RESSOURCES Séminaire : les ressources non énergétiques, un frein aux transitions énergétiques ? - La Revue de l ...
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RESSOURCES Séminaire : les ressources non énergétiques, un frein aux transitions énergétiques ? Il y a encore quelques années, beaucoup s’interrogeaient sur les conséquences d’une raréfaction du pétrole : on sait aujourd’hui que ce sont plutôt les émissions de carbone associées à cette énergie qui limiteront son usage. Les transitions dans lesquelles le monde s’est engagé pourraient en revanche se heurter à l’insuffisante disponibilité, dans des conditions économiques, environnementales, sociales et géopolitiques satisfaisantes, de certaines ressources non énergétiques : parmi les premières identifiées, les terres rares, présentes dans certains produits-phare des transitions énergétique et numérique. Le séminaire, organisé par le Conseil Français de l’Énergie le 23 janvier 2019, s’est attaché à préciser les besoins associés aux technologies innovantes, les enjeux en termes de substitution et de recyclage ainsi que les conséquences sur les marchés ; il s’est ensuite interrogé sur la dimension géopolitique avant de tenter de répondre à la question : « Les ressources stratégiques seront-elles un frein aux transitions énergétiques ? ». Sans prétendre résumer en quelques phrases le séminaire, les ressources non énergétiques ne constitueront pas un goulot d’étranglement pour les transitions énergétiques si, dès aujourd’hui, des décisions pertinentes sont prises pour favoriser les substitutions et le recyclage et assurer un accès durable aux ressources primaires. Discours d’ouverture* le béton (donc le sable), l’acier ou le cuivre. La criticité d’un métal est fonction de nom- Michèle Rousseau, Présidente-directrice gé- breux paramètres : demande, réserve, produc- nérale, BRGM tion, géopolitique, substitution, recyclage... Michèle Rousseau a rappelé par quelques Michèle Rousseau a insisté sur l’importance ordres de grandeur l’importance des métaux du recyclage qui est encore très faible pour dans les transitions aujourd’hui — l’énergie les matériaux que l’on retrouve notamment n’est en effet pas le seul secteur concerné. Les dans les objets high-tech : tungstène, terres besoins concernent des métaux rares, mais rares, germanium, indium, scandium, tantale, aussi des matériaux plus traditionnels comme lithium. Le cadre conceptuel de l’économie circulaire est très utile pour décrire ce système La rédaction de cette note s’est appuyée sur les résumés complexe caractérisé par une consommation rédigés par quatre membres du FEL-France (communauté croissante, des objets à durée de vie très va- de jeunes professionnels de l’énergie au carrefour des riable, des usages parfois dispersifs, une recy- énergies, des technologies, des acteurs et des métiers initiée par le Conseil Français de l’Énergie) : Camille clabilité souvent limitée, des investissements Cany (ingénieur chercheur), Claire Charmette (analyste lourds, tant pour la collecte que pour le recy- financement et trésorerie), Sylvain Frédéric (expert énergie) clage. Il en résulte que, même en poussant et Bianka Shoai-Tehrani (ingénieur chargée d’études). très loin la contribution du recyclage, il restera Le Conseil Français de l’Énergie les remercie chaleureusement pour leur travail. La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019 87
RESSOURCES indispensable de s’assurer un approvisionne- Pour d’autres ressources, la situation est très ment en ressources primaires. différente : 36 % du cobalt (piles à combus- tible) sont produits en République démocra- L’exploration se situe principalement dans tique du Congo, 77 % du platine (catalyse) en des pays développés et stables comme le Ca- Afrique du Sud et 60 % du lithium (batteries) nada ou l’Australie, ce qui pose la question de au Chili. La domination de la Chine est illus- la place de l’exploration et de l’exploitation trée par la « bulle » provoquée en 2010-2011 minières des métaux stratégiques en Europe, sur le marché des terres rares par sa politique et particulièrement en France : les groupes de quotas à l’exportation : les mouvements de français sont des acteurs internationaux de prix qui en ont résulté ont éliminé les « petits » second ordre par rapport aux grandes multi- producteurs hors de Chine et renforcé sa posi- nationales comme Rio Tinto ou BHP Billiton. tion dominante. Certains pays européens, notamment les pays scandinaves, se sont déjà engagés sur cette En conclusion, Michèle Rousseau a insisté voie. sur la nécessité et l’urgence d’organiser les marchés, d’accroître les efforts de recherche et La compétition internationale pour les développement et de promouvoir les substitu- prises de position stratégiques est dominée tions et le recyclage, dans une perspective du- par la Chine qui développe rapidement de rable. La France dispose de moyens d’analyse puissantes majors minières très actives à tra- (BRGM, CNRS…) suffisants, mais pas d’action vers le monde et pourrait se trouver en situa- organisée de l’État faisant suite aux analyses tion de quasi-monopole dans la production du BRGM. industrielle de nouvelles technologies. La Chine fournit aujourd’hui 95 % de la demande mondiale de terres rares (pots cata- lytiques, aimants permanents), 87 % de l’anti- moine (semi-conducteurs), 84 % du tungstène (missiles), 79 % du germanium (fibre optique). 88 La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019
