REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE - Geneacaux

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REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE - Geneacaux
ISSN 02 94 7382

 REVUE GÉNÉALOGIQUE
     NORMANDE
           Histoire et monographie des familles. Héraldiques. Documentation.
   Publiée l’Union des Cercles Généalogiques et Héraldiques de Normandie

           20ème ANNÉE                 REVUE TRIMESTRIELLE
         4eme TRIMESTRE
                                       Abonnement France : 160 F (24,4 €)
N° 80 — OCTOBRE/DECEMBRE 2001
                                       Le numéro :         45 F (6, 8 €)
REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE - Geneacaux
SERVICES                        GÉNÉRAUX
Union                                                                          U.C.G.H.N. - Boîte Postale 06
                                                                            50480 SAINTE-MÈRE-ÉGLISE
Correspondance générale concernant l’Union, changements                         courriel : union@ucghn.org
d’adresse, adhésions à la section générale, renseignements….                     site: http://www.ucghn.org

Revue                                                            REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE
Articles, Quartiers normands, Questions & Réponses, Com-          20 rue Petit-de-Julleville, 76000 ROUEN
munications, Nous sommes tous cousins, Varia, etc.                          courriel : regeno@wanadoo.fr

                                                                             Jacques MERLE du BOURG
héraldique                                            10 parc de Brotonne, 76130 MONT-SAINT-AIGNAN

Bibliothèque de l’Union                                                        BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE
                                                                                       (à l’attention de l’UCGHN)
Bulletins, livres, relevés de mariages ou au-                                 BP 27216, 14107 LISIEUX CEDEX
tres… destinés à la Bibliothèque de l‘UCGHN              tél: 02-31-48-66-50 & courriel : bmlisieux@mail.cpod.fr
                                                                                        site : www.bmlisieux.com

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Numéros Anciens                                                   20 rue Petit-de-Julleville, 76000 ROUEN

•   année 1986 : n° 18 à 20                                                 Numéros spéciaux
•   année 1987 : n° 21 à 23                                           (listes des familles étudiées)
•   année 1993 : n° 45 & 45 sup - n° 46, 47 et 48                  • 1987 (4300 familles) :    1,50 €
•   année 1994 : n° 51 et 52 et 50 & 50 sup                        • 1992 (9000 familles) :    7,70 €
•   année 1995 : n° 55 et 56 & 56 sup                              • 1995 (10 000 familles) : 15,00 €
Chaque numéro simple 1,5 € & numéros avec sup-
plément 2,30 €.
                                                                       Ajoutez les frais d’expédition
                                                                             à vos commandes
• année 1996
n° 57 & 59 (chaque numéro 6,8 €)                                   France métropolitaine & Europe
n° 60 & 60 sup (les 2 numéros 9 €)                                 • 2,50 € pour 1 numéro
l’année complète (sauf 58, épuisé) : 16,80 €                       • 3,50 € pour 2 ou 3 numéros
                                                                   • 5,20 € pour 4 à 10 numéros
• année 1997                                                       • 7,70 € pour 11 numéros & plus
n° 61 & 63 (le numéro 6,8 €)
n° 62 & 62 sup – 64 & 64 sup (les 2 numéros 9 €)                   Dom-Tom (par avion)
l’année complète 24,40 €                                           • 3,20 € par numéro

• année 1998                                                       Autres continents (par avion)
n° 67 (le numéro 6,8 €)                                            • 4,60 € par numéro
n° 66 & 66 sup - 68 & 68 sup (les 2 numéros 9 €)
l’année complète (sauf n° 65, épuisé) 18,30 €                           Libellez vos chèques
                                                                             à l’ordre de :
• année 1999                                                        UCGHN (C.C.P. Rouen 2350 10 Z)
n° 69 & 71 (le numéro 6,8 €)
n° 70 & 70 sup - 72 & 72 sup (les 2 numéros 9 €)
                                                                           Nous attirons votre attention sur

                                                        3
l’année complète 24,40 €
                                                                           l’épuisement de certains numéros
• année 2000                                                               anciens. C’est pourquoi nous
n° 73 & 74 & 76 (le numéro 6,8 €)                                          avons modifié les modalités d’ac-
n° 75 & 75 sup (les 2 numéros 9 €)                                         quisition des numéros disponibles.
l’année complète 24,40 €                                                              Profitez de ces
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REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE - Geneacaux
UNION des CERCLES                                     REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE
   GENEALOGIQUES
    et HÉRALDIQUES                                                                   20e année – n° 80
de NORMANDIE (UCGHN)                                                                 4e trimestre 2001
             Membre de la
  Fédération Française de Généalogie                                                octobre – décembre
                 ‹
 Siège social : Archives Départementales
   de Seine-Maritime, 76100 ROUEN
n° SIREN : 398 087 213 – code APE : 13E
                   ‹
                                                                                         SOMMAIRE
           Composition
    du Conseil d’Administration
                                             ♦ Le Mot de la présidente ........................................................................... 418
                Présidente
           ANNE LEMAITRE                                                           GÉNÉALOGIE & HISTOIRE
          présidente de l’APGN
                                             ♦ A St Pierre et Miquelon, l’Affaire Néel et Ollivier
           Président honoraire
                                                         par Robert Langlois ......................................................................... 419
           JEAN-PIERRE RAUX
     président et fondateur du CG 27         ♦ Mes ancêtres protestants du Chefresne (50)
                                                         par Christel Bellec ............................................................................ 424
           Secrétaire général                ♦ Compléments, additifs , précisions...
        JEAN-JACQUES BREGUET
                                                         par Claudine Delaruelle, Jeanine Lainé, Annette Godefroy
           président du CG 50
                                                         et Michèle Godret ............................................................................. 429
           Secrétaire adjointe
       MONIQUE BOCQ-PICARD                                                                     HÉRALDIQUE
       vice-présidente de l’APGN
                                             ♦ Enregistrement d’armoiries
                 Trésorier                               par Jacques Merle du Bourg............................................................ 431
       JEAN-PAUL PORTELETTE
        vice-président du GGHSM
                                                                                          DOCUMENTATION
          Membres fondateurs
COMTE     d'ARUNDEL de CONDÉ                 ♦ A propos du Domesday Book
                                                         par Agnès Quirogua-Vasselin ......................................................... 432
(président honoraire), COMTE DE GEN-
NES (secrétaire général honoraire) et Jac-
                                             ♦ Ils ont quitté la Normandie
                                                    par Chantal Cordiez, le Cercle Généalogique
ques MERLE du BOURG.                                du Sud-Ouest, Jean-Pierre Raux,
          Membres du Conseil                        Monique Bocq-Picard, et Joseph Delabarre .................................. 433
JACQUES DELORME (trésorier du CeGé-          ♦ Bibliographie Normande
Cal), JEAN-CLAUDE DUCOS (membre du
                                                    par Jean-Pierre Raux et David Séchard .......................................... 440
CeGéCal), ROBERT GROS (membre du
CeGéCal),      Michèle     JOURDREN
(secrétaire du CGRSM), JEAN-CLAUDE           ♦ Questions................................................................................................... 441
LECLERC (vice-président et membre fon-       ♦ Réponses ................................................................................................... 453
dateur du C.G. 27), ANNETTE LESSER-          ♦ Communications ....................................................................................... 460
TOIS (vice-présidente du CGRSM), MI-
CHEL   LOISELEUR (bibliothécaire, mem-                                              QUARTIERS NORMANDS
bre du CG.27), CHRISTIAN SÉNÉCAL
                                             ♦ de Gisèle Leplingard, René Mandeville (compléments),
(secrétaire du CGPCSM) et JEANNINE
                                               Florence Leclerc, Bernard Leconte, Yves Loison,
SENTIER (présidente du CGPCSM).                Isabelle Maincent, Martine Poirier, Christophe Préaux,
          Membres d’honneur                    Jean-Yves Delafosse (compléments),
Les présidents d'honneur de la Fédéra-         & Catherine Diesnis-Platel ........................................................................ 462
tion : DUC DE LA FORCE (†), BARON            ♦ Quelques remarques sur les quartiers normands
                                                    par Michel Pesnelle .......................................................................... 487
ÉDOUARD DE NERVO (†), BARON JAC-
QUES   AMEIL, GASTON SAGOT (†).
Les Directeurs des Archives départementa-
les du Calvados, Eure, Manche, Orne &        ♦   Nous sommes tous cousins .....................................................................                      488
Seine-Maritime ; les Conservateurs des       ♦   Nouvelles de l’Union et des Associations ..............................................                             497
Bibliothèques municipales de Rouen &         ♦   Varia ...........................................................................................................   509
Lisieux ; le Conservateur des Archives       ♦   Nouveaux sociétaires et abonnés............................................................                         511
municipales du Havre ; le directeur du
Service Historique de la Marine à Cher-

