Revue d'anthropologie des connaissances - Google Groups

 
CONTINUER À LIRE
3 | 2022 – Ecosystèmes et régimes de production scientifique                                           https://journals.openedition.org/rac/24745

                   Revue d’anthropologie des
                   connaissances
                   Appels en cours

                   3 | 2022 – Ecosystèmes et
                   régimes de production
                   scientifique
                   Date limite de réception des articles : 1er décembre 2021

                   RENÉ SIGRIST

                                                        Afficher l’image

                   Thématique de l’appel
                      Historiens et sociologues admettent le plus souvent qu’au-delà des épistémologies
                   (Crombie, 1994, 1995) et des paradigmes dominants (Kuhn, 1962/1970), les sciences,
                   même les plus académiques, se développent dans des écosystèmes sociétaux qui en
                   structurent les pratiques et en définissent les caractéristiques d’une manière plus ou
                   moins différenciée selon les lieux (Livingstone, 2003), les configurations
                   institutionnelles (Polanco, 1990), et bien entendu les époques (Pickstone, 2000, 2011).
                   Etant de nature à se combiner, ces facteurs sont susceptibles de créer une multitude
                   d’écosystèmes de recherche particuliers, certains s’instaurant en régime dominant d’une
                   époque, d’autres étant propres à une communauté disciplinaire ou géographique,
                   d’autres encore n’étant que des niches (« sites of science ») existant à l’intérieur ou en
                   marge de ces principaux systèmes.
                      Certains auteurs ont étudié ces structures de production scientifique en utilisant des
                   concepts comme « clusters de recherche », « systèmes locaux de production »,
                   « systèmes sectoriels d’innovation » (Malherba, 2002), ou encore des notions de
                   « systèmes sociotechniques locaux » ou de « paysages macro-institutionnels », (Geels,

1 sur 5                                                                                                                          22.07.21, 18:32
3 | 2022 – Ecosystèmes et régimes de production scientifique                                            https://journals.openedition.org/rac/24745

                   2004 ; Temple et al., 2007). Nous proposons les notions d’écosystèmes et de régimes de
                   production scientifique comme deux points de départs pour une description renouvelée
                   de l’organisation et des conditions de la recherche passée ou présente.
                      La notion d’écosystème scientifique renvoie à un ensemble d’éléments institutionnels,
                   sociaux ou paradigmatiques qui, tout en agissant les uns sur les autres, orientent le
                   développement, la régulation et la coordination des recherches. Les éléments qui le
                   définissent sont d’ordre institutionnel et financier, mais aussi moraux (valeurs associées
                   à la recherche), pratiques (organes de publication, formes de reconnaissance des
                   mérites, organisation des réseaux de collaboration) et bien entendu épistémologiques
                   (régimes de preuves, « ways of knowing ») et méthodologiques (instruments,
                   paradigmes théoriques). La taille d’un écosystème peut se limiter à un laboratoire ou
                   englober des communautés plus vastes, qu’elles soient géographiques ou disciplinaires.
                      Les composantes des écosystèmes peuvent s’agencer de manières différentes, de
                   manière à produire des régimes de production scientifique aux caractéristiques
                   variables, que ces régimes soient dominants, ou limités à de simples niches, ou encore
                   de nature hybride. Un régime désigne donc un mode particulier d’organisation de la
                   recherche avec son réseau de relations, ses mécanismes d’interaction et de coordination,
                   ses procédures de régulation et de stabilisation, sa façon de délimiter les frontières des
                   champs et d’organiser leurs échanges entre eux ou avec d’autres systèmes, y compris les
                   systèmes techniques et médicaux. Un régime se caractérise en d’autres termes par sa
                   façon d’articuler les composantes d’un écosystème de recherche.
                      La notion d’écosystème met l’accent sur les ressources disponibles et sur la question
                   de leur affectation (compétition et/ou collaboration), sur les interactions avec
                   l’environnement social au sens le plus large, peut-être aussi sur l’hétérogénéité de ses
                   composantes et les échanges entre celles-ci. La notion de régime, par sa connotation
                   politique, évoque davantage les règles constitutionnelles et implicites qui gouvernent
                   une communauté de chercheurs, les systèmes de régulation et les équilibres sans cesse
                   renégociés, les jeux de pouvoir, et surtout la question de la légitimation et des finalités
                   de la recherche. En analysant les caractéristiques de quelques écosystèmes scientifiques,
                   nous espérons identifier les éléments qui assurent la spécificité d’un régime ou d’une
                   niche particulière de production de savoir, et de repérer éventuellement les logiques qui
                   président à leur émergence, à leur affaiblissement, voire à leur dissolution.

