TQS : un réseau qui lutte pour sa survie - Paul cauchon
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TQS : un réseau qui lutte pour sa survie Paul Cauchon Journaliste, Le Devoir U n réseau de télévision menacé de ferme- ture, ça ne s’était jamais vu au Canada. C’est pourtant ce qui est arrivé le 18 décembre Mais dès la fin des années 80, le CRTC auto- rise également le développement des chaînes spécialisées, qui se multiplient tout au long des 2007, quand TQS s’est placé, pour éviter la années 90. Cette concurrence n’explique pas faillite, sous la protection de la Loi sur les tous les déboires de TQS, mais il est indéniable arrangements avec les créanciers. qu’elle limite le plein développement du nou- Cette décision a donné lieu à six mois veau réseau. d’une véritable saga, pendant lesquels TQS est Accumulant les difficultés financières dans devenu le symbole des transformations qui les années 90, TQS est mis en vente et racheté affectent le paysage télévisuel. Et cette saga a en 1997 par Quebecor, qui le relance. Mais le été marquée par un grand débat sur la diversité nouveau propriétaire s’en départit en 2001, des sources d’information. après l’achat de Vidéotron/TVA. Cogeco entre Mais une question est demeurée en suspens alors en scène et devient, avec 60 % des parts, tout au long de la crise, et elle le demeure l’actionnaire majoritaire de TQS, contre 40 % encore : y a-t-il vraiment de la place au Québec pour CTVglobemedia. pour un troisième réseau généraliste et un deuxième réseau privé ? Une programmation qui fait mouche En 20 ans, TQS a lancé des artistes et des Une histoire mouvementée émissions qui ont fait sensation, que ce soit Au début des années 80, différentes statisti- Rock et Belles Oreilles, La fin du monde est à sept ques indiquent un attrait grandissant des Qué- heures, Flash, 110 % ou Surprise sur prise. Son bécois pour la télévision anglophone. Ces approche de l’information a bouleversé les données donnent lieu à une réflexion sur la règles, surtout avec l’arrivée de Jean-Luc Mon- possibilité de créer un nouveau réseau de télé- grain à la barre du téléjournal en 2000 : pour vision privé afin d’augmenter l’offre télévi- livrer les nouvelles, le présentateur s’adresse suelle francophone et, ainsi, de stimuler le directement au téléspectateur et va même marché. jusqu’à l’interpeller. Le Conseil de la radiodiffusion et des télé- Mais le réseau, qui se qualifie de « mouton communications canadiennes (CRTC) lance noir de la télévision », a toujours eu de la diffi- donc un appel d’offres, remporté par l’homme culté à asseoir sa rentabilité. Celle-ci est réelle d’affaires Jean Pouliot et son groupe CFCF, de 2002 à 2004. Mais, trois ans plus tard, la pour créer à l’automne 1986 Télévision Quatre situation s’est tellement dégradée que les deux Saisons (TQS). actionnaires décident, à l’automne 2007, de ne 346 Québec 2008-2009*.indd 346 17/11/08 09:24:47
Médias plus réinvestir dans l’entreprise et de lui trou- concurrence commerciale « déloyale » de ver un acheteur. Radio-Canada. On pourrait croire que la possession d’une Louis Audet fait aussi état de l’augmentation licence du CRTC pour faire fonctionner une des coûts de production (le réseau fait face à télévision généraliste représente, en soi, un des dépenses d’au moins 15 millions de dollars actif exceptionnel susceptible de faire saliver pour effectuer le passage au numérique), ainsi les acheteurs. Mais la situation financière est que le refus du CRTC de permettre aux chaînes tellement mauvaise qu’aucune entreprise ne se généralistes d’obtenir des revenus via les abon- montre intéressée ! nements au câble et au satellite. Les deux actionnaires placent donc TQS L’ancienne direction de TQS ne mentionne sous la protection du tribunal en décembre évidemment pas ses propres erreurs de gestion 2007, et le cabinet comptable RSM Richter agit et ses stratégies de programmation déficientes comme contrôleur de l’entreprise pour relan- (TQS remplissait de cer la vente. Le processus est encadré par la plus en plus ses cases Quelle que soit la couleur Cour supérieure du Québec. horaires avec des émis- de la calculatrice, TQS, sions bas de gamme et début 2008, est Des chiffres désastreux des films mineurs truf- techniquement On se doutait bien que le deuxième réseau privé fés de publicités). Du en faillite. du Québec n’allait pas très bien. Mais les chif- bout des lèvres, ses fres dévoilés pendant toute cette saga prouvent dirigeants admettent