REGARDS SUR LE DROIT LOCAL

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REGARDS SUR LE DROIT LOCAL
                Par M. Jacques HECK, membre correspondant

      C'est une entreprise pleine de risques que de parler du droit local devant
votre honorable compagnie. Les juristes parmi vous trouveront que mon
exposé est trop léger, les autres en déploreront la sécheresse. Je sollicite donc
à l'avance votre indulgence.

      Lorsqu'il est question de législation locale en Alsace et en Moselle, on
pense en premier lieu au régime des cultes, puis au droit de la chasse, ou
encore au livre Foncier. En réalité la législation locale, s'étend à bien d'autres
domaines : le droit des associations celui des sociétés coopératives qui régit les
nombreuses CMDP de nos départements, la législation sur les assurances
sociales remontant à 1883 et restant partiellement en vigueur, enfin toute une
série de règles de procédure civile en matière de droit successoral (partage
judiciaire, certificat d'héritier), en matière de tutelle, ainsi que des règles
d'organisation judiciaire et de compétence concernant les tribunaux d'instance
et les chambres commerciales. Même les caisses d'épargne Ecureuil sont
régies par les règles particulières en ce qui concerne l'emploi des fonds. Enfin,
il faut encore citer quelques dispositions en matière de faillite qui s'appelle
maintenant redressement judiciaire et de droit du travail, un article L122-14-
10 du Code du Travail faisant encore référence à un délai congé local.

      Le présent exposé se bornera à expliquer la raison d'être et à souligner
certains aspects du droit local. Une première constatation s'impose: pour un
Français moyen, l'existence d'une législation particulière à une portion du
territoire a quelque chose de choquant. Notre constitution du 4 octobre 1958
ne dit-elle pas que tous les citoyens sont égaux devant la loi et cette égalité ne
risque-t-elle pas d'être mise en échec si la loi n'est pas le même pour tous ?
Une réaction de rejet à l'égard du droit local est donc parfaitement compré-
hensible. Nous nous efforcerons de rechercher si elle est justifiée.

      Il faut dire d'emblée que l'existence d'un droit local en Alsace-Moselle
n'est pas due à une volonté délibérée du législateur mais s'explique par les
avatars de l'histoire.
Aperçu historique :
      Lorsqu'une région passe d'une souveraineté à une autre, générale-
ment à la suite d'une guerre, il se pose nécessairement la question de savoir
quelle loi y sera appliquée, l'ancienne ou celle de l'Etat auquel elle vient
d'être rattachée. Cette question a reçu au cours des siècles, des réponses
diverses encore que le nouveau souverain ait tenu, en règle générale, à
appliquer sans délai ses propres lois pénales et administratives.

      Sous l'ancien régime et jusqu'à la promulgation du Code Civil en
1804, il existait en France, une grande diversité de législations. Aussi
n'était-il pas surprenant que les territoires acquis par le royaume restassent
régis par leurs anciennes lois coutumières.

      Tel fut le cas des évêchés de Metz, Toul et Verdun rattachés à la
France en 1552, (acquisition ratifiée par les traités de Westphalie de 1648).
Tel fut le cas de l'Alsace, placée en 1648 sous la souveraineté du roi de
France. Tel fut enfin le cas du duché de Lorraine réuni à la France en 1766
à la mort de Stanislas Lecszinski.

     Dans toutes ces régions, les anciens droits coutumiers restèrent en
vigueur à savoir :
- la coutume de l'évêché et celle de la ville de Metz ;
- la coutume générale du duché de Lorraine ;
- les différentes coutumes alsaciennes.

