La gestion médicale de la parenté trans en France Medical Management of Trans Parents in France - Érudit

 
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La gestion médicale de la parenté trans en France Medical Management of Trans Parents in France - Érudit
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Enfances, Familles, Générations

La gestion médicale de la parenté trans en France
Medical Management of Trans Parents in France
Laurence Hérault

Homoparentalités, transparentalités et manifestations de la diversité               Article abstract
familiale : les défis contemporains de la parenté                                   This article investigates how trans people are received in assisted reproductive
Number 23, Fall 2015                                                                technology centres (ART) in France and, more broadly, how procreation among
                                                                                    trans people is currently regarded and managed by French medicine. It will
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1034206ar                                       analyze how sperm and egg banks serve couples formed by trans people,
DOI: https://doi.org/10.7202/1034206ar                                              before exploring more in depth how the issue of pre-transition gamete
                                                                                    preservation is considered. It will endeavour to understand in particular how,
                                                                                    in various medical contexts, transgender parents’ attempts to conceive are
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                                                                                    ordinary ART methods. In other words, what are the procedures and methods
                                                                                    that make it a problem?
Publisher(s)
INRS-UCS

ISSN
1708-6310 (digital)

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Hérault, L. (2015). La gestion médicale de la parenté trans en France. Enfances,
Familles, Générations, (23), 165–184. https://doi.org/10.7202/1034206ar

Tous droits réservés © INRS-UCS, 2015                                              This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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no 23, 2015, p. 165-184
                                                                                           www.efg.inrs.ca

La gestion médicale de la parenté trans en France

Laurence Hérault
Chargée de recherche
Professeure d’anthropologie
Aix Marseille Université, CNRS, IDEMEC (France)
herault@mmsh.univ-aix.fr

Résumé
Cet article s’intéresse à la manière dont les personnes trans sont accueillies dans les centres de PMA
(procréation médicalement assistée) en France et plus largement à la façon dont la procréation des per-
sonnes trans est actuellement pensée et gérée dans le cadre médical français. On analysera ainsi com-
ment les CECOS (centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) ont pris en charge
les couples formés par des personnes trans, avant d’explorer plus attentivement la manière dont est
actuellement prise en compte la question de la préservation des gamètes avant la transition. On s’atta-
chera notamment à saisir comment, dans ces différents cadres médicaux, la parenté transgenre, et plus
particulièrement l’engendrement par des personnes trans, est constituée de façon problématique et spé-
FL¿TXHDORUVPrPHTX¶HOOHQHVHGLVWLQJXHHQULHQGHVPRGDOLWpVRUGLQDLUHVGHSURFUpDWLRQHQ30$,O
s’agira autrement dit de comprendre par quelles procédures et quels dispositifs elle est faite problème.
Mots clés : transgenre, transsexuel, parenté, PMA, Académie de médecine, France

Abstract
Medical Management of Trans Parents in France
This article investigates how trans people are received in assisted reproductive technology centres (ART)
in France and, more broadly, how procreation among trans people is currently regarded and managed
by French medicine. It will analyze how sperm and egg banks serve couples formed by trans people,
before exploring more in depth how the issue of pre-transition gamete preservation is considered. It will
endeavour to understand in particular how, in various medical contexts, transgender parents’ attempts
WRFRQFHLYHDUHVSHFL¿FDOO\YLHZHGDVSUREOHPDWLFHYHQWKRXJKWKH\GLIIHULQQRZD\IURPRUGLQDU\$57
methods. In other words, what are the procedures and methods that make it a problem?
Keywords: transgender, transsexual, parenting, ART, Académie de médecine, France

La parenté transgenre est une question nouvelle sans doute pas inédite, l’expérience transgenre de
à la fois dans l’espace public et dans l’espace la parenté devient plus visible, et cette présence
académique contemporains10rPHVLHOOHQ¶HVW nouvelle a sans doute des raisons historiques qui
                                                          tiennent, entre autres, à l’acceptation sociale des
௘ /HV WUDYDX[ VH VRQW HVVHQWLHOOHPHQW GpYHORSSpV transitions et au développement des techniques
ces dernières années, que ce soit en médecine ou en
sciences humaines et sociales. Voir entre autres Green   Hines (2006), Pyne (2012), Ryan (2009), Veldorale-
(1998), Freedman et al. (2002), Haines et al. (2014),    Brogan (2012), White et Ettner (2007).
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

