Suivi biologique de l'héparinothérapie : intérêt clinique et aspects pratiques - Semantic Scholar
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Synthèse
Ann Biol Clin 2016 ; 74 (6) : 637-52
Suivi biologique de l’héparinothérapie :
intérêt clinique et aspects pratiques
Heparin monitoring: clinical outcome and practical approach
Noémie Despas1 Résumé. Les agents anticoagulants traditionnels comme l’héparine non
Anne-Sophie Larock2 fractionnée (HNF), les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), le fon-
Hugues Jacqmin1 daparinux, le danaparoïde et la bivalirudine sont utilisés dans la prévention et
le traitement des maladies thromboemboliques. Ces molécules ont cependant
Jonathan Douxfils3
des limites : leur schéma d’administration contraignant par voie parentérale
Bernard Chatelain1 ainsi que la nécessité d’un suivi biologique régulier pour l’HNF. Les HBPM,
Marc Chatelain1 de par leur réponse anticoagulante plus prévisible, ne nécessitent pas de suivi
François Mullier1 biologique systématique. L’utilité de leur suivi biologique dans diverses situa-
1 Université catholique de Louvain, tions cliniques comme la grossesse, l’obésité et l’insuffisance rénale est, par
CHU UCL Namur, Namur thrombosis ailleurs, sujet à débat, en témoignent les divergences entre les recommandations
and hemostasis center, françaises et américaines. D’autres aspects sont également sujets à controverse :
Hematology-hemostasis laboratory,
Yvoir, Belgique la mesure de l’activité anti-Xa en vallée lors d’une grossesse ainsi que le suivi
2 Université catholique de Louvain, optimal des HBPM chez les patients carencés en antithrombine (insuffisants
CHU UCL Namur, Namur thrombosis hépatiques, nouveau-nés). Différents tests sont disponibles sur le marché afin
and hemostasis center, d’assurer le suivi biologique de ces molécules, nous reverrons dans cette revue
Department of pharmacy,
Yvoir, Belgique.
leur principe ainsi que leurs avantages et inconvénients. La prise en charge de
3 Department of pharmacy,
la thrombopénie induite par l’héparine (TIH) nécessite également l’utilisation
Namur thrombosis and hemostasis d’anticoagulants parentéraux : le danaparoïde, la bivalirudine ou l’argatroban.
center (NTHC), Namur research Les modalités de suivi de ces molécules sont peu connues et sont présentées dans
institute for life sciences (NARILIS), cette revue. De plus, une surveillance plaquettaire est indispensable. Cet article
Université de Namur, Namur, Belgique
a pour but de fournir des lignes de conduite concernant le suivi au laboratoire
des anticoagulants parentéraux.
Mots clés : suivi biologique, monitoring, héparine de bas poids moléculaire,
héparine non fractionnée, fondaparinux
Abstract. Traditional anticoagulant agents such as unfractionated heparin
(UFH), low molecular weight heparins (LMWHs), fondaparinux, danaparoid
and bivalirudine are used in the prevention and treatment of thromboembolic
diseases. However, these agents have limitations: their constraining parente-
ral route of administration and the need for regular coagulation monitoring
for HNF. The LMWHs, with their more predictable anticoagulant response,
don’t require a systematic monitoring. The usefulness of LMWHs monitoring
in several clinical situations such as pregnancy, obesity and renal insufficiency
is a matter of debate. Indeed, there is no agreement between French and Ame-
rican recommendations on this question. Others aspects are also controversial:
the measure of trough anti-Xa activity during pregnancy and the optimal moni-
toring of LMWHs for patients with antithrombin deficiency (hepatic disease,
doi:10.1684/abc.2016.1198
Article reçu le 13 juin 2016, new-borns). Different tests are available to ensure the monitoring of these drugs,
accepté le 21 juillet 2016
we will see in this review their principle, their advantages and inconvenients.
The management of heparin induced thrombocytopenia also needs parenteral
Tirés à part : F. Mullier
Pour citer cet article : Despas N, Larock AS, Jacqmin H, Douxfils J, Chatelain B, Chatelain M, Mullier F. Suivi biologique de l’héparinothérapie : intérêt clinique et aspects
pratiques . Ann Biol Clin 2016 ; 74(6) : 637-52 doi:10.1684/abc.2016.1198 637Synthèse
anticoagulants: danaparoïd, bivalirudine or argatroban. The modalities of their
monitoring are relatively unknown and are presented. Furthermore, platelet
monitoring is capital. This article aims to provide guidance about laboratory
testing of classic parenteral anticoagulants.
Key words: monitorin, fondaparinux, unfractionated heparin, low molecular
weight heparins
L’héparine non fractionnée (HNF) et les héparines de bas obtenues contiennent, dès lors, un mélange de chaînes de
poids moléculaire (HBPM) sont deux armes majeures de longueur variable selon la molécule étudiée et donc des
l’arsenal thérapeutique de l’anticoagulation. En raison de propriétés pharmacocinétiques et un effet anticoagulant
sa réponse clinique variable, l’HNF nécessite un monito- également différents. Les HBPM présentent une réponse
ring biologique étroit. En revanche, l’intérêt du suivi des anticoagulante plus prévisible que l’HNF. Cela s’explique
HBPM est controversé mais peut être conseillé dans cer- par le fait que leur chaîne de glycosaminoglycanes, plus
taines situations particulières comme les poids corporels courte, a une affinité moindre pour les protéines plasma-
extrêmes, l’insuffisance rénale, la grossesse et la pédia- tiques. Cette théorie a cependant été remise en question par
trie ou lors d’un accident hémorragique. Contrairement aux une étude réalisée in vitro. Celle-ci met en évidence une
traitements à dose curative, le suivi biologique d’un traite- variation interindividuelle de la réponse pharmacodyna-
ment prophylactique à base de dérivé héparinique n’a pas mique in vitro aussi élevée pour l’HNF que pour n’importe
démontré d’intérêt dans la prise en charge des patients, quelle HBPM (soit 25 %) lorsqu’elle est mesurée par un
même dans les populations à risque hémorragique élevé test de coagulation global comme le test de génération de
(petits poids, insuffisants rénaux, patients âgés. . .) [1]. thrombine [5, 6]. Ceci doit être confirmé in vivo. En outre,
Le but de cet article est de définir pourquoi, quand grâce à une liaison réduite à l’endothélium et aux macro-
et comment suivre les anticoagulants parentéraux phages, les HBPM ont également une demi-vie plus longue
traditionnels. que l’HNF et celle-ci est indépendante de la dose adminis-
trée (3 à 6 heures après l’injection sous-cutanée). Il faut
souligner que les HBPM à chaînes plus longues ont des
Propriétés pharmacodynamiques demi-vies plus courtes que les HBPM à chaînes réduites et
et pharmacocinétiques sont, par conséquent, moins sujettes à l’accumulation. Il est,
en effet, important de noter que les HBPM sont éliminées
Les agents anticoagulants parentéraux peuvent être divisés par les reins et peuvent donc s’accumuler dans le plasma
en deux classes : les anticoagulants indirects (HNF, HBPM, de patients atteints d’insuffisance rénale. L’incidence des
fondaparinux et danaparoïde) qui exercent leur activité en thrombopénies induites par l’héparine (TIH) est égale-
potentialisant l’effet de l’antithrombine, un inhibiteur endo- ment plus faible pour les HBPM que pour l’HNF et ce,
gène de différents facteurs activés (IIa, Xa, IXa, XIa, XIIa grâce à une liaison moindre aux plaquettes et au facteur 4
et plasmine. . .) et les anticoagulants directs (hirudine, biva- plaquettaire (PF4). Une réduction de la liaison aux ostéo-
lirudine et argatroban) ciblant directement la thrombine. blastes résulte, enfin, en une diminution des problèmes
L’HNF est un mélange hétérogène de chaînes mucopo- d’ostéoporose [2, 7].
