SÉNAT COMPTE RENDU INTÉGRAL - JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - Sénat
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Année 2019. – No 92 S. (C.R.) ISSN 0755-544X Mercredi 30 octobre 2019 SÉNAT JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020 COMPTE RENDU INTÉGRAL Séance du mardi 29 octobre 2019 (13e jour de séance de la session)
14658 SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 SOMMAIRE PRÉSIDENCE DE M. PHILIPPE DALLIER M. Pierre Ouzoulias Secrétaires : M. Stéphane Piednoir Mmes Catherine Deroche, Françoise Gatel. M. Patrick Kanner 1. Procès-verbal (p. 14661) M. Alain Joyandet 2. Neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation. – Adoption d’une proposition de loi Mme Esther Benbassa dans le texte de la commission modifié (p. 14661) M. Michel Savin Discussion générale : M. David Assouline Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi M. Jean Louis Masson M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, M. Guillaume Gontard de l’éducation et de la communication M. Pierre-Yves Collombat M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse Mme Nassimah Dindar Demande de renvoi à la commission (p. 14666) M. François Bonhomme Motion no 13 de M. Jean Louis Masson. – M. Jean Louis M. Fabien Gay Masson ; M. Max Brisson, rapporteur ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre ; Mme Samia Ghali ; Mme Josiane Mme Sylvie Goy-Chavent Costes. – Rejet. Mme Samia Ghali Discussion générale (suite) (p. 14669) Mme Annick Billon M. Laurent Lafon M. Jean-Marie Mizzon Mme Sylvie Robert Mme Sophie Taillé-Polian Mme Françoise Laborde M. Rachid Temal M. Antoine Karam M. Jean Louis Masson M. Laurent Duplomb M. Pierre Ouzoulias M. Jean-Michel Blanquer, ministre Mme Colette Mélot Amendement no 10 de M. Jacques-Bernard Magner. – Rejet par scrutin public no 17. M. Jérôme Bascher Amendement no 3 de M. Jean Louis Masson. – Rejet. M. Philippe Pemezec Mme Jacqueline Eustache-Brinio Mme Laurence Rossignol M. Pierre Ouzoulias Mme Pascale Gruny Adoption, par scrutin public no 18. M. Jean-Michel Blanquer, ministre Clôture de la discussion générale. Article 2 (nouveau) (p. 14697) Article 1 (p. 14680) er Amendement no 11 de M. Jacques-Bernard Magner. – M. Max Brisson, rapporteur Rejet. M. Olivier Paccaud Adoption de l’article.
SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 14659 Intitulé de la proposition de loi (p. 14698) M. Christophe Priou ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Amendement no 9 rectifié de Mme Françoise Laborde. – M. Christophe Priou. Adoption de l’amendement modifiant l’intitulé. Mme Sylvie Robert ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Vote sur l’ensemble (p. 14699) Mme Sylvie Robert. Mme Sylvie Robert M. François Bonhomme ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parle M. Pierre Ouzoulias ment ; M. François Bonhomme. Mme Françoise Gatel M. Jérôme Bascher ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Bruno Retailleau M. Jérôme Bascher. M. Jean-Michel Blanquer, ministre Conclusion du débat (p. 14712) Adoption, par scrutin public no 19, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié. Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain 3. Organisation des travaux (p. 14701) Suspension et reprise de la séance (p. 14713) Suspension et reprise de la séance (p. 14701) PRÉSIDENCE DE M. JEAN-MARC GABOUTY 4. Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? – Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain 5. Mise au point au sujet d’un vote (p. 14713) (p. 14701) Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe socialiste et 6. Politique sportive. – Débat organisé à la demande du groupe républicain Les Républicains (p. 14713) M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains chargé des relations avec le Parlement Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports Débat interactif (p. 14703) Débat interactif (p. 14716) M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Marc Fesneau, ministre M. Jean-Jacques Lozach ; Mme Roxana Maracineanu, auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le ministre des sports. Parlement. Mme Mireille Jouve ; Mme Roxana Maracineanu, ministre M. Jean-Yves Leconte ; M. Marc Fesneau, ministre auprès des sports ; Mme Mireille Jouve. du Premier ministre, chargé des relations avec le Parle ment ; M. Jean-Yves Leconte. M. Didier Rambaud ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. M. Jean-Claude Requier ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parle Mme Céline Brulin ; Mme Roxana Maracineanu, ministre ment. des sports. Mme Esther Benbassa ; M. Marc Fesneau, ministre auprès M. Dany Wattebled ; Mme Roxana Maracineanu, ministre du Premier ministre, chargé des relations avec le Parle des sports ; M. Dany Wattebled. ment ; Mme Esther Benbassa. M. Claude Kern ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des Mme Colette Mélot ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du sports. Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. M. Stéphane Piednoir : Mme Roxana Maracineanu, M. Michel Canevet ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du ministre des sports. Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Mme Sylvie Robert ; Mme Roxana Maracineanu, ministre M. Serge Babary ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du des sports. Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Mme Françoise Gatel ; Mme Roxana Maracineanu, ministre M. Jean-Yves Leconte ; M. Marc Fesneau, ministre auprès des sports. du Premier ministre, chargé des relations avec le Parle ment ; M. Jean-Yves Leconte. Mme Florence Lassarade ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports ; Mme Florence Lassarade. M. Jean-François Longeot ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le M. Christian Manable ; Mme Roxana Maracineanu, Parlement. ministre des sports.
