La gestion médicale de la parenté trans en France Medical Management of Trans Parents in France - Érudit
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Document generated on 05/31/2020 4:24 p.m. Enfances, Familles, Générations La gestion médicale de la parenté trans en France Medical Management of Trans Parents in France Laurence Hérault Homoparentalités, transparentalités et manifestations de la diversité Article abstract familiale : les défis contemporains de la parenté This article investigates how trans people are received in assisted reproductive Number 23, Fall 2015 technology centres (ART) in France and, more broadly, how procreation among trans people is currently regarded and managed by French medicine. It will URI: https://id.erudit.org/iderudit/1034206ar analyze how sperm and egg banks serve couples formed by trans people, DOI: https://doi.org/10.7202/1034206ar before exploring more in depth how the issue of pre-transition gamete preservation is considered. It will endeavour to understand in particular how, in various medical contexts, transgender parents’ attempts to conceive are See table of contents specifically viewed as problematic even though they differ in no way from ordinary ART methods. In other words, what are the procedures and methods that make it a problem? Publisher(s) INRS-UCS ISSN 1708-6310 (digital) Explore this journal Cite this article Hérault, L. (2015). La gestion médicale de la parenté trans en France. Enfances, Familles, Générations, (23), 165–184. https://doi.org/10.7202/1034206ar Tous droits réservés © INRS-UCS, 2015 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
no 23, 2015, p. 165-184 www.efg.inrs.ca La gestion médicale de la parenté trans en France Laurence Hérault Chargée de recherche Professeure d’anthropologie Aix Marseille Université, CNRS, IDEMEC (France) herault@mmsh.univ-aix.fr Résumé Cet article s’intéresse à la manière dont les personnes trans sont accueillies dans les centres de PMA (procréation médicalement assistée) en France et plus largement à la façon dont la procréation des per- sonnes trans est actuellement pensée et gérée dans le cadre médical français. On analysera ainsi com- ment les CECOS (centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) ont pris en charge les couples formés par des personnes trans, avant d’explorer plus attentivement la manière dont est actuellement prise en compte la question de la préservation des gamètes avant la transition. On s’atta- chera notamment à saisir comment, dans ces différents cadres médicaux, la parenté transgenre, et plus particulièrement l’engendrement par des personnes trans, est constituée de façon problématique et spé- FL¿TXHDORUVPrPHTX¶HOOHQHVHGLVWLQJXHHQULHQGHVPRGDOLWpVRUGLQDLUHVGHSURFUpDWLRQHQ30$,O s’agira autrement dit de comprendre par quelles procédures et quels dispositifs elle est faite problème. Mots clés : transgenre, transsexuel, parenté, PMA, Académie de médecine, France Abstract Medical Management of Trans Parents in France This article investigates how trans people are received in assisted reproductive technology centres (ART) in France and, more broadly, how procreation among trans people is currently regarded and managed by French medicine. It will analyze how sperm and egg banks serve couples formed by trans people, before exploring more in depth how the issue of pre-transition gamete preservation is considered. It will endeavour to understand in particular how, in various medical contexts, transgender parents’ attempts WRFRQFHLYHDUHVSHFL¿FDOO\YLHZHGDVSUREOHPDWLFHYHQWKRXJKWKH\GLIIHULQQRZD\IURPRUGLQDU\$57 methods. In other words, what are the procedures and methods that make it a problem? Keywords: transgender, transsexual, parenting, ART, Académie de médecine, France La parenté transgenre est une question nouvelle sans doute pas inédite, l’expérience transgenre de à la fois dans l’espace public et dans l’espace la parenté devient plus visible, et cette présence académique contemporains10rPHVLHOOHQ¶HVW nouvelle a sans doute des raisons historiques qui tiennent, entre autres, à l’acceptation sociale des /HV WUDYDX[ VH VRQW HVVHQWLHOOHPHQW GpYHORSSpV transitions et au développement des techniques ces dernières années, que ce soit en médecine ou en sciences humaines et sociales. Voir entre autres Green Hines (2006), Pyne (2012), Ryan (2009), Veldorale- (1998), Freedman et al. (2002), Haines et al. (2014), Brogan (2012), White et Ettner (2007).
