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Proposition d’une typologie des comportements du manager en présence de l’expression religieuse au travail. Résultats d’une étude exploratoire. Auteur(s) : Olivier GUILLET Affiliation(s) : CEDAG – Université de Paris Coordonnées : olivier.guillet77mail.com
Congrès AGRH 2020 Communication 31ème congrès de l’AGRH « Vers une approche inclusive de la GRH » Université de Tours du 3 au 5 mars 2021 à Tours. Proposition d’une typologie des comportements du manager en présence de l’expression religieuse au travail. Résultats d’une étude exploratoire. Anonyme. Résumé Le fait religieux – bien qu'étant une problématique ancienne en France (Galindo et Surply, 2010, p. 32-33, Gay, 2015) – est devenu une question intéressant de plus en plus la recherche académique en RH (Volia & al., 2019). Cette recrudescence des recherches portant sur cet objet de recherche ne doit d'une part pas masquer l'absence d'une définition stabilisée du fait religieux et de sa manifestation. De nombreuses définitions (Gaillard, 2018, 2019) et typologies du fait religieux ressortent en effet de la littérature. L'analyse de la littérature permet de ressortir 6 comportements possibles du manager face au fait religieux au travail (Guillet & Brasseur, 2019) pouvant être regrouper par type de management (Cintas & al., 2013). Il en ressort une typologie des comportements managériaux en présence du fait religieux au travail. Notre étude exploratoire permet de compléter cette typologie. La prise en compte de l’intention du manager implique en effet de distinguer plusieurs comportements s’exprimant pourtant de la même manière. Cette communication vise ainsi à produire une grille d'intelligibilité permettant une meilleure compréhension des comportements, et ainsi permettre aux managers d'élargir leur éventail d'options comportementales face au fait religieux et de mieux en saisir les ressorts. Il va ici s'agir de se positionner sur les faits religieux non transgressifs (Honoré, 2016, 2018) – ces derniers permettant au manager d'avoir une certaine marge de manœuvre dans son action. Cette recherche peut ainsi contribuer à la formation des managers et au développement de leurs compétences pour faire face à ces problématiques nouvelles pour l'entreprise. Mot clés Fait religieux au travail – comportements – typologie 1
Congrès AGRH 2020 Proposition d’une typologie des comportements du manager en présence de l’expression religieuse au travail. Résultats d’une étude exploratoire. Introduction La question religieuse ne peut plus être ignorée et s’intègre alors aux préoccupations managériales en matière de gestion de la diversité en étant « vue comme une catégorie immergée de diversité (Cui & al., 2015) » tout en interrogeant « les manières de la gérer, et les risques de discriminations potentiellement associés (Cantone & Wiener, 2017). » (Honoré & al., 2019, p.62). La gestion du fait religieux ne peut ainsi être déconnectée « de l’introduction du dispositif juridique anti-discriminatoire au sein du monde du travail, transformé et mieux connu sous le nom présentable de « promotion de la diversité ». » (Benaissa, 2019, p.126). Les réponses managériales sont multiples et variées en fonction des contextes nationaux (Honoré & al., 2019) – « les rapports inclusifs entre travail et religion » pouvant parfois être mis en avant dans d’autres contextes nationaux que la France (de Galembert, 2019, p.6). Traiter de la gestion du fait religieux au travail revient dès lors à s’intéresser aux effets inclusifs ou exclusifs des pratiques des organisations – l’inclusion, au travail, pouvant être définie comme « la mesure dans laquelle un employé perçoit qu’il est un membre estimé du groupe de travail grâce à l’expérience d’un traitement qui satisfait ses besoins d’appartenance et d’unicité. »1 (Shore & al., 2011, p.1265). Le fait religieux – autrement dit l’extériorisation par l’individu de ses croyances et de son appartenance religieuse (Guillet & Brasseur, 2019, p.11) – peut donc être appréhendé de différentes manières (ressource ou contrainte) et se traduire par des pratiques de management permettant parfois l’inclusion ou favorisant parfois l’exclusion des salariés concernés (Dukic, 2016). Ceci nous conduit, dans le cadre de cette recherche, à recenser les comportements managériaux possibles en présence d’un fait religieux. En d’autres termes quels sont les différents comportements managériaux en présence d’une expression religieuse au travail dans le contexte français ? Nous souhaitons ainsi proposer une grille d’intelligibilité – qui se veut à ce niveau de la recherche statique et descriptive – permettant aux managers de pouvoir questionner leurs pratiques managériales. Dans cette communication, après avoir présenté succinctement le traitement du fait religieux dans la littérature francophone, nous proposons une typologie de ces pratiques managériales mises en œuvre – les différents comportements se différenciant notamment en fonction de leur positionnement sur deux axes : l’un opposant le comportement passif au comportement actif, l’autre la conception du fait religieux comme une contrainte à une conception du fait religieux comme une ressource. Cette recherche s’appuyant sur une méthodologie qualitative par entretien, nous présenterons ensuite notre méthodologie puis nos résultats avant d’ouvrir sur une discussion. I/ Revue de littérature 1/ Définition du fait religieux au travail Le fait religieux – bien qu’étant une problématique ancienne en France (Galindo & Surply, 2010, p. 32-33, Gay, 2015) – est devenu un sujet intéressant de plus en plus la recherche 1 Traduit par l’auteur “We define inclusion as the degree to which an employee perceives that he or she is an esteemed member of the work group through experiencing treatment that satisfies his or her needs for belongingness and uniqueness” (Shore & al., 2011, p.1265). 2