de reproduction assistée. L’enquête menée en                      récemment hors de la stricte sphère des équipes
France par Alain Giami en 2009 montre que                         médicales concernées. En l’absence d’enquête
48 % des personnes trans interrogées avaient                      précise, il est difficile d’avoir une idée, même
des enfants, que 14 % souhaitaient en faire et                    simplement quantitative, des demandes d’aide
20 % en adopter (Giami, 2014). Mais ces projets                   à la procréation émanant de personnes trans en
parentaux, souvent envisagés désormais après                      France. Les données dont nous disposons sont
la transition, ne rencontrent pas un égal accueil                 celles qui proviennent de l’équipe de l’hôpi-
de la part des équipes médicales, que celles-ci                   tal Cochin à Paris, qui a publié récemment ses
soient spécialisées dans la prise en charge des                   résultats4. Cette équipe a reçu 86 demandes5
« troubles de l’identité de genre » ou qu’elles se                émanant de couples formés d’un homme trans
consacrent à la médecine reproductive. Pour un                    et d’une femme cisgenre6. Selon Pierre Jouannet
certain nombre de médecins, la parenté trans2,                    (2014), la première demande, faite en 1987, a
et plus particulièrement la question de l’engen-                  été traitée comme celles des autres couples
drement par des personnes trans, semble poser                     reçus habituellement ; elle a permis la naissance
problème. En France, l’accueil des hommes                         de deux filles, aujourd’hui âgées d’une ving-
trans dans les CECOS (centres d’étude et de                       taine d’années. La deuxième demande, faite en
conservation des œufs et du sperme humains3)                      1990, a été également acceptée, mais le couple
a entraîné une réflexion éthique notable depuis                   s’est séparé avant qu’une grossesse soit amor-
deux décennies, de même que les demandes                          cée. À partir de 1995, les demandes se sont
d’autopréservation de sperme par des femmes                       multipliées, et l’équipe s’est posé la question
trans suscitent actuellement la controverse.                      de la prise en charge de ces couples. Une pre-
Cette question de l’engendrement trans est donc                   mière réflexion a été conduite à l’interne, puis
un lieu intéressant pour essayer de comprendre                    au sein de la Fédération des CECOS, et enfin
la manière dont le médical et le politique se sai-                en 1998-1999 dans le cadre de l’Espace éthique
sissent de ces « nouvelles » formes de parenté.                   de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris
La question n’étant pas tant de savoir quels sont                 (AP-HP). À l’issue de ce processus, un proto-
les problèmes posés par la parenté trans mais                     cole particulier a été mis en place pour l’accueil
plutôt d’essayer de saisir comment celle-ci est                   de ces couples : « à l’entretien psychologique
faite problème.                                                   habituel est ajouté un deuxième entretien avec
                                                                  un psychiatre ayant l’expérience du transsexua-
1. L’accueil des hommes trans                                     lisme. Et il est proposé aux futurs parents un
dans les CECOS                                                    suivi clinique prospectif des enfants à naître, qui
                                                                  est organisé dans le service de pédopsychiatrie
Contrairement à ce que l’on pourrait croire,                      de l’Hôpital Necker-Enfants malades » (Chiland
l’accueil de personnes trans dans les CECOS                       et al., 2013 : 102).
pour une procréation médicalement assistée
(PMA) n’est pas récent, bien qu’il ait émergé
                                                                  4 . En l’absence d’autres travaux, nous nous centrerons
                                                                  sur les publications de cette équipe : Chiland et al. (2013),
2 . Les termes trans et transgenre seront considérés ici          Jouannet (2014).
comme synonymes, dans la mesure où ils sont compris               5 . Sur ces 86 demandes, 20 n’ont pas été confirmées et 5
tous les deux comme des termes génériques englobant               ont été refusées. Parmi les 57 couples qui ont débuté une
l’ensemble des personnes ayant expérimenté une transi-            insémination avec donneur (IAD), 32 ont eu au moins un
tion de genre, quelle qu’elle soit.                               enfant ; 46 enfants étaient nés en 2012 (Jouannet, 2014).
3 . Il existe une vingtaine de CECOS en France, implan-           6 . Formé à partir du préfixe cis- (antonyme de trans-),
tés dans des centres hospitaliers universitaires et grou-         qui désigne ce qui est « en-deçà ou dans la limite de »,
pés en fédération. Les CECOS sont chargés de la ges-              le terme cisgenre est utilisé de plus en plus souvent pour
tion des dons de gamètes et des PMA.                              qualifier les personnes ou les expériences « non trans ».

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L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

    Selon l’historique retracé par Pierre Jouannet,               médicale, son traitement a abouti à une déci-
on peut donc distinguer deux phases dans la                       sion qui s’est faite sans doute essentiellement à
prise en charge des personnes trans au CECOS                      partir de la situation des intéressés, c’est pour-
de Cochin : une première étape où les demandes                    quoi Pierre Jouannet dit qu’ils ont été traités
sont peu nombreuses et traitées au cas par cas, et                « comme les autres couples ». Leur cas a été pris
une autre où elles se multiplient et donnent lieu                 en considération dans sa singularité même, ce
à un questionnement éthique puis à la mise en                     qui amène à penser que la prise en charge est
place d’un protocole spécifique, cette deuxième                   envisagée ici comme pionnière : elle est une ten-
étape s’inscrivant en outre dans le contexte de                   tative face à une situation inédite. La deuxième
la loi de bioéthique de 19947. Deux éléments                      demande s’inscrit dans le même processus : elle
paraissent donc distinguer ces deux temps :                       n’est qu’une autre version d’une situation déjà
d’une part, le volume des demandes (puisqu’on                     rencontrée, et la première expérience acquise
passe de cas « anecdotiques » à des cas qui, tout                 permet de la traiter d’une manière semblable
en restant très minoritaires, semblent « faire                    et peut-être plus assurée. Les demandes ulté-
nombre ») et, d’autre part, l’enca­        drement                rieures, qui sont dites multipliées, changent la
bio-médico-éthique des demandes, puisqu’au                        donne. Derrière les individus, il semble qu’on
cours des années 1990, la réflexion éthique                       perçoive alors une « population » : les nou-
a débouché sur un protocole particulier (qui                      velles requêtes ne sont plus lues comme celles
s’impose aux personnes trans en plus des dis-                     de couples où le partenaire masculin est dans
positions légales et générales qui s’appliquent à                 une situation inédite (il n’est pas stérile pour les
tous les demandeurs). Ce protocole est, par ail-                  raisons « habituelles ») mais plutôt comme éma-
leurs, pensé comme étant expérimental, c’est-à-                   nant d’un groupe de personnes pour lesquelles
dire qu’il doit permettre à moyen ou long terme                   la PMA est un recours évident lorsqu’elles
la mise en place d’une prise en charge éclairée,                  souhaitent être parents. Autrement dit, elles ne
éventuellement généralisable :                                    sont plus perçues comme des demandes singu-
   Le suivi de l’enfant ou des enfants à naître pro-              lières, mais comme des « demandes d’espèce »
   posé lors des premiers entretiens visait à appré-              en quelque sorte. C’est sans doute pourquoi les
   cier les conséquences bénéfiques ou néfastes de                ressources (réflexives, délibératives, expérien-
   ce programme, et soit l’étendre et convaincre                  tielles, etc.) propres à l’équipe ne semblent plus
   nos collègues réticents d’ouvrir un tel pro-                   suffire pour les traiter : il faut une mobilisation à
   gramme dans leur Cecos si les résultats étaient                l’extérieur et en plus grand nombre pour établir
   favorables, soit le stopper si les résultats étaient
                                                                  une ligne de conduite assurée. On passe alors
   néfastes (Chiland et al., 2013 : 103).
                                                                  d’une prise en charge pionnière conçue comme
   Il semble important d’examiner ces deux                        une « procédure tentative » (éventuellement
éléments centraux du processus d’accueil. La                      renouvelée) à une prise en charge expérimen-
question du nombre des demandes est à la fois                     tale où l’essai (ce qui est tenté) est inscrit dans
secondaire et fondamentale, car on voit bien                      une série d’épreuves visant à vérifier et contrô-
comment les médecins ne sont guère en peine                       ler la démarche en vue d’une éventuelle généra-
devant un cas singulier : s’il a probablement                     lisation. Il est donc important de comprendre ce
suscité une discussion à l’intérieur de l’équipe                  qu’impose le cadre bio-médico-éthique dans ce
                                                                  contexte, à la fois dans sa dimension légale et
7 . Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à         dans sa dimension spécifique.
l’utilisation des éléments et produits du corps humain,
à l’assistance médicale à la procréation et au diagnos-
tic prénatal. Des éléments d’information concernant son
contenu seront apportés au fur et à mesure dans le texte.