Séminaire : les ressources non énergétiques, un frein aux transitions énergétiques ? Session 1. Besoins associés aux moins abondantes dans la croûte terrestre. technologies innovantes Les éléments dits « abondants » (comme par exemple le silicium ou le titane) sont au-des- Les éléments d’analyse de la dépendance aux sus de 0,1 % de concentration. Les éléments matières minérales de la transition énergétique dits « rares » sont en dessous de 0,1 %, comme le cuivre, le cobalt ou le tungstène. Enfin, les Alain Geldron, Expert national matières pre- éléments dits « très rares » sont en dessous de mières, ADEME 0,0001 % comme le platine, l’or ou l’indium. Un premier constat historique peut être Un autre élément à prendre en compte est réalisé sur le nombre de métaux utilisés par la notion de criticité. Il y a de multiples fac- l’homme : de moins d’une dizaine de métaux teurs de criticité : la disponibilité géologique, jusqu’en 1 800, on est passé à plus d’une cin- le risque politique, la concentration de la pro- quantaine aujourd’hui. Pour un objet tech- duction, le caractère de « sous-produit » (ex- nologique, cette évolution se caractérise par ploitation d’une mine de cuivre pour avoir du une plus grande diversité des métaux et par cobalt par exemple), le potentiel de recyclage, une quantité de métaux utilisés plus impor- les possibilités de substitution, la croissance tante. Par exemple, un smartphone classique de la demande, le temps de développement aujourd’hui contient plus de 50 à 60 éléments de la production et enfin l’acceptabilité so- du tableau périodique de Mendeleïev. Cette ciale et environnementale. utilisation des métaux pose la question de la dépendance des procédés liés à la transition L’ADEME a déjà développé des visions de la énergétique : quels sont aujourd’hui les prin- transition énergétique à horizon 2035 et 2050. cipaux métaux utilisés dans les différentes L’objectif est maintenant d’évaluer la dépen- technologies de la transition énergétique ? dance de la transition énergétique à certains La construction de panneaux photovoltaïques matériaux dits stratégiques. Le projet SURFER utilise du silicium (7,4 Mt), de l’argent (2,5 kt), (ADEME, BRGM, ISTerre) vise à cette évalua- de l’indium (720 t), du tellure (420 t) et du tion et prévoit : gallium (315 t) ; pour celle des éoliennes, • Une base de données de « l’intensité ce sont plutôt des terres rares (130 kt) (les matière par technologie » ; chiffres entre parenthèses renvoient aux • Un modèle dynamique comprenant consommations annuelles). La mobilité élec- un scénario de recyclage ; trique est fortement consommatrice de cuivre • Une modélisation du cycle de vie du et de terres rares ; les batteries nécessitent matériau ; du lithium (43 kt), du graphite (1,2 Mt) et du • Un traitement des données externes cobalt (110 kt). On pourrait encore citer le comme l’organisation des marchés, l’approvi- platine pour les piles à combustible, le ruthé- sionnement et la criticité. nium pour les biocarburants ou le tantale pour l’électronique. L’impact des matières premières sensibles sur les groupes motopropulseurs électrifiés du Par ailleurs, le photovoltaïque et l’éolien, groupe PSA comme le nucléaire ou l’hydroélectricité, sont aussi fortement consommateurs de matériaux Bernard Sahut, Responsable partenariats structurels comme le cuivre (20 Mt), l’acier académiques et Expert batterie, Groupe PSA (1,7 Gt) et le ciment (4 Gt). Le contexte actuel de notre société est carac- De cette dépendance, on déduit la notion térisé par des évolutions majeures et cruciales de matières premières stratégiques, c’est- avec la transition énergétique, la mondialisa- à-dire celles qui sont indispensables à une tion, la densification des villes, l’augmentation industrie donnée. Ces matières sont plus ou de la population et la relation des hommes La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019 89
RESSOURCES aux objets. Toutes ces évolutions impactent Dans une machine électrique, il y a des fortement le secteur automobile. Il est ainsi matériaux électromagnétiques (terres rares, prévu que le secteur automobile changera cuivre) et des matériaux non électromagné- davantage dans les dix ans à venir que durant tiques (aluminium, acier). Les terres rares et les trente dernières années. C’est pourquoi le cuivre sont considérés comme des maté- le groupe PSA réalise notamment une veille riaux sensibles. On trouve en effet 20 kg de et des études sur les matériaux stratégiques cuivre dans un véhicule à moteur à combus- nécessaires à la construction de ses véhicules. tion interne, 40 kg dans un véhicule électrique hybride et 80 kg dans un véhicule électrique. Un autre élément guide le choix des Le groupe PSA réfléchit donc à remplacer cer- constructeurs : le respect des contraintes envi- tains aimants permanents par d’autres solu- ronnementales. À l’horizon 2020, en Europe, tions tout aussi performantes. il ne faudra pas émettre plus de 95 gCO2/ km en moyenne (avec une cible encore Les enjeux environnementaux de l’industrie plus ambitieuse en 2025 d’environ 80 gCO2/ automobile : notre stratégie km). L’électrification des chaînes de traction est indispensable pour arriver à cette valeur. Catherine Girard, Expert énergie et matières En effet, l’évolution des chaînes de trac- premières, RENAULT tion thermique vers une meilleure efficacité énergétique ne suffira pas pour respecter la Comment un constructeur automobile peut- contrainte environnementale. il assurer sa transition énergétique dans des conditions soutenables ? Il faut aujourd’hui gé- Ainsi, en 2025, la stratégie du groupe PSA rer trois enjeux principaux : le climat, la santé est de proposer pour tous les