lysaccharidiques qui, en se liant à l’antithrombine via Le fondaparinux, obtenu par synthèse chimique, mime le
une séquence pentasaccharidique, catalyse l’inactivation pentasaccharide actif des dérivés hépariniques. Il est uni-
de la thrombine, du facteur Xa et d’autres facteurs acti- quement éliminé par voie rénale (demi-vie : 17 h) [8]. Le
vés. L’HNF se lie également de manière non spécifique à danaparoïde sodique est un mélange de glycoaminogly-
d’autres protéines, cellules endothéliales et macrophages, canes (sulfate d’héparane, sulfate de dematane et sulfate de
ce qui conduit à des propriétés pharmacocinétiques (ciné- chondroïtine) potentialisant l’effet de l’antithrombine dans
tique de clairance complexe) et pharmacodynamiques son inhibition du facteur Xa. L’argatroban est, quant à lui,
imprévisibles et à une réponse clinique variable. Le pic un inhibiteur direct et réversible de la thrombine libre et liée
d’activité et la durée de l’effet n’augmentent pas de façon au thrombus. Cette petite molécule, obtenue par synthèse
proportionnelle avec l’augmentation des doses thérapeu- chimique, est éliminée par le foie (demi-vie : 45 min) via
tiques (demi-vie apparente : 30 à 150 min en fonction de la un processus générant 3 intermédiaires actifs [9].
dose administrée) [3, 4]. Il est important de noter que l’inhibition de la thrombine
Les HBPM proviennent de la dépolymérisation chimique nécessite la formation du complexe antithrombine-
ou enzymatique de l’HNF. Des procédés de dépolyméri- thrombine-héparine, ce qui n’est possible que lorsque le
sation différents existent sur le marché, les préparations dérivé héparinique possède des chaînes longues de plus
638 Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016Suivi biologique de l’héparinothérapie
Tableau 1. Ratio activité anti-Xa/anti-IIa selon les HBPM [7]. de travail dès son arrivée au laboratoire. De plus, les réactifs
doivent rester 30 minutes à température ambiante avant que
HBPM MM moyenne Ratio anti-Xa/anti-IIa l’on puisse réaliser le test. Les contrôles doivent également
Tinzaparine 6 500 1,9 rester 30 minutes sur la paillasse après leur reconstitu-
Daltéparine 6 000 2,7 tion. Notons que prélever l’échantillon dans un mélange de
Nadroparine 4 500 3,6 citrate 109 mM, théophylline, adénosine et dipyridamole
Enoxaparine 4 200 3,8
(CTAD) permet d’augmenter le délai acceptable entre la
MM : masse moléculaire. prise d’échantillon et la centrifugation à 4 heures [16, 17].
Enfin, l’héparinémie diminue plus rapidement dans des
tubes citratés contenant un volume d’air important entre le
de 18 saccharides. L’inhibition du facteur Xa se contente,
niveau de remplissage optimal du tube et son bouchon suite
quant à elle, du pentasaccharide car le complexe à former ne
à une activation plaquettaire accélérée. Cet effet disparait
comprend que l’héparine et l’antithrombine. Ceci explique
lors de l’utilisation du CTAD [18].
l’activité anti-Xa exclusive du fondaparinux. Toutes les
L’heure du prélèvement a également toute son impor-
molécules de l’HNF contenant par convention au moins 18
tance et dépend de la molécule ainsi que du schéma
saccharides, celle-ci possède dès lors un rapport d’activité
d’administration. Lors d’un traitement par héparine sodique
anti-Xa/anti-IIa égal à 1. Les HBPM, ayant une plus faible
(HNF) en perfusion intraveineuse, l’échantillon peut être
proportion de longues chaînes, leur activité inhibitrice est
prélevé, à chaque changement de dose, à n’importe quel
moindre vis-à-vis de la thrombine par rapport au facteur Xa.
moment, préférablement 4 à 6 heures après le début
Le rapport d’activité anti-Xa/anti-IIa varie, selon la propor-
de l’administration. En cas d’administration d’héparine
tion de longues chaînes, de 1,8 à 3,6 selon les molécules, ce
calcique (HNF) par voie sous-cutanée, le prélèvement
qui n’a, dans les connaissances actuelles, pas d’impact cli-
s’effectue à mi-chemin entre deux injections (6 heures après
nique d’un point de vue des complications hémorragiques
l’injection si schéma de 2 injections par jour, 4 heures après
ou thrombotiques (tableau 1). Le rapport d’activité anti-
l’injection si schéma de 3 injections par jour). L’activité
Xa/anti-IIa du danaparoïde est de 22 [2, 3].
anti-Xa doit être mesurée au pic maximal d’activité, soit
2 à 3 heures après l’injection pour le fondaparinux, 3 à
4 heures après l’injection pour les HBPM nécessitant 2
Prélèvement, traitement injections par jour (énoxaparine, daltéparine, nadroparine)
et conservation des échantillons et 4 à 6 heures après l’injection pour les HBPM nécessi-
tant 1 seule injection par jour (tinzaparine et nadroparine)
Le prélèvement et le traitement des échantillons sont des (tableau 2) [1].
