QUELLE POLITIQUE DE L'IMMIGRATION ? - LE DOSSIER DE WWW.LALIGUE.ORG FÉVRIER/MARS 2012
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QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? sommaire Introduction Enjeux Points de vue Repères Quizz Introduction Des politiques européennes confuses Par Ariane Ioannides........................................................................................ 3 Enjeux Immigration doit rimer avec intégration Par Richard Robert........................................................................................... 5 Points de vue............................................................................................. 7-28 « Migrer, c’est s’inventer un nouveau territoire » Migrations, nomadisme, sédentarité Entretien avec Cédrick Allmang....................................................................... 7 Quelques statistiques sur les immigrés Les enquêtes de l’Insee.............................................................................................. 10 Délinquance et immigration Le regard des sociologues Par Richard Robert........................................................................................... 12 Fermeture et repli sur soi La fin du rêve français ? Entretien avec Esther Benbassa...................................................................... 15 Le mythe de l’intégration à la française Les travaux de Gérard Noiriel Par Richard Robert........................................................................................... 18 Dix ans d’immigration choisie Politiques du chiffre et stratégies de communication Par Richard Robert........................................................................................... 21 Un débat piégé ? Le vote des étrangers aux élections locales Entretien avec Laurent Bouvet......................................................................... 23 Criminalité, assistance et autres questions qui fâchent Un point de vue d’économiste Entretien avec Tito Boeri.................................................................................. 26 Repères........................................................................................................ 29 Quizz.............................................................................................................. 30 2 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Introduction Enjeux Points de vue Repères Quizz Des politiques européennes confuses Par Ariane Ioannides L’Union européenne à 27 compte aujourd’hui plus de 47 millions de personnes nées à l’étranger, soit 9,4 % de la population totale. Phénomène anxiogène pour certains, sujet tabou pour d’autres, l’immigration fait l’objet, depuis plusieurs années, d’une surenchère de mesures. Fonds européen pour le retour, patrouille européenne contre l’immigration clandestine, agence Frontex… les coopérations entre les pays se font essentiellement dans le domaine policier. Depuis le programme de La Haye en 2004, l’Union européenne développe une approche sécuritaire, qui vise à renforcer ses frontières et semble focalisée sur l’immigration illégale. La politique d’immigration européenne, qui fait curieusement partie de la politique de défense et de sécurité, s’affirme dans la réalité par une exclusion de plus en plus grande des étrangers. Parallèlement, on assiste à une véritable criminalisation de l’immigration. Le dur- cissement des critères d’accès contribue à faire basculer dans l’illégalité des flux qui, il y a quelques années encore, auraient défini une immigration légale. Sans compter une tendance à délocaliser la gestion de l’immigration irrégulière, en externalisant des frontières, impliquant les pays émetteurs dans la surveillance de celles-ci. Mais la politique d’immigration est également envisagée sous un angle utilitaire. Pour des raisons démographiques et économiques, l’Europe a besoin d’immigrés. En effet, sa population vieillit et, selon un rapport de la Commission européenne, d’ici à 50 ans, il ne restera pour chaque senior que deux personnes en âge de tra- vailler, contre quatre aujourd’hui. Plusieurs Etats-membres sont déjà confrontés à des pénuries de main-d’œuvre et de compétences, aggravées par la faible mobi- lité des travailleurs dans l’Union européenne. Les frontières se sont donc timidement rouvertes. Mais là encore, les contradic- tions sont nombreuses. Les gouvernements souhaitent le plus souvent accueil- lir des professionnels hautement qualifiés, en privant le pays d’origine de tra- vailleurs compétents – et ce alors qu’en Europe de nombreux secteurs comme la construction, les soins à domicile, l‘hôtellerie-restauration auraient besoin de migrants moins qualifiés. lire la suite février/mars 2012 3
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Introduction Enjeux Points de vue Repères Quizz Outre ces contradictions, l’Europe souffre aussi d’un manque d’harmonisation : les Etats-membres n’ont pas voulu d’une politique intégrée en matière d’immigration économique. Le traité de Lisbonne signé en 2008 leur permet de conserver le droit de fixer les volumes d’entrées à des fins professionnelles ; ce qui rend difficile une politique cohérente à l’échelle européenne. On se retrouve donc dans une situation particulièrement confuse, tant dans les stratégies suivies que dans les instruments utilisés. D’un côté, une politique sécu- ritaire semble irréaliste, les gouvernements ne contrôlant qu’un faible pourcentage des flux migratoires. De l’autre, une politique utilitaire et libérale, gérée unilatérale- ment, reste impopulaire. Les politiques, en se montrant incapables de construire un cadre solide et cohérent, contribuent ainsi à créer de l’angoisse. 