ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique

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ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
ROMÉO
ET JULIETTE
ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
ROMÉO
ET JULIETTE
   CHARLES GOUNOD

  13, 15, 17, 19 ET 21 DÉCEMBRE 2021

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ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
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                   AVEC LE SOUTIEN DE

                   Madame Aline Foriel-Destezet,
                        Mécène principale
                       de l’Opéra Comique

                    PARTENARIAT MÉDIA

              Spectacle capté les 15 et 17 décembre 2021

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ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
ROMÉO ET JULIETTE
                                                                                             Opéra en cinq actes de Charles Gounod
                                                          Livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après la tragédie de Shakespeare
                                                                                       Créé le 27 avril 1867 au Théâtre-Lyrique, à Paris

                                             Direction musicale - Laurent Campellone                     Roméo - Jean-François Borras
                                                    Mise en scène et décors - Éric Ruf,                            Juliette - Julie Fuchs
                                                Sociétaire honoraire de la Comédie-Française            Frère Laurent - Patrick Bolleire
Production Opéra Comique
                                                         Costumes - Christian Lacroix                        Stéphano - Adèle Charvet
Coproduction Opéra de Rouen Normandie,
Opéra national de Washington,
                                                         Lumières - Bertrand Couderc                 Mercutio - Philippe-Nicolas Martin
Théâtre de la Ville de Berne,                          Chorégraphie - Glysleïn Lefever               Comte Capulet - Jérôme Boutillier
Fondation Théâtre Petruzzelli de Bari                        Collaboration artistique -                   Gertrude - Marie Lenormand
Le décor a été initialement réalisé dans                       Léonidas Strapatsakis                                     Tybalt - Yu Shao
les ateliers de la Comédie-Française pour                                                                     Benvolio - Thomas Ricart
le spectacle Roméo et Juliette de William        Assistant musical - Mathieu Charrière                          Pâris - Arnaud Richard*
Shakespeare mis en scène par Éric Ruf.                   Assistante à la mise en scène -                    Grégorio - Yoann Dubruque
                                                                         Céline Gaudier              Duc de Vérone - Geoffroy Buffière
Durée estimée : 3h, entracte inclus             Assistante décors - Dominique Schmitt                     Frère Jean - Julien Clément*
                                             Assistants costumes - Jennifer Morangier,
                                                                                               Danseurs - Camille Brulais, Laurent Côme,
                                                                    Jean-Philippe Pons
                                                                                                     Rafael Linares Torres, Sabine Petit
                                                   Assistant lumières - Sébastien Böhm
                                                                                                                    Chœur - accentus/
   Introduction au spectacle et Chantez                Chef de chant - Thomas Palmer                        Opéra de Rouen Normandie
   Roméo et Juliette dans les espaces                       Seconde cheffe de chant -
   du théâtre, 45 minutes avant chaque
   représentation                                            Marine Thoreau La Salle           Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
                                                                                                                       *Membres d’accentus

                                                                                                                                             3
ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
À LIRE AVANT LE SPECTACLE
    Par Agnès Terrier

    L’Italie des cités médiévales, des palais   Cependant, quoique populaire et           le pas à Paris, à l’Opéra-Comique
    peints à fresque, des tours crénelées       romantique à souhait, l’histoire          et au Théâtre Feydeau, en pleine
    et des balcons de marbre… Quelle            des amoureux Juliette et Roméo            tourmente révolutionnaire. L’heure
    promesse pour un théâtre au XIXe            pose quelques difficultés à               était alors à la célébration du contrat
    siècle, quand le caractère pittoresque      l’opéra. Elle requiert, pour rendre       matrimonial, présenté comme socle
    des décors de scène comptait autant         la représentation crédible, deux          et ciment pacificateur de la société
    que l’éloquence des interprètes !           interprètes aussi jeunes que beaux.       républicaine.
                                                Berlioz estime aussi que, dans un
    Lorsque cette perspective décorative        répertoire depuis toujours dévolu aux     Comment renouer ensuite avec les
    se combinait à l’esprit de Shakespeare,     passions du cœur et foisonnant de         amours « lamentables » de Roméo et
    un directeur de salle se frottait les       déclarations et de duos, « la sublimité   Juliette ? Et comment traiter l’origine
    mains. Car comme l’avait décrété            de cet amour en rend la peinture          même du tragique, l’autorité paternelle
    Victor Hugo en 1827, dans la préface        dangereuse pour le musicien ». D’où       des seigneurs Capulet et Montaigu, en
    de Cromwell, Shakespeare « c’est            sa propre transposition de la pièce       un XIXe siècle où le Code civil renforce
    la sommité poétique des temps               en symphonie dramatique (1839),           l’autorité patriarcale ?
    modernes, c’est le drame qui peint          avec chœurs et solistes mais sans
    la vie, qui fond sous un même               les voix des personnages éponymes…        Heureusement, si les personnages sont
    souffle le grotesque et le sublime,                                                   italiens, c’est aussi d’Italie qu’arrivent,
    le terrible et le bouffon, la tragédie      Au XVIIIe siècle, les amants de Vérone    dans cette capitale cosmopolite qu’est
    et la comédie. »                            sont bien devenus des personnages         le Paris romantique, des opéras
                                                lyriques mais… dans des comédies se       tragiques signés Zingarelli (1812),
    Au XIXe siècle, plus de deux cents ans      concluant par leur mariage ! Benda        Vaccai (1827), Bellini (1833), tandis
    après sa mort, Shakespeare fournit          a ouvert le bal en Allemagne en           qu’une troupe anglaise vient y révéler
    donc l’inspiration, sinon le sujet, de      1776, avec un singspiel créé à Gotha.     les sombres couleurs dramatiques
    nombreuses pièces et opéras.                Dalayrac et Steibelt lui ont emboité      du théâtre shakespearien.

