Témoignage devant le Comité sénatorial permanent des

 
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                     Témoignage devant le Comité sénatorial permanent des
                               affaires juridiques et constitutionnelles
                                    par Raphael Cohen-Almagor
         Professeur et chaire de recherche en politique, Université de Hull (Royaume-Uni)

2 février 2021

Merci de m’avoir invité à vous faire part de mon opinion sur le sujet de la fin de vie aujourd’hui.

Je m’appelle Raphael Cohen-Almagor. Depuis 30 ans, j’étudie les questions entourant la fin de vie.
D’un point de vue éthique, je crois que les patients devraient pouvoir bénéficier d’une aide médicale
en fin de vie. Cela devrait être fait de la manière la plus attentive et la plus prudente possible.

Je me suis lancé dans la recherche sur la fin de vie lorsque j’étais à l’université Oxford. Puisque
nous parlons de questions de vie et de mort, je croyais, et je crois toujours, qu’un travail de terrain
est indispensable. J’étais d’avis qu’il serait non professionnel et irresponsable de ma part de
recommander quelque chose qui repose uniquement sur une étude documentaire.

Dans le cadre de mon enquête, j’ai donc visité des dizaines de centres de recherche médicale dans
neuf pays : le Royaume-Uni, Israël, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les
Pays-Bas, la Belgique et la Suisse. J’ai rencontré des médecins, des infirmières, des travailleurs
sociaux, des psychologues, des psychiatres, des spécialistes des soins palliatifs, des politiciens,
des patients et leurs familles, des éthiciens médicaux, des avocats, des militants des droits de la
personne, des dirigeants d’associations de défense des droits des patients, des directeurs de
sociétés de défense du droit de mourir et des spécialistes des sciences sociales. Des ONG comme
Care and Alliance, Fédération mondiale des sociétés pour le droit de mourir, Eutanasie Stop, IRDIS
– Institut de recherche et de développement sur l’intégration et la société, Coalition pour la
prévention de l’euthanasie, Living and Dying Well, No Less Human, et Care Not Killing se sont
avérés de précieux atouts pour mes recherches.

Mes recherches ont de nombreuses répercussions concrètes. J’ai corédigé le document d’Israël
Dying Patient Law1. Mes recommandations ont directement influé sur la politique d’Israël en matière
de transplantation d’organes. En 2014, elles ont d’ailleurs été adoptées par le ministère israélien de
la Santé. J’ai participé en tant qu’expert-conseil à de nombreuses initiatives législatives sur la fin de
vie en Australie, en Belgique, en Grande-Bretagne, au Canada, en Israël, en Nouvelle-Zélande, en
Afrique du Sud et aux États-Unis. Mes recherches ont été débattues au sein des parlements
israélien et belge et ont été citées par la Cour suprême d’Israël. En 2014, des citoyens canadiens
et des associations de patients m’ont demandé d’écrire aux ministres au sujet du projet de loi 52.
J’ai eu une correspondance avec l’honorable Peter MacKay, ministre de la Justice et procureur
général du Canada, M. Bertrand St-Arnaud, ministre de la Justice et procureur général du Québec,
et avec le Dr Réjean Hébert, ministre de la Santé et des Services sociaux. Je les ai exhortés à
inclure à la politique de fin de vie de nombreuses garanties afin d’éviter les abus. Je les ai également
implorés d’étudier différents modèles, en plus du modèle néerlandais, avant de prendre une décision
[R11, R12, R14]2. J’étais très désolé de voir que les législateurs canadiens avaient opté pour l’aide