étapes très importantes du suivi de ces molécules. En effet, il
a été démontré que les différents composants du système de
prélèvement (taille de l’aiguille, composition du tube col- Bilan biologique prétraitement
lecteur, concentration en citrate de sodium, etc.) pouvaient
potentiellement influencer les résultats des tests de coagula- Il est important de connaître les valeurs de l’hémogramme
tion [10]. Une contamination de la solution de citrate par un dont les plaquettes, du temps de prothrombine (TP) et du
ion bivalent comme le magnésium influence, par exemple, temps de céphaline + activateur (TCA) du patient avant
le temps de Quick [11]. Il est, dès lors, conseillé de respec- de prescrire un anticoagulant à dose prophylactique ou
ter les recommandations internationales afin d’assurer un thérapeutique. La fonction rénale, en utilisant la formule
prélèvement optimal [10, 12, 13]. de Cockcroft et Gault, doit également être explorée [1].
De plus, lors du délai entre le prélèvement et la centri- Cette formule a, en effet, été utilisée dans la majorité des
fugation, il y a un risque d’activation plaquettaire avec essais cliniques menés avec les anticoagulants. En France,
libération de PF4. Celui-ci neutralise l’héparine et entraîne les HBPM à dose curative sont contre-indiquées en cas
une sous-estimation de l’activité anti-Xa, ce qui pose pro- d’insuffisance rénale sévère (ClCr < 30 mL/min). Le fon-
blème pour le suivi biologique de l’HNF et des HBPM. daparinux, aussi bien à dose curative que prophylactique,
Par conséquent, si l’échantillon est prélevé dans un tube est également contre-indiqué lors d’une insuffisance rénale.
citraté, la centrifugation doit idéalement avoir lieu dans F × (140 − âge) ×poids×1, 73
l’heure suivant le prélèvement [14]. Il est, dès lors, conseillé ClCr =
de prévenir le laboratoire avant la réalisation de la prise 7, 2×Cp×S
de sang. L’échantillon devra ensuite être analysé endéans où F = 1,0 chez l’homme et 0,85 chez la femme, âge (année),
les 4 heures [15]. Le laboratoire demande d’être prévenu à poids (kg), Cp = concentration en créatinine plasmatique ou
l’avance afin d’acheminer l’échantillon au plus vite au poste sérique (mg/L), S = surface corporelle (m2 ).
Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016 639640
Tableau 2. Points clés à propos de l’HNF, des HBPM, du fondaparinux, du danaparoïde et de la bivalirudine [1, 2, 102].
Indications Posologie et voie d’administration Délai avant le Activité anti-Xa TCA
prélèvement (UI/mL)
Héparine non fractionnée
Synthèse
Hémodialyse Au cas par cas
Bypass cardiopulmonaire 300-400 UI/kg, à ajuster ensuite pour maintenir L’échantillon est prélevé à
l’ACT dans un intervalle de 300-400 secondes n’importe quel moment en
Héparine cas de perfusion IV,
sodique (IV) TVP associée ou non à EP 20 UI/kg/h, à adapter en fonction des résultats
préférablement 4 à 6 h
biologiques
après chaque changement
Un bolus initial de 80 UI/kg est conseillé
de dose
(50 UI/kg pour les personnes âgées)
Syndrome coronarien aigu Bolus de 60 à 70 UI/kg puis
Perfusion 12 à 15 UI/kg/h [95] 0,3 à 0,7 Ratio TCA de
(surdosage > 1,2) 1,5 à 3-8 selon
Héparine TVP associée ou non à EP 500 UI/kg/24h réparties en 2 ou 3 injections Entre deux [12] le réactif
calcique (SC) Syndrome coronarien aigu (max 0,8 mL par injection) à adapter ensuite injections : 6h après
Traitement des embolies en fonction des résultats biologiques l’injection si
artérielles extracérébrales Ou 2 injections par jour
Dose fixe sans suivi biologique : ou 4 h après
333 UI/kg 1x puis 250 UI/kg/12h l’injection si
3 injections par jour
Héparine de bas poids moléculaire : 1 injection par jour (prophylaxie)
Enoxaparine Milieu médical 4 000 UI
Milieu chirurgical De 2 000 UI à 4 000 UI selon le risque
de la chirurgie
Daltéparine Milieu médical 5 000 UI
Milieu chirurgical De 2 500 UI à 5 000 UI selon le risque
de la chirurgie Pas de suivi biologique en prophylaxie
Nadroparine Milieu chirurgical De 2 850 UI à 40 à 60 UI/kg selon le risque
de la chirurgie
Tinzaparine Milieu chirurgical De 2 500 UI à 4 500 UI selon le risque
de la chirurgie
Héparines de bas poids moléculaire : 2 injections par jour † (dose thérapeutique)
Enoxaparine TVP associée ou non à EP 100 UI/kg/12h ou 1mg/kg/12h 1,2 UI/mL (+/- 0,17)
Syndrome coronarien aigu
Daltéparine TVP constituée 100 à 120 UI/kg/12h 3 à 4 heures 0,6 UI/mL (+/- 0,25) Légèrement
Angor instable après l’injection (seuil de surdosage : prolongé
IDM sans onde Q 1,0 UI/mL)
Nadroparine TVP constituée 85 UI/kg/12h 1,0 UI/mL (+/- 0,2)
Angor instable
IDM sans onde Q
Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016Tableau 2. (Suite)
Indications Posologie et voie d’administration Délai avant le Activité anti-Xa TCA
prélèvement (UI/mL)
Héparines de bas poids moléculaire : 1 injection par jour † (dose thérapeutique)
Tinzaparine TVP constituée 175 UI/kg/24h 0,87 UI/mL (+/- 0,15) (seuil Prolongé
associée ou non à EP de surdosage : 1,5 UI/mL)
Nadroparine TVP constituée 171 UI/kg/24h 4 à 6 heures 1,34 (+/- 0,15) Légèrement
après l’injection (seuil de surdosage : prolongé
1,8 UI/mL)
Fondaparinux
TVP constituée 5 mg/24h (poids < 50 kg) 2 à 3 heures après 1,2-1,26 g/mL
EP 7,5 mg/24h (poids 50-100 kg) l’administration
Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016
10 mg/24h (poids > 100 kg)
Fondaparinux Non prolongé