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ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
« L’amour ne peut pas donner une idée de la musique,
                                            la musique peut en donner une de l’amour...
                       Pourquoi séparer l’un de l’autre ? Ce sont les deux ailes de l’âme. »

                                                                                                              Hector Berlioz

Épris du sujet depuis son séjour       Le dernier, au dénouement, respecte               Gounod compose d ’une traite,
de jeunesse à la Villa Médicis –       la longue tradition britannique, et               au printemps 1865, ce qui doit
récompense du Grand Prix               non l’original shakespearien que                  d’abord être un opéra-comique
de Rome –, Charles Gounod décide       révèlera bientôt la belle et fidèle               puis qui devient un opéra, sans
de s’y consacrer vingt-cinq ans plus   traduction de François-Victor Hugo,               qu’on connaisse les raisons de ce
tard, en pleine maturité, porté        le fils du poète.                                 revirement. Orchestrer prend plus
par les succès de Faust (1859) et                                                        de temps en raison d’une grave
de Mireille (1864). Lui qui a mis      Le T h é â t r e - Ly r i q u e , s c è n e d e   crise dépressive, qui amène Gounod
en musique Goethe, Mistral et          création concurrente de l’Opéra-                  à se convaincre que Roméo sera
Molière ne s’effraie d’aucun auteur    C o m i q u e e t d e l ’O p é r a s o u s        son dernier opéra. Pourtant, il est
majeur, et il entend bien relever      le Second Empire, a produit                       élu à l’Académie des Beaux-Arts
le défi lancé par l’ami Berlioz. Les   les succès de Gounod et lui                       et, dans la foulée, l’œuvre entre
couleurs italiennes, la peinture       est acquis. Son directeur Léon                    en répétitions en août 1866. Sous
amoureuse et l’expression sincère      Carvalho, génial metteur en                       la direction du maestro Deloffre,
l’enthousiasment. Enfin et surtout,    scène, a initié le compositeur aux                Caroline et Michot entourent
il a des collaborateurs idéaux.        ficelles du théâtre. Formations                   Cazaux, naguère créateur de
                                       musicales, peintres décorateurs                   Méphistophélès, désormais
Ses librettistes, les habiles Jules    et artistes sont de premier ordre,                converti en Frère Laurent. Gounod
Barbier et Michel Carré, lui           à commencer par l’épouse de                       a fait imprimer sa partition, ce qui
offrent un livret assez affranchi      Léon, Caroline Miolan-Carvalho,                   laisse à Carvalho toute liberté
de l’original pour comporter un        brillante créatrice de Marguerite et              de la couper, ce qu’il ne manque
personnage de page, confié à une       de Mireille, et le ténor Michot. Car              jamais de faire. Sans doute est-ce
mezzo en travesti, un grand bal,       contrairement aux opéras italiens,                nécessaire car la première du 27
deux scènes de mariage et… un          le Roméo français ne peut être                    avril 1867 dure presque 4h45, dont
record de quatre duos d’amour.         chanté que par un homme.                          1h15 de changements de décors…

                                                                                                                                5
ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
Le contexte de création est               C’est en effet la première fois que              Avec Julie Fuchs et Jean-François
    absolument idéal : l’Exposition           la salle Favart joue un titre qui                Borras, nous reprenons Roméo et
    universelle a ouvert le 1 er avril sur    n’est plus un opéra-comique, ceci                Juliette à sa 426 e représentation.
    le Champ-de-Mars, attirant à Paris        à double titre : il est dépourvu
    le monde des arts, des sciences           de dialogues parlés et il s'achève               L’originalité de notre projet, confié à
    et des techniques. Le Théâtre-            tragiquement. Prenant lui-même                   la baguette de Laurent Campellone,
    Lyrique se place à la hauteur de ses      la tête de l’Opéra-Comique en                    est de confronter l’opéra au drame
    concurrents, en particulier l’Opéra,      1876, Carvalho porte le nombre                   de Shakespeare, pour injecter dans
    qui affiche Don Carlos de Verdi           de représentations à 391, jusqu’au               celui-là l’urgence, la fulgurance,
    depuis le 11 mars, et les Variétés,       coup d’arrêt du terrible incendie qui            l’âpreté et la violence de celui-ci.
    qui ont lancé La Grande Duchesse          ravage le théâtre en 1887.                       D’où l’idée d’inviter Éric Ruf à
    de Gerolstein d’Offenbach le 12 avril.                                                     reprendre ses magistrales mise en
    Le 27, Roméo remporte un immense          L’année suivante, l’Opéra Garnier                scène et scénographie de 2015, qui
    succès, au retentissement aussitôt        récupère solennellement l’œuvre.                 ont remis la pièce au répertoire de la
    international. Il est joué dans l’année   À chaque fois, elle a fait l’objet               Comédie-Française, dans une vision
    même à Bruxelles (en français), à         d’adaptations – supervisées par Bizet            jeune et actualisée, débarrassée de
    Dresde et Vienne (en allemand),           en 1873 – et à chaque fois Gounod                sa lourde tradition décorative.
    à Londres, Milan et New York (en          a publié une nouvelle version, sans
    italien). Roméo s’impose et restera       trancher en faveur d’une seule.                  Retour à Shakespeare, avec de
    comme le titre le plus populaire          Si bien que c’est à partir de celle              grands interprètes lyriques, pour
    de Gounod.                                de 1888 que chaque chef élabore                  une double utopie : en explorant
                                              aujourd’hui sa version, en fonction              les voies de mutualisation possibles
    En 1868, la ruine de Carvalho arrête      des impératifs de production et de               de nos productions, faire dialoguer
    l’exploitation du spectacle après         ses options dramaturgiques.                      les œuvres.
    102 représentations. Une reprise
    à l’Opéra échoue. Mais l’Opéra-           Hormis deux soirées de gala
    Comique des années 1870 récupère          d a n s l ’e n t r e - d e u x g u e r r e s ,
    les chefs-d’œuvre du Théâtre-Lyrique      l’Opéra-Comique a repris l’œuvre en
    disparu, en particulier ceux de           1959-1960 (pour 26 représentations),
    Gounod, tout en engageant Miolan-         avec Janine Micheau et Marcel
    Carvalho (d’où la présence de son         Huylbrock dirigés par Jésus Etcheverry,
    profil en médaillon dans le foyer         et en 1994 (pour 8 représentations),
    de notre théâtre). Roméo y reparait       avec Nuccia Focile et Roberto
    en 1873, avec un éclat particulier.       Alagna dirigés par Michel Plasson.

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ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
ARGUMENT

ACTE I                                       ACTE III                                    le père de Juliette vient lui annoncer
                                                                                         qu’il va l’unir à Pâris selon l’ultime
Au bal masqué des Capulet, on                Frère Laurent reçoit dans sa cellule        souhait de Tybalt.
admire la fille de la maison, Juliette,      Roméo et Juliette, qui veulent s’unir
p ro m i s e au co mte P â r i s , m a i s   secrètement. Il accepte, voyant             Chargé par Capulet de préparer
désireuse de profiter d’abord de             dans leur mariage une promesse de           Juliette à ce mariage, Frère Laurent
sa jeunesse. Roméo Montaigu et               paix civile.                                lui propose un breuvage qui la fera
ses amis sont venus incognito car                                                        passer pour morte et qui lui permettra,
la vieille rivalité des deux familles        En ville, le valet de Roméo, Stéphano,      après sa mise au tombeau, de retrouver
met sans cesse Vérone au bord de             provoque les Capulet. Le ton monte,         Roméo pour s’enfuir avec lui.
la guerre civile.                            il reçoit l’appui de Mercutio et de
                                             Benvolio, tandis que Tybalt rassemble       Elle boit, et s'effondre peu après,
Roméo et Juliette tombent amoureux           le clan Capulet. Roméo tente de les         juste devant l’autel nuptial.
dès leur rencontre fortuite. Après           séparer mais Tybalt l’insulte. Roméo
coup, chacun identifie l’autre avec          refusant le combat, Mercutio veut le        ACTE V
effroi… Le cousin de Juliette, Tybalt,       venger et affronte Tybalt qui le tue.
jure qu’il tuera Roméo. Juliette se          Acculé, Roméo tue Tybalt.                   Roméo n’a pas reçu le message de Frère
promet de mourir si son amour n’est                                                      Laurent car Stéphano a été agressé en
pas exaucé. La fête continue dans            Le duc de Vérone constate le double         chemin. Il est donc rentré à Vérone à la
une ambiance tendue.                         meurtre et exile Roméo.                     nouvelle de la mort de sa bien-aimée.