                                                                                                                                                         page 417
REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE - Geneacaux
REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE                                                                ÉDITORIAL

     P     our cet éditorial, j’avais prévu un autre sujet, le contexte actuel m'avait
           fait oublier la magie de Noël. A cette période de l’année, comme le souhai-
     te la tradition, je vous présente pour vous et votre famille mes meilleurs vœux
     pour une nouvelle année douce et paisible.

     C     ette agréable coutume permet de renouer ou de maintenir des liens dis-
           tendus par les aléas de la vie, quelque soit le moyen de communication
     utilisé. Souvent pendant cette période de trêve où les réunions familiales sont
     plus fréquentes, la tombée de la nuit est propice aux échanges, les souvenirs
     prennent vie, les albums photos sont ressortis et nous découvrons parfois le vi-
     sage de la personne connue uniquement à travers nos recherches.

     P     arfois les histoires familiales se transforment en légende, mais nous le sa-
           vons tous, dans chacune il y a toujours une once de vérité. A nous de la
     découvrir et éventuellement la transmettre intégrée dans son contexte social
     et historique tout en respectant la sensibilité de chacun des acteurs. Parfois, à
     travers nos recherches, nous dévoilons un secret de famille. Toute vérité est el-
     le bonne à dire ?

     A      tous, je souhaite d'ajouter une petite racine, une branche, un rameau ou
            un bourgeon à votre arbre, au cours de cette nouvelle année.

                                                                               Anne Lemaître
                                                                       Présidente de l’UCGHN

    Toute reproduction est soumise à l’accord            Copyright
    préalable de l’UCGHN
                                                         La composition de la Revue étant arrêtée
    Directeur gérant :                                   le premier jour du deuxième mois de
    Anne Lemaître                                        chaque trimestre, les articles et commu-
    44 rue Hoche 93500 PANTIN                            nications parvenant après cette date ne
                                                         peuvent paraître, au plus tôt, que dans
    Dépôt légal : 4e trimestre 2001                      le numéro du trimestre suivant.
    Commission paritaire de presse : n° 64517
                                                         Les manuscrits, publiés ou non, ne sont
    du 15 juin 1982 - ISSN 02 94 7382
                                                         pas rendus .
    Imprimé pour le compte de l’UCGHN par
    l’Imprimerie Nouvelle, 76190 YVETOT                  Articles et communications engagent la

                                         Comité de rédaction
                          Michèle Jourdren, Annette Lessertois, Olivier Poupion
                                 & Jean-Pierre Raux (rédacteur en chef)

N° 80 – OCTOBRE / DÉCEMBRE 2001                                                             page 418
REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE - Geneacaux
REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE                                                                        GÉNÉALOGIE & HISTOIRE

                                                         Généalogie & Histoire
                                            A St Pierre et Miquelon,
                                            l’Affaire Néel et Ollivier
                                                   transmis par Robert Langlois

       J’ai retrouvé, dans un vieux cahier écrit par ma mère il y a longtemps, un article recopié d’après le récit
       d’Emile Sasco, greffier en chef des tribunaux à Saint-Pierre, en 1930.
       NDLR : Il concerne une affaire judiciaire qui défraya la chronique à la fin du XIXesiècle : un crime dont les
       principaux protagonistes, le meurtrier et sa victime, étaient originaires de la Manche. A noter que cette affaire,
       célèbre, a fourni la trame du film de Patrice Lecomte « La Veuve de Saint-Pierre », sur un scénario de Claude
       Faraldo, sorti en avril 2000.

L     e crime commis fin décembre 1888 à L’île aux
      Chiens1 ne fut pas un assassinat comme la légende
                                                                    surprise de voir le tambour3 démoli et la fenêtre brisée.
                                                                    Ayant pénétré dans la cabane et soulevé une voile de
                                                                    wary4 étendue dans un coin, ils y découvrirent le
s’en est accréditée dans la colonie, car il n’y eut ni
                                                                    cadavre absolument nu du malheureux pêcheur
préméditation, ni guet-apens, mais un meurtre
                                                                    Coupard. Le Parquet, immédiatement prévenu, se
accompagné de vol qualifié. Voici d’ailleurs les faits,
                                                                    transporta sur les lieux pour procéder aux premières
tels qu’ils résultent de l’information judiciaire.
                                                                    constatations en présence du docteur Camail, médecin

D    ans la journée du lundi 31 décembre 1888, la
     paisible population de L’île aux Chiens était mise
                                                                    de la localité.