Syndrome coronarien 2 à 3 heures après 0,39-0,5 g/mL
aigu l’administration
2,5 mg/24h
Prophylaxie Pas de suivi biologique
chirurgicale et médicale
Danaparoïde et bivalirudine
Si nécessaire, bolus IV :
< 55 kg : 1 250 UI 75-90 kg : 3 000 UI
55-75 kg : 2 250 UI > 90 kg : 3 750 UI
Danaparoïde Traitement de la TIH Dose d’entretien : 0,5 - 0,8 U/mL Légèrement
Perfusion continue IV : prolongé
400 UI/h x 4h puis 300 UI/h x 4h puis 200 UI/h
OU
Injections sous-cutanées
- si thrombose < 5 jours : - si thrombose > 5 jours :
< 55 kg : 1 500 UI/12h ≤ 90 kg : 750 UI/8-12h
55-90 kg : 2 000 UI/12h > 90 kg : 750 UI/8h ou
> 90 kg : 1 750 UI/8h 1 250 UI/8-12h
En cas de TIH Ratio 1,5-2,5
ICP (chirurgie
Intervention cardiaque urgente cardiaque :
Bivalirudine Sans TIH Bolus 0,75 mg/kg suivre ACT)
Intervention percutanée en cas puis perfusion IV 1,75 mg/kg/h
d’angor instable ou d’IDM
† Chez les nouveau-nés ou les enfants recevant une HBPM thérapeutique, une ou deux fois par jour, le médicament devrait être suivi biologiquement pour atteindre une valeur cible d’activité anti-Xa de
0,5-1,0 UI/mL pour les échantillons prélevés 4 à 6 heures après l’injection sous-cutanée ou de 0,5 à 0,8 UI/mL pour les échantillons prélevés 2-6 heures après l’injection sous-cutanée [95]. TVP : thrombose
veineuse profonde ; EP : embolie pulmonaire ; ACT : activated clotting time ; TCA : temps de céphaline + activateur ; IDM : infarctus du myocarde ; TIH : thrombopénie induite par l’héparine ; ICP : intervention
coronaire percutanée.
641
Suivi biologique de l’héparinothérapieSynthèse
Héparine non fractionnée Tests globaux de coagulation
Dans les recommandations françaises, l’effet anticoagulant
Le suivi biologique d’un traitement par HNF à dose curative de l’HNF, qu’elle soit prescrite par voie sous-cutanée ou
peut se faire par la mesure de l’activité anti-Xa ou du TCA. par voie intraveineuse, doit être surveillé par la mesure
Les recommandations actuelles préconisent d’atteindre une de l’activité anti-facteur Xa ou par le temps de cépha-
activité anti-Xa comprise entre 0,3 et 0,7 U/mL ou un allon- line + activateur (TCA) pour les traitements curatifs
gement correspondant du TCA. (Grade A).
Temps de céphaline + activateur (TCA)
Le test le plus couramment utilisé pour suivre un traitement
Un suivi est-il utile ? par HNF est le TCA.
En raison de sa réponse clinique variable, un traitement par Les différents réactifs disponibles sur le marché montrent
HNF nécessite un suivi biologique permettant d’adapter la une sensibilité variable à l’héparine. En effet, une étude
dose sur base des résultats d’analyse. française a récemment montré une augmentation du TCA
La 9e édition des recommandations de l’ACCP (American pouvant varier, selon le réactif utilisé, de 1,6 à 3,6 fois
college of chest physicians) suggère de privilégier la poso- et de 3 à 8 fois le temps du témoin pour une activité
logie ajustée au poids sans suivi biologique plutôt que la anti-Xa de 0,3 et 0,7 UI/mL, respectivement [27]. De
posologie fixe ou ajustée au poids avec suivi biologique plus, des réactifs trop sensibles ne permettent pas une
chez les patients présentant des thromboembolies veineuses mesure chronométrique précise et ne devraient donc pas
(TEV) traitées par HNF sous-cutanée [19]. être utilisés pour le suivi biologique de l’HNF [28, 29].
En effet, certaines études ont montré que le suivi biolo- En outre, les coagulomètres à méthode de mesure méca-
gique de l’HNF à dose thérapeutique n’était pas toujours nique en point final ont montré une plus grande sensibilité
nécessaire dans le traitement de la maladie thromboem- que ceux utilisant une méthode optique [30]. On note
bolique veineuse (MTEV). Une étude randomisée sur des également que la variabilité des résultats de TCA est
patients avec une MTEV a prouvé que, sans suivi biolo- plus faible lorsqu’on compare des combinaisons de réac-
gique, l’utilisation d’HNF sous-cutanée ajustée au poids tif/instrument similaires par rapport à des résultats obtenus
est aussi sûre et efficace que celle des HBPM également sur des combinaisons réactif/instrument différents [29].
ajustées au poids, ce qui suggère qu’un suivi biologique De plus, lorsqu’on utilise le même modèle d’instrument
par le TCA n’est peut-être pas nécessaire [20]. Néanmoins, et le même lot de réactif mais dans des laboratoires
les patients sélectionnés dans cette étude étant jeunes (âge différents, on retrouve des différences statistiquement et
moyen : 60 ans) avec un poids moyen élevé (82 kg), il cliniquement significatives pour l’intervalle de valeurs
serait imprudent de généraliser ces résultats au traitement thérapeutiques. Cela s’explique par une variation dans
de MTEV chez une femme âgée et de faible poids. En outre, les échantillons de plasma individuels ainsi que par des
une étude rétrospective récente a montré que le suivi bio- variables pré-analytiques et analytiques qui peuvent varier
logique de routine et l’ajustement de la dose d’héparine considérablement entre les hôpitaux. La détermination d’un
pouvaient s’avérer inutiles chez les patients recevant des unique intervalle thérapeutique à partir d’un seul établisse-
doses supérieures à 30 000 unités/jour [21], vu que leur ment faisant partie d’un ensemble d’hôpitaux est à proscrire
TCA correspondait à une activité anti-Xa supérieure à 0,2 [31].
