                                                                  Point de vue qui sera explicité plus tard par Pierre
des interprétations, certainement de grande valeur,
                                                               Marty à la base de sa conception de l'organisation
au sujet de ce matériel. Sans nul doute, cette enfant
                                                              psychosomatique. Ainsi se trouve défini un parcours,
qui possède une organisation mentale, serait à même
                                                              par paliers évolutifs successifs de natures différen-
de s'en servir. » II s'est limité à une intervention
                                                              tes, comportant la prise en compte aussi bien de
(«Comment cela était-il possible pratiquement?»)
                                                               « points de fixation » héréditaires que des avatars de
qui était un appel à un discours plus secondarisé ;
                                                              la mise en place de la vie mentale, avec la constitution
et en même temps la manifestation de sa présence.
                                                              de la première, puis de la deuxième topique dans
    Cette patiente n'a jamais eu de manifestation aiguë       les cas les plus favorables.
de sa maladie en présence et au contact d'allergènes              Cette évolution n'est pas à comprendre d'une façon
seuls, malgré le nombre impressionnant d'objets cou-          purement linéaire. Dans un cheminement qui porte
rants qualifiés par les tests et incriminés par eux           de plus en plus la marque d'une histoire qui s'indi-
comme facteurs déclenchants de ses crises. Celles-            vidualise, des effets d'après-coup peuvent se pro-
ci apparurent après deux ans de séparation d'avec             duire, et ramener le sujet à un niveau évolutif
ses parents, alors qu'elle venait de les rejoindre ; et       dépassé, qu'il soit de l'ordre mental ou éventuelle-
d'autant plus qu'une petite sœur était née pendant            ment de l'ordre somatique, l'évolution personnelle
son éloignement.                                              se trouvant ainsi globalement mise en cause, ou en
   Il s'agit donc d'un cas qui présente une réactivité        partie seulement. Ce sont des moments de régres-
d'abord d'ordre mental face au conflit, la réactivité         sion, terme qu'il convient d'entendre dans une accep-
somatique apparaissant en cours de désorganisation,           tion plus large en psychosomatique qu'en
lors du débordement des défenses mentales. L'indi-            psychanalyse.
cation d'une psychothérapie reste essentielle : elle              Des reprises évolutives peuvent également se pro-
met l'accent sur les traumatismes d'ordre affectif,           duire, soit spontanément, soit du fait d'une théra-
et peut réduire ainsi la nécessité du recours au trai-        pie, permettant de quitter le régime du pilotage
tement médical.                                               automatique représenté par la régression somatique
    En résumé, pour la même maladie somatique,                et le recours à des modes de fonctionnement déter-
éprouvée gravement dans tous les cas, nous som-               minés uniquement par l'appartenance à l'espèce.
mes devant trois configurations différentes du point              Ce parcours psychosomatique jusqu'à la vie men-
de vue mental:                                                tale représentée par le fonctionnement harmonieux
    1. une structure oedipienne avec une réactivité           de la deuxième topique, Pierre Marty (1984) le repré-
somatique parallèle et concomittante, sans abrasion           sente par la convergence de faisceaux évolutifs à par-
des défenses mentales;                                        tir de ce qu'il appelle la « mosaïque première », qui
    2. une structure allergique essentielle, sans             est l'image que donnerait une coupe horizontale à
défense qui vaille du point de vue mental ;                   la base de l'évolution individuelle. On aurait sous
    3. une névrose de caractère au fonctionnement             les yeux comme un archipel d'ilôts indépendants les
mental intermittent, la réactivité somatique apparais-        uns des autres, avec chacun son régime politique,
sant lors du débordement des défenses mentales.               sans égard pour une loi qui leur serait commune,
                                                              et propre à assurer la progression harmonieuse de
                                                              l'ensemble.
                                                                  La tâche vitale, à chaque niveau évolutif,
À propos de l'école de Paris                                           Tl

consisterait en l'unification de ces dynamismes indé-               psychosomatique des évolutions fonctionnelles
pendants les uns des autres, ce qui permettrait d'abor-             longues, dont la lignée mentale est l'exemple le
der dans les meilleures conditions l'étape évolutive                plus représentatif. Plus une lignée évolutive fonc-
suivante.                                                           tionnelle est longue dans le temps, plus elle a de
    L'histoire, bien sûr, ne se passe pas toujours ainsi.           chance d'installer des systèmes de fixations, lieux
Il y a des ilôts qui résistent indéfiniment à ces pro-              ultérieurs de régressions qui serviront de paliers
cessus de liaison. C'est ce que Marty appelle les                   d'arrêt, puis de réorganisation, lors des désorga-
«dynamismes parallèles», qui ne mettent pas en                      nisations contre-évolutives. » (Marty, 1984, 104).