1
    Dying Patient Law (15 décembre 2005).
2
    R=Référence à mes écrits, dans l’encadré ci-dessous.
2

médicale à mourir, pratique qui comprend à la fois l’euthanasie et le suicide assisté. Je ne crois pas
que la pratique de l’euthanasie serve l’intérêt supérieur du patient. J’ai clairement exprimé mon
opposition à l’euthanasie dans mes lettres aux ministres et fréquemment dans mes écrits sur le sujet
[R5, R8, R9, R12].
Avec les progrès de la technologie et l’allongement de l’espérance de vie, et devant l’opposition plus
forte au paternalisme médical et une plus grande importance accordée à l’autonomie personnelle,
de plus en plus de personnes souhaitent décider de l’heure de leur mort. D’un point de vue
philosophique, un solide argument éthique peut être avancé pour permettre aux patients de décider
du moment de leur mort. Les libéraux perçoivent cela comme un droit humain fondamental.
Différents facteurs entrent toutefois en jeu : 1) l’autonomie du patient; 2) la dignité du patient. Un
juste équilibre doit être établi entre ces facteurs et les facteurs non moins importants : 3) le devoir
de prévenir les abus, et 4) le devoir de l’État de protéger les populations vulnérables.

Un examen approfondi des politiques de fin de vie dans les neuf pays que j’ai étudiés jusqu’à
maintenant m’a amené à penser que l’État de l’Oregon a mieux réussi que d’autres territoires à
trouver le juste équilibre entre lesdits facteurs contradictoires [R11]. Dans mon livre, The Right to
Die with Dignity (2001) [R8], résultat de neuf années de recherche et de réflexion, j’explique quelle
politique de fin de vie est la plus adaptée aux démocraties libérales. La théorie que j’ai développée
dans ce livre et dans mes écrits ultérieurs sur le droit de mourir dans la dignité cherche un équilibre
entre l’autonomie des patients et les bonnes pratiques de médecine en fin de vie. Elle démontre le
pouvoir de la législation de façonner les politiques [R2] ainsi que ses limites [R1, R6]. Mon deuxième
livre, Euthanasia in the Netherlands: The Policy and Practice of Mercy Killing (2004) [R9], expose
les abus de la pratique de l’euthanasie aux Pays-Bas. La politique s’applique à la société tout
entière, et non à des cas particuliers. En effet, la politique peut toucher des cas particuliers et leur
nuire, en nuisant à leur intérêt supérieur. Je ne suis pas en mesure de soutenir une politique aussi
dangereuse. La distinction entre raisonnement moral et élaboration des politiques est ténue. Je suis
incapable d’adhérer à un raisonnement moral abstrait tout en ignorant les faits.

J’ai par la suite poursuivi mes recherches en Belgique où mes préoccupations se sont accrues à
force d’entendre de plus en plus de cas d’abus, de mise à mort de patients sans leur consentement,
d’abus du système qui permet des pratiques de fin de vie selon des procédures laxistes qui
pouvaient être exploitées par des personnes pour diverses raisons qui vont à l’encontre de l’intérêt
supérieur des patients. Trop souvent, des patients qui auraient dû recevoir de meilleurs soins ont
été mis à mort. Actuellement, en collaboration avec des chercheurs universitaires suisses et
américains, je me penche sur la situation qui prévaut en Suisse, le seul pays qui pratique le suicide
assisté (à distinguer du suicide médicalement assisté).

Principale conclusion de recherche : Potentiel d’abus
Un aspect essentiel de mes recherches concerne la protection des droits et des intérêts des patients
[R5]. Dans un grand nombre de cas, les médecins raccourcissent la vie des patients sans leur
consentement [R3]. On a dénombré divers cas où des « médecins se prenant pour Dieu » ont abusé
de leur position et de leur autorité pour prendre des décisions qui n’étaient pas dans l’intérêt
supérieur des patients [R1 à R4]. En outre, les soins de fin de vie sont souvent compromis en raison
de facteurs économiques et d’une pénurie de ressources [R2]. J’ai critiqué le document de
déclaration du Conseil de la Société belge de médecine des soins intensifs sur l’administration
d’agents sédatifs dans l’intention directe « de raccourcir le processus des soins palliatifs terminaux
3