ACTE II                                      ACTE IV                                     Dans la crypte des Capulet, il s’em-
                                                                                         poisonne sur la dépouille de Juliette,
La nuit suivante, Roméo vient sous           Dans la chambre de Juliette, le jeune       juste avant son réveil. Passé le
le balcon de Juliette. Ils échangent         couple doit se séparer au matin. Elle lui   bonheur de se retrouver, ils réalisent
des serments passionnés, malgré la           pardonne le meurtre de Tybalt et ils        que la mort va les séparer. Elle se
surveillance de la nourrice Gertrude         échangent de nouveaux serments.             frappe de son poignard, et ils meurent
et des valets de Capulet.                    Après le départ de son époux secret,        ensemble.

                                                                                                                                    7
ROMÉO ET JULIETTE - Opéra Comique
INTENTIONS
    Par les maîtres d’œuvre du spectacle

    LAURENT CAMPELLONE, COMMENT ABORDEZ-VOUS
    LA PARTITION DE ROMÉO ET JULIETTE À L’OPÉRA-COMIQUE ?

          Laurent Campellone                         J’ai dirigé Roméo plusieurs fois :
          Œuvre mythique du répertoire,              à chaque reprise se pose la question
      Roméo et Juliette est aussi une œuvre          de ce que l’on va jouer exactement.
      ouverte. À chaque reprise du vivant            Maintient-on l’air du poison ?
      de Gounod, à l’Opéra-Comique puis              Si oui, en entier ? Quelle conclusion
      à l’Opéra, la partition a été adaptée          pour l’acte IV ? On n’est pas dans
      aux contraintes qui s’imposaient,              un opéra durchkomponiert à la Wagner,
      notamment aux changements d’interprètes.       mais dans une partition à numéros,
      Difficile de déterminer quelle serait          même si Gounod s’efforce de l’unifier
      la version originale, ou définitive, même      par la tension dramatique : on peut
      pour moi qui suis très soucieux des            donc enlever certains morceaux
      souhaits des compositeurs et de la             en fonction de l’orientation que l’on
      vérité musicologique. En vérité, c’est         veut donner à la fin de l’opéra,
      cela, l’esprit de Roméo : faire du sur-        à l’issue du drame. Un nouveau
      mesure, favoriser l’esprit pragmatique.        projet se crée avec chaque équipe
      Gounod et son metteur en scène et              artistique. Cela confère à l’œuvre
      producteur Carvalho pensaient qu’il fallait    un très grand potentiel de modernité.
      privilégier la puissance du spectacle vivant   La situation est différente avec Faust,
      par rapport au strict respect de l’écrit.      qui ne tolère pas de coupe.

8
Laurent Campellone
Direction musicale

                     9
Jean-François Borras   Julie Fuchs
                   Roméo    Juliette

10
JUSTEMENT, EN QUOI ROMÉO ET JULIETTE SE DISTINGUE-T-IL
DANS LA PRODUCTION DE GOUNOD ?

       Laurent Campellone                         Voyez la progression en perspective
       Gounod est un caméléon musical.            qu’observent les quatre duos d’amour,
       À chaque opéra, il cherche à surprendre.   du plus superficiel et charmant au plus
  Il fait voyager son public dans l’Allemagne     profond et déchirant. Les figures d’autorité,
  de Faust, l’Italie de Roméo, la Provence        créées par le même chanteur à l’époque,
  de Mireille. En peintre qu’il était aussi,      sont aux antipodes : Frère Laurent
  il cherche des couleurs évocatrices,            est l’antithèse de Méphistophélès.
  s’imprègne d’atmosphères – il compose
  Roméo à Saint-Raphaël – et sait éviter          La dichotomie est d’ailleurs un trait
  le pittoresque. La valse de Juliette n’est      caractéristique chez Gounod. Roméo repose
  pas celle de la kermesse de Faust.              sur l’alternance, très méridionale, entre
                                                  la nuit des complots et des secrets, et le jour
  Il est cependant en constante recherche         du paraître en société. « Ô nuit ! sous tes
  de nouveauté, ce par quoi il est bien           ailes obscures, abrite-moi ! » et « Ah ! lève-toi,
  de son temps, de ce Second Empire où tout       soleil ! » se succèdent dans le rôle de Roméo
  s’accélère, où se développent le chemin         à quelques vers d’intervalles. À l’orchestre,
  de fer, les grands magasins, la mode            les cordes sont associées à la lune,
  saisonnière, où production et consommation      au féminin, à l’élément liquide, tandis que
  entrent en effervescence.                       l’éveil, le jour, le masculin sont représentés
                                                  par les bois, la chaleur du souffle.
  J’ai parfois le sentiment que Faust et
  Roméo sont construites en opposition.           Autre trait dichotomique, l’ambivalence
  Les deux histoires sont liées au cosmos,        stylistique : l’art de Gounod se déploie
  mais dans Roméo tout passe par le rapport       dans une structure et un cadre formel très
  à la nature, tandis que l’alchimie assure       forts, imposés par sa formation classique
  ce rôle dans Faust. Les deux ouvrages           et rassurants, mais il est fait de déversements
  sont très intenses, mais tandis que Faust       émotionnels intenses, débridés, véhiculés par
  nous embarque dans des montagnes                les thèmes et la vocalité. À l’image de l’ultime
  russes émotionnelles, Roméo ne cesse            duo d’amour dans le caveau des Capulet,
  de faire monter la tension.                     une absolue réussite théâtrale et musicale...