UI/mL pendant en moyenne 92 % de leur temps d’action. Actuellement, l’ACCP contre-indique l’utilisation d’une
Notons que le suivi biologique de l’HNF reste indispen- cible fixe de TCA en secondes quelle que soit l’indication
sable lors de sa prescription dans d’autres indications plus thérapeutique de l’héparine non fractionnée [2, 3, 32].
largement répandues que la TVP associée ou non à l’EP Chaque laboratoire doit plutôt déterminer un intervalle thé-
(SCA [22-24], bypass cardiopulmonaire. . .). rapeutique de ratio TCA pour chacune des combinaisons
Dès lors, les recommandations françaises sont plus pru- d’instrument/réactif qu’il possède et pour chaque nouveau
dentes : « L’HNF peut être prescrite par voie sous-cutanée lot de céphaline. Sur base d’une étude prospective réali-
selon un schéma posologique adapté au poids corporel uni- sée en 1972 [33], un ratio TCA (TCA du patient divisé
quement et sans surveillance biologique en cas d’accès par un temps témoin pour un réactif donné) de 1,5 à 2,5 a
impossible ou difficile à un plateau de biologie » [25]. été adopté comme intervalle thérapeutique pour l’HNF. Le
Le suivi biologique est également utilisé pour prévenir les TCA témoin doit être établi par chaque laboratoire, à chaque
saignements mais son utilité reste controversée [26]. Notons changement de lot de réactif en tenant compte de l’automate
finalement que les preuves liant les concentrations plas- utilisé : il est, en général, défini par la moyenne arithmé-
matiques en héparine à la survenue d’hémorragie ou de tique du TCA d’au moins 30 volontaires sains. Cette zone
thrombose sont peu robustes [19]. de ratio TCA de 1,5 à 2,5 correspond à des concentrations
642 Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016Suivi biologique de l’héparinothérapie
en héparine de 0,3-0,7 UI/mL lorsqu’elles sont détermi- Tests spécifiques
nées par le test anti-Xa [34]. La procédure de définition de Tests chromogéniques anti-Xa
l’intervalle thérapeutique n’est pas établie et reste débat-
Le suivi d’un traitement par héparine non fractionnée peut
tue [35-37]. La méthode la plus précise pour déterminer
également être réalisé par la mesure de l’activité anti-Xa.
le ratio TCA équivalent à 0,3-0,7 UI/mL est de mesurer
Le test est réalisé en diluant le plasma du patient dans un
le ratio TCA et l’activité anti-Xa de plasma de patients
tampon et en incubant ce plasma dilué avec une concen-
traités avec différentes concentrations d’anti-Xa. Enrichir
tration standard de FXa. Le dosage de l’activité anti-Xa
un pool de plasma normal avec de l’héparine à différentes
est, en effet, basé sur la capacité de l’héparine à accélérer
concentrations est déconseillé car cette méthode ne tient pas
l’inhibition d’une concentration standard de FXa en pré-
compte du métabolisme in vivo de l’héparine et conduit à
sence de l’antithrombine endogène. Il existe 2 types de
un plus grand allongement du TCA par rapport aux patients
réactifs en fonction de l’apport ou non d’antithrombine
traités. Il convient ensuite d’utiliser une relation de régres-
exogène dans le tampon de dilution. Ce tampon peut égale-
sion linéaire pour calculer les ratios TCA équivalents à
ment contenir du sulfate de dextran. Le sulfate de dextran
des valeurs de 0,3 à 0,7 UI/mL d’activité anti-Xa. Cepen-
est ajouté pour se lier de manière compétitive aux pro-
dant, il faut souligner que cette méthode de calibration peut
téines neutralisant l’héparine et déplacer ainsi l’héparine
ne pas améliorer la concordance inter-laboratoires pour le
masquée, ce qui permet de restaurer l’activité fonctionnelle
suivi biologique de l’HNF [38]. Cette détermination de
totale contre le facteur Xa [64].
l’intervalle thérapeutique dans chaque laboratoire est un
Notons que les tests qui ajoutent de l’AT exogène ou du sul-
obstacle à l’utilisation du TCA dans la surveillance des
fate de dextran peuvent surestimer l’activité in vivo réelle
traitements par HNF [1].
de l’HNF, de l’HBPM ou du fondaparinux chez les patients
avec un excès de protéines plasmatiques ou un déficit en
AT [65]. Ce phénomène se rencontre également chez les
Temps de coagulation activé nouveau-nés étant donné que le fonctionnement de leur
Le temps de coagulation (ACT, activated clotting time) antithrombine est significativement diminué et que le fait
activé est utilisé pour le suivi, en délocalisé, de doses d’ajouter de l’antithrombine exogène ne permet plus de
plus élevées d’HNF administrées à des patients lors d’une refléter l’état physiologique [66].
intervention coronarienne percutanée (ICP) ou lors d’une Cette théorie est cependant controversée. En effet, certains
circulation extracorporelle (CEC). Avec ces doses, le TCA pensent que la mesure de l’activité anti-Xa sans ajout d’AT,
s’allonge au point de devenir non-mesurable et non-fiable. exogène est à proscrire chez les patients ayant une mala-
Cependant, ces deux interventions induisent des anoma- die hépatique accompagnée d’une carence acquise en AT,
lies majeures de l’hémostase qu’il est important de suivre car ce test sous-estime artéfactuellement les concentrations
[39-51]. en héparine. L’augmentation des doses envisagée par des
La cible de l’ACT avait été déterminée par des documents niveaux faibles d’activité anti-Xa conduira potentiellement
historiques en 1955 et 1978 [52, 53]. La pertinence clinique à un risque important de saignement. Cependant, lors de
de cette cible reste cependant à définir : elle n’a jamais cette étude, l’ajout d’AT exogène corrige les concentrations
été validée par des études prospectives et les réactifs et et serait, dès lors, correct [67, 68].