Congrès AGRH 2020 académique en gestion des ressources humaines (Volia & al., 2019). Toutefois, cette recrudescence des recherches portant sur cet objet de recherche ne doit pas masquer l’absence d’une définition stabilisée du fait religieux et de sa manifestation. De nombreuses définitions et typologies du fait religieux ressortent en effet de la littérature. Il s’agit pour Gaillard & Jolivet (2019, p.89) de « l’ensemble des attitudes et comportements qui découlent de l’interprétation que se fait le fidèle (qui doit s’être autodéfini comme tel) de la doctrine religieuse à laquelle il se réfère, et qui surviennent en contexte professionnel (privé ou public) ». Honoré (2016, p.183), le définit quant à lui comme un comportement « qui traduit une référence à un culte institué et à ses rites, ses valeurs et ses normes ». Guillet & Brasseur (2019, p.11) proposent une définition plus large du fait religieux au travail. Il s’agit ainsi pour eux de l’extériorisation par l’individu de ses croyances et de son appartenance religieuse. Ainsi tout comportement au travail trouvant sa source dans la religiosité du salarié pourrait être qualifié comme tel. Il s’agit également pour Gressieux (2018, p.110) d’un « « mode d’approche » de faits sociaux tels que le travail et son sens ». Le fait religieux au travail peut être pour Honoré (2018, p.8) transgressif, ou non transgressif (normalisé, déviant ou invisible). Il peut remettre en cause, ou non, le travail et l’organisation2 (Institut Montaigne, 2019, p.42). L’invisibilité du fait religieux peut être volontaire ou résulter d’une incapacité du manager à l’identifier comme tel (Volia & al., 2019, p.14). Il peut s’agir de demandes visant à pouvoir observer sa religion à l’extérieur de l’organisation ou alors visant à pouvoir la manifester en interne (Cash & Gray’s, 2000, p.131 ; Lund Dean, & al., 2014, p.79). Il peut, pour Maillard (2017, p.51-52), concerner l’organisation du travail (aménagement des horaires, jours fériés…), la vie collective en entreprise (préférences alimentaires…) et ceux mettant en jeu le comportement des salariés entre eux (rapport hommes femmes, apparence vestimentaire…). Le fait religieux est donc multiple – toutes ces approches étant complémentaires entre elles. La plupart des définitions du fait religieux au travail se rejoignent. Il s’agit d’un comportement résultant du rapport de l’individu à la religion à laquelle il adhère. Cette recherche s’intéressant aux comportements managériaux en présence d’un fait religieux, nous allons en adopter l’approche la plus large et ainsi considérer qu’il s’agit de l’extériorisation par les individus de leurs croyances ou de leurs appartenances religieuses, en contexte professionnel. Il s’agit donc d’un fait observable même si certains d’entre eux peuvent être qualifiés d’invisibles. 2/ Le fait religieux au travail au niveau du management des organisations La gestion du fait religieux relève du manager. Nous adoptons comme définition du manager celle proposée par Payre & Scouarnec (2015, p.9) à savoir « toute personne qui exerce une fonction d’encadrement, quel que soit son positionnement hiérarchique, fonctionnel ou divisionnel (ou son absence) ainsi que son statut au sein de l’entreprise ; auprès d’une ou plusieurs personnes qui exercent ou non, à titre principal, elles-mêmes, une fonction d’encadrement ». Ainsi, lorsque l’on évoque le management, on fait traditionnellement référence aux trois niveaux qui le composent. On y trouve les managers supérieurs appartenant au « top management » ou autrement dit au sommet stratégique de l’organisation. Le second niveau est composé des managers intermédiaires appartenant au « middle management ». Le troisième et dernier niveau est composé des managers de proximité. Ce sont ces derniers qui encadrent directement les salariés (ou agents). Les managers de proximité et intermédiaires sont d’ailleurs « considérés comme des acteurs clés chargés de traduire les directives organisationnelles en actions sur le terrain et de leur donner du sens (Aucoin, 1989 ; Desmarais et Abord de Chatillon, 2008 ; Tessier, 2006 ; Trosa et Bartoli, 2 Etude Religion au travail : croire au dialogue. Baromètre du fait religieux en entreprise 2019 3
Congrès AGRH 2020 2011). » (Coto, 2013, p.64). Ceci nous conduit à ne pas les distinguer dans la suite de cette revue de littérature. Nous nous intéresserons ainsi à deux niveaux de management – le niveau stratégique propre au « top managers » et le niveau opérationnel intégrant middle management et managers de proximité. Selon l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise (OFRE), près de 70 % des managers auraient été en présence d’une expression religieuse au travail. Pour 71,8 % d’entre eux, il y aurait d’ailleurs une augmentation des faits religieux au travail (OFRE, 2019, p.5-6). Près de 20 % des managers relèvent des situations de discrimination liées à l’expression religieuse au travail – avec une prépondérance de ces observations chez les managers de confession musulmane et protestante (OFRE, 2019, p.9-10). Il s’agit alors de situations de discrimination liées à « l’embauche, aux promotions, à la distribution des responsabilités fonctionnelles et surtout à la participation aux interactions (discussions professionnelles et vie sociale au travail) » (OFRE, 2019, p.7-8). Nous sommes ici en présence de situations résultant soit du management ou soit une intervention managériale. Cette dernière est d’ailleurs nécessaire dans 55 % des situations en 2019 (OFRE, 2019, p.15-16). À côté de cela, les managers sont globalement en présence de faits religieux