      Il importait peu au pouvoir royal que les rapports de droit privé entre
ses sujets soient réglés de manière différente suivant les provinces. De
même le pouvoir royal se montrait tolérant quant à l'usage des langues et
dialectes régionaux. Si en Alsace, la langue française se répandit rapide-
ment dans les milieux de la noblesse et de la bourgeoisie, l'Etat n'entreprit
aucune action d'ensemble pour l'introduire dans les milieux populaires. Par
contre, le même pouvoir se montrait d'autant plus vigilant dans le domaine
religieux. Le roi considérant qu'il occupait son trône par la grâce de Dieu,
ne pouvait admettre que certains de ses sujets ne partageassent pas sa foi. Il
est vrai que cette conception était commune à toute l'Europe et se
traduisait par la maxime "Cujus régio, ejus réligio".

      Les anciens droits coutumiers (droits locaux) disparurent à partir du
moment où l'unification législative fut réalisée sous le premier empire par
la promulgation du Code Civil et des autres codes.

     Lorsqu'à la suite des conquêtes de la Révolution et de l'Empire furent
crées les départements du Palatinat et de la Rhénanie, il ne fut plus
question d'y laisser subsister les anciennes législations. Le code civil
notamment y fut introduit et chose curieuse y fut maintenu après la défaite
française et le traité de Paris 1815 ; il y resta en vigueur jusqu'en 1900. Ce
n'est en effet qu'à cette date que fut mis en vigueur un code civil unique
dans le Reich allemand. Auparavant la confédération allemande, puis
l'empire, connurent de multiples législations particulières variables d'un
Land ou même d'une province à l'autre.

     De même, le Code civil français fut maintenu en Alsace-Lorraine
lorsque après le traité de Francfort de 1871, ces provinces furent annexées
par l'Allemagne. Comme ce fut le cas pour l'empire, le Code Civil
                                                      er
allemand (BGB) n'y fut mis en vigueur que le 1 janvier 1900.

      Lorsque par le traité de Versailles du 18 juin 1919, l'Alsace et la
Moselle firent retour à la France, deux tendances s'affronteront, l'une que
nous appelerons jacobine, selon laquelle l'unité de la nation impliquait
l'unité législative, l'autre selon laquelle il fallait respecter les libertés, les
institutions, les coutumes des provinces désannexées.

Le droit local Alsacien-Lorrain
      Dès 1915 la Conférence d'Alsace-Lorraine siégeant à Paris avait
estimé qu'il n'était pas possible de procéder comme en 1860 pour la Savoie
et le Comté de Nice où par Sénatus-Consulte du 14 août 1860 avait été
décrétée la substitution pure et simple de l'ensemble de la législation
française à l'ancienne législation.

     Les tenants de la politique centralisatrice étaient Georges Clemenceau
et Louis Barthou. Ce dernier estimait que la substitution d'un droit à un
autre était une opération symbolique destinée à évacuer le passé.