4 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Enjeux Points de vue Repères Quizz Immigration doit rimer avec intégration Par Richard Robert Voici un sujet qui est depuis bientôt trente ans sur le devant de la scène politique et sociale, et pourtant nous en savons bien moins que nous le pensons. L’immigration, c’est d’abord une réalité visible, dans sa banalité quotidienne ou sous ses formes les plus dramatiques, comme les incendies d’hôtel ou les bidon- villes qui sont réapparus le long des lignes de chemin de fer ou dans les terrains vagues de certaines banlieues. Ce sont aussi les minorités visibles – dans les transports en commun, les supermarchés, à l’école, dans certaines parties des villes. C’est, en somme, un phénomène dont chacun se sent autorisé à parler, pour compter des immigrés parmi ses amis, ses collègues, ou en croiser dans la rue. C’est aussi un enjeu de débat public, filtré par un certain nombre de problèmes sociaux : la pauvreté, la crise des grandes cités d’habitat social, la délinquance et l’insécurité, occasionnellement les émeutes urbaines, mais aussi le port du voile ou du niqâb et l’essor des fondamentalismes religieux. C’est un sujet dont, à la vérité, nous ne savons que faire. L’inaltérable santé du Front national atteste d’abord la difficulté des politiques, des intellectuels et des médias à saisir ce phénomène complexe pour formuler et traiter ses aspects les plus problématiques. La gauche s’est longtemps enfermée dans le déni, la droite est tiraillée entre la conscience d’un besoin d’immigration et une volonté d’afficher sa fermeté en dur- cissant les conditions d’accès – quitte à alimenter les circuits de l’immigration illé- gale. Mettons tout le monde d’accord : les discriminations existent, la délinquance plus fréquente des hommes jeunes d’origine immigrée n’est pas une fiction. Mais, faut-il immédiatement ajouter, ce n’est pas la question. Car tout ce que montrent les travaux des sociologues et des économistes, appuyés sur les enquêtes de l’Insee, c’est que l’immigration en elle-même n’est pas un problème. Elle devient problématique, en revanche, en s’agrégeant à des situations sociales telles que le sous-emploi, la ségrégation urbaine, la pénurie de logement, plus généralement tout ce qui affecte les conditions de la mobilité sociale sans laquelle une société démocratique digne de ce nom ne peut pas fonc- tionner. Les immigrés, plus précisément une partie de la population immigrée, est prise au bout de la chaîne de la mobilité sociale, dans sa partie… la plus immobile. Le problème, fondamentalement, est ailleurs. Mais c’est dans ce segment de la chaîne que ses conséquences sont les plus visibles et les plus radicales. Une politique de l’immigration n’a donc guère de sens, et surtout elle ne peut pro- duire aucun résultat tangible, si elle n’est pas associée à une politique d’intégra- lire la suite février/mars 2012 5
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points de vue Repères Quizz tion elle-même inscrite dans un effort cohérent et systématique de s’attaquer aux dysfonctionnements chroniques du marché du travail, d’une part, du marché du logement, d’autre part. Ce sont là les deux trappes dans lesquelles les immigrés et leurs descendants, plus souvent que les autres et avec des conséquences sou- vent irrémédiables, se font piéger. Le logement, l’emploi, sont des problèmes qui touchent l’ensemble de la société française mais qui se concentrent sur les immi- grés et leurs enfants. Commençons par là. 6 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points de POINTS DE vue VUE Repères Quizz « Migrer, c’est s’inventer un nouveau territoire » Migrations, nomadisme, sédentarité Entretien avec Cédrick Allmang À se focaliser sur l’immigration, on perd de vue la multiplicité des mouvements qui caractérisent les sociétés humaines depuis les origines. Dans un monde entièrement occupé, le point de vue dominant est devenu celui du sédentaire qui reçoit la migration. Mais parallèlement à ce triomphe de la discontinuité, l’approche continue de l’espace, celle qui amène à penser l’horizon et son au- delà plus que la frontière, revient aujourd’hui en force à l’échelle du monde. D’un point de vue de géographe, souvent similaires, autant pour celui Cédrick Allmang comment se présentent les flux qui migre que pour celui qui voit le est professeur de de population entre les différents migrant arriver. Les notions d’intégra- géographie en pays ? Quelles sont les spécificités tion, de conflit d’usages, de culture classes préparatoires de l’émigration ? locale, de territoires, se posent à toutes aux lycées Saint- La migration est une activité « humaine », les échelles. Voilà pourquoi les limi- Louis et Henri IV, à elle est à l’origine du peuplement du ter à une migration de « pays à pays » Paris. Il enseigne globe par notre espèce. Migrer, en géo- conduit à réduire la question et à en également à graphie signifie simplement changer de déformer les termes. Sciences Po. Il a lieu de résidence. Cela met en relation notamment publié un lieu de départ, un lieu d’arrivée et Si l’on considère le pays comme l’État, Les Masques de un espace par lequel la migration d’une la migration d’État à État pose autant guerre (Stock, 1999) personne ou d’un groupe de personnes de problèmes d’approche, car les États et Petites leçons de s’opère. n’ont pas la même échelle géogra- géographie (PUF, phique (la Suisse ou les États-Unis), 2001), ainsi que L’idée que la migration n’est qu’un n’ont pas la même topographie, la plusieurs ouvrages en phénomène de pays à pays est à la même pratique ou le même enjeu sur collaboration. fois vague et réductrice – vague car la leurs frontières. Les migrations « inter- notion de pays est une notion floue (le nationales » concernant des États pays est simplement le territoire vu et qui ont, au fond, un rapport nation- approprié, de la même étymologie que territoire différencié, ne peuvent être paysage ou paysan). Migrer de conti- lues de manière globale mais unique- nent, du littoral vers la montagne, de ment de manière précise et localisée : la ville vers la campagne, d’un centre une migration d’un type de popula- vers une périphérie ou d’un État à un tion (nombre, âge, structure démogra- autre pose des problèmes qui sont phique, culture, niveau économique, lire la suite février/mars 2012 7