                                                            167
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

1.1. Produire éthiquement l’infertilité                     ce que l’équipe médicale ne semble d’ailleurs
des hommes trans                                            pas avoir remis en question. Pourtant, celle-ci
                                                            a été semble-t-il perturbée par leur situation au
La loi de bioéthique de 1994 définit, entre                 point de leur demander de subir une hystérec-
autres, les conditions d’accès à la PMA : la                tomie-ovariectomie (ce qu’ils ont fait apparem-
demande doit émaner d’un couple hétérosexuel,               ment sans problème) avant d’entamer l’IAD
dont l’infertilité a été médicalement diagnosti-            qu’ils souhaitaient. On voit donc l’hystérecto-
quée ; ce couple doit en outre être marié ou jus-           mie-ovariectomie devenir ici, très paradoxale-
tifier d’au moins deux ans de vie commune et                ment, un critère d’inclusion dans le protocole
être en âge de procréer. Pour répondre à cette              de PMA, et ce, bien au-delà du simple cadre
contrainte légale, le CECOS de Cochin n’a pris              légal : « le deuxième critère d’inclusion dans le
(et ne prend) en considération que les demandes             protocole était lié au sens de la démarche faite
des couples où le changement d’état civil de                par cet homme pour devenir père. Afin d’éviter
l’homme a été prononcé. Cette décision ren-                 toute ambiguïté ou incohérence, il nous a sem-
voie cependant à des aspects implicites qu’il               blé souhaitable qu’il y ait eu une ovariectomie
est important d’explorer. Pour les saisir, il faut          et une hystérectomie afin d’éviter de mener un
d’abord rappeler qu’en France, la procédure de              projet de maternité similaire à celui de Thomas
modification du sexe à l’état civil se fonde sur            Beatie » (Jouannet, 2014 : 119). L’idée d’inco-
une jurisprudence établie au début des années               hérence et d’ambiguïté évoquée ici ainsi que
1990 par la Cour de cassation, qui impose les               la mention de l’expérience de Thomas Beatie8
critères suivants pour faire droit à la demande :           renvoient à la manière dont sont appréhendées
présenter un syndrome de transsexualisme et                 les capacités d’engendrement des corps trans,
avoir subi un traitement médico-chirurgical                 et plus globalement à la manière dont sont pen-
induisant des modifications corporelles irréver-            sées les personnes trans. Ces ovaires et ces uté-
sibles (irréversibilité associée, le plus souvent,          rus, pourtant non fonctionnels et a priori non
par les juges à l’ablation des organes génitaux             mobilisés, dont on exige l’ablation sont aussi
d’origine). En conséquence, la majorité des                 à replacer, me semble-t-il, dans le cadre de la
hommes trans ayant changé d’état civil ont subi,            représentation pseudo-thérapeutique habituelle
de façon volontaire ou contrainte, une hysté-               de la PMA (Théry, 2010). Alors même que
rectomie et une ovariectomie. Ces dernières                 cette médecine de la reproduction est très large-
années cependant, l’exigence de stérilisation               ment palliative (car loin de guérir des stérilités
pour l’obtention du changement d’état civil                 ou des infertilités individuelles, elle s’attache
n’est plus aussi systématique (pour diverses                plutôt à permettre à des personnes ne pouvant
raisons qu’il serait trop long de développer ici),          procréer ensemble d’avoir les enfants qu’elles
si bien que certains hommes n’ont pas subi les              souhaitent), elle s’est depuis l’origine pensée
opérations citées. Cela a d’ailleurs été le cas de          comme thérapeutique, ce que la loi a d’ailleurs
deux hommes ayant fait une demande de PMA                   entériné. Il se pourrait que l’injonction de sté-
avec leur compagne. Contrairement aux autres,               rilisation faite aux hommes trans s’inscrive
ces hommes n’étaient donc pas « irréversible-               dans une tentative de préservation de ce modèle
ment » stériles, mais la testostérone qu’ils pre-           pseudo-thérapeutique, au moment même où sa
naient régulièrement les rendait bien tels ; en
outre, ils ne pouvaient de quelque manière que              8 . Homme trans américain marié à une femme cisgenre
ce soit faire un enfant avec leur partenaire. En            qui, entre 2008 et 2012, a porté et mis au monde ses trois
                                                            enfants après sa transition et son changement d’état civil.
ce sens, ils répondaient bien à l’exigence légale
                                                            Pour plus d’informations sur son expérience voir Hérault
d’une infertilité médicalement diagnostiquée,               (2014a et 2014b).