touchant des patients sans perspective de rétablissement significatif3 ». Des lignes directrices et
des mécanismes de contrôle adéquats sont nécessaires pour prévenir les abus de pouvoir et faciliter
la confiance accordée aux médecins pour guérir, soutenir et soigner les personnes lorsque les
besoins sont les plus grands et qu’elles sont sans défense 4 . Les dossiers médicaux devraient
comprendre des documents relatifs à l’état de santé, aux souhaits exprimés par le patient, au
processus décisionnel, aux discussions avec le patient et/ou ses proches, aux médicaments
palliatifs qui ont été administrés, à l’utilisation ou non d’une hydratation et d’une nutrition artificielles
et aux effets de l’intervention [R3].

Principale conclusion de recherche : l’importance du maintien de la confiance entre les
médecins et les patients
Les bonnes pratiques de médecine passent par une bonne communication. Les patients doivent
sentir qu’ils sont entre bonnes mains, et que le médecin protégera et favorisera leurs intérêts
supérieurs. J’ai fait valoir que les médecins ne devraient pas proposer l’euthanasie aux patients. Si
les patients souhaitent l’euthanasie, ce sont eux qui devraient ouvrir la discussion. Mon argument
c’est que si les médecins proposent l’euthanasie, cela pourrait susciter un sentiment d’abandon de
la part des patients, compromettre la nature volontaire de la demande exigée par les lignes
directrices sur l’euthanasie, exercer une pression sur les patients pour qu’ils choisissent de mourir
et nuire à la recherche de traitements de rechange, comme de bons soins palliatifs. L’éthique
professionnelle stipule de mettre l’accent sur l’exigence procédurale selon laquelle c’est le patient -
et non le médecin - qui doit soulever la question [R10].

Principale conclusion de recherche : l’importance des soins palliatifs
La décision du patient peut parfois être motivée par une douleur intense, et le rôle des soins
palliatifs peut donc être crucial. Le médecin traitant doit informer le patient de toutes les solutions
de rechange possibles, et il doit consulter un spécialiste des soins palliatifs qui informera le patient
des mesures pertinentes pour l’aider à faire face à la douleur et à la souffrance, y compris les soins
de confort, les soins terminaux et le contrôle de la douleur. Par soins palliatifs, on entend les soins
actifs, complets et globaux des patients dont la maladie ne répond pas à un traitement curatif, où
le maintien du contrôle de la douleur et des autres sources de souffrance (par exemple, l’anxiété,
les problèmes psychologiques, sociaux et spirituels) s’avère primordial. Les soins palliatifs se
veulent une mesure prise par la communauté médicale pour optimiser le confort, la fonction, les
relations, la guérison, la dignité et la préparation à la mort de la personne atteinte d’une maladie
potentiellement mortelle et de sa famille5.
La loi de l’Oregon exige que le médecin traitant examine, avec le patient, toutes les solutions de
traitement possible, y compris les soins de confort, les soins terminaux et le contrôle de la douleur
[R11, R15].

3
  J-L Vincent, « “Piece” (sic) of mind: End of life in the intensive care unit », Statement of the Belgian Society of Intensive
Care Medicine, J. of Critical Care, 29(1) (2014): 174-175.
4
  Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’UNESCO (2005).
5
  A.S. Kelley and D.E. Meier, « Palliative Care – a shifting paradigm », N Engl J Med, 363 (2010): 781–782;
T. Pastrana, S. Jünger, C. Ostgathe et coll., « A Matter of Definition – key elements identified in a discourse analysis
of definitions of palliative care », Palliat Med, 22 (2008) : 222–232.
4