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 de reproduction assistée. L’enquête menée en récemment hors de la stricte sphère des équipes France par Alain Giami en 2009 montre que médicales concernées. En l’absence d’enquête 48 % des personnes trans interrogées avaient précise, il est difficile d’avoir une idée, même des enfants, que 14 % souhaitaient en faire et simplement quantitative, des demandes d’aide 20 % en adopter (Giami, 2014). Mais ces projets à la procréation émanant de personnes trans en parentaux, souvent envisagés désormais après France. Les données dont nous disposons sont la transition, ne rencontrent pas un égal accueil celles qui proviennent de l’équipe de l’hôpi- de la part des équipes médicales, que celles-ci tal Cochin à Paris, qui a publié récemment ses soient spécialisées dans la prise en charge des résultats4. Cette équipe a reçu 86 demandes5 « troubles de l’identité de genre » ou qu’elles se émanant de couples formés d’un homme trans consacrent à la médecine reproductive. Pour un et d’une femme cisgenre6. Selon Pierre Jouannet certain nombre de médecins, la parenté trans2, (2014), la première demande, faite en 1987, a et plus particulièrement la question de l’engen- été traitée comme celles des autres couples drement par des personnes trans, semble poser reçus habituellement ; elle a permis la naissance problème. En France, l’accueil des hommes de deux filles, aujourd’hui âgées d’une ving- trans dans les CECOS (centres d’étude et de taine d’années. La deuxième demande, faite en conservation des œufs et du sperme humains3) 1990, a été également acceptée, mais le couple a entraîné une réflexion éthique notable depuis s’est séparé avant qu’une grossesse soit amor- deux décennies, de même que les demandes cée. À partir de 1995, les demandes se sont d’autopréservation de sperme par des femmes multipliées, et l’équipe s’est posé la question trans suscitent actuellement la controverse. de la prise en charge de ces couples. Une pre- Cette question de l’engendrement trans est donc mière réflexion a été conduite à l’interne, puis un lieu intéressant pour essayer de comprendre au sein de la Fédération des CECOS, et enfin la manière dont le médical et le politique se sai- en 1998-1999 dans le cadre de l’Espace éthique sissent de ces « nouvelles » formes de parenté. de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris La question n’étant pas tant de savoir quels sont (AP-HP). À l’issue de ce processus, un proto- les problèmes posés par la parenté trans mais cole particulier a été mis en place pour l’accueil plutôt d’essayer de saisir comment celle-ci est de ces couples : « à l’entretien psychologique faite problème. habituel est ajouté un deuxième entretien avec un psychiatre ayant l’expérience du transsexua- 1. L’accueil des hommes trans lisme. Et il est proposé aux futurs parents un dans les CECOS suivi clinique prospectif des enfants à naître, qui est organisé dans le service de pédopsychiatrie Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de l’Hôpital Necker-Enfants malades » (Chiland l’accueil de personnes trans dans les CECOS et al., 2013 : 102). pour une procréation médicalement assistée (PMA) n’est pas récent, bien qu’il ait émergé 4 . En l’absence d’autres travaux, nous nous centrerons sur les publications de cette équipe : Chiland et al. (2013), 2 . Les termes trans et transgenre seront considérés ici Jouannet (2014). comme synonymes, dans la mesure où ils sont compris 5 . Sur ces 86 demandes, 20 n’ont pas été confirmées et 5 tous les deux comme des termes génériques englobant ont été refusées. Parmi les 57 couples qui ont débuté une l’ensemble des personnes ayant expérimenté une transi- insémination avec donneur (IAD), 32 ont eu au moins un tion de genre, quelle qu’elle soit. enfant ; 46 enfants étaient nés en 2012 (Jouannet, 2014). 3 . Il existe une vingtaine de CECOS en France, implan- 6 . Formé à partir du préfixe cis- (antonyme de trans-), tés dans des centres hospitaliers universitaires et grou- qui désigne ce qui est « en-deçà ou dans la limite de », pés en fédération. Les CECOS sont chargés de la ges- le terme cisgenre est utilisé de plus en plus souvent pour tion des dons de gamètes et des PMA. qualifier les personnes ou les expériences « non trans ». 166
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 Selon l’historique retracé par Pierre Jouannet, médicale, son traitement a abouti à une déci- on peut donc distinguer deux phases dans la sion qui s’est faite sans doute essentiellement à prise en charge des personnes trans au CECOS partir de la situation des intéressés, c’est pour- de Cochin : une première étape où les demandes quoi Pierre Jouannet dit qu’ils ont été traités sont peu nombreuses et traitées au cas par cas, et « comme les autres couples ». Leur cas a été pris une autre où elles se multiplient et donnent lieu en considération dans sa singularité même, ce à un questionnement éthique puis à la mise en qui amène à penser que la prise en charge est place d’un protocole spécifique, cette deuxième envisagée ici comme pionnière : elle est une ten- étape s’inscrivant en outre dans le contexte de tative face à une situation inédite. La deuxième la loi de bioéthique de 19947. Deux éléments demande s’inscrit dans le même processus : elle paraissent donc distinguer ces deux temps : n’est qu’une autre version d’une situation déjà d’une part, le volume des demandes (puisqu’on rencontrée, et la première expérience acquise passe de cas « anecdotiques » à des cas qui, tout permet de la traiter d’une manière semblable en restant très minoritaires, semblent « faire et peut-être plus assurée. Les demandes ulté- nombre ») et, d’autre part, l’enca drement rieures, qui sont dites multipliées, changent la bio-médico-éthique des demandes, puisqu’au donne. Derrière les individus, il semble qu’on cours des années 1990, la réflexion éthique perçoive alors une « population » : les nou- a débouché sur un protocole particulier (qui velles requêtes ne sont plus lues comme celles s’impose aux personnes trans en plus des dis- de couples où le partenaire masculin est dans positions légales et