                                                      168
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

caractérisation est remise en question par de                  Bristol (2000). Elles sont également au centre
multiples revendications (accès des femmes                     de la controverse qui oppose Patricia Baetens
seules, des couples de même sexe, des femmes                   (Centre de médecine reproductive de Bruxelles)
ménopausées, etc.). Quoi qu’il en soit, ces réti-              et Petra De Sutter (Centre de médecine repro-
cences et ces exigences des médecins invitent à                ductive de Gand) sur la question des modalités
interroger plus particulièrement l’encadrement                 d’accès des hommes trans à la PMA (Baetens et
bio-médico-éthique des personnes trans deman-                  al., 2003 ; De Sutter, 2003). La première étape
deuses de PMA.                                                 de toutes ces démarches éthiques s’ouvre ainsi
                                                               sur une discussion concernant la caractérisa-
1.2. Éthique et pathologisation des                            tion du trouble de l’identité de genre (TIG)9 et
hommes trans                                                   vise à le distinguer de troubles psychopatholo-
                                                               giques, notamment la psychose, comme le fait
De manière générale, les réticences qui sont à                 la psychiatre mobilisée par l’équipe de Cochin.
l’origine de la réflexion médico-éthique qui                   On voit bien cependant que le propos de cette
s’est développée dans les années 1990 renvoient                dernière, pour rassurer les autres médecins et
toutes, d’une part, à la conception pathologique               intervenants, consiste moins à dépathologiser
des personnes trans et, d’autre part, à la mise en             la situation des personnes trans (elles ne pré-
doute de leur capacité à s’inscrire de manière                 sentent pas de troubles) qu’à établir un diagnos-
adéquate dans la filiation et la parentalité :                 tic différentiel (le « problème » du transsexua-
   Lors des réunions […], les réticences exprimées             lisme ne doit pas être confondu avec d’autres
   à l’égard du projet ont pu être levées. La pre-             psychopathologies). On comprend alors que la
   mière réticence portait sur la nature du trans-             consultation supplémentaire avec un spécialiste
   sexualisme considéré par certains comme une                 du transsexualisme prévue dans le protocole
   psychose. L’un des participants (Chiland) sou-
                                                               expérimental proposé a pour objectif d’établir
   ligna que, si les transsexuels posaient un pro-
   blème par le refus de leur sexe biologique en               ou de réaffirmer ce diagnostic préalable : il faut
   l’absence de tout signe de différences du déve-             s’assurer que ces personnes qui ont réalisé une
   loppement du sexe telles que sont capables de               transition et qui de ce fait ont déjà subi diverses
   les identifier les moyens actuels d’investigation,          évaluations diagnostiques avant d’accéder aux
   ils n’étaient ni de « grands psychotiques », ni des         opérations présentent bien un TIG. C’est aussi ce
   schizophrènes. Une deuxième réticence tenait à              que propose de manière plus explicite l’équipe
   l’interrogation sur la capacité des transsexuels
                                                               de Bruxelles en se référant à l’idée développée
   FM de se conduire en père ; il fut dit qu’on pou-
   vait augurer au contraire qu’ils pourraient assu-
                                                               dans les années 1970 d’un « vrai transsexua-
   mer cette fonction à partir des constats faits lors         lisme » : « consequently, it could be argued that
   d’une enquête catamnestique (Chiland, 2011) :               a multidisciplinary team of specialists should
   des transsexuels FM revus longtemps après la                carry out the diagnosis for gender identity
   transformation hormono-chirurgicale et ayant                disorder in order to be sure that DI [donor inse-
   épousé ou vivant avec des femmes déjà mères                 mination] is requested by true transsexuals »
   se sont révélés des beaux-pères compétents et               (Baetens et al., 2003 : 282). Autrement dit,
   bien acceptés de leurs beaux-enfants (Chiland
   et al., 2013 : 101).
                                                               comme dans le cas du changement d’état civil,
                                                               on peut affirmer que l’attestation par un spé-
   Ces réticences ne sont pas propres à l’équipe               cialiste de la caractérisation psychiatrique des
de Cochin : on les retrouve dans les quelques                  hommes trans est nécessaire pour obtenir une
textes publiés sur la question, notamment
celui proposé par Brothers et Ford du Centre                   9 . Dans le texte de Chiland et al. (2013), c’est le terme
de médecine reproductive de l’Université de                    transsexualisme qui est utilisé préférentiellement.

                                                         169
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

aide médicale à la procréation ; ce que montre                       l’insémination des transsexuels. J’ai commencé
également cette lettre d’un directeur de CECOS                       à suivre Camille Coutin en 1989. [Suit une des-
                                                                     cription de son cas et du suivi réalisé.] Je pense
à un psychiatre spécialisé dans les TIG10 :
                                                                     qu’à l’heure actuelle, s’il demande une insémi-
   Tu connais parfaitement bien Camille Coutin11                     nation nous sommes dans un cas de sécurité bien
   que tu as très longtemps suivi pour transsexua-                   plus grand que dans celui de nombreux couples.
   lisme. Ce patient vit depuis de longues années                    Ce qui me gêne beaucoup dans la position des
   maritalement et souhaite une insémination arti-                   CECOS vis-à-vis de cette insémination c’est
   ficielle avec sperme de donneur. La position des                  de remettre en question tout un travail préa-
   CECOS était jusqu’à maintenant extrêmement                        lable qui a abouti à la décision d’intervention
   négative. Elle semble évoluer sous l’impulsion                    [hormono-chirurgicale]. […] Si la position du
   de P. Jouannet. Nous entamons localement une                      CECOS veut bouger, certains d’entre nous qui
   réflexion sur ce problème et ton opinion me serait                travaillons sur les transsexuels pourrions parti-
   particulièrement utile concernant ce malade que                   ciper à une réunion de travail avec le CECOS
   tu connais bien (lettre du 19 oct. 1999).                         sur le transsexualisme. Cela serait sûrement fort
                                                                     « fertile ». Je te remercie de me tenir au courant
    On voit bien ici les effets concrets de la défi-                 de la suite des évènements et de la décision qui
nition psychopathologique de la transidentité :                      a été prise pour Camille (lettre du 22 oct. 1999).
l’intervention d’un psychiatre devient un élé-                        Cette position de facilitateur n’est pas déta-
ment clé de l’ensemble des projets de vie des                     chable de celle de gardien attentif : les deux vont
personnes trans, qu’il s’agisse de réaliser une                   de pair, comme le suggère le rôle de Colette
transition, de changer d’état civil ou bien encore                Chiland dans le protocole de Cochin, où elle
de faire un enfant. En ce sens, on peut dire que                  intervient dans les groupes de discussion pour
la force du TIG tient moins dans un consensus                     lever certaines craintes de ses collègues, mais
et une stabilité définitionnelle (puisqu’il est                   participe aussi à l’évaluation des demandes des
l’objet de controverses renouvelées depuis plu-                   couples et à celle de leurs enfants conçus par
sieurs décennies) que dans la manière dont il                     IAD. Car les réticences ne concernent pas uni-
s’impose, avec régularité et constance, dans la                   quement, comme nous l’avons vu, le transsexua-
vie des intéressés. Par ailleurs, ce rôle de sésame               lisme des pères en soi, mais également les effets
du TIG donne au psychiatre spécialisé un pou-                     de celui-ci sur les enfants comme le suggère
voir considérable sur les vies trans : il est à la                le texte de Patricia Baetens, qui insiste sur la
fois l’allié investi (qui a l’autorité nécessaire                 nécessité d’un suivi des enfants12 : « Transsexual
pour rendre possibles les projets élaborés) et le                 parenthood raises a lot of questions about
gardien attentif (qui a de fait un droit de regard                the consequences for the children. Follow-up
sur ces mêmes projets). En alliés investis, ces                   research of the children raised in households
psychiatres vont être, à l’instar de C. Chiland,                  with a transsexual father is therefore essential »
des rouages essentiels de l’ouverture de la PMA                   (Baetens et al., 2003 : 285). En ce domaine,
aux hommes trans, que ce soit individuellement                    d’ailleurs, les réticences et les questions s’expri-
ou collectivement, comme le montre d’ailleurs                     ment de manières diverses, mêlant des interro-
la réponse du psychiatre interpellé dans la lettre
citée précédemment :                                              12 . Le texte de De Sutter, en revanche, semble consi-
   Je suis très content de l’avis que tu me demandes              dérer comme inutile ce type de suivi : « Let us not forget
                                                                  that some 30 years ago the exact same discussion took
   concernant Camille Coutin, car cela me permet
                                                                  place concerning gay and lesbian couples. These people
   de pouvoir exprimer mon opinion par rapport à                  also were believed not to be fit to be good parents and
                                                                  Society was also very hostile to them. Many studies have
10 . L’échange cité provient d’une enquête de terrain que         now shown that these concerns were not justified. We
j’ai réalisée au milieu des années 2000.                          should not make the same mistake twice » (De Sutter,
11 . Le nom a été modifié.                                        2003 : 382).

