Que signifie " penser historiquement " chez des élèves de niveau primaire? Pour en savoir plus

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Que signifie " penser historiquement " chez des élèves de niveau primaire? Pour en savoir plus
Que signifie « penser historiquement »
chez des élèves de niveau primaire?
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STÉPHANIE DEMERS
Doctorante, Université du Québec en Outaouais

DAVID LEFRANÇOIS
Professeur, Université du Québec en Outaouais

MARC-ANDRÉ ÉTHIER
Professeur, Université de Montréal

Le complément direct
Vivre le primaire, volume 22, numéro 4, automne 2009

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Que signifie « penser
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                              STÉPHANIE DEMERS
                              Doctorante, Université du Québec en Outaouais

                              DAVID LEFRANÇOIS
                              Professeur, Université du Québec en Outaouais

                              MARC-ANDRÉ ÉTHIER
                              Professeur, Université de Montréal

                              Le complément direct
                              Vivre le primaire, volume 22, numéro 4, automne 2009

Une question importante pour l’enseignement de l’histoire au primaire mobilise
les énergies d’un nombre croissant de didacticiens depuis plusieurs années : la
nature de la pensée historique et la possibilité d’enseigner aux jeunes enfants les
modes de collecte et de traitement de l’information qui lui sont propres: se situer
dans le temps, aller à la source pour établir les faits, poser des problèmes
sociaux actuels, en chercher les causes et en débattre rationnellement
(Wineburg, 2001). Cependant, les recherches expérimentales et les synthèses
théoriques sur l’usage et la mobilisation des compétences historiques se font
relativement rares, tandis que l’idée de « compétences », appliquée à l’histoire,
demeure encore imprécise et polysémique. Cet article propose donc d’identifier
les éléments communs aux divers auteurs et d’expliciter les principales
composantes de la compétence à penser historiquement. Ces éléments
permettront par la suite de présenter les savoirs (concepts, procédures,
stratégies, etc.) que les élèves, d’après la recherche, devraient être en mesure
d’acquérir et d’utiliser, une fois terminée leur formation en histoire au primaire.

1. Qu’est-ce que la pensée historique?
Si les didacticiens ne s’entendent pas sur une définition de la pensée historique,
nous pouvons cependant ranger leurs travaux dans trois grands courants.
Certains définissent la pensée historique comme un ensemble de procédures
méthodologiques relevant spécifiquement du domaine de l’histoire (Barton et
Levstik, 1996). D’autres parlent plutôt d’une « culture historique », soit une
combinaison d’attitudes, avec des dimensions morales et identitaires et de
procédures (Seixas, 1996; Rüsen, 2004). D’autres encore ajoutent la dimension
argumentative à ces deux éléments, sans laquelle le raisonnement historique
critique ne peut être construit (Pontecorvo et Girardet, 1993). Quatre
caractéristiques essentielles de la pensée historique émergent néanmoins des
travaux de ces divers auteurs. Nous les présentons dans la section qui suit.
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1.1 La nature construite de la pensée historique
La plupart des philosophes, historiens et didacticiens distinguent le passé de
l’histoire du passé. Les historiens, en effet, font l’histoire et en sont conscients.
Ils se font auteurs d’une narration écrite dans laquelle ils infèrent le probable ou
le possible à partir des résultats de leur analyse des sources (textes d’époque,
etc.) et de ce que cela révèle des intentions, motifs, contextes sociaux et
culturels des auteurs de ces sources aux lecteurs qui, comme eux-mêmes,
regardent le monde différemment que ces auteurs. Les historiens savent
toutefois que ces preuves mentent parfois ou ne disent pas tout et qu’ils devront
combler des « vides » dans la narration, en employant leur raisonnement et leur
propre créativité, afin de répondre à une question et de construire le sens d’un
phénomène humain.

1.2 La dimension méthodique de la pensée historique
Pour assurer la crédibilité des interprétations, les historiens se sont donné des
normes et une méthode, un « mode de pensée convergent ». Cette méthode, qui
se réfère à la pensée historique et permet de construire le sens du passé, n’est
pas un processus naturel. Elle requiert un apprentissage et la maîtrise d’actions
épistémiques propres au champ historique. Wineburg (2001), par exemple, parle
d’une façon de savoir propre à l’histoire, d’outils essentiels de la reconstruction
narrative qui découle de l’analyse des sources. Ces dernières doivent être
évaluées, placées en contextes, validées selon une méthode précise qui permet
de rendre plausibles les récits construits par les historiens.

