REGARDS SUR LE DROIT LOCAL
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REGARDS SUR LE DROIT LOCAL Par M. Jacques HECK, membre correspondant C'est une entreprise pleine de risques que de parler du droit local devant votre honorable compagnie. Les juristes parmi vous trouveront que mon exposé est trop léger, les autres en déploreront la sécheresse. Je sollicite donc à l'avance votre indulgence. Lorsqu'il est question de législation locale en Alsace et en Moselle, on pense en premier lieu au régime des cultes, puis au droit de la chasse, ou encore au livre Foncier. En réalité la législation locale, s'étend à bien d'autres domaines : le droit des associations celui des sociétés coopératives qui régit les nombreuses CMDP de nos départements, la législation sur les assurances sociales remontant à 1883 et restant partiellement en vigueur, enfin toute une série de règles de procédure civile en matière de droit successoral (partage judiciaire, certificat d'héritier), en matière de tutelle, ainsi que des règles d'organisation judiciaire et de compétence concernant les tribunaux d'instance et les chambres commerciales. Même les caisses d'épargne Ecureuil sont régies par les règles particulières en ce qui concerne l'emploi des fonds. Enfin, il faut encore citer quelques dispositions en matière de faillite qui s'appelle maintenant redressement judiciaire et de droit du travail, un article L122-14- 10 du Code du Travail faisant encore référence à un délai congé local. Le présent exposé se bornera à expliquer la raison d'être et à souligner certains aspects du droit local. Une première constatation s'impose: pour un Français moyen, l'existence d'une législation particulière à une portion du territoire a quelque chose de choquant. Notre constitution du 4 octobre 1958 ne dit-elle pas que tous les citoyens sont égaux devant la loi et cette égalité ne risque-t-elle pas d'être mise en échec si la loi n'est pas le même pour tous ? Une réaction de rejet à l'égard du droit local est donc parfaitement compré- hensible. Nous nous efforcerons de rechercher si elle est justifiée. Il faut dire d'emblée que l'existence d'un droit local en Alsace-Moselle n'est pas due à une volonté délibérée du législateur mais s'explique par les avatars de l'histoire.
Aperçu historique : Lorsqu'une région passe d'une souveraineté à une autre, générale- ment à la suite d'une guerre, il se pose nécessairement la question de savoir quelle loi y sera appliquée, l'ancienne ou celle de l'Etat auquel elle vient d'être rattachée. Cette question a reçu au cours des siècles, des réponses diverses encore que le nouveau souverain ait tenu, en règle générale, à appliquer sans délai ses propres lois pénales et administratives. Sous l'ancien régime et jusqu'à la promulgation du Code Civil en 1804, il existait en France, une grande diversité de législations. Aussi n'était-il pas surprenant que les territoires acquis par le royaume restassent régis par leurs anciennes lois coutumières. Tel fut le cas des évêchés de Metz, Toul et Verdun rattachés à la France en 1552, (acquisition ratifiée par les traités de Westphalie de 1648). Tel fut le cas de l'Alsace, placée en 1648 sous la souveraineté du roi de France. Tel fut enfin le cas du duché de Lorraine réuni à la France en 1766 à la mort de Stanislas Lecszinski. Dans toutes ces régions, les anciens droits coutumiers restèrent en vigueur à savoir : - la coutume de l'évêché et celle de la ville de Metz ; - la coutume générale du duché de Lorraine ; - les différentes coutumes alsaciennes. Il importait peu au pouvoir royal que les rapports de droit privé entre ses sujets soient réglés de manière différente suivant les provinces. De même le pouvoir royal se montrait tolérant quant à l'usage des langues et dialectes