Que signifie " penser historiquement " chez des élèves de niveau primaire? Pour en savoir plus
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Que signifie « penser historiquement » chez des élèves de niveau primaire? Pour en savoir plus… STÉPHANIE DEMERS Doctorante, Université du Québec en Outaouais DAVID LEFRANÇOIS Professeur, Université du Québec en Outaouais MARC-ANDRÉ ÉTHIER Professeur, Université de Montréal Le complément direct Vivre le primaire, volume 22, numéro 4, automne 2009 Page 1 sur 8
Le complément direct est une publication virtuelle en ligne de l’Association québécoise des enseignantes et des enseignants du primaire (AQEP). Le complément direct se veut un prolongement à la revue imprimée Vivre le primaire, la revue trimestrielle de l’AQEP. Les textes apparaissant dans Le complément direct en ligne n’engagent que la responsabilité des auteurs et, à moins de mention contraire, ne constituent pas une prise de position de l’Association québécoise des enseignantes et des enseignants du primaire. Afin de donner aux auteurs des articles toute la reconnaissance à laquelle ils ont droit, il importe de préciser que la reproduction d’articles issus de la présente publication n’est autorisée qu’à des fins éducatives, en mentionnant la source. En outre, un article publié depuis plus d’un an dans la revue Vivre le primaire et dans Le complément direct en ligne peut être reproduit sur un site Web, mais à la condition d’avoir au préalable obtenu l’accord écrit de l’auteur et de l’AQEP. L’utilisation du masculin n’a d’autre but que d’alléger les textes. Rédacteur en chef – Martin Lépine Directrice administrative – Sandra Thériault Comité de rédaction – Jacinthe Asselin, Geneviève Brassard, Anne Brault-Labbé, Carole Constantin, Louis Laroche, Martin Lépine, Julie St-Onge, Sandra Thériault Coordonnatrice – Jacinthe Asselin Correcteurs-réviseurs – Marcel Chabot, Claudette Jarry Conception de la grille – Martin Lépine Responsable des communications – Stéphan Lenoir Infographie – Paquin design graphique Courriel – vivreleprimaire@aqep.org Conseil d’administration Stéphan Lenoir, président Dépôt légal Sandra Thériault, vice-présidente Lise Courtemanche, trésorière Bibliothèque nationale du Québec Julie St-Pierre, secrétaire ISSN 0835-5169 Martin Lépine, rédacteur en chef Josée Therrien, directrice du congrès Mélanie Paré, administratrice Coordonnées C.P. 65 002, Place Longueuil Longueuil (Québec) J4K 5J4 (514) 334-6313 www.aqep.org Page 2 sur 8 aqep@aqep.org
Que signifie « penser historiquement » chez des élèves de niveau primaire? Pour en savoir plus… STÉPHANIE DEMERS Doctorante, Université du Québec en Outaouais DAVID LEFRANÇOIS Professeur, Université du Québec en Outaouais MARC-ANDRÉ ÉTHIER Professeur, Université de Montréal Le complément direct Vivre le primaire, volume 22, numéro 4, automne 2009 Une question importante pour l’enseignement de l’histoire au primaire mobilise les énergies d’un nombre croissant de didacticiens depuis plusieurs années : la nature de la pensée historique et la possibilité d’enseigner aux jeunes enfants les modes de collecte et de traitement de l’information qui lui sont propres: se situer dans le temps, aller à la source pour établir les faits, poser des problèmes sociaux actuels, en chercher les causes et en débattre rationnellement (Wineburg, 2001). Cependant, les recherches expérimentales et les synthèses théoriques sur l’usage et la mobilisation des compétences historiques se font relativement rares, tandis que l’idée de « compétences », appliquée à l’histoire, demeure encore imprécise et polysémique. Cet article propose donc d’identifier les éléments communs aux divers auteurs et d’expliciter les principales composantes de la compétence à penser historiquement. Ces éléments permettront par la suite de présenter les savoirs (concepts, procédures, stratégies, etc.) que les élèves, d’après la recherche, devraient être en mesure d’acquérir et d’utiliser, une fois terminée leur formation en histoire au primaire. 1. Qu’est-ce que la pensée historique? Si les didacticiens ne s’entendent pas sur une définition de la pensée historique, nous pouvons cependant ranger leurs travaux dans trois grands courants. Certains définissent la pensée historique comme un ensemble de procédures méthodologiques relevant spécifiquement du domaine de l’histoire (Barton et Levstik, 1996). D’autres parlent plutôt d’une « culture historique », soit une combinaison d’attitudes, avec des dimensions morales et identitaires et de procédures (Seixas, 1996; Rüsen, 2004). D’autres encore ajoutent la dimension argumentative à ces deux éléments, sans laquelle le raisonnement historique critique ne peut être construit (Pontecorvo et Girardet, 1993). Quatre caractéristiques essentielles de la pensée historique émergent néanmoins des travaux de ces divers auteurs. Nous les présentons dans la section qui suit. Page 3 sur 8