en émoi. Le « père » Coupard, François, marin pêcheur
âgé de 61 ans, célibataire, était trouvé mort dans sa
                                                                    L    e cadavre avait été déposé entre deux coffres et
                                                                         tassé en boule, la tête repliée sur la poitrine et les
                                                                    jambes infléchies sous l’abdomen. Quand on retira le
cabane de pêche, le corps horriblement mutilé.
                                                                    cadavre de la position où il se trouvait, un horrible

L    e vieillard avait un « avant » qui habitait avec lui.
     Si ces deux hommes avaient entre eux de
fréquentes altercations, du moins ces disputes ne
                                                                    spectacle glaça d’horreur les assistants. Le corps de
                                                                    Coupard était atrocement mutilé : au-dessus du sien
                                                                    droit, trois incisions d’environ 3 cm de longueur ; trois
dégénéraient jamais en pugilat. Cependant, au cours de              incisions semblables existaient au-dessus du sein
la nuit précédente, les époux Juin, proches voisins de              gauche. A la gorge, la trace d’un coup de couteau qui
Coupard entendirent « un bacchanal(e) »2 effroyable,                avait pénétré jusqu’au cœur. Le sternum avait été fendu
on chantait. Ces bruits les tinrent éveillés une partie de          dans la partie médiane, comme pour diviser le tronc en
la nuit. Vers huit heures du matin, ils s’empressèrent              deux parties. Le ventre, entièrement perforé laissait
d’aller faire leurs déclarations à la police au sujet du            échapper les intestins, dans la partie inguinale, deux
potin qu’on avait fait à côté d’eux. Les gendarmes                  sections symétriques très profondes indiquaient qu’on
Danglas et Bonnaux se rendirent immédiatement chez                  avait voulu détacher les jambes du tronc.
le père Coupard. Mais, à part certains dégâts
insignifiants tels qu’un bris de vitres, ils ne
remarquèrent rien d’anormal. La cabane était vide. Ils
                                                                    D’      autres mutilations innombrables étaient
                                                                            également constatées. Sans doute, le ou les
                                                                    meurtriers, pressés par le temps ou de crainte d’être
crurent ses habitants partis pour la chasse au gibier de
                                                                    surpris, n’avaient pu achever leur boucherie. Jetant le
mer. Les constatations des agents avaient été trop
                                                                    cadavre là ou ils se trouvaient et l’ayant recouvert
hâtives, car les dégâts étaient au contraire assez
                                                                    d’une voile de wary, ils avaient pris la fuite, s’emparant
importants, ainsi qu’on le verra par la suite. On peut
                                                                    de tout ce qui pouvait être emporté.
même s’étonner qu’ils aient pu passer inaperçus aux
yeux des gendarmes. Ce n’est que dans l’après-midi
vers deux heures, que deux amis de Coupard, MM
Poirier et Fourré, se rendirent chez lui, pour lui
                                                                    L    es soupçons se portèrent naturellement sur l’avant
                                                                         Ollivier qui avait disparu avec l’embarcation de
                                                                    son patron et, suivant une supposition assez
emprunter une paire de bottes. Quelle ne fut pas leur               vraisemblable, avait gagné la côte de Terre-Neuve. Il

1                                                                   3
    Ancien nom de L’île aux Marins.                                     L’entrée extérieure de la maison.
2                                                                   4
    Expression locale pour signifier faire du bruit.                    Embarcation de pêche un peu plus grande que le doris

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était donc intéressant de rechercher si ce marin avait              deux jours. Voici quelle était la composition de ce
commis le crime seul ou en compagnie de complices.                  tribunal : MM. Venot, président du Conseil d’appel,
                                                                    président Aphalo, sous commissaire de la marine,
L   undi soir, seulement on apprenait qu’Ollivier avait
    été vu la veille avec un individu nommé Néel et
que tous deux avaient fait des stations et de
                                                                    Lallier de Coudray, aide commissaire de la marine.
                                                                    Quatre assesseurs, habitants notables : MM Léonie
                                                                    Coste, Cresset Auguste, Hacala Charles, et Humbert
nombreuses libations dans les deux cabarets de L’île
                                                                    Léon. M. Maurice Caperon, procureur de la
aux Chiens jusqu’à dix heures du soir.
                                                                    République, chef du Service judiciaire, occupait le

N     éel, bien connu dans cette localité, demeurait à
      Saint-Pierre chez un nommé Ruellan, où il prenait
                                                                    siège du ministère public.