                   Des contributions fondées sur le recul
                   historique
                      Rares sont les auteurs qui comme Pickstone (2000) se sont risqués à une synthèse
                   générale, divisée par périodes, des régimes épistémologiques et pratiques (« ways of
                   knowing ») qui se sont succédés dans l’histoire des sciences, techniques et de la
                   médecine (STM) occidentales. Peu nombreux également sont ceux qui comme Crombie
                   (1994) ont tenté d’établir une typologie des stratégies de recherche scientifique qui ont
                   traversé l’histoire. Mais de telles synthèses ne peuvent se fonder que sur des études de
                   cas dont les découpages par période, par discipline, par entité politique ou par
                   communauté de recherche restent parfaitement légitimes. La caractérisation
                   institutionnelle des régimes dominants ne peut en effet être occultée, qu’il s’agisse des
                   académies royales du 18e siècle, des universités libérales du 19e, de la Big Science de
                   l’après-guerre ou des « Silicon Valleys » d’aujourd’hui. Le but du présent appel est de
                   collecter des études de cas précises et historiquement situées afin d’établir une typologie
                   des systèmes et des régimes de production scientifique, qui élargisse la séquence

2 sur 5                                                                                                                           22.07.21, 18:32
3 | 2022 – Ecosystèmes et régimes de production scientifique                                            https://journals.openedition.org/rac/24745

                   essentiellement institutionnelle établie par un auteur comme Polanco (1990) pour le cas
                   de la France. Les données ainsi collectées devraient aussi éclairer la période
                   contemporaine, qui reste perçue de manières assez diverses.
                      L’organisation contemporaine de la recherche a en effet été caractérisée par Wagner
                   (2008) comme fondée sur l’existence de « collèges invisibles » basés sur des réseaux
                   transnationaux qui auraient pris le relais de la « Big Science » des Etats, mais en
                   demeurant toujours dépendants financièrement de ces Etats pour une large partie de
                   leurs ressources. L’autonomie et le fonctionnement horizontal de ces réseaux globaux
                   créent des tensions avec les bailleurs de fonds et génère une situation complexe au
                   niveau de la gestion du bien public que représente la connaissance scientifique. Pour
                   leur part, Gibbons et al. (1994), Nowotny, Scott et Gibbons (2001) ont supposé
                   l’existence d’un basculement récent entre un mode 1 assez traditionnel de connaissances
                   produites dans un contexte gouverné par une communauté scientifique autonome, vers
                   un mode 2 de connaissances produites dans un contexte gouverné par l’application et la
                   coopération interdisciplinaire au sein de partenariats entre public et privé. Cette vision
                   exagérément simplifiée ignore une multiplicité de modes d’existence de la science en
                   société, une diversité dans les façons de produire des connaissances et de les réguler que
                   n’a pas manqué de souligner un auteur comme Pestre (2003).
                      Le régime contemporain dominant semble en effet se caractériser par
                   l’industrialisation de la recherche, la concentration et la standardisation des
                   équipements, ainsi que par la circulation globalisée des personnes et des données.
                   Apparemment affranchis des contraintes institutionnelles par la massification des
                   échanges de données, qui multiplient les opportunités de combinaisons de savoir, les
                   chercheuses et chercheurs circulent plus facilement que jamais d’un centre à un autre,
                   ce qui facilite leur accès aux équipements et autres ressources matérielles. Il s’agit d’un
                   avantage particulièrement important dans les sciences exigeant des équipements
                   lourds. Mais ces équipements favorisent aussi la concentration de l’activité de recherche
                   dans quelques clusters particuliers comme dans le cas de la Silicon Valley, dont Sadin
                   (2016) a étudié la genèse et l’impact universel en démontrant à quel point il a colonisé
                   les esprits des décideurs et des chercheurs dans le monde entier. Cette colonisation des
                   esprits paraît en effet attestée par la multiplication des incubateurs de start up
                   technologiques et plus généralement par le développement d’un écosystème numérique
                   global.
                      Toutefois, si la globalisation de la recherche, encore accélérée par la généralisation
                   des plates-formes numériques, est une dimension majeure de la période
                   contemporaine, des auteurs ont cependant démontré la forte persistance des
                   collaborations nationales et locales (Grossetti 1994), dans un contexte général de
                   déconcentration géographique des communautés de chercheurs (Eckert et al. 2014).
                      Dans ces conditions, la question se pose de savoir si l’on est déjà entré dans un régime
                   de production scientifique tellement globalisé qu’il a donné naissance à une forme de
                   recherche entièrement indifférenciée sur toute la surface du globe, ou s’il existe encore
                   des écosystèmes et des niches de recherche revêtues de spécificités identifiables.
                      L’analyse de cas historiques devrait fournir des points de comparaison et des outils
                   d’analyse. Elle devrait permettre en particulier d’interroger la notion de production
                   scientifique au-delà de la production de textes ou du dépôt de brevets et de réintroduire
                   la question des finalités de la recherche en examinant la réappropriation des résultats
                   par les destinataires supposés du savoir, qu’ils en soient les commanditaires ou pas. Elle
                   permettrait aussi de mettre en perspective l’évolution de la notion de communauté de
                   chercheurs, que celle-ci soit réelle ou imaginaire (Anderson, 1983), et d’analyser les
                   valeurs qui la mobilisent, ou qui sont censées le faire.