      L'autre tendance celle du respect de certains particularismes soutenue
par la majorité des élus des trois départements avait trouvé un défenseur en
la personne d'Alexandre Millerand nommé en 1919 Comminssaire général
de la République pour les trois départements et futur Président de la
République. Dans une déclaration faite à la chambre des Députés le
 er
1 octobre 1919, il affirmait "qu'il ne s'agissait pas de remplacer une
législation par une autre mais d'étudier leur imprégnation réciproque,
c'est-à-dire de faire une construction législative originale et moderne ! "
Cette opinion prévalut et trouva son application dans les deux lois du
 er
1 juin 1924 portant introduction des législations civile et commerciale
françaises. Les Lorrains noteront que Robert Schuman a joué un rôle
important dans l'élaboration de ces lois à côté de parlementaires alsaciens
           e                                      e
tels que M Jaeger notaire à Hochfelden et M Eccard, avocat à Strasbourg
et d'un certain nombre d'autres élus. Dès avant ces lois qui entrèrent en
               er
vigueur le 1 janvier 1925, avaient été publiés un certain nombre de lois et
décrets relatifs à l'organisation administrative et judiciaire des départe-
ments recouvrés.
Notons que les lois pénales françaises (code pénal et code d'instruction
criminelle) furent déclarées applicables par un décret du 25 mars 1919 et
qu'un autre décret du 17 octobre de la même année prévoyait en son article 8,
des élections sénatoriales, législatives, départementales et communales
selon les lois françaises.
      Il n'y a pas lieu de faire ici, une étude exhaustive des lois du
 er
1 juin 1924, nous nous bornerons à dégager les principes qui avaient
inspiré le législateur et à décrire l'évolution subie depuis, par cette
législation.
      Globalement et en simplifiant à l'extrême, on peut dire que ces lois
ont mis en application les règles de fond du droit privé français, ce qu'on
appelle le droit substantiel et notamment le code civil et le code de
commerce et ont maintenu des lois locales sur la procédure notamment le
code local de procédure civile. L'article 7 énumère les autres lois locales
expressément maintenues et notamment :
- les lois sur la chasse,
- le code professionnel,
- la législation sur les assurances sociales,
- la législation sur les sociétés coopératives,
- la législation sur les associations,
- la législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses et sur
  l'enseignement religieux.
      Faut-il rappeler que dans le domaine du droit du travail et des
assurances sociales, la législation allemande était à l'époque en avance sur
la législation française ?
      L'article 6 de la loi de 1924 en déclarant abrogé l'ensemble de la
législation civile locale en y comprenant les diverses lois relatives aux
matières pour lesquelles la loi française est mise en vigueur, a repris une
formule contenue dans la loi du 30 ventôse au XII instituant le Code Civil.
Il suffisait donc pour qu'une loi locale fasse l'objet d'une abrogation tacite,
que la matière qu'elle traite soit réglementée dans une loi française
introduite. Cette réminiscence historique nous rappelle que le droit local a
été traité comme l'avait été l'ancien droit français au moment de la mise en
vigueur du code civil.
      Les principes qui ont guidé le législateur de 1924 sont exposés dans une
circulaire ministérielle du 24 novembre 1924. Il y est dit sous l'article 14 de la
                                                                 er
loi que "à l'expiration du délai qui commence à courir le 1 janvier 1925,
date d'entrée en vigueur de la loi, la législation française, telle qu'elle sera à
cette époque se substituera aux règles locales provisoirement maintenues ".
Ainsi le maintien du droit local prévu pour dix ans, ne devait avoir qu'un
caractère provisoire, il devait cesser lorsque les dispositions correspondan-
tes du droit général seront modernisées et se substitueront à lui. Force est
de constater que ce premier délai de dix ans fut prolongé d'abord jusqu'en
                                                       er
1945, puis sans limitation et qu'il fallut attendre le 1 janvier 1977 pour que
le plus gros morceau de la législation locale, le code local de procédure
civile fut remplacé par le nouveau code de procédure civile.

      Il y a ce retard plusieures explications dont la première consiste dans
la pesanteur des procédures législatives. La constitution de 1958 a permis
d'effectuer la réforme du code général de procédure civile par voie de
décret. D'autre part, pour que l'unification des procédures locale et
générale puisse se réaliser, il fallait que disparaisse au préalable un obstacle
majeur relatif à la représentation des parties en justice. En vieille France
subsistait la dualité entre la postulation et la plaidoierie, entre avoués et
avocats, qui avait été suprimée dès 1877 en Alsace-Lorraine. C'est une loi
du 31 décembre 1971 que fit disparaître cet obstacle.

      C'est le garde des Sceaux René Pleven qui en 1972 créa la Commission
d'Harmonisation de la Procédure civile dont la mission fixée par arrêté
ministériel du 11 octobre 1972 était "de proposer dans le cadre de la
rénovation de la procédure civile, les harmonisations qui paraîtraient
possibles entres les dispositions appliquées dans les départements du Rhin
et de la Moselle et celles régissant le procès civil dans les autres départe-
ments". Cette commission composée de magistrats, avocats et autres
praticiens du droit originaires des trois départements ainsi que de représen-
tants du Ministre de la justice, de la Cour de Cassation et de l'Université fit
un travail sérieux et soutenu. Dans un certain nombre de cas, les solutions
empruntées du droit local furent adoptées pour le Nouveau Code de
                                                               er
Procédure Civile qui entra en vigueur en Alsace-Moselle le 1 janvier 1977.

