SÉNAT COMPTE RENDU INTÉGRAL - JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - Sénat

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Année 2021. – No 104 S. (C.R.)              ISSN 0755-544X            Vendredi 22 octobre 2021

                             SÉNAT
    JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

                             SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

                 COMPTE RENDU INTÉGRAL
                      Séance du jeudi 21 octobre 2021
                                 (10e jour de séance de la session)
9478                                    SÉNAT – SÉANCE DU 21 OCTOBRE 2021

                                               SOMMAIRE

        PRÉSIDENCE DE M. ROGER KAROUTCHI                          Adoption de l’article modifié.

                     Secrétaires :                                                   Article 2 (p. 9493)
    Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul.
                                                                  Amendement no 30 du Gouvernement et sous-amendement
                                                                    no 34 de M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. –
1. Procès-verbal (p. 9480)
                                                                    Adoption du sous-amendement et de l’amendement
                                                                    modifié.
2. Indemnisation des catastrophes naturelles. – Adoption en
     procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte   Amendement no 21 rectifié de M. Emmanuel Capus. –
     de la commission (p. 9480)                                     Retrait.
   Discussion générale :                                          Amendement no 12 rectifié de Mme Dominique Estrosi
                                                                    Sassone. – Adoption.
   M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de
     l’économie, des finances et de la relance, chargé des        Amendement no 31 du Gouvernement. – Rejet.
     petites et moyennes entreprises
                                                                  Amendement no 13 de M. Pascal Martin. – Adoption.
   Mme Christine Lavarde, rapporteur de la commission des
    finances                                                      Adoption de l’article modifié.

   Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis de la commis­                       Après l’article 2 (p. 9496)
    sion de l’aménagement du territoire et du développement
    durable                                                       Amendement no 22 rectifié bis de M. Emmanuel Capus. –
                                                                    Adoption de l’amendement insérant un article
   M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de       additionnel.
     l’aménagement du territoire et du développement
     durable                                                                         Article 3 (p. 9497)
   Mme Isabelle Briquet                                           Amendement no 37 de la commission. – Adoption.
   Mme Nadège Havet                                               Adoption de l’article modifié.
   M. Claude Malhuret
                                                                              Article 3 bis (nouveau) (p. 9498)
   Mme Anne Ventalon
                                                                  Amendement no 38 de la commission. – Adoption.
   M. Ronan Dantec
                                                                  Adoption de l’article modifié.
   M. Gérard Lahellec
                                                                                     Article 4 (p. 9498)
   Mme Sylvie Vermeillet
                                                                  Amendement no 14 de M. Gérard Lahellec. – Rejet.
   M. Jean-Pierre Corbisez
                                                                  Amendement no 1 rectifié de Mme Isabelle Briquet. –
   Mme Nicole Bonnefoy                                              Adoption.
   M. Laurent Burgoa                                              Amendement no 23 rectifié de M. Emmanuel Capus. –
                                                                    Retrait.
   M. Stéphane Sautarel
                                                                  Amendement no 29 du Gouvernement et sous-amendement
   Clôture de la discussion générale.                               no 35 de M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. –
                                                                    Adoption du sous-amendement et de l’amendement
                      Article 1er (p. 9492)                         modifié.

   Amendement no 36 de la commission. – Adoption.                 Adoption de l’article modifié.

   Amendement no 18 rectifié de M. Jean-Pierre Corbisez. –                           Article 5 (p. 9500)
     Rejet.
                                                                  Mme Christine Lavarde, rapporteur
   Amendement no 19 rectifié de M. Jean-Pierre Corbisez. –
     Rejet.                                                       Amendement no 39 de la commission. – Adoption.
SÉNAT – SÉANCE DU 21 OCTOBRE 2021                                                9479

Amendement no 17 rectifié de M. Vincent Segouin. –                             Après l’article 7 (p. 9509)
  Adoption.
                                                               Amendement no 11 rectifié bis de M. Ronan Dantec. –
Amendement no 28 rectifié de Mme Sylvie Vermeillet. –            Rejet.
  Devenu sans objet.
                                                                           Article 8 – Adoption. (p. 9510)
Amendement no 16 rectifié de M. Vincent Segouin. – Rejet.
                                                                                  Article 9 (p. 9510)
Amendement no 3 de Mme Isabelle Briquet. – Rejet.
                                                               Amendement no 25 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement no 2 rectifié de Mme Nicole Bonnefoy. –
  Rejet.                                                       Amendement no 40 de la commission. – Adoption.
Amendement no 8 de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.               Adoption de l’article modifié.
Amendement n 24 rectifié de M. Emmanuel Capus. –
                o
                                                                               Après l’article 9 (p. 9511)
  Retrait.
                                                               Amendement no 26 rectifié du Gouvernement. – Adoption
Amendement no 4 de Mme Nicole Bonnefoy. – Adoption.              de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement no 20 rectifié de M. Jean-Pierre Corbisez. –
                                                                       Intitulé de la proposition de loi (p. 9512)
  Rejet.
                                                               Amendement no 9 rectifié de M. Ronan Dantec. –
Amendement no 5 de Mme Isabelle Briquet. – Adoption.
                                                                 Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.
Amendement no 15 de M. Gérard Lahellec. – Retrait.
                                                                             Vote sur l’ensemble (p. 9512)
Amendement no 33 du Gouvernement. – Adoption.
                                                               Mme Nicole Bonnefoy
Adoption de l’article modifié.
                                                               M. Jean-François Husson
            Article 6 – Adoption. (p. 9506)                    M. Jean-François Longeot
                Après l’article 6 (p. 9507)                    Mme Nadège Havet
Amendement no 7 de Mme Nicole Bonnefoy. – Adoption             M. Alain Griset, ministre délégué
  de l’amendement insérant un article additionnel.
                                                               Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commis­
Amendement no 6 de Mme Catherine Conconne. –                     sion, modifié.
  Adoption de l’amendement insérant un article
  additionnel.                                              3. Modification de l’ordre du jour (p. 9513)

                    Article 7 (p. 9508)                     4. Demande de retour à la procédure normale
                                                                pour l’examen d’un projet de loi (p. 9513)
Amendement no 10 de M. Ronan Dantec. – Adoption.
                                                            5. Communication relative à des commissions mixtes
Amendement no 32 du Gouvernement. – Adoption.                   paritaires (p. 9513)