pension. Le mardi 1er janvier, la police s’informa chez
ce dernier de ce qu’était devenu son pensionnaire. Elle
                                                                    L    a salle de l’audience est comble. L’acte
                                                                         d’accusation lu par le greffier en chef M.
                                                                    Siegfriedt, il est procédé à l’interrogatoire des accusés
apprit alors, non sans étonnement, que Néel était
                                                                    qui ont déclaré se nommer Néel Joseph-Auguste né à
revenu la veille de L’île aux Chiens, vers huit heures
                                                                    Saint-Pierre le 28 mai 1860, marin pêcheur ; Ollivier
du matin, en compagnie d’un breton dont le
                                                                    Louis, né à Coatreven (Côtes du Nord), le 31 octobre
signalement correspondait assez exactement à celui
                                                                    1863, marin pêcheur.
d’Ollivier. Mais ces deux individus étaient partis le
même jour, de chez Ruellan, à deux heures de l’après-
midi, après avoir demandé à d’autres pensionnaires de
venir les aider à pousser leur wary échoué à la pointe
                                                                    N     éel et Ollivier maintiennent les aveux faits au
                                                                          cours de l’instruction, à savoir que le dimanche
                                                                    31 décembre, vers dix heures, ils avaient projeté de
du Cap à l’Aigle. Néel et Ollivier avaient donc repris la           souper chez Coupard. Rendus furieux de voir la porte
mer. Avaient-ils pu gagner la côte anglaise ? C’est ce              du tambour fermée, ils avaient démoli cette enceinte et
que, anxieusement de demandait le Parquet, lorsque le               brisé l’unique fenêtre de la cabane, et, pénétrant dans
Procureur de la République qui s’était de nouveau                   celle-ci, se trouvèrent face au patron d’Ollivier qui, un
transporté à L’île aux Chiens pour obtenir des                      couteau à la main, prétendait défendre l’entrée de son
renseignements complémentaires, recevait la nouvelle                domicile. Il y eut d’abord lutte entre Coupard et son
que les meurtriers présumés du « père Coupard »                     avant. Pendant que Ollivier maintenait Coupard, Néel
venaient d’être arrêtés chez Ruellan par l’agent de                 s’écria : « Mieux vaut tuer le diable que le diable vous
police Paul Coupard.                                                tue ! », Il avait alors frappé sur l’avant-bras de Coupard
                                                                    et fait tomber l’arme, l’avait ensuite ramassé et l’avait
U     n fort vent d’est et l’état de la mer n’ayant pas
      permis à ces deux marins de gagner la côte
                                                                    plongée dans la poitrine de la victime.
anglaise, force leur avait été de relâcher à L’Anse à
Henri où ils avaient saillé5 leur embarcation et passé la
nuit dans une cabane abandonnée. Le matin du 1er
                                                                    L    e temps d’allumer la chandelle et les deux
                                                                         hommes penchés sur le corps de Coupard
                                                                    s’assuraient que le malheureux respirait encore. C’est
janvier, ils étaient revenus en ville par la route du               alors que Néel dit à son camarade : « Tiens, v’la le
Gueydon, non sans avoir fait des stations dans divers               couteau, tape à ton tour », et Ollivier, prenant le
cabarets établis le long de la route (Truault, Mme Poret            couteau, l’enfonça dans le ventre de Coupard.
et Cheney). Le restaurant Ruellan avait été leur
dernière station. A peine arrêtés, Néel et Ollivier
étaient conduits sous bonne escorte sur les lieux du
                                                                    A    près le meurtre, les accusés s’acharnèrent sur le
                                                                         cadavre, pendant que Ollivier éclairait son
                                                                    camarade, ce dernier ouvrait le thorax avec le même
crime pour y être interrogés et confrontés avec le
                                                                    couteau et attirait le cœur à lui, s’écriant : « Quel gros
cadavre de Coupard. Ils firent des aveux complets.
                                                                    cœur !… », et fait les mutilations ci-dessus écrites.
Néel avait frappé le premier et Ollivier n’aurait frappé
qu’après sur invitation de son complice.
                                                                    E    nfin, les deux misérables, à tour de rôle, avaient
                                                                         taillé dans les aines pour détacher les jambes du
I  nterrogés pour savoir dans quel but ils avaient tenté
   de dépecer le cadavre de leur victime, ils
répondirent que c’était pour savoir « s’il était gras » et
                                                                    tronc. Les meurtriers persistèrent à soutenir qu’ils
                                                                    n’avaient pratiqué ces mutilations que pour voir si
                                                                    Coupard était gras, se défendant d’avoir voulu le
que d’ailleurs ils étaient saouls perdus.
                                                                    dépecer pour jeter les restes à la mer. Ollivier

S   ur leur parcours, les meurtriers purent se rendre
    compte combien leur abominable forfait avait
soulevé l’indignation publique. Les femmes surtout en
                                                                    prétendait que lorsqu’il frappa dans le ventre de son
                                                                    patron, celui-ci ne bougeait plus, mais il fut démenti
                                                                    sur ce point par Néel qui affirma que le père Coupard,
voulaient à Néel qu’une vie de désordre avait conduit               à ce moment, « soupirait à petits coups ».
jusqu’au crime.

L’     instruction de cette affaire menée rapidement
       permettait au Tribunal criminel de se réunir en
                                                                    A    près cette scène de sauvagerie, les deux accusés,
                                                                         après avoir soigneusement dissimulé le cadavre
                                                                    dans un coin de la cabane, sous une voile, songèrent à
session le mardi 8 février 1889. Les débats durèrent                fuir espérant gagner la côte anglaise, avant la
                                                                    découverte du cadavre et de leur crime. Emportant tout
5
    Hisser une embarcation sur la grève, par la force des bras ou   ce qu’ils jugèrent utile pour la traversée, ils poussèrent
      à l’aide d’un cabestan.                                       l’embarcation de Coupard. Mais nous l’avons vu, les

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vents d’est et la grosse mer ne leur avaient pas permis
de mettre leur projet à exécution, et ils s’étaient fait
arrêter dans la matinée du 1er janvier.
                                                             P     endant la lecture de l’arrêt, Néel ne donna aucun
                                                                   signe d’émotion. Avec son caractère gouailleur,
                                                             son mutisme à propos de sa condamnation ne fut pas
                                                             sans étonner. Mais ramené à la prison, il retrouva sa
N     éel et Ollivier ne cessèrent d’arguer de leur état
      d’ivresse, sinon pour excuser, du moins pour
atténuer l’atrocité de leur crime ; Ollivier, garçon aux
                                                             gaieté cynique habituelle, disant aux gendarmes « Ma
                                                             foi, j’ai bien fait de manger mes deux mille francs qui
                                                             venaient de mon père », et à la foule qui faisait la haie
manières lourdes, au cou de taureau et dont
                                                             sur son passage « Eh vous autres, qu’est-ce que vous
l’intelligence paraît étouffée par la force physique,
                                                             avez à me regarder ? Vous feriez mieux de me donner
Ollivier qui joua dans ce drame un rôle plutôt passif,
                                                             du tabac ! ».
pressé d’expliquer pourquoi il avait obéi aveuglément à
Néel qu’il connaissait à peine, tandis qu’il avait déclaré
que Coupard, son patron avait toujours été bon pour
lui, ne put donner aucune raison. Les témoins de
                                                             L     e 9 février, Néel se pourvoit en cassation contre
                                                                   l’arrêt du tribunal criminel, mais pour parer à
                                                             l’éventualité du rejet de son pourvoi, il forme un
moralité, étendus à presque tous les habitants de L’île      recours en grâce le 9 avril suivant. Aux termes de
aux Chiens, fixèrent le Tribunal criminel sur l’état des     l’article 30 de l’Ordonnance organique du 18
accusés avant le crime. Tous s’accordèrent à établir que     septembre 1844, le Chef de la colonie doit, en matière
dans cette soirée du dimanche 30 décembre, Néel était        criminelle, ordonner en Conseil d’exécution de la peine
entre deux vins, suivant son habitude, tandis                ou prononcer le sursis lorsqu’il y a lieu de recourir à la
qu’Ollivier paraissait être dans son état normal.            clémence du Chef de l’Etat. Dans la circonstance, il ne
                                                             pouvait être question de sursis, puisque le renvoi en
L    e procureur requit la peine capitale contre Néel et
     ne s’opposa pas à l’admission des circonstances
atténuantes en faveur d’Ollivier. Néel d’après le
                                                             cassation est suspensif de l’exécution de la peine, mais
                                                             au cas où le pourvoi serait rejeté ou pour éviter des
                                                             lenteurs, le Commandant de la colonie réunissait le 11
ministère public ayant exercé sur Ollivier une sorte de
                                                             avril, son Conseil privé pour examiner ce recours en
fascination incompréhensible, voisine de l’hypnotisme.
                                                             grâce et décider s’il y avait lieu de l’appuyer, ou sur la

Me        Behaguel, dans une chaleureuse plaidoirie,
         tenta de détourner de la tête de son client la
peine capitale, en faisant valoir l’état d’abjection
                                                             nécessité qu’il y aurait à laisser la justice son libre
                                                             cours.

morale dans lequel il était tombé, par suite des
pratiques invétérées de l’alcool, représentant Néel
comme un inconscient ayant perdu dans l’abus des
boissons alcooliques l’usage de ses facultés
intellectuelles et ce libre arbitre qui dirige les actions
humaines, mais Me. Behaguel insista sur le défaut de
concordance qui existait d’après lui entre le crime de
vol et le meurtre, ce qui rendait passible seulement
Néel de la peine des travaux forcés à perpétuité.