Principale conclusion de recherche : Interdiction de la sédation palliative continue
Il y a lieu de s’opposer totalement à la pratique de la sédation palliative continue [R15]. Dans cette
forme de sédation, les patients ne sont souvent pas conscients que des mesures actives sont prises
pour leur faire perdre conscience jusqu’à leur mort et qu’ils mourront à la fin de cette démarche de
sédation, sans qu’ils ne consentent à cette pratique. La sédation palliative continue représente près
de 10 % de tous les décès en Flandre6. Une enquête sur les décisions de fin de vie prises par les
médecins flamands en 2007 a révélé que, dans près de 80 % des cas identifiés par les auteurs
comme .tant une sédation palliative continue, il n’y avait pas eu de demande explicite du patient
à ce chapitre. Le médecin avait explicitement l’intention de mettre fin à la vie du patient dans près
de 22 % des cas de sédation palliative continue. L’Association européenne des soins palliatifs a
recommandé à juste titre que le consentement soit intégré dans les lignes directrices d’un cadre
pour l’utilisation de la sédation dans les soins palliatifs 7. Ses lignes directrices stipulent qu’il ne doit
pas y avoir intention de causer ou de hâter la mort. L’Association estime à juste titre que cette
intention est abusive. Elle stipule explicitement : « L’abus de sédation se produit lorsque les
cliniciens mettent sous sédatif des patients en fin de vie dans le but principal de hâter la mort dudit
patient8 ».

Principale conclusion de recherche : directives préalables (DP)
Les recherches ont démontré que les directives préalables (DP) sont souvent élaborées sans qu’il
soit possible d’obtenir un consentement pleinement éclairé. Par exemple, aux États-Unis, les DP
peuvent être utilisées par les médecins à l’encontre des intérêts supérieurs du patient afin
d’économiser des ressources coûteuses. Les recherches démontrent que les DP n’ont pas rempli
leur promesse de faciliter les décisions sur les soins de fin de vie pour les patients inaptes [R4]. De
nombreuses exigences et restrictions juridiques s’appliquant aux DP sont contre-productives :
malgré leurs intentions bienveillantes, elles ont entraîné des conséquences négatives involontaires,
contre la volonté des patients [R7]. Si des DP doivent être utilisées, elles doivent être aussi claires
et précises que possible. Il faut éviter les interprétations ouvertes et les spéculations, car elles
pourraient être préjudiciables aux intérêts du patient [R1]. Une extrême prudence s’impose lorsque
les DP de patients atteints de démence sont concernés, car ceux-ci ne sont plus en mesure de
formuler une demande de fin de vie claire, volontaire, réfléchie et viable [R4, R7].

Principale conclusion de recherche : le paradoxe de la démence
La démence pose un paradoxe. Nous devons insister sur le fait que seules les personnes aptes et
autonomes peuvent recourir à la possibilité de décider du moment de leur mort lorsque, à leurs
yeux, la vie ne vaut plus la peine d’être vécue, lorsque cette même vie n’a plus rien d’intéressant à
offrir. Ils ne souhaitent pas être euthanasiés prématurément mais à un moment donné dans l’avenir.
Ce moment arrivé, les personnes ne sont plus aptes et autonomes et, souvent, rien n’indique
clairement qu’elles souhaitent mourir. Il est plausible de supposer – notamment pour les victimes
de traumatismes physiques – que les patients atteints de démence puissent s’adapter aux nouvelles
circonstances et avoir modifié leurs priorités et trouver un sens à d’autres intérêts, même si ceux-ci

6
  J. Deyaert J., K. Chambaere, J. Cohen et coll., « Labelling of end-of-life decisions by physicians », J. Med Ethics, 40(7)
(2014) : 506.
7
  N.I. Cherny, L. Radbruch et The Board of the European Association for Palliative Care, Association européenne des
soins palliatifs (EAPC) recommande un cadre pour l’utilisation de sédation dans les soins palliatifs, Médecine palliative,
23(7) (2009) : 581-93.
8
  Ibid : 582 [TRADUCTION].
5