nouveaux véhi- et les ressources. Ces enjeux se traduisent par cules une solution électrifiée. Cette stratégie des attentes spécifiques de la part des clients, se décline en deux chaînes de traction : une des pouvoirs publics et des organisations non chaîne de traction hybride rechargeable et gouvernementales. Le cadre institutionnel est une chaîne de traction purement électrique. international (Accord de Kyoto, Accord de Paris), européen, mais aussi local. Tous ces Plusieurs matériaux d’une chaîne de trac- éléments incitent le groupe Renault à agir sur tion électrique peuvent être qualifiés de « sen- l’ensemble de la chaîne de valeur du véhicule sibles ». Une chaîne de traction électrique pour avoir une vision d’ensemble. est constituée d’une batterie, d’une machine électrique, de systèmes électroniques de puis- Les émissions de CO2 du secteur des véhi- sance, de réducteurs, de câbles et de lois de cules légers devraient diminuer de 32 % entre contrôle-commande. Dans la suite de l’expo- 2000 et 2050 d’après l’Agence internationale sé, ne seront abordées que la batterie et la de l’énergie (AIE) alors que dans le même machine électrique. temps le parc automobile aura été multiplié par 3,5 du fait de la croissance des marchés Dans une batterie, il y a des matériaux non en développement. Pour atteindre cet objectif, électrochimiques (aluminium, cuivre, poly- des actions hors du champ d’action du groupe mères) et des matériaux « actifs » électrochi- Renault comme l’optimisation des trajets et la miques (électrode, électrolyse, séparateur). décarbonation du mix électrique seront indis- Parmi ces matériaux, le cuivre et les matériaux pensables pour diminuer les émissions de constituant les électrodes (en particulier le CO2. Dans les missions du groupe Renault, on cobalt) sont considérés comme des matériaux peut citer l’amélioration de l’efficacité énergé- sensibles. La stratégie du groupe PSA a pour tique des moteurs thermiques, l’électrification, objectif d’étudier comment, par exemple, rem- les innovations hors cycle ainsi que la produc- placer ou réduire l’utilisation du cobalt dans tion et le recyclage des véhicules. les électrodes. 90 La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019
Séminaire : les ressources non énergétiques, un frein aux transitions énergétiques ? Concernant les ressources en matières pre- La troisième piste d’action est le dévelop- mières, les constructeurs sont confrontés à pement de nouveaux usages. Un véhicule en trois problématiques : la disponibilité de la Europe est à 92 % du temps garé dans un ressource sur le long terme (par exemple le parking. Cela interroge sur l’efficacité de l’uti- cuivre), les conditions sociales et environne- lisation des ressources mais surtout sur les mentales de l’extraction de cette ressource et usages. Ainsi, le groupe réfléchit et propose enfin la volatilité des prix. de nouveaux services comme par exemple la mobilité partagée. La première piste d’action est « réduire ou substituer ». Pour répondre au risque d’indis- Session 2. Impact sur les ressources et ponibilité de certains matériaux comme les terres rares, le groupe Renault a choisi de ne les marchés de minéraux pas utiliser ces terres rares dans les moteurs électriques, en ayant recourt par exemple Prix, recyclage et substitution : les méca- à d’autres technologies que les aimants nismes de rappel dans la théorie économique permanents. Dominique Finon, Directeur de recherche, Pour le cobalt, dont la demande est sus- CNRS-CIRED ceptible de créer des tensions sur le marché, l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi (via une Depuis quelques années, le marché des ma- société de capital-risque) a pris des parts de tières premières connaît une demande crois- capital dans une start-up américaine, Ionic sante (emballement en 2010 pour les métaux material, développant de nouveaux types de de base et 2011 pour les terres rares). Cette batteries utilisant moins ou pas de cobalt. forte demande provient de l’utilisation accrue des métaux dans les produits de consomma- La deuxième piste d’action est l’économie tion. Cela a conduit à soulever les questions circulaire. Renault est membre fondateur de de dépendance pour les pays importateurs et la Fondation Ellen MacArthur, dont la mission à revenir aux questions posées dans les an- est d’accélérer la transition vers une écono- nées 1970 par le rapport du Club de Rome mie circulaire. Le groupe a décidé de déve- Limits to Growth. lopper des liens capitalistes avec différentes sociétés autour de l’économie circulaire : in- Dans la théorie économique classique, vestissements à l’usine de Choisy pour « rema- la hausse de la demande dans un contexte nufacturer » les moteurs, parts de capital dans d’offre limitée entraîne une hausse des prix. Boone comenor metalimpex qui recycle les Pour pallier la rareté des matières premières déchets métalliques des véhicules, investis- (ressources primaires), le recours au recyclage sements au sein du réseau Indra pour récu- est une des solutions. D’autres changements pérer les matières/pièces des véhicules hors vont s’opérer en raison du progrès technique, d’usage. Le tout est géré par l’entité GAIA qui parfois sous l’effet de hausses de prix tem- réalise la gestion de l’approvisionnement en poraires : techniques d’exploitation pour matières premières, secondaires et en pièces exploiter des minerais de teneur moins éle- « remanufacturées ». vée, développement de nouveaux procédés d’extraction pour exploiter d’autres minerais Cette économie globale permet de réduire du même métal. Les hausses de prix peuvent la demande en ressources mais aussi d’amé- aussi être une incitation économique au ni- liorer les analyses de cycle de vie sur la pro- veau des usages pour utiliser des substituts duction et le recyclage des véhicules. Renault (métaux ou autres) à un métal donné. intègre sur ses véhicules 33 % de matières recyclées. La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019 91