régionaux. Si en Alsace, la langue française se répandit rapide- ment dans les milieux de la noblesse et de la bourgeoisie, l'Etat n'entreprit aucune action d'ensemble pour l'introduire dans les milieux populaires. Par contre, le même pouvoir se montrait d'autant plus vigilant dans le domaine religieux. Le roi considérant qu'il occupait son trône par la grâce de Dieu, ne pouvait admettre que certains de ses sujets ne partageassent pas sa foi. Il est vrai que cette conception était commune à toute l'Europe et se traduisait par la maxime "Cujus régio, ejus réligio". Les anciens droits coutumiers (droits locaux) disparurent à partir du moment où l'unification législative fut réalisée sous le premier empire par la promulgation du Code Civil et des autres codes. Lorsqu'à la suite des conquêtes de la Révolution et de l'Empire furent crées les départements du Palatinat et de la Rhénanie, il ne fut plus question d'y laisser subsister les anciennes législations. Le code civil notamment y fut introduit et chose curieuse y fut maintenu après la défaite
française et le traité de Paris 1815 ; il y resta en vigueur jusqu'en 1900. Ce n'est en effet qu'à cette date que fut mis en vigueur un code civil unique dans le Reich allemand. Auparavant la confédération allemande, puis l'empire, connurent de multiples législations particulières variables d'un Land ou même d'une province à l'autre. De même, le Code civil français fut maintenu en Alsace-Lorraine lorsque après le traité de Francfort de 1871, ces provinces furent annexées par l'Allemagne. Comme ce fut le cas pour l'empire, le Code Civil er allemand (BGB) n'y fut mis en vigueur que le 1 janvier 1900. Lorsque par le traité de Versailles du 18 juin 1919, l'Alsace et la Moselle firent retour à la France, deux tendances s'affronteront, l'une que nous appelerons jacobine, selon laquelle l'unité de la nation impliquait l'unité législative, l'autre selon laquelle il fallait respecter les libertés, les institutions, les coutumes des provinces désannexées. Le droit local Alsacien-Lorrain Dès 1915 la Conférence d'Alsace-Lorraine siégeant à Paris avait estimé qu'il n'était pas possible de procéder comme en 1860 pour la Savoie et le Comté de Nice où par Sénatus-Consulte du 14 août 1860 avait été décrétée la substitution pure et simple de l'ensemble de la législation française à l'ancienne législation. Les tenants de la politique centralisatrice étaient Georges Clemenceau et Louis Barthou. Ce dernier estimait que la substitution d'un droit à un autre était une opération symbolique destinée à évacuer le passé. L'autre tendance celle du respect de certains particularismes soutenue par la majorité des élus des trois départements avait trouvé un défenseur en la personne d'Alexandre Millerand nommé en 1919 Comminssaire général de la République pour les trois départements et futur Président de la République. Dans une déclaration faite à la chambre des Députés le er 1 octobre 1919, il affirmait "qu'il ne s'agissait pas de remplacer une législation par une autre mais d'étudier leur imprégnation réciproque, c'est-à-dire de faire une construction législative originale et moderne ! " Cette opinion prévalut et trouva son application dans les deux lois du er 1 juin 1924 portant introduction des législations civile et commerciale françaises. Les Lorrains noteront que Robert Schuman a joué un rôle important dans l'élaboration de ces lois à côté de parlementaires alsaciens e e tels que M Jaeger notaire à Hochfelden et M Eccard, avocat à Strasbourg et d'un certain nombre d'autres élus. Dès avant ces lois qui entrèrent en er vigueur le 1 janvier 1925, avaient été publiés un certain nombre de lois et décrets relatifs à l'organisation administrative et judiciaire des départe- ments recouvrés.