1.3 L’intégration de la perspective temporelle
La perspective temporelle est une dimension de la pensée historique
comprenant la prise en compte de la synchronie et de la diachronie à l’aide
d’échelles dans l’interrogation des sociétés, des phénomènes et ainsi de suite.
Elle comporte également le temps historique, constitué de trois composantes
essentielles (temps long, moyen et court). Le temps historique doit être appris. Il
fait appel à une attitude de distance psychologique et critique.

1.4 L’ancrage de la pensée historique dans l’interprétation critique
La nature interprétative de l’histoire requiert que les élèves conçoivent qu’il existe
une multitude de narrations pour un même événement ou phénomène et que ces
diverses versions peuvent coexister et qu’aucune ne détient LA vérité !
       L’activité interprétative et l’attitude critique de l’historien sont fondées de
procédures méthodologiques et métacognitives qui incluent l’évaluation et la
contextualisation de la source — est-elle valide ? Qui est l’auteur ? Quel est son
cadre de référence ? L’enquête historique, dans son intention de répondre à des
questions sociales particulières, comporte aussi des procédures explicatives qui
permettent l’interprétation. On y compte la définition des catégories et des
concepts, la catégorisation des acteurs et des institutions sociales/historiques, la
localisation des événements dans le temps et dans l’espace, l’interprétation des
actions, objectifs, intentions et l’association des acteurs et des actions aux
contextes historique et culturel.

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Seixas (1996) présente une théorie de la pensée historique incorporant
ces diverses composantes et établissant des critères propres à la maîtrise de
chacun des points de repère. Ceux-ci correspondent aux actions épistémiques
de la pratique de l’histoire. Ils ne sont pas ordonnés de façon hiérarchique ou
progressive. La pensée historique requiert
   - d’établir la signification historique (pourquoi il est important ou pertinent
      d’étudier une réalité sociale)
   - d’identifier la continuité et le changement
   - d’analyser les causes et les conséquences
   - d’adopter une perspective historique (comprendre le passé comme un
      «pays étranger», avec ses contextes social, économique, culturel,
      intellectuel qui façonnent la vie et les actions de ceux qui l’«habitent»)
   - de comprendre la dimension morale de l’interprétation historique
      (comment les dimensions morales du présent influencent la façon dont
      nous évaluons et interprétons les sources et le passé).
      Ensemble, ces concepts composent la pensée historique (Seixas, 2004).

2. Ce que révèlent les recherches sur le développement de la pensée
historique au primaire
La section suivante présente des recherches qui précisent ce dont les enfants du
primaire seraient capables en termes pensée historique.

    2.1 L’effet des méthodes d’enseignement
Le travail de Cooper (1995) démontre que les jeunes enfants (premier cycle du
primaire) peuvent commencer à développer leur pensée historique si les
problèmes à résoudre leur sont présentés à partir d’éléments familiers (telles les
narrations dans les contes). Le besoin de proximité entre l’objet d’étude et
l’expérience de l’enfant fait écho à la conception du curriculum en spirale, selon
lequel le développement de la pensée requiert que les concepts centraux de la
discipline soient revus au fil des années sous des angles différents et selon des
approches variées, correspondant aux capacités des élèves. La recherche
d’Audigier (2002) et ses collègues, comme celle Cooper et Capita (2004) auprès
d’élèves de 9 à 11 ans, démontre par ailleurs que les élèves peuvent
comprendre les concepts quel que soit leur niveau d’abstraction, si ces concepts
et leur sens sont travaillés explicitement et étudiés à partir de listes, d’exemples
concrets ou d’images illustratives. Leur utilisation — dans un texte, pour
résoudre une situation-problème ou fournir une explication — permet leur
maîtrise et leur transfert.
        Cooper et Capita (2004) ont observé comment des élèves de 10-11 ans
en Europe s’appropriaient les outils de l’enquête historique dans le cadre
d’activités axées sur le développement des savoir-faire par l’étude de sources et
par des activités de manipulation directe, plutôt que sur l’acquisition de
connaissances. À l’instar d’autres chercheurs, elles ont noté que les élèves
retenaient une plus grande quantité de savoirs, qu’ils étaient capables de
s’approprier certains des outils de l’enquête historique et de comprendre que

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l’histoire est construite à partir de preuves, tout en distinguant les sources
premières des sources secondes.
         En juxtaposant les quelques recherches recensées aux six points de
repère de Seixas, il est possible d’évaluer de façon sommaire quels points de
repère peuvent être au moins en partie atteints par les élèves du primaire.