sont purement expérientiels. Ainsi, pratiquer l’euthanasie prématurément est une honte, car cela
met fin à la vie, point à la ligne! La pratique de l’euthanasie à un stade ultérieur de la démence
fondée sur des directives préalables pourrait ne pas s’appliquer à l’état actuel du patient et, en fait,
pourrait annuler les souhaits actuels du patient. Quoi qu’il en soit, l’euthanasie pratiquée à des
patients atteints de démence est donc moralement condamnable [R4]. Le paradoxe de la démence
ne peut être résolu par l’euthanasie. Il doit être résolu par davantage de soins, de compassion et de
bonnes pratiques de médecine. L’équipe médicale a un rôle crucial à jouer dans la promotion de la
qualité des soins, et ce, depuis le diagnostic jusqu’aux derniers stades de la démence, par
l’évaluation des changements dans le fonctionnement cognitif-mémoire, fonctionnement au
quotidien, dépression, peurs, difficultés de communication, et comportement - ainsi que par
l’identification et le traitement des symptômes.

Tableau 1.
Euthanasie de patients atteints de démence

 Stade          Consentement Souffrance         Soins requis Euthanasie              Euthanasie –
                autonome                                     administrée             Aspects éthiques
                                                             (moment)

 1              +                +              +               Prématurée           Problématiques

 2              -                ++             ++              Discutable           Problématiques

 3              -                +++            +++             Opportun             Problématiques

Principale conclusion de recherche : les enfants ont besoin d’une protection
supplémentaire
Le premier devoir de la médecine est de ne causer aucun préjudice. Accorder aux mineurs la
possibilité de mettre fin à leur vie est problématique, car il faut acquérir une maturité intellectuelle
avant d’acquérir une maturité sociale ou émotionnelle. Des questions d’une telle importance, de vie
ou de mort, sont difficiles d’un point de vue éthique. Étant donné la dépendance physique,
émotionnelle, sociale et financière des mineurs vis-à-vis d’autrui, étant donné leur jeune âge et leur
manque d’expérience dans la façon de composer avec la maladie et la douleur, compte tenu de
leurs difficultés à prendre de graves décisions, on est en droit de douter que des mineurs soient
capables de prendre des décisions de façon autonome et volontaire.

Dans l’étude de la situation en Belgique, j’en suis venu à la conclusion que l’option des soins palliatifs
pédiatriques devrait avoir été totalement épuisée avant de procéder à l’euthanasie, et que des
conseils psychologiques devraient être mis à la disposition des enfants et des tuteurs. Il est en outre
avancé que la loi devrait fixer l’âge de ceux et celles qui pourraient demander à être admissibles à
l’euthanasie à l’adolescence (14 ans et plus). Le fait de ne pas tenir compte de l’âge rend la politique
simpliste et discutable. La loi devrait insister sur le consensus entre l’enfant et les parents/tuteurs et
sur la prestation de soins palliatifs [R6].
6

Principale conclusion de recherche : le rôle des proches du patient
La recherche met en lumière le fait que les personnes au chevet du patient en fin de vie ne sont pas
nécessairement des parents par le sang [R7, R16]. La prudence s’impose en cas d’incident où
l’intérêt supérieur des membres de la famille du patient va à l’encontre de l’intérêt supérieur du
patient. Parfois, la vie des patients est raccourcie parce que la famille est incapable de faire face à
la situation. La recherche visant à déterminer qui définit les intérêts supérieurs des patients
(patients, personnel médical, personnes au chevet du patient), fait état des conflits d’intérêts
potentiels et sensibilise aux conséquences de l’épuisement affectif qui découle souvent des soins
aux patients en phase terminale [R3].