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz systèmes relationnels) d’un espace héros fondateur (Gilgamesh) vers une défini à un autre espace défini. mort certaine, ou emmener un peuple avec soi (Moïse, migrations celtes, ger- Les problèmes du transport, de l’accul- maniques, arabes). Migrer, c’est s’in- turation et de l’intégration ne peuvent venter un nouveau territoire dont la se lire qu’ainsi. De fait, on voit bien vision est celle d’une aventure absolue. comment, en apposant un discours Le point de vue est toujours celui du a-géographique ou utopique sur une migrant avec cette notion que toutes les migration, on peut véhiculer un nombre sociétés se construisent sur un mythe incalculable d’imprécisions, d’erreurs du départ et de l’arrivée (Achéens ou de mensonges tous plus anxiogènes pour les Grecs, Carthage pour les les uns que les autres. Parler de migra- Romains, etc.). tion (plutôt que de la vision de celui qui reçoit, soit d’immigration), c’est Dans un monde entièrement occupé, d’abord dédramatiser le phénomène pour lequel la planète se confond avec en le normalisant. Pour simplifier, vivre l’Œcoumène 1, le point de vue domi- en homme c’est migrer, pour s’édu- nant est devenu celui du sédentaire qui quer, pour rencontrer l’autre, pour faire reçoit la migration. La question de l’émi- souche un jour dans un ailleurs plus ou gration est devenue moins importante moins choisi. que celle de l’immigration. Il y aura toujours un aspect traumati- En se complexifiant, les échanges entre sant de celui qui part et qui perd son les sociétés ont aussi beaucoup chan- territoire et ses repères, comme il y a gé la nature de la migration. La dis- une angoisse profonde de recevoir un tance qui sert à se repérer est deve- « étrange/étranger » non invité sur son nue impalpable, les idées – ou une territoire. Tout n’est question ici que de culture – qui migrent en même temps territoire et d’identité, et de manière que les personnes vont aujourd’hui à subsidiaire de la sécurité du transport. un rythme différent, soit parce qu’elles se déplacent plus vite, soit parce que, noyées dans une masse d’informations, elles sont inaudibles. Car dans la migra- À se focaliser sur les migrations tion, il n’y a pas que le déplacement de visibles, d’un pays à l’autre, ne risque- la personne, mais aussi une transla- t-on pas de négliger d’autres mouve- tion des systèmes de représentation, ments, tout aussi significatifs, qui se de redéfinition des repères géogra- joueraient au sein d’un même pays ? phiques ou politiques, de changement Une comparaison fait-elle sens ? des centres, de décalage des limites, La croissance de la population, la com- que les frontières d’États, anciennes et plexification des sociétés, la multiplica- figées, ne peuvent pas réguler. tion des territoires et enfin l’extraordi- naire amplification des moyens de mise Une migration de technologie, une en mouvement des activités humaines migration d’un centre d’impulsion éco- a profondément modifié la perception nomique, la délocalisation d’une usine et la typologie des migrations. ou le départ de son enfant pour la capitale ont beaucoup plus de consé- 1. Notion géographique pour On observe d’abord une inversion des quences pour une population que l’ar- désigner l’ensemble des terres anthropisées (habitées ou représentations. Dans l’antiquité, migrer rivée plus ou moins exagérée de trans- exploitées par l’homme). c’est partir à l’aventure comme un nationaux non identifiés. lire la suite 8 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz La figure sociale du migrant, comme oppose aujourd’hui deux pratiques celle du vagabond ou du nomade, du monde, dans un monde globalisé. s’est construite par opposition à Il existe un véritablement déclasse- celle de l’enracinement. Cette ten- ment de « l’immobile » (celui qui ne va sion a-t-elle encore un sens ? pas en vacances, celui qui ne connaît Elle est presque sublimée aujourd’hui. pas le monde sauf pour l’avoir vu à la Ce qu’on appelle la mondialisation peut télévision) par rapport au « mobile », être lue comme le retour à un mode aussi bien dans le champ des rap- d’occupation de l’espace des socié- ports sociaux que du tissu économique tés pré-néolithiques. Je veux dire par ou politique. Dans le même temps, le là que depuis la sédentarisation des degré de frayeur généré par cette nou- populations qui a fait naître le besoin velle mobilité est incommensurable et de mettre en valeur le sol (l’agriculture), provoque des réactions de repli sur soi le besoin de s’approprier une terre (la chez une grande partie de la popula- propriété individuelle, les frontières), les tion. La tension qui autrefois pouvait systèmes de gestion du territoire (les se faire entre des étrangers migrants lois, les États), la vision discontinue de et des sédentaires se résorbait dans l’espace est le mode de représentation une crise violente mais d’où débou- dominant du monde. Les nomades, chait une nouvelle société (la guerre vagabonds, sans feu ni lieux, Roms de Troie). d’hier et d’aujourd’hui, y sont perçus comme des marginaux. Dans la société d’aujourd’hui cette ten- sion se fait à l’échelle de l’individu ou L’approche continue de l’espace, celle de la famille car ni les sociétés, ni les qui amène à penser l’horizon et son États n’acceptent de trancher