Adoption de l’article modifié.                              6. Ordre du jour (p. 9514)
9480                                      SÉNAT – SÉANCE DU 21 OCTOBRE 2021

                       COMPTE RENDU INTÉGRAL

         PRÉSIDENCE DE M. ROGER KAROUTCHI                          Mme la sénatrice Nicole Bonnefoy. Ce travail éclairant a posé
                                                                   les bases des sujets que vous aurez à traiter au cours de
                         vice-président                            l’examen de ce texte : l’exigence de transparence, une
                                                                   meilleure prise en charge des sinistrés et l’accompagnement
                     Secrétaires :                                 des élus.
             Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
                 Mme Martine Filleul.                                 Je sais et je comprends l’incompréhension que l’absence
                                                                   d’inscription de la proposition de loi de Mme la sénatrice à
  M. le président.   La séance est ouverte.                        l’ordre du jour de l’Assemblée nationale a suscitée. Mais il est
  (La séance est ouverte à dix heures trente.)                     de rares moments, dans la République, où Gouvernement,
                                                                   Sénat et Assemblée nationale partagent autant de principes et
                                                                   d’objectifs, de manière transpartisane, sur une même
                               1                                   réforme. Les commissions des finances et de l’aménagement
                                                                   du territoire et du développement durable ont travaillé sur ce
                                                                   texte et en ont débattu dans cet esprit de concorde et avec le
                      PROCÈS-VERBAL                                sens de l’intérêt commun.
  M. le président. Le compte rendu analytique de la précé­           Le contexte est particulier, également, car le péril de la
dente séance a été distribué.                                      sécheresse menace de nombreux territoires de la République ;
                                                                   plusieurs millions de maisons y sont exposées. De nombreux
  Il n’y a pas d’observation ?…                                    élus locaux et sinistrés vous interpellent sur cette question.
  Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.              Le régime des catastrophes naturelles fait déjà beaucoup
                                                                   pour leur venir en aide. En moyenne, 80 000 habitations font
                                                                   l’objet d’une indemnisation chaque année, pour un montant
                               2
                                                                   moyen de 20 000 euros. Ainsi, depuis 2017, plus de
                                                                   340 000 habitations ont bénéficié du régime, soit environ
               INDEMNISATION                                       750 000 Français, pour un coût total de 5,5 milliards d’euros.
        DES CATASTROPHES NATURELLES                                   La proposition de loi qui vous est soumise contient des
                                                                   avancées pour mieux prendre en compte les caractéristiques
             ADOPTION EN PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE                       particulières du risque sécheresse : elle prévoit de rallonger le
                 D’UNE PROPOSITION DE LOI                          délai dans lequel le maire pourra déposer une demande, exige
              DANS LE TEXTE DE LA COMMISSION
                                                                   des assureurs qu’ils transmettent systématiquement le rapport
   M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la    définitif d’expertise, leur rappelle le droit à contre-expertise et
proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après        les contraint à mettre fin aux désordres existants en cas
engagement de la procédure accélérée, visant à réformer le         d’atteinte grave au bâti.
régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (proposi­         Nous savons pourtant que ces avancées sont insuffisantes et
tion no 325 [2020-2021], texte de la commission no 49,             que nous devrons aller plus loin pour répondre à la détresse
rapport no 48, avis no 45).                                        des Français, dont l’habitation est durement touchée par la
   Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre     sécheresse. Une maison qui se fissure, c’est une vie de travail
délégué.                                                           et de souvenirs qui s’ébranle.
   M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de           Enfin, la particularité du contexte tient aussi aux événe­
l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et   ments climatiques tragiques qui ont touché la France ces
moyennes entreprises. Monsieur le président, mesdames,             dernières années : ouragan Irma, séisme du Teil, inondations
monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs,       dans l’Aude et dans le Var ou, encore plus récemment,
nous examinons ce matin une proposition de loi portant sur         tempête Alex.
un enjeu important pour le Gouvernement et pour
                                                                     En ces occasions, le régime a su faire preuve de sa solidité,
l’ensemble des Français, qui peuvent soudainement tout
                                                                   comme depuis sa création en 1982. Chaque année,
perdre par l’effet d’une catastrophe naturelle, comme l’a
                                                                   3 500 communes en moyenne sont reconnues en état de
encore tragiquement montré la tempête Alex.
                                                                   catastrophe naturelle et plus de 1 milliard d’euros d’indem­
  L’examen de ce texte s’inscrit dans un contexte particulier à    nisations sont versés à plusieurs millions de sinistrés sur la
plus d’un titre.                                                   quasi-totalité du territoire français.
   En raison, d’abord, de sa genèse : il a bénéficié de travaux      Ce régime repose sur des principes fondateurs que nous
parlementaires longs et instruits, en particulier du Sénat. Je     voulons préserver. Unique au monde, il est fondé sur un
tiens, à cet égard, à saluer le rapport d’information rédigé par   principe de solidarité : le taux de surprime pour catastrophes
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naturelles dû par chaque assuré est identique, quelle que soit      rait sa réactivité et son efficacité et conduirait à allonger les
son exposition aux risques, la solidarité s’entendant à l’échelle   délais d’instruction, au détriment d’une indemnisation rapide
du territoire national.                                             de nos concitoyens.
  Il est aussi peu coûteux pour la Nation : il ne représente          La proposition de loi soumise à votre examen a intégré ces
pour les assurés qu’une dépense de vingt euros en moyenne           multiples contraintes et prévoit une refonte équilibrée du
par an et n’a mobilisé, en quarante ans, que 250 millions           régime. La République doit être aux côtés des sinistrés