     Encore faut-il signaler que l'annexe à ce nouveau Code de Procédure
créa un nouveau droit local : échappent au droit général certaines règles de
procédure en matière de tutelle, de succession, de saisine des tribunaux.

      D'autre part fut maintenu en vigueur le Livre VIII du CLPC sur les
voies d'exécution formant une masse de plus de 300 articles. Une loi du
9 juillet 1991 a abrogé ce livre VIII en ne laissant subsister que quelques
dispositions ponctuelles.

Quelques cas concrets.
     Essayons de sortir de l'abstraction et d'illustrer par quelques exemples
concrets, la différence entre le droit général et le droit local.

      En matière d'exécution forcée mobilière :
      Plusieurs personnes ont une créance contre un même débiteur, la
totalité de ces créances étant supérieure à la valeur des biens de ce dernier.
D'après le droit général (art. 2093 du code civil) sauf privilège établi par la
loi, les différents créanciers seront satisfaits, "au marc le franc". Le
produit de la vente des biens du débiteur sera réparti proportionnellement
au montant de chaque créance.

      D'après l'article 804 du code local de procédure civile, c'est au
contraire le premier créancier saisissant qui va se payer intégralement suivi
par les autres suivant la date de leur saisie, les derniers ne touchant rien.
                                                er
Cet exemple est encore valable jusqu'au 1 août 1992, date à laquelle
entrera en vigueur la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures
civiles d'exécution. Cette loi non seulement a fait disparaître le droit de
          er
gage du 1 saisissant mais a abrogé presque toutes les autres dispositions du
Livre VIII du code local de procédure civile. Ainsi a été crée une
législation nouvelle applicable aussi bien dans les trois départements de
l'Est qu'en vieille France.

      La faillite civile :
      Applicable aux personnes physiques qui ne sont ni artisans ni commer-
çants elle est une particularité du droit local. Héritée du droit allemand,
                                           er
maintenue par la loi commerciale du 1 juin 1924, elle a été à nouveau
maintenue par l'article 234 de la loi du 15 janvier 1985 sur le redressement
judiciaire. Depuis cette loi, elle a même acquis, pour le débiteur, un intérêt
nouveau, puisque selon l'article 169 de la dite loi, en cas de clôture de la
liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, les créanciers ne recouvrent
plus l'exercice de leurs poursuites individuelles. En d'autres termes, le
débiteur est à l'abri de nouvelles poursuites. Cette solution qui, en droit
général, est valable pour les commerçants, artisans et personnes morales,
l'est en droit local, également pour les particuliers. A cet égard, elle
apporte un plus à la loi du 31/12/89 sur le surendettement, dite loi Neiertz.

      En matière d'assurance :
      La loi locale du 30 mai 1908 a été maintenue en vigueur en 1908 parce
qu'il n'existait pas à l'époque de loi française sur les assurances terrestres.
Une telle loi a vu le jour le 13 juillet 1930 pour être transformée en 1976 en
code des Assurances. Logiquement la loi locale aurait pu être abrogée en
1930. Il a fallu attendre une loi du 6 mai 1991 pour que cela fût fait. Cette
loi, modifiant le code des assurances dispose à l'article 111-4 de ce code que
celui-ci est désormais applicable dans les départements du Rhin et de la
Moselle, la loi locale du 30 mai 1908 étant abrogée à l'exception de
certaines règles impératives.

    Il est remarquable que la nouvelle loi ait laissé subsister une différence
importante entre les législations locale et générale.