L     e tribunal se refusa d’admettre l’état
      psychologique de Néel décrit si savamment par
l’honorable défenseur, et regarda Néel comme ayant
                                                             A      l’unanimité, le Conseil privé émettait l’avis que,
                                                                   dans un but de préservation sociale, il n’y avait
                                                             pas lieu d’appuyer le recours en grâce du condamné,
agi avec une responsabilité précise et entière. Le           l’horrible cruauté qui marquait le meurtre de Coupard
second argument n’eut pas plus de succès. A son tour,        excluant tout sentiment de commisération. D’autre
Me Salomon dit remarquer que la culpabilité d’ Ollivier      part, il importait de ne pas laisser dans le public cette
était douteuse au point de vue meurtre, Coupard ayant        croyance que la meilleure excuse à présenter devant la
cessé de vivre quand il avait été frappé par l’accusé.       justice était l’état d’ivresse.

A     près une délibération assez courte, le Tribunal
      criminel rapportant le verdict affirmatif sur toutes
les questions posées avec admission des circonstances
                                                             D’      ailleurs à ces raisons s’ajoutait une autre qui
                                                                     n’était point, en effet, sans importance. Deux
                                                             condamnations à mort pour assassinat en 1875 et 1885
atténuantes en faveur d’ Ollivier, Néel seulement été        avaient été commuées en celles de travaux forcés à
condamné à la peine de mort et Ollivier à dix ans de         perpétuité. Depuis lors, il faut bien le dire, ces deux
travaux forcés.                                              mesures de clémence avaient eu pour résultat
                                                             d’accréditer dans l’esprit de la population, l’idée que la
O     llivier s’en retirait à bon compte ; l’opinion
      publique, tout en respectant l’arrêté de la justice,
pensa néanmoins qu’il y avait trop de disproportion
                                                             peine de mort était virtuellement abolie aux Iles Saint-
                                                             Pierre et Miquelon, faute de pouvoir l’y faire exécuter
                                                             dans les formes prescrites par le Code pénal français. Il
entre les deux peines. Si Néel méritait la peine capitale,   convenait donc de dissiper cette idée. L’autorité
la peine appliquée à son coauteur n’était pas assez          administrative aurait donc l’obligation et le devoir
élevée.                                                      d’intervenir en haut lieu pour que la justice suivit son
                                                             cours si le Chef de l’Etat refusait la grâce de Néel.

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                                                               On s’adressait d’abord à ceux qui seraient
                                                               prochainement libérables et, s’ils acceptaient, il
                                                               pourraient être renvoyés en France par l’aviso transport
                                                               Le Drac.

                                                               L     a guillotine arrivait à Saint-Pierre le 22 août.
                                                                     C’était une machine très vieille, datant presque du
                                                               début de son invention. Ne disait-on pas qu’elle avait
                                                               servi à l’exécution de la malheureuse reine Marie-
                                                               Antoinette ! Il y manquait la plate-forme avec sa demi-
                                                               douzaine de marches. Le couperet était suspendu au
                                                               sommet au moyen d’une corde passée dans une poulie.
                                                               Il suffisait de dérouler rapidement cette corde du taquet
                                                               qui la retenait fixée sur un des montants pour que
                                                               l’instrument de mort accomplisse son œuvre.

                                                               L’      exécution fut fixée au 24 août. Comme il s’y
                                                                       attendait, le gouverneur ne trouva aucun ouvrier
                                                               qui voulut bien consentir à remplir le triste office qu’on
                                                               sollicitait de lui. Tous les corps de métier se récusèrent.
                                                               Par l’intermédiaire du capitaine Leborgne, il s’adressa
                                                               alors aux hommes de la Compagnie de disciplinaires ;

P    ar arrêté en date du 12 avril, la Cour suprême
     rejetait le pourvoi de Néel. Le condamné n’avait
plus qu’à attendre la décision en dernier ressort du
                                                               mais à sa grande surprise, il reçut de ceux-ci un refus
                                                               formel, quels que fussent les avantages qu’on leur
                                                               promettait. Il fallait cependant en finir ; à qui
Président de la République. Cette décision intervint fin       s’adresser ? On ne savait trop et l’anxiété était à son
juillet, le retour en grâce était rejeté, la nouvelle          comble dans les bureaux administratifs, lorsque le
télégraphiée à St-Pierre. Et c’est ici qu’il s’agit de faire   procureur de la République réussit enfin à tirer tout le
connaître les difficultés qu’éprouva l’autorité                monde d’embarras. Il manda à son cabinet un nomme
administrative pour assurer le cours de la justice, ainsi      Legent Jean-Marie, marin pêcheur, condamné
que les conditions dramatiques dans lesquelles Néel fut        récemment à trois mois de prison pour vol. C’était un
mis à mort, après une agonie morale qui devait durer           paresseux, préférant marauder que de se livrer à son
six mois.                                                      métier. Le chef du Parquet lui ayant promis qu’il lui
                                                               serait fait grâce de sa peine, et qu’il recevrait en outre
L    e gouverneur, avisé du rejet du recours, demandait
     à Paris, par câble, l’envoi à Saint-Pierre de
l’exécuteur des hautes œuvres, Deihler avec son
                                                               une somme de cinq cent francs, s’il consentait à
                                                               remplir l’office de bourreau, Legent accepta. Il aurait
                                                               comme aide, son frère utérin Banneck Guillaume,
matériel. Le département français refusait ce                  individu peu recommandable. Il était temps, on était
déplacement, mais il invitait le gouverneur de la              vendredi matin et l’exécution avait lieu le lendemain
Martinique à expédier le matériel en question, Saint-          matin à l’aube. Mais avant de procéder, il parut
Pierre étant avisé télégraphiquement le 26 juillet. Un         indispensable, afin de n’être pas pris au dépourvu au
nouveau télégramme annonçait le départ à cette date,           dernier moment, de s’assurer que la guillotine était en
des bois de justice, mais il y aurait lieu de trouver sur      état de bon fonctionnement. Et bien l’on fit. La
place un exécuteur. Le télégramme levait en partie, les        machine fut montée dans l’atelier des Travaux publics.
difficultés que rencontrait l’exécution de Néel ;              Un veau servit de victime… innocente. L’animal est
cependant, trouver un exécuteur sur place n’était pas          décapité, mais pas complètement, la tête reste
chose facile dans un petit centre où tout le monde se          suspendue à un lambeau de chair que l’on tranche au
connaît et se préoccupe de savoir ce que son voisin            couteau.
penserait de lui. A l’arrivée des bois de justice, le
gouverneur comptait s’adresser à divers corps de
métier dans la population civile, bien qu’étant à peu          P    areil incident pouvant se produire le lendemain,
                                                                    Legent est invité à se prémunir d’un couteau à
                                                               piquer la morue. Le veau dépecé fut distribué au
près persuadé que ces démarches se heurteraient à des
refus.                                                         personnel des Travaux publics, mais au moment de le
                                                               servir, il paraît que nul ne voulut en manger. A noter
D     ans ce cas, il ne voyait alors d’autres possibilités
      de trouver son exécuteur et ses aides qu’en faisant
appel aux hommes de bonne volonté du détachement
                                                               que M. Behaguel, défenseur de Néel crut devoir
                                                               protester auprès du procureur au sujet des conditions
                                                               dans lesquelles devait être exécuté l’arrêté de la justice,
de disciplinaires. Le capitaine Leborgne, commandant           la charge d’exécuteur des hautes œuvres ne pouvant
le détachement, pensa que, peut-être, on pourrait              être exercée que par l’agent légalement investi de cette
obtenir de quelques-uns l’office qu’on leur                    fonction. Le Parquet répondit par une fin de non-
demanderait, en faisant luire à leurs yeux certains            recevoir, basée sur le câble ministériel du 26 juillet.
avantages, comme la remise du temps de service qui
leur restait à accomplir et une gratification pécuniaire.