Principale conclusion de recherche : dons d’organes en fin de vie
Les recherches défendent les droits des patients âgés. Elles indiquent que l’âge ne doit pas être le
critère décisif dans les décisions de dons d’organes. Si l’âge se veut une variable importante dans
la détermination de l’état de santé d’un patient, d’autres facteurs en présence - non moins importants
- influent sur la santé d’une personne. On peut observer des octogénaires dont l’état de santé est
généralement bon, tandis que des quadragénaires sont en très mauvaise santé. Le critère de l’âge
est trop simple, trop général, trop large. Il apporte une réponse trop pratique à une question difficile
et troublante. Les recherches révèlent également qu’il existe une corrélation entre l’euthanasie et le
don d’organes en Belgique. Des préoccupations similaires ont récemment été soulevées au
Canada. En Belgique, les donneurs euthanasiés représentaient près du quart des donneurs de
poumons [R2]. La crainte provient du fait que les patients vulnérables pourraient être amenés à
envisager l’euthanasie aux fins du prélèvement d’organes, et que la planification de la procédure de
décès soit prématurée et contraire aux souhaits du patient.

Principale conclusion de recherche : Il y a quelque chose d’enivrant au sujet de
l’euthanasie
Une étude approfondie des Pays-Bas et de la Belgique fait état de phénomènes semblables : de
puissantes pressions libérales qui soutiennent l’euthanasie; la mobilisation des médias et du
Parlement en faveur de l’euthanasie; le silence de l’opposition; la diffusion d’arguments sur la
justice, l’égalité et la non-discrimination afin d’élargir les limites de l’euthanasie; la forte influence
des idéologues entourant une cause; l’opposition qualifiée de « clowns », « de fondamentalistes
religieux », « d’éléments antilibéraux dans la société »; l’incapacité à discuter du problème des
abus. Au lieu de cela, on pousse les problèmes et les questions troublantes sous le tapis.

L’examen de la courte histoire des lois, de la politique et de la pratique de l’euthanasie, en Belgique
et aux Pays-Bas, peut nous amener à croire que cette pratique a quelque chose d’enivrant qui
aveugle les décideurs, les amenant ainsi à promouvoir encore plus le recours à d’autres pratiques
de fin de vie sans faire preuve de beaucoup de prudence. En Belgique, le parrain de l’euthanasie
est le président du comité de contrôle et de surveillance chargé de vérifier que la politique est
pratiquée correctement et sans abus. On peut difficilement imaginer un conflit d’intérêts plus
flagrant.

La Loi sur l’euthanasie de la Belgique n’a été adoptée qu’en 2002, et le pays en est encore au stade
de l’apprentissage. Ce qui est déconcertant, c’est la tendance rapide à promouvoir des pratiques
supplémentaires de fin de vie en négligeant en grande partie le discernement. Une barrière de
prudence après l’autre est supprimée pour permettre une plus grande marge de manœuvre en
matière d’euthanasie [R2]. Le champ de tolérance à l’égard de cette pratique est élargi de telle sorte
7

que, alors que le feu rouge d’hier devient caduc aujourd’hui et qu’une barrière à l’admissibilité est
supprimée, les praticiens et les législateurs débattent déjà d’une nouvelle étape et d’autres groupes
(patients fatigués de la vie, enfants, patients atteints de démence, patients souffrant de problèmes
psychologiques, patients inaptes, patients n’étant pas en phase terminale) à inclure dans la politique
d’euthanasie plus libérale comme si la logique restrictive qui sous-tend la Loi sur l’euthanasie n’était
plus valable. C’est assez étonnant, car des vies humaines sont en jeu. Ce qu’il faut, c’est une étude
minutieuse, l’accumulation de connaissances et de données, la prise en compte des préoccupations
susmentionnées, l’apprentissage à partir de ses erreurs et tenter de les corriger avant de se
précipiter de manière frénétique pour permettre des critères plus permissifs d’euthanasie des
patients. Un ouvrage hâté et souvent un ouvrage gâté.

Conclusion
Je crois que le modèle néerlandais (et belge) est un modèle erroné qu’il ne faut pas poursuivre.

Un bien meilleur modèle est celui de l’Oregon, qui soutient le suicide médicalement assisté (SMA)
mais s’abstient d’approuver l’euthanasie9 [R11]. Ainsi, le dernier acte appartient au patient et non
au médecin.