RESSOURCES Ces divers recours vont avoir pour consé- de serre, génère néanmoins des pertes élec- quence de faire baisser le prix de la matière triques (dilution lors de la transformation de première. l’énergie en électricité) ; la production d’élec- tricité à partir d’énergies renouvelables néces- On peut dissocier les questions soulevées site beaucoup plus d’infrastructures et donc par l’exploitation des ressources de métaux de plus de matières premières que celle à partir base de celle des petits métaux et autres. Une d’énergies fossiles (technologies classiques) à des difficultés du recyclage est que les petits quantité d’électricité égale. métaux ou terres rares sont difficilement sépa- rables (du minerai par exemple). De manière Du fait des pertes de matière au niveau du générale, le recyclage de la matière n’est pas recyclage qui impliquent de nouveaux be- possible à 100 %. soins de matières lors du remplacement de l’éolienne en fin de durée de vie, il y a plus On en conclut que l’on trouve toujours de matières cumulées dans une éolienne recy- des réponses, dans le cadre d’une approche clée que dans une éolienne primaire. strictement économique, pour contourner les contraintes de rareté des réserves : soit sous La demande en matières premières va aug- l’effet premier des hausses de prix, soit avec menter à long terme. À titre d’exemple, on l’aide des politiques publiques telles que la suppose que la demande globale de cuivre recherche et le développement sur les procé- suivra l’évolution du PIB. Or, les analyses dés d’extraction, les techniques de recyclage prévoient une multiplication du PIB par trois et les substituts possibles en aval (comme par d’ici la fin du siècle, soit 70 millions de tonnes exemple dans les différentes utilisations des par an. La question de l’approvisionnement petits métaux et des terres rares dans les dif- d’une telle quantité de matières premières férents composants du véhicule électrique). se pose et les géologues répondent que c’est De même, des substitutions de matériaux sont impossible. Il faut donc se tourner vers le re- à envisager. Dans cette logique économique, cyclage des matières premières. Le recyclage l’accès à de nouveaux types de gisements tels est un moyen mais non une finalité car il y que l’exploitation des fonds marins ou l’ex- a des pertes au niveau de la collecte. Dans ploration de l’Antarctique et du Groenland l’exemple du cuivre, de nouveaux gisements est une voie de sortie possible. Mais un des vont encore être découverts et la teneur du points aveugles de l’approche économique minerai diminuera, ce qui augmentera impli- est la hausse des dépenses d’énergie et des citement les stocks. Cela permet de répondre impacts environnementaux pour l’exploitation à court terme à la demande, qui devrait d’ail- de ressources de plus en plus difficiles. leurs au bout d’un certain nombre d’années se stabiliser à un niveau élevé. Modélisation dynamique matières premières – énergie pour un développement mondial bas Le prix de la matière devrait se maintenir carbone constant et non augmenter du fait des progrès techniques et de la baisse de la concentration. Olivier Vidal, Directeur de recherche, CNRS-ISTerre Les stocks de matières premières ne seront certainement pas suffisants pour satisfaire la Dans le cadre de la réduction des émissions demande croissante à long terme. Le recy- de gaz à effet de serre, on développe notam- clage est une solution mais non suffisante ment les énergies renouvelables pour rempla- pour remplacer à 100 % la matière primaire cer les énergies fossiles. de même que la baisse de la concentration de teneur. La production d’électricité à partir de re- nouvelables, sans émissions de gaz à effet 92 La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019
Séminaire : les ressources non énergétiques, un frein aux transitions énergétiques ? Métaux stratégiques et recyclage par exemple). Or, les usines de recyclage ne permettent pas actuellement de traiter ce type Christian Thomas, Directeur, Terra Nova de matière (car le traitement est différent de Développement celui des métaux de base) ou au prix d’un lourd investissement d’adaptation de l’usine Le recyclage n’est pas efficace à 100 %. Cer- existante. La solution proposée est donc de tains objets comme les composants électro- créer de petites unités de recyclage spéci- niques ne sont que très faiblement recyclables fiques (avec une technologie adaptée) plutôt (l’usage dispersif, qui implique des pertes de que d’utiliser les unités de recyclage standard collecte, est élevé), et la durée de vie de ces et de les adapter. Il s’agit alors de développer équipements est de plus en plus longue. des technologies de rupture qui permettront d’extraire les métaux aujourd’hui perdus. Quelques exemples : • Le plomb a progressivement été sup- Session 3. Géopolitique primé de certains usages (peintures, inclusion dans les tubes de télévision, additifs pour es- et enjeux stratégiques sence…) mais il est largement utilisé dans les batteries. Les besoins sont estimés à environ Pour une approche globale de la critici- 7 millions de tonnes par an. Le recyclage ne té, du géologique au géopolitique. Quelques