                                                                                                       11
QUELLES SONT LES CARACTÉRISTIQUES VOCALES DES RÔLES PRINCIPAUX ?

            Laurent Campellone                        Pour Roméo, il faut un ténor qui ait un sens
            Gounod écrit extraordinairement           poussé du legato et un passage facile,
       bien pour les voix. Malgré la difficulté des   presque une voix italienne. Juliette doit
       rôles solistes, en termes de tessiture et      être pleine d’énergie, avec un grand moteur
       d’amplitude, les aigus sont toujours bien      rythmique. Le danger pour ces deux rôles,
       amenés, en accord avec la nature des           c’est de privilégier le son et de les confier
       voyelles. Il n’y a jamais non plus de faute    à des voix trop lourdes : cela mettrait
       de prosodie ou d’accent. Par ailleurs,         du plomb dans l’aile à l’interprétation,
       on a parfois l’impression chez d’autres        sur le plan musical comme dramatique.
       compositeurs qu’il faudrait plusieurs types    Ces deux personnages sont jeunes, frais,
       de voix pour chanter certains rôles –          leur voix ne doit pas contredire ces traits
       je pense à Don José, dont l’épaisseur est      de personnalité. Et puis un autre faux pas
       très différente entre le duo avec Micaëla      serait, avec de trop grandes voix, d’anticiper
       et l’épisode dans la montagne. Chez Gounod,    le drame, alors que le début de l’opéra
       les profils vocaux sont très clairs.           doit être extrêmement joyeux. La tragédie
                                                      est un engrenage mais ne doit pas peser
                                                      sur eux dès le début comme une fatalité –
                                                      c’est aussi une conviction d’Éric Ruf.

                                Patrick Bolleire      Trois rôles en apparence secondaires
                                Frère Laurent         sont particulièrement délicats à distribuer
                                                      pour préserver l’économie de l’œuvre.
                                                      Capulet requiert une voix à la fois
                                                      puissante, autoritaire – c’est un stentor –
                                                      et capable d’énergie et d’élégance, pour
                                                      lancer le lever de rideau à la française
                                                      de l’acte I. Il y a ensuite Stéphano et Frère
                                                      Laurent, dont les interventions sont très
                                                      théâtrales et très difficiles malgré
                                                      une apparente simplicité, et surtout
                                                      cruciales dans l’évolution du drame.

12
13
Jérôme Boutillier
       Comte Capulet

                         Yoann Dubruque
                         Grégorio

14
PARLEZ-NOUS DE L’ORCHESTRATION DE GOUNOD…

       Laurent Campellone
       L’orchestration de Gounod est certes académique :
       c’est un musicien issu de l’institution, épris de littérature
  classique (Shakespeare succède à Molière et Goethe !)
  et j’ai déjà mentionné son rapport aux formes – son amour
  de la fugue par exemple. Mais Gounod est aussi un
  compositeur dévoué au drame, et il utilise l’orchestre
  comme un décor pour l’action scénique, en adaptant
  sans cesse sa texture, ses couleurs. Je pense à la scène
  de bataille dans l’acte III par exemple, ou au troisième duo
  d’amour. Dans celui-ci, l’orchestre fait entendre l’alouette
  et le rossignol du jour qui se lève. Je dirais que Gounod,
  qui fut organiste, conçoit un peu son orchestration comme
  une registration : il superpose des timbres pour créer
  un espace et une atmosphère. Dans le madrigal du premier
  acte, lorsque Roméo déclare sa flamme à Juliette pour
  la première fois, j’ai comme la sensation que Gounod a
  refermé la boîte expressive de son orgue, qu’il a abandonné
  le grand orgue pour un simple positif : diminuant le son,
  il crée l’intimité nécessaire à ces premiers aveux, en marge
  du bal. Ses combinaisons de strates sonores témoignent
  d’un grand savoir-faire théâtral.

  D’ailleurs, Roméo et Juliette a inspiré d’autres
  compositeurs. Avant Leonard Bernstein, qui admirait tant
  Gounod, et son célèbre West Side Story, il y a eu Verdi,
  dont le tableau final d’Aida (créé en 1871, Roméo ayant été
  donné à Milan dès 1867) n’est pas sans rappeler le tombeau
  des Capulet. Là encore, on joue entre vie et mort, obscurité
  et jour. C’est de bonne guerre, car je soupçonne aussi Verdi
  d’avoir été une inspiration pour les chœurs de Roméo –
  à Paris, Rigoletto a été créé au Théâtre-Italien en 1857…

                                                                       15
ÉRIC RUF, VOUS AVEZ
         MIS EN SCÈNE LA PIÈCE
               DE SHAKESPEARE
      À LA COMÉDIE-FRANÇAISE,               Éric Ruf,
              ET VOUS L’ADAPTEZ             Mise en scène
           À PRÉSENT À L’OPÉRA              et décors
                   DE GOUNOD :
           C’EST UNE PREMIÈRE ?

                           Éric Ruf
              L’expérience qui m’est
         proposée à l’Opéra-Comique
              est précieuse : il est rare
               en effet qu’un metteur
        en scène soit amené à créer
          la même œuvre au théâtre
      et à l’opéra. Ce projet s’inscrit
         dans une double démarche
          économique et écologique,
            puisque nous conservons
         la même base de costumes,
      de décors, et bien sûr la même
       équipe artistique de création
         qu’à la Comédie-Française.

           Cependant, il ne s’agit pas
     d’une reprise stricte. On pourrait
      parler de progression. L’effectif
          au plateau augmente grâce
            à la présence des chœurs,
      et les artistes lyriques amènent
        naturellement une dimension
     supérieure à la simple narration.

16
Enfin, les caractéristiques du genre
      opératique sont très différentes
      de celles du théâtre, notamment
    en ce qui concerne le déroulement
 temporel de l’action et la signification
            des interventions musicales.

     Le livret se fondait sur une version
   de la pièce élaborée au XVIIIe siècle,
 alors que j’ai mis en scène une version
        scénique d’une traduction fidèle
    de Shakespeare, celle de François-
      Victor Hugo. La différence la plus
     notable est peut-être la résistance
           étonnante des chanteurs par
  rapport aux comédiens lorsqu’il s’agit
de poison shakespearien. Les premiers
    chantent encore quand les seconds
ont fini depuis longtemps de convulser.
 Ainsi, Juliette chez Gounod succombe
          au philtre de Frère Laurent en
     pleine cérémonie de mariage alors
qu’au théâtre, c’est dans la solitude de
               sa chambre de jeune fille.

            Malgré ces écarts, j’ai été
             agréablement surpris, en
  découvrant l’opéra, par la proximité
        des idées dramaturgiques de
          Gounod et de Shakespeare.
        Et cette partition correspond
       si bien à ma façon d’envisager
   Shakespeare que j’ai pu m’engager
      dans l’aventure avec conviction.