3 sur 5                                                                                                                           22.07.21, 18:32
3 | 2022 – Ecosystèmes et régimes de production scientifique                                                 https://journals.openedition.org/rac/24745

                   Thématiques possibles
                            Les composantes ou les caractéristiques institutionnelles, sociales,
                          géographiques, méthodologiques, thématiques ou réticulaires qui définissent un
                          écosystème scientifique.
                            Identification des logiques dominantes (marchande, étatique, professionnelle,
                          consumériste, civique) d’un régime scientifique. Etude de ses mécanismes de
                          régulation.
                            Identification de niches fonctionnant au sein ou en marge d’un régime
                          dominant. Hybridation des écosystèmes et des régimes scientifiques.
                            La constitution, la transformation et/ou la permanence d’un écosystème ou
                          d’un régime de production de connaissances, ainsi que de leurs composantes.
                          Cycle de vie et questions de périodisation
                            Taille des écosystèmes : niche locale ou système global ? Faut-il y inclure les
                          sciences, les techniques et la médecine dans une même analyse ?
                            Impact d’un écosystème ou d’un régime scientifique sur le statut des
                          chercheurs et sur l’orientation et la finalité de leurs recherches.

                   Modalités de soumission
                     Pour les contributions retenues, les textes complets des articles, au format de la
                   Revue d’Anthropologie des Connaissances (maximum 65 000 signes) seront à
                   soumettre en ligne sur le site de la revue - http://rac.inra-ifris.org/index.php
                   /rac/login?source=%2Findex.php%2Frac%2Fuser avant le 1er décembre 2021.
                     Les auteurs peuvent éventuellement contacter les coordinateurs du dossier avant de
                   soumettre leur proposition : sigrist.rene@bluewin.ch.

                   Bibliographie
                   Anderson, Benedict (1983). Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of
                   Nationalism. London: Verso Editions.
                   Crombie, A. (1994). Styles of Scientific Thinking in the European Tradition: The History of
                   Argument and Explanation Especially in the Mathematical and Biomedical Sciences and Arts.
                   London: Duckworth (3 vols).
                   Crombie, A. (1995). Commitments and styles of European scientific thinking. History of Science,
                   33(2), 225–238.
                   Eckert, D., Grossetti, M., Jégou, L. & Maisonobe, M. (2014). Les villes de science dans le monde,
                   Mappemonde, 116 (4), 1-16.
                   Gibbons, M., Limoges, C., Nowotny, H., Schwartzman, S., Scott, P. & Trow, M. (1994). The new
                   production of knowledge. The dynamics of science and research in contemporary societies,
                   London: Sage Publications.
                   Geels, F.W. (2004). From Sectoral Systems of Innovation to Socio-technical Systems: Insights
                   about Dynamics and Change from Sociology and Institutional Theory, Research Policy, 33(6-7),
                   897-920.
                   Grossetti, M. (1994). Université et Territoire. Un système scientifique local, Toulouse et Midi-
                   Pyrénées, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.
                   Kuhn, T. S. (1962/1970). The Structure of Scientific Revolutions. Chicago: The University of
                   Chicago Press.
                   Livingstone, D. N. (2003). Putting Science in its Place. Geographies of Scientific Knowledge.
                   Chicago and London: The University of Chicago Press.

4 sur 5                                                                                                                                22.07.21, 18:32
3 | 2022 – Ecosystèmes et régimes de production scientifique                                                https://journals.openedition.org/rac/24745

                   Malherba, F. (2002). Sectoral Systems of Innovation and Production. Research Policy, 31,
                   247–264.
                   Nowotny, H., Scott, J. & Gibbons, N. (2001). Repenser la science. Paris : Belin.
                   Pestre, D. (2003). Regimes of Knowledge Production in Society: Towards a More Political and
                   Social Reading. Minerva, 41, 245-261.
                   Pickstone, J. (2000). Ways of Knowing. A New History of Science, Technology and Medicine.
                   Manchester: Manchester University Press.
                   Pickstone, J. (2011). Sketching Together the Modern Histories of Science, Technology, and
                   Medicine. Isis, 102, p, 123-133.
                   Polanco, X. (1990). Les modèles de développement de la science française (de 1666 à nos jours),
                   In X. Polanco (dir.), Naissance et développement de la science-monde. Production et
                   reproduction des communautés scientifiques en Europe et en Amérique latine (pp. 177-234).
                   Paris : La Découverte / Conseil de l'Europe / Unesco.
                   Sadin, E. (2016). La silicolonisation du monde. L’irrésistible expansion du libéralisme
                   numérique. Paris : L’Echappée.
                   Temple, L., Machicou Ndzesop, N., Fongang Fouepe, G., Ndoumbe Nkeng, M. & Mathé, S. (2017).
                   Système National de Recherche et d’Innovation en Afrique : le cas du Cameroun. Innovations,
                   53(2), 41-67. https://doi.org/10.3917/inno.pr1.0014
                   Wagner, C. S. (2008). The New Invisible Colleges. Science for Development. Washington DC:
                   Brookings Institutions Press.

5 sur 5                                                                                                                               22.07.21, 18:32
Vous pouvez aussi lire