toutefois avoir trop voulu que la situation est pire qu’on l’imaginait. Les concurrencer Radio-Canada et TVA sur leur pertes accumulées en 20 ans s’élèvent à 225 propre terrain. Autrement dit, TQS ne se diffé- millions de dollars. Le déficit accumulé dépasse renciait pas assez. les 70 millions de dollars. La perte pour l’année On remarque par ailleurs que TQS n’a 2007 est d’au moins 18 millions de dollars. À plus les reins assez solides pour concurrencer partir de janvier 2008, le réseau perd 1,2 mil- l’empire Quebecor, qui mise sur les synergies lion de dollars par mois (en 2006 et 2007, le entre toutes ses propriétés depuis le début des chiffre d’affaires de TQS se situe autour de années 2000. 100 millions de dollars). Bref, quelle que soit TQS ne possède pas non plus de chaînes la couleur de la calculatrice, TQS, début 2008, spécialisées ou de grand site Internet pour est techniquement en faillite. amortir ses investissements en matière d’in- Plusieurs raisons sont évoquées pour expli- formation, comme c’est le cas pour Radio- quer cette crise et, en premier lieu, la baisse de Canada avec RDI, et TVA avec LCN. l’audience. Dans ses bonnes années, la part de TQS dans le marché télévisuel est de 13 à 14 %. L’arrivée de Remstar À l’automne 2007, elle se situe plutôt à 11 ou La vente de TQS s’effectue donc dans ce 12 %, portée essentiellement par le succès de contexte de crise. Le 10 mars 2008, l’identité la téléréalité Loft Story. À l’hiver, elle descend du courageux acheteur est dévoilée : parmi trois sous la barre des 9 %. offres, TQS a choisi celle de Remstar. Deuxième raison, l’érosion graduelle des Au printemps 2008, Remstar est encore une revenus publicitaires. Le président de Cogeco, entreprise privée peu connue, mais qui semble Louis Audet, mentionne la concurrence remporter un beau succès. Son image publique des chaînes spécialisées et des nouveaux demeure neutre, si l’on peut dire. Compagnie médias et dénonce ce qu’il prétend être la de production et de distribution de films, 347 Québec 2008-2009*.indd 347 17/11/08 09:24:47
L’état du Québec 2009 Maxime Rémillard, coprésident de Remstar, entouré de Fernand Belisle, conseiller, et de Serge Bellerose, vice-président de TQS. sans aucune expérience en télévision, elle a été Dernières nouvelles fondée en 1997 par deux frères, Maxime et Cette annonce donne lieu à une levée de bou- Julien Rémillard, maintenant dans la jeune tren- cliers d’une rare unanimité. Le fait qu’un taine. À l’origine, ceux-ci ont bénéficié de la réseau de télévision généraliste puisse ainsi fortune de leur père, Lucien Rémillard, qui a fait décider de ne plus présenter de bulletins de ses millions dans le transport des ordures. nouvelles provoque un choc. Alors que l’infor- Tout le monde a hâte de voir comment les mation est de plus en plus aux mains de grands frères Rémillard vont soigner le grand malade. empires, alors que dans les villes autres que Pendant ce temps, des créanciers aux abois, Montréal, et particulièrement à Québec, les artistes, artisans, employés de TQS et produc- salles de nouvelles se vident, la perte d’un teurs des émissions, attendent que le processus réseau complet, implanté dans cinq villes juridique se termine pour pouvoir toucher (Montréal, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke les sommes qui leur sont dues (les dettes de et Saguenay), est jugée scandaleuse. TQS sont de l’ordre de 35 et 40 millions de Il n’est pas surprenant que les syndicats de dollars). TQS et les organismes de défense des journa- Le 23 avril, Remstar annonce que, pour listes montent au créneau. Plus inusitées en sauver le réseau, elle doit éliminer ses salles de revanche sont les protestations de la classe nouvelles et abolir 270 des 480 postes perma- politique au grand complet. L’Assemblée natio- nents. En quelques jours à peine, son image nale du Québec adopte même une motion publique est pulvérisée, passant de la neutralité unanime de soutien aux nouvelles locales à au désastre. TQS. 348 Québec 2008-2009*.indd 348 17/11/08 09:24:47