générales qui s’appliquent à une situation inédite (il n’est pas stérile pour les tous les demandeurs). Ce protocole est, par ail- raisons « habituelles ») mais plutôt comme éma- leurs, pensé comme étant expérimental, c’est-à- nant d’un groupe de personnes pour lesquelles dire qu’il doit permettre à moyen ou long terme la PMA est un recours évident lorsqu’elles la mise en place d’une prise en charge éclairée, souhaitent être parents. Autrement dit, elles ne éventuellement généralisable : sont plus perçues comme des demandes singu- Le suivi de l’enfant ou des enfants à naître pro- lières, mais comme des « demandes d’espèce » posé lors des premiers entretiens visait à appré- en quelque sorte. C’est sans doute pourquoi les cier les conséquences bénéfiques ou néfastes de ressources (réflexives, délibératives, expérien- ce programme, et soit l’étendre et convaincre tielles, etc.) propres à l’équipe ne semblent plus nos collègues réticents d’ouvrir un tel pro- suffire pour les traiter : il faut une mobilisation à gramme dans leur Cecos si les résultats étaient l’extérieur et en plus grand nombre pour établir favorables, soit le stopper si les résultats étaient une ligne de conduite assurée. On passe alors néfastes (Chiland et al., 2013 : 103). d’une prise en charge pionnière conçue comme Il semble important d’examiner ces deux une « procédure tentative » (éventuellement éléments centraux du processus d’accueil. La renouvelée) à une prise en charge expérimen- question du nombre des demandes est à la fois tale où l’essai (ce qui est tenté) est inscrit dans secondaire et fondamentale, car on voit bien une série d’épreuves visant à vérifier et contrô- comment les médecins ne sont guère en peine ler la démarche en vue d’une éventuelle généra- devant un cas singulier : s’il a probablement lisation. Il est donc important de comprendre ce suscité une discussion à l’intérieur de l’équipe qu’impose le cadre bio-médico-éthique dans ce contexte, à la fois dans sa dimension légale et 7 . Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à dans sa dimension spécifique. l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnos- tic prénatal. Des éléments d’information concernant son contenu seront apportés au fur et à mesure dans le texte. 167
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 1.1. Produire éthiquement l’infertilité ce que l’équipe médicale ne semble d’ailleurs des hommes trans pas avoir remis en question. Pourtant, celle-ci a été semble-t-il perturbée par leur situation au La loi de bioéthique de 1994 définit, entre point de leur demander de subir une hystérec- autres, les conditions d’accès à la PMA : la tomie-ovariectomie (ce qu’ils ont fait apparem- demande doit émaner d’un couple hétérosexuel, ment sans problème) avant d’entamer l’IAD dont l’infertilité a été médicalement diagnosti- qu’ils souhaitaient. On voit donc l’hystérecto- quée ; ce couple doit en outre être marié ou jus- mie-ovariectomie devenir ici, très paradoxale- tifier d’au moins deux ans de vie commune et ment, un critère d’inclusion dans le protocole être en âge de procréer. Pour répondre à cette de PMA, et ce, bien au-delà du simple cadre contrainte légale, le CECOS de Cochin n’a pris légal : « le deuxième critère d’inclusion dans le (et ne prend) en considération que les demandes protocole était lié au sens de la démarche faite des couples où le changement d’état civil de par cet homme pour devenir père. Afin d’éviter l’homme a été prononcé. Cette décision ren- toute ambiguïté ou incohérence, il nous a sem- voie cependant à des aspects implicites qu’il blé souhaitable qu’il y ait eu une ovariectomie est important d’explorer. Pour les saisir, il faut et une hystérectomie afin d’éviter de mener un d’abord rappeler qu’en France, la procédure de projet de maternité similaire à celui de Thomas modification du sexe à l’état civil se fonde sur Beatie » (Jouannet, 2014 : 119). L’idée d’inco- une jurisprudence établie au début des années hérence et d’ambiguïté évoquée ici ainsi que 1990 par la Cour de cassation, qui impose les la mention de l’expérience de Thomas Beatie8 critères suivants pour faire droit à la demande : renvoient à la manière dont sont appréhendées présenter un syndrome de transsexualisme et les capacités d’engendrement des corps trans, avoir subi un traitement médico-chirurgical et plus globalement à la manière dont sont pen- induisant des modifications corporelles irréver- sées les personnes trans. Ces ovaires et ces uté- sibles (irréversibilité associée, le plus souvent, rus, pourtant non fonctionnels et a priori non par les juges à l’ablation des organes génitaux mobilisés, dont on exige l’ablation sont aussi d’origine). En conséquence, la majorité des à replacer, me semble-t-il, dans le cadre de la hommes trans ayant changé d’état civil ont subi, représentation pseudo-thérapeutique habituelle de façon volontaire ou contrainte, une hysté- de la PMA (Théry, 2010). Alors même que rectomie et une ovariectomie. Ces dernières cette médecine de la reproduction est très large- années cependant, l’exigence de stérilisation ment palliative (car loin de guérir des stérilités pour l’obtention du changement d’état civil ou des infertilités individuelles, elle s’attache n’est plus aussi systématique (pour diverses plutôt à permettre à des personnes ne pouvant raisons qu’il serait trop long de développer ici), procréer ensemble d’avoir les enfants qu’elles si bien que certains hommes n’ont pas subi les souhaitent), elle s’est depuis l’origine pensée opérations citées. Cela a d’ailleurs été le cas de comme thérapeutique, ce que la loi a d’ailleurs deux hommes ayant fait une demande de PMA entériné. Il se pourrait que l’injonction de sté- avec leur compagne. Contrairement aux autres, rilisation faite aux hommes trans s’inscrive ces hommes n’étaient donc pas « irréversible- dans une tentative de préservation de ce modèle ment » stériles, mais la testostérone qu’ils pre- pseudo-thérapeutique, au moment même où sa naient régulièrement les rendait bien tels ; en outre, ils ne pouvaient de quelque manière que 8 . Homme trans américain marié à une femme cisgenre ce soit faire un enfant avec leur partenaire. En qui, entre 2008 et 2012, a porté et mis au monde ses trois enfants après sa transition et son changement d’état civil. ce sens, ils répondaient bien à l’exigence légale Pour plus d’informations sur son expérience voir Hérault d’une infertilité médicalement diagnostiquée, (2014a et 2014b). 168