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L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

gations sur la capacité paternelle de ces hommes                  se développent bien ; en particulier, ils n’ont
(seront-ils des pères ? de bons pères ?) et sur le                pas de troubles de l’identité sexuée » (Chiland
développement psycho-affectif et l’inscription                    et al., 2013 : 103). Quand on entre dans le détail
sexuée de leurs enfants (seront-ils des garçons                   de l’évaluation, on voit même que ces hommes
et des filles normaux ?). Le suivi mis en place                   sont des pères à la page sachant combiner « une
à Cochin pour y répondre est dit qualitatif : il                  conception traditionnelle et une conception
propose des rencontres avec les parents et leur                   moderne du père : le père pense qu’il doit exer-
enfant tous les deux ans, rencontres comprenant                   cer l’autorité, mais, en même temps, il est un
trois entretiens (avec une psychiatre spécialisée                 “nouveau père” qui s’occupe beaucoup de son
en TIG, une psychologue et une psychomotri-                       bébé. Lors d’un entretien, nous avons vu l’un
cienne), une observation des enfants (en interac-                 d’eux apaiser son petit enfant avec une tendresse
tion avec leurs parents puis seuls) par la psycho-                et un talent impressionnants » (ibid. : 109). Il est
logue et la psychomotricienne, pendant laquelle                   également mentionné qu’ils s’inscrivent dans la
sont proposés des jeux interactifs et la réali-                   paternité de façon exclusive et qu’il n’y a, pour
sation de dessins. Ce suivi, qui est loin d’être                  eux et pour leurs enfants, aucune ambiguïté
anodin puisqu’il met les enfants directement en                   quant à leur rôle parental : « en aucun cas, le
scène et en situation de consultation, a semble-                  père n’est une seconde mère. […] Les jeux du
t-il suscité l’adhésion des couples13, bien qu’on                 père avec son enfant sont différents des jeux de
puisse s’interroger sur les raisons de celle-ci :                 la mère avec l’enfant. […] l’enfant ne confond
volonté de participer à l’expérience pour faci-                   absolument pas père et mère » (id.). En ce qui
liter l’ouverture de l’ensemble des CECOS aux                     concerne les enfants, le tableau semble égale-
personnes trans ? Ou bien occasion de soutien                     ment rassurant : ces enfants sont dits normaux
dans un rôle parental non encore expérimenté ?                    et cette normalité est soigneusement détail-
Ou encore perspective d’une démarche facili-                      lée – « leur développement psychomoteur est
tée en cas de nouvelle demande d’IAD ? Quoi                       normal », « leur développement cognitif se situe
qu’il en soit, c’est bien la capacité paternelle                  dans la norme » (ibid. : 115) – et réitérée notam-
des hommes qui est l’objet de l’attention ainsi                   ment pour ce qui concerne la sexuation :
que les effets sur les enfants de la pathologie qui                 Pour l’équipe psychologique qui les a vus, ce fut
serait la leur.                                                     un plaisir de recevoir des enfants « normaux »,
                                                                    tels qu’on souhaite en avoir, sans retard de
1.3. La parentalité des hommes trans à                              développement, sans symptômes inquiétants,
                                                                    qui sont vraiment des garçons ou des filles
l’épreuve des normes sexuées et de la
                                                                    sans […] dysphorie de genre.
nosographie psychiatrique
                                                                    […] Pour tous, nous notons une bonne représen-
                                                                    tation du schéma corporel, la différenciation des
L’exposé des résultats de l’équipe de Cochin                        sexes et des générations est bien perçue.
est d’emblée « rassurant » : « Les principaux
                                                                    […] Quant à l’identité sexuée, nous avons vu
enseignements de cette étude montrent que les                       des petits garçons et des petites filles, et non pas
pères transsexuels se conduisent en “nouveaux                       des androgynes ou des transgenres. Aucun refus
pères” attentifs et compétents, et que les enfants                  de porter des jupes pour les filles, aucun désir
                                                                    de mettre des robes chez les garçons. Ils jouent
                                                                    avec des enfants des deux sexes ou de leur sexe,
13 . Un seul couple a refusé a priori ce suivi, un autre            avec les jouets considérés comme appropriés à
l’a interrompu en invoquant les frais occasionnés par les
déplacements à Paris (la mise en place du protocole de              leur sexe dans notre culture (ibid. : 114-115).
Cochin a suscité des demandes de la France entière, si
bien que les deux tiers des couples reçus ne résidaient
                                                                      Ce qui frappe ici, c’est bien évidemment
pas à Paris ou en Île-de-France).                                 l’idée exprimée, en filigrane, d’une possible dif-