1.1 La nature construite de la pensée historique La plupart des philosophes, historiens et didacticiens distinguent le passé de l’histoire du passé. Les historiens, en effet, font l’histoire et en sont conscients. Ils se font auteurs d’une narration écrite dans laquelle ils infèrent le probable ou le possible à partir des résultats de leur analyse des sources (textes d’époque, etc.) et de ce que cela révèle des intentions, motifs, contextes sociaux et culturels des auteurs de ces sources aux lecteurs qui, comme eux-mêmes, regardent le monde différemment que ces auteurs. Les historiens savent toutefois que ces preuves mentent parfois ou ne disent pas tout et qu’ils devront combler des « vides » dans la narration, en employant leur raisonnement et leur propre créativité, afin de répondre à une question et de construire le sens d’un phénomène humain. 1.2 La dimension méthodique de la pensée historique Pour assurer la crédibilité des interprétations, les historiens se sont donné des normes et une méthode, un « mode de pensée convergent ». Cette méthode, qui se réfère à la pensée historique et permet de construire le sens du passé, n’est pas un processus naturel. Elle requiert un apprentissage et la maîtrise d’actions épistémiques propres au champ historique. Wineburg (2001), par exemple, parle d’une façon de savoir propre à l’histoire, d’outils essentiels de la reconstruction narrative qui découle de l’analyse des sources. Ces dernières doivent être évaluées, placées en contextes, validées selon une méthode précise qui permet de rendre plausibles les récits construits par les historiens. 1.3 L’intégration de la perspective temporelle La perspective temporelle est une dimension de la pensée historique comprenant la prise en compte de la synchronie et de la diachronie à l’aide d’échelles dans l’interrogation des sociétés, des phénomènes et ainsi de suite. Elle comporte également le temps historique, constitué de trois composantes essentielles (temps long, moyen et court). Le temps historique doit être appris. Il fait appel à une attitude de distance psychologique et critique. 1.4 L’ancrage de la pensée historique dans l’interprétation critique La nature interprétative de l’histoire requiert que les élèves conçoivent qu’il existe une multitude de narrations pour un même événement ou phénomène et que ces diverses versions peuvent coexister et qu’aucune ne détient LA vérité ! L’activité interprétative et l’attitude critique de l’historien sont fondées de procédures méthodologiques et métacognitives qui incluent l’évaluation et la contextualisation de la source — est-elle valide ? Qui est l’auteur ? Quel est son cadre de référence ? L’enquête historique, dans son intention de répondre à des questions sociales particulières, comporte aussi des procédures explicatives qui permettent l’interprétation. On y compte la définition des catégories et des concepts, la catégorisation des acteurs et des institutions sociales/historiques, la localisation des événements dans le temps et dans l’espace, l’interprétation des actions, objectifs, intentions et l’association des acteurs et des actions aux contextes historique et culturel. Page 4 sur 8
Seixas (1996) présente une théorie de la pensée historique incorporant ces diverses composantes et établissant des critères propres à la maîtrise de chacun des points de repère. Ceux-ci correspondent aux actions épistémiques de la pratique de l’histoire. Ils ne sont pas ordonnés de façon hiérarchique ou progressive. La pensée historique requiert - d’établir la signification historique (pourquoi il est important ou pertinent d’étudier une réalité sociale) - d’identifier la continuité et le changement - d’analyser les causes et les conséquences - d’adopter une perspective historique (comprendre le passé comme un «pays étranger», avec ses contextes social, économique, culturel, intellectuel qui façonnent la vie et les actions de ceux qui l’«habitent») - de comprendre la dimension morale de l’interprétation historique (comment les dimensions morales du présent influencent la façon dont nous évaluons et interprétons les sources et le passé). Ensemble, ces concepts composent la pensée historique (Seixas, 2004). 2. Ce que révèlent les recherches sur le développement de la pensée historique au primaire La section suivante présente des recherches qui précisent ce dont les enfants du primaire seraient capables en termes pensée historique. 