permet de couvrir que la moitié des besoins exemples de marchés de matières premières (3,5 millions de tonnes par an). Le complé- ment provient de la production minière (pro- Emmanuel Hache, Économiste et prospecti- duction stable depuis 50 ans). Le ratio mine/ viste, IFP Energies nouvelles recyclage est égal à 1. • 50 % du cobalt est utilisé dans les Le niveau de criticité d’une matière pre- équipements électriques et électroniques. mière renseigne sur les risques liés à son ex- La majorité (60 %) des réserves mondiales traction, sa production, sa gestion de fin de est localisée dans la copper belt africaine. La vie. En résumé, il prend en compte les risques croissance de la demande de cobalt est forte économiques, géopolitiques et environne- (10 % par an), la durée de vie des produits mentaux associés. La criticité n’est toutefois est longue et les produits sont mal recyclés. ni universelle, ni intemporelle, ni binaire. Son Le ratio mine/recyclage est supérieur à 5. niveau s’évalue en fonction d’une échelle géo- • Le tantale est présent notamment graphique (mondiale, nationale, régionale), dans des éléments électroniques comme les de la nature de l’unité consommatrice (pays, condensateurs et dans les écrans plats. Son industrie, entreprise ou technologie) et de prix est très élevé (150 $/kg à 300 ppm). Le l’échelle temporelle (aujourd’hui ou de ma- coltan africain est moins cher mais c’est un nière prospective). Deux pays prédominent métal associé au travail des enfants. La crois- dans les publications sur le sujet depuis sance de la demande de tantale est faible, il les années 2000 : la Chine et les États-Unis. est très mal recyclé et la durée de vie des pro- Les dimensions géopolitique et prospective duits est courte. Le ratio mine/recyclage est sont toutefois mal appréhendées dans l’éva- supérieur à 5. luation du risque de criticité et les indicateurs retenus n’en renseignent que partiellement les La complexité du recyclage des équipe- risques (par exemple, l’indice de Herfindahl- ments électriques et électroniques (on parle Hirschman ou les « Worldwide Governance de déchets électriques et électroniques, ou Indicators »). DEEE) provient du fait que ces produits sont constitués d’un nombre important d’éléments Le projet GENERATE (Géopolitique des chimiques (70 pour un écran plat versus 20 énergies renouvelables et analyse prospec- pour des organismes naturels comme un chat tive de la transition énergétique), réalisé La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019 93
RESSOURCES conjointement par IFP Energies nouvelles et Aujourd’hui le Chili détient 27 % de la pro- l’Institut de relations internationales et stra- duction mondiale de cuivre mais Cochilco, tégiques et financé par l’Agence nationale la commission chilienne du cuivre, prévoit de recherche a pour objectif d’analyser les une augmentation de sa production de seu- conséquences économiques, géopolitiques et lement 2 % d’ici 2028, alors que la demande technologiques d’une diffusion des énergies mondiale pourrait croître de 2,5 % par an. renouvelables au niveau mondial. Pour cela, La République démocratique du Congo pour- les analyses s’attachent à comprendre les rela- rait devenir l’un des gros producteurs de tions causales entre acteurs et facteurs, inter- cuivre à l’avenir, ce qui n’est sans doute pas rogent différentes trajectoires prospectives de sans risques environnementaux et géopoli- demande en matériaux de la transition bas tiques, vu le poids des investissements chinois carbone en prenant en compte la structure dans ce pays. En considérant les prix et les future des échanges pour évaluer de futurs technologies actuels, les réserves en cuivre risques géopolitiques potentiels. Le modèle connues en 2015 seront épuisées vers 2040. TIMES (modèle bottom-up mondial représen- Le cuivre est présent en grande quantité dans tant 16 zones ainsi que l’ensemble des sec- la croûte terrestre et l’exploitation est possible teurs énergétiques) est utilisé pour l’analyse. jusqu’à trois kilomètres de profondeur, mais Les vulnérabilités sur le marché du lithium, il faudra intensifier les efforts d’exploration du cuivre ou du ciment ont par exemple été pour trouver des gisements dont l’exploita- étudiées sur la période 2005-2050 pour des tion sera plus coûteuse et exigera davantage projections de demande mondiale dans des de ressources en eau et en énergie. Un autre scénarios respectant les objectifs climatiques facteur limitant est la quantité considérable de (le scénario 2 °C par exemple). L’ensemble de déchets associés à l’extraction du cuivre : la ces résultats sont présentés dans le rapport teneur moyenne des minerais du Chili est de publié en janvier 2019 par les partenaires du 0,6 % de cuivre (et la tendance est à la baisse projet : « Vers une géopolitique de l’énergie des teneurs), ce qui représente 83 milliards de plus complexe ? Une analyse prospective tri- tonnes de déchets. dimensionnelle de la transition énergétique ». On préconise la circularisation de l’éco- Terres rares et métaux critiques pour le déve- nomie mondiale (privilégier une conception loppement durable : quels enjeux stratégiques ? des produits sous formes de briques techno- logiques plus faciles à réparer, à remplacer Patrice Christmann, Expert et chercheur in- et à recycler), une gouvernance des matières dépendant, Krysmine premières au niveau mondial par le biais de la création d’une agence internationale des Avec une démographie mondiale qui pour- ressources minérales sur le modèle de l’AIE, rait passer de 7,4 à 11 milliards d’habitants à