                                            17
VOTRE MISE EN SCÈNE A ÉTÉ CRÉÉE EN 2015.
                                DANS QUEL ESPRIT L’AVIEZ-VOUS CONÇUE ?

                                    Éric Ruf            Pour commencer, il fallait
                   Redonner, réexposer les            revenir à l’essentiel, tenter
           pièces légendaires qui font partie                 ce viatique hérité de
      de la mémoire collective est l’une des          Patrice Chéreau : raconter
          missions de la Comédie-Française.                une histoire. Donc faire
               Pourtant, Roméo et Juliette n’y                une lecture littérale,
           avait pas été donnée depuis 1954.              en m’efforçant d’ôter les
          Tentant de comprendre les raisons             filtres, de déblayer parmi
               de cette longue absence, je me           les couches de sédiments
               suis aperçu que le mythe est si         successives. Shakespeare
       présent dans les esprits qu’il en était         est un immense raconteur
       devenu autarcique, souvent très loin                      d’histoires et celle
           de la réalité complexe de la pièce                 de Roméo et Juliette
          de Shakespeare, comme une pièce                    est d’un foisonnement
             rentrée, fantôme. Cette distance        extraordinaire. Ce n’est pas
           m’a passionné, comme me fascine             l’œuvre d’un Shakespeare
                   l’imaginaire collectif autour         assagi et univoque, mais
              du répertoire. On parle souvent       celle de l’auteur du Songe et
            de tradition d’interprétation chez                   de Macbeth mêlés.
            les acteurs : elle existe aussi chez
         les spectateurs. Strates de lectures         Pour faire entendre ce texte,
                accumulées au fil des siècles,     il était nécessaire de déplacer
              gravures, couvertures des livres         la mire, de trouver un entre-
           de poche, films, opéras, ou encore         deux d’époque, d’esthétique,
        balcons transfuges de Shakespeare                      suffisamment inactuel
        à Rostand… Ces confusions altèrent            et contemporain pour que le
     la lecture de la pièce et lui font perdre           spectateur n’y reconnaisse
      des plumes : la rudesse, la luxuriance,               pas immédiatement une
                      l’humour de Shakespeare           intention manifeste mais se
                 s’en trouvent tamisés, arasés.           laisse porter par l’histoire.

18
19
Marie Lenormand
             Gertrude

20
D’OÙ L’INSPIRATION ITALIENNE
         POUR LES DÉCORS QUE VOUS AVEZ CONÇUS.

                                                          Éric Ruf
   C’est l’Italie bien sûr, mais une Italie pauvre où l’on observe
       sur les murs beaux et délabrés le souvenir d’une civilisation
    glorieuse. Une Italie du Sud où la chaleur écrase les places et
       échauffe les esprits. Une Italie d’entre-deux-guerres encore
     extrêmement pieuse, où les peurs irraisonnées, les croyances
populaires demeurent vivaces. Une Italie pauvre où la qualité de
 la langue est d’autant plus audible si elle n’est pas noyée dans les
 moirures des velours et les cols de fourrure de la Renaissance, et si
elle se frotte à la grandeur perdue de façades écaillées. L’Italie de la
vendetta où la vengeance, la mort sont laissées en héritage sans
que personne ne puisse remonter à la source des antagonismes.

       Je m’étais appuyé à la Comédie-Française sur de vieilles
           chansons populaires italiennes ; écoutant la musique
             de Gounod, sa luxuriance et ces airs faisant partie
        d’une mémoire collective, je n’ai pas vu d’incongruité du
                  passage et de la continuité des unes à l’autre.

     Au théâtre comme à l’opéra et sans doute comme au Globe
Theatre de l’origine, la scénographie doit répondre à un impératif
  de fluidité narrative. Rien ne s’arrête jamais chez Shakespeare
et toute installation est coupable – en deux ou trois jours à peine,
    Juliette et Roméo se seront connus, aimés et en seront morts.
   J’utilise donc comme décor des tours comme autant de piliers
      antiques dont l’organisation crée des agoras, des intérieurs
        ou des dédales à volonté. Souvent la chambre nuptiale et
     la chambre funéraire partagent une architecture commune,
            à l’instar des lits de nos aïeux où l’on naissait, enfantait
                        et mourait sous le même plafond indifférent.

                                                                           21
22
DÉBARRASSÉ DE SON ROMANTISME
DÉCORATIF, QUE RACONTE LE MYTHE
           DE ROMÉO ET JULIETTE ?

                                      Éric Ruf
       Cette histoire existe avant tout par
           sa fulgurance. Il ne s’agit pas ici de
     comprendre cet amour, sa nature et son
origine mais d’en reconnaître la course folle.
Roméo et Juliette sont comme des surdoués
   de l’amour, sachant à deux, intuitivement,
       très vite, qu’il a maille à partager avec
      la mort, chacun jouant l’Orphée de son
    Eurydice, tour à tour. On songe à La Nuit
         sexuelle de Pascal Quignard, dont ils
     auraient fait une lecture impressionnée.
 Amour fou de tranchées, de guerres civiles.
        Tout consommer, se consumer autant.
        Le vrai romantisme n’est traversé que
   de cette idée-là, c’est pour cela que ça va
     vite, que ça vit, que ça meurt. Pour cela
         que c’est juvénile, mais en aucun cas
       naïf. Il s’agit d’animalité aussi, de mort,
     de violence, de sang. On se bat à l’arme
blanche, on se tue à coups de couteau, cela
   saigne. Pour le dernier tableau, j’ai pensé
à Palerme et à ses catacombes où les corps
     sont disposés, debout, dans leurs habits
  du dimanche. Un lieu où la fraîche beauté
     de Juliette insulte pour quelques heures
  les joues parcheminées, crevées, de celles
 qui l’ont précédées dans la tombe, victimes
sans doute elles aussi des haines séculaires.

                                                     23
PARLEZ-NOUS DES PERSONNAGES.

                                                Éric Ruf
      On pense de Roméo qu’il est un jeune garçon
           héroïque et brillant, mais c’est l’antihéros par
        excellence, l’opposé de l’amoureux transi ou du
       chef de bande. Il courtise une certaine Rosaline
     jusqu’au jour où il croise Juliette. Son amour pour
        elle va lui permettre d’échapper un temps à sa
        famille et à son destin. Juliette quant à elle est
      d’une force stupéfiante et porte la transgression.
            D’une façon générale, même si c’est atténué
        dans l’opéra, chaque personnage présente une
            tension entre sa fonction dramatique et son
         individualité. Assumant la dimension collective
        et joyeuse du drame, le chœur de Gounod sert
         aussi à exprimer cela : chaque personnage est
      plein de vie, aucun ne mérite la violence absurde
             et le destin de mort qu’impose la vendetta.
                                                              Thomas Palmer
                                                              Chef de chant
        La pièce commence par un prologue qui, dans
          l’opéra, est chanté par tous les personnages,
            entre la fosse et le rideau baissé. Cela crée
         un contact direct entre le plateau et le public,
         et sert notre quête de sens et d’identification.
             Les interprètes restent ensuite en scène et
      entrent, à vue, dans leurs rôles pour jouer le bal
         de l’acte I. Tout au long du spectacle, on verra
     aussi les choristes interpréter tantôt les Capulet,
          tantôt les Montaigu, au moyen de gestes très
     simples, une façon de se coiffer, de se retrousser
       les manches. Les montrer si semblables permet
       de souligner l’absurdité de leurs affrontements.