d’euros de crédits budgétaires, à l’occasion de l’appel en          dans l’épreuve terrible que représente une catastrophe
garantie de l’État en 1999.                                         naturelle. Elle l’est et le sera.
   Cependant, face à l’accélération du réchauffement clima­
tique et à la demande croissante de transparence et de protec­         C’est pourquoi le Gouvernement croit pleinement à la
tion qui traverse notre société, ce régime doit évoluer. Cette      nécessité de faire évoluer le système et soutient cette propo­
volonté est partagée sur les bancs des deux assemblées et par       sition de loi et les travaux parlementaires du Sénat et de
le Président de la République, qui a appelé à un système            l’Assemblée dont elle a bénéficié. Ce texte s’inscrit pleine­
permettant des indemnisations plus justes, plus rapides et          ment dans la volonté plus générale du Gouvernement et du
plus complètes des sinistrés.                                       Président de la République de mieux prévenir les effets du
                                                                    réchauffement climatique. (M. Alain Richard applaudit.)
  Cette proposition de loi répond à ces enjeux et a bénéficié,
en ce sens, de nombreux enrichissements, que nous parta­               M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
geons, de la part des deux commissions saisies du Sénat.            (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains
                                                                    et UC.)
  Tout d’abord, elle répond à la demande légitime d’une
plus grande transparence, impérative pour renforcer la                Mme Christine Lavarde, rapporteur de la commission des
confiance dans le régime. La Commission nationale consul­           finances. Monsieur le président, mes chers collègues,
tative des catastrophes naturelles permettra, grâce aux élus et     monsieur le ministre, qui a entendu parler ici d’une
aux associations de sinistrés qui y participeront, d’établir un     éruption volcanique sur une île inhabitée ou d’une avalanche
débat public et démocratique sur le fonctionnement du               dans une zone montagneuse tout aussi inhabitée ? Personne.
régime.
                                                                       Aujourd’hui, nous entendons parler des catastrophes
  Cette proposition de loi vise également à faciliter l’accès au    naturelles, parce qu’elles emportent des conséquences sur
régime en allongeant les délais de dépôt des demandes et de         l’activité humaine, fragilisent ce qui a été construit et remet­
déclaration des sinistres et, surtout, en créant un référent        tent en question un patrimoine transmis. C’est la raison pour
dans chaque département, chargé d’accompagner dans                  laquelle un système assurantiel a été mis en place, conçu pour
leurs démarches les maires qui se sentent parfois isolés et         apporter des solutions et accompagner les sinistrés.
dépourvus de solutions face à une catastrophe naturelle.
                                                                      Fondé en 1982, il va bientôt fêter ses 40 ans. Il repose sur la
   Elle prévoit aussi une indemnisation plus rapide et plus         solidarité : chacun verse une surprime d’un niveau raison­
généreuse. Les délais de publication de l’arrêté de reconnais­      nable sur son contrat multirisque habitation – 5,5 %
sance sont réduits et, demain, les frais de relogement seront       en 1982, 12 % depuis 2000 – ou sur son contrat automo­
assumés par la solidarité nationale. Le Gouvernement                bile.
souhaite également aller plus loin, en soutenant notamment
l’idée de Mme la rapporteure de plafonner les franchises pour         Grâce à ses très nombreux cotisants, ce système est
les petites entreprises. Ces montants, parfois trop élevés, les     équilibré : le niveau de recettes obtenu atteint 1,7 milliard
empêchent parfois de reprendre leur activité à la suite d’un        d’euros en 2020, pour des dépenses moyennes de 350 à
sinistre.                                                           450 millions d’euros pour les sinistres inondations et de 1
  Le Gouvernement entend enfin renforcer, à l’occasion de           à 1,2 milliard d’euros pour les sinistres sécheresse.
cette proposition de loi, la politique de prévention. Il propose       Sur les quarante ans d’existence du dispositif, l’indemnisa­
d’utiliser l’expertise de la Caisse centrale de réassurance         tion est donc de l’ordre de 1 milliard d’euros par an pour les
(CCR) pour mieux concevoir et évaluer la politique de               sinistres non automobiles et de seulement 42 millions d’euros
prévention et ainsi s’assurer qu’elle génère le plus de fruits      par an pour les sinistres automobiles. Ce système assurantiel
possible. Il entend également responsabiliser davantage les         n’a fait qu’une seule fois appel à la garantie de l’État, par le
grandes entreprises en prenant mieux en compte leur                 truchement de la CCR, en 1999.
capacité à accroître préventivement leur résilience aux
catastrophes naturelles.                                              Il permet justement aux zones sinistrées d’être résilientes,
   En résumé, cette proposition de loi porte des dispositions       de se reconstruire et de retrouver une activité économique et
pertinentes et équilibrées face aux défis actuels. Je voudrais      humaine. De 1982 à 2020, 53 % des fonds engagés ont été
insister sur le terme « équilibre » : gardons-nous des solutions    dédiés aux inondations et 37 % à la sécheresse.
qui, prises isolément, semblent pertinentes, mais qui
pourraient mettre en péril l’architecture d’ensemble. Ainsi,          Toutefois, dans les dix dernières années, six grandes séche­
l’objectif de reconstruction résiliente, pertinent en soi, ne       resses ont frappé notre pays. Comme M. le ministre l’a
doit pas ouvrir la voie à une indemnisation excessive pour          souligné, le coût moyen d’un sinistre lié à la sécheresse est
des préjudices mineurs. Ni le régime ni les finances publiques      de 20 000 euros, quand celui d’un sinistre causé par une
ne pourraient supporter de telles dépenses.                         inondation n’est que de 8 000 euros. Ces quelques chiffres
                                                                    montrent qu’un risque menace l’équilibre du système à
   De même, l’imposition d’un excès de contraintes sur le           moyen ou à long terme, avec une augmentation des aléas
fonctionnement de la commission interministérielle ou sur           dont les conséquences sont plus coûteuses que les catastro­
les assureurs, dans un objectif louable de transparence, rédui­     phes que nous connaissions précédemment.
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  Enfin, bien que les sinistres liés aux inondations soient            Depuis quelques années déjà, le régime a mis en œuvre, en
moins coûteux, les simulations de la CCR évaluent le coût           parallèle à la logique indemnitaire, une logique de préven­
d’une survenue de la crue centennale de la Seine, analogue à        tion, avec la création, en 1995, du fonds de prévention des
celle de 1910, entre 16 et 28 milliards d’euros, tant les           risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier, dont
activités humaines se sont développées.                             le montant est financé par un prélèvement sur la prime du
 Tels sont donc les enjeux dont nous allons débattre ce             régime d’indemnités pour catastrophes naturelles.