entre au-delà plus que la frontière, celle qui mobilité mondiale et immobilité terri- est nécessaire au mouvement, est très toriale. En entrant dans la sphère psy- clairement à nouveau dominante à chologique, cette tension schizoph- l’échelle du monde. Grâce aux moyens rène devient hypertrophiée. Mais elle techniques qui sécurisent le trans- est aussi le moteur du monde actuel. port et réduisent la distance, le mou- Si pour les historiens, Dieu est mort et vement redevient général. Migration l’Histoire est finie, pour les géographes, de week-end autour des métropoles, l’espace continue de se transformer grandes migrations saisonnières tou- dans l’énergie, positive ou négative, ristiques, migrations mondiales (divi- libérée par cette tension entre l’appel sion internationale) du travail, des idées des grands espaces et de la vitesse, et et des pratiques, jamais l’opposition la nécessité de se construire de nou- entre nomade et sédentaire n’a été veaux repères pour agréger son iden- aussi intense et généralisée, car elle tité à un territoire. février/mars 2012 9
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz Quelques statistiques sur les immigrés Les enquêtes de l’Insee Les enquêtes de l’Insee montrent que depuis 1975, la part des immigrés dans la population est restée stable, mais que l’immigration a beaucoup changé : les entrées pour motif familial ont augmenté, la population immigrée s’est féminisée et les immigrés proviennent de pays de plus en plus lointains. Jusqu’aux années 1970, l’immigration les plus récents : plus de la moitié des était essentiellement le fait de travail- immigrés venus de l’Europe des Quinze leurs peu qualifiés venant répondre aux sont propriétaires, un taux comparable besoins nés de la reconstruction puis à celui de l’ensemble de la popula- de la croissance ; dans un contexte tion, tandis que pour les immigrés plus économique moins dynamique et avec récents la proportion de locataires est la montée du chômage de masse, la nettement plus élevée : un tiers vit situation a évolué : le regroupement dans l’habitat social et un quart dans le familial dans un premier temps puis, secteur privé. Les ménages immigrés dans un contexte marqué par le dur- occupent en général des appartements cissement des conditions d’entrée, les d’une surface inférieure de 20 % alors demandes d’asile, ont alors représen- même qu’ils comprennent davantage té une proportion croissante des arri- de personnes (près de trois personnes vées : les migrations pour motif familial par ménage, contre 2,3 pour l’ensemble sont aujourd’hui les plus importantes, et de la population). elles se traduisent par une parité nou- velle de la population immigrée (alors Où vivent-ils ? Depuis la décennie 1990, qu’on était à 45 % de femmes seule- la proportion d’immigrés s’est accrue ment dans les années 1950). En outre, en Ile-de-France, et les régions indus- les immigrés qui arrivent aujourd’hui trielles du Nord et de l’Est se sont mon- sont en moyenne aussi diplômés que trées moins attractives que l’Ouest et les autres résidents. l’Alsace, plus dynamiques. Contraire- ment à une idée répandue, la propor- Prenant le relais des Espagnols, Italiens tion d’immigrés a diminué en Provence- et Portugais qui représentaient dans Alpes-Côte d’Azur. les années 1960 plus de la moitié des étrangers présents en France, les immi- La fécondité des familles immigrées grés nés au Maghreb (30 % du total), reste structurellement plus élevée, sur- d’Europe de l’est, d’Afrique subsaha- tout dans les premières années qui rienne, de Turquie ou d’Asie forment suivent la migration : un couple sur désormais la majorité. trois a trois enfants ou plus, contre seu- On note, en matière de logement, une lement un sur dix pour le reste de la différence sensible entre les immigrés population. Mais l’image répandue de les plus anciens (Portugais et Italiens) et la femme restant à la maison corres- lire la suite 10 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz pond de moins en moins à la réalité. Le grés : en 1992 encore, ils étaient plus taux d’activité des femmes immigrées présents dans l’industrie que le reste reste certes plus faible que celui des des actifs, depuis le début des années autres, notamment chez celles qui sont 2000, ils le sont légèrement moins. Cela originaires du Maghreb et de Turquie, tient en partie à l’externalisation d’em- mais il progresse : entre 1992 et 2002 plois peu qualifiés vers des sous-trai- il a augmenté de 7,8 points pour les tants, dont les effectifs qui sont comp- immigrées âgées de 25 à 59 ans, contre tabilisés dans le secteur des services. 4,7 points pour les non-immigrées. Cette augmentation traduit une évolu- Les enfants d’immigrés, notent les sta- tion culturelle, mais aussi l’essor des tisticiens de l’Insee, sont particulière- emplois de service peu qualifiés (ser- ment exposés à l’échec scolaire : par- vices à la personne, notamment, mais mi les jeunes dont les deux parents aussi réintégration de l’emploi informel sont immigrés, un sur trois a redoublé dans l’emploi officiel grâce à des dispo- à l’école primaire, contre seulement sitifs comme le chèque emploi service). un sur cinq quand aucun ou un seul parent est immigré. Ces difficultés ini- Les immigrés restent néanmoins plus tiales peuvent également être lues en exposés au risque de chômage, en termes d’appartenance à des classes partie du fait de leur moindre qualifi- sociales. L’Insee invite à ne pas sures- cation et des emplois plus précaires timer le poids des héritages familiaux : qu’ils occupent, mais aussi du fait de à origine sociale donnée, les descen- fins mécanismes de discriminations dants de migrants ont un destin social dont les sociologues ont décrypté les semblable à celui des autres personnes logiques. L’Insee note d’ailleurs