14660 SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Roxana Maracineanu, Mme Maryse Carrère ministre des sports. M. Bernard Buis M. Olivier Paccaud ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. M. Guillaume Gontard Mme Nicole Duranton ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. M. Alain Fouché M. Jacques Grosperrin ; Mme Roxana Maracineanu, Mme Évelyne Perrot ministre des sports. M. Yves Bouloux Conclusion du débat (p. 14726) M. Claude Bérit-Débat M. Alain Dufaut, pour le groupe Les Républicains Suspension et reprise de la séance(p. 14727) Mme Nadia Sollogoub 7. Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux M. Jean-François Husson reconstruire. – Débat organisé à la demande d’une mission d’information (p. 14727) Mme Gisèle Jourda M. Michel Vaspart, président de la mission d’information M. Didier Mandelli sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission d’infor mation sur la gestion des risques climatiques et l’évolu tion de nos régimes d’indemnisation 8. Ordre du jour (p. 14741)
SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 14661 COMPTE RENDU INTÉGRAL PRÉSIDENCE DE M. PHILIPPE DALLIER Ferry, dans sa lettre de 1883 aux instituteurs et institutrices sur l’école laïque, tendant à établir la neutralité confession vice-président nelle des écoles : « Sans doute [le législateur] a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la Secrétaires : liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer Mme Catherine Deroche, enfin deux domaines trop longtemps confondus, celui des Mme Françoise Gatel. croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui M. le président. La séance est ouverte. des connaissances qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous. » (La séance est ouverte à quatorze heures trente.) Plus tard, dans sa circulaire du 15 mai 1937, Jean Zay, ministre de l’éducation nationale, soulignait à son tour 1 l’importance de la neutralité de l’école républicaine, en préci sant : « Ma circulaire du 31 décembre 1936 a attiré l’atten tion de l’administration et des chefs d’établissement sur la PROCÈS-VERBAL nécessité de maintenir l’enseignement public de tous les M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du degrés à l’abri des propagandes politiques. Il va de soi que jeudi 24 octobre 2019 a été publié sur le site internet du les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes Sénat. confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établis Il n’y a pas d’observation ?… sements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans Le procès-verbal est adopté. défaillance. » Voilà quinze ans, la loi interdisant le port de signes 2 religieux ostentatoires dans les écoles publiques françaises, voulue par le président Chirac, était adoptée par le Parle ment. Cette loi, fondée sur le principe selon lequel le dérou NEUTRALITÉ RELIGIEUSE DES PERSONNES lement des cours n’est pas possible dans de bonnes conditions CONCOURANT AU SERVICE PUBLIC DE sans la neutralité religieuse de l’école, a jeté les bases du L’ÉDUCATION confinement de la religion à l’intimité des élèves. Il était devenu indispensable de permettre à nos enfants d’acquérir Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la des savoirs dans l’harmonie garantie par la République commission modifié française, afin de préserver leur liberté de conscience. M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de Depuis lors, la question de la neutralité des accompagnants loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes des sorties scolaires refait régulièrement surface, opposant concourant au service public de l’éducation, présentée par défenseurs de la laïcité républicaine et tenants d’une laïcité Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues dite « ouverte », sans que celle-ci soit véritablement définie. (proposition no 643 [2018-2019], texte de la commission no La circulaire du 23 mars 2012 signée de Luc Chatel, alors 84, rapport no 83). ministre de l’éducation nationale, semblait avoir mis fin à Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline cette polémique : « Il est recommandé de rappeler dans le Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. (Applau règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseigne dissements sur les travées du groupe Les Républicains. – ment et de neutralité du service public sont pleinement Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.) applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition principes permettent notamment d’empêcher que les parents de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue collègues, chaque jour, près de 13 millions d’enfants et ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou adolescents sont confiés à l’école de la République, dont philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des 2,5 millions en maternelle et 4,3 millions en primaire, sorties et voyages scolaires. » généralement quatre jours par semaine, de 8 heures 30 à Ainsi était affirmée la nécessité de l’absolue neutralité des 11 heures 30 et de 13 heures 30 à 16 heures 30. parents concourant au service public de l’éducation en parti Cette école républicaine, qui trouve son socle dans les cipant aux sorties scolaires et astreints, de ce fait, au respect lois Ferry de 1881 et 1882, a pour objectif de former des des valeurs fondamentales du service public français, au citoyens à la République et de les intégrer dans la société. premier rang desquelles le principe de laïcité. Un principe, C’est la raison pour laquelle je fais miens les propos de Jules du reste, partagé à droite comme à gauche, si bien que