N° 80 - OCTOBRE / DÉCEMBRE 2001                                                                               page 422
REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE                                                               GÉNÉALOGIE & HISTOIRE

E    t nous voilà enfin au matin de l’exécution. Un
     soleil radieux, après plusieurs semaines de brume
intense, va éclairer la scène tragique. La plus grande
                                                              commandés par le maréchal des logis Pittolat ; le
                                                              cortège emprunte les rues Truguet et Gervais, soit un
                                                              parcours de sept cent mètres environ avant d’arriver à
partie de la population est sur pied. Néel dira à son         la place de l’Amiral-Courbet au centre de laquelle est
réveil au petit jour qu’il a entendu toute la nuit,           montée la guillotine. Le trajet demande plus de vingt
plusieurs personnes circuler dans la rue Carpillet, et        minutes, car le cheval marche au pas. Une foule
causant à voix basse. La cellule, en effet, n’est séparée     compacte, parmi laquelle on remarque quelques
de cette rue que par une cour très étroite que protège un     femmes, se tient silencieuse, maintenue à distance par
mur de trois mètres de hauteur ; il déclare que ce bruit      un cordon de la compagnie de disciplinaires.
anormal ne lui disait « rien de bon ». Il venait à peine
de s’endormir lorsqu’on l’a réveillé.                         L     e condamné descend de voiture et, d’un pas ferme
                                                                    s’achemine vers la guillotine dont la vue ne

I  l était à peine trois heures et demie, lorsque MM
   Caperon, procureur de la République, Siegfriedt,
greffier, le R.P. Cadoret, désigné comme aumônier par
                                                              parvient pas à amollir son courage. Reconnaissant
                                                              Legent, il lui reproche le redoutable service qu’on
                                                              attend de lui, puis il passe sur la plate-forme d’un pied
le préfet apostolique et Sigrist, concierge de la prison,     de hauteur et s’adressant à la foule, d’une voix forte, il
pénétrèrent dans la cellule du condamné. Très                 dit : « Que mon exemple serve de leçon, j’ai tué, on va
doucement, le procureur le touche à l’épaule. Néel            maintenant me tuer, ne faites pas comme moi ». Alors,
ouvre les yeux et se dresse sur son séant. A la nouvelle      il embrasse le crucifix que l’aumônier lui présente et
qu’il n’a plus de grâce à attendre que la miséricorde         lui demande de vouloir bien accompagner son cadavre
divine, il répond : « Oh la mort ne me fait pas peur »,       au cimetière, ne voulant pas dit-il « être enterré comme
et il ajoute « Il y a longtemps que je serais mort sans       un chien ». Pendant que le R.P. Cadoret s’agenouille au
M. et Mme Sigrist, ils ont été très bons pour moi. Je         pied de l’échafaud, les exécuteurs s’emparent de Néel
veux les remercier avant de mourir ». Alors, Sigrist, le      qui ne se débat pas. Ils mettent un temps infini à
gardien de la prison, fort émotionné lui dit : « Mon          l’attacher sur la fatale bascule avec les courroies dont
pauvre Néel, du courage ! » et tout en discourant             elle est munie. Enfin, le condamné est basculé sous le
gravement sur les motifs de sa condamnation, Néel             couperet, la lunette est rabattue. Mais alors se produit
s’habilla sans tâtonnements, sans que ses mains soient        un moment poignant, horrifiant, les exécuteurs perdent
agitées du plus léger tremblement, refusant l’aide du         la tête, jetant des regards affolés de tous côtés,
gendarme Danglas qui se tient à l’entrée de la cellule.       principalement sur le groupe des officiels qui se trouve
                                                              à quelques pas de la guillotine ; ils semblent solliciter
N      éel passe l’étroit couloir de la prison dans lequel
       se tiennent quelques fonctionnaires, le jeune
docteur Calmette, le lieutenant de marine Brumaud et
                                                              un conseil, un ordre de ce qu’il faut faire, ne
                                                              comprenant rien aux gestes désespérés du Procureur
                                                              qui leur fait signe de dérouler la corde qui retient le
deux correspondants de journaux anglais. Puis, il
                                                              couperet.
pénètre au greffe de la prison, où il doit subir les
funèbres apprêts de la dernière toilette des condamnés
à mort. C’est Sigrist, aidé d’un gendarme qui est chargé
de cette corvée. Il s’assied sur une chaise sans dossier,
                                                              P    endant ces quelques minutes interminables qui
                                                                   semblent des siècles, Néel crie à Legent : « Vas-y
                                                              donc, et surtout ne me manque pas ! » Il joue des
mais au lieu du ligotage ordinaire avec des liens, on lui     épaules et du cou pour tenter de soulever la lunette
passe une chemise de force, aux extrémités des                pendant que le maréchal des logis Pittolat l’implore de
manches de laquelle sont fixées des lacets. Seules les        se tenir tranquille et de baisser la tête. Néel obéit et, à
jambes sont attachées avec une légère corde. Pendant          ce moment, crache sa chique dans le seau destiné à
ces apprêts, Néel accepte d’abord un verre de vin, puis       recevoir sa tête. Enfin, l’exécuteur Legent a repris son
un bol de thé chaud qu’il déguste à petites gorgées.          sang-froid et lâche la corde. Le couperet, tout en
Avec un sang-froid qui confond tous les assistants, et        bringuebalant dans la rainure des montants, s’abat
une liberté d'esprit vraiment inouïe dans des                 lourdement. Justice est faite. Mais comme on l’avait
circonstances pareilles, il passe en revue tous les           prévu, la tête décapitée reste suspendue sur le bord du
événements de sa vie de marin. Entre autres réflexions,       récipient. Legent reprend son couteau et vivement
il fait celle-ci : « Qui aurait cru que la terre m’aurait,    tranche l’adhérence.
moi qui aurais dû périr cent fois en mer ! »