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L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

fusion de la « pathologie » paternelle : les enfants                    Les hommes d’origine transsexuelle qui
des personnes trans sont apparemment suspectés                          viennent demander un enfant ne mettent aucu-
                                                                        nement en avant une « trans-identité », comme
de pouvoir présenter des « troubles » de l’iden-
                                                                        le font parfois les militants transgenres. […] ils
tité sexuée plus aisément que les autres. C’est                         ne rejettent pas la distinction de genre, ils n’en
pourquoi leur évaluation s’intéresse particuliè-                        demandent pas la suppression, ils veulent être
rement aux comportements qui sont censés être                           reconnus et traités comme appartenant à l’autre
des marqueurs d’androgynie ou de transgenrité                           genre. Ces transsexuels qui arrivent jusqu’au
selon la nosographie psychiatrique (vêtements                           projet d’enfant et jusqu’au Cecos sont parmi les
portés, jouets privilégiés, inscription dans les                        transsexuels les plus à l’aise avec eux-mêmes,
                                                                        les mieux insérés socialement. Ils assument plei-
groupes de pairs, etc.). Autrement dit, les enfants
                                                                        nement leur transsexualisme et leur transition,
sont non seulement soumis ici à un contrôle                             ils ne les crient pas sur les toits, mais n’en ont
sexué normatif, mais également mis en situation                         pas honte non plus (Chiland et al., 2013 : 107).
d’être les garants de la « normalité sexuée » de
leurs parents, et particulièrement de leur père.                           Cette mise en perspective n’est pas ano-
Et l’on peut penser que, même si rien ne leur                         dine puisqu’elle amène à penser qu’il n’y a pas
est dit explicitement de l’enjeu de cette évalua-                     simplement une différence entre des gens qui
tion régulière, le fait ne leur échappe pas que des                   ont réalisé une transition (les trans) et ceux qui
médecins sont en train de questionner la qua-                         n’en ont pas fait (les cisgenres), différence dont
lification parentale de leurs parents et notam-                       le protocole expérimental se proposait de cer-
ment la manière dont leur père est père. Cette                        ner les effets ; il y aurait plutôt une différence
évaluation suggère également que la qualité                           entre les trans eux-mêmes. On voit apparaître à
parentale des hommes trans tient essentiellement                      travers cette description une catégorie de per-
dans leur capacité à s’inscrire dans les normes                       sonnes trans qui sont de bons candidats à la
sexuées14. Et ce respect attendu est fondamental,                     PMA : les personnes qui sont transsexuelles
comme on va le voir, pour décider de la suite à                       (entendre ici « atteintes d’un TIG dûment dia-
donner au programme expérimental de Cochin.                           gnostiqué ») et qui s’inscrivent semble-t-il de
                                                                      fait dans une représentation normalisée de
1.4. De l’expérimentation au protocole :                              la sexuation – celles-là font des enfants nor-
essentialiser et repathologiser les per-                              maux et peuvent donc être acceptées dans les
sonnes trans                                                          CECOS. Autrement dit, si les hommes reçus
                                                                      sont de « vrais bons pères », c’est parce qu’ils
Si les résultats obtenus par l’équipe de Cochin                       sont aussi de « bons vrais transsexuels ». Ainsi,
sont « rassurants », comme on l’a vu, ils sont                        cette distinction implicitement établie entre de
cependant indirectement relativisés : derrière le                     bons et de mauvais candidats trans, qui est plus
constat de la normalité des enfants et de leur père                   de l’ordre de l’a priori que le résultat de l’expé-
pointe en effet de façon implicite la conception                      rience menée, semble justifier la pérennisation
du vrai transsexualisme, comme le suggère cette                       du protocole : il faut être capable de sélectionner
description qui distingue comme deux espèces                          les candidats, c’est-à-dire de les diagnostiquer.
les transgenres des transsexuels15 :                                  Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre (du
                                                                      fait des résultats très positifs de l’évaluation
14 . Il ne s’agit pas ici de saisir l’ensemble des capacités
                                                                      après plus d’une douzaine d’années de fonction-
particulières développées par ces parents, comme le font              nement), ce n’est pas, en effet, l’arrêt de l’expé­
d’autres travaux (Pyne, 2012).                                        rimentation qui est envisagé mais plutôt sa
15 . Si l’on compare avec ses autres publications sur le
transsexualisme, on peut penser que cette partie de la publi-
                                                                      pérennisation. Autrement dit, cette expérience
cation est essentiellement rédigée par Colette Chiland.               n’aboutit pas à la proposition d’un traitement