     Les articles 1733 et 1734 du code civil qui, en cas d'incendie d'un
immeuble, font peser une présomption de responsabilité sur les locataires,
restent sans application dans les trois départements.
Pour ce qui est des associations :
      La loi locale leur procure à la condition d'être inscrites au Tribunal
d'Instance, la pleine capacité juridique, alors que selon la loi générale du
 er
1 juillet 1901, celle-ci n'est obtenue que par une déclaration d'utilité
publique prononcée par décret. Il est vrai que l'inscription du registre du
Tribunal est subordonnée à un double contrôle préalable, judiciaire pour
ce qui est de la régularité des statuts, administratif pour examiner si
l'association n'est pas illicite ou ne porte pas atteinte à l'ordre public.

      Le régime des tutelles :
      Il mérite une mention particulière ; son examen démontre que certai-
nes instances locales ont pu s'opposer à l'unification législative. La loi de
1924 avait créé une dualité législative ; alors que le Code Civil s'appliquait à
la généralité des Français même domiciliés en Alsace-Moselle, le droit
local des tutelles restait applicable aux personnes ayant le statut d'Alsa-
ciens-Lorrains, c'est-à-dire réintégrés dans la nationalité française en vertu
du Traité de Versailles, et à leurs enfants. La circulaire Ministérielle du
29 novembre 1924 reproduite sous l'article 15 de la loi de 1924 avait
reconnu que "les dispositions locales assuraient mieux que les règles
françaises la protection de l'incapable... et qu'elles étaient plus simples,
plus souples et d'application plus rapide et moins coûteuse ".

      Une loi du 14 décembre 1964 a réformé le régime des tutelles du code
civil en s'inspirant largement de la législation locale. Rien ne s'opposait
donc à l'application de ces dispositions nouvelles alors que n'existaient
pratiquement plus d'enfants mineurs issus de parents réintégrés. Or l'on a
constaté essentiellement en Alsace, des réticences à appliquer la loi
française pour des motifs non de principe, mais de commodité, la loi locale
permettant de faire l'économie d'une réunion du conseil de famille.

      Une loi récente du 29 décembre 1990 votée sur proposition des
sénateurs alsaciens et mosellans a abrogé les articles de la loi de 1924 qui
avaient maintenu en vigueur la législation locale des tutelles. Ainsi a été
réalisée l'unification législative, le code civil étant seul applicable. Certes
des problèmes subsistent au sujet de la saisine du juge des tutelles et des
voies de recours, matières qui sont régies actuellement par l'annexe au
Nouveau Code de Procédure Civile. L'avenir nous dira si l'approche plus
réaliste assurée par ce texte en matière de saisine sera maintenue.

      Dans le domaine artisanal :
      La loi le Chapelier de 1791 avait supprimé les anciennes corporations
de métiers. Celles-ci ont été rétablies dans nos trois départements en 1889
par le code Professionnel local (Gewerbeordnung) dont les dispositions ont
été maintenues par le loi de 1924. Cette législation avait mis en place des
Chambres de Métiers qui avaient la haute-main sur l'apprentissage sanc-
tionné par l'examen de compagnon et de maîtrise.
Une loi du 16 juillet 1971 sur la réforme de l'apprentissage a mis fin à
la prépondérance des Chambres de Métiers et a doublé l'examen de
compagnon par le certificat d'aptitude professionnelle (CAP). Alors qu'au-
paravant l'apprentissage commençait à l'âge de 14 ans, il ne peut débuter
avec le nouveau régime qu'à l'âge de 16 ans. Dans les milieux des artisans
on déplore cette réforme qui aurait pour effet de les priver d'apprentis
motivés.

     Une évolution récente inspirée par le souci de remédier au chômage
des jeunes va vers un retour à l'apprentissage dans l'entreprise largement
pratiqué en Allemagne.

      L'échevinage
      Il avait été introduit dans nos départements, pendant l'annexion pour
les juridictions commerciales et prud'homales. La collaboration au sein
d'une même juridiction d'un juriste avec des gens de la profession (com-
merçants, employeurs, salariés) a donné de bons résultats. Une loi du
6 mai 1982 l'a abolie pour ce qui est des conseils de prud'hommes
dorénavant composés comme dans le reste de la France, uniquement
d'employeurs et de salariés. Cette réforme s'est faite à l'instigation des
syndicats ouvriers malgré l'opposition de la majorité des élus locaux et des
organisations patronales.