qu’à nées en France. En outre les difficul- nationalité, diplôme et catégorie socio- tés scolaires constatées statistique- professionnelle comparables, le risque ment peuvent s’inverser, une partie des de chômage est fortement corrélé au familles immigrées investissant plus pays d’origine. Les taux de chômage fortement que la moyenne dans la sco- des immigrés venus d’Espagne, d’Ita- larité des enfants. lie ou du Portugal sont plus faibles que celui du reste de la population, alors En somme, ce que dessinent les sta- que les actifs originaires du Maghreb, tistiques c’est une différence moins d’Afrique subsaharienne ou de Turquie grande, et sur de nombreux points en connaissent un risque de chômage très voie de résorption, entre les immigrés élevé : chez les actifs de 25 à 59 ans, et le reste de la population, notam- plus d’un sur cinq est au chômage. La ment à l’intérieur des mêmes catégo- faiblesse des connexions sociales fait ries socioprofessionnelles. Les diffé- partie des explications repérées par les rences majeures concernent l’accès à sociologues du travail pour expliquer ce l’emploi (et le type d’emploi occupé), phénomène. ainsi que les types de logement occu- pés (ce qui conditionne largement les S’ils restent surreprésentés dans le lieux de résidence). Autant dire des monde ouvrier, cela va en s’atténuant, dimensions qui comptent, mais qui ce qui traduit aussi des dynamiques restent contingentes et invitent à rela- plus générales marquées par le déclin tiviser les lectures culturalistes insis- de l’emploi industriel. Mais ces dyna- tant sur la différence irréductible entre miques trouvent une traduction parti- les immigrés, notamment d’origine afri- culière en ce qui concerne les immi- caine ou maghrébine, et les autres. février/mars 2012 11
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz Délinquance et immigration Le regard des sociologues Par Richard Robert Objet de débat, d’inquiétude mais aussi de fantasme, le rapport entre immigra- tion et délinquance ne peut être esquivé. Si l’interprétation des statistiques reste complexe et délicate, comme le rappelle dans ce dossier l’économiste Tito Boeri, les sociologues travaillent depuis des années à construire des représentations intelligentes, capables de rendre compte des dynamiques sociales qui animent ce champ. Une synthèse de ces travaux a été 1999), observent ainsi les trafics de tentée par Laurent Mucchielli il y a drogues à la frontière franco-espa- déjà près de dix ans 1, sans que les gnole. Une étude approfondie leur per- recherches récentes ne remettent en met de souligner à quel point l’impli- cause les grandes lignes de l’analyse cation au plus haut niveau de jeunes sociologique du phénomène. L’en- hommes blancs issus de milieux aisés jeu de ce travail est à la fois de pré- est inconnue de la police qui se focalise ciser les contours d’une réalité socio- sur les revendeurs issus, pour la plu- logique, de déconstruire certaines part, de la communauté gitane. représentations (comme la « dérive mafieuse des cités »), et de travailler à Les policiers opèrent donc un tri social, reconstruire une interprétation plus fine, qui se double d’un « tri ethnique ». rendant mieux compte des logiques « À l’évidence, note Mucchielli, ces complexes qui peuvent infléchir des logiques sélectives expliquent direc- trajectoires individuelles ou des dyna- tement la surreprésentation des étran- miques sociales. gers dans la catégorie policière des violences et outrages à dépositaires de Les sociologues travaillent souvent à l’autorité (c’est-à-dire à l’endroit des partir de statistiques, mais une partie policiers). C’est là, en effet, la consé- de leur travail est d’interroger la façon quence la plus directe des pratiques dont les chiffres sont collectés (métho- policières de contrôle au faciès. » dologies, biais éventuels, etc.). Dans le cas de la délinquance, les statistiques On peut observer un phénomène ana- de police sont évidemment une des logue dans les pratiques des agents bases de l’analyse sociologique, mais des sociétés privées de surveillance. un travail mené sur le terrain permet Dans une recherche sur les pra- 1. L. Mucchielli, « Délinquance et immigration en France : un regard d’en mesurer les limites. Lamia Mis- tiques des agents de sécurité dans les sociologique », Criminologie, saoui et Alain Tarrius, dans Naissance grandes surfaces, Frédéric Ocqueteau vol. 36, n° 2, 2003, p. 27-55. d’une mafia catalane ? (Le Trabucaire, et Marie-Lys Pottier constatent ainsi lire la suite 12 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz que, lorsqu’un voleur à l’étalage est Dans ce second cas, il convient de dis- surpris, il a beaucoup plus de chances tinguer les faits et les représentations : d’être signalé à la police (par opposi- plus précisément, des faits relevant tion au règlement à l’amiable) lorsqu’il de la délinquance ordinaire, un jeu de est étranger. C’est avec ce constat en représentations autoproduites visant à tête que l’on peut examiner certaines suggérer la dangerosité, et les mouve- données, par exemple le fait que près ments sociaux informels dont les plus de la moitié des mis en cause pour vol visibles sont les émeutes urbaines. Ces à la tire sont étrangers. logiques se mêlent pour produire un faisceau de représentations associant Mais indépendamment de ces « filtres », des lieux et une partie de la jeunesse. une surreprésentation des étrangers Henri Rey le pointait déjà dans La Peur semble bien s’observer dans certaines des banlieues (Presses de Sciences activités criminelles ou délinquantes. Po, 1996) : il n’est pas exagéré de dire Laurent Mucchielli rappelle cependant que, dans l’univers ordinaire des repré- que le taux d’élucidation varie beau- sentations sociales, les jeunes d’ori- coup selon la