instruments utilisés ont changé au fil des années. Il est urgent de mettre en place des études cliniques concer-
La gestion idéale de l’anticoagulation pendant une cir- nant le suivi biologique, l’efficacité et la sécurité des
culation extracorporelle [54, 55] et pendant l’ablation héparines chez les patients cirrhotiques afin d’améliorer
par cathéter lors d’une fibrillation auriculaire [56-58] est leur prise en charge antithrombotique.
toujours controversée avec un large éventail de procé- Il existe des différences entre les méthodes de mesure
dures disponibles. Pendant la procédure d’ablation de la d’activité anti-Xa disponibles dans le commerce mais elles
FA, il est à présent recommandé d’atteindre et de main- ont peu d’impact sur le plan clinique [35]. La fréquence des
tenir un ACT de 300 à 400 secondes afin de réduire tests et les intervalles thérapeutiques sont mentionnés dans
le risque de thromboembolie systémique [59]. Cepen- le tableau 2 [27].
dant, l’ACT est affecté par un grand nombre de variables L’avantage de la mesure de l’activité anti-Xa par rapport
pré-analytiques [60] et analytiques [61, 62]. De plus, au TCA est qu’elle n’est ni influencée par la variation
en raison de différences physiologiques de l’hémostase en protéines inflammatoires comme le facteur VIII ou le
et d’effets de dilution de la circulation extracorporelle fibrinogène, ni par les déficits en facteur, ni par les anti-
chez les nourrissons, on ne peut extrapoler la gestion coagulants lupiques circulants. L’activité anti-Xa est donc
de l’anticoagulation des adultes et enfants plus âgés aux préférable au TCA, en particulier chez les enfants de moins
nouveau-nés [63]. de 1 an [69], en cas de TCA prolongé avant l’initiation
Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016 643Synthèse
du traitement et chez les patients présentant un syndrome pas utilisable et on recommande à la place la détermination
inflammatoire important affectant le TCA [35]. Lorsque de l’activité anti-Xa [3]. Les recommandations préconisent
l’allongement du TCA de base est dû à la présence d’un anti- de contrôler l’intensité de l’anticoagulation par la mesure
coagulant lupique, un réactif insensible (donnant un TCA de l’activité anti-Xa au pic de concentration (4 heures après
de base situé dans les limites de référence) doit être utilisé l’administration) et de se référer à différentes valeurs cibles
[15]. issues des essais cliniques et liées au type d’HBPM et à sa
Un déficit qualitatif ou quantitatif en AT doit être évoqué fréquence d’administration. Les valeurs d’activité anti-Xa
lorsqu’on observe une résistance clinique ou biologique à seuil définissant un surdosage n’ont pas encore été étudiées
l’héparine, ce qui se traduit par un TCA anormalement court pour toutes les molécules (tableau 2) [1, 2, 75].
et une activité anti-Xa faible (dans le cas où elle est mesu- Cependant, une des principales limites de la mesure de
rée par un procédé sans ajout in vitro d’antithrombine). Il l’activité anti-Xa est le fait que les seuils thérapeutiques
existe d’autres causes de résistance au traitement (doses ne sont pas toujours validés en termes de résultats cli-
non adaptées au poids corporel, hyperplaquettoses[70], niques [27]. Les autres limites de la mesure de l’activité
hyperfibrinogénémie. . .) [71]. anti-Xa sont la variabilité entre les différents dosages chro-
Enfin, une récente étude rétrospective de cohorte à grande mogéniques disponibles dans le commerce [76, 77] et
échelle a montré que les patients présentant un allongement l’importante variation inter-laboratoire observée au niveau
disproportionné du TCA par rapport à l’activité anti-Xa des résultats [28].
avaient un taux de mortalité dans les 30 jours plus élevé et un
risque accru de saignement. Si ces données sont confirmées Situations particulières
de façon prospective, il pourrait être utile de mesurer à la
Un suivi biologique systématique n’est pas préconisé mais
fois le TCA et l’activité anti- Xa [72].
peut être utile dans certaines situations particulières.
Grossesse
Héparines de bas poids moléculaire Les HBPM sont les anticoagulants indiqués lors d’une
grossesse. Cependant, la grossesse est caractérisée par une
Les HBPM présentent une réponse anticoagulante plus pré- augmentation du volume de distribution et de la filtration
visible que l’HNF. glomérulaire au fur et à mesure que celle-ci progresse.
C’est pourquoi certains auteurs recommandent une admi-
Un suivi est-il utile en routine ? nistration des HBPM via un schéma de 2 injections par
jour. Cependant, beaucoup de cliniciens utilisent le schéma
Les recommandations de l’ACCP ainsi que les recom-
d’administration en 1 injection par jour, celui-ci, plus
mandations françaises n’indiquent pas un suivi biologique
simple, améliore la compliance [78].
régulier du traitement par HBPM (Grade 1C) [34]. En règle
Une adaptation des doses selon la prise de poids au cours
générale, les HBPM sont administrées sous la forme de
de la grossesse devrait être considérée mais est contro-
doses fixes ou ajustées au poids, et ce, sans suivi biolo-
versée. En effet, selon certaines études réalisées chez des
gique. En effet, une étude randomisée contrôlée comparant
patientes enceintes recevant des doses thérapeutiques de tin-
des traitements de la TEV par daltéparine suivis biologique-
zaparine, plus la grossesse évolue, plus les taux d’activité
ment par rapport à d’autres non suivis n’a démontré aucun
anti-Xa sont faibles [79, 80]. Ces observations suggèrent
avantage du suivi biologique [73]. De plus, les données sur
que pour cette catégorie de patientes des doses plus élevées
la corrélation entre les niveaux d’activité anti-Xa et le risque
ajustées au poids de la patiente peuvent être nécessaires
de saignement sont controversées [2]. La corrélation entre
pour obtenir l’effet anticoagulant désiré. Cependant, une
les niveaux d’activité anti-Xa et l’efficacité antithrombo-
étude prospective unicentrique récente auprès de femmes
tique est faible [74]. En outre, le suivi biologique de routine
enceintes nécessitant un traitement anticoagulant pendant
des niveaux d’activité anti-Xa est coûteux et peu pratique
leur grossesse (sous tinzaparine à raison d’une dose quo-
pour les médecins, les patients et les laboratoires.