24
Arnaud Richard
                    Pâris

Yu Shao
Tybalt

                            25
CHARLES GOUNOD
                                                  (1818-1893)
                                                   Par Gérard Condé

                                                  Otello de Rossini au Théâtre-Italien avec     restèrent si vaines qu’il songea
                                                  la Malibran en 1831 puis Don Giovanni         à se consacrer à la musique d’église,
                                                  en 1833 susciteront sa vocation de            voire à entrer dans les ordres. Pauline
                                                  compositeur. Élève de Reicha en privé         García Viardot lui donna sa chance
                                                  puis, au Conservatoire, de Lesueur et         en mettant comme condition à son
                                                  d’Halévy, Gounod remporta le premier          réengagement à l’Opéra la création
                                                  Grand Prix de Rome en 1839 avec la            d’un ouvrage de Gounod dont elle
                                                  cantate Fernand. Les deux années              serait l’héroïne… Las, les succès
                                                  passées à la Villa Médicis furent             médiocres de Sapho (1851), malgré sa
                                                  marquées par son intimité avec Ingres,        fin sublime, puis de La Nonne sanglante
     Charles Gounod dans les années 1860          dont les propos (« le dessin est la dignité   (1854) à l’Opéra firent douter de ses
                                                  de l’art ») lui apprirent davantage que       dons pour la musique dramatique,
                                                  ses études de composition ; et par la         jusqu’à ce que la création du Médecin
     Né à Paris le 17 juin 1818, Charles          découverte, à l’écoute des conférences        malgré lui (1858), sur la scène plus intime
     Gounod était le fils du peintre              de carême de Lacordaire et des                du Théâtre-Lyrique, révèle ce qu’il
     François Gounod et le petit-fils du          chantres de la chapelle Sixtine, des          pouvait apporter dans un genre moins
     dernier « fourbisseur » du Roi (armurier).   vertus de l’éloquence, autre clef de          monumental que le "grand opéra".
     Les artisans étant logés dans la galerie     son esthétique.
     du Louvre au même titre que les                                                            Ses librettistes étaient Jules Barbier
     artistes attachés à la couronne, leurs       À son retour à Paris en 1843, il fut          et Michel Carré, poètes et hommes de
     enfants jouaient ensemble et c’est ainsi     nommé Maître de chapelle à l’Église           théâtre à la plume alerte. Grâce à eux,
     que la famille Gounod s’est intégrée         des Missions étrangères. Ses tentatives       Gounod sut donner à ses œuvres, et
     au milieu artistique le plus en vue.         pour forcer les portes des théâtres           spécialement à l’effusion amoureuse,

26
une note de fraîcheur inattendue et        Les trois derniers opéras de Gounod         mais encore il leur a rendu justice
une incomparable justesse d’accent.        ne connurent pas la consécration            grâce à une légèreté de touche qui
Faust (1859) n’est pas le fruit des        immédiate que Roméo et Juliette             exalte les vers sans s’appesantir et
circonstances : Gounod l’a porté en lui    rencontra en 1867 : de Cinq-Mars            conserve la souplesse de la langue.
pendant vingt ans. Il avait découvert      (1877) la postérité n’a retenu qu’un air
la pièce en 1839. « Cet ouvrage ne         (« Nuit resplendissante ») jusqu’à la       La musique sacrée occupe une place
me quittait pas, notera-t-il dans ses      redécouverte de l’ouvrage ; Polyeucte       majeure dans sa production, au début
Mémoires, je l’emportais partout avec      (1878) attend son heure qui replacera       et à la fin de sa carrière. Seule connue
moi, et je consignais dans des notes       « Source délicieuse » dans son              ou peu s’en faut parmi une vingtaine
éparses les différentes idées que je       contexte ; enfin, Le Tribut de Zamora       de messes, celle qu’il destina à la fête
supposais pouvoir me servir le jour        (1881) ne subit pas, de loin, l’échec qui   de Sainte Cécile (1855) n’est cependant
où je tenterais d’aborder ce sujet         le fit plonger dans un injuste oubli.       pas représentative. C’est, dirait-on,
comme opéra ».                                                                         une messe sinon d’apparat du moins
                                           Cette carrière théâtrale chaotique          de concert, où les quelques allusions
Gounod fut moins heureux avec La           tient au fait que le domaine de             au plain chant dans le Kyrie et
Reine de Saba (1862), malgré la qualité    prédilection de Gounod était l’intimité,    le Benedictus ne semblent là que pour
des airs, mais se dédommagea avec          et ses mélodies ont autant de mérite        rehausser les effusions d’un lyrisme
Mireille (1864) d’après le chef-d’œuvre    à assurer sa gloire que sa musique          chaleureux et ensoleillé.
de Mistral. Au printemps 1863, le          dramatique. Ravel affirmait qu’il
poète l’avait pressé de séjourner          fut « le véritable instaurateur de la       Trois messes de requiem (1842,
près des lieux mêmes — les Baux, la        mélodie en France [...] qui a retrouvé      1873, 1891) jalonnent sa carrière
Crau — pour saisir le contexte des         le secret d’une sensualité harmonique       marquée par la faveur constante
amours contrariées de la fille du          perdue depuis les clavecinistes ».          dont jouirent ses deux symphonies (à
riche Ramon et de Vincent, l’humble                                                    l’inverse de ses cinq quatuors), une
vannier. Pour composer Roméo et            Gounod a publié près de cent                centaine de motets, des chœurs et
Juliette, au printemps 1865, Gounod        cinquante mélodies, dont près d’un          trois oratorios : Tobie, Rédemption
se fixa à Saint-Raphaël : « Je travaille   tiers en anglais et une quinzaine en        et Mors et Vita créé à Birmingham
soit chez moi, soit dehors, sur le bord    italien écrites lors de ses années          le 30 août 1885 et dont il expliqua
de la mer qui est pour moi un vrai         londoniennes, de l’automne 1870             le titre : « La mort n’est que la fin
collaborateur. J’entends chanter           au printemps 1874. Toutes sont              d’une existence qui meurt un peu
mes personnages avec autant de             intéressantes car non seulement il a        chaque jour. Mais c’est le moment
netteté que je vois les objets qui         souvent choisi de bons poètes — Hugo,       premier et, en fait, la naissance de
m’environnent, et cette netteté me         Musset, Gautier, Lamartine, jusqu’à         ce qui ne meurt jamais. » Gounod
met dans une sorte de béatitude ».         Racine, La Fontaine, Baïf ou Ronsard —      franchit le seuil le 18 octobre 1893.