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 caractérisation est remise en question par de Bristol (2000). Elles sont également au centre multiples revendications (accès des femmes de la controverse qui oppose Patricia Baetens seules, des couples de même sexe, des femmes (Centre de médecine reproductive de Bruxelles) ménopausées, etc.). Quoi qu’il en soit, ces réti- et Petra De Sutter (Centre de médecine repro- cences et ces exigences des médecins invitent à ductive de Gand) sur la question des modalités interroger plus particulièrement l’encadrement d’accès des hommes trans à la PMA (Baetens et bio-médico-éthique des personnes trans deman- al., 2003 ; De Sutter, 2003). La première étape deuses de PMA. de toutes ces démarches éthiques s’ouvre ainsi sur une discussion concernant la caractérisa- 1.2. Éthique et pathologisation des tion du trouble de l’identité de genre (TIG)9 et hommes trans vise à le distinguer de troubles psychopatholo- giques, notamment la psychose, comme le fait De manière générale, les réticences qui sont à la psychiatre mobilisée par l’équipe de Cochin. l’origine de la réflexion médico-éthique qui On voit bien cependant que le propos de cette s’est développée dans les années 1990 renvoient dernière, pour rassurer les autres médecins et toutes, d’une part, à la conception pathologique intervenants, consiste moins à dépathologiser des personnes trans et, d’autre part, à la mise en la situation des personnes trans (elles ne pré- doute de leur capacité à s’inscrire de manière sentent pas de troubles) qu’à établir un diagnos- adéquate dans la filiation et la parentalité : tic différentiel (le « problème » du transsexua- Lors des réunions […], les réticences exprimées lisme ne doit pas être confondu avec d’autres à l’égard du projet ont pu être levées. La pre- psychopathologies). On comprend alors que la mière réticence portait sur la nature du trans- consultation supplémentaire avec un spécialiste sexualisme considéré par certains comme une du transsexualisme prévue dans le protocole psychose. L’un des participants (Chiland) sou- expérimental proposé a pour objectif d’établir ligna que, si les transsexuels posaient un pro- blème par le refus de leur sexe biologique en ou de réaffirmer ce diagnostic préalable : il faut l’absence de tout signe de différences du déve- s’assurer que ces personnes qui ont réalisé une loppement du sexe telles que sont capables de transition et qui de ce fait ont déjà subi diverses les identifier les moyens actuels d’investigation, évaluations diagnostiques avant d’accéder aux ils n’étaient ni de « grands psychotiques », ni des opérations présentent bien un TIG. C’est aussi ce schizophrènes. Une deuxième réticence tenait à que propose de manière plus explicite l’équipe l’interrogation sur la capacité des transsexuels de Bruxelles en se référant à l’idée développée FM de se conduire en père ; il fut dit qu’on pou- vait augurer au contraire qu’ils pourraient assu- dans les années 1970 d’un « vrai transsexua- mer cette fonction à partir des constats faits lors lisme » : « consequently, it could be argued that d’une enquête catamnestique (Chiland, 2011) : a multidisciplinary team of specialists should des transsexuels FM revus longtemps après la carry out the diagnosis for gender identity transformation hormono-chirurgicale et ayant disorder in order to be sure that DI [donor inse- épousé ou vivant avec des femmes déjà mères mination] is requested by true transsexuals » se sont révélés des beaux-pères compétents et (Baetens et al., 2003 : 282). Autrement dit, bien acceptés de leurs beaux-enfants (Chiland et al., 2013 : 101). comme dans le cas du changement d’état civil, on peut affirmer que l’attestation par un spé- Ces réticences ne sont pas propres à l’équipe cialiste de la caractérisation psychiatrique des de Cochin : on les retrouve dans les quelques hommes trans est nécessaire pour obtenir une textes publiés sur la question, notamment celui proposé par Brothers et Ford du Centre 9 . Dans le texte de Chiland et al. (2013), c’est le terme de médecine reproductive de l’Université de transsexualisme qui est utilisé préférentiellement. 169
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 aide médicale à la procréation ; ce que montre l’insémination des transsexuels. J’ai commencé également cette lettre d’un directeur de CECOS à suivre Camille Coutin en 1989. [Suit une des- cription de son cas et du suivi réalisé.] Je pense à un psychiatre spécialisé dans les TIG10 : qu’à l’heure actuelle, s’il demande une insémi- Tu connais parfaitement bien Camille Coutin11 nation nous sommes dans un cas de sécurité bien que tu as très longtemps suivi pour transsexua- plus grand que dans celui de nombreux couples. lisme. Ce patient vit depuis de longues années Ce qui me gêne beaucoup dans la position des maritalement et souhaite une insémination arti- CECOS vis-à-vis de cette insémination c’est ficielle avec sperme de donneur. La position des de remettre en question tout un travail préa- CECOS était jusqu’à maintenant extrêmement lable qui a abouti à la décision d’intervention négative. Elle semble évoluer sous l’impulsion [hormono-chirurgicale]. […] Si la position du de P. Jouannet. Nous entamons localement une CECOS veut bouger, certains d’entre nous qui réflexion sur ce problème et ton opinion me serait travaillons sur les transsexuels pourrions parti- particulièrement utile concernant ce malade que ciper à une réunion de travail avec le CECOS tu connais bien (lettre du 19 oct. 1999). sur le transsexualisme. Cela serait sûrement fort « fertile ». Je te remercie de me tenir au courant On voit bien ici les effets concrets de la défi- de la suite des évènements et de la décision qui nition psychopathologique de la transidentité : a été prise pour Camille (lettre