      Les chambres commerciales continuent à fonctionner selon le système
de l'échevinage.

      Le régime local de la chasse :
      Il a pour conséquence de préserver le gibier en réduisant considérable-
ment le nombre des chasseurs. Si le droit de chasse est en principe un
attribut du droit de propriété comme c'est le cas en vieille France, il ne peut
être exercé en Alsace-Moselle que par un propriétaire possédant au moins
25 hectares d'un seul tenant. Ce sont les communes qui exploitent ce droit
en le donnant en location par adjudication, généralement à des prix
substantiels.

     Le régime local des assurances sociales :
     Il a donné lieu récemment à des débats passionnés. L'article 5 de la loi
du 31 décembre 1991 modifiant l'article 181-1 du code de la Sécurité
sociale, a disposé que le régime local sera déterminé par des décrets. Les
uns y ont vu une pérennisation du régime local, les autres un risque de
disparition de ce régime.

      Le Livre Foncier
      Enfin, on ne passer sous silence le Livre Foncier qui constitue une des
institutions fondamentales du droit local. En vieille France, la publicité
foncière relève de l'administration des finances par le Bureau des Hypothè-
ques. En Alsace-Moselle, elle est assurée sous le contrôle du juge du Livre
Foncier qui vérifie la légalité des actes. Les tentatives d'y introduire le
système général se sont heurtées à l'opposition des notaires. L'informatisa-
tion du Livre Foncier est actuellement à l'étude.

Maintien de la législation locale pour des motifs politiques ou éthiques
      Dans les cas examinés jusqu'à présent, la loi locale maintenue en
vigueur présentait une supériorité technique sur la loi générale. Il est un
domaine où ce maintien a été justifié par d'autres considérations, c'est celui
de la législation des cultes. Cette législation trouve son origine dans le
concordat de 1801 passé entre Bonaparte, alors premier Consul et le
Saint-Siège. Bien qu'il se soit agi d'un traité auquel le Reich allemand
n'était pas partie, le vainqueur de 1871 a estimé devoir en maintenir les
dispositions à titre de législation interne. On connait la réaction autono-
miste qui a accueilli en 1924 la tentative de Herriot d'instaurer dans nos
trois départements, le régime de la séparation de l'église et de l'Etat en
vigueur en Vieille France depuis 1905.
                                                e
      Il est intéressant de noter que sous la 4 République, entre 1952 et
1957 des négociations ont eu lieu entre le gouvernement français représenté
par Robert Lecourt et le Saint-Siège en vue de régler sur les bases
nouvelles le problème de la laïcité de l'Etat et celui des écoles confession-
nelles, ceci pour l'ensemble de la France. Ces négociations ont finalement
échoué, en partie semble-t-il à cause des réticences des évêques de
                r              r
Strasbourg (Ms Weber et M§ Elchinger) qui craignaient pour leur diocèse
la perte des avantages résultant du concordat de 1801.

      L'arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, avait suscité des craintes,
surtout en Alsace quant au régime des cultes ; en réalité la gauche
traditionnellement jacobine et anticléricale avait évolué depuis 1924. Si le
parti socialiste a demandé l'abrogation de la loi Falloux et la déconfession-
nalisation de l'enseignement par contre le député socialiste Jean-Marie
Bockel, chargé de mission en 1982 par le Premier Ministre Pierre Mauroy a
affirmé en conclusion de son rapport " que le régime des cultes constitue un
élément pratiquement intangible du paysage social local". L'évolution du
parti socialiste s'est traduite par sa politique de décentralisation (loi du 2
mars 1982) et l'intérêt apparent qu'il a manifesté aux langues et cultures
régionales.