individuels. L’expression religieuse est d’ailleurs globalement considérée comme raisonnable par le management même parmi les salariés pratiquants. Dans leur grande majorité, les managers n’éprouvent pas de difficultés en présence du fait religieux au travail. Ainsi seulement 10 % d’entre eux « se sentent débordés par cette question, voient leurs décisions remises en cause (19 %) ou ressentent des difficultés particulières liées à la présence du fait religieux (11 %) » (OFRE, 2019, p.19). Toutefois, cela montre que l’expression religieuse peut parfois être source de difficultés pour le management. Le fait religieux peut en effet être source de dysfonctionnements (Gaillard, 2019) – l’étude de l’OFRE (2019, p.15-16) constatant que « 11,9 % des situations sont ainsi marquées par un degré de dysfonctionnement fort et 25 % par un degré de dysfonctionnement modéré » pour les « situations marquées par des faits religieux occasionnels ou fréquents ». Le dysfonctionnement résulte alors pour l’essentiel de la densité religieuse (63 %), mais aussi de l’organisation (10 %) et du management (13 %) – la densité religieuse rendant les managers et les salariés moins « enclins à discuter de la possibilité d’accommodements ». En cas de situations problématiques, le manager est enclin à gérer seul la situation dans 30 % des cas. Lorsqu’il demande de l’aide, il se tourne alors essentiellement vers sa hiérarchie et le service RH (OFRE, 2019, p.21). Parmi les situations nécessitant une intervention managériale, seulement 19 % des cas sont bloquants ou conflictuels. Ils sont donc minoritaires bien qu’en progression depuis 2013 en passant de 6 % à 19 % (OFFRE, 2019, p.22). Le management peut aussi être la source de dysfonctionnements en étant, notamment, à l’origine de blocages en raison d’une hostilité du manager à toute expression religieuse au travail. Il peut aussi conduire à une situation de « dissonance entre la posture du manager et celles des autres managers ou encore celle de l’entreprise » (OFRE, 2019, p.81-82). Le rôle du management stratégique est alors essentiel. Il lui revient de mettre en place une politique générale, de définir les pratiques et de les diffuser – Galindo et Zannad (2014) parlant alors de postures. Cela peut passer par la mise en place d’outils de gestion – comme le règlement intérieur, les formations (Barth & al., 2019), de guides (Cintas & al., 2012). Toutefois « la prise en compte du fait religieux au travail est peu institutionnalisée ». Peu de structures mettent réellement en œuvre une gestion du fait religieux au niveau central (OFRE, 2019, p.25). Au niveau de l’organisation, il va s’agir essentiellement de « discussions au sein des équipes managériales dans un peu moins de 29 % des situations, et par des consignes pour répondre aux demandes dans un peu plus de 23 % des situations ». Le règlement intérieur est également utilisé dans 21 % des cas (OFRE, 2019, p. 24-25). Les organisations semblent, sur cette question, réagir en se dotant de moyens uniquement l’expression religieuse au travail 4
Congrès AGRH 2020 prend de l’ampleur. L’étude de l’OFRE montre en effet une augmentation du nombre de dispositifs organisationnels « en fonction de la fréquence d’apparition du fait religieux » (OFRE, 2019, p.26). Or si l’organisation n’instaure ni politique générale, ni pratiques, ni outils pour gérer le fait religieux au travail, ce dernier relève alors exclusivement du management opérationnel, et en l’occurrence du manager de proximité. À cet égard Honoré (2019, p.16) remarque que la littérature s’interroge « sur les modalités de l’articulation, au niveau individuel, entre pratique religieuse et activité professionnelle et, au niveau organisationnel, entre respect des personnes, de leur liberté et de leur diversité et maintien de l’efficacité du fonctionnement ». Les organisations sont alors invitées « à encadrer les comportements des salariés comme l’action des managers par des outils et dispositifs de gestion » afin parfois de l’encadrer, parfois le faciliter et le canaliser. Sans ces outils et dispositifs, le manager de proximité est alors laissé seul. Le management du fait religieux dépend alors que de lui. C’est d’ailleurs souvent à son niveau que les acteurs organisationnels estiment que le fait religieux doit être géré. Le manager de proximité est alors au cœur de la prise en compte du fait religieux lorsque cela est nécessaire (OFRE, 2019, p.31). Ainsi « c’est à lui qu’il revient de prendre en compte ces situations et d’apporter des réponses aux questions et problèmes » que le fait religieux pose. Toutefois, « le caractère particulier de ces situations suppose qu’il prenne appui sur les services juridiques et de gestion de ressources humaines de l’organisation ». Il revient alors « à l’entreprise de fixer officiellement un cadre en précisant, dans ce domaine, ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas » (Honoré, 2018, p.22- 23). Il devrait ainsi y avoir une complémentarité entre niveau stratégique et niveau opérationnel. Il n’en demeure que le rôle du manager de proximité est fondamental, et justifie de se focaliser sur son management – et plus particulièrement sur son comportement lorsqu’il est en présence d’un fait religieux au travail. 