cause la constitution d'un faisceau central commun,
éventuellement mental. C'est le premier cas de Din-              La nosographie psychosomatique
gli (1981) : réactivité allergique co-existant avec une
structure oedipienne.                                                La nosographie psychosomatique se réfère au
    D'autres ilôts rejoindront tardivement dans l'évo-           point de vue évolutionniste, et se présente comme
lution le faisceau central, commun: il s'agit des                une extension de la nosographie psychanalytique,
« chaînes évolutives latérales », susceptibles de réac-          aménagée pour tenir compte des avatars du fonction-
tiver leur dynamisme propre en cas de défaillance                nement mental. Nous évoquerons ici les grandes
de l'organisation centrale. C'est le troisième cas de            lignes de cette classification, renvoyant le lecteur aux
Dingli (1981), qui tend à montrer que le renforce-               observations abondamment commentées de Pierre
ment de la chaîne évolutive centrale qui aboutit à               Marty pour les illustrations cliniques (voir à ce pro-
la mentalisation réduira les possibilités de manifes-            pos Marty, De M'Uzan et David, 1963 ; Marty, 1976 ;
tations autonomes sur le mode de crises asthmati-                Marty, 1980; Marty et Loriod, 1986).
ques.                                                                Une remarque préliminaire s'impose : il ne s'agit
     Le deuxième cas (Dingli, 1981) (structure aller-            pas ici, à l'évidence, d'opposer d'une manière sim-
 gique essentielle) illustre l'échec de la mise en place         ple (ou, dirions-nous, simpliste) des structures où
 d'une chaîne évolutive centrale aboutissant à la men-           la mentalisation jouerait constamment son rôle dans
 talisation, ce qui permet à la chaîne évolutive aller-          l'élaboration des conflits, à d'autres structures mar-
 gique, d'occuper, si l'on peut dire, toute la place.            quées d'une manière irrémédiable par la carence fan-
     Il y a une quatrième éventualité à considérer : celle       tasmatique. Quiconque s'est intéressé d'un peu près
 où aucune chaîne évolutive n'atteint à un développe-             à la clinique psychosomatique sait bien que c'est là
 ment suffisant pour occuper une place centrale, et              une position intenable. Non pas qu'il faille céder à
 servir ainsi de point d'appel aux dynamismes laté-              la facilité de dire que « tout le monde peut somati-
 raux. Ces organisations — si l'on peut dire — cor-               ser». Nous aurions beaucoup à apprendre de nos
 respondraient à ce que Michel de M'Uzan a appelle                collègues travaillant en gériatrie ; ils pourraient nous
 «personnalités en archipel». (De M'Uzan, 1968,                   entretenir de personnes qui ne paraissent atteintes
 240; De M'Uzan, 1973, 11).                                       que par l'usure de l'âge, et qui montrent les signes
     « Dans ce développement, certaines organisations             d'une libido toujours en éveil. Ces cas sont rares,
     fonctionnelles ont une évolution relativement                certes, de même que sont rares les malades, qu'on
     courte dans le temps avant d'atteindre leur matu-            rencontre surtout en milieu hospitalier — et pour
     rité : la plupart des organisations viscérales, par          cause ! — pour qui le recours à la somatisation paraît
     exemple. D'autres ont une évolution plus longue,             s'imposer, tellement les voies de décharge autres que
     par exemple la fonction visuelle dont l'achève-              comportementales paraissent peu utilisables. Ces cas
     ment se situe vers l'âge de cinq ans, ou les fonc-           existent: on ne saurait considérer ces structures
     tions motrices et d'équilibration qui s'achèvent             comme simplement des concepts-limites destinés à
     vers la douzième année. De toutes c'est l'évolu-             marquer un champ, ou comme des épisodes « fé-
     tion des fonctions mentales qui prend le plus de             conds » — dans le sens de la somatisation ou celui
     temps, puisque l'organisation terminale idéale ne            de la mentalisation — ponctuant l'existence de cha-
     peut s'instaurer qu'après la puberté ; et encore des         cun d'entre nous. Il est bien vrai cependant que la
     modifications peuvent-elles intervenir pendant               plus grande partie des parcours psychosomatiques
     l'adolescence. Je signale (...) l'intérêt pour la            individuels se situent entre ces deux extrémités. C'est
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