matin.                                                                 Dans la mesure où les sommes collectées ne suffisaient pas
   Ce système repose sur le principe de la logique indemni­         pour entreprendre les actions de prévention, chaque année
taire. La garantie catastrophe naturelle est une extension de       plus importantes, ce fonds a été budgétisé et son périmètre
garantie obligatoire dans les contrats d’assurance couvrant les     élargi. Un sondage en ligne très récent indique d’ailleurs que
dommages aux biens. Elle s’applique dans les mêmes condi­           83 % des sondés considèrent que les risques naturels vont
tions que la garantie du contrat de base, selon les mêmes           s’accentuer dans leur zone d’habitation.
modalités de calcul des valeurs assurées et d’indemnisation
des dommages, le même périmètre de biens assurés.                      Après vérification, il apparaît que le fonds Barnier n’a
                                                                    financé aucune action liée à la prévention du risque séche­
   Le versement de l’indemnité par l’assureur est déclenché         resse en 2019 : 57 % des sommes ont été consacrées aux
par la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, au        inondations – conséquence du conseil de défense écologique
terme d’une procédure que certains pourront juger                   de février 2020, qui a accéléré la mise en œuvre des
complexe. La mission d’information du Sénat de 2019                 programmes d’actions de prévention des inondations
l’avait également qualifiée d’opaque et avait notamment             (PAPI) –, 20 % aux séismes, avec la troisième phase du
relevé le faible niveau de motivation des décisions.                plan Séisme Antilles, 11 % aux mouvements de terrain,
   L’article 1er de cette proposition de loi vient apporter des     6 % à la submersion marine, 3 % aux cavités souterraines,
améliorations. La commission des finances n’y a fait que des        2 % au multirisque, 1 % au reste, c’est-à-dire aux tsunamis,
corrections de forme, car nous n’avions pas de difficultés avec     aux avalanches, aux feux de forêt, mais rien pour la séche­
le texte proposé. L’article 5 prévoit un raccourcissement du        resse.
délai de publication de l’arrêté, qui passe de trois à deux
mois.                                                                 Pour autant, ce risque est important, puisque 48 % du
                                                                    territoire métropolitain est situé dans une zone d’exposition
   L’article 3 supprime la modulation de franchise qui pénali­      qualifiée de moyenne à forte.
sait les sinistrés, dès lors qu’ils vivaient dans une commune
n’ayant pas approuvé complètement son plan de prévention              La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et
des risques naturels. Il intervient également sur le niveau de la   du numérique, dite loi ÉLAN, promulguée en
franchise, notamment pour la rendre plus acceptable pour les        novembre 2018, a prévu des dispositions pour réduire la
PME et les TPE. Le coût de ces dispositifs d’ordre macro­           vulnérabilité des constructions neuves. Toutefois, les arrêtés
économiques est limité pour le système – il atteint 4 à             n’ont été publiés qu’en juillet 2020.
11 millions d’euros –, alors même qu’ils auront des consé­
quences microéconomiques – c’est-à-dire pour les sinistrés –           Nous devons rester vigilants sur certains points. Il nous
très importantes.                                                   faut nous pencher sur la bonne application de ces nouvelles
                                                                    règles, sur l’efficacité de ces nouvelles normes, sur les surcoûts
   L’article 6 étend le périmètre de l’indemnisation, qui           à la construction, dont nous devrons nous assurer qu’ils sont
comprendra désormais les frais de relogement d’urgence, si          accessibles à tous nos concitoyens et dont il faut mesurer les
le bien est la résidence principale et qu’il est rendu impropre     conséquences sur l’aménagement du territoire. En effet, que
à l’habitation. Seront également inclus les frais d’architecte et   se passera-t-il si, dans certaines zones, on ne peut plus
de maîtrise d’œuvre indispensables à la remise en état du           construire qu’à un coût très élevé ?
bien. Là encore, l’impact macroéconomique est limité pour
le fonds – 6 à 10 millions d’euros –, mais le bénéfice est très       Se pose encore une question résiduelle : quid des construc­
grand pour les sinistrés.                                           tions existantes ? Quelle réponse préventive peut-on
   L’article 5 est certainement celui qui pose le plus de diffi­    apporter ? Ce texte ne dit rien de toutes ces actions, que
cultés, notamment parce que la logique du principe indem­           nous devons encore construire ensemble. Je regrette que
nitaire impose de circonscrire le montant des travaux à la          nous ayons perdu deux ans : le texte voté par le Sénat en
valeur de la chose assurée. Or, dans le cas de l’aléa sécheresse,   février 2020 apportait déjà les réponses aux questions que j’ai
les travaux permettant un arrêt des désordres peuvent être          abordées. Il faut maintenant aller beaucoup plus loin sur la
substantiellement plus élevés que la valeur de la chose             prévention du risque géotechnique sécheresse. (Applaudisse­
assurée.                                                            ments sur les travées des groupes Les Républicains, UC et
                                                                    RDSE – M. Alain Richard applaudit également.)
  Nous sommes alors face à une catastrophe qui, de
naturelle, devient humaine : une maison héritée de ses                M. le président.   La parole est à Mme la rapporteure pour
parents ou de ses grands-parents qui se trouve fissurée n’a         avis.
plus de valeur de revente. On comprend bien les difficultés
que cela pose si le sinistré avait prévu de transmettre ce             Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis de la commis­
patrimoine à ses enfants.                                           sion de l’aménagement du territoire et du développement
                                                                    durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes
  Le texte de loi n’aborde pas cet aspect, mais il me semble        chers collègues, que de temps perdu pour nos concitoyens !
que nous devons collectivement travailler sur les actions de
prévention et sur la réduction des conséquences sur l’activité        C’est la deuxième fois en deux ans que notre commission et
humaine du risque sécheresse, lequel va devenir de plus en          le Sénat sont appelés à se prononcer sur cette réforme du
plus présent.                                                       régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.
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  La proposition de loi que j’avais déposée, au nom du                 Je regrette que nous n’examinions pas aujourd’hui une
groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et qui avait été       réforme globale, en dépit des nombreux travaux de qualité
adoptée par le Sénat à l’unanimité des présents, le                 déjà produits sur le sujet, en particulier ceux qui ont été
15 janvier 2020, et le texte du député Stéphane Baudu,              menés au Sénat par Nicole Bonnefoy dans le cadre de la
que nous examinons aujourd’hui, modifient en effet les              mission d’information présidée par notre ancien collègue