nature de l’infraction. gine africaine (« Blacks » et « Beurs ») « Il faut se demander si les étrangers constituent une figure type du jeune ne sont pas surreprésentés pour cer- délinquant, tandis que comme l’ana- taines infractions mieux élucidées que lyse Manuel Boucher dans différents d’autres. Et c’est précisément le cas articles, les quartiers d’habitat social de la plupart d’entre elles. » Les étran- dans lesquels ils sont concentrés font gers sont ainsi nettement surreprésen- figure de zones dangereuses. tés en matière d’homicide et de ten- tative d’homicide, même s’il s’agit de S’entremêlent ici des dynamiques petits nombres d’affaires ; ils sont éga- sociales liées à la pauvreté et à l’ex- lement très nettement surreprésentés clusion, que Mucchielli nomme « une en matière de proxénétisme, mais il délinquance de miséreux » et dont s’agit d’affaires très peu nombreuses. son collègue Hugues Lagrange, dans Demandes de sécurité (Seuil, 2003), a Au total, comme le note Mucchiel- contribué à expliquer la logique écono- li, un examen rigoureux des statis- mique (la délinquance des populations tiques policières ne permet pas de les moins qualifiées s’accroît, relative- se faire une idée précise de la délin- ment, pendant les périodes de crois- quance des étrangers. Ces statistiques sance quand cette partie de la popula- invitent cependant à distinguer une tion voit s’accroître l’écart qui la sépare délinquance professionnelle des étran- du reste), et des stéréotypes classiques gers non-résidents (cas de la grande quant à la dangerosité de l’étranger. criminalité et des mafias qui opèrent Stéréotypes anciens et répandus dans à l’échelle internationale, notam- toute l’Europe, qui prennent en France ment dans le domaine du proxéné- une dimension spéciale car ils prennent tisme et du trafic de drogue) d’une aussi leur source dans un passé colo- délinquance d’étrangers résidents qui nial marqué par une relation de domi- s’apparente aux vols et aux violences nation (militaire, politique, économique, physiques classiquement observés culturelle). Comme le note Mucchiel- dans les couches les plus pauvres de li, « ces stéréotypes particulièrement la population. dévalorisants sont une source de diffi- lire la suite février/mars 2012 13
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz cultés supplémentaires pour une popu- cette construction ne le mène pas pour lation issue d’une vague d’immigration autant fatalement vers des pratiques et ouvrière déqualifiée et qui s’est retrou- a fortiori une carrière délinquantes. Ces vée piégée par la crise économique pratiques et ces éventuelles carrières au moment même où elle se stabilisait ne s’observent de façon spécifique que en France, par l’entremise notamment dans certains contextes locaux où les du regroupement familial. En orientant processus de ségrégation et de discri- tant les pratiques des institutions que mination se cumulent et s’enracinent les représentations que les acteurs ont dans la durée, se transmettant entre d’eux-mêmes, ces stéréotypes res- générations ». Les sociologues rap- semblent alors aux prophéties autoréa- pellent aussi que les éléments déter- lisatrices dont parlait Robert Merton ». minants de la délinquance juvénile des étrangers résidant en France et des C’est dans ce contexte que l’on peut Français nés de parents étrangers sont observer la construction de « carrières avant tout des problèmes familiaux délinquantes », orientées à la fois par et scolaires qui ne sont pas propres les représentations sociales et les à ces populations, mais sont compa- conditions économiques. Ces phéno- rables aux problèmes posés jadis par mènes constituent un fait social, avé- des populations françaises issues de ré et identifié. Mucchielli rappelle tou- l’exode rural ou par d’autres popula- tefois que, « même si tout jeune ayant tions ouvrières étrangères en période ce profil doit se construire psychique- de crise économique. ment en apprenant à gérer ce stigmate, 14 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz Fermeture et repli sur soi La fin du rêve français ? Entretien avec Esther Benbassa La tendance au repli sur soi qui marque la France depuis plusieurs dizaines d’années, et dont atteste la vigueur de l’extrême droite, n’est pas qu’un phéno- mène social et politique. Elle renvoie aux incertitudes d’une société qui a du mal à faire vivre le rêve qu’elle a su, un jour, incarner. Esther Benbassa revient sur ce phénomène qui constitue une inflexion majeure de l’Histoire de notre pays. Vous écrivez dans votre dernier livre son moral depuis plusieurs dizaines Esther Benbassa est qu’on ne sait plus « fabriquer des d’années. Une société qui, fondamen- vice-présidente de la Français ». Que voulez-vous dire talement, a du mal à se représenter commission des lois exactement ? son propre avenir. Et qui, par voie de du Sénat et enseigne Cette formule renvoie à deux réali- conséquence, a du mal à faire rêver, à l’École pratique tés qui s’articulent et se complètent. aussi bien sa jeunesse que celle qui vit des hautes études. La première, la plus immédiate, c’est ailleurs. Tout au plus parvenons-nous à Arrivée en France un ensemble de politiques publiques faire rêver les touristes ou à faire vivre à l’âge de 22 ans, ayant pour enjeu explicite ou implicite le souvenir de rêves anciens, à la façon elle suit depuis vingt de compliquer la tâche aux étrangers du film Midnight in Paris. ans l’évolution des qui entreprennent une démarche de politiques d’accueil naturalisation. Lourdeurs administra- des étrangers. Elle tives, inflation du nombre de pièces et a récemment publié durcissement des critères d’admissi- Le revers de la fermeture serait alors, De l’impossibilité de on, pouvoir discrétionnaire donné aux pour paraphraser les économistes, devenir