J’exige une terminologie et des politiques socialement responsables [R3, R6] et je soulève des
préoccupations concrètes concernant la confiance entre les médecins et les patients si les médecins
proposent l’euthanasie à leurs patients. Nous devrions aider les patients au mieux de nos capacités,
en répondant à leurs préoccupations, en écoutant leur raisonnement.

Vous trouverez ci-jointe une série de lignes directrices qui devraient être prises en considération.
Cette série intègre le projet de loi de Lord Falconer, qui comporte des lignes directrices pertinentes
qui ont été adoptées en Oregon, où le suicide médicalement assisté est légal10, aux Pays-Bas 11 et
en Belgique12 où l’euthanasie est légale, en Suisse où le suicide assisté est pratiqué13, et dans le
Territoire du Nord de l’Australie14, où le suicide médicalement assisté a été légal pendant une courte
période. La série de lignes directrices proposées est également liée à mon expérience en tant que

9
 Oregon, Death With Dignity Act,
https://www.oregon.gov/oha/ph/ProviderPartnerResources/EvaluationResearch/DeathwithDignityAct/Documents/statu
te.pdf
10
   Oregon, Death with Dignity Act (1997),
https://www.oregon.gov/oha/PH/ProviderPartnerResources/Evaluationresearch/deathwithdignityact/Pages/index.aspx
11
   Termination of Life on Request and Assisted Suicide (Review Procedures) Act, Pays-Bas (1er avril 2002).
12
   Belgique, Loi sur l’euthanasie, ch. II, art. 3, no 1.
13
   Roberto Andorno, « Nonphysician-Assisted Suicide in Switzerland », Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics 22
(2013): 246–253; G. Bosshard, S. Fischer and W. Bar, « Open Regulation and Practice in Assisted Dying – How
Switzerland Compares with the Netherlands and Oregon », Swiss Medical Weekly 132 (October 12, 2002): 527–534;
Georg Bosshard, « Assisted Suicide and Euthanasia in Switzerland », BMJ 327 (July 5, 2003): 51-52; Stephen J.
Ziegler, « Collaborated Death: An Exploration of the Swiss Model of Assisted Suicide for Its Potential to Enhance
Oversight and Demedicalize the Dying Process », J. of Law, Medicine and Ethics 37(2) (été 2009): 318-330;
Nicole Steck, Christoph Junker, Maud Maessen, Thomas Reisch, Marcel Zwahlen et Matthias Egger, « Suicide
Assisted by Right-to-die Associations: a population based cohort study », International J. of Epidemiology 43(2)
(2014) : 614-622.

14
   Territoire du Nord de l’Australie, Rights of the Terminally Ill Act 1995,
http://www.nt.gov.au/lant/parliamentarybusiness/committees/rotti/rotti95.pdf
15
   Dying Patient Law, Israël (2005).
8

membre du comité public mis en place par le ministère israélien de la Santé pour rédiger la Dying
Patient Law (200515).

Il s’agit d’un article d’opinion très pratique. J’ai expliqué les raisons du suicide médicalement assisté
et la nécessité de soutenir les patients qui expriment le souhait de mourir ailleurs à la dernière étape
de leur vie [R8, R12]. Cette série de lignes directrices liée au suicide médicalement assisté vise à
servir les intérêts supérieurs des patients tout en prévenant les abus possibles de la pratique de
façon à s’assurer qu’une nouvelle loi ne sera pas préjudiciable à la fourniture de soins appropriés
aux patients au moment où ils en ont le plus besoin [R3].

Vous trouverez également ci-jointe une liste de mes publications dans le domaine de l’éthique
médicale. Le tableau ci-dessous comprend mes publications dont il est fait référence dans ce
témoignage.