14662 SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 Vincent Peillon décida de ne pas abroger la circulaire Chatel, Par ailleurs, la Fédération des délégués départementaux de après l’élection de François Hollande à la présidence de la l’éducation nationale elle-même, à l’occasion de son congrès République. de juin dernier, a adopté une motion demandant la recon naissance de la fonction d’auxiliaire bénévole du service Plus tard, sitôt nommée, Najat Vallaud-Belkacem déclarait public de l’éducation pour les personnes accompagnant les que l’acceptation de la présence d’accompagnatrices voilées sorties scolaires, ce qui entraînerait pour ces personnes une lors des sorties scolaires devait être la règle et son refus, obligation de neutralité et de respect de la liberté de l’exception. Cette position peu claire a conduit les juridic conscience des enfants. tions à adopter des positions contradictoires à travers la France, laissant aujourd’hui les enseignants face à un vide Voilà pourquoi j’ai déposé, le 9 juillet dernier, en dehors juridique insécurisant, sans principe unique régissant les du contexte médiatique actuel et de toute polémique, une sorties scolaires. proposition de loi, cosignée par un certain nombre de nos collègues, tendant à assurer la neutralité religieuse des En juillet dernier, la cour administrative d’appel de Lyon a personnes concourant au service public de l’éducation. jugé que le principe de laïcité imposait que les personnes Ce texte réaffirme les principes de laïcité et de neutralité participant à des activités assimilables à celles des personnels religieuse aux articles L. 111-1 et L. 141-5-1 du code de enseignants à l’intérieur des locaux scolaires soient astreintes l’éducation et les étend aux parents d’élèves accompagnant aux mêmes exigences de neutralité. Par ailleurs, il apparaît les sorties scolaires. Les collaborateurs occasionnels du service clairement à toute personne douée d’un minimum de bon public étant, pour l’heure, considérés comme de simples sens que les sorties scolaires font partie intégrante du temps usagers de celui-ci, l’adoption de cette proposition de loi scolaire et s’inscrivent dans le cadre du service public de permettra d’étendre à ces personnes l’exigence de neutralité l’éducation. (M. Roger Karoutchi opine.) religieuse dans l’exercice de leur mission bénévole auprès des élèves. Les accompagnateurs de sorties scolaires, parents d’élève ou non, sont non pas des usagers du service public, mais bel et Mes chers collègues, il nous appartient aujourd’hui de bien des collaborateurs bénévoles de ce service, assimilés aux marquer notre attachement à la République, à ses valeurs personnels d’éducation et, par voie de conséquence, astreints et, singulièrement, à la laïcité, sans laquelle l’unité de la au respect de la neutralité de celui-ci. (M. David Assouline fait Nation est impossible et l’indivisibilité de la République, une moue dubitative.) illusoire. Il nous revient aujourd’hui, dans cet hémicycle, de défendre l’héritage de Jules Ferry et de Jean Zay, en Il est primordial de veiller au respect de la liberté de affirmant haut et fort notre détermination à protéger l’inno conscience des élèves, principe fondamental reconnu par cence et la liberté de conscience des enfants dans un pays les lois de la République, affirmé par l’article 1er de la loi secoué par des tensions politico-religieuses. du 9 décembre 1905, et de tout faire pour éviter qu’ils ne soient, du fait de leur vulnérabilité, des proies pour tous les Il s’agit non pas d’un combat entre la droite et la gauche, prosélytismes. Comme le faisait observer Lionel Jospin, alors mais d’un combat républicain, rien d’autre. Car, comme l’a ministre de l’éducation nationale, dans une circulaire souligné Robert Badinter, la laïcité est « une grande barrière de 1989, « rien n’est plus vulnérable qu’une conscience contre le poison du fanatisme ». Tous les enfants que nous d’enfant ». Et de préciser : « Les scrupules à l’égard de la accueillons dans nos écoles sont des enfants de la République, conscience des élèves doivent amplifier, s’agissant des ensei qui doivent pouvoir vivre et s’épanouir en dehors de toute gnants, les exigences ordinaires de la neutralité du service tentative d’influence, sans être les otages de pressions politi public et du devoir de réserve de ses agents. » ques ou religieuses. Nous avons à former les citoyens de demain dans une école Il convient de rappeler que les sorties scolaires constituent où ils doivent être accueillis avec sérénité et apaisement, sur des temps d’activités pédagogiques destinés aux élèves et non un socle commun : la République une et indivisible ! (Applau à leurs parents, qui n’ont en aucun cas l’obligation d’y parti dissements sur les travées du groupe Les Républicains. – ciper. De fait, l’accompagnement des sorties scolaires est MM. Jean-Pierre Corbisez et Jean-Marie Mizzon applaudissent proposé aux parents, sur la base du bénévolat ; il doit, dès également.) lors, s’inscrire dans le respect des principes régissant le service public de l’éducation. Tout parent désireux d’accompagner M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applau une classe dans le cadre d’une sortie doit donc se soumettre dissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que au principe de neutralité déjà imposé par la loi aux ensei sur des travées du groupe UC.) gnants et aux enfants. M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, Devant le vide juridique auquel nous nous trouvons monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte confrontés, mais surtout face aux graves menaces pesant politique et médiatique qui préside à l’examen de la propo sur notre unité et le respect d’un des principes qui la sition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, il fondent, la laïcité, le législateur ne peut pas rester passif. me paraît important, pour que nos débats gagnent en C’est la raison pour laquelle Jérôme Bascher, Bruno Retail sérénité, qu’ils se concentrent sur l’école, et elle seule, et leau et moi-même avions déposé, avec 103 de nos collègues, qu’ainsi nous soyons fidèles à Jean Zay, qui parlait de un amendement au projet de loi pour une école de la l’école comme « l’asile inviolable où les querelles des confiance visant à interdire aux parents d’élèves accompa hommes ne pénètrent pas ». (Applaudissements sur les gnant des sorties scolaires le port de signes religieux ostenta travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées toires. Cette disposition de bon sens, largement adoptée par du groupe UC.) le Sénat, n’a malheureusement pas été retenue par la commis sion mixte paritaire. Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 14663 M. Max Brisson, rapporteur. Permettez à l’ancien professeur accompagnateur […] Il contribue ainsi à la bonne marche d’histoire que je suis de revenir brièvement, pour peser et de l’activité pédagogique. Il a donc un devoir d’exemplarité pour poser les choses, sur ce qui caractérise, depuis l’origine, devant tous les élèves concernés par cette activité, dans son notre école publique. comportement, ses attitudes et ses propos. » Mes chers collè Pour ses pères fondateurs, l’école avait une mission essen gues, j’insiste : dans son comportement, ses attitudes et ses tielle : permettre à l’élève de se construire librement en tant propos. que citoyen, à l’abri de toute influence extérieure. Cet idéal Ajoutons qu’il paraît important de traiter cette question émancipateur a eu immédiatement un corollaire : la neutra aussi du point de vue de l’enfant. En effet, il me semble lité de l’école publique face aux croyances. Ainsi, dès 1882, le difficile de croire qu’un enfant de 4 ans, ou même de 8, serait cours d’instruction religieuse devint leçon d’instruction capable de faire la subtile différence statutaire et réglemen morale et civique. À partir de 1886, l’ensemble du personnel taire entre l’accompagnant et l’intervenant. Pour lui, il s’agit enseignant dans les écoles publiques dut être de statut laïque. dans tous les cas d’un adulte, qu’il doit écouter et vers lequel Puis, entre 1886 et 1903, les signes religieux furent progres il peut se tourner en cas de problème. sivement retirés des salles de classe. Enfin, à l’heure de la coéducation et de l’inclusion des Ce contexte historique fondateur rappelé, mon cours parents dans la communauté éducative, à l’heure où les d’histoire est achevé… (M. Roger Karoutchi sourit.) fédérations de parents d’élèves souhaitent que ceux-ci devien Quittons donc le XIXe siècle pour en venir à la situation nent davantage encore des partenaires à part entière de actuelle, en posant quatre questions nécessaires à un débat l’école, considérer le parent d’élève accompagnant une serein. sortie scolaire comme un simple tiers me paraît paradoxal. Première question : qu’est-ce qu’une sortie scolaire ? Sauf à penser que le parent serait un acteur en tout, sauf pendant la sortie scolaire, où il devrait rester motus et bouche Les circulaires de 1999 et 2011 sont claires. Celle de 1999 cousue ! Non, il s’agit bien d’un collaborateur occasionnel du précise : « Les activités pratiquées à l’occasion d’une sortie service public, bénéficiant d’ailleurs de ce statut en cas d’acci scolaire viennent nécessairement en appui des programmes. dent pendant l’activité. Elles s’intègrent au projet d’école et au projet pédagogique de la classe. Chaque sortie, quelle qu’en soit la durée, nourrit un Pour autant, une loi est-elle nécessaire ? Telle est ma projet d’apprentissages. » J’en veux pour preuve l’interdiction quatrième question. faite aux élèves, depuis la loi de 2004, de porter des tenues et Je le crois sincèrement, afin de clarifier une situation qui signes religieux ostensibles non seulement dans le bâtiment n’est pas acceptable pour les directeurs d’école et les chefs scolaire, mais aussi lors des sorties scolaires. L’application de d’établissement. cette loi par le ministre de l’éducation nationale le montre : les sorties scolaires sont bel et bien du temps scolaire. Elles De fait, l’étude du Conseil d’État de 2013 n’a pas apporté doivent donc être neutres du point de vue des croyances aux acteurs de terrain de réponses jugées suffisamment religieuses. claires. Le Conseil d’État indique que le parent d’élève est un simple usager du service public de l’éducation, non Deuxième interrogation : que signifie, justement, la neutra soumis, donc, au principe de neutralité religieuse ; mais, lité du point de vue des croyances à l’école publique ? parallèlement, il demande à l’autorité compétente de déter En la matière, le législateur s’est progressivement montré miner si « des considérations précises relatives à l’ordre particulièrement strict. Ainsi le droit impose-t-il une neutra public, au bon fonctionnement du service public d’éducation lité religieuse dans l’enseignement public aux personnels, ou à la nature des missions confiées aux parents » justifient comme dans tous les services publics, mais également aux l’application du principe de neutralité à l’adulte accompa usagers que sont les élèves, mineurs ou majeurs, depuis la loi gnant la sortie scolaire. C’est là que naît l’inconfort juridique, de 2004, qui a restreint leur possibilité d’afficher leurs qui rend une loi nécessaire. croyances religieuses – une loi simple, peu bavarde et finale ment parfaitement acceptée et appliquée. La neutralité Au reste, plusieurs syndicats de chefs d’établissement et s’impose en outre à toute personne intervenant dans une d’inspecteurs, lors de leur audition, nous ont fait remarquer salle de classe, même parent d’élève, lorsqu’elle participe à que, en l’absence de textes clairs, les directeurs apprécient des fonctions similaires à celles des enseignants, depuis la seuls les considérations mentionnées par le Conseil d’État, ce décision de la cour administrative d’appel de Lyon du qui entraîne, en fonction des écoles et parfois au sein d’une 23 juillet dernier. même commune, des décisions différentes. Cela n’est pas acceptable du point de vue du législateur. Mes chers collègues, le service public de l’éducation est M. Stéphane Piednoir. Absolument ! donc l’unique service public qui impose à ses usagers – en l’occurrence, les élèves – une restriction de la manifestation M. Max Brisson, rapporteur. Mes chers collègues, mes de leurs croyances religieuses. En somme, les intervenants à réponses à ces quatre questions vous convaincront, je l’extérieur des salles de classe, donc les accompagnants de l’espère, d’adopter la présente proposition de loi. sorties scolaires, sont désormais les seuls à ne pas être soumis, J’ajoute que, au-delà du solide travail de notre collègue dans les activités liées à l’enseignement, à ce principe de Jacqueline Eustache-Brinio, la commission a entendu neutralité religieuse ou, a minima, à une restriction de la élargir la portée du dispositif à toutes les activités liées à manifestation ostensible de leur appartenance religieuse. l’enseignement, afin de prendre en compte l’école « hors Or qu’est-ce qu’un accompagnateur ? C’est là ma troisième les murs » à laquelle j’ai fait référence. question. En revanche, comme il est logique, cette interdiction ne Son rôle est défini, notamment, par la fiche relative aux s’appliquera pas aux parents d’élèves dans leurs activités non parents d’élèves tirée du vade-mecum sur la laïcité à l’école : liées à l’enseignement : démarches administratives, rencontres « Participant à une activité scolaire, le parent devient un avec les enseignants, fête de l’école, entre autres.