tidienne de 175 UI/kg) a montré qu’une anticoagulation
ajustée au poids ne permettait pas d’atteindre les niveaux
Quel test utiliser ? thérapeutiques visés pendant la grossesse. En effet, plus de
Les HBPM peuvent entraîner une prolongation du TCA (à 50 % des patientes présentaient un état d’anticoagulation
partir de 0,6 UI/mL d’HBPM) [28] mais cet effet sur le TCA infra-thérapeutique. Un ajustement des doses tenant uni-
est moindre par rapport à l’HNF. Cette action sur le TCA quement compte de la prise de poids lors de la grossesse ne
dépend de l’activité anti-IIa de la molécule et varie donc semble donc pas suffisant [81].
en fonction des spécialités. Par conséquent, dans le suivi Une autre possibilité serait d’adapter les doses selon le
biologique d’un traitement à base d’HBPM, le TCA n’est résultat d’activité anti-Xa. L’ACCP et l’ESC (European
644 Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016Suivi biologique de l’héparinothérapie
society of cardiology) recommandent actuellement [2, 87]. La prescription quotidienne d’environ 0,5 mg/kg
l’ajustement des doses d’HBPM selon le pic d’activité d’énoxaparine permet d’atteindre des niveaux d’activité
anti-Xa (4 h après l’injection d’HBPM) chez les femmes anti-Xa proches des valeurs cibles [91].
enceintes porteuses d’une valve cardiaque mécanique. En conclusion, chez les patients atteints d’obésité,
Cependant, des cas de thromboses valvulaires ont été l’adaptation des doses selon le poids du patient est recom-
rapportés chez des patientes dont le niveau d’activité mandée. Des études complémentaires concernant les doses
anti-Xa au pic atteignait les concentrations recommandées. optimales et les mesures d’activité anti-Xa liées sont, cepen-
Dès lors, d’autres auteurs ont mesuré l’activité anti-Xa dant, encore nécessaires.
à la vallée (juste avant la prochaine dose d’HBPM) et
ont observé que celle-ci était infra-thérapeutique chez la Insuffisance rénale
majorité des patientes. Ceci est probablement expliqué par Étant donné l’élimination rénale des HBPM, il existe une
l’augmentation de la clairance pendant la grossesse. Une relation inverse entre la clairance à la créatinine et les taux
mesure de l’activité anti-Xa au pic n’est donc peut-être d’activité anti-Xa chez des patients traités par l’énoxaparine
pas suffisante et il serait dès lors intéressant d’étudier [2, 92, 93]. Le risque de complications hémorragiques est
également les valeurs résiduelles d’activité anti-Xa afin de plus élevé chez les patients atteints d’insuffisance rénale
garantir une anticoagulation efficace durant l’entièreté de [2, 94, 95]. La dose correcte d’HBPM à administrer chez
l’intervalle entre deux doses [82-84]. D’autres études sur ces patients n’est donc pas évidente à estimer.
le sujet sont indispensables. Les données concernant l’accumulation des HBPM autres
Chowdary et al. proposent, quant à eux, l’utilisation du test que l’énoxaparine sont limitées. Cependant, il a été observé
de génération de thrombine (TGT) dans le suivi d’un trai- qu’utilisées aux doses thérapeutiques classiques, les clai-
tement par HBPM chez une femme enceinte. Cette étude rances de la nadroparine et de la daltéparine sont également
rapporte une association entre les niveaux d’activité anti- corrélées à la clairance à la créatinine [96-99]. Cette cor-
Xa et les différents paramètres de TGT (aire sous la courbe, rélation n’est par contre pas retrouvée avec la tinzaparine.
hauteur du pic, tmax). Plus l’activité anti-Xa est élevée plus Cette différence au niveau de la tinzaparine chez les patients
l’aire sous la courbe et la hauteur du pic diminuent, contrai- présentant une insuffisance rénale sévère peut s’expliquer
rement au tmax qui augmente. Ils ont également observé par un métabolisme hépatique, probablement lié au poids
une variation significative des valeurs absolues des para- moléculaire plus élevé de la tinzaparine par rapport aux
mètres de TGT entre les individus pour une valeur d’activité autres HBPM.
anti-Xa donnée. L’utilisation du TGT permettrait de réduire Afin d’optimiser l’utilisation des HBPM chez les insuffi-
le risque thrombotique lié à une anticoagulation insuffisante sants rénaux sévères (ClCr < 30 mL/min), deux approches
chez la femme enceinte, en raison d’une activité anti-Xa peuvent être envisagées : un suivi biologique par mesure
normale [85]. de l’activité anti-Xa ou une réduction empirique de la dose
d’HBPM à administrer. Pourtant, la question concernant
Obésité l’avantage réel du suivi de l’activité anti-Xa pour évaluer
L’obésité est un important facteur de risque de thromboem- l’efficacité et la sécurité des HBPM reste débattue, en par-
bolie veineuse [86] et les doses standards établies ne sont ticulier chez les patients présentant une insuffisance rénale
pas optimales chez ces patients [87-89]. Les recommanda- [75, 100, 101].
tions de l’ACCP préconisent des doses basées sur le poids De son côté, l’ACCP a proposé, avec un faible niveau de
chez les patients obèses recevant de l’HBPM en prophylaxie recommandation, de réduire de manière empirique la dose
ou en traitement curatif (Grade 2C) [34]. de 50 % par rapport à la dose conseillée pour l’énoxaparine
Dans une méta-analyse incluant des données de 921 chez les patients atteints d’insuffisance rénale sévère (ClCr
patients avec un indice de masse corporelle (IMC) < 30 mL/min) présentant un syndrome coronarien aigu
supérieur à 30, le taux de saignements majeurs n’était ou une TEV [2]. Toutefois, une diminution empirique de
pas augmenté chez les patients obèses par rapport aux la dose initiale d’énoxaparine sans suivi biologique sys-
patients non obèses lorsque la dose d’HBPM était ajustée tématique pourrait conduire à une activité anti-Xa au pic
en fonction du poids corporel total [2]. Dans une étude qui serait inférieure à 0.5 UI/mL et qui entraînerait alors
prospective réalisée récemment sur 3 928 patients hospita- une augmentation du risque thrombotique [102]. Aucune
lisés souffrant d’obésité morbide, la thromboprophylaxie à recommandation spécifique n’a été établie au sujet des
haute dose permettait de réduire de moitié le risque de TEV autres HBPM vu le manque de données disponibles [2, 103].