P   uis, laissé seul avec l’aumônier, Néel reçoit les
    secours de la religion. Au moment de monter avec
                                                              A      lieu d’être placé dans un endroit discret, le
                                                                    cercueil destiné à recevoir les restes du supplicié
                                                              avait été au contraire disposé devant la guillotine, de
le R.P. Caporet dans le cabriolet fermé qui doit le           sorte que le malheureux Néel put le contempler durant
conduire au lieu du supplice, Néel, enragé chiqueur de        sa terrible agonie. Après cette dramatique exécution, la
tabac, demande au gardien de la prison de lui passer          foule       s’écoula     silencieusement,       fortement
une chique, la dernière, dit-il. Sigrist, qui en conservait   impressionnée par ces incidents macabres. Le
pour la consommation de son prisonnier, lui en met une        procureur de la République, Maurice Caperon, se
dans la bouche.                                               trouvait sous le coup d’une véritable émotion, il se mit
                                                              à pleurer à chaudes larmes et confia à celui qui écrit ces
E    nfin, à quatre heures trente, le véhicule s’ébranle
     escorté par deux brigades de gendarmes à pieds
                                                              lignes que jamais plus, il ne requerra la peine de mort.

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REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE                                                                 GÉNÉALOGIE & HISTOIRE

L    e docteur Calmette, lui-même, qui avait demandé
     le transport à l’hôpital du cadavre, pour études
anatomiques, renonce à son projet. Néel est donc
                                                                terminée, Legent se voyait contraint de rentrer en
                                                                France. Il fut rapatrié gratuitement avec sa famille et
                                                                son demi-frère Banneck sur le transport de guerre, Le
conduit directement à sa dernière demeure, suivi du             Drac, le 17 septembre. Faisant toutefois preuve d’une
R.P. Cadoret. Le même jour, dans la matinée, M.                 certaine honnêteté, il voulut avant de quitter la colonie,
Venot, magistrat qui avait prononcé la peine de mort            régler ses dettes avec les cinq cent francs reçus pour la
contre Néel, fit remettre au préfet apostolique, par            fonction qu’il avait remplie. Mais aucun de ses
l’auteur de ce récit, un somme d’argent pour la                 créanciers ne consentit à recevoir en paiement « le prix
célébration de plusieurs messes basses à l’intention de         du sang » ; ils acquittèrent purement et simplement les
l’âme du condamné.                                              comptes que leur débiteur leur présenta.

L’     exécution de Néel eut un épilogue singulier et
       assez suggestif, nous le rappelons sans
commentaires. L’opinion publique réprouva à un tel
                                                                La place de l’Amiral-Courbet devint la place Néel.
                                                                C’est ainsi que l’on fait passer un criminel à la
                                                                postérité !
point la charge que Legent avait acceptée que cet
                                                                                        Saint-Pierre, le 19 février 1930
individu, cependant marié et père de deux enfants en
                                                                           Emile Sasco, greffier en chef des Tribunaux.
bas âge, sollicita en vain du travail, personne ne voulut
l’employer. La campagne de pêche étant à peu près

                                           Compléments généalogiques

    François Coupard, la victime, est né le 4 novembre 1827 à Bacilly (50), assassiné dans la nuit du 30 au 31
    décembre 1888 à St-Pierre. Il était célibataire.
    Joseph-Auguste Néel, l’assassin, est né le 28 mai 1860 à St-Pierre, guillotiné le 24 août 1889. Il était le fils
    d’Auguste Néel né le 14/06/1833 à Carolles (50), décédé à St-Pierre en 1886, marié en 1860 à St-Pierre avec
    Jeanne-Joséphine Bagot née le 15 avril 1833 à Bacilly. Celle-ci avait eu comme premier époux en 1854 à St-
    Pierre, Joseph-Auguste Coupard né le 2 novembre 1830 à St-Pierre, et décédé au même endroit en 1858.
    Et si l’évocation du nom de Coupard avait provoqué chez Néel une folie meurtrière, ce n’est qu’une note
    personnelle pour terminer, mais personne ne semble avoir pensé à faire des rapprochements familiaux…

                                     Mes ancêtres protestants
                                       du Chefresne (50)
                                                  par Christel Bellec
                                             et communiqué par l’APGN

    Cette étude a déjà paru dans le n° 4 de MatraGenea (mars 2001), section généalogique du Comité d’entreprise
    de Matra Bae Dynamics. Son indéniable intérêt régional nous a incité à le reprendre.

T     out commença lorsque en travaillant sur la
      généalogie de mon arrière-grand-mère maternelle,
                                                                mariés ensemble. Il restait tout de même une zone
                                                                d'ombre : leur acte de mariage émanait de l'Eglise
                                                                catholique.
je trouvais l'acte de baptême de Rosalie Modeste
Villain. Elle est fille de Marie Jeanne Villain et de Jean
Louis Villain. S'agissait-il d'une erreur de l'état civil
lors de la retranscription du patronyme de la mère, ou
                                                                J'   eus enfin la preuve que je possédais des ancêtres
                                                                     protestants lorsque aux Archives Départementales
                                                                de la Manche, je trouvais les actes de baptême de
cela cachait-il autre chose ? Puis quelque temps après,         Marie Jeanne Villain, dont les parents appartenaient à
la mairie du Chefresne m'a adressé un petit mémento             la « prétendue religion réformée » ainsi que ceux de
sur la commune qui spécifiait qu'elle avait été un des          ses frères et sœurs issus du « prétendu mariage » de
foyers du protestantisme en Normandie. De plus, il              Daniel et Marie Madeleine Villain. Quelque temps
était cité quelques noms de familles protestantes, dont         après, en remontant la branche de mon arrière-grand-
celui des Villain. Je tenais donc une piste : cela pouvait      père maternel, je retrouvais d'autres ancêtres Villain du
expliquer pourquoi mes deux ancêtres Villain s'étaient          Chefresne. Outre la similitude du patronyme, j'étais en

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REVUE GÉNÉALOGIQUE NORMANDE                                                            GÉNÉALOGIE & HISTOIRE

présence de mon premier implexe : les deux ancêtres        propagande protestante et elles ne préparaient en aucun
communs étant Thomas Villain et Elisabeth                  cas les réponses aux questions des luthériens.
Lemonnier. Puis les implexes se multiplièrent. Je me
suis donc bien vite retrouvée face à une généalogie             Fondation de l'Eglise du Chefresne
buissonnante.