Français (Les préfets, les exemples sont nombreux une « perte d’attractivité » ? Liens qui libèrent, et touchent toutes les catégories, des Oui. Prenez les États-Unis, une société janvier 2012). étudiants qui ont fait leurs études en qui elle aussi se débat dans les diffi- France aux travailleurs installés depuis cultés, qui est aujourd’hui traversée de des décennies. tensions sociales et s’interroge sur son modèle de développement. Malgré tout La seconde réalité participe d’une his- cela, le rêve américain continue à vivre, toire plus longue, d’un mouvement à animer les destins et à nourrir l’espoir engagé depuis quelques décennies des jeunes du monde entier. La France et qui est d’une certaine façon plus a su jadis incarner un autre rêve, et inquiétant, parce qu’il est moins réver- c’est sa capacité à faire rêver qui est sible. Il touche à la fermeture sur soi- mal en point. La rancune et le mal-être même d’une société inquiète, incer- qui dominent aujourd’hui ne sont que taine, aujourd’hui abattue par la crise l’aboutissement de ce qu’il faut bien mais plus profondément touchée dans appeler un déclin culturel. On fabrique lire la suite février/mars 2012 15
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux POINTS Points DE VUE de vue Repères Quizz moins de rêve aujourd’hui. On fabrique crispé à l’avenir contribue en retour à de moins beaux rêves. dégrader l’image de la France, à éroder le rêve français. Si l’on revient à la question de l’immigra- tion qui est le thème de cet entretien, il faut oser le dire : cette incapacité à faire rêver n’est pas sans conséquences. Que faire ? Quand on a des ambitions, ce n’est Vous l’aurez compris, la question n’est pas en France qu’on vient. Je l’ai vu pas seulement de rompre avec des à l’université il y a quelques années, politiques inspirées plus ou moins quand j’enseignais à la Sorbonne : par- directement par la concurrence entre mi nos étudiants marocains, certains la droite et le Front national. Elle est de avaient été recalés à l’université de faire respirer notre société et de lui don- Rabat. D’autres ne viennent en France ner confiance et espoir. C’est d’un véri- que parce que l’université est gratuite. table projet politique que nous avons C’est un choix par défaut. besoin, qui passe par une politique de la jeunesse, une politique de la ville. Cela nous conduit à une immigration déséquilibrée : une immigration pauvre, Si l’on veut être plus précis, on peut comme dans tous les pays riches, mais identifier quelques pistes précises, sans réelle immigration d’élites, à la dif- l’université et l’accueil des étudiants férence des États-Unis notamment. Or étrangers par exemple. Mais cela cette deuxième dimension est essen- amène à poser des questions de fond tielle, aussi bien pour enrichir un pays comme la qualité de l’enseignement (Picasso, Marie Curie…) que pour offrir universitaire, mais aussi à ouvrir des des modèles d’intégration. dossiers brûlants, comme la quasi-gra- tuité des frais d’inscription : si c’est la En cela les maux propres de la France seule raison qui amène des étudiants et son problème avec l’immigration se à choisir la France, alors on peut s’in- retrouvent : ils renvoient à une ferme- terroger, sachant par ailleurs qu’elle ture sur soi des élites, qui font tout pour contribue à nourrir un système à deux ne pas se renouveler et se ferment aus- vitesses où les meilleurs étudiants filent si bien aux Français les plus modestes ailleurs quand ils en ont la possibilité. et à ceux issus de l’immigration qu’aux migrants. Entre le malthusianisme des Deuxième piste, une valorisation cultu- grandes écoles et la qualité dégradée relle qui passe aussi par une politique de l’université, il n’y a guère d’espace plus ambitieuse pour accueillir des par où se faufiler dans les cercles de artistes. Il ne s’agit pas de faire venir la réussite. Et tout cela s’inscrit dans la des touristes, même si c’est une acti- perspective plus globale d’un pays qui vité respectable, mais bien de redon- n’aime pas sa jeunesse, la condamne à ner à notre pays l’aura, le dynamisme des statuts précaires, à vivre dans des qu’il a perdus. conditions dégradantes, la condamne à ne pas pouvoir percer. Au-delà, il s’agit de revaloriser la France, d’oser faire vibrer des rêves. La relation aux immigrés s’inscrit ainsi Mais revaloriser la France, ce n’est pas dans un problème général de rapport la refermer, c’est au contraire lui don- à l’avenir, à la jeunesse. Et ce rapport ner la force de s’ouvrir et d’attirer la jeu- lire la suite 16 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz nesse du monde. Le néonationalisme ont les yeux rivés sur Marine Le Pen, qui se donne comme un projet politique alors qu’elle distille le découragement. n’est en fait qu’une façon de colmater Ce n’est pas en s’alignant sur son dis- les brèches. Produire français, acheter cours que l’on recréera de l’espoir. français… Les politiques de tout bord février/mars 2012 17
QUElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux Points DE POINTS de vue VUE Repères Quizz Le mythe de l’intégration à la française Les travaux de Gérard Noiriel Par Richard Robert Le débat sur l’immigration est faussé par la représentation idéalisée d’un modèle d’intégration « républicain », qui aurait parfaitement fonctionné pendant des décennies avant d’entrer en crise – une crise associée au ralentissement éco- nomique consécutif à la fin des Trente Glorieuses mais aussi, insidieusement, à des populations immigrées qu’il serait aujourd’hui plus difficile d’intégrer, du fait de leur origine ethnique ou de leurs caractéristiques culturelles ou religieuses. Historien, professeur à l’École des aussi à remettre en cause l’idée d’un hautes études en sciences sociales, « mythe du retour », qui voudrait que Gérard Noiriel appelle à prendre en les migrants du travail croient rentrer compte le fait que si beaucoup d’immi- un jour au pays alors qu’ils sont instal- grés du début du XXe siècle sont restés lés, sans s’en rendre compte, pour de en France et ont fait souche, avec des bon. En réalité, beaucoup sont venus représentants aujourd’hui parfaitement et repartis. Et beaucoup sont venus, intégrés (plus de 30 % des Français qui pensaient s’installer pour de bon, et d’aujourd’hui comptent un ou plusieurs sont repartis – confrontés à la xénopho- étrangers parmi leurs ancêtres identi- bie et parfois à la violence. fiables), beaucoup aussi ont repris la route, le plus souvent pour les États- Cette violence xénophobe a parfois été Unis. Si l’on ne prend pas en compte ce physique, comme le montre l’histoire fait, on manque une part considérable des migrants polonais et italiens des de l’histoire de l’immigration en France régions industrielles. Mais ils ont aussi – et la part la plus complexe, la plus été l’objet d’une oppression sociale, qui conflictuelle, celle qui met en œuvre le trouvait ses garanties et sa puissance rejet, la difficulté à s’adapter, le décou- dans les lois régissant le marché du tra- ragement, l’échec économique. vail sous la Troisième République. De nombreuses recherches récentes Confinés dans les activités les plus dif- font valoir que la grande majorité des ficiles (les mines en particulier), souvent étrangers qui ont immigré vers la France surexploités et parfois brutalisés car ils dans le passé n’y sont pas restés. Par- n’étaient pas en position de faire-valoir mi eux, une bonne partie des réfu- leurs droits – notamment face aux vio- giés politiques de l’entre-deux-guerres, lences policières –, interdits d’entrée des Russes aux Espagnols en pas- sur le territoire dans les périodes de sant par les juifs ayant fui l’Allemagne récession, les migrants apparaissent nazie. Mais à côté de cette dimen- comme des travailleurs officiellement sion politique, les historiens appellent « de seconde zone ». lire la suite 18 février/mars 2012
QuElle pOlitique de l’immigrAtion ? Introduction Enjeux POINTS Points DE VUE de vue Repères Quizz Ils ont en outre été confrontés à un ima- vraiment développé de projet politique ginaire dévalorisant, qui est le revers de d’insertion des migrants. L’intégration l’universalisme à la française. Face à a d’abord été un fait social avant d’être une société française qui se vit comme un projet politique. Et la réussite sociale universelle, supérieure, centrale, les de l’intégration a été largement condi- autres sociétés européennes sont tionnée à l’état de l’économie : pendant perçues comme imparfaites, moins un siècle, les phases d’expansion ont rayonnantes, voire sous-développées donné naissance à de nouvelles vagues et en échec. Les migrants sont ainsi d’immigration et celles-ci ont en retour perçus comme les représentants de favorisé la mobilité sociale ascendante mondes en échec. « Ritals », « Polaks » de ceux qui étaient déjà installés en et « Espingos », comme plus tard les France. « Sidis », sont vus comme des ratés issus de mondes ratés (cf. Immigration, Si projet politique il y a, c’est avant tout antisémitisme et racisme en France, celui de l’intégration des classes popu- XIXe-XXe siècle. Discours publics, humi- laires dans la République, via leur par- liations privées, Hachette, 2009). ticipation à la vie politique et au déve- loppement de la protection sociale. Les travaux de Gérard Noiriel sur les Mais cette construction, indissociable immigrations polonaise et italienne en de celle de l’État-nation, a ses limites : Lorraine invitent également à relativiser « Jusqu’à la fin du Second Empire, la l’imaginaire de la solidarité ouvrière, qui ligne de fracture fondamentale était n’est pas fictif mais dont les limites sont d’ordre sociologique, opposant le évidentes. À l’unité rêvée d’une « classe monde des notables aux classes labo- ouvrière » ouverte et généreuse s’op- rieuses et dangereuses. Ces dernières posent des logiques de repli sur soi, n’avaient pratiquement aucun droit. Le de xénophobie, et surtout un imagi- fait que leurs membres soient français naire social foncièrement hiérarchique ou étrangers était donc sans impor- qui amène les Français à savourer la tance. Mais, à partir du moment où le « supériorité » que leur confère leur peuple dispose de droits politiques et nationalité ou leur meilleure maîtrise de sociaux, il devient nécessaire d’éta- la langue. blir une discrimination radicale entre ceux qui appartiennent à l’État fran- L’alternative au mépris était souvent çais et les autres. » Se développe alors d’une certaine façon l’oubli de ses ori- une logique de ségrégation : « L’étran- gines, avec un « modèle » d’intégra- ger est alors défini de façon négative. tion qui allait de pair avec une adhésion C’est celui qui ne possède pas les pleine et entière, un enthousiasme de droits consentis aux nationaux. » (« La commande pour le projet national. Il y a République et ses immigrés. Petite his- dans ce modèle, bien différent en cela toire de l’intégration à la française », Le de l’expérience américaine du melting- Monde diplomatique, janvier 2002). pot même si celle-ci n’est pas dénuée d’ambiguïté, une dimension de violence Cette ségrégation, explique Gérard culturelle. Noiriel dans État, nation et immigra- tion. Vers une histoire du pouvoir (Belin, Enfin, Gérard Noiriel invite à recon- 2000), a existé dans tous les pays sidérer l’idée même d’un « modèle » démocratiques modernes mais elle a d’intégration. Il rappelle qu’avant les pris en France une dimension plus radi- années 1970, la République n’a jamais cale, du fait de la nature particulière de lire la suite février/mars 2012 19
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