Notons que les lois pénales françaises (code pénal et code d'instruction criminelle) furent déclarées applicables par un décret du 25 mars 1919 et qu'un autre décret du 17 octobre de la même année prévoyait en son article 8, des élections sénatoriales, législatives, départementales et communales selon les lois françaises. Il n'y a pas lieu de faire ici, une étude exhaustive des lois du er 1 juin 1924, nous nous bornerons à dégager les principes qui avaient inspiré le législateur et à décrire l'évolution subie depuis, par cette législation. Globalement et en simplifiant à l'extrême, on peut dire que ces lois ont mis en application les règles de fond du droit privé français, ce qu'on appelle le droit substantiel et notamment le code civil et le code de commerce et ont maintenu des lois locales sur la procédure notamment le code local de procédure civile. L'article 7 énumère les autres lois locales expressément maintenues et notamment : - les lois sur la chasse, - le code professionnel, - la législation sur les assurances sociales, - la législation sur les sociétés coopératives, - la législation sur les associations, - la législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses et sur l'enseignement religieux. Faut-il rappeler que dans le domaine du droit du travail et des assurances sociales, la législation allemande était à l'époque en avance sur la législation française ? L'article 6 de la loi de 1924 en déclarant abrogé l'ensemble de la législation civile locale en y comprenant les diverses lois relatives aux matières pour lesquelles la loi française est mise en vigueur, a repris une formule contenue dans la loi du 30 ventôse au XII instituant le Code Civil. Il suffisait donc pour qu'une loi locale fasse l'objet d'une abrogation tacite, que la matière qu'elle traite soit réglementée dans une loi française introduite. Cette réminiscence historique nous rappelle que le droit local a été traité comme l'avait été l'ancien droit français au moment de la mise en vigueur du code civil. Les principes qui ont guidé le législateur de 1924 sont exposés dans une circulaire ministérielle du 24 novembre 1924. Il y est dit sous l'article 14 de la er loi que "à l'expiration du délai qui commence à courir le 1 janvier 1925, date d'entrée en vigueur de la loi, la législation française, telle qu'elle sera à cette époque se substituera aux règles locales provisoirement maintenues ". Ainsi le maintien du droit local prévu pour dix ans, ne devait avoir qu'un caractère provisoire, il devait cesser lorsque les dispositions correspondan- tes du droit général seront modernisées et se substitueront à lui. Force est
de constater que ce premier délai de dix ans fut prolongé d'abord jusqu'en er 1945, puis sans limitation et qu'il fallut attendre le 1 janvier 1977 pour que le plus gros morceau de la législation locale, le code local de procédure civile fut remplacé par le nouveau code de procédure civile. Il y a ce retard plusieures explications dont la première consiste dans la pesanteur des procédures législatives. La constitution de 1958 a permis d'effectuer la réforme du code général de procédure civile par voie de décret. D'autre part, pour que l'unification des procédures locale et générale puisse se réaliser, il fallait que disparaisse au préalable un obstacle majeur relatif à la représentation des parties en justice. En vieille France subsistait la dualité entre la postulation et la plaidoierie, entre avoués et avocats, qui avait été suprimée dès 1877 en Alsace-Lorraine. C'est une loi du 31 décembre 1971 que fit disparaître cet obstacle. C'est le garde des Sceaux René Pleven qui en 1972 créa la Commission d'Harmonisation de la Procédure civile dont la mission fixée par arrêté ministériel du 11 octobre 1972 était "de proposer dans le cadre de la rénovation de la procédure civile, les harmonisations qui paraîtraient possibles entres les dispositions appliquées dans les départements du Rhin et de la Moselle et celles régissant le procès civil dans les autres départe- ments". Cette commission composée de magistrats, avocats et autres praticiens du droit originaires des trois départements ainsi que de représen- tants du Ministre de la justice, de la Cour de Cassation et de l'Université fit un travail sérieux et soutenu. Dans un certain nombre de cas, les solutions empruntées du droit local furent adoptées pour le Nouveau Code de er Procédure Civile qui entra en vigueur en Alsace-Moselle le 1 janvier 1977. Encore faut-il signaler que l'annexe à ce nouveau Code de Procédure créa un nouveau droit local : échappent au droit général certaines règles de procédure en matière de tutelle, de succession, de saisine des tribunaux. D'autre part fut maintenu en vigueur le Livre VIII du CLPC sur les voies d'exécution formant une masse de plus de 300 articles. Une loi du 9 juillet 1991 a abrogé ce livre VIII en ne laissant subsister que quelques dispositions ponctuelles. Quelques cas concrets. Essayons de sortir de l'abstraction et d'illustrer par quelques exemples concrets, la différence entre le droit général et le droit local. En matière d'exécution forcée mobilière : Plusieurs personnes ont une créance contre un même débiteur, la totalité de ces créances étant supérieure à la valeur des biens de ce dernier. D'après le droit général (art. 2093 du code civil) sauf privilège établi par la
