Éric zemmour Le perturbateur - Riposte Laique

La page est créée Clément Lebreton
 
CONTINUER À LIRE
Le Figaro Magazine - vendredi 10 septembre 2021

EN COUVERTURE

Éric zemmour Le perturbateur
À huit mois de l’élection présidentielle, la sortie du nouveau livre d’Éric
Zemmour est l’événement de la rentrée ! Pas un entretien sans que la
question de son éventuelle candidature soit posée aux hommes et
femmes politiques, pas une conversation dans les dîners en ville sans
que le sujet soit abordé par les convives. « La France n’a pas dit son
dernier mot » va totalement perturber les schémas de campagne prévus
par les candidats. En appelant à une « renaissance » et une
« reconquête française », l’essayiste admet qu’il ne peut plus se
contenter de décrire ce qu’il voit, mais qu’il lui faut agir pour « sauver »
le pays. Extraits en exclusivité pour « Le Figaro Magazine ».
CARL MEEUS

PAR CARL MEEUS PHOTOS : ERIC GARAULT POUR LE FIGARO MAGAZINE

Un parfum de revanche flotte dans l’air. Éric Zemmour a du mal à cacher sa joie. Quelques
jours avant la sortie de son nouveau livre (La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré),
l’éditorialiste croule sous les demandes. Tous les médias le veulent. Même ceux qui, notamment
dans le service public, ne l’appelaient plus, semblent prêts à accepter ses conditions pour lui
ouvrir leur antenne. Observateur attentif du paysage politique et médiatique, il n’a pas échappé
à l’essayiste que BFMTV comme LCI multipliaient depuis quelques semaines les émissions et
les reportages sur lui. Garanties d’une bonne audience. « J’ai connu des années de boycott !
Là, c’est de la folie », se félicite celui qui s’est installé au cœur de la rentrée, à huit mois de
l’élection présidentielle.

Médiatiquement, Éric Zemmour est sans doute aujourd’hui le seul éditorialiste à se payer le luxe
d’enchaîner des émissions qui, habituellement, exigent la primeur des interventions. Après
France Télévisions samedi, chez Ruquier, il enchaînera avec Pascal Praud (CNews) puis RTL
(Alba Ventura) et RMC-BFMTV (Jean-Jacques Bourdin). Et encore, ce n’est que la première
semaine de sortie de son livre. En parallèle, l’auteur va multiplier les week-ends, les rencontres
avec ses lecteurs en province (il commencera par Nice et Toulon, avant Nantes), mais aussi à
l’étranger (un déplacement à Budapest est programmé).

Politiquement, Éric Zemmour est aussi aujourd’hui le seul éditorialiste à concentrer tous les
regards. Va-t-il se présenter à la présidentielle ? Ne fait-il pas tout ça uniquement pour vendre
davantage de livres ? Dans toutes les conversations, son nom revient. Provoquant l’incrédulité,
le scepticisme, la moquerie mais aussi, chez certains, l’admiration, voire l’espoir. Il est sidéré de
voir des politiques comme Jordan Bardella, le vice-président du Rassemblement national,
reprendre à son compte certaines de ses thèses sur « le grand remplacement ». Il se félicite
d’entendre Éric Ciotti affirmer sur RTL que, dans un second tour à la présidentielle, il voterait
sans hésiter pour Éric Zemmour plutôt que pour Emmanuel Macron, sans même se poser la
question de sa présence à ce stade du scrutin quand les sondages le créditent, pour l’instant,
de 7 % des intentions de vote. Il a écouté avec attention les discours des candidats à la primaire
des Républicains qui, eux aussi, ont tendance à se rapprocher de ses idées.

Il raconte sa conversation avec Macron
Mais est-il content de voir ses idées triompher de ce côté de l’échiquier politique ? « C’est une
victoire qui me confirme que j’avais perdu, réplique l’écrivain. Ça me conforte dans l’idée que la
bataille gramsciste ne suffit pas. » Après l’énorme succès éditorial de son ouvrage Le Suicide
français, « j’étais convaincu d’avoir gagné à moi tout seul la bataille des idées. J’avais
seulement oublié que je n’avais pas gagné la guerre. J’avais oublié que le propre de l’idéologie
est de se radicaliser au rythme où le réel la désavoue », écrit Éric Zemmour en introduction de
son dernier livre. « Je me réjouissais d’une consécration sur le front médiatique, voire
intellectuel, et je ne m’apercevais pas que mes troupes avaient été enfoncées. J’étais devenu
ce “polémiste d’extrême droite multicondamné” dont on ne veut plus prononcer le nom. »