du 22 oct. 1999). l’intervention d’un psychiatre devient un élé- Cette position de facilitateur n’est pas déta- ment clé de l’ensemble des projets de vie des chable de celle de gardien attentif : les deux vont personnes trans, qu’il s’agisse de réaliser une de pair, comme le suggère le rôle de Colette transition, de changer d’état civil ou bien encore Chiland dans le protocole de Cochin, où elle de faire un enfant. En ce sens, on peut dire que intervient dans les groupes de discussion pour la force du TIG tient moins dans un consensus lever certaines craintes de ses collègues, mais et une stabilité définitionnelle (puisqu’il est participe aussi à l’évaluation des demandes des l’objet de controverses renouvelées depuis plu- couples et à celle de leurs enfants conçus par sieurs décennies) que dans la manière dont il IAD. Car les réticences ne concernent pas uni- s’impose, avec régularité et constance, dans la quement, comme nous l’avons vu, le transsexua- vie des intéressés. Par ailleurs, ce rôle de sésame lisme des pères en soi, mais également les effets du TIG donne au psychiatre spécialisé un pou- de celui-ci sur les enfants comme le suggère voir considérable sur les vies trans : il est à la le texte de Patricia Baetens, qui insiste sur la fois l’allié investi (qui a l’autorité nécessaire nécessité d’un suivi des enfants12 : « Transsexual pour rendre possibles les projets élaborés) et le parenthood raises a lot of questions about gardien attentif (qui a de fait un droit de regard the consequences for the children. Follow-up sur ces mêmes projets). En alliés investis, ces research of the children raised in households psychiatres vont être, à l’instar de C. Chiland, with a transsexual father is therefore essential » des rouages essentiels de l’ouverture de la PMA (Baetens et al., 2003 : 285). En ce domaine, aux hommes trans, que ce soit individuellement d’ailleurs, les réticences et les questions s’expri- ou collectivement, comme le montre d’ailleurs ment de manières diverses, mêlant des interro- la réponse du psychiatre interpellé dans la lettre citée précédemment : 12 . Le texte de De Sutter, en revanche, semble consi- Je suis très content de l’avis que tu me demandes dérer comme inutile ce type de suivi : « Let us not forget that some 30 years ago the exact same discussion took concernant Camille Coutin, car cela me permet place concerning gay and lesbian couples. These people de pouvoir exprimer mon opinion par rapport à also were believed not to be fit to be good parents and Society was also very hostile to them. Many studies have 10 . L’échange cité provient d’une enquête de terrain que now shown that these concerns were not justified. We j’ai réalisée au milieu des années 2000. should not make the same mistake twice » (De Sutter, 11 . Le nom a été modifié. 2003 : 382). 170
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 gations sur la capacité paternelle de ces hommes se développent bien ; en particulier, ils n’ont (seront-ils des pères ? de bons pères ?) et sur le pas de troubles de l’identité sexuée » (Chiland développement psycho-affectif et l’inscription et al., 2013 : 103). Quand on entre dans le détail sexuée de leurs enfants (seront-ils des garçons de l’évaluation, on voit même que ces hommes et des filles normaux ?). Le suivi mis en place sont des pères à la page sachant combiner « une à Cochin pour y répondre est dit qualitatif : il conception traditionnelle et une conception propose des rencontres avec les parents et leur moderne du père : le père pense qu’il doit exer- enfant tous les deux ans, rencontres comprenant cer l’autorité, mais, en même temps, il est un trois entretiens (avec une psychiatre spécialisée “nouveau père” qui s’occupe beaucoup de son en TIG, une psychologue et une psychomotri- bébé. Lors d’un entretien, nous avons vu l’un cienne), une observation des enfants (en interac- d’eux apaiser son petit enfant avec une tendresse tion avec leurs parents puis seuls) par la psycho- et un talent impressionnants » (ibid. : 109). Il est logue et la psychomotricienne, pendant laquelle également mentionné qu’ils s’inscrivent dans la sont proposés des jeux interactifs et la réali- paternité de façon exclusive et qu’il n’y a, pour sation de dessins. Ce suivi, qui est loin d’être eux et pour leurs enfants, aucune ambiguïté anodin puisqu’il met les enfants directement en quant à leur rôle parental : « en aucun cas, le scène et en situation de consultation, a semble- père n’est une seconde mère. […] Les jeux du t-il suscité l’adhésion des couples13, bien qu’on père avec son enfant sont différents des jeux de puisse s’interroger sur les raisons de celle-ci : la mère avec l’enfant. […] l’enfant ne confond volonté de participer à l’expérience pour faci- absolument pas père et mère » (id.). En ce qui liter l’ouverture de l’ensemble des CECOS aux concerne les enfants, le tableau semble égale- personnes trans ? Ou bien occasion de soutien ment rassurant : ces enfants sont dits normaux dans un rôle parental non encore expérimenté ? et cette normalité est soigneusement détail- Ou encore perspective d’une démarche facili- lée – « leur développement psychomoteur est tée en cas de nouvelle demande d’IAD ? Quoi normal », « leur développement cognitif se situe qu’il en soit, c’est bien la capacité paternelle dans la norme » (ibid. : 115) – et réitérée notam- des hommes qui est l’objet de l’attention ainsi ment pour ce qui concerne la sexuation : que les effets sur les enfants de la pathologie qui Pour l’équipe psychologique qui les a vus, ce fut serait la leur. un plaisir de recevoir des enfants « normaux », tels qu’on souhaite en avoir, sans retard de 1.3. La parentalité des hommes trans à développement, sans symptômes inquiétants, qui sont vraiment des garçons ou des filles l’épreuve des normes sexuées et de la sans […] dysphorie de genre. nosographie psychiatrique […] Pour tous, nous notons une bonne représen- tation du schéma corporel, la différenciation des L’exposé des résultats de l’équipe de Cochin sexes et des générations est bien perçue. est d’emblée « rassurant » : « Les principaux […] Quant à l’identité sexuée, nous avons vu enseignements de cette étude montrent que les des petits garçons et des petites filles, et non pas pères transsexuels se conduisent en “nouveaux des androgynes ou des transgenres. Aucun refus pères” attentifs et compétents, et que les enfants de porter des jupes pour les filles, aucun désir de mettre des robes chez les garçons. Ils jouent avec des enfants des deux sexes ou de leur sexe, 13 . Un seul couple a refusé a priori ce suivi, un autre avec les jouets considérés comme appropriés à l’a interrompu en invoquant les frais occasionnés par les déplacements à Paris (la mise en place du protocole de leur sexe dans notre culture (ibid. : 114-115). Cochin a suscité des demandes de la France entière, si bien que les deux tiers des couples reçus ne résidaient Ce qui frappe ici, c’est bien évidemment pas à Paris ou en Île-de-France). l’idée exprimée, en filigrane, d’une possible dif- 171