le développement des connaissances et des la fin du siècle et dans un contexte de transi- brevets, la transparence en encourageant les tion énergétique, la demande en matières pre- bonnes pratiques (procédures d’achats, éco- mières stratégiques pourrait croître de façon conception…) dans un contexte de croissance considérable, non seulement en volume mais économique adossée à une baisse de quan- aussi en intensité matérielle (kg/habitant). tité de matières premières per capita. Le site Cette croissance est dominée par le ciment, www.mineralinfo.fr propose des rapports sur l’aluminium, le cuivre et les nombreuses les matières premières. nuances de l’acier. La Chine est le premier producteur mondial d’une trentaine de ma- tières premières minérales stratégiques ce qui lui confère un levier géopolitique considé- rable, notamment sur les marchés de métaux rares le plus souvent organisés de gré à gré. 94 La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019
Séminaire : les ressources non énergétiques, un frein aux transitions énergétiques ? Des terres rares au lithium, stratégie de la près de Shanghai). On peut prédire une do- Chine dans les matières premières stratégiques mination chinoise sur l’ensemble de la chaîne de valeur dans moins de dix ans. La transition Nicolas Mazzucchi, Chargé de recherche, énergétique est un énorme levier de crois- Fondation pour la Recherche Stratégique sance et la Chine l’a bien compris. La Chine est un producteur de matières Dialogue avec la salle premières stratégiques, fort d’une configura- tion géologique qui constitue la base de sa Une nuance est apportée sur les brevets : stratégie de transition énergétique. Ses avan- bien que les usines soient situées en Chine, tages sont indéniables sur les marchés, notam- les brevets ne sont pas forcément chinois ment car il s’agit le plus souvent d’échanges (exemple : brevet Hitachi pour les aimants de gré à gré. La Chine est le producteur le permanents). On souligne une incohérence plus diversifié en termes de matières et de vo- entre une recherche non aboutie en Europe lumes exploités, devançant la Russie, le Brésil, et une demande mondiale croissante pour les les États-Unis et l’Afrique du Sud. Son ambi- batteries. Deux modèles s’opposent : la poli- tion est de maîtriser l’ensemble de la chaîne tique industrielle et la libéralisation des mar- de valeur : production minière (dominée par chés. Il est rappelé que les leaders chinois ont la Chine) ► raffinage et transformation (pour une culture scientifique (Xi Jinping est ingé- le moment dominés par l’Union européenne, nieur chimiste) et une stratégie de long terme exemple : Solvay) ►manufacture et assem- sur ces sujets. blage (dominés par la Chine) ► intégration dans les systèmes nationaux (domination oc- L’Europe paie le prix d’une culture d’écono- cidentale aujourd’hui). mie de marché sans stratégie de long terme. Il devient dès lors nécessaire de créer des Acteur dominant sur deux des segments de champions européens comme « l’Airbus du la chaîne de valeur (extraction, manufacture), solaire » ou « l’Airbus de la batterie ». son ambition est de devenir également lea- der sur les deux autres segments. La plupart Les États-Unis possèdent une réserve de des brevets déposés dans le domaine du raf- trois ans de matières premières stratégiques finage des matières proviennent actuellement pour la défense américaine alors il n’y a pas d’entreprises chinoises et la prévalence euro- de stock en Europe : toute la question est de péenne dans ce domaine devrait disparaître savoir si c’est souhaitable d’une part et si c’est d’ici quelques années. faisable d’autre part. Les entreprises chinoises se positionnent Depuis 2015, la Chine ferme des mines aussi en tant qu’intégrateurs en raison de clandestines de terres rares et se préoccupe leur présence de plus en plus importante, de plus en plus des normes environnemen- en Europe notamment. Un exemple inté- tales, premier risque politique vu par le gou- ressant est celui du lithium : les entreprises vernement chinois. La stratégie de la Chine chinoises investissent massivement dans des pourrait être d’imposer ses normes au reste entreprises d’extraction de ce minerai et la du monde quand elle aura atteint une matu- Chine conserve un positionnement politique rité technologique suffisante. Le projet des fort dans les pays du triangle du lithium (Chili, routes de la soie est aussi une opportunité Bolivie, Argentine). Son ambition est de cen- pour imposer ses normes aux régions concer- traliser la production des batteries en Chine nées et notamment dans le secteur électrique, (2/3 des productions actuelles) et de sub- avec des acquisitions réalisées au Portugal, en merger le marché par les volumes face aux Grèce et en Italie. concurrents (Tesla vient de signer un contrat pour implanter sa prochaine « Gigafactory » La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019 95