14664 SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 Mes chers collègues, l’article 1er de la loi de 1905, une loi de C’est une question qui appelle discernement et esprit de liberté, affirme que la République protège la liberté de croire responsabilité. En la matière, comme M. le rapporteur l’a ou de ne pas croire et d’afficher ou non ses croyances souligné, c’est d’abord l’intérêt des élèves qui doit guider nos religieuses ; je le rappelle avec une vigueur particulière au réflexions et nos débats. lendemain de l’attaque inacceptable contre la mosquée de Il est normal qu’il y ait eu discussion sur un tel sujet, car il Bayonne, dans le département que j’ai l’honneur de repré est hybride, à plus d’un titre : il concerne une activité non senter au Sénat. située dans l’espace scolaire, mais qui relève du temps Mais si notre République est neutre et protectrice, cette scolaire ; il concerne l’encadrement des élèves par des neutralité a pris, à l’école publique, une dimension excep adultes, mais qui ne sont pas des fonctionnaires. Selon tionnelle par rapport aux autres services publics, et cela l’angle choisi, on peut défendre l’un ou l’autre des points depuis 130 ans, afin de protéger de toute influence « cette de vue. chose délicate et sacrée qu’est la conscience de l’élève », selon Le respect du principe de laïcité s’impose à l’ensemble des les mots de Jules Ferry. personnels du service public. À ce titre, il leur est interdit de Il nous appartient de parachever cette volonté continue qui manifester des convictions religieuses, notamment par le port anime le législateur depuis plus d’un siècle, afin de protéger de signes religieux ostentatoires. mieux encore l’école pour mieux protéger l’enfant et sa En revanche, la neutralité ne s’applique pas aux usagers du conscience en construction ! (Vifs applaudissements sur les service public. Cette règle connaît toutefois une exception travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon importante, prévue par la loi de 2004 : l’extension de la ainsi que MM. Michel Laugier et Jean-Claude Requier applau neutralité aux élèves des écoles primaires, des collèges et dissent également.) des lycées. Cette loi, que j’ai souvent qualifiée d’excellente, M. le président. La parole est à M. le ministre. est une de nos grandes réussites. M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale Il s’agit donc de savoir à quelle catégorie appartiennent les et de la jeunesse. Monsieur le président, mesdames, messieurs parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires : doit-on les sénateurs, dans les circonstances que nous connaissons, les considérer comme des usagers ou des collaborateurs j’exprime à mon tour, comme je l’ai déjà fait, ma solidarité occasionnels du service public ? avec les victimes de Bayonne. S’en prendre à un lieu de culte Le Conseil d’État, dans son étude de 2013, a rappelé que la est une offense doublement inacceptable : c’est s’en prendre à manifestation des convictions religieuses avait pour limite le ce que des hommes considèrent comme sacré ; par là, c’est trouble à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service s’en prendre à la République, protectrice de la liberté de public. En particulier, il a estimé, ce qui me paraît capital, conscience. que « les exigences liées au bon fonctionnement de l’éduca tion peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des Nous examinons cet après-midi la proposition de loi parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester concourant au service public de l’éducation dans le cadre leur appartenance ou leurs croyances religieuses ». des sorties scolaires. La question a déjà été débattue, ici même, voilà trois mois. Mesdames, messieurs les sénateurs, Que chacun mesure bien le sens de cette phrase, qui je vous le dis d’emblée : ma position n’a pas changé. résume le droit existant. En vertu de ce droit existant, (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) nous ne sommes pas démunis pour examiner au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d’élèves Elle demeure celle que je vous avais exposée en refusant entraîne un risque de prosélytisme ou de pression inaccep votre amendement, que, ensuite, vous avez consenti à retirer table sur les élèves. (Marques d’approbation sur les travées du en commission mixte paritaire. Je pensais d’ailleurs que nous groupe SOCR.) en resterions là… Je regrette d’avoir à revenir cet après-midi sur ces sujets. M. David Assouline. Bien sûr ! M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Une loi qui intervien Pour moi, la situation est claire. Lorsque j’ai dit, récem drait en la matière irait au-delà du nécessaire et aurait des ment encore : « pas interdit, mais pas souhaitable », je n’ai fait effets contre-productifs. que résumer la situation actuelle. J’entends ceux qui me disent : « Vous allez trop loin, car vous semblez porter un Elle irait au-delà du nécessaire, parce qu’elle poserait en jugement de valeur. » J’entends aussi ceux qui, comme les règle absolue ce qui relève du discernement quotidien. Il est défenseurs de ce texte, me disent, en sens inverse : « Alors, il impossible de demander à la loi de réglementer chaque aspect faut légiférer. » de la vie courante ! C’est ce qu’a rappelé le Président de la République lorsqu’il a évoqué les règles de civilité. Je réponds aux deux camps par la formule latine que j’ai déjà invoquée devant la Haute Assemblée voilà trois mois : In Ainsi, nous observons aujourd’hui, dans le contexte scolaire medio stat virtus. Oui, au milieu se tient la vertu ! (Exclama ou dans d’autres, que des hommes refusent de serrer la main tions amusées et applaudissements sur les travées du groupe UC.) d’une femme. C’est un fait qui nous choque, et nous devons refuser cette pratique. Virtus, comme je le souligne toujours, signifie aussi Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Comment ? « courage ». Du courage, il en faut aujourd’hui pour désigner les maux qui traversent notre société. Il n’en faut M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pour autant, il est pas moins pour, ensuite, tenir une position d’équilibre qui inimaginable, vous en conviendrez, qu’une loi impose quoi sauve notre liberté et notre concorde. C’est le trésor de notre que ce soit en la matière. (Exclamations sur les travées du République que de nous donner, avec la laïcité, les clés de la groupe Les Républicains.) liberté en même temps que de la concorde nationale. M. Philippe Pemezec. À quoi donc sert la loi ?
SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 14665 M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Souvenons-nous de Comment mieux le rappeler qu’avec les statues qui m’envi Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois néces ronnent ? Ce n’est pas seulement 1905, ce n’est pas seulement saires. » (Mme Colette Mélot et M. Emmanuel Capus applau 1881, ce n’est même pas seulement 1789 qui ont préparé la dissent.) laïcité. C’est le long travail des siècles qui a permis de faire la distinction entre ce qui relève du divin, et donc de la En allant au-delà du nécessaire, une loi serait aussi contre- conscience de chacun, et ce qui relève du politique, c’est-à- productive, parce qu’elle enverrait un message brouillé aux dire des règles communes à tous. familles. M. Olivier Paccaud. C’est ce qu’on disait en 2004… C’est Michel de L’Hospital, qui nous met en garde contre les risques de la discorde. M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous voulons rappro cher les familles des écoles : c’est la meilleure chance d’accom C’est Malesherbes, qui s’est battu pour la liberté de pensée plir le projet républicain. Ce que la République veut pour ses dans un esprit d’équilibre, en nous gardant de tout excès. enfants, c’est qu’ils puissent grandir, s’épanouir et finalement C’est Molé, qui a su se lever contre des lois injustes. atteindre l’âge adulte grâce aux lumières que donne l’éduca tion. C’est l’ensemble de nos ancêtres, et c’est enfin Portalis, qui nous enjoint de ne pas multiplier les lois inutiles, et dont les M. Philippe Pemezec. Ce n’est pas gagné : tout cela n’est propos résonnent particulièrement aujourd’hui : « il faut être que théorie ! sobre de nouveautés en matière de législation ». M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pour cela, nous avons Ce socle de laïcité, il nous vient de loin, de très loin. Mais il besoin d’un pacte entre la famille et l’école : nous devons n’est pas qu’un socle ; il est aussi le cadre de notre avenir. envoyer aux enfants le message que les parents sont les bienvenus, et que c’est ensemble, parents et école, que Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai jamais pensé que nous assurons leur éducation. C’est ainsi que nous la laïcité était un principe du passé. Je crois au contraire pouvons compter sur une contagion positive des valeurs de qu’elle est un principe profondément moderne. Ce que la République. nous voulons avec la laïcité, c’est l’application concrète de l’idéal républicain. L’école, c’est l’espace de la science, de l’argumentation, du discernement. L’enfant a besoin d’un cadre de neutralité Cet idéal républicain est un idéal d’émancipation de pour forger ses convictions et son esprit critique,… chacun par l’éducation, un idéal d’égalité. M. Philippe Pemezec. Précisément ! Il est à l’envers des projets de société de pays différents du nôtre. Je veux parler du communautarisme, qu’on trouve par M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … dans la plus belle exemple dans d’autres sociétés démocratiques et qui ne tradition philosophique et scientifique de notre pays. correspond pas à ce que nous entendons par République : L’histoire de l’école républicaine témoigne de cette volonté des sociétés qui préfèrent juxtaposer des communautés plutôt collective de mettre nos enfants à l’abri des passions des que de faire vivre le contrat social entre des citoyens égaux. adultes. M. Bruno Retailleau. Absolument ! Vous avez rappelé, madame Eustache-Brinio, monsieur le M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ces sociétés dont nous rapporteur, ce qu’écrivait Jean Zay, ministre de l’éducation ne voulons pas courent le risque de la fragmentation. nationale et des beaux-arts, dans une circulaire du M. Bruno Retailleau. Très bien ! 31 décembre 1936, qui reste une référence pour nous tous. Il écrivait que l’école doit « rester l’asile inviolable où les M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ce sont des sociétés qui querelles des hommes ne pénètrent pas ». (Marques d’appro souvent aujourd’hui s’interrogent sur leur devenir. Ils sont bation sur les travées du groupe Les Républicains.) nombreux, nos cousins, en Europe ou même ailleurs, qui voient les limites du multiculturalisme et qui comprennent La laïcité, avant d’être un principe qui s’impose à tous, fut que la vraie chance pour la liberté de conscience – je le dis à la racine de l’école de la République. Elle met en effet au- pour toutes les confessions – est celle de vivre dans un cadre dessus de tout, pour reprendre les termes de Jules Ferry, laïque. « cette chose sacrée qu’est la conscience d’un enfant ». L’école mène le futur citoyen à la liberté, c’est-à-dire à La laïcité est un trésor français. Elle se traduit par un corps l’exercice autonome de son jugement. de règles. Ce corps de règles, j’ai tenu à le préciser dès mon arrivée au ministère de l’éducation nationale. En 1882, un enseignement laïque est institué dans les écoles primaires. La morale religieuse est remplacée par Ce n’est pas un ministre inactif en matière de laïcité qui est l’instruction morale et civique. Nous sommes vingt-trois ans devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs. avant les lois de 1905. Nous aurions eu peut-être à l’époque Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Si ! des débats inversés entre les travées qui se trouvent à ma M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous avons établi un gauche et à ma droite… vade-mecum de la laïcité qui est à la disposition de l’ensemble En 1886, la loi Goblet confie à un personnel exclusivement de la communauté éducative. Il établit à partir de cas concrets laïque l’enseignement dans les écoles publiques. ce qu’il convient de faire. La loi de 2004 interdisant le port de signes ostentatoires à Nous avons mis en place des équipes laïcité mobilisées dans l’école s’inscrit dans cette longue tradition républicaine. C’est chaque rectorat pour intervenir au cas par cas dans chaque une loi de clarté qui fait aujourd’hui largement consensus. établissement, chaque fois qu’un personnel de l’éducation On le voit bien : cette laïcité est notre héritage commun. Elle estime qu’on a contrevenu au principe de laïcité. (Exclama devrait être ce qui nous unit totalement sur l’ensemble de ces tions sur les travées du groupe Les Républicains.) travées. M. Philippe Pemezec. Du vent !