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 fusion de la « pathologie » paternelle : les enfants Les hommes d’origine transsexuelle qui des personnes trans sont apparemment suspectés viennent demander un enfant ne mettent aucu- nement en avant une « trans-identité », comme de pouvoir présenter des « troubles » de l’iden- le font parfois les militants transgenres. […] ils tité sexuée plus aisément que les autres. C’est ne rejettent pas la distinction de genre, ils n’en pourquoi leur évaluation s’intéresse particuliè- demandent pas la suppression, ils veulent être rement aux comportements qui sont censés être reconnus et traités comme appartenant à l’autre des marqueurs d’androgynie ou de transgenrité genre. Ces transsexuels qui arrivent jusqu’au selon la nosographie psychiatrique (vêtements projet d’enfant et jusqu’au Cecos sont parmi les portés, jouets privilégiés, inscription dans les transsexuels les plus à l’aise avec eux-mêmes, les mieux insérés socialement. Ils assument plei- groupes de pairs, etc.). Autrement dit, les enfants nement leur transsexualisme et leur transition, sont non seulement soumis ici à un contrôle ils ne les crient pas sur les toits, mais n’en ont sexué normatif, mais également mis en situation pas honte non plus (Chiland et al., 2013 : 107). d’être les garants de la « normalité sexuée » de leurs parents, et particulièrement de leur père. Cette mise en perspective n’est pas ano- Et l’on peut penser que, même si rien ne leur dine puisqu’elle amène à penser qu’il n’y a pas est dit explicitement de l’enjeu de cette évalua- simplement une différence entre des gens qui tion régulière, le fait ne leur échappe pas que des ont réalisé une transition (les trans) et ceux qui médecins sont en train de questionner la qua- n’en ont pas fait (les cisgenres), différence dont lification parentale de leurs parents et notam- le protocole expérimental se proposait de cer- ment la manière dont leur père est père. Cette ner les effets ; il y aurait plutôt une différence évaluation suggère également que la qualité entre les trans eux-mêmes. On voit apparaître à parentale des hommes trans tient essentiellement travers cette description une catégorie de per- dans leur capacité à s’inscrire dans les normes sonnes trans qui sont de bons candidats à la sexuées14. Et ce respect attendu est fondamental, PMA : les personnes qui sont transsexuelles comme on va le voir, pour décider de la suite à (entendre ici « atteintes d’un TIG dûment dia- donner au programme expérimental de Cochin. gnostiqué ») et qui s’inscrivent semble-t-il de fait dans une représentation normalisée de 1.4. De l’expérimentation au protocole : la sexuation – celles-là font des enfants nor- essentialiser et repathologiser les per- maux et peuvent donc être acceptées dans les sonnes trans CECOS. Autrement dit, si les hommes reçus sont de « vrais bons pères », c’est parce qu’ils Si les résultats obtenus par l’équipe de Cochin sont aussi de « bons vrais transsexuels ». Ainsi, sont « rassurants », comme on l’a vu, ils sont cette distinction implicitement établie entre de cependant indirectement relativisés : derrière le bons et de mauvais candidats trans, qui est plus constat de la normalité des enfants et de leur père de l’ordre de l’a priori que le résultat de l’expé- pointe en effet de façon implicite la conception rience menée, semble justifier la pérennisation du vrai transsexualisme, comme le suggère cette du protocole : il faut être capable de sélectionner description qui distingue comme deux espèces les candidats, c’est-à-dire de les diagnostiquer. les transgenres des transsexuels15 : Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre (du fait des résultats très positifs de l’évaluation 14 . Il ne s’agit pas ici de saisir l’ensemble des capacités après plus d’une douzaine d’années de fonction- particulières développées par ces parents, comme le font nement), ce n’est pas, en effet, l’arrêt de l’expé d’autres travaux (Pyne, 2012). rimentation qui est envisagé mais plutôt sa 15 . Si l’on compare avec ses autres publications sur le transsexualisme, on peut penser que cette partie de la publi- pérennisation. Autrement dit, cette expérience cation est essentiellement rédigée par Colette Chiland. n’aboutit pas à la proposition d’un traitement 172
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 non spécifique des personnes trans ni même à culier. Suivre ces hommes aussi attentivement, l’arrêt du suivi des enfants (suivi dont les effets c’est signaler qu’ils sont bien atteints d’un TIG sur ces derniers ne sont pas discutés), mais bien (qui les identifierait durant toute leur existence) au contraire à la validation d’une modalité de et que leurs enfants sont susceptibles de l’être traitement particulière des personnes trans en également (ce qui justifie leur surveillance à PMA. En une décennie, l’objectif initial semble long terme). Leur transition n’est pas seule- ainsi s’être transformé : il ne s’agit plus tant de ment ici un élément de leur histoire à prendre en lever des réticences multiples et de favoriser considération parce qu’elle induit leur stérilité, l’ouverture de la PMA aux personnes trans que et donc la manière dont ils peuvent constituer de