3/ Les différents comportements managériaux en présence d’un fait religieux au travail Six comportements possibles du manager en présence d’un fait religieux au travail (Guillet & Brasseur, 2019) ressortent de la littérature (figure 1) – ces derniers pouvant découler d’un management inclusif et proactif d’une part ou d’un management pragmatique et défensif d’autre part (Cintas & al., 2013). Alors que le management proactif et inclusif « préconise que les dispositions existantes soient adaptées pour répondre aux demandes des adhérents de différentes confessions », le management « pragmatique et défensif, est plus modéré dans sa position ; il souligne la nécessité de mettre en place des arrangements raisonnables tout en maintenant les autres libertés fondamentales3 » (Cintas & al., 2013, p.583) - l’arrangement raisonnable pouvant découler pour notre part d’une volonté de trouver un arbitrage entre la liberté religieuse d’une part et les intérêts du collectif, de la collectivité et/ou de l’organisation d’autre part. Le manager peut ainsi opter pour un comportement de déni, de refus, d’accommodement ou de laisser-faire (Mahmoudi, 2019 ; Bennani & Barth, 2012 ; Banon & Chanlat, 2014 ; Galindo & Zannad, 2014, 2015). Le refus – qui trouve sa source dans une volonté stricte de séparation entre le personnel et le professionnel (Hennekam & al., 2018 ; Galindo & Zannad, 2014) – renvoie comme le déni à une volonté de neutralité des responsables liée à l’affirmation d’un principe d’égalité de traitement entre collaborateurs (Younès, 2013). Déni 3 Traduit et adapté par l’auteur de « proactive and inclusive, advocates that existing arrangements be adapted to meet the demands of adherents of different faiths. It accords religion the status of a supreme value […] pragmatic and defensive type is more moderate in its position; it emphasises the need to put in place reasonable arrangements while maintaining the other basic freedoms. » (Cintas & al., 2013, p.583) 5
Congrès AGRH 2020 et refus reviennent ainsi tous deux à placer le fait religieux dans une certaine neutralité – soit passivement en fermant volontairement les yeux (déni), soit activement en prohibant toute expression religieuse au travail (refus). La stratégie de séparation entre religieux et travail provient d’après Hennekam & al. (2018) d’un triple enjeu pour le management – le respect de la réglementation, des contraintes pratiques et le point de vue des tiers – le comportement de refus résultant alors d’une combinaison entre ces trois éléments. Le refus et le déni sont ainsi guidés par les représentations du manager de la laïcité et du rapport entre religion et entreprise (Galindo & Zannad, 2012 ; Roberts, 2006), mais aussi de contraintes managériales classiques (attentes des clients, coûts, efficacité du service, etc.). Le principe de laïcité conduit à adopter un comportement en affirmant la neutralité. Il ne s’agit ni d’une contrainte ni d’une ressource pour le management. Aborder la question de la laïcité nécessite tout d’abord de constater qu’« il n’existe pas de définition officielle de la laïcité inscrite dans la loi (y compris dans la loi de 1905 qui consacre le principe de séparation des Églises et de l’État) » (Dukic, 2016, p.67). La laïcité peut alors « être définie comme un régime juridique dans lequel la liberté de conscience (celle de croire ou de ne pas croire) et la liberté de culte (la possibilité de manifester publiquement sa foi) se trouvent garanties par l’État » (p.68). Evoquer la religion au travail renvoie également à la question de la liberté religieuse du salarié. A cet égard Pailot & de Saint Affrique (2019, p.220) remarquent que l’Etat ou l’employeur ne peuvent pas restreindre le droit de croire du salarié mais seulement limiter les « formes d’extériorisation de ce droit sans jamais remettre en cause la liberté de conscience des salariés (Maggi-Germain, 2015) ». Cela peut prendre la forme d’une clause de neutralité inscrite dans le règlement intérieur. Or évoquer « un principe de neutralité pour les entreprises privées pourrait surprendre tant celui-ci est une notion propre au droit public (Philip-Gay, 2016) » en étant « étroitement associé, voire consubstantiel, à celui de laïcité » qui « consacre la neutralité, voire la sécularisation, tant de l’État que des services publics (Gonzalez, 2006; Zuber, 2017) » (Pailot & de Saint Affrique, 2019, p.230). En d’autres termes, lorsque l’employeur est l’Etat le principe de neutralité s’applique au salarié en vertu du principe de Laïcité. Pailot & de Saint Affrique (2019, p.230) constatent qu’en étant appliqué à l’entreprise privée, le principe de neutralité « n’est pas associé au principe de laïcité (Pagnerre, 2016; Gardes, 2017) » en ayant « une portée beaucoup moins restrictive qu’en droit public où la neutralité présente un caractère absolu ». L’expression religieuse au travail correspond donc à une des deux facettes de la liberté religieuse des salariés. Etant relative, elle peut être restreinte par l’employeur ou l’Etat. Cette restriction n’est pas la même en fonction du statut de l’employeur (relevant du droit public ou privé). À côté de ces deux premiers comportements, le manager peut accéder sans hésiter aux revendications des salariés en matière de manifestations de croyances religieuses notamment par crainte d’être considéré comme discriminant/raciste, mais aussi pour retenir ou attirer des collaborateurs. Il s’agit du comportement de laisser-faire. Ce dernier viserait à éviter l’affrontement et les conflits, tout en adoptant un principe de tolérance. Certains managers peuvent aussi opter pour un comportement proche de l’« accommodation raisonnable » (Dean & al., 2014 ; Gründler, 2017). Ici les managers cherchent à résoudre au cas par cas les problèmes posés – et cela parfois même si la position officielle de l’organisation est plutôt orientée vers le refus (Banon & Chanlat, 2014). Il va s’agir d’être flexible dans la règle (Hennekam & al., 2018) – ce qui peut se traduire à travers trois dimensions : la communication, la prise en compte des pratiques et croyances et le respect de l’autre – en arbitrant entre les différentes options offertes au manager. Dans ces deux cas, le comportement résulterait plutôt d’une vision contraignante du fait religieux au travail – le 6