14666 SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Par-delà tous les République ; il a un objet : l’émancipation de tous ; et il a discours, ce sont des centaines d’interventions qui ont eu une raison d’être qui nous unit : notre pays, la France ! lieu depuis deux ans dans les établissements pour rétablir (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que la laïcité, là où, malheureusement, elle avait été pourfendue sur des travées des groupes Les Indépendants, SOCR et UC. – depuis tant d’années. M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.) Notre combat pour la laïcité est aussi un combat contre le communautarisme et contre la radicalisation. Demande de renvoi à la commission M. Pierre Ouzoulias. Et pour l’égalité ! M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion M. Jean-Michel Blanquer, ministre. En la matière, nous no 13. n’avons pas été inactifs non plus. Je veux évidemment parler de ce que nous avons fait, y compris avec vous, Cette motion est ainsi rédigée : mesdames, messieurs les sénateurs, quand nous avons En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, donné une suite favorable à la proposition de loi, présentée le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission par la sénatrice Françoise Gatel, visant à simplifier et mieux de la culture, de l’éducation et de la communication, la encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établisse proposition de loi tendant à assurer la neutralité ments privés hors contrat. religieuse des personnes concourant au service public Grâce à cette loi, des écoles ont été fermées. Jour après de l’éducation (no 84, 2019-2020). jour, je me tiens personnellement informé des écoles et des Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du établissements dans lesquels le contenu des enseignements ou règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette le comportement du personnel va au-delà de ce qui est motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour acceptable. dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix Avec la loi pour une école de la confiance, vous avez aussi minutes également, le président ou le rapporteur de la voté il y a quelques mois le contrôle de l’instruction à commission saisie au fond et le Gouvernement. domicile, qui est désormais renforcé. En outre, la parole peut être accordée pour explication de De surcroît, par l’article 10 de cette même loi, vous avez vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, permis l’interdiction de tout prosélytisme aux abords des à un représentant de chaque groupe. établissements scolaires. (M. Jérôme Bascher s’en félicite.) La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion. Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission (Murmures sur de nombreuses travées.) de la culture, de l’éducation et de la communication. Merci ! M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est un apport consi ministre, chers collègues, je voudrais tout d’abord vous dire, dérable qui aura des effets très importants dans les temps à monsieur le ministre, que vous avez très bien parlé. Mainte venir. nant, il faut passer aux actes ; c’est ce qui a manqué, non pas seulement à ce gouvernement, mais à tous ceux qui se sont Voilà des mesures concrètes. Nous n’avons pas besoin de succédé sous les précédents présidents de la République. grands débats pour nous épuiser. Nous avons besoin, concrè tement, d’assurer un équilibre entre des positions et, surtout, Si j’ai déposé cette motion de renvoi à la commission, ce n’est pas pour m’opposer à la présente proposition de loi, de lutter contre le communautarisme, contre la radicalisation mais parce que je pense qu’il fallait aborder globalement la et pour la laïcité. problématique. Mesdames, messieurs les sénateurs, l’article premier de Récemment, le 27 octobre, Le Journal du Dimanche a notre Constitution indique le chemin dont nous devons publié un sondage qui montre l’inquiétude des Français jamais dévier. La France est une République indivisible, face à la radicalisation du communautarisme musulman. laïque,… Selon ce sondage, 78 % des Français estiment que la laïcité M. Philippe Pemezec. Justement ! est menacée par le communautarisme ;… M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … démocratique et Mme Esther Benbassa. Non, ce n’est pas vrai ! sociale. M. Jean Louis Masson. … 82 % des Français souhaitent Parce qu’elle est indivisible, nous combattons fermement l’interdiction des prières de rue dans l’espace public ;… toutes les tentations de repli communautaire. Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Nous Parce qu’elle est laïque, nous veillons à éduquer nos enfants aussi ! dans un espace de raison, hors de toute emprise, quelle qu’en Mme Claudine Lepage. Quel rapport avec le texte ? soit la nature. M. Jean Louis Masson. … 73 % des Français souhaitent Parce qu’elle est démocratique, nous luttons sans relâche l’interdiction du voile islamique ou des signes communauta contre toutes les idéologies qui prônent l’inégalité. ristes ostensibles pour les parents qui accompagnent les sorties scolaires – c’est l’objet de la présente proposition de Enfin, parce qu’elle est sociale, nous offrons le meilleur à loi ; et 72 % des Français souhaitent que l’employeur puisse chaque enfant, quelle que soit son origine, et nous portons interdire les signes religieux ostensibles pour les salariés du une attention constante aux plus fragiles pour les amener au secteur privé. plus loin de leur talent. Ce sondage confirme, d’une part, que cette proposition de Voilà la République que nous souhaitons au XXIe siècle. loi est la bienvenue et qu’elle répond à un besoin et à une Voilà le cap que nous devons toujours garder pour notre aspiration de nos concitoyens, et, d’autre part, qu’elle aurait école. Redonnons du sens au mot « laïcité », redonnons du dû aller plus loin, car il faut prendre la problématique du sens à notre destin collectif. Ce dernier a un nom : la communautarisme musulman dans sa globalité.