pérenniser, voire de généraliser une prise en leur famille par un recours à l’IAD ; elle devient charge discriminante de personnes dont on dit au contraire, grâce à une quête médicale exi- pourtant qu’elles font famille normalement. geante et réitérée, une véritable propriété per- On voit bien ici comment la parenté trans sonnelle et même familiale. est constituée en problème, et ce, de manière pérenne : après avoir été définie comme un objet 2. La préservation de la fertilité des légitime d’interrogation éthique du fait de la femmes trans caractérisation pathologique des hommes trans et des risques augurés pour leur progéniture, elle La mission des CECOS ne se limite pas à la a donné lieu à une quête expérimentale qui s’est gestion des gamètes entre couples infertiles et transformée en protocole de soins. C’est au fond donneurs : elle comprend aussi la préservation exactement ce que Petra De Sutter et l’équipe de la fertilité « pour des hommes, des femmes, de l’hôpital de Gand en Belgique ont souhaité des enfants, qui vont avoir un traitement ou une éviter dès le début des années 2000, en refusant circonstance présentant un risque pour la fer- d’emblée toute démarche spécifique concer- tilité future16 ». Des femmes trans qui suivent nant les personnes trans, et notamment tout des traitements hormonaux ou souhaitent réa- supplément psychiatrique. Faisant face à des liser une vaginoplastie17 ont donc récemment couples semblables à ceux de Cochin, elles ont fait appel à des CECOS pour la préservation de pensé leur intervention sur une autre base : « we leur sperme18. Ces demandes s’inscrivent dans never asked whether these couples had or had un contexte international où, depuis une décen- not the right to be parents. We strongly believe nie, la santé reproductive des personnes trans et they have the same basic right to parenthood as notamment la préservation de leur fertilité avant any other heterosexual couple in need of donor traitement hormonal et opération est prise en semen. Psychological counselling should there- considération, comme le suggèrent les standards fore in our view be directed to the same issues de soins de la World Professional Association as in any other couple » (De Sutter, 2003 : 382). for Transgender Health (WPATH)19, qui encou- Autrement dit, les principes éthiques de Gand centrés sur la non-discrimination ont des effets à 16 . http://www.cecos.org, consulté le 10 mai 2014. long terme très différents de ceux de la réflexion 17 . Opération généralement associée à une labioplastie, qui suppose une orchidectomie. médico-éthique de Cochin : les premiers déspé- 18 . La préservation des ovocytes est également pos- cifient et déstigmatisent d’emblée les hommes sible, mais les demandes émanant d’hommes trans semblent rares. L’Académie de médecine mentionnait, trans demandeurs d’IAD en en faisant des can- en 2014, les cas de deux hommes adressés au CECOS didats ordinaires, quand la seconde participe à par leur médecin avant leur transition qui, après un entre- constituer la caractérisation pathologique de tien, n’ont pas donné suite au projet (Académie nationale de médecine, 2014). ces hommes et de leurs enfants en les inscrivant 19 . La WPATH publie des standards de soins internatio- définitivement dans un protocole de soins parti- naux depuis la fin des années 1970, dans lesquels est 173
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 ragent l’information des patients et la mise en années. Il y aurait donc actuellement un petit œuvre de la conservation des gamètes : nombre de demandes, envisagé là encore en Because feminizing/masculinizing hormone termes de multiplication, et ayant conduit très therapy limits fertility […], it is desirable for récemment à une réflexion médico-éthique, patients to make decisions concerning ferti- selon un processus assez différent cependant de lity before starting hormone therapy or under- ce qu’on vient de voir pour l’accueil des couples going surgery to remove/alter their reproductive en demande d’IAD. Il semble en effet que les organs. […] Health care professionals – inclu- CECOS sollicités ont refusé systématiquement ding mental health professionals recommending les demandes d’autoconservation de sperme hormone therapy or surgery, hormone-prescri- bing physicians, and surgeons – should discuss des femmes trans, si bien que les intéressées reproductive options with patients prior to ini- ont interpellé diverses instances pour tenter de tiation of these medical treatments for gender remédier à cette fin de non-recevoir : des cour- dysphoria. […] riers ont été ainsi envoyés au président de la MtF patients, especially those who have not Fédération française des CECOS, au ministre already reproduced, should be informed about de la Santé, à ceux de la Justice et des Droits sperm preservation options and encouraged to des femmes, ainsi qu’au Défenseur des droits22. consider banking their sperm prior to hormone Des associations se sont également mobilisées therapy. […] pour soutenir le recours de ces femmes auprès Reproductive options for FtM patients might des mêmes instances, envisageant les refus des include oocyte (egg) or embryo freezing CECOS en termes de discrimination : (WPATH, 2007 : 50-51). Les personnes Trans dont la prise en charge En ce qui concerne l’accueil de ces demandes médicale est susceptible d’altérer la fertilité, d’autoconservation en France, les données sont ou dont la fertilité risque d’être prématurément là encore très parcellaires. En 2008, Pierre altérée [souligné par les auteurs] (loi L2141-11), Jouannet20 disait avoir reçu quelques demandes souhaitant dans ces conditions la conservation de préservation de sperme et les avoir refu- de leurs gamètes, voient leurs demandes rejetées et en tout état de cause suspendues à la délibéra- sées, s’interrogeant sur la signification de cette tion d’une commission. démarche et sur ses conséquences si le sperme était utilisé (Leprince et Taurisson, 2008). En Ces personnes subissent donc un traitement 2013, Jean-François Guérin21 signalait, dans différencié et défavorable pour la seule raison une séance du comité médical et scientifique de qu’elles sont Trans. Cela s’appelle une discri- l’Agence de la biomédecine, que « les centres mination. De plus, cette discrimination n’étant sont confrontés, depuis quelques mois, à une prévue dans aucune loi, décret ou arrêté, elle demande croissante d’autoconservation de leurs est illégale (Association Arc en Ciel Toulouse, gamètes par des individus, avant leur change- lettre au président des CECOS, 2013, qui m’a ment de sexe » (Agence de la biomédecine, été transmise lors de l’enquête de terrain). 