Congrès AGRH 2020 manager pouvant être plutôt passif (laisser-faire) ou actif (accommodement) – ce dernier étant source de difficultés pour le management. Ces comportements peuvent alors être considérés comme appartenant à un management plutôt défensif et pragmatique (Cintas & al., 2013). Figure 1. Typologie des comportements des managers face au fait religieux (D’après Guillet & Brasseur, 2019) Ces quatre types de comportements managériaux peuvent être complétés par deux autres types abordant le fait religieux comme une ressource pour le management. Il s’agit de l’aménagement et de l’apprentissage. Ces deux comportements, même s’ils ne sont pas explicitement évoqués dans les travaux d’Hennekam & al. (2018), correspondent en partie à ce que les auteurs appellent « la recherche du terrain d’entente » basée sur la culture d’entreprise et la recherche d’objectifs communs. Ils entrent dans une démarche d’inclusion – le manager considérant alors que le fait religieux pouvait apporter à l’organisation et au management (Benites-Gambirazio, 2019 ; Bourel, 2019). Afin de fidéliser les salariés (Galindo & Zannad, 2014), de faciliter leur intégration et leur mobilisation au travail (Hicks, 2002), le manager peut être tenté d’aménager le cadre de travail en tenant compte de l’extériorisation d’une appartenance religieuse. Le fait religieux va alors être considéré comme un levier potentiel sur lequel le management peut agir. Il serait notamment source d’implication organisationnelle et de satisfaction au travail (Benefiel al., 2014, p.180), et agirait sur la santé mentale et physique des salariés (Kutcher al., 2010). Adopter un comportement d’aménagement permet ainsi au manager de prévenir les risques psychosociaux ou de développer la performance au travail. Le manager, toujours dans cette démarche d’inclusion, peut opter pour un comportement d’apprentissage de l’autre (d’Iribarne, 2003). Le manager va apprendre face au fait religieux (Gelb Longacre, 2012 ; Galindo Surply, 2013) et modifier ses propres pratiques. Le management est alors, pour ces deux derniers comportements, plutôt inclusif et proactif (Cintas al., 2013). Les six types de comportements « peuvent ainsi être catégorisés, d’une part en comportement actif ou comportement passif, d’autre part en fonction de la conception du manager du fait religieux comme une contrainte ou comme une ressource. Le refus et le déni associés à une volonté de 7
Congrès AGRH 2020 neutralité ne sont considérés ici ni comme une contrainte ni comme une ressource » (Guillet Brasseur, 2019, p.14). Ils peuvent également être regroupés en deux types de management (Cintas al., 2013) : management inclusif et pro-actif (apprentissage et aménagement), défensif et pragmatique (accommodement, laisser-faire, déni et refus). II/ Méthodologie 1/ Recueil des données Nous avons privilégié une approche qualitative par entretiens semi-directifs. L’échantillon se compose de 16 managers, dont 3 femmes et 13 hommes (figure 2). Notre choix a été d’ouvrir l’étude à la fois sur les managers de proximité, mais également les managers situés plus haut dans la hiérarchie afin de mieux saisir les différentes interactions de rôle. La « religiosité du manager » pouvant être un facteur explicatif du comportement du manager (Guillet & Brasseur, 2019), nous avons tenté de diversifier les types de religiosités. Ceci nous a ainsi conduits à privilégier un terrain multiple afin d’avoir accès à des managers ayant des profils et des expériences diverses et multiples. L’échantillon se compose ainsi de 11 croyants de différentes religions, 2 agnostiques et 3 athées. Nous avons opté pour un accès au terrain par parrainage en raison de la nature sensible de cette recherche (Honoré & al., 2019). Il s’agit pour l’essentiel de managers avec qui nous avons été mis en contact par l’intermédiaire de managers contactés directement et qui ont joué le rôle de « passerelle » (Lee, 1993). Nous avons pris soin de ne pas recourir au même parrain afin de limiter le risque de biais instrumental (Thietart & al., 2014, p.283). Nous avons donc mobilisé 7 parrains différents. Afin de simplifier la lecture, nous avons choisi dans la suite de cette recherche d’utiliser la fonction (manager, directeur, DRH/Diversité/DG), le type de structure (privé/public) ainsi que le couple religiosité/religion pour qualifier chacun de ces répondants. De même nous utiliserons le terme de « religieux » pour désigner les individus qui appartiennent à une religion. Figure 2 : Échantillon de l’étude exploratoire Appellation dans le corps du texte Type de managers Répondant Fonction Religiosité Religion dans la suite de cette recherche 1 Responsable projet Adhère à une religion Musulman Manager privé musulman 1 3 Manager et syndicaliste Adhère à une religion Musulman Manager privé musulman 2 4 Manager Adhère à une religion Musulman Manager privé musulman 3 8 Manager Athée Manager privé athée Manager Managers de terrains Chrétien Manager public protestant 12 Manager Adhère à une religion (protestant) 13 Manager Agnostique Manager privé agnostique 15 Manager Adhère à une religion Hindouiste Manager privé hindouiste Directrice point de Directeur privé musulman 1 6 Adhère à une religion Musulman vente Directeur centre de coût 7 Directeur et formateur Athée Directeur public athée 9 Directeur point de vente Adhère à une religion Musulman Directeur privé musulman 2 8