La solution lui a été soufflée par son fils : « Le diagnostic, tu l’as fait depuis longtemps.
Maintenant, il faut agir. » La première étape est donc la publication de ce livre qui emprunte aux
Choses vues de Victor Hugo. « Longtemps mon livre s’est appelé Choses tues, reconnaît
l’auteur. J’ai voulu imiter Victor Hugo, car je suis devenu un acteur de cette histoire. » C’est
aussi une façon pour lui de tourner la page de ses années de journalisme, quitte à brûler ses
vaisseaux. À plusieurs reprises, il relate ses conversations avec Marine Le Pen ou Xavier ‐
Bertrand, qui ne lui pardonneront sans doute pas cette trahison du « off ». Xavier Bertrand : « Je
sais bien que je n’ai pas le niveau. Mais plus personne ne l’a aujourd’hui. La présidentielle, ce
n’est pas un examen, c’est un concours. C’est le niveau des autres qui compte. » Marine
Le Pen sur la présidentielle : « Éric, tu vas faire 3 % et tu ne vas pas m’empêcher d’être au
second tour. Mais tu m’empêcheras d’arriver en tête. »

Éric Zemmour raconte aussi pour la première fois sa conversation avec Emmanuel Macron.
Après son agression verbale filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, le président de la
République l’a appelé. Pendant plus de quarante-cinq minutes les deux hommes vont échanger
sur les « racailles », la République, les banlieues et l’islam. « Je lui dis qu’il y a toujours des
individus bons ou méchants, peu importe, mais je crois aux inconscients collectifs qui nous ‐
dirigent, et l’inconscient collectif de ces populations musulmanes est de coloniser l’ancien
colonisateur, de dominer l’infidèle au nom d’Allah. » À ces mots, selon l’auteur, Emmanuel
Macron lui aurait concédé avoir « raison sur ce point », mais que « s’il parle comme moi, on va
à la guerre civile ; je lui dis qu’on va de toute façon à la guerre civile si on continue la politique
qu’il suit ». Le plus savoureux de cet échange reste le moment où Éric Zemmour lui parle de
son projet : « Je lui dis : j’ai un plan si vous voulez, il y a de nombreuses mesures à prendre. » Il
me coupe : « Ça m’intéresse. » Et à la fin de la conversation, le chef de l’État le relance : « Au
fait, votre plan, faites-moi une note. » Je fais mine de ne pas comprendre : « Quel plan ? » Il
enchaîne, amusé de m’avoir bousculé : « Mais voyons, votre plan sur l’immigration, mon
secrétariat vous contactera. »

Bien sûr, Éric Zemmour n’en fera rien. Il ne veut pas brûler ses cartouches trop vite. Les garde-
t-il pour une candidature à l’élection présidentielle ? Éric Zemmour se refuse à l’évoquer. Trop
tôt. Trop d’incertitudes encore aujourd’hui. Ne vaut-il mieux pas attendre l’automne quand les
Républicains choisiront leur candidat ? Rien ne sert de se presser et de céder à la pression
médiatique. Pour autant, l’organisation se met en place. Des maires reçoivent des demandes de
parrainages pour valider sa candidature ; des experts rédigent des notes ; des financiers sont
sollicités, quand ce ne sont pas eux qui prennent les devants. De ce point de vue, ceux qui
travaillent avec lui racontent leur sidération de voir des expatriés, qui avaient soutenu
Emmanuel Macron en 2017, chercher à le joindre pour lui proposer de l’aider financièrement s’il
se lance.