symptomatique sans risque accru de saignement [90]. Pour Les recommandations françaises sur le sujet sont par
la thromboprophylaxie à l’énoxaparine et à la nadroparine ailleurs les suivantes : « les HBPM sont contre-indiquées
à dose fixe, il existe une corrélation inverse entre la masse à dose curative en cas d’insuffisance rénale sévère définie
corporelle et l’activité anti-Xa chez les patients obèses par une clairance de la créatinine estimée par la formule de
Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016 645Synthèse
Cockcroft inférieure à un chiffre de l’ordre de 30 mL/min ; En 2012, un document du sous-comité de l’hémostase
elles sont déconseillées à dose curative, si la clairance est pédiatrique de la Société internationale de thrombose et
comprise entre 30 et 60 mL/min. Si les HBPM sont contre- d’hémostase (ISTH) a recommandé une approche par
indiquées, l’HNF peut être utilisée » [1]. étapes afin d’obtenir ces preuves [94].
Lorsqu’elles sont administrées à des doses prophylactiques,
il n’a pas été démontré que les HBPM entraînent un risque
accru de complications hémorragiques, quel que soit le Suivi biologique des HBPM : comparaison
degré d’altération de la fonction rénale [2]. des recommandations
Dans cette catégorie de patients, l’HNF, moins dépendante Recommandations françaises [1, 25]
de la fonction rénale, reste dans la plupart des cas un
Le seul intérêt du dosage de l’activité anti-Xa chez un
meilleur choix que les HBPM, et ce malgré ses nombreux
patient traité par HBPM est de détecter les situations à
autres inconvénients [96]. La question de l’insuffisance
risque d’accumulation ou de surdosage. Le suivi biologique
rénale se pose, entre autres, chez les personnes âgées.
des HBPM est dès lors recommandé par l’ANSM chez les
Nouveau-nés et enfants patients atteints d’insuffisance rénale légère à modérée (Clcr
entre 30 et 60 mL/min, utilisation d’HBPM déconseillée
On observe un profil pharmacodynamique différent pour
mais pas contre-indiquée) dont les personnes âgées, chez les
l’anticoagulation chez les enfants étant donné la variabilité
petits poids (< 40 kg) ou lors d’un accident hémorragique.
des paramètres pharmacocinétiques liée à l’âge (clairance,
Les valeurs d’activité anti-Xa attendues sont identiques à
volume de distribution et demi-vie) [66, 104].
celles obtenues dans la population générale.
La 9e édition des recommandations de l’ACCP conseille
Si lors d’un suivi, l’activité anti-Xa obtenue est trop faible, il
un suivi biologique chez les nouveau-nés ou les enfants
convient tout d’abord de vérifier que l’heure du prélèvement
recevant une HBPM thérapeutique en une ou deux injec-
correspond bien au pic. Il n’est pas nécessaire d’augmenter
tions quotidiennes. La cible d’activité anti-Xa à atteindre
la posologie si celle-ci est bien adaptée au poids du patient
est alors de 0,5 à 1,0 UI/mL pour les échantillons prélevés
et que le médicament a bien été administré. Il existe, en
4 à 6 heures après l’injection sous-cutanée ou de 0,5 à 0,8
effet, une grande dispersion des valeurs d’activité anti-Xa
UI/mL pour les échantillons prélevés 2 à 6 heures après
au pic selon les patients.
l’injection sous-cutanée [105].
Une étude récente a montré que l’adaptation posologique
Recommandations de l’ACCP [2]
d’énoxaparine pour atteindre des niveaux thérapeutiques
d’activité anti-Xa peut être affectée par le manque de stan- Les recommandations de l’ACCP préconisent un suivi bio-
dardisation des analyses. Les tentatives d’ajustement des logique des HBPM chez les femmes enceintes porteuses
doses afin d’atteindre les valeurs cibles d’activité anti-Xa d’une valve cardiaque mécanique et chez les nouveau-nés
peuvent entraîner des variations significatives de dose qui ainsi qu’une adaptation de la posologie chez les patients
peuvent être bénéfiques ou non pour les soins des patients souffrant d’obésité et d’insuffisance rénale [105].
en pédiatrie. Il est possible que les nouveau-nés ou les
enfants ayant une fonction rénale normale puissent être trai-
Association entre une anticoagulation
tés en toute sécurité avec des doses standardisées basées sur
suboptimale et le risque
le poids et l’âge, sans nécessité de suivi biologique. Par
d’évènement ischémique [102]
conséquent, les auteurs suggèrent qu’une étude clinique
prospective, multicentrique et randomisée est nécessaire Une étude a démontré que, chez des patients traités par
en pédiatrie. Son but serait de comparer la sécurité et énoxaparine pour un syndrome coronarien aigu, une faible
l’efficacité de l’administration d’énoxaparine basée sur le activité anti-Xa (< 0,5 UI/mL) était fortement associée
poids corporel avec et sans adaptation posologique. Cette à un risque d’évènement ischémique récurrent dans les
dernière se ferait en fonction de l’activité anti-Xa et en 30 jours et à une mortalité précoce, indépendamment des
utilisant pour cela un test standardisé [106]. autres facteurs de risque. Dans l’étude, la réduction de la
Des modèles pharmacodynamiques robustes restent dose d’HBPM chez ces patients à haut risque hémorragique
nécessaires dans la pratique pédiatrique. En effet, les explique leur faible activité anti-Xa.
recommandations actuelles concernant la dose d’héparine Ceci met en lumière l’intérêt d’un dosage d’activité anti-Xa
à administrer en pédiatrie ainsi que son suivi biologique lorsqu’il est décidé de diminuer les doses d’HBPM admi-
sont uniquement extrapolées à partir de l’adulte et ne nistrées aux patients à haut risque hémorragique tels que
sont pas fondées sur des preuves tangibles [104]. Les les insuffisants rénaux. L’activité anti-Xa doit atteindre un
intervalles thérapeutiques ne sont pas bien corrélés avec les minimum de 0,5 U/mL chez des patients traités par énoxa-
résultats cliniques et les analyses ne sont pas standardisées. parine pour un syndrome coronarien aigu.
646 Ann Biol Clin, vol. 74, n◦ 6, novembre-décembre 2016Vous pouvez aussi lire