Congrès AGRH 2020 Il ne veut Responsable diversité privé 2 Responsable diversité Adhère à une religion Responsable pas en parler religieux diversité Managers du sommet stratégique Responsable diversité privé 16 Responsable diversité Agnostique agnostique Chrétien DRH privé catholique DRH 5 DRH Adhère à une religion (catholique) 10 Directeur général Athée DG privé athée 11 Directeur général Adhère à une religion Juif DG privé juif DG Chrétien DG privé protestant 14 Directeur général Adhère à une religion (protestant) 2/ Traitement des données La retranscription a été organisée sous un même modèle (même découpage, identification des locuteurs…) afin de faciliter l’analyse et la comparaison des différents entretiens. Le corpus a donc été préparé comme le propose Gavard-Perret, & al. (2012, p. 282). La retranscription de chaque entretien a duré environ une journée, en moyenne, en comptant en 5 à 6 heures par jour. Nous avons fait le choix de nous appuyer sur la méthode de l’analyse thématique (Paillé & Mucchielli, 2016, p.235-317) pour analyser notre corpus. L’analyse de contenu a également été réalisée avec l’aide de l’outil informatique (Paillé & Muchielli, 2016, p.239-240). Nous avons – en ce sens – opter pour le logiciel NVivo12. Nous avons ainsi fait un travail de repérage puis de regroupement des thèmes abordés lors des entretiens (Paillé & Muchielli, 2016, p.236) à travers la création de nœuds (figure 3) – ce qui pourrait être assimilé au mode d’inscription des thèmes sur fiche (Paillé & Muchielli, 2016, p.240). Étant dans une démarche déductive, nous avons procédé par thématisation séquenciée (Paillé & Muchielli, 2016, p.241) en partant d’une première retranscription – en l’occurrence celle du manager syndicaliste (manager privé musulman 2) – pour identifier nos thèmes. Nous avons procédé ensuite à des fusions, subdivisions, regroupements et hiérarchisations de thèmes (Paillé & Muchielli, 2016, p.246) et en le subdivisant en unités de signification avec la création de différents nœuds sur NVivo12 (Paillé & Muchielli, 2016, p.245). Nous avons choisi de mettre en œuvre un codage multithématique (Ayache & Dumez, 2011, p.41-43). Afin d’éviter le risque de circularité, le codage a été réalisé « en combinant les codes tirés du matériau et les codes tirés de la théorie » (Dumez, 2013, p.32) et de procéder à plusieurs lectures flottantes du corpus (Ayache & Dumez, 2011, p.35) afin de repérer les thèmes récurrents. Notre revue de littérature nous a permis de créer nos nœuds de premier niveau. Notre choix a été pour la typologie d’utiliser notre découpage actif/passif et ressource/contrainte. Nous avons donc créé des nœuds (1) Management pragmatique et défensif, (2) Management inclusif et pro-actif. Nous avons, dans un second temps, complété et modifié ces nœuds à partir des éléments provenant de nos entretiens. Nous avons rajouté le nœud premier niveau (1) absence de management. Comme nœuds de second niveau, nous avons rajouté (1) l’acceptation, (2) la non-reconnaissance, (3) la délégation. Nous avons également été conduits à rajouter des nœuds de troisième niveau à savoir (1) laisser-faire pragmatique, (2) laisser-faire défensif, (3) refus pragmatique, (4) refus dogmatique, (5) refus neutre et normatif. 9
Congrès AGRH 2020 Figure 3 : Création des nœuds Nœud de premier niveau Nœud second niveau Nœud de troisième niveau Déni Refus pragmatique Refus Refus neutre et normatif Refus dogmatique Management pragmatique et défensif Laisser-faire pragmatique Laisser-Faire Laisser-faire défensif Accommodement Accepter Aménagement Management inclusif et pro-actif Apprentissage des autres Apprentissage Apprentissage des situations Non-reconnaissance Absence de management Délégation III/ Résultats et discussion 1/ Résultats 1.1/ Les comportements se manifestant par une inaction du manager : le déni, la délégation, le laisser-faire et l’acceptation Certains managers choisissent de laisser le fait religieux s’exprimer au travail. Pour certains, l’expression religieuse n’est pas gênante – lorsqu’elle n’entrave pas le travail (manager privé athée, manager privé agnostique) ou identifiée comme telle (directeur public athée). Ils peuvent aussi se sentir désarmé ou craindre les effets de leur réaction face l’expression religieuse (directeur privé musulman 1). « C’est-à-dire j’ai des managers qui n’arrivent pas à dire non tout cours, et d’autres qui arrive à dire non et à l’assumer, et d’autre non… D’autres qui arrivent à être influencés par des salariés… parce qu’ils ont peur derrière des répercussions… quand ils sont seuls et que les salariés veulent boycotter, etc. » (directeur privé musulman 1). On retrouve cela dans les propos du manager privé musulman 1 qui explique qu’il est nécessaire de « prendre une décision parce qu’aujourd’hui encore il y a beaucoup d’affaires en interne où il n’y a pas de décision qui a été prise en fait… ou la situation est stabilisée dans un mauvais sens… la décision n’a pas été prise » ainsi que dans le cas évoqué par le directeur public athée lorsqu’il évoque sa propre réaction face aux tenues vestimentaires à Mayotte. Confronté à l’expression religieuse des fonctionnaires, ce dernier rapporte avoir pris en considération le lieu où il intervenait pour adapter sa réponse – « dans ma tête je me dis : tu es à Mayotte… t’es pas sur la métropole » (directeur public athée). 10