                                                                172
L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

non spécifique des personnes trans ni même à                culier. Suivre ces hommes aussi attentivement,
l’arrêt du suivi des enfants (suivi dont les effets         c’est signaler qu’ils sont bien atteints d’un TIG
sur ces derniers ne sont pas discutés), mais bien           (qui les identifierait durant toute leur existence)
au contraire à la validation d’une modalité de              et que leurs enfants sont susceptibles de l’être
traitement particulière des personnes trans en              également (ce qui justifie leur surveillance à
PMA. En une décennie, l’objectif initial semble             long terme). Leur transition n’est pas seule-
ainsi s’être transformé : il ne s’agit plus tant de         ment ici un élément de leur histoire à prendre en
lever des réticences multiples et de favoriser              considération parce qu’elle induit leur stérilité,
l’ouverture de la PMA aux personnes trans que               et donc la manière dont ils peuvent constituer
de pérenniser, voire de généraliser une prise en            leur famille par un recours à l’IAD ; elle devient
charge discriminante de personnes dont on dit               au contraire, grâce à une quête médicale exi-
pourtant qu’elles font famille normalement.                 geante et réitérée, une véritable propriété per-
     On voit bien ici comment la parenté trans              sonnelle et même familiale.
est constituée en problème, et ce, de manière
pérenne : après avoir été définie comme un objet            2. La préservation de la fertilité des
légitime d’interrogation éthique du fait de la              femmes trans
caractérisation pathologique des hommes trans
et des risques augurés pour leur progéniture, elle          La mission des CECOS ne se limite pas à la
a donné lieu à une quête expérimentale qui s’est            gestion des gamètes entre couples infertiles et
transformée en protocole de soins. C’est au fond            donneurs : elle comprend aussi la préservation
exactement ce que Petra De Sutter et l’équipe               de la fertilité « pour des hommes, des femmes,
de l’hôpital de Gand en Belgique ont souhaité               des enfants, qui vont avoir un traitement ou une
éviter dès le début des années 2000, en refusant            circonstance présentant un risque pour la fer-
d’emblée toute démarche spécifique concer-                  tilité future16 ». Des femmes trans qui suivent
nant les personnes trans, et notamment tout                 des traitements hormonaux ou souhaitent réa-
supplément psychiatrique. Faisant face à des                liser une vaginoplastie17 ont donc récemment
couples semblables à ceux de Cochin, elles ont              fait appel à des CECOS pour la préservation de
pensé leur intervention sur une autre base : « we           leur sperme18. Ces demandes s’inscrivent dans
never asked whether these couples had or had                un contexte international où, depuis une décen-
not the right to be parents. We strongly believe            nie, la santé reproductive des personnes trans et
they have the same basic right to parenthood as             notamment la préservation de leur fertilité avant
any other heterosexual couple in need of donor              traitement hormonal et opération est prise en
semen. Psychological counselling should there-              considération, comme le suggèrent les standards
fore in our view be directed to the same issues             de soins de la World Professional Association
as in any other couple » (De Sutter, 2003 : 382).           for Transgender Health (WPATH)19, qui encou-
Autrement dit, les principes éthiques de Gand
centrés sur la non-discrimination ont des effets à          16 . http://www.cecos.org, consulté le 10 mai 2014.
long terme très différents de ceux de la réflexion          17 . Opération généralement associée à une labioplastie,
                                                            qui suppose une orchidectomie.
médico-éthique de Cochin : les premiers déspé-              18 . La préservation des ovocytes est également pos-
cifient et déstigmatisent d’emblée les hommes               sible, mais les demandes émanant d’hommes trans
                                                            semblent rares. L’Académie de médecine mentionnait,
trans demandeurs d’IAD en en faisant des can-               en 2014, les cas de deux hommes adressés au CECOS
didats ordinaires, quand la seconde participe à             par leur médecin avant leur transition qui, après un entre-
constituer la caractérisation pathologique de               tien, n’ont pas donné suite au projet (Académie nationale
                                                            de médecine, 2014).
ces hommes et de leurs enfants en les inscrivant            19 . La WPATH publie des standards de soins internatio-
définitivement dans un protocole de soins parti-            naux depuis la fin des années 1970, dans lesquels est

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L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

ragent l’information des patients et la mise en                   années. Il y aurait donc actuellement un petit
œuvre de la conservation des gamètes :                            nombre de demandes, envisagé là encore en
   Because feminizing/masculinizing hormone                       termes de multiplication, et ayant conduit très
   therapy limits fertility […], it is desirable for              récemment à une réflexion médico-éthique,
   patients to make decisions concerning ferti-                   selon un processus assez différent cependant de
   lity before starting hormone therapy or under-                 ce qu’on vient de voir pour l’accueil des couples
   going surgery to remove/alter their reproductive               en demande d’IAD. Il semble en effet que les
   organs. […] Health care professionals – inclu-                 CECOS sollicités ont refusé systématiquement
   ding mental health professionals recommending
                                                                  les demandes d’autoconservation de sperme
   hormone therapy or surgery, hormone-prescri-
   bing physicians, and surgeons – should discuss                 des femmes trans, si bien que les intéressées
   reproductive options with patients prior to ini-               ont interpellé diverses instances pour tenter de
   tiation of these medical treatments for gender                 remédier à cette fin de non-recevoir : des cour-
   dysphoria. […]                                                 riers ont été ainsi envoyés au président de la
   MtF patients, especially those who have not                    Fédération française des CECOS, au ministre
   already reproduced, should be informed about                   de la Santé, à ceux de la Justice et des Droits
   sperm preservation options and encouraged to                   des femmes, ainsi qu’au Défenseur des droits22.
   consider banking their sperm prior to hormone                  Des associations se sont également mobilisées
   therapy. […]
                                                                  pour soutenir le recours de ces femmes auprès
   Reproductive options for FtM patients might                    des mêmes instances, envisageant les refus des
   include oocyte (egg) or embryo freezing
                                                                  CECOS en termes de discrimination :
   (WPATH, 2007 : 50-51).
                                                                     Les personnes Trans dont la prise en charge
    En ce qui concerne l’accueil de ces demandes                     médicale est susceptible d’altérer la fertilité,
d’autoconservation en France, les données sont                       ou dont la fertilité risque d’être prématurément
là encore très parcellaires. En 2008, Pierre                         altérée [souligné par les auteurs] (loi L2141-11),
Jouannet20 disait avoir reçu quelques demandes                       souhaitant dans ces conditions la conservation
de préservation de sperme et les avoir refu-                         de leurs gamètes, voient leurs demandes rejetées
                                                                     et en tout état de cause suspendues à la délibéra-
sées, s’interrogeant sur la signification de cette
                                                                     tion d’une commission.
démarche et sur ses conséquences si le sperme
était utilisé (Leprince et Taurisson, 2008). En                       Ces personnes subissent donc un traitement
2013, Jean-François Guérin21 signalait, dans                      différencié et défavorable pour la seule raison
une séance du comité médical et scientifique de                   qu’elles sont Trans. Cela s’appelle une discri-
l’Agence de la biomédecine, que « les centres                     mination. De plus, cette discrimination n’étant
sont confrontés, depuis quelques mois, à une                      prévue dans aucune loi, décret ou arrêté, elle
demande croissante d’autoconservation de leurs                    est illégale (Association Arc en Ciel Toulouse,
gamètes par des individus, avant leur change-                     lettre au président des CECOS, 2013, qui m’a
ment de sexe » (Agence de la biomédecine,                         été transmise lors de l’enquête de terrain).
2013 : 8). Enfin, en 2014, l’Académie de méde-                        Cette interprétation se fonde, comme men-
cine mentionnait une quinzaine de demandes                        tionné, sur l’article L 2141-11 du Code de la
faites auprès des CECOS au cours des dernières                    santé publique23, mais également sur la pratique