2.1 L’effet des méthodes d’enseignement Le travail de Cooper (1995) démontre que les jeunes enfants (premier cycle du primaire) peuvent commencer à développer leur pensée historique si les problèmes à résoudre leur sont présentés à partir d’éléments familiers (telles les narrations dans les contes). Le besoin de proximité entre l’objet d’étude et l’expérience de l’enfant fait écho à la conception du curriculum en spirale, selon lequel le développement de la pensée requiert que les concepts centraux de la discipline soient revus au fil des années sous des angles différents et selon des approches variées, correspondant aux capacités des élèves. La recherche d’Audigier (2002) et ses collègues, comme celle Cooper et Capita (2004) auprès d’élèves de 9 à 11 ans, démontre par ailleurs que les élèves peuvent comprendre les concepts quel que soit leur niveau d’abstraction, si ces concepts et leur sens sont travaillés explicitement et étudiés à partir de listes, d’exemples concrets ou d’images illustratives. Leur utilisation — dans un texte, pour résoudre une situation-problème ou fournir une explication — permet leur maîtrise et leur transfert. Cooper et Capita (2004) ont observé comment des élèves de 10-11 ans en Europe s’appropriaient les outils de l’enquête historique dans le cadre d’activités axées sur le développement des savoir-faire par l’étude de sources et par des activités de manipulation directe, plutôt que sur l’acquisition de connaissances. À l’instar d’autres chercheurs, elles ont noté que les élèves retenaient une plus grande quantité de savoirs, qu’ils étaient capables de s’approprier certains des outils de l’enquête historique et de comprendre que Page 5 sur 8
l’histoire est construite à partir de preuves, tout en distinguant les sources premières des sources secondes. En juxtaposant les quelques recherches recensées aux six points de repère de Seixas, il est possible d’évaluer de façon sommaire quels points de repère peuvent être au moins en partie atteints par les élèves du primaire. Les événements, les ruptures ou continuités Les élèves du primaire peuvent établir la signification d’événements, acteurs ou phénomènes historiques, peut-être parce qu’ils arrivent à l’école avec certaines informations historiques auxquelles ils ont été exposés (Barton et Levstik, 1996). Toutefois, aucune des recherches recensées ne permet d’affirmer que les élèves du primaire peuvent identifier les ruptures et les continuités, quoiqu’ils puissent, dès 9 ans, analyser une réalité sociale dans son contexte et au point de vue de la synchronie (Lee, 1998). Les résultats des recherches de Barton (2001), comme celle de Cooper et Capita, démontrent que les élèves du deuxième cycle du primaire peuvent identifier le changement et en analyser les causes et les conséquences, de façon plus ou moins complexe et en lien avec une certaine médiation culturelle traduite dans l’angle d’analyse des élèves. Le développement de la perspective historique Les perspectives historiques ou le développement de l’empathie historique ne semblent pas poser problème, même aux plus jeunes élèves du primaire. Les résultats de plusieurs des recherches recensées démontrent que les élèves aussi jeunes que six ans peuvent voir en quoi le passé diffère du présent et chercher à comprendre les points de vue des acteurs du passé. Le passé, les procédures et les sources Les élèves sont également capables d’appliquer les actions procédurales et cognitives propres à l’utilisation des preuves de sources premières afin de résoudre un problème de nature historique et de construire leur propre narration. Toutefois, les plus jeunes se servent peu des preuves issues des sources et saisissent à grand-peine la nature construite et interprétative des sources (VanSledright, 2002). La recherche d’Audigier (1995), comme celle de Lee (1998), révèle que les élèves du primaire peinent également à saisir la nature interprétative de l’histoire et à questionner les sources. Les plus jeunes distinguent difficilement une interprétation de l’autre et comprennent mal le contexte et les intentions de l’auteur. Le temps Diverses recherches témoignent du problème du présentisme (l’anachronisme par lequel on projette dans le passé des idées d’aujourd’hui) des jeunes élèves et de leur incapacité à distinguer les indices temporels dans des images; leur perspective temporelle serait purement dichotomique (aujourd’hui v. il y a longtemps), sauf lorsqu’ils la présentent selon une narration chronologique. Ainsi, les élèves les plus jeunes auraient difficilement accès au temps historique. Page 6 sur 8