loi, les différents créanciers seront satisfaits, "au marc le franc". Le produit de la vente des biens du débiteur sera réparti proportionnellement au montant de chaque créance. D'après l'article 804 du code local de procédure civile, c'est au contraire le premier créancier saisissant qui va se payer intégralement suivi par les autres suivant la date de leur saisie, les derniers ne touchant rien. er Cet exemple est encore valable jusqu'au 1 août 1992, date à laquelle entrera en vigueur la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. Cette loi non seulement a fait disparaître le droit de er gage du 1 saisissant mais a abrogé presque toutes les autres dispositions du Livre VIII du code local de procédure civile. Ainsi a été crée une législation nouvelle applicable aussi bien dans les trois départements de l'Est qu'en vieille France. La faillite civile : Applicable aux personnes physiques qui ne sont ni artisans ni commer- çants elle est une particularité du droit local. Héritée du droit allemand, er maintenue par la loi commerciale du 1 juin 1924, elle a été à nouveau maintenue par l'article 234 de la loi du 15 janvier 1985 sur le redressement judiciaire. Depuis cette loi, elle a même acquis, pour le débiteur, un intérêt nouveau, puisque selon l'article 169 de la dite loi, en cas de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, les créanciers ne recouvrent plus l'exercice de leurs poursuites individuelles. En d'autres termes, le débiteur est à l'abri de nouvelles poursuites. Cette solution qui, en droit général, est valable pour les commerçants, artisans et personnes morales, l'est en droit local, également pour les particuliers. A cet égard, elle apporte un plus à la loi du 31/12/89 sur le surendettement, dite loi Neiertz. En matière d'assurance : La loi locale du 30 mai 1908 a été maintenue en vigueur en 1908 parce qu'il n'existait pas à l'époque de loi française sur les assurances terrestres. Une telle loi a vu le jour le 13 juillet 1930 pour être transformée en 1976 en code des Assurances. Logiquement la loi locale aurait pu être abrogée en 1930. Il a fallu attendre une loi du 6 mai 1991 pour que cela fût fait. Cette loi, modifiant le code des assurances dispose à l'article 111-4 de ce code que celui-ci est désormais applicable dans les départements du Rhin et de la Moselle, la loi locale du 30 mai 1908 étant abrogée à l'exception de certaines règles impératives. Il est remarquable que la nouvelle loi ait laissé subsister une différence importante entre les législations locale et générale. Les articles 1733 et 1734 du code civil qui, en cas d'incendie d'un immeuble, font peser une présomption de responsabilité sur les locataires, restent sans application dans les trois départements.
Pour ce qui est des associations : La loi locale leur procure à la condition d'être inscrites au Tribunal d'Instance, la pleine capacité juridique, alors que selon la loi générale du er 1 juillet 1901, celle-ci n'est obtenue que par une déclaration d'utilité publique prononcée par décret. Il est vrai que l'inscription du registre du Tribunal est subordonnée à un double contrôle préalable, judiciaire pour ce qui est de la régularité des statuts, administratif pour examiner si l'association n'est pas illicite ou ne porte pas atteinte à l'ordre public. Le régime des tutelles : Il mérite une mention particulière ; son examen démontre que certai- nes instances locales ont pu s'opposer à l'unification législative. La loi de 1924 avait créé une dualité législative ; alors que le Code Civil s'appliquait à la généralité des Français même domiciliés en Alsace-Moselle, le droit local des tutelles restait applicable aux personnes ayant le statut d'Alsa- ciens-Lorrains, c'est-à-dire réintégrés dans la nationalité française en vertu du Traité de Versailles, et à leurs enfants. La circulaire Ministérielle du 29 novembre 1924 reproduite sous l'article 15 de la loi de 1924 avait reconnu que "les dispositions locales assuraient mieux que les règles françaises la protection de l'incapable... et qu'elles étaient plus simples, plus souples et d'application plus rapide et moins coûteuse ". Une loi du 14 décembre 1964 a réformé le régime des tutelles du code civil en s'inspirant largement de la législation locale. Rien ne s'opposait donc à l'application de ces dispositions nouvelles alors que n'existaient pratiquement plus d'enfants mineurs issus de parents réintégrés. Or l'on a constaté essentiellement en Alsace, des réticences à appliquer la loi française pour des motifs non de principe, mais de commodité, la loi locale permettant de faire l'économie d'une réunion du conseil de famille. Une loi récente du 29 décembre 1990 votée sur proposition des sénateurs alsaciens et mosellans a abrogé les articles de la loi de 1924 qui avaient maintenu en vigueur la législation locale des tutelles. Ainsi a été réalisée l'unification législative, le code civil étant seul applicable. Certes des problèmes subsistent au sujet de la saisine du juge des tutelles et des voies de recours, matières qui sont régies actuellement par l'annexe au Nouveau Code de Procédure Civile. L'avenir nous dira si l'approche plus réaliste assurée par ce texte en matière de saisine sera maintenue. Dans le domaine artisanal : La loi le Chapelier de 1791 avait supprimé les anciennes corporations de métiers. Celles-ci ont été rétablies dans nos trois départements en 1889 par le code Professionnel local (Gewerbeordnung) dont les dispositions ont été maintenues par le loi de 1924. Cette législation avait mis en place des Chambres de Métiers qui avaient la haute-main sur l'apprentissage sanc- tionné par l'examen de compagnon et de maîtrise.