        Les événements, les ruptures ou continuités
        Les élèves du primaire peuvent établir la signification d’événements,
acteurs ou phénomènes historiques, peut-être parce qu’ils arrivent à l’école avec
certaines informations historiques auxquelles ils ont été exposés (Barton et
Levstik, 1996). Toutefois, aucune des recherches recensées ne permet d’affirmer
que les élèves du primaire peuvent identifier les ruptures et les continuités,
quoiqu’ils puissent, dès 9 ans, analyser une réalité sociale dans son contexte et
au point de vue de la synchronie (Lee, 1998).
        Les résultats des recherches de Barton (2001), comme celle de Cooper et
Capita, démontrent que les élèves du deuxième cycle du primaire peuvent
identifier le changement et en analyser les causes et les conséquences, de façon
plus ou moins complexe et en lien avec une certaine médiation culturelle traduite
dans l’angle d’analyse des élèves.

       Le développement de la perspective historique
       Les perspectives historiques ou le développement de l’empathie historique
ne semblent pas poser problème, même aux plus jeunes élèves du primaire. Les
résultats de plusieurs des recherches recensées démontrent que les élèves
aussi jeunes que six ans peuvent voir en quoi le passé diffère du présent et
chercher à comprendre les points de vue des acteurs du passé.

       Le passé, les procédures et les sources
       Les élèves sont également capables d’appliquer les actions procédurales
et cognitives propres à l’utilisation des preuves de sources premières afin de
résoudre un problème de nature historique et de construire leur propre narration.
Toutefois, les plus jeunes se servent peu des preuves issues des sources et
saisissent à grand-peine la nature construite et interprétative des sources
(VanSledright, 2002). La recherche d’Audigier (1995), comme celle de Lee
(1998), révèle que les élèves du primaire peinent également à saisir la nature
interprétative de l’histoire et à questionner les sources. Les plus jeunes
distinguent difficilement une interprétation de l’autre et comprennent mal le
contexte et les intentions de l’auteur.

         Le temps
         Diverses recherches témoignent du problème du présentisme
(l’anachronisme par lequel on projette dans le passé des idées d’aujourd’hui) des
jeunes élèves et de leur incapacité à distinguer les indices temporels dans des
images; leur perspective temporelle serait purement dichotomique (aujourd’hui v.
il y a longtemps), sauf lorsqu’ils la présentent selon une narration chronologique.
Ainsi, les élèves les plus jeunes auraient difficilement accès au temps historique.

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Les élèves du primaire et du secondaire auraient aussi tendance à se
représenter l’action humaine de façon linéaire et progressive — le présent
moderne est meilleur que le passé en raison de l’action humaine — et à évacuer
le futur (Audigier, 1995). Toutefois, d’autres études démontrent que les élèves
âgés de 9 à 11 ans comprennent le temps moyen et le temps long et qu’ils sont
capables de perspective temporelle (VanSledright, 2002).

       La causalité
       L’interprétation historique implique la construction de narrations
explicatives liées les unes aux autres par la causalité. Les enfants, bien que
possédant déjà certaines connaissances antérieures au moment où ils abordent
l’étude de l’histoire à l’école, n’ont pas accès comme les adultes à un réseau
organisé et cohérent de savoirs historiques leur permettant de structurer les liens
causaux (Brophy et VanSeldright, 1997). Certaines recherches auprès d’enfants
du deuxième cycle du primaire indiquent qu’ils comprennent difficilement la
causalité lorsqu’elle implique les facteurs sociaux, économiques et politiques,
bien qu’ils soient capables tant d’établir des chaines causales simples et
plausibles que de reconnaître le pouvoir d’action individuel et collectif dans le
changement social, lorsque le questionnement des enseignants les guide
(Brophy et VanSeldright, 1997).

Conclusion
Les recherches relatives aux idées des élèves à propos du passé, de la façon de
le connaître et de la façon de l’expliquer montrent que les élèves du primaire
développent progressivement leur capacité à penser historiquement. Ces
résultats soulignent le besoin de recherches futures permettant de décrire le
seuil développemental de chacun des stades du développement de la pensée
historique, de circonscrire leurs particularités et les manifestations observables
qui y sont associées. Un tel regard pourra contribuer à comprendre comment se
manifestent les compétences historiques des élèves et quels stades du
développement de la pensée historique sont atteints. Enfin, la reconstruction de
ces stades appelle à l’exploration des curricula et des attentes qui y sont
manifestes à l’égard des élèves et des pratiques pédagogiques.

RÉFÉRENCES :
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VanSledright, B. (2002). In Search of America's Past: Learning to Read History in
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Wineburg, S. (2001). Historical Thinking and Other Unnatural Acts. Philadelphie:
   Temple University Press.

                             Que signifie « penser
                             historiquement » chez des élèves
                             de niveau primaire?
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                             Doctorante, Université du Québec en Outaouais

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                             Professeur, Université du Québec en Outaouais

                             MARC-ANDRÉ ÉTHIER
                             Professeur, Université de Montréal

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