Médias Excédé par le fait que TQS puisse, à l’avenir, tion en se passant de journalistes et sans avoir ponctionner le marché publicitaire de sa ville de salle des nouvelles à soi. sans offrir d’information locale en contrepar- Louis Trépanier soutient également qu’à tie, le maire de Québec, Régis Labeaume, lance l’ère d’Internet et des chaînes d’information le message suivant aux frères Rémillard : continue, TQS ne peut plus concurrencer les « Allez-vous-en chez vous, on ne veut pas de grands réseaux et que son propre service d’in- vous ici. » Il faut toutefois rappeler qu’à Qué- formation n’est plus rentable. Ce dernier bec, où l’on se plaint souvent de se voir impo- argument est contesté par des commissaires ser des décisions de Montréal, le bulletin local du CRTC, qui veulent démontrer que dans de TQS remportait un vif succès. certains marchés locaux l’information est ren- table. Un mauvais moment à passer devant le CRTC En tout état de cause, le discours de Remstar Le CRTC a l’obligation de tenir une audience marque vraiment un tournant, dans le sens publique pour autoriser les transactions parmi où l’information est présentée comme une les détenteurs de licence. L’audience concer- marchandise commerciale qu’on peut décider nant TQS, qui se déroule du 3 au 5 juin, est d’offrir selon sa ren- exceptionnelle à plusieurs égards. D’abord à tabilité. Les oppo Faire de l’information en cause de la rapidité de sa tenue : le CRTC recon- sants à Remstar, se passant de journalistes naît l’urgence de la situation en convoquant eux, tentent de faire et sans avoir de salle des l’audience dans de très brefs délais et en ren- valoir la responsabi- nouvelles à soi. dant sa décision dans des délais plus rapides lité sociale qu’un encore. télédiffuseur généraliste doit avoir envers la Exceptionnelle, l’audience l’est aussi au population. Un argument entendu par le CRTC, regard de son déroulement. Les explications qui profite de l’audience pour clairement établir des dirigeants de Remstar agacent tellement le qu’un télédiffuseur généraliste se doit d’offrir président du CRTC, Konrad von Finckenstein, de l’information, et particulièrement des nou- qu’il leur lance : « Soyons francs, nous avons velles locales. beaucoup de problèmes avec votre proposi- Le CRTC propose alors à Remstar de réflé- tion. » Un langage rarement entendu chez un chir à la possibilité d’offrir quand même un dirigeant de cet organisme fédéral... niveau minimal d’information locale. L’orga- Remstar tente de proposer un nouveau nisme fédéral cherche clairement à provoquer concept d’information et s’engage à créer deux une ouverture du nouveau propriétaire de TQS. émissions quotidiennes de deux heures : la Cela permettrait au CRTC, après avoir critiqué première, diffusée le matin, en provenance de le projet de l’entreprise, d’accepter la transac- Québec, et la seconde, diffusée en fin d’après- tion sans perdre la face. midi, en provenance de Montréal. L’idée est Remstar promet donc de faire un effort. Il d’offrir une revue commentée de l’actualité en met également sur la table un fonds de utilisant les informations des autres médias et 20 millions de dollars pour la relance de TQS. les informations fournies par les citoyens. Le 26 juin, le CRTC accepte la vente, tout en Comme l’explique Louis Trépanier, le vice- plaçant l’entreprise sous surveillance : une président à la programmation de TQS, « ce nouvelle audience publique est prévue en 2011 n’est pas un journaliste qui va raconter l’his- pour évaluer l’expérience. toire, mais celui qui fait l’histoire qui viendra la raconter ». Autrement dit, faire de l’informa- 349 Québec 2008-2009*.indd 349 17/11/08 09:24:47
L’état du Québec 2009 Le saut dans l’inconnu avec un public cible de 18 à 49 ans. On croit Car il s’agit bien d’une expérience. On ignore comprendre que les sommes économisées par encore comment TQS parviendra à offrir des l’abolition du service des nouvelles seraient informations locales exclusives en faisant appel réinvesties dans des séries dramatiques et des à des producteurs indépendants. Les syndicats magazines. de l’entreprise ont vite compris qu’on allait Il reste une donnée, incontestable : TQS est produire de l’information en sous-traitance, en faillite technique. Le nouveau propriétaire avec des producteurs qui engageraient à moin- doit prouver qu’un deuxième réseau privé a dre coût des employés mis à pied. encore sa place au Québec, avec une program- Il faudra également attendre quelques mois, mation qui saura se distinguer et attirer le sinon à l’automne 2009, pour que Remstar public, dans un contexte où ce sont surtout les puisse véritablement mettre en place son nou- chaînes spécialisées et les nouveaux médias qui veau concept de télévision jeune et novatrice, ont le vent dans les voiles. Lourd défi. 350 Québec 2008-2009*.indd 350 17/11/08 09:24:47
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