Coluche ou Chevènement ?
En observateur attentif de la vie politique depuis de nombreuses années, Éric Zemmour a
constaté que le mois de novembre était celui des grandes candidatures. François Mitterrand en
1980, Jacques Chirac en 1994, notamment. Ces comparaisons feront sourire ceux qui se
moquent de sa possible ambition présidentielle. Il a connu tellement pire, qu’il s’en moque. Il est
prêt. Sa femme et ses enfants sont à la fois inquiets et admiratifs, mais il assure qu’ils partagent
son combat. Il attend son heure pour lancer l’offensive. Il connaît les fragilités des Républicains
et celles de Marine Le Pen. Les sondages montrent d’ailleurs qu’il grignote des deux côtés. Et
des deux côtés, on le renvoie à la candidature Coluche de 1980, qui n’est pas allé jusqu’au
bout. Le plan de Zemmour est simple : il affaiblira d’abord les premiers, cibles plus faciles,
tellement, selon lui, leurs responsables sont décriés pour avoir échoué à prendre des mesures
fortes attendues par leur électorat, notamment sur l’immigration. Il connaît tous les dirigeants
des LR. À l’un d’eux, il a expliqué qu’il devrait faire comme Chirac en 1974, quand, avec 43
gaullistes, il soutint Valéry Giscard d’Estaing à la présidentielle avant de devenir son premier
ministre. S’il arrive à le convaincre et à embarquer nombre d’élus LR, il n’aura plus ensuite qu’à
se retourner vers les électeurs de Marine Le Pen pour leur dire : « Rejoignez-moi, avec vous,
nous pouvons gagner. »

Sur le papier, la stratégie se tient. Mais dans la réalité ? D’autres avant lui ont tenté de
bousculer le système et de prendre des électeurs à des prétendants mieux installés. Jean-
Pierre Chevènement en 2002 s’y est essayé. Il était « le troisième homme » de la
précampagne, montant régulièrement dans les sondages, pour faire « turbuler le système »
comme disait alors l’ancien ministre de l’Intérieur. Il a terminé l’aventure à 5,3 % des voix,
contribuant, avec Christiane Taubira, à faire perdre Lionel Jospin dès le premier tour de la
présidentielle. En 2017, Emmanuel Macron a eu plus de chance. Beaucoup de chance, même,
puisqu’il a bénéficié du retrait de François Hollande, du choix de François Fillon à la place
d’Alain Juppé par les sympathisants de droite, puis des affaires qui ont plombé la campagne de
l’ancien premier ministre, de la désignation de Benoît Hamon à la place de Manuel Valls par les
socialistes. Un faisceau d’événements qui lui ont permis de se hisser au second tour face à
Marine Le Pen.

“Je suis un acteur de cette histoire”
Éric Zemmour peut-il réussir ce pari ? S’il assure vouloir rassembler les Français autour de ce
qu’il appelle « les 5 I : identité, immigration, indépendance, instruction, industrie », c’est bien
autour de l’immigration que tourne l’essentiel de son propos. « Notre peuple, par référendum,
doit décider de sa composition et de son avenir, écrit l’éditorialiste. Il doit pouvoir décider de la
fin du regroupement familial, de la suppression du droit du sol, de l’encadrement strict du droit
d’asile, sans qu’une oligarchie de juges français et européens l’en empêche. » Face à la
« guerre de civilisations menée sur notre sol », Éric Zemmour ne s’embarrasse pas de pudeurs
de gazelles et veut « tout faire pour éloigner ces envahisseurs prédateurs loin de nous :
expulsion systématique des étrangers pénalement condamnés (25 % des détenus) ; déchéance
de nationalité française pour les individus binationaux condamnés pour un crime ou pour une
succession de délits, reprise en main par l’État des “zones de non-droit” ».

Avec ce début de programme, Éric Zemmour sait qu’il va choquer et provoquer un raz-de-marée
d’indignations contre lui. Certains de ceux qui le soutenaient se détourneront de lui, du moins
tant que les sondages ne le placeront pas en bonne position. Il le sait, l’enjeu des semaines à
venir est de saturer l’espace médiatique pour provoquer une ascension dans les sondages. À
ceux qui se demandent « que diable est-il allé faire dans cette galère ? », Éric Zemmour ‐
explique qu’au fond il n’avait pas le choix, maintenant qu’il est devenu « un acteur de cette
histoire ». Et qu’il a fait comme Emmanuel Macron en 2016 : il a pris son risque. Quitte à en
payer très cher le prix. Mais comme le disait Nicolas Sarkozy : « Ce qui fait la crédibilité d’une
ambition, c’est le prix personnel qu’on est prêt à payer. » ■ CARL MEEUS

Le Figaro Magazine - vendredi 10 septembre 2021
Vous pouvez aussi lire