Congrès AGRH 2020 Le manager peut choisir de laisser faire le salarié, sans intervenir, parce qu’il estime que l’expression religieuse au travail n’est pas gênante (manager privé musulman 2, directeur public athée et DG privé athée), qu’elle apporte à l’entreprise en termes de motivation et performance (manager privé musulman 2, directeur privé musulman 1, directeur public athée et directeur privé protestant) ou alors qu’il ne sait ou ne peut pas réagir autrement (manager privé musulman 2 et directeur privé musulman 1), qu’il ne l’a pas identifié comme tel (directeur public athée) ou qu’il ne l’a pas vu (DG privé athée). « Lui-même il ne s’en était pas préoccupé parce qu’il estimait que ce n’était pas un problème. » (DG privé athée) L’inaction du manager peut donc être volontaire ou subie. Il peut agir sous contrainte ou de manière pragmatique. Une même manifestation d’un comportement – l’inaction – semble donc provenir d’attitudes différentes vis-à-vis du fait religieux en lui-même. La motivation conduisant à l’adoption de ce comportement diffère. Il peut s’agir de laisser le fait religieux tant qu’il ne gêne pas à la bonne conduite de l’entreprise (manager privé athée, manager privé agnostique). Le manager est alors indifférent au fait religieux en lui-même. Il n’est ni pour ni contre. Il s’agit d’un « laisser-faire pragmatique ». Le passage d’une certaine limite semble ainsi conduire le manager à changer de comportement. Il peut également s’agir de laisser faire le fait religieux en raison des risques qu’une autre réaction fait prendre au management. Le manager craint qu’un autre type de comportement lui fasse prendre des risques. Il peut s’agir par exemple de limiter un risque de départ d’un salarié qui satisfait aux attentes de l’entreprise (DG privé athée), d’éviter un risque de conflit avec une communauté religieuse importante (manager privé musulman 2) ou de se prémunir d’une possible action en justice ou sanction (DG privé athée, manager privé agnostique). Il s’agit d’un « laisser-faire défensif ». « On en est resté là dans le cadre de l’entreprise. Dans ce cas-là on perdait quelqu’un qu’on considérait comme un professionnel intéressant. Mais ceci étant dit on aurait pu vivre tu enlèves ou tu t’en vas…. Elle aurait pu nous dire « je ne pars pas et puis en plus si vous m’emmerdez je vais aux Prud’homme parce que vous n’avez pas le droit de me virer pour ça ». Donc on était coincé. » (DG privé athée) Il peut s’agir par ailleurs pour le manager de laisser le fait religieux s’exprimer parce qu’il considère que cela est bénéfique pour l’organisation ou pour le salarié (manager privé musulman 2). Cette posture peut résulter d’un phénomène d’identification du manager vis-à- vis de ses salariés (manager privé musulman 2, directeur privé musulman 1 et 2) – ce que l’on retrouve essentiellement chez des managers musulmans pratiquants sur le lieu de travail ou souhaitant le faire. Son propre rapport à la religion, sa propre religiosité peut l’influencer. Dans ce cas, le manager ne fait rien pour favoriser l’expression religieuse au travail, mais rien non plus pour l’empêcher. Il accepte que le fait religieux s’exprime. « (…) ils ferment les yeux et disent « le gars est performant au travail. Il est corvéable à souhait » et c’est vrai. La particularité c’est que les gens salafi entre guillemets – barbu – sont corvéables à souhait. Vous pouvez les faire venir quand vous voulez… du matin, soir, 11
Congrès AGRH 2020 n’importe quand. Ils vous demandent uniquement le vendredi après-midi. Ces managers, les RH s’en accommodent très bien. Ils font leur prière de manière discrète sans déranger personne. Après tout est-ce que ça dérange ?(…) » (manager privé musulman 2) L’absence de comportements visibles vis-à-vis de l’expression religieuse au travail peut également résulter d’une volonté pour le manager de déléguer la prise de décision. Le manager privé musulman 3 évoque ainsi son choix de laisser ses supérieurs agir en raison des conflits internes que cela lui poserait que de devoir interdire un fait religieux qu’elle pratique elle-même. Il s’agit alors de déléguer la prise de décision. Ce dernier peut aussi résulter de difficultés dans sa gestion du fait religieux (manager privé musulman3). Il s’agit de laisser autrui gérer en raison des difficultés que le manager éprouve à manager l’expression religieuse au travail. On peut d’ailleurs relever que certains managers contactés directement dans le cadre de cette étude ont estimé ne pas être concernés par le fait religieux au travail ou qu’il ne s’agissait pas d’un sujet « important ». « Je vous souhaite bonne chance. Le fait religieux dans mon entreprise n’est pas un sujet d’importance » (retour d’un manager sur LinkedIn) D’autres managers refusent l’entretien n’ayant pas été confronté à l’expression religieuse au travail selon eux. « (…) je n’y ai pas été confrontée personnellement. Je ne peux malheureusement pas vous aider. » (retour d’un autre manager sur LinkedIn) De nombreux autres n’ont d’ailleurs pas répondu aux demandes d’entretien. 1.2/ Les comportements se manifestant par une action du manager : aménagement, accommodation, refus, apprentissage Il demeure toutefois que face au fait religieux, il importe pour le manager de décider – de prendre une décision vis-à-vis du comportement à adopter – sans quoi il y a un risque pour sa relation avec ses collaborateurs remarque le manager privé musulman 1. Il serait même dans certains cas irresponsable de ne pas agir. « La non-action ce n’est pas de l’action…ce n’est pas une option. Le fait de laisser-faire ou de se laisser aller en disant « Bon allez… je laisse couler. De toute façon je ne sais pas gérer ce truc-là. Je lui fais confiance. La complaisance. La compromission. Ce n’est pas une attitude de management responsable. » (responsable diversité privé religieux) Un manager lorsqu’il est face à un fait religieux au travail, il peut décider de répondre défavorablement ou alors favorablement. 1.2.1/ Les comportements correspondant à une recherche de compromis Le fait de comprendre l’origine du problème – avec l’aide du dialogue notamment – permet d’opter pour le comportement à adopter. 12