mêmes bases légales, avec les mêmes objectifs et selon des          Michel Vaspart. Cette demande de réponse juridique et
modalités sinon très proches, au moins fortement compara­           financière concrète est attendue par bon nombre de nos
bles.                                                               administrés.
   Je reviendrai plus tard sur les dispositions qui me tiennent       Les dix amendements que la commission de l’aménage­
à cœur et qui avaient été construites après un travail de six       ment du territoire et du développement durable a adoptés la
mois réalisé dans le cadre de la mission d’information sur la       semaine dernière sur mon initiative – parmi lesquels se
gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes       trouvent deux sous-amendements sur des amendements du
d’indemnisation, dont Michel Vaspart était président et dont        Gouvernement – et que je vous présenterai tout à l’heure
j’étais rapporteure.                                                visent ainsi à conforter et à approfondir les avancées du texte,
                                                                    au bénéfice des communes et des sinistrés, tout en avançant
  Je tenais, en préambule, à vous exprimer mon profond              sur le chemin d’une meilleure appréhension du risque de
regret quant à l’attitude du Gouvernement et des députés.           retrait-gonflement des argiles dans nos politiques publiques.
Ce sujet aurait pu, et aurait dû, être traité plus tôt. Près d’un
an s’est écoulé entre la transmission du texte du Sénat aux            Je forme le vœu que nous parviendrons à trouver des voies
députés et le dépôt, à l’Assemblée nationale, du texte que          de convergence avec les députés lors de la commission mixte
nous examinons aujourd’hui. L’argument de la procédure              paritaire pour, enfin, transformer l’essai de cette réforme.
accélérée ne tient donc pas. J’y vois surtout le souhait de la      J’espère également que le Gouvernement pourra nous
majorité présidentielle de s’arroger, à peu de frais, le bénéfice   proposer prochainement une réforme plus ambitieuse, à
du travail des sénateurs.                                           même de combler les angles morts de ce texte. (Applaudisse­
                                                                    ments sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE,
   Je suis donc partagée entre la satisfaction de constater que     SER et CRCE.)
nous allons enfin avancer un peu sur cette question et le
                                                                       M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet.
regret de noter que des sujets sont délaissés, à l’image du
                                                                    (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
retrait-gonflement des argiles (RGA), qui ne devait faire
l’objet que d’une demande de rapport, avant que notre                  Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le
commission intègre d’autres dispositions plus ambitieuses,          ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons
sur l’initiative de mon collègue Pascal Martin.                     aujourd’hui a comme un air de déjà-vu.
  Tel est le sentiment que je souhaitais partager avec vous.           La crise sanitaire que nous traversons a – et aura – bien des
(Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, UC et      conséquences. Mais il est un effet que nous n’avions jusqu’a­
Les Républicains.)                                                  lors jamais appréhendé : l’effacement du travail sénatorial
                                                                    réalisé avant le confinement de mars 2020. Je ne sais si les
  M. le président.   La parole est à M. le rapporteur pour avis.    scientifiques auront un avis sur le sujet, mais pour les
   M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de       sénatrices et sénateurs que nous sommes, il s’agit là d’une
l’aménagement du territoire et du développement durable.            manière de procéder bien peu respectueuse de la
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collè­       Haute Assemblée !
gues, la commission de l’aménagement du territoire et du               M. Jean-François Husson. C’est vrai !
développement durable est favorable à l’adoption de cette
                                                                       Mme Isabelle Briquet. Ainsi, la proposition de loi de notre
proposition de loi, sous réserve de l’intégration des amende­
                                                                    collègue Nicole Bonnefoy, votée à l’unanimité par le Sénat en
ments qu’elle a présentés la semaine dernière.
                                                                    janvier 2020, n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de
 Comme ma collègue rapporteure pour avis, Nicole                    l’Assemblée nationale.
Bonnefoy, j’éprouve un sentiment général mitigé.                       Les catastrophes naturelles n’ayant pas cessé pour autant,
   D’un côté, ce texte permettra des avancées en facilitant les     un nouveau texte nous est donc soumis, cette fois sur l’initia­
démarches de reconnaissance de l’état de catastrophe                tive du député Stéphane Baudu. Que de temps perdu pour
naturelle, en renforçant la transparence sur l’instruction de       toutes les victimes des aléas climatiques !
ces demandes, en permettant de mieux accompagner les                  Au-delà de la méthode, ce texte n’en aborde pas moins un
maires sur le terrain et d’améliorer l’indemnisation des sinis­     sujet particulièrement important.
trés.
                                                                       Depuis 1982, date de la mise en place du régime actuel, la
  D’un autre côté, l’ambition globale de ces dispositions me        quasi-totalité des communes françaises a été touchée par des
paraît insuffisante. Ainsi, le traitement des mouvements de         catastrophes naturelles. Cette situation est amenée à
terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols          s’aggraver, car, selon une étude de Météo-France, le change­
argileux est embryonnaire, alors que 12 000 communes                ment climatique provoquera une augmentation de la sinis­
sont aujourd’hui fortement exposées à ce phénomène.                 tralité au titre des catastrophes naturelles de 50 % à
                                                                    l’horizon 2050.
  Un chiffre m’a particulièrement marqué : si nous devions
équiper de micro-pieux les maisons actuellement situées en            Grâce aux amendements adoptés en commission, portés
zone d’aléa fort de retrait-gonflement des argiles – soit           par les sénateurs et les rapporteurs, dont je salue le travail, le
4 millions de bâtiments –, ou procéder à des réparations            texte que nous étudions aujourd’hui rétablit en partie les
importantes, le coût total de l’opération pourrait atteindre        avancées du texte sénatorial voté voilà maintenant près de
285 milliards d’euros. C’est colossal !                             deux ans : transparence de la procédure de reconnaissance de
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l’état de catastrophe naturelle et des recours possibles, en         s’agit aussi d’un sujet d’actualité, comme la tempête Aurore
portant le délai de prescription à cinq ans ; meilleure protec­      de cette nuit nous le rappelle. Une nouvelle base solide, si
tion des assurés et des sinistrés, grâce à un encadrement            possible consensuelle, voilà ce qu’on attend de nous.