     Parmi les règles locales d'inspiration éthique ou confessionnelle, il
faut citer également la législation spéciale concernant le Vendredi-Saint.
Ce jour a été déclaré jour férié légal à la fois par une ordonnance impériale
du 19 octobre 1887 et par une ordonnance du 16 août 1892 du Ministre
chargé des affaires Alsace-Lorraine, cette dernière ordonnance précisant
toutefois que le Vendredi-Saint n'était férié au sens du code local des
Professions que dans les communes où se trouvaient une église protestante.
On connaît les difficultés suscitées par l'application de ce texte en Moselle,
du fait des grandes surfaces situées en dehors du périmètre des communes
concernées. C'est pourquoi une loi du 31 décembre 1989 a donné pouvoir
au Préfet de la Moselle d'autoriser ou d'interdire l'ouverture des établisse-
ments commerciaux ce jour, d'une manière générale et indépendamment
de la présence d'un temple protestant. Dans cette affaire, les églises
protestantes n'ont pas seulement bénéficié du soutien de l'Evêque de Metz
mais ont eu comme alliés objectifs les syndicats ouvriers.

      Le problème de l'ouverture des magasins le dimanche qui fait l'objet
d'un débat sur le plan national (projet de loi Doubin) est certes considéré
avant-tout sous l'angle commercial et syndical. Mais il présente également
une connotation éthique. Ceux qui, pour des motifs mercantiles, tendent à
faire du dimanche un jour comme un autre devraient se souvenir de
l'expérience révolutionnaire du décadi. Cette innovation avait été rejetée
par les populations, non seulement pour des motifs religieux mais égale-
ment parce qu'elle était contraire au rythme naturel du travail et du repos.

     Dans le domaine religieux, on trouve, sous l'ancien régime un certain
nombre de situations particulières, différentes de celles existant dans le
reste du royaume, ceci étant valable uniquement pour l'Alsace. Elles
concernent la nomination des Evoques, la non application de l'Edit de 1685
portant révocation de l'Edit de Nantes, l'institution du simultanéum.

      Dans le royaume, conformément au concordat de Bologne de 1516,
c'était le roi qui nommait les Evêques, l'institution canonique leur étant
donnée par le Pape. Lorsque par les traités de Westphalie, le roi de France
acquit sur l'Alsace les droits de souveraineté exercés par les Habsbourg, il
n'imposa pas ce régime aux catholiques d'Alsace. Comme auparavant et en
application du Concordat de Vienne de 1448, c'est le chapitre de la
Cathédrale de Strasbourg qui continuait à élire l'évêque.

      Pour ce qui est des protestants, les mêmes traités de Westphalie de
1648 (Osnabruck et Munster) qui leur garantissaient en Alsace la liberté du
culte, empêchèrent en 1685 l'exécution de l'Edit de Révocation qui avait
mis hors la loi y compris en Lorraine, le protestantisme dans le reste du
royaume.

       Par contre les protestants alsaciens se virent imposer le "simulta-
néum" c'est-à-dire l'usage commun avec les catholiques, de leurs lieux de
culte. C'est un rescrit de Louvois de 1684 qui avait ordonné que là où il y
avait sept familles catholiques, elles pourraient exiger l'usage du chœur de
l'église paroissiale. Imposé à l'époque à 160 paroisses protestantes, le
simultanéum subsiste encore actuellement dans environ cinquante villages.
e
Jusqu'au 19 siècle, cet usage commun a donné lieu a de nombreux conflits.
Il eut la conséquence de faire assumer par les populations catholiques et
protestantes des dissenssions qui à l'origine étaient celles de leurs chefs
temporels et spirituels. Les temps ont bien changé et l'on a pu écrire
récemment que les églises mixtes constituent une voie vers l'œcuménisme.

                              CONCLUSION

      Ce rapide survol de l'histoire nous montre que des législations
particulières ont existé dans nos régions depuis des siècles et ceci dans des
domaines divers y compris le domaine religieux.