Congrès AGRH 2020 Il peut s’agir d’un simple changement de planning – fait religieux pouvant passer inaperçu – comme dans un cas évoqué par le directeur privé musulman 1. Le manger explique avoir proposé une alternative au salarié afin de tenir compte de ses « besoins », mais également des besoins du service. Il peut s’agit ainsi de trouver un compromis permettant de satisfaire tout le monde : salarié et fonctionnement du service. « Une expérience qui m’a… je ne dirai pas marquer… mais en tout cas c’est une de mes belles expériences que j’ai eu à vivre pendant cette période où j’étais directeur. Un salarié qui était en période d’évolution. Et lui en fait dans sa famille son père, son oncle, etc. sont des pasteurs. Tous les dimanches il va à la prière. […] et quand il est venu me voir un jour, il me dit que là il passe à 35h.. Mais s’il peut avoir au moins deux dimanches sur quatre de ne pas le planifier au moins le matin… pour aller à la prière et venir travailler l’après-midi… par rapport à sa religion. Personnellement j’avais dit oui parce que ça ne me dérangeait pas. […] Et cette personne, il y a 1an et demi il a été le meilleur manager d’île de France. » (directeur musulman 1). Cette réponse favorable à la demande du collaborateur semble dans l’exemple évoqué avoir des conséquences plutôt positives sur l’entreprise – le manager expliquant que la religion apporte à l’entreprise – dans un contexte contraignant. Ce comportement semble d’une volonté d’adapter une conception personnelle du fait religieux dans un contexte contraignant ou parfois hostile. La recherche de compromis peut également provenir d’une volonté de limiter les impacts négatifs de l’expression religieuse au travail. Le manager estime ainsi que le fait religieux en lui-même est problématique. L’interdire ou l’autoriser pourrait l’être tout autant. Il cherche alors à trouver le meilleur arbitrage possible. « Et donc tout le travail du responsable de son service était de la convaincre qu’elle ne pouvait pas le porter en toute occasion… ou de trouver un processus où elle le porte de manière extrêmement discrète… pour ne pas qu’elle se trouve stigmatisée par ses collègues et qu’elle mette aussi en porte à faux les usagers. » (DG privé athée) Une même manifestation d’un comportement – la recherche de compromis – semble donc provenir d’attitudes différentes vis-à-vis du fait religieux en lui-même. La motivation conduisant à l’adoption de ce comportement diffère. Il peut s’agir pour le manager de chercher un compromis entre son attitude favorable vis-à-vis du fait religieux et des contraintes extérieures hostiles à ce dernier. Il va être dans une logique d’aménagement afin de laisser le fait religieux s’exprimer en tentant compte de contraintes extérieures. Il peut s’agir également pour le manager de chercher un compromis entre son attitude défavorable vis-à-vis du fait religieux et des contraintes extérieures hostiles à sa limitation. Il va être dans une logique d’accommodement afin de limiter l’expression du fait religieux en tentant compte de contraintes extérieures. 13
Congrès AGRH 2020 1.2.2/ Les comportements correspondant à un refus du fait religieux À côté de ces premiers comportements, le manager peut opter pour un tout autre comportement. Il peut être dans du refus catégorique du fait religieux – ou en tout cas de certains types d’expressions religieuses au travail. « La personne avait refusé de serrer la main à sa N + 1… qui n’était plus sa N + 1… Il venait en civil juste après les attentats du Bataclan. […] Il venait passer une visite médicale. […] Il est en civil. Sa N + 1… l’ancienne le rencontre. Elle court le voir : bonjour, vous allez bien. Il lui répond : bonjour Madame. Elle lui tend la main. Il lui dit : madame vous savez très bien que je ne serre pas la main aux femmes. Et à partir de là… Elle lui dit : il n’y a pas de soucis, ça ne me dérange pas. Et deux semaines après (rire)… convocation. […] il a été sanctionné, mais après il s’est mis en accident de travail. Ça fait 2ans et demi. » (manager privé musulman 2) La sanction peut-être de diverses natures. Il peut s’agir d’une sanction directe (licenciement, etc.) ou d’une sanction non officielle se retrouvant dans les comportements et missions confiées aux salariés. Le manager privé musulman 3 évoque à ce titre sa propre mise au placard. Ce refus peut-être très pragmatique. Il peut s’agir comme l’évoque le DRH privé catholique de réduire les difficultés managériales. « D’un point de vue professionnel… la facilité dirait que le côté laïc c’est plutôt pas mal parce que ça évite quand même beaucoup de problématiques individuelles sur le fait religieux : est-ce j’ai le droit à mon tapis de prière ? Est-ce que j’ai le droit finalement à mon tapis yoga ? Est-ce que j’ai le droit… Il y a aussi beaucoup de contraintes individuelles. Ça peut vite… d’ouvrir la boîte de Pandore le fait religieux en entreprise... » (DRH privé catholique) Le refus peut également provenir de convictions politiques (manager privé musulman 2, DG privé athée et manager privé agnostique). « C’est défendre des convictions politiques et personnelles pour certains de mes collègues. » (manager privé agnostique) Il peut également s’agir d’une volonté d’appliquer le principe de Laïcité (directeur privé musulman 1, directeur public athée). « Puisqu’il n’arrête pas de me parler de « Mohamed » moi je vais lui parler de la laïcité. Hein ». Donc j’ai expliqué la laïcité dans la fonction publique notamment. Et à ce titre-là je lui demandais d’arrêter d’intervenir systématiquement soit pour me contredire soit pour compléter mes propos – que cela soit dans un sens ou dans l’autre » (directeur public athée). D’ailleurs, l’application du principe de Laïcité, pour le directeur public athée, se manifeste de deux façons opposées : le refus ou le laisser-faire. « Sois tu es hyper rigoureux et tu interdis systématiquement tout signe religieux. Point. De l’autre côté tu laisses tout faire et tu te retrouves avec de grosses croix au coup, avec des gens 14
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