renforcé des pratiques des assureurs ; prise en compte du
risque naturel spécifique au phénomène de sécheresse et de             L’engagement de la Chambre Haute sur l’évolution du
réhydratation des sols, en particulier avec l’intégration du         régime d’indemnisation des catastrophes naturelles doit être
crédit d’impôt pour la prévention des aléas climatiques,             souligné : une mission d’information, présidée par l’ancien
lequel pourra, dès lors, compléter utilement les dispositifs         sénateur Michel Vaspart et rapportée par notre collègue
d’indemnisation.                                                     Nicole Bonnefoy, a rendu des conclusions sur ce sujet
                                                                     voilà un peu plus de deux ans, ce qui a conduit à l’adoption
  Mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républi­         d’une proposition de loi par le Sénat.
cain et moi-même saluons les avancées déjà intégrées dans le
texte par la rapporteure et les commissaires aux finances, mais        Après des décennies d’inertie, comme le souligne le rapport
nous vous proposons d’aller plus loin.                               pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et
                                                                     du développement durable, les parlementaires de tous bords
  Comme dans le texte voté par le Sénat en janvier 2020,             sont pleinement mobilisés pour réformer le régime d’indem­
nous vous suggérons d’intégrer les orages de grêle et le             nisation, conformément à la promesse du Président de la
phénomène d’échouage des algues sargasses dans le régime             République de novembre 2017.
des catastrophes naturelles.
                                                                        À cet égard, je me permets une petite parenthèse sur un cas
  De plus, au regard du caractère évolutif du phénomène de           particulier, qui ne rentrait justement pas dans le cadre
sécheresse-réhydratation des sols, il convient de mieux              général : notre groupe salue l’engagement de l’ancienne
encadrer les indemnisations des assureurs pour qu’elles              sénatrice de la Gironde, Françoise Cartron, pour l’indemni­
couvrent l’intégralité des dommages occasionnés, ce que ne           sation des copropriétaires de l’immeuble Le Signal, ainsi que
prévoit pas le texte actuel.                                         celui de M. Vaspart, ancien sénateur. Leur action, nous le
  Ainsi, l’article 5 de la proposition de loi ne nous semble pas     savons toutes et tous, a été déterminante. Ce dossier en
adapté à la réalité des dommages et, par voie de conséquence,        souffrance aura trouvé une issue favorable sous cette légis­
ne nous paraît pas apporter le soutien financier nécessaire aux      lature.
sinistrés.                                                             Il nous faut désormais trouver un cadre général d’indem­
   Nous souhaitons également que ces derniers soient mieux           nisation des catastrophes naturelles. La présente proposition
accompagnés. Nous entendons ainsi instaurer une certifica­           de loi entend répondre à cette exigence d’évolution.
tion pour les experts mandatés, prévoir une communication
                                                                        Elle le fait au travers de quatre axes : renforcer la transpa­
systématique du rapport d’expertise aux assurés et intégrer
                                                                     rence de l’instruction des demandes de reconnaissance de
une étude des sols dans l’indemnisation pour apprécier
                                                                     l’état de catastrophe naturelle, en simplifier les démarches,
l’évolution des dommages.
                                                                     renforcer le dialogue entre l’État et les élus locaux et mieux
   Vous l’aurez compris, mes chers collègues, malgré la              accompagner les communes face à la gestion de tels événe­
méthode employée, nous pourrions être satisfaits de voir ce          ments, et enfin améliorer la prise en charge des dommages
sujet à l’ordre du jour de notre assemblée. Encore faut-il que       par les assureurs. Ce dernier point passe notamment par la
les amendements proposés par le Gouvernement ne viennent             prise en charge des frais de relogement et la réduction du
pas anéantir les avancées validées par les commissions des           délai de versement et d’indemnisation.
finances et de l’aménagement du territoire et du développe­
ment durable, en particulier sur les enjeux liés à la sécheresse.      Nous avons, ce matin, l’occasion de trouver une issue
                                                                     favorable à ce problème avant la fin de la mandature.
  Nous espérons que nos débats permettront d’enrichir le
texte au bénéfice des sinistrés, notamment ceux de la                  Avant d’entamer nos débats, je souhaiterais souligner deux
canicule, afin qu’ils ne soient pas, une nouvelle fois,              points de vigilance et formuler deux remarques.
oubliés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)              L’examen du texte en commission a conduit à l’ajout de
  M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.                 dispositions financières, notamment le rétablissement, à
  Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le               l’article 9, du crédit d’impôt pour la prévention des aléas
ministre, mes chers collègues, nous soutenons les dispositions       climatiques. Des mesures d’accompagnement sur le volet de
de ce texte, déposé par l’ancien député de Loir-et-Cher              la prévention des risques et du renforcement de la résilience
Stéphane Baudu et plusieurs de ses collègues et adopté en            du bâti face aux aléas naturels ont également été ajoutées.
première lecture à l’Assemblée nationale en début d’année.             Monsieur le ministre, comme le début de cette discussion
  Le dispositif qui nous est présenté répond à un constat            générale l’a montré, les débats devront vous permettre
partagé sur tous les bancs du Parlement : le régime actuel ne        d’apporter des éléments de réponse et de nous rassurer sur
répond plus aux enjeux. Dépassé, opaque, complexe, il vient          ces points.
ajouter des souffrances aux victimes, qui ont parfois tout             Par ailleurs, nous devons nous montrer ambitieux quant
perdu. Ce n’est pas acceptable.                                      aux mesures relatives au traitement et à l’indemnisation des
  C’est pourquoi cette proposition de loi vise, d’une part, à        dommages résultant des mouvements de terrain consécutifs à
améliorer la transparence de la procédure de reconnaissance          des phénomènes de sécheresse-réhydratation des sols argileux.
de l’état de catastrophe naturelle et, d’autre part, à ouvrir plus     La commission a adopté des amendements visant à une
de droits aux sinistrés.                                             meilleure connaissance locale et à une meilleure prévention
  Avant d’entrer plus avant dans le détail, notre groupe tient       du risque de retrait-gonflement des argiles. Il semble toutefois
à saluer les travaux réalisés ces dernières années au Sénat sur      qu’un certain nombre de ces informations soient disponibles
ce problème majeur et, malheureusement, d’avenir. Mais il            sur le portail Géorisques.
SÉNAT – SÉANCE DU 21 OCTOBRE 2021                                                       9485