     Références utilisées pour la recherche
     [R1] R. Cohen-Almagor, « Euthanasia Policy and Practice in Belgium: Critical Observations and
     Suggestions for Improvement », Issues in Law and Medicine, 24(3) (printemps 2009) : 187218.

     [R2] R. Cohen-Almagor, « First Do No Harm: Pressing Concerns Regarding Euthanasia in
     Belgium », The International J. of Law and Psychiatry, 36 (2013): 515-521.

     [R3] R. Cohen-Almagor, « First Do No Harm: Shortening Lives of Patients without Their Explicit
     Request in Belgium », J. of Medical Ethics, 41 (2015): 625–629.

     [R4] R. Cohen-Almagor, « First Do No Harm: Euthanasia of Patients with Dementia in
     Belgium », Journal of Medicine and Philosophy, 41(1) (2016): 74-89.

     [R5] R. Cohen-Almagor, « Assisted Dying Bill for England and Wales », soul la direction de
     Michael Cholbi, Euthanasia and Assisted Suicide : Global Views on Choosing to End Life
     (Santa Barbara, CA : Praeger, 2017), p. 29-44.

     [R6] R. Cohen-Almagor, « Should the Euthanasia Act in Belgium Include Minors? »,
     Perspectives in Biology and Medicine, 61(2) (printemps 2018): 230-248.

     [R7] R. Cohen-Almagor, « The Role of the Patient’s Family, Surrogate and Guardian at the End
     of Life », European Journal for Person Centered Healthcare, 7(3) (2019): 454-465.

     [R8] R. Cohen-Almagor, The Right to Die with Dignity: An Argument in Ethics, Medicine, and Law
     (Piscataway, NJ. : Rutgers University Press, 2001). Il s’agit de mon ouvrage le plus important sur
     le sujet, qui fait la synthèse de neuf années de recherche et de réflexion.

     [R9] R. Cohen-Almagor, Euthanasia in the Netherlands: The Policy and Practice of Mercy Killing
     (Dordrecht : Springer-Kluwer, 2004).

15
     Dying Patient Law, (Israël) 2005.
9

  [R10] R. Cohen-Almagor, « Should Doctors Suggest Euthanasia to Their Patients? Reflections
   on Dutch Perspectives », Theoretical Medicine and Bioethics, vol. 23, no 4-5 (2002) : 287-303.

 [R11] R. Cohen-Almagor et Monica G. Hartman, « The Oregon Death with Dignity Act: Review
 and Proposals for Improvement », Journal of Legislation, vol. 27, no 2 (2001) : 269298.

 [R12] R. Cohen-Almagor, « An Argument for Physician-Assisted Suicide and Against
 Euthanasia », Ethics, Medicine, and Public Health, vol. 1, no 4 (2015) : 431-441.

 [R13] R. Cohen-Almagor, « Euthanasia Policy and Practice in Belgium: Critical Observations and
 Suggestions for Improvement », Issues in Law and Medicine 24(3) (printemps 2009) : 187218.

 [R14] R. Cohen-Almagor, « Euthanasia and Physician-Assisted Suicide in the Democratic World:
 Legal Overview », New York Int. Law Rev. vol. 16, no 1 (hiver 2003) : 1-42.

 [R15] Raphael Cohen-Almagor et E. Wesley Ely, « Euthanasia and Palliative Sedation in
 Belgium », BMJ Supportive and Palliative Care, vol. 8, no 3 (2018) : 307-313,
 https://spcare.bmj.com/content/8/3/307?ijkey=OTelnqlPkW1VJBe&keytype=ref

 [R16] R. Cohen-Almagor, « The Patients’ Right to Die in Dignity and the Role of Their Beloved
 People », Annual Review of Law and Ethics, vol. 4 (1996) : 213-232.

Je vous prie d’accepter, Mesdames et Messieurs les membres du Comité, l’expression de mes
sentiments distingués.

Raphael Cohen-Almagor, DPhil, Oxon
Université de Hull (Royaume-Uni)
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