      Le droit local n'est donc pas né en 1918. D'autre part et contrairement
à une opinion assez répandue, le droit local subsistant actuellement n'est
pas toujours d'origine germanique. En dehors de la législation concorda-
taire et de la loi Falloux sur l'enseignement religieux est né après 1918 un
droit particulier d'origine française dont l'annexe au Nouveau Code de
Procédure Civile fournit un exemple.

      Quant à la législation d'origine allemande, son domaine s'est progres-
sivement amenuisé à mesure que la législation générale s'est modernisée.
Ainsi que l'avait prévu Alexandre Millerand en 1919, il y a eu imprégnation
réciproque des deux législations. Le processus a repris vigueur avec la
création en 1972, par René Pleven, Garde des Sceaux, de la Commission
d'Harmonisation.

      C'est sous impulsion de cette commission qu'a été réalisé le Nouveau
Code de Procédure civile et qu'ont vu le jour :
- la loi du 29 décembre 1990 faisant disparaître le droit local en matière de
  tutelle,
- la loi du 6 mai 1991 unifiant la législation sur les assurances,
- la loi du 9 juillet 1991 créant une législation unique pour les voies
  d'exécution à l'exception de l'exécution forcée immobilière.

      Il est remarquable de constater que chacune de ces lois unificatrices a
laissé subsister un petit reliquat des règles locales.

     Enfin on ne peut passer sous silence la création en 1985 sous forme
d'association, de l'Institut de Droit Local, subventionné par divers établis-
sements publics, qui s'est assigné comme mission de promouvoir une
meilleure connaissance du droit local en usage dans nos trois départements.
Cette mission est réalisée :
- par la centralisation de l'ensemble de la documentation (ouvrages,
  textes, e t c . ) ,
- par le dépouillement systématique de la jurisprudence,
- par la constitution d'un banque de données,
- par la diffusion régulière de notices d'information,
- par l'organisation de colloques.

     Deux de ces colloques ont eu lieu à Metz,
- le 12 mars 1987 sur le droit et la vie associative,
- le 25 mai 1991 sur la faillite civile et le surendettement, en collaboration
  avec le centre de formation Professionnelle des Avocats.

      Le 19 février 1991, l'Institut de Droit Local avait organisé une séance
de travail à laquelle étaient conviés les préfets et les administrations
intéressées, les différents syndicats, les groupements de détaillants pour
examiner le projet de la loi Doubin sur le repos dominical ainsi que ses
incidences sur le droit local (Code local des Professions).

      Tout ceci démontre que le droit local n'est pas une branche morte du
droit. Il est de mieux en mieux connu ; il est souvent à l'origine d'une mise à
jour du droit général ce qui entraîne sauf exceptions sa propre disparition.

                             BIBLIOGRAPHIE

     Répertoire Niboyet, Droit et Jurisprudence d'Alsace-Lorraine,        Sirey,
Paris, 1925.

     Struss, Textes introductifs de la législation civile et commerciale,
Introduction du Président Coen, Colmar, 1935.

     Répertoire de Procédure Civile Dalloz; Alsace-Lorraine, Introduction
du Premier Président R. Mischlich, Paris, 1978.
        m e
      M R. Zimmermann : Harmonisation de la procédure civile générale
et de la procédure locale. Colmar, 1976.

     Eglises et Etat en Alsace et en Moselle, Cerdic, Strasbourg, 1979.

      Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, 1980, n° 2 et 3 : le droit
local.
La situation du droit local alsacien-lorrain, Actes du Colloque de
Strasbourg. Librairie générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1986.

     Droit local et vie associative ; Journées d'études à Metz du 12 mars
1987. Unité, recherche, formation.

     Jurisclasseur Alsace-Moselle, Editions Techniques, Paris, 1987.

     Histoire du Droit local; Actes du Colloque I.D.L., Strasbourg,
19-10-1989.

    La faillite Civile d'Alsace-Moselle ; Actes du Colloque C F . P . A.,
Metz, 25-5-1991.
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