RESSOURCES Pour conclure, une citation de Sun Tzu, Maurice Leroy, Vice-président, Commission auteur de L’Art de la guerre au VIe siècle av. Nationale d’Évaluation des recherches et études J.-C. : « Ce qui est intelligent, ce n’est pas de relatives à la gestion des matières et des déchets gagner cent guerres après cent batailles, ce radioactifs, président du Conseil Scientifique qui est intelligent c’est de gagner la guerre de la Direction Applications Militaires au CEA, sans bataille ». chimiste Si on ne développe pas le recyclage et la Table ronde. Les matières stratégiques substitution, il y aura évidemment un goulot sont-elles un goulet d’étranglement d’étranglement au niveau des ressources en pour la transition énergétique ? métaux rares. Après le premier choc pétrolier, l’ADEME avait monté un programme sur l’éco- Présidée par Jacques Percebois, Professeur nomie des matières premières et beaucoup émérite, Université de Montpellier de laboratoires avaient travaillé sur ces ques- tions. Il est donc possible, et très important, Bernard Tardieu, président de la Commis- de mener une recherche collaborative et ren- sion « Énergie et Changement climatique » à table. Par ailleurs, il est également important l’Académie des Technologies, coprésident avec que l’Union européenne définisse des règles Ghislain de Marsilly de l’Académie des Sciences environnementales. La substitution est un d’un groupe de travail sur les métaux rares problème particulièrement compliqué dans la mesure où la position d’un élément dans le L’Académie des Technologies, sollicitée tableau périodique fige ses propriétés — et sur la question des métaux rares, a reçu une ce depuis le Big Bang. Il faut donc soutenir la réponse du président de la République, sen- recherche sur ce sujet en particulier. sible au sujet qui nécessite « une évaluation réaliste et une utilisation optimisée de nos Philippe Chalmin, Université Paris-Dau- ressources ». Néanmoins l’administration fran- phine, historien, responsable du rapport çaise n’est pas organisée pour la transversalité Cyclope que ce sujet implique : les administrations de l’énergie, des souterrains… Le début des années 1970 avait vu une époque similaire, avec la sortie de l’ouvrage L’approche proposée par le rapport de ce Halte à la croissance. En raison de la guerre de groupe interacadémique est que le marché Corée, les États-Unis avaient constitué un stock des métaux rares va s’approfondir et résou- de 5 ans de matières premières, où figuraient dra in fine les problèmes sur ces ressources. notamment l’étain et les plumes d’autruche. La difficulté est de résoudre ces problèmes C’est dire si la notion de matières premières pacifiquement, sans conflit. En France, alors stratégiques est une notion qui évolue dans qu’il existe un sous-sol à exploiter, la ten- le temps. On parle beaucoup de cobalt et de dance a été de sanctuariser au lieu d’exploiter tungstène, mais en 2018, le métal dont le prix ce potentiel ; par exemple, il y a du lithium a augmenté de 152 % est le valladium, à cause dans l’eau de la zone géothermique rhénane. d’installations chinoises fermées pour raisons Et il est possible de développer des exploita- environnementales. La consommation d’au- tions respectueuses de l’environnement avec jourd’hui n’a donc pas de sens pour l’avenir, la technologie de mine liquide. Cette techno- car elle aura changé d’ici là. Or, la mine est un logie pourrait s’exporter en Bolivie où des ré- domaine d’activité où les temps sont longs : serves importantes existent : la France a donc il peut se passer 15 ans entre son ouverture un rôle à jouer, malgré sa petite taille, dans le et l’atteinte du plein régime. C’est aussi une nouveau monde minier qui s’annonce. activité où les contraintes environnementales sont croissantes. Par exemple, l’énorme projet minier en Guyane « Montagne d’or » rencontre 96 La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019
Séminaire : les ressources non énergétiques, un frein aux transitions énergétiques ? énormément d’opposition. De façon générale, La question de l’embargo provoqué par la aucun pays n’a construit une économie sur Chine et de l’utilisation de ce procédé dans une industrie minière : elle est une source les luttes commerciales est abordée. Philippe de déséquilibre politique et de tensions sur Chalmin rappelle que l’utilisation de l’arme des le marché. Même le marché du recyclage a matières premières n’a jamais été positive (cf. été perturbé par l’embargo de la Chine sur les l’OPEP et l’embargo politique sur le pétrole, déchets. Le risque politique est donc très fort. ou l’embargo américain sur les céréales). Dans les guerres commerciales, la matière première Dialogue avec la salle est toujours en première ligne. Il est évident que la Chine va chercher à garder ses matières Le critère de criticité est évoqué par la salle premières ; sa seule dépendance concerne le comme très dépendant de ce qu’on fait du minerai de fer. De façon similaire, la Chine métal. La prise de conscience des construc- elle-même a été bloquée dans le rachat d’une teurs automobiles quant à leur dépendance mine brésilienne. aux métaux rares s’est faite récemment ; en revanche les avionneurs et autres industriels, Une question est posée sur la Nouvelle-Calé- tel Safran, ne semblent pas conscients de cette donie : si un référendum lui donnait son indé- dépendance (ou alors légèrement sur le co- pendance, quel serait l’impact sur les matières balt). Il y a un effort à faire dans l’ensemble premières ? Réponse : sa dépendance au nickel du monde industriel pour comprendre sa dé- serait dramatique. pendance, usine par usine, métier par métier. Une dernière question porte sur le coût Philippe Chalmin évoque l’arbitrage qu’ont pour investir dans le nickel : un projet de raf- dû faire les constructeurs automobiles entre finerie/mine ne remplira pas les objectifs d’un platine et palladium : les voitures diesel né- investisseur classique aujourd’hui. Comment cessitent plutôt du platine et celles à essence changer les objectifs de rentabilité des fonds plutôt du palladium. Avec le « dieselgate », le d’investissements ? palladium s’est mis à valoir plus cher que le platine et l’or. Bernard Tardieu souligne que Philippe Chalmin insiste