                                                                                                                                  27
STAR-CROSS'D LOVERS
     AMANTS MAUDITS

     ROMEO
         If I profane with my unworthiest
     hand
         This holy shrine, the gentle
     sin is this:
         My lips, two blushing pilgrims,
     ready stand
         To smooth that rough touch
     with a tender kiss.

     JULIET
         Good pilgrim, you do wrong
     your hand too much,
         Which mannerly devotion
     shows in this ;
         For saints have hands that
     pilgrims’ hands do touch,
         And palm to palm is holy
     palmers’ kiss.
                             Acte I, scène 5

     Rencontre de Roméo et Juliette au bal masqué

28
ROMÉO                                                            JULIETTE
     Ah ! chère Juliette, pourquoi es-tu si belle encore ?          Ô frère charitable, où est mon seigneur ? Je me rappelle
Dois-je croire que le spectre de la Mort est amoureux            bien en quel lieu je dois être : m’y voici… Mais où est Roméo ?
et que l’affreux monstre décharné te garde ici dans les          Rumeur au loin.
ténèbres pour te posséder ! Horreur ! Je veux rester près
                                                                 FRÈRE LAURENCE
de toi, et ne plus sortir de ce sinistre palais de la nuit ;
ici, ici, je veux rester avec ta chambrière, la vermine !        J’entends du bruit… Ma fille, quitte ce nid de mort,
Oh ! c’est ici que je veux fixer mon éternelle demeure et        de contagion, de sommeil contre-nature. Un pouvoir
soustraire au joug des étoiles ennemies cette chair lasse        au-dessus de nos contradictions a déconcerté nos plans.
du monde… (Tenant le corps embrassé.) Un dernier regard,         Viens, viens, partons ! Ton mari est là gisant sur ton sein,
mes yeux ! bras, une dernière étreinte ! et vous, lèvres,        et voici Pâris. Viens, je te placerai dans une communauté
vous, portes de l’haleine, scellez par un baiser légitime un     de saintes religieuses ; pas de questions ! le guet arrive…
pacte indéfini avec le sépulcre accapareur ! (Saisissant         Allons, viens, chère Juliette. (La rumeur se rapproche.)
la fiole.) Viens, amer conducteur, viens, âcre guide. Pilote     Je n’ose rester plus longtemps.
désespéré, vite ! lance sur les brisants ma barque épuisée       Il sort du tombeau et disparaît.
par la tourmente ! À ma bien-aimée ! (Il boit le poison.) Oh !
                                                                 JULIETTE
l’apothicaire ne m’a pas trompé : ses drogues sont actives…
Je meurs ainsi… sur un baiser !                                  Va, sors d’ici, car je ne m’en irai pas, moi. Qu’est ceci ? Une
                                                                 coupe qu’étreint la main de mon bien-aimé ? C’est le poison,
Il expire en embrassant Juliette.
                                                                 je le vois, qui a causé sa fin prématurée. L’égoïste ! il a tout bu !
[…]                                                              il n’a pas laissé une goutte amie pour m’aider à le rejoindre !
FRÈRE LAURENCE, allant vers le tombeau.                          Je veux baiser tes lèvres ; peut-être y trouverai-je un reste
     Roméo ! (Dirigeant la lumière de sa lanterne sur l’entrée   de poison dont le baume me fera mourir… (Elle l’embrasse.)
du tombeau.) Hélas ! hélas ! quel est ce sang qui tache          Tes lèvres sont chaudes !
le seuil de pierre de ce sépulcre ? Pourquoi ces épées           PREMIER GARDE, derrière le théâtre.
abandonnées et sanglantes projettent-elles leur sinistre
                                                                 Conduis-nous, page… De quel côté ?
lueur sur ce lieu de paix ? (Il entre dans le monument.)
Roméo ! Oh ! qu’il est pâle ! Quel est cet autre ? Quoi, Pâris   JULIETTE
aussi ! baigné dans son sang ! Oh ! quelle heure cruelle         Oui, du bruit ! Hâtons-nous donc ! (Saisissant le poignard
est donc coupable de cette lamentable catastrophe ?              de Roméo.) Ô heureux poignard ! voici ton fourreau…
(Éclairant Juliette.) Elle remue !                               (Elle se frappe.) Rouille-toi là et laisse-moi mourir !
Juliette s’éveille et se soulève.                                Elle tombe sur le corps de Roméo et expire.

                                                                                  Scène 24, traduction de François-Victor Hugo, 1868

                                                                                                                                         29
ROMÉO, JULIETTE                                                                      George Anne
                                                                                          Bellamy et David
                                                                                          Garrick interprétant

     ET LA FRANCE                                                                         le nouveau
                                                                                          dénouement
                                                                                          de Romeo and Juliet
                                                                                          en 1753 à Londres

     1559
     Pierre Boisteau publie dans ses Histoires tragiques la traduction française
     d’une nouvelle italienne de Bandello (1554) sous le même titre : De deux amants
     dont l’un mourut de venin, l’autre de tristesse. Traduite à son tour en anglais,
     elle inspire à Shakespeare sa tragédie, créée vers 1597.

     ADAPTER ET TRADUIRE

     1746                                         1772
     Première traduction française de             La Comédie-Française présente
     la pièce de Shakespeare par La Place         Roméo et Juliette, adaptation signée
     dans son Théâtre anglois.                    Ducis, respectant l’alexandrin et les
                                                  règles classiques. Une parodie en
     1748                                         vers burlesques signée Radet paraît
     Le grand acteur anglais David Garrick        l’année suivante sous le titre Roméo
     crée à Drury Lane un Romeo and Juliet        et Paquette.
     mis au goût du jour, avec de nouvelles
     scènes qui resteront en vigueur jusqu’à      1778
     la fin du XIXe siècle : les funérailles      Le Tourneur publie sa traduction de
     spectaculaires de Juliette et les            la version Garrick dans le 4 e des 20
     retrouvailles finales des amants, Juliette   volumes de son Shakespeare traduit
     se réveillant pendant l’agonie de Roméo.     de l’anglois, réédité jusqu’en 1839.