  Aucune action de grande ampleur n’a abouti à ce jour,                C’est dans cette même attitude constructive que nous vous
alors que la situation ne cesse d’empirer. Les sécheresses de        soumettrons plusieurs amendements, qui visent à renforcer
ces dernières années ne cessent de s’amplifier et 88,3 % des         deux objectifs du texte auxquels nous souscrivons pleine­
communes de notre territoire sont affectées par le phéno­            ment.
mène de RGA.
                                                                        Le premier, c’est l’accompagnement des élus locaux.
  Là encore, le débat sera important, car il est demandé au          Comme je l’ai souligné à l’instant, les élus locaux, et singu­
Gouvernement et aux parlementaires de trouver une solution           lièrement les maires, se trouvent en première ligne pour la
après de nombreuses années d’inertie. (M. Jean-Pierre                reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Ils se
Corbisez applaudit.)                                                 trouvent souvent dans une situation délicate, pour ne pas
  M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.               dire très inconfortable, lorsqu’ils doivent expliquer à leurs
(Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI,           administrés sinistrés les conséquences d’une décision qu’ils
UC et RDSE.)                                                         n’ont pas prise et que, parfois, ils ne comprennent pas, faute
                                                                     d’avoir reçu des explications claires. Il est de notre responsa­
  M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le             bilité de leur simplifier la tâche.
ministre, mes chers collègues, comme l’ont rappelé les deux
collègues qui m’ont précédé, le texte que nous examinons               C’est la raison pour laquelle la création d’un référent au
aujourd’hui est placé sous le signe d’un déjà-vu ; pour être         sein des préfectures est une bonne mesure. Nous vous propo­
exact, il faudrait parler de trois déjà-vu.                          serons de préciser le texte, afin de nous assurer que la création
                                                                     de ce nouveau poste au sein des services de l’État n’ajoute pas
  Le premier concerne bien évidemment l’objet de ce texte, à
                                                                     de la confusion à une organisation déjà complexe.
savoir les catastrophes naturelles. Nous le savons tous, ces
phénomènes climatiques exceptionnels sont amenés à                      Le second objectif, c’est le renforcement du poids des élus
augmenter dans les prochaines décennies, tant en termes              dans la gouvernance du régime. Aujourd’hui, la détermina­
de fréquence que d’intensité.                                        tion des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe
  Ces catastrophes constituent des preuves matérielles, tangi­       naturelle et leur application aux cas particuliers sont à la main
bles, montrant que le dérèglement climatique est déjà à              de l’administration. Or il n’y a rien de plus inconfortable,
l’œuvre. Les épisodes de sécheresse ou d’inondation se               pour les élus locaux comme pour les parlementaires, que de
répètent, s’enchaînent, et chaque fois nous renvoient à la           subir des décisions sur lesquelles ils n’ont pas de prise. Plus les
même sidération initiale.                                            élus seront associés au régime, plus ils s’approprieront les
                                                                     décisions et mieux ils les expliqueront.
  Sur certains territoires, ils sont devenus la norme. Sur
d’autres, que l’on croyait épargnés, ils sont une nouveauté            Le texte que nous examinons comporte déjà plusieurs
qui fait naître un sentiment de vulnérabilité.                       mesures dans ce sens, lesquelles devraient améliorer le
                                                                     régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Nous
   Le deuxième déjà-vu se rapporte aux débats que nous               vous proposerons d’aller encore plus avant, en associant
avons déjà eus, auxquels il faut ajouter ceux que nous               mieux élus locaux et parlementaires.
allons avoir, les solutions que nous proposerons et les ajuste­
ments dont nous discuterons. Et pour cause : la multiplica­             J’espère que cette proposition de loi contribuera à rendre ce
tion des catastrophes naturelles, parce qu’elle concerne de          régime plus efficace, plus lisible et plus réactif. C’est la
plus en plus les collectivités locales, concerne de plus en          meilleure façon de préparer l’avenir, dont nous savons
plus la chambre des territoires.                                     malheureusement qu’il sera marqué par le dérèglement
   Les maires se trouvent en première ligne dans le régime des       climatique. (Applaudissements sur les travées des groupes
catastrophes naturelles : ils jouent un rôle central dans la         INDEP et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les
reconnaissance de cet état, font les demandes auprès des             Républicains.)
préfectures et assurent ensuite le « service après-vente », si         M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.
l’on peut dire, auprès des sinistrés. L’organisation actuelle de     (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains –
ce régime les met donc sous pression ; nous relayons ici leurs        Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
revendications.
                                                                        Mme Anne Ventalon. Monsieur le président, monsieur le
   Le troisième déjà-vu résulte assez logiquement des deux
                                                                     ministre, mes chers collègues, les catastrophes naturelles
premiers. Puisque les catastrophes naturelles se répètent et
                                                                     tendent à devenir plus fréquentes, favorisées par le dérègle­
s’aggravent, la représentation nationale s’empare du sujet et
                                                                     ment climatique et son cortège de drames humains, comme
les parlementaires font des propositions.
                                                                     l’ont récemment éprouvé les habitants des Alpes-Maritimes.
  Comme mes collègues l’ont rappelé, le Sénat avait déjà
adopté, en janvier 2020, une proposition de loi visant à               Mon département de l’Ardèche, avant d’être durement
réformer le régime des catastrophes naturelles. Elle s’inspirait     touché par le gel, en avril 2021, a été le théâtre d’un
des travaux d’une mission d’information menée au préalable           séisme aussi inattendu qu’inédit, frappant très durement la
par notre assemblée.                                                 commune du Teil.