2013 : 8). Enfin, en 2014, l’Académie de méde- Cette interprétation se fonde, comme men- cine mentionnait une quinzaine de demandes tionné, sur l’article L 2141-11 du Code de la faites auprès des CECOS au cours des dernières santé publique23, mais également sur la pratique inclus, depuis la sixième version (2001), un chapitre sur 22 . Le Défenseur des droits est une autorité constitu- la santé reproductive des personnes trans. tionnelle indépendante qui a été créée en 2011. Il a pour 20 . Médecin spécialiste de la reproduction et de l’AMP, mission la défense des personnes dont les droits ne sont ex-directeur du CECOS de l’hôpital Cochin et membre de pas respectés, et l’égalité de tous et toutes dans l’accès l’Académie nationale de médecine. aux droits. 21 . Chef de service du CECOS Rhône-Alpes Lyon et 23 . « Toute personne dont la prise en charge médicale vice-président du CMS de l’Agence de la biomédecine. est susceptible d›altérer la fertilité, ou dont la fertilité 174
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France, Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353 ordinaire des CECOS, qui présentent ainsi leur position concernant la demande des personnes mission en la matière : transsexuelles qui souhaitent procéder à une autoconservation de leurs gamètes pour éven- Quand doit-on envisager une préservation de la tuellement pouvoir les réutiliser après leur tran- fertilité chez l’homme ? sition dans un projet de parentalité en couple. • En cas de traitement médical pouvant altérer Je considère que cette question soulève d’autres de manière transitoire ou définitive la produc- interrogations liées à la problématique de l’as- tion de spermatozoïdes, comme par exemple sistance médicale à la procréation et aux nou- les chimiothérapies ou les radiothérapies. velles demandes de la société qui vont au-delà • En cas d’intervention chirurgicale pouvant des raisons médicales prévues par les textes de modifier l’éjaculation normale des sperma- loi. Sur ce dernier point, il me semble important tozoïdes : sur la prostate, le col de la vessie, que ces institutions mènent une réflexion appro- certains curages ganglionnaires. fondie sur le rôle de la médecine par rapport aux • En cas de vasectomie, c’est-à-dire une stérili- demandes de la société, quand celles-ci ne sont sation chirurgicale à visée contraceptive. pas liées à une maladie (lettre du Défenseur des droits datée du 23 juill. 2013, qui m’a été trans- • Quand disposer de sperme congelé augmente mise lors de l’enquête de terrain). les chances de réalisation d’une assistance médicale à la procréation24. On voit que, dans sa réponse, le Défenseur Cette mobilisation a bien sûr interpellé des droits traduit la plainte initiale dans un le Défenseur des droits, qui a répondu aux registre autre que celui de la simple discrimina- doléances en proposant une saisine de diffé- tion dans lequel il était porté à sa connaissance. rentes instances médicales : Il lui est possible de le faire parce qu’il ne limite Je reste très attentif à la question que vous avez pas la question à la préservation des gamètes, soulevée. C’est pourquoi, j’ai décidé de sai- mais l’ouvre sur la question de leur usage futur. sir le Comité Consultatif National d’Ethique25, Cet élargissement est assez inhabituel, car l’Académie de Médecine26, le Conseil natio- l’accord de préservation, que ce soit dans la nal de l’Ordre des Médecins et l’Agence de loi ou dans la pratique, n’est pas dépendant de Biomédecine27. Je souhaiterais connaître leur clauses particulières quant à l’usage qui en serait fait ultérieurement. Dans l’univers de l’auto- risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du conservation, l’usage des gamètes n’apparaît recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à qu’en tant que simple virtualité (c’est une pos- son bénéfice, d›une assistance médicale à la procréation, sibilité offerte) qui sera – mais seulement quand ou en vue de la préservation et de la restauration de sa la question se posera – rapportée aux conditions fertilité. Ce recueil et cette conservation sont subordon- nés au consentement de l›intéressé et, le cas échéant, définies par la loi et aux capacités médicales du de celui de l›un des titulaires de l›autorité parentale, ou moment. Quoi qu’il en soit, le Défenseur des du tuteur, lorsque l›intéressé, mineur ou majeur, fait l›ob- droits peut, ce faisant, inscrire la requête dans jet d›une mesure de tutelle » (Code de la santé publique, art. L2141-11). un nouveau cadre, celui de l’éthique médicale, 24 . http://www.cecos.org, consulté le 10 mai 2014. et la sortir (provisoirement ?) du cadre primaire 25 . Le CCNE, créé en 1983, est un organisme consul- de l’expertise juridique. La plainte ainsi reca- tatif indépendant qui donne des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les pro- drée redéfinit à la fois le lieu de l’interroga- grès de la connaissance dans les domaines de la biolo- tion et la façon de poser celle-ci : ce n’est plus gie, de la médecine et de la santé. 26 . L’Académie nationale de médecine peut être saisie le refus qu’il convient d’examiner (est-il juste ?) d’une demande d’avis par les pouvoirs publics, mais elle peut aussi émettre un avis sans demande préalable dans de bioéthique de 2004 qui exerce ses missions dans tous les domaines de la santé, notamment les questions les domaines du prélèvement et de la greffe d’organes, d’éthique médicale. de la procréation, de l’embryologie et de la génétique 27 . Agence publique nationale d’État créée par la loi humaines. 175
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