inclus, depuis la sixième version (2001), un chapitre sur         22 . Le Défenseur des droits est une autorité constitu-
la santé reproductive des personnes trans.                        tionnelle indépendante qui a été créée en 2011. Il a pour
20 . Médecin spécialiste de la reproduction et de l’AMP,          mission la défense des personnes dont les droits ne sont
ex-directeur du CECOS de l’hôpital Cochin et membre de            pas respectés, et l’égalité de tous et toutes dans l’accès
l’Académie nationale de médecine.                                 aux droits.
21 . Chef de service du CECOS Rhône-Alpes Lyon et                 23 . « Toute personne dont la prise en charge médicale
vice-président du CMS de l’Agence de la biomédecine.              est susceptible d›altérer la fertilité, ou dont la fertilité

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L. Hérault, La gestion médicale de la parenté trans en France,
Enfances Familles Générations, no 23, 2015, p. 165-184. www.efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/353

ordinaire des CECOS, qui présentent ainsi leur                          position concernant la demande des personnes
mission en la matière :                                                 transsexuelles qui souhaitent procéder à une
                                                                        autoconservation de leurs gamètes pour éven-
   Quand doit-on envisager une préservation de la                       tuellement pouvoir les réutiliser après leur tran-
   fertilité chez l’homme ?                                             sition dans un projet de parentalité en couple.
   • En cas de traitement médical pouvant altérer                       Je considère que cette question soulève d’autres
     de manière transitoire ou définitive la produc-                    interrogations liées à la problématique de l’as-
     tion de spermatozoïdes, comme par exemple                          sistance médicale à la procréation et aux nou-
     les chimiothérapies ou les radiothérapies.                         velles demandes de la société qui vont au-delà
   • En cas d’intervention chirurgicale pouvant                         des raisons médicales prévues par les textes de
     modifier l’éjaculation normale des sperma-                         loi. Sur ce dernier point, il me semble important
     tozoïdes : sur la prostate, le col de la vessie,                   que ces institutions mènent une réflexion appro-
     certains curages ganglionnaires.                                   fondie sur le rôle de la médecine par rapport aux
   • En cas de vasectomie, c’est-à-dire une stérili-                    demandes de la société, quand celles-ci ne sont
     sation chirurgicale à visée contraceptive.                         pas liées à une maladie (lettre du Défenseur des
                                                                        droits datée du 23 juill. 2013, qui m’a été trans-
   • Quand disposer de sperme congelé augmente                          mise lors de l’enquête de terrain).
     les chances de réalisation d’une assistance
     médicale à la procréation24.
                                                                         On voit que, dans sa réponse, le Défenseur
   Cette mobilisation a bien sûr interpellé                          des droits traduit la plainte initiale dans un
le Défenseur des droits, qui a répondu aux                           registre autre que celui de la simple discrimina-
doléances en proposant une saisine de diffé-                         tion dans lequel il était porté à sa connaissance.
rentes instances médicales :                                         Il lui est possible de le faire parce qu’il ne limite
   Je reste très attentif à la question que vous avez                pas la question à la préservation des gamètes,
   soulevée. C’est pourquoi, j’ai décidé de sai-                     mais l’ouvre sur la question de leur usage futur.
   sir le Comité Consultatif National d’Ethique25,                   Cet élargissement est assez inhabituel, car
   l’Académie de Médecine26, le Conseil natio-                       l’accord de préservation, que ce soit dans la
   nal de l’Ordre des Médecins et l’Agence de                        loi ou dans la pratique, n’est pas dépendant de
   Biomédecine27. Je souhaiterais connaître leur                     clauses particulières quant à l’usage qui en serait
                                                                     fait ultérieurement. Dans l’univers de l’auto-
risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du              conservation, l’usage des gamètes n’apparaît
recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses
tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à
                                                                     qu’en tant que simple virtualité (c’est une pos-
son bénéfice, d›une assistance médicale à la procréation,            sibilité offerte) qui sera – mais seulement quand
ou en vue de la préservation et de la restauration de sa             la question se posera – rapportée aux conditions
fertilité. Ce recueil et cette conservation sont subordon-
nés au consentement de l›intéressé et, le cas échéant,               définies par la loi et aux capacités médicales du
de celui de l›un des titulaires de l›autorité parentale, ou          moment. Quoi qu’il en soit, le Défenseur des
du tuteur, lorsque l›intéressé, mineur ou majeur, fait l›ob-         droits peut, ce faisant, inscrire la requête dans
jet d›une mesure de tutelle » (Code de la santé publique,
art. L2141-11).                                                      un nouveau cadre, celui de l’éthique médicale,
24 . http://www.cecos.org, consulté le 10 mai 2014.                  et la sortir (provisoirement ?) du cadre primaire
25 . Le CCNE, créé en 1983, est un organisme consul-                 de l’expertise juridique. La plainte ainsi reca-
tatif indépendant qui donne des avis sur les problèmes
éthiques et les questions de société soulevés par les pro-           drée redéfinit à la fois le lieu de l’interroga-
grès de la connaissance dans les domaines de la biolo-               tion et la façon de poser celle-ci : ce n’est plus
gie, de la médecine et de la santé.
26 . L’Académie nationale de médecine peut être saisie
                                                                     le refus qu’il convient d’examiner (est-il juste ?)
d’une demande d’avis par les pouvoirs publics, mais elle
peut aussi émettre un avis sans demande préalable dans               de bioéthique de 2004 qui exerce ses missions dans
tous les domaines de la santé, notamment les questions               les domaines du prélèvement et de la greffe d’organes,
d’éthique médicale.                                                  de la procréation, de l’embryologie et de la génétique
27 . Agence publique nationale d’État créée par la loi               humaines.

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