   L’exposition de ces trois impressions de déjà-vu vaut expli­        Ce qui caractérise la catastrophe naturelle, c’est l’urgence.
cation de vote. Le groupe Les Indépendants – République et           Après l’intervention des secours, la gestion du temps
territoires, qui avait soutenu le travail collectif déjà mené        constitue un facteur clé pour le soutien et l’indemnisation
en 2020, soutiendra aussi cette proposition de loi, dont la          de ceux qui ont perdu une récolte, un atelier et, souvent, une
lettre et l’esprit rejoignent assez largement l’initiative sénato­   habitation représentant des années d’efforts et abritant une
riale.                                                               vie de souvenirs.
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  Pour cette raison, je salue les dispositions du texte, enrichi       M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le
par les travaux des rapporteurs, qui permettent de réduire les       ministre, mes chers collègues, le changement climatique est
délais de prise d’arrêté de reconnaissance de l’état de              donc là, et avec lui l’augmentation des risques liés à des
catastrophe naturelle et ceux relatifs aux obligations des           variations météorologiques qui s’exacerbent – tempêtes,
assureurs.                                                           inondations, sécheresses…
   Le Gouvernement aurait été bien inspiré de s’appliquer à             En France, plus d’une personne sur quatre est concernée et
lui-même cette logique de réduction des délais. Hélas, au lieu       les collectivités territoriales font face à une sinistralité de plus
de se saisir de l’excellente proposition de loi de notre collègue    en plus prégnante.
Nicole Bonnefoy, adoptée au Sénat en janvier 2020, le
Gouvernement a perdu un an, afin de soutenir un texte                  Nous partageons donc pleinement le diagnostic posé par la
issu de sa majorité.                                                 présente proposition de loi et l’idée selon laquelle il est
                                                                     nécessaire de remettre à plat des dispositifs de solidarité
  Pour les communes touchées et les éventuels sinistrés, que         nationale, comme le régime d’indemnisation des catastrophes
de temps et d’opportunités envolés ! Je pense, par exemple,          naturelles, dit régime « CatNat », conçus dans un monde qui
au déplafonnement du fonds Barnier pour les catastrophes             ne se réchauffait pas.
naturelles, prévu par la proposition de loi sénatoriale, mais
qui ne figure pas dans le présent texte.                                Face à cette évolution rapide du climat, nous regrettons
                                                                     également le temps perdu dans la procédure législative depuis
  De plus, malgré le travail salutaire de nos rapporteurs, cette     l’adoption par le Sénat, le 15 janvier 2020, de la proposition
proposition de loi ne viendra pas à bout de toutes les               de loi visant à réformer le régime d’indemnisation des
iniquités qui subsistent en matière d’indemnisation.                 catastrophes naturelles, laquelle prolongeait les travaux de
   Il faut tout d’abord obliger les experts, ce qui peut se faire    nos collègues Nicole Bonnefoy et Michel Vaspart dans le
par voie réglementaire, monsieur le ministre, à se rendre sur        cadre de la mission d’information portant sur la gestion
les lieux du sinistre. C’est la condition nécessaire pour une        des risques climatiques et l’évolution de nos régimes
meilleure expertise, assortie d’un échange contradictoire avec       d’indemnisation.
l’assuré.                                                              Nous avons à répondre à des questions redoutables,
  Dans des circonstances aussi dramatiques, la présence              assurantielles, immédiates, face à la catastrophe – le texte y
physique et le dialogue, associés à une certaine considération       revient. Plus largement, il nous faut modifier en profondeur
face à la détresse humaine, permettront de dénouer bien des          nos documents d’urbanisme et intégrer les risques à venir
tensions et d’aboutir à un règlement concerté.                       dans les constructions et les terrains à bâtir. Derrière ces
                                                                     décisions, qui demanderont beaucoup de courage politique
   Malheureusement, certaines dispositions du texte ne sont          aux élus locaux, il faudra apporter des réponses financières
pas amendables par les parlementaires, du fait de nos règles         aux pertes de valeur subies sur le bâti ou les terrains à
de recevabilité financière. Il vous revient donc, monsieur le        construire.
ministre, de rééquilibrer les relations entre assureurs et sinis­
trés.                                                                   À lui seul, le retrait-gonflement des sols argileux sous
                                                                     l’impact de la chaleur concerne des dizaines de milliers
   Lorsqu’un bâtiment est fragilisé par une catastrophe, de
                                                                     d’habitations. Or, et je crois que nous sommes tous
nouveaux dommages – notamment des fissures – peuvent
                                                                     d’accord sur ce point, le périmètre de ce texte est particuliè­
apparaître longtemps après les événements. Pour cette raison,
                                                                     rement réduit au regard de cet enjeu. (M. Pascal Martin,
les indemnisations doivent également couvrir les travaux
                                                                     rapporteur pour avis, manifeste son approbation.) Les chiffres
susceptibles de mettre définitivement fin aux désordres
                                                                     qu’a cités Pascal Martin sont de nature à gâcher le week-end
existants, c’est-à-dire les travaux de nature à ôter toute fragi­
                                                                     de la totalité des membres du ministère des finances.
lité susceptible d’apparaître dans les mois suivant la
                                                                     (Sourires.)
catastrophe sous l’effet d’une restabilisation des structures
et des variations de température.                                       Cette proposition de loi ne correspond donc pas, nous le
  De même, le montant maximal de l’indemnité à laquelle              savons tous, à une réforme en profondeur du régime
peut prétendre l’assuré devrait être indexé sur la valeur vénale     d’indemnisation des dommages liés aux catastrophes
du bien, augmentée de l’ensemble des frais de démolition             naturelles – je proposerai d’ailleurs d’en modifier le titre. Il
– et ce, bien sûr, dans la limite des frais de réparation du         s’agit davantage d’un travail préalable, nécessaire, mais non
bâtiment.                                                            suffisant.
   Or, dans sa rédaction actuelle, l’article 5 crée des condi­         L’enjeu principal n’est peut-être pas tant la réponse à
tions inéquitables d’un territoire à l’autre, la valeur vénale       apporter à la suite d’une catastrophe – même si le texte
dépendant du cours de l’immobilier et donc du lieu                   améliore quelque peu la rapidité de la réponse publique et
d’implantation du bien. Ainsi, un bien situé sur la Côte             assurantielle – que l’intégration en amont des pertes de
d’Azur serait reconstruit quand le même, situé en Ardèche,           valeur sur l’anticipation du risque.
ne le serait pas.                                                      Le groupe d’études Mer et littoral, présidé par Didier
   Ces injustices desservent certains des objectifs que ce texte,    Mandelli, a auditionné récemment l’Association nationale
pourtant bénéfique, s’est fixés. Je vous invite donc, monsieur       des élus du littoral par le biais de son président, notre
le ministre, à utiliser vos prérogatives législatives et réglemen­   collègue Jean-François Rapin. En outre, j’ai participé hier à
taires pour y remédier. (Applaudissements sur les travées du         une table ronde organisée par l’Association nationale des élus
groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit        des bassins.
également.)                                                            Les paroles des élus sont les mêmes : sans accompagne­
   M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applau­        ment, ils ne peuvent aller plus loin. L’ancien député André
dissements sur les travées du groupe GEST.)                          Flajolet, très engagé sur ces questions, disait hier que la
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