Une loi du 16 juillet 1971 sur la réforme de l'apprentissage a mis fin à la prépondérance des Chambres de Métiers et a doublé l'examen de compagnon par le certificat d'aptitude professionnelle (CAP). Alors qu'au- paravant l'apprentissage commençait à l'âge de 14 ans, il ne peut débuter avec le nouveau régime qu'à l'âge de 16 ans. Dans les milieux des artisans on déplore cette réforme qui aurait pour effet de les priver d'apprentis motivés. Une évolution récente inspirée par le souci de remédier au chômage des jeunes va vers un retour à l'apprentissage dans l'entreprise largement pratiqué en Allemagne. L'échevinage Il avait été introduit dans nos départements, pendant l'annexion pour les juridictions commerciales et prud'homales. La collaboration au sein d'une même juridiction d'un juriste avec des gens de la profession (com- merçants, employeurs, salariés) a donné de bons résultats. Une loi du 6 mai 1982 l'a abolie pour ce qui est des conseils de prud'hommes dorénavant composés comme dans le reste de la France, uniquement d'employeurs et de salariés. Cette réforme s'est faite à l'instigation des syndicats ouvriers malgré l'opposition de la majorité des élus locaux et des organisations patronales. Les chambres commerciales continuent à fonctionner selon le système de l'échevinage. Le régime local de la chasse : Il a pour conséquence de préserver le gibier en réduisant considérable- ment le nombre des chasseurs. Si le droit de chasse est en principe un attribut du droit de propriété comme c'est le cas en vieille France, il ne peut être exercé en Alsace-Moselle que par un propriétaire possédant au moins 25 hectares d'un seul tenant. Ce sont les communes qui exploitent ce droit en le donnant en location par adjudication, généralement à des prix substantiels. Le régime local des assurances sociales : Il a donné lieu récemment à des débats passionnés. L'article 5 de la loi du 31 décembre 1991 modifiant l'article 181-1 du code de la Sécurité sociale, a disposé que le régime local sera déterminé par des décrets. Les uns y ont vu une pérennisation du régime local, les autres un risque de disparition de ce régime. Le Livre Foncier Enfin, on ne passer sous silence le Livre Foncier qui constitue une des institutions fondamentales du droit local. En vieille France, la publicité foncière relève de l'administration des finances par le Bureau des Hypothè-
ques. En Alsace-Moselle, elle est assurée sous le contrôle du juge du Livre Foncier qui vérifie la légalité des actes. Les tentatives d'y introduire le système général se sont heurtées à l'opposition des notaires. L'informatisa- tion du Livre Foncier est actuellement à l'étude. Maintien de la législation locale pour des motifs politiques ou éthiques Dans les cas examinés jusqu'à présent, la loi locale maintenue en vigueur présentait une supériorité technique sur la loi générale. Il est un domaine où ce maintien a été justifié par d'autres considérations, c'est celui de la législation des cultes. Cette législation trouve son origine dans le concordat de 1801 passé entre Bonaparte, alors premier Consul et le Saint-Siège. Bien qu'il se soit agi d'un traité auquel le Reich allemand n'était pas partie, le vainqueur de 1871 a estimé devoir en maintenir les dispositions à titre de législation interne. On connait la réaction autono- miste qui a accueilli en 1924 la tentative de Herriot d'instaurer dans nos trois départements, le régime de la séparation de l'église et de l'Etat en vigueur en Vieille France depuis 1905. e Il est intéressant de noter que sous la 4 République, entre 1952 et 1957 des négociations ont eu lieu entre le gouvernement français représenté par Robert Lecourt et le Saint-Siège en vue de régler sur les bases nouvelles le problème de la laïcité de l'Etat et celui des écoles confession- nelles, ceci pour l'ensemble de la France. Ces négociations ont finalement échoué, en partie semble-t-il à cause des réticences des évêques de r r Strasbourg (Ms Weber et M§ Elchinger) qui craignaient pour leur diocèse la perte des avantages résultant