sur le fait que les constructeurs automobiles sont à la base quand on prend la décision d’investir, on ne des motoristes, mais pas des motoristes élec- sait pas quel sera le prix de la matière première triques. Avec la transition électrique, ils de- dix ans plus tard. Lors des quinze dernières vront rechercher de nouveau la technologie. années, le prix du nickel a varié entre 3 000 et 55 000 $/t. Il existe donc des incertitudes très La question de la coopération sur le sujet fortes pour l’investisseur auxquelles il est diffi- des mines est abordée. Philippe Chalmin rap- cile de remédier. pelle qu’il est encore plus difficile d’ouvrir une usine que d’en fermer une. La Rochelle était À l’issue de la discussion, Maurice Leroy « Mecque des terres rares » mais a dû fermer en conclut qu’il y a en effet un goulot d’étrangle- raison des problèmes de déchets radioactifs. ment. Philippe Chalmin pense qu’il en existe un au niveau français, mais pas vraiment au ni- Bernard Tardieu décrit le concept de forage veau mondial ; c’est la dimension géopolitique profond : ramener l’eau avec les minerais puis qui maintient la permanence d’aléas et donc la réinjecter l’eau après extraction. L’Académie volatilité des cours — il est certain que demain des Sciences essaie de convaincre le gouverne- les prix du cobalt, des terres rares, du dollar se- ment d’exploiter ce type de mines « liquides ». ront différents d’aujourd’hui. Bernard Tardieu Philippe Chalmin rappelle que l’exploration espère surtout que les échanges de matières pour le gaz de schiste a été interdite donc premières se feront sans guerre, et estime que qu’il y a peu d’espoir pour ce type d’extraction les mines devront être environnementalement également. acceptables. La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019 97
RESSOURCES En conclusion de la table ronde, Jacques Per- seulement), d’autres essaient de s’en pas- cebois a partagé quelques réflexions qu’il a ti- ser en misant sur la recherche de substituts. rées du séminaire. Pour répondre à la question Le contrôle des brevets est un point essen- de savoir si les ressources non énergétiques tiel. La Chine, par exemple, a opté pour une peuvent constituer un goulot d’étranglement stratégie dite de « prix-limite » pour les terres à la transition énergétique, il faut, comme les rares. On fixe un prix suffisamment élevé pour débats de cette journée l’ont montré, se placer garantir une bonne rentabilité mais pas trop à divers niveaux et aborder la question sous élevé afin de ne pas inciter l’entrée massive divers angles : de nouveaux opérateurs dans la branche. Ce fut déjà le cas avec le solaire photovoltaïque. 1 Préciser la typologie et regarder les ressources dont on parle car le degré de criti- 4 Les débats ont beaucoup insisté sur la cité n’est pas le même selon que l’on parle de nécessité d’opter pour le recyclage des métaux métaux stratégiques, de métaux rares, de terres rares. Ce potentiel de recyclage est considé- rares ; il est nécessaire de s’appuyer sur des rable et c’est une assurance face à un risque statistiques fiables et d’examiner les besoins de pénurie future. Il faut ainsi dissocier deux présents et futurs de ces diverses ressources choses : le taux de recyclage des métaux, c’est- compte tenu de ce que sera la pression dé- à-dire le pourcentage des déchets recyclés, mographique mondiale et le développement d’une part, le poids du recyclage des métaux des nouvelles technologies du numérique. Les par rapport aux besoins, d’autre part. Ces deux énergies renouvelables (solaire et éolien) sont ratios varient selon les cas. Il faut enfin se pré- particulièrement gourmandes en ressources de occuper du devenir des déchets ultimes non ce type. recyclés. 2 Examiner l’évolution du rapport res- 5 Favoriser la recherche-développement sources/production qui est un indicateur ins- pour provoquer des ruptures technologiques tantané du degré de tension entre l’offre et la permettant de trouver demain des substituts demande. Ce ratio dépend bien évidemment à certaines ressources stratégiques qui pour- du prix de valorisation des ressources, du coût raient constituer un goulot d’étranglement po- d’accès aux réserves et du progrès technique tentiel. La substitution est, à côté du recyclage, qui permettra de trouver de nouveaux gise- l’une des solutions pour éviter une trop forte ments. Les ressources existent mais leur coût dépendance à l’égard de certains métaux ou de d’accès est parfois très élevé. La localisation certains pays. géographique des réserves prouvées et des ressources potentielles est importante. Mais il On peut dès lors considérer que sous cer- ne faut pas se limiter à regarder la localisation taines conditions ces métaux et terres rares de l’extraction ; il faut aussi tenir compte du ne devraient pas constituer un goulot d’étran- lieu de raffinage de certains métaux. Certaines glement à la transition énergétique mais cela ressources sont extraites en Amérique du Sud requiert des efforts de recherche et des straté- mais raffinées en Chine. L’un des problèmes gies d’investissement adaptées. auquel il faut faire face, c’est de prévoir la quantité d’énergie nécessaire pour exploiter des métaux de moins en moins concentrés. Il faut de l’énergie pour extraire, raffiner, recycler ces matières premières. 3 Anticiper les stratégies d’acteurs, que ce soit les États ou les sociétés minières. Cer- tains pays essaient de contrôler les matières premières stratégiques (la Chine mais pas 98 La Revue de l’Énergie n° 643 – mars-avril 2019
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