SÉNAT – SÉANCE DU 29 OCTOBRE 2019 14667 Ce constat m’amène à déposer la présente motion de M. Jean Louis Masson. C’est dans cette logique que j’ai renvoi à la commission. En effet, la commission aurait pu déposé trois groupes d’amendements sur le texte que nous manifestement compléter de manière utile et constructive le examinons. texte initial. Le premier vise à interdire le port du burkini et l’organi Il faut dire clairement non à tout ce qui peut favoriser de sation d’horaires séparés pour les femmes dans les piscines. près ou de loin le terrorisme islamique. Le deuxième vise à interdire le port du voile islamique et Il faut donc dire non à la radicalisation et non à toutes les des symboles communautaristes sur les lieux de travail – dans formes de communautarisme islamique. le secteur privé, pas seulement dans le secteur public –, dans les assemblées des collectivités territoriales, et, pour renforcer Il faut aussi dire non à certains flux migratoires, au sein le texte que nous examinons, dans le cadre des sorties desquels le terrorisme essaie de recruter. scolaires. À ce sujet, je pose une question : pourquoi les migrants de Enfin, le troisième groupe d’amendements – déposés trop religion islamique viennent-ils se réfugier en Europe et pas tard, ces amendements n’ont pu être enregistrés –… dans les pays musulmans, pourtant voisins, d’autant que M. Fabien Gay. On s’en passera ! certains de ces pays sont particulièrement riches et ont les moyens financiers de les accueillir ? (Marques d’amusement sur M. Jean Louis Masson. … visait à appliquer nos lois des travées du groupe Les Républicains.) relatives au bien-être animal de manière stricte, notamment en ce qui concerne l’égorgement rituel des animaux de M. Fabien Gay. Quel est le rapport ? boucherie. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, M. Emmanuel Capus. Ils n’ont pas le même droit du SOCR et LaREM. – Mme Laurence Cohen hue.) travail ! M. Fabien Gay. Il faut que ça s’arrête ! M. Jean Louis Masson. De même, pour quelle raison les M. Jean Louis Masson. Par ces amendements j’ai voulu bateaux prétendument humanitaires accueillent-ils les montrer qu’aucun communautarisme ne doit être au- migrants immédiatement en limite des eaux territoriales de dessus des lois. la Libye pour les ramener ensuite en Europe ? Si demain je vais me baigner tout habillé dans une piscine, M. Fabien Gay. Quel est le rapport ? je serai mis à la porte, car on ne peut pas se baigner sans se doucher d’abord. Je ne vois pas pourquoi des gens se récla M. Jean Louis Masson. Ceux qui conduisent ces bateaux mant de telle ou telle religion pourraient se baigner tout savent pourtant que les ports d’Algérie, de Tunisie et habillés dans une piscine. (Mme Samia Ghali s’exclame.) d’Égypte sont juridiquement sûrs au sens du droit interna tional et qu’ils sont beaucoup plus proches que les ports Ma famille a toujours vécu en France, et j’aurais moins de français. droits que ces gens qui veulent se baigner tout habillés ? Par le passé, les immigrés qui venaient en France voulaient Mme Samia Ghali. Hors sujet ! s’intégrer dans nos sociétés. Aujourd’hui, les flux migratoires M. Jean Louis Masson. Ce n’est du reste pas seulement un sont différents ; ils conduisent à la formation de noyaux problème de religion, mais un problème de propreté. communautaristes qui rejettent notre façon de vivre. Pourquoi les uns seraient-ils obligés de se doucher quand les autres pourraient se baigner tout habillés ? (Brouhaha.) Les personnes immigrées ou issues de l’immigration ne doivent pas nous imposer leurs us et coutumes. Au contraire, C’est tout à fait scandaleux, car cela caractérise le renonce si les intéressés viennent dans notre pays, c’est à eux de ment de nos dirigeants face à ce communautarisme. Il est s’adapter à notre mode de vie et aux règles de notre société. temps de réagir. N’oublions pas que le communautarisme radicalisé est un Par ailleurs, j’ai entendu certains collègues protester lorsque vivier pour les terroristes musulmans. Nous avons le devoir j’évoquais le bien-être animal. C’est pourtant la même chose : de réagir contre toutes les formes de communautarisme qui il est interdit de laisser agoniser les bovins pendant plus de alimentent directement ou indirectement le terrorisme. cinq minutes dans les abattoirs au nom du bien-être animal, et cela me semble tout à fait normal ; mais, si vous êtes Lors de la séance de questions d’actualité au Gouverne musulman ou de telle ou telle religion, vous avez le droit ment du 16 octobre dernier, j’ai rappelé une nouvelle fois de faire ce que vous voulez : vous pouvez les laisser agoniser cette réalité, et félicité l’élu de la région Bourgogne-Franche- dix minutes dans un coin, il n’y a pas de problème ! Comté qui avait protesté lors d’une séance du conseil M. Stéphane Piednoir. Quel est le rapport ? régional contre la présence, dans le public, d’une femme voilée accompagnant la sortie scolaire de jeunes enfants. Mme Samia Ghali. Il y a des sorties scolaires aux abattoirs ? Je suis heureux de constater que la grande majorité des M. Jean Louis Masson. Cette question n’est pas seulement Français pense la même chose que moi sur ce sujet. Si la religieuse, elle est économique. (Murmures appuyés et continus proposition de loi que nous examinons aujourd’hui avait été sur de nombreuses travées.) déposée plus tôt, sous d’autres gouvernements, par exemple Permettez-moi de rappeler que le code civil, qui s’applique sous la présidence de M. Sarkozy, l’incident qui est intervenu à tout le monde, précise que les animaux sont des êtres au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté n’aurait vivants doués de sensibilité. C’est à ce titre que la France pas eu lieu. réglemente l’abattage des animaux de boucherie, qui doivent Ces femmes voilées dévoient les jeunes enfants, car il est être étourdis avant d’être tués. très dangereux pour un jeune enfant d’être confronté tout Malheureusement, il y a ces dérogations qui entraînent de petit à des actes et à tendances communautaristes radicali longues agonies des animaux. Cette cruauté d’un autre âge est santes. réclamée par certaines religions. Mme Laurence Cohen. C’est n’importe quoi ! M. Stéphane Piednoir. On s’éloigne du sujet !
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