du concordat de 1801. L'arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, avait suscité des craintes, surtout en Alsace quant au régime des cultes ; en réalité la gauche traditionnellement jacobine et anticléricale avait évolué depuis 1924. Si le parti socialiste a demandé l'abrogation de la loi Falloux et la déconfession- nalisation de l'enseignement par contre le député socialiste Jean-Marie Bockel, chargé de mission en 1982 par le Premier Ministre Pierre Mauroy a affirmé en conclusion de son rapport " que le régime des cultes constitue un élément pratiquement intangible du paysage social local". L'évolution du parti socialiste s'est traduite par sa politique de décentralisation (loi du 2 mars 1982) et l'intérêt apparent qu'il a manifesté aux langues et cultures régionales. Parmi les règles locales d'inspiration éthique ou confessionnelle, il faut citer également la législation spéciale concernant le Vendredi-Saint. Ce jour a été déclaré jour férié légal à la fois par une ordonnance impériale du 19 octobre 1887 et par une ordonnance du 16 août 1892 du Ministre chargé des affaires Alsace-Lorraine, cette dernière ordonnance précisant
toutefois que le Vendredi-Saint n'était férié au sens du code local des Professions que dans les communes où se trouvaient une église protestante. On connaît les difficultés suscitées par l'application de ce texte en Moselle, du fait des grandes surfaces situées en dehors du périmètre des communes concernées. C'est pourquoi une loi du 31 décembre 1989 a donné pouvoir au Préfet de la Moselle d'autoriser ou d'interdire l'ouverture des établisse- ments commerciaux ce jour, d'une manière générale et indépendamment de la présence d'un temple protestant. Dans cette affaire, les églises protestantes n'ont pas seulement bénéficié du soutien de l'Evêque de Metz mais ont eu comme alliés objectifs les syndicats ouvriers. Le problème de l'ouverture des magasins le dimanche qui fait l'objet d'un débat sur le plan national (projet de loi Doubin) est certes considéré avant-tout sous l'angle commercial et syndical. Mais il présente également une connotation éthique. Ceux qui, pour des motifs mercantiles, tendent à faire du dimanche un jour comme un autre devraient se souvenir de l'expérience révolutionnaire du décadi. Cette innovation avait été rejetée par les populations, non seulement pour des motifs religieux mais égale- ment parce qu'elle était contraire au rythme naturel du travail et du repos. Dans le domaine religieux, on trouve, sous l'ancien régime un certain nombre de situations particulières, différentes de celles existant dans le reste du royaume, ceci étant valable uniquement pour l'Alsace. Elles concernent la nomination des Evoques, la non application de l'Edit de 1685 portant révocation de l'Edit de Nantes, l'institution du simultanéum. Dans le royaume, conformément au concordat de Bologne de 1516, c'était le roi qui nommait les Evêques, l'institution canonique leur étant donnée par le Pape. Lorsque par les traités de Westphalie, le roi de France acquit sur l'Alsace les droits de souveraineté exercés par les Habsbourg, il n'imposa pas ce régime aux catholiques d'Alsace. Comme auparavant et en application du Concordat de Vienne de 1448, c'est le chapitre de la Cathédrale de Strasbourg qui continuait à élire l'évêque. Pour ce qui est des protestants, les mêmes traités de Westphalie de 1648 (Osnabruck et Munster) qui leur garantissaient en Alsace la liberté du culte, empêchèrent en 1685 l'exécution de l'Edit de Révocation qui avait mis hors la loi y compris en Lorraine, le protestantisme dans le reste du royaume. Par contre les protestants alsaciens se virent imposer le "simulta- néum" c'est-à-dire l'usage commun avec les catholiques, de leurs lieux de culte. C'est un rescrit de Louvois de 1684 qui avait ordonné que là où il y avait sept familles catholiques, elles pourraient exiger l'usage du chœur de l'église paroissiale. Imposé à l'époque à 160 paroisses protestantes, le simultanéum subsiste encore actuellement dans environ cinquante villages.