Les élèves du primaire et du secondaire auraient aussi tendance à se représenter l’action humaine de façon linéaire et progressive — le présent moderne est meilleur que le passé en raison de l’action humaine — et à évacuer le futur (Audigier, 1995). Toutefois, d’autres études démontrent que les élèves âgés de 9 à 11 ans comprennent le temps moyen et le temps long et qu’ils sont capables de perspective temporelle (VanSledright, 2002). La causalité L’interprétation historique implique la construction de narrations explicatives liées les unes aux autres par la causalité. Les enfants, bien que possédant déjà certaines connaissances antérieures au moment où ils abordent l’étude de l’histoire à l’école, n’ont pas accès comme les adultes à un réseau organisé et cohérent de savoirs historiques leur permettant de structurer les liens causaux (Brophy et VanSeldright, 1997). Certaines recherches auprès d’enfants du deuxième cycle du primaire indiquent qu’ils comprennent difficilement la causalité lorsqu’elle implique les facteurs sociaux, économiques et politiques, bien qu’ils soient capables tant d’établir des chaines causales simples et plausibles que de reconnaître le pouvoir d’action individuel et collectif dans le changement social, lorsque le questionnement des enseignants les guide (Brophy et VanSeldright, 1997). Conclusion Les recherches relatives aux idées des élèves à propos du passé, de la façon de le connaître et de la façon de l’expliquer montrent que les élèves du primaire développent progressivement leur capacité à penser historiquement. Ces résultats soulignent le besoin de recherches futures permettant de décrire le seuil développemental de chacun des stades du développement de la pensée historique, de circonscrire leurs particularités et les manifestations observables qui y sont associées. Un tel regard pourra contribuer à comprendre comment se manifestent les compétences historiques des élèves et quels stades du développement de la pensée historique sont atteints. Enfin, la reconstruction de ces stades appelle à l’exploration des curricula et des attentes qui y sont manifestes à l’égard des élèves et des pratiques pédagogiques. RÉFÉRENCES : Audigier , F. (1995). Histoire et géographie : des savoirs scolaires en question entre les définitions officielles et les constructions des élèves. SPIRALE - Revue de Recherches en Éducation, 15, p. 83. Audigier, F., Auckenthaler, Y., Fink, N., Haeberli, P. (2002). Leçons d’histoire à l’école primaire. Cartable de Clio, 2, p. 194-217. Barton, K.C. et Levstik, L. (1996). Back when God was around and everything Elementary children’s understanding of historical time. American Educational Research Journal, 33 (2), p. 419-454. Page 7 sur 8
Barton, K.C. (1997). "I just kinda know": Elementary students' ideas about historical evidence. Theory and Research in Social Education, 25 (4), p. 407- 430. Barton, K.C. (2001). You’d be wanting to know about the past. Social context of children’s historical understanding in Northern Ireland and the United States. Comparative Education, 37, p. 89-106. Brophy, J. et VanSeldright, B. (1997). Teaching and learning history in elementary schools. New York: Teachers’ College Press. Cooper, H. (1995). History in the early years. London: Routledge. Cooper, H. et Capita, L. (2004). Leçons d’histoire à l’école primaire : comparaisons. Le Cartable de Clio, (3), p. 155-168 Lee, P. (1998). Making sense of historical accounts. Canadian Social Studies, 32 (2), p. 52-54. Pontecorvo, C. et Girardet, H. (1993). Arguing and Reasoning in understanding historical topics. Cognition and Instruction, 11 (3 & 4), p. 365-395. Rüsen, J. (2004). Historical consciousness : narrative structure, moral function, and ontogenetic development. Dans P. Seixas (dir.) Theorizing historical consciousness, (pp.63-85). Toronto: University of Toronto Press. Seixas, P. (1996). Conceptualizing the growth of historical understanding, dans Olson, D.R. et N. Torrance (Dir.), The Handbook of Education and Human Development. Cambridge, MA: Blackwell Publishers Ltd., p. 765-783. Seixas, P. (2004). Theorizing historical consciousness. Toronto: University of Toronto Press. VanSledright, B. (2002). In Search of America's Past: Learning to Read History in Elementary School. New York: Teachers College Press. Wineburg, S. (2001). Historical Thinking and Other Unnatural Acts. Philadelphie: Temple University Press. Que signifie « penser historiquement » chez des élèves de niveau primaire? Pour en savoir plus… STÉPHANIE DEMERS Doctorante, Université du Québec en Outaouais DAVID LEFRANÇOIS Professeur, Université du Québec en Outaouais MARC-ANDRÉ ÉTHIER Professeur, Université de Montréal Le complément direct Vivre le primaire, volume 22, numéro 4, automne 2009 Page 8 sur 8
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