30
31
DE L’OPÉRA-COMIQUE À L’OPÉRA

     « Quand on connaît le merveilleux poème       1792
                                                   Tout pour l’amour, ou Roméo et
     écrit en caractères de flamme, et qu’on lui   Juliette, opéra-comique en 3 actes,
     compare tant de grotesques opéras qu’on       livret de Boutet de Monvel et
     en a tirés, froides rhapsodies écrites avec   musique de Dalayrac, est créé
                                                   à l’Opéra-Comique et joué avec
     les sucs du concombre et du nénuphar,         succès jusqu’en 1799.
     il faut dire : “Shakespeare !! God !!” et
     songer que l’outrage ne peut l’atteindre. »   « On dirait une œuvre composée par
                                                   deux imbéciles qui ne connaissent ni
     Berlioz                                       la passion, ni le sentiment, ni le bon
                                                   sens, ni le français, ni la musique. »
                                                   Berlioz

                                                   1793
                                                   Roméo et Juliette, opéra-comique
                                                   en 3 actes, livret de Ségur et musique
                                                   de Steibelt, est créé au Théâtre
                                                   Feydeau. En 1801, l’Opéra-Comique
                                                   absorbe cette institution, et reprend
                                                   l’œuvre de Steibelt jusqu’en 1822.

                                                   « Il y a là du style, du sentiment,
                                                   de l’invention, des nouveautés
                                                   d’harmonie et d’instrumentation
                                                   fort remarquables qui durent
                                                   paraître à cette époque de
                                                   véritables hardiesses. »
                                                   Berlioz

32
« Dans les théâtres où régnait l’opéra-comique, le dénouement est heureux :
on y avait interdit le spectacle de la mort par égard pour l’extrême sensibilité du public.
Dans les opéras italiens, la catastrophe finale est admise. Roméo s’empoisonne,
Juliette se donne un petit coup avec un joli poignard en vermeil, s’assied
à côté du corps de Roméo, pousse un petit “ah !” bien gentil, et tout est dit. »
Berlioz

                                                                  1812
                                                                  Giulietta e Romeo de Zingarelli,
                                                                  créé à Milan en 1796, entame une
                            La Pasta en Romeo                     belle carrière parisienne au Théâtre-
                                                                  Italien. Composé pour un castrat
                                                                  soprano, le rôle de Romeo est repris
                                                                  par les plus célèbres sopranos :
                                                                  Giuditta Pasta, Maria Malibran…

                                                « Les maestri italiens ont voulu que l’amant
                                                 de Juliette fût représenté par une femme.
                                                       C’est un reste des anciennes mœurs
                                                     musicales de l’école italienne. Les voix
                                                      graves étaient en horreur à ce public
                                                 de sybarites, friands des douceurs sonores
                                                  comme les enfants le sont des sucreries. »
                                                                                               Berlioz

                                                                                                          33
ESSAIS D’APPROPRIATION
     ROMANTIQUE
     1827
     Un e t ro u p e a n g l a i s e p r é s e n t e
     le répertoire shakespearien au
     Théâtre de l’Odéon, avec les fameux
     Charles Kemble et Harriet Smithson
     en Romeo et Juliet dans la version
     Garrick. Les romantiques y assistent,
     enthousiastes, traduction en main.
     Berlioz épousera Smithson en 1833.

                                          Smithson
                                        en Ophelia

                                                                                          Kemble en Romeo

                                                           « Shakespeare, en tombant ainsi sur moi
                                                            à l’improviste, me foudroya. Son éclair,
                                                         en m’ouvrant le ciel de l’art avec un fracas
                                                           sublime, m’en illumina les plus lointaines
                                                       profondeurs. Je reconnus la vraie grandeur,
                                                       la vraie beauté, la vraie vérité dramatiques. »
                                                                                                  Berlioz

34
1828
   Soulié présente sa version de Roméo
   et Juliette à l’Odéon. Reprise en 1832
   à la Comédie-Française, elle est jouée
   quatre fois seulement, jusqu’en 1844.

   « Si j’avais l’âge
   de Juliette, je n’aurais
   pas mon talent, mais
   ayant ce talent, je
   n’ai plus son âge. »
   Mlle Mars de la Comédie-Française,
   refusant le rôle en 1828

Héritiers de Garrick, les acteurs anglais crient,
gesticulent, rampent et jouent dos au public,
ce qui était jusqu’alors considéré comme
inconvenant. Leur jeu influencera durablement
les comédiens français.

« Il n’est pas décent en France
que deux amants sur un théâtre
s’embrassent à corps perdu :
cela n’est pas convenable. »
Berlioz

                                                    35
TRADUCTIONS
     MUSICALES
     1833
     Création parisienne, au Théâtre-
     Italien, de I Capuleti e i Montecchi
     de Bellini. Romeo est chanté par une
     mezzo-soprano, Giuditta Grisi. Le livret
     de F. Romani a déjà servi au Giulietta e
     Romeo de Vaccai, présenté sans succès
     au Théâtre-Italien en 1827.

     1839
     Création au Conservatoire de Roméo
     et Juliette, symphonie dramatique avec
     chœur de Berlioz, sur un livret d’É.
     Deschamps. Dédiée à Paganini qui en
     a financé la composition, l’œuvre sera
     publiée en 1847.

     1859
     L’opéra de Bellini passe à l’Opéra en
     version française, titrée Roméo et Juliette,
     mais ne reste pas au répertoire. Elle y
     reviendra en version originale en 1994.

     1867
     27 avril
     Création de l’opéra de Gounod au
     Théâtre-Lyrique.
     14 juillet
     Création de sa parodie Rhum et eau
     en Juillet au Théâtre Déjazet.

36
« Dans Rhum et eau en Juillet,
                                                          M. Jallais a parodié Shakespeare
                                                          mais respecté Gounod : c’est peut-être
                                                          l’inverse qu’il aurait dû faire.
                                                          Quoiqu’il en soit, il y a des couplets bien
                                                          tournés, des mots spirituels, et le tout
                                                          est gaiement rendu par Degrenay
                                                          et Mme Boisgontier qui jouent avec
                                                          un entrain et une verve irrésistibles. »

                                                          La France musicale, 14 juillet 1867

1868                                        RETOUR À SHAKESPEARE
Parution de la première traduction
fidèle de Roméo et Juliette par François-   1920
Victor Hugo, dans le 7e des 15 volumes      La pièce de Shakespeare revient au répertoire de la Comédie-
des Œuvres complètes de Shakespeare.        Française, dans une libre adaptation d’André Rivoire, jamais reprise.

1873                                        1952
L’opéra de Gounod entre au répertoire       La Comédie-Française affiche la traduction de Jean Sarment,
de l’Opéra-Comique. Nouvelles               qui maintient le principe du dénouement de Garrick. Elle quitte
productions en 1959 et 1994.                le répertoire en 1954.

1888                                        2015
L’opéra de Gounod entre au répertoire       Éric Ruf monte Roméo et Juliette dans une version scénique
de l’Opéra, et y sera joué régulièrement    d’après la traduction de F.-V. Hugo. Elle est désormais inscrite
jusqu’en 1985.                              au répertoire de la Comédie-Française.

                                                                                                                    37
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