e Jusqu'au 19 siècle, cet usage commun a donné lieu a de nombreux conflits. Il eut la conséquence de faire assumer par les populations catholiques et protestantes des dissenssions qui à l'origine étaient celles de leurs chefs temporels et spirituels. Les temps ont bien changé et l'on a pu écrire récemment que les églises mixtes constituent une voie vers l'œcuménisme. CONCLUSION Ce rapide survol de l'histoire nous montre que des législations particulières ont existé dans nos régions depuis des siècles et ceci dans des domaines divers y compris le domaine religieux. Le droit local n'est donc pas né en 1918. D'autre part et contrairement à une opinion assez répandue, le droit local subsistant actuellement n'est pas toujours d'origine germanique. En dehors de la législation concorda- taire et de la loi Falloux sur l'enseignement religieux est né après 1918 un droit particulier d'origine française dont l'annexe au Nouveau Code de Procédure Civile fournit un exemple. Quant à la législation d'origine allemande, son domaine s'est progres- sivement amenuisé à mesure que la législation générale s'est modernisée. Ainsi que l'avait prévu Alexandre Millerand en 1919, il y a eu imprégnation réciproque des deux législations. Le processus a repris vigueur avec la création en 1972, par René Pleven, Garde des Sceaux, de la Commission d'Harmonisation. C'est sous impulsion de cette commission qu'a été réalisé le Nouveau Code de Procédure civile et qu'ont vu le jour : - la loi du 29 décembre 1990 faisant disparaître le droit local en matière de tutelle, - la loi du 6 mai 1991 unifiant la législation sur les assurances, - la loi du 9 juillet 1991 créant une législation unique pour les voies d'exécution à l'exception de l'exécution forcée immobilière. Il est remarquable de constater que chacune de ces lois unificatrices a laissé subsister un petit reliquat des règles locales. Enfin on ne peut passer sous silence la création en 1985 sous forme d'association, de l'Institut de Droit Local, subventionné par divers établis- sements publics, qui s'est assigné comme mission de promouvoir une meilleure connaissance du droit local en usage dans nos trois départements.
Cette mission est réalisée : - par la centralisation de l'ensemble de la documentation (ouvrages, textes, e t c . ) , - par le dépouillement systématique de la jurisprudence, - par la constitution d'un banque de données, - par la diffusion régulière de notices d'information, - par l'organisation de colloques. Deux de ces colloques ont eu lieu à Metz, - le 12 mars 1987 sur le droit et la vie associative, - le 25 mai 1991 sur la faillite civile et le surendettement, en collaboration avec le centre de formation Professionnelle des Avocats. Le 19 février 1991, l'Institut de Droit Local avait organisé une séance de travail à laquelle étaient conviés les préfets et les administrations intéressées, les différents syndicats, les groupements de détaillants pour examiner le projet de la loi Doubin sur le repos dominical ainsi que ses incidences sur le droit local (Code local des Professions). Tout ceci démontre que le droit local n'est pas une branche morte du droit. Il est de mieux en mieux connu ; il est souvent à l'origine d'une mise à jour du droit général ce qui entraîne sauf exceptions sa propre disparition. BIBLIOGRAPHIE Répertoire Niboyet, Droit et Jurisprudence d'Alsace-Lorraine, Sirey, Paris, 1925. Struss, Textes introductifs de la législation civile et commerciale, Introduction du Président Coen, Colmar, 1935. Répertoire de Procédure Civile Dalloz; Alsace-Lorraine, Introduction du Premier Président R. Mischlich, Paris, 1978. m e M R. Zimmermann : Harmonisation de la procédure civile générale et de la procédure locale. Colmar, 1976. Eglises et Etat en Alsace et en Moselle, Cerdic, Strasbourg, 1979. Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, 1980, n° 2 et 3 : le droit local.
La situation du droit local alsacien-lorrain, Actes du Colloque de Strasbourg. Librairie générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1986. Droit local et vie associative ; Journées d'études à Metz du 12 mars 1987. Unité, recherche, formation. Jurisclasseur Alsace-Moselle, Editions Techniques, Paris, 1987. Histoire du Droit local; Actes du Colloque I.D.L., Strasbourg, 19-10-1989. La faillite Civile d'Alsace-Moselle ; Actes du Colloque C F . P . A., Metz, 25-5-1991.
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