L    es Villain sont une très ancienne famille du
     Chefresne. Son lieu d'origine semble être le
village et le hameau du Neufbourg.
                                                           L'     Eglise du Chefresne fut fondée en 1553. Comme
                                                                  beaucoup d'églises rurales de Normandie, elle dut
                                                           son existence à une protection seigneuriale. En
                                                           particulier, on rencontre à de nombreuses reprises le
A     partir de ce moment je poursuivis mes recherches
     généalogiques que je menais conjointement avec
des recherches historiques sur le protestantisme en
                                                           nom de la famille de Sainte Marie comme bienfaiteur
                                                           de l'Eglise du Chefresne. En 1585 on dénombre dans ce
                                                           village 69 réformés. Le premier temple connu ne fut
Basse-Normandie. Malheureusement, la plupart des           bâti qu'en 1613 au Chêne-Guérin, point de contact de
sources concernant la généalogie des familles              quatre paroisses : Montabot, Le Chefresne, Margueray
protestantes du Chefresne ont été détruites à Saint-Lô     et Gouvets. Aujourd'hui, il ne reste plus trace de
pendant la deuxième guerre mondiale. Par contre, j'ai      l'édifice, détruit en 1679 et dont les pierres servirent à
pu travailler sur des articles et des monographies qui     construire le clocher de l'église catholique. Le
datent de la première moitié du XXe siècle et dont les     protestantisme dans cette région de la Manche présente
auteurs ont eu la chance d'avoir en mains ces sources      donc un caractère rural, disséminé et seigneurial.
aujourd'hui disparues.

             Les cadres de diffusion                       L    a famille Villain adhéra tout entière à la Réforme.
                                                                Il y a 20 Villain sur les 650 hommes de « l'opinion
                                                           nouvelle » recensés en 1588 dans la Vicomté de
                 de la Réforme
                                                           Coutances. On en compte 11 en 1632 et 1637 sur les
                                                           contrats de constitution de rentes au profit de leur
E    n Basse-Normandie, la Réforme connut un centre
     de diffusion assez important qui se situe dans le
Val de Vire autour de Carentan et de Saint-Lô. Le
                                                           Eglise, et ce sont tous des chefs de famille. Ainsi Pierre
                                                           Villain le Neufbourg fit partie pendant plusieurs années
                                                           du Conseil des Anciens. Au XVIe et XVIIe siècle les
Chefresne est une petite commune du bocage                 Villain semblent avoir été une famille de paysans aisés,
cotentinois composée de nombreuses fermes isolées et       puis au fil des persécutions, leur biens furent
de hameaux éparpillés. Au XVe siècle, ce petit pays de     amoindris.
la Basse-Normandie présentait le visage d'une contrée
sauvage, difficile d'accès. Ainsi, l'un des premiers
pasteurs clandestins, Godefroy, écrivait en 1755 qu'il     L'     édit de Nemours (1585) et l'Édit de l'Union
                                                                  (1588) fermèrent tous les temples, interdirent le
                                                           culte réformé, bannirent les ministres et provoquèrent
n'y allait qu'en « tremblant, l'endroit n'étant pas
praticable ». C'est en ces lieux que naquit, se            la fuite de nombreux protestants. Dans la vicomté de
développa, mourut, et malgré tout résista pendant plus     Coutances, suite à ces deux édits, il y eu un
de deux siècles l'Eglise protestante du Chefresne,         recensement de la communauté protestante au
fondée au milieu du XVIe siècle. Si l'on est peu           Chefresne, où elle fut évaluée à 76 adultes. Malgré les
renseigné sur ses débuts, cette Eglise semble bien avoir   persécutions, les départs furent peu nombreux car
été celle qui eut l'existence la plus durable dans la      l'ensemble de la communauté était composée de
région.                                                    cultivateurs qui étaient attachés à leur terre. Quelques-
                                                           uns de mes ancêtres allèrent même jusqu'à résister.
P    our comprendre le lancement de la Réforme,
     replaçons-nous dans le contexte religieux de la fin
du XVe siècle. L'Eglise catholique se soucie alors des
                                                           Ainsi en 1588 Nicolas de Pierre, écuyer de Cérences,
                                                           est déclaré « porter les armes contre les volontés du
                                                           roy ». De même, on peut faire mention des femmes,
superstitions populaires qui ont proliféré pendant la      dont Rachel de Pierre, mon ancêtre qui avec d'autres,
période de la guerre de Cent Ans. Dans le même temps,      ne se sont réduites et ne vont à la messe. On prend
la hiérarchie catholique doit rappeler au clergé des       conscience de l'importance de ces réactions si on les
notions élémentaires comme le célibat, la gratuité des     replace dans le contexte de la terreur imposée par la
sacrements, l'abstention des compromissions dans les       Ligue, seize ans après la Saint-Barthélémy.
affaires temporelles, dans les modes ou dans les fêtes
des laïcs. Elle met aussi l'accent sur la formation des
prêtres. L'Eglise se préoccupe trop d'obtenir un           J  'ai trouvé dans mon ascendance trois générations de
                                                              pasteurs de 1561 à 1682, ces dates extrêmes
                                                           couvrant toute la période du XVIe et du XVIIe siècle au
minimum de respect et d'obéissance de la part des laïcs.
Elle abuse ainsi du recours à l'excommunication, ce qui    cours de laquelle les pasteurs ont pu exercer en
exclut durablement une partie des chrétiens de la vie      France :
paroissiale. Ceci aboutissait donc à aviver les            z Toussaint Le Bouvier, pasteur de Gavray de 1561 à
contestations de l'autorité cléricale et à encourager la   1585, réfugié à Jersey où il fut pasteur de 1585 à 1588
recherche d'une religion personnelle. Les réactions de     (date de son décès).
l'Eglise catholique furent bien tardives face à la

N° 80 - OCTOBRE / DÉCEMBRE 2001                                                                          page 425
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