TURNER The Sun is God - En collaboration avec la Tate - Fondation Pierre Gianadda
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F O N D A T I O N P I E R R E G I A N A D D A TURNER The Sun is God DU 3 MARS AU 25 JUIN 2023 En collaboration avec la Tate Supplément du Jeudi 2 mars 2023. Ce cahier ne peut être vendu séparément.
SOMMAIRE 4 William Turner, la réinvention du paysage 6 The Sun is God ou l’éblouissement métaphysique 11 L’esthétique du sublime 17 William Turner, la biographie 18 Michel Darbellay, le spectacle de la nature 20 Les giratoires de Martigny, Nous sommes ravis que la couverture d’assurance l’art dans la ville pour les œuvres de l’exposition Turner nous ait été confiée. 27 Le Béjart Ballet à l’Amphithéâtre de Martigny 32 Prochaine exposition d’été: les années fauves 36 Martigny-la-Romaine 38 La Fondation Pierre Gianadda et ses jardins Turner ou le «peintre de la lumière» L L’ÉLÉGANCE DEPUIS 1955 a Fondation Pierre Gianadda propose, en commissaire, David Blayney Brown, le parcours de La Moselle, vers 1830. collaboration avec la Tate de Londres, la l’exposition se décline en sept sections distinctes, Gouache et aquarelle sur papier, magnifique exposition «Turner – The Sun is dont chacune met en exergue un des différents 13,7 x 18,8 cm. God», riche d’une centaine d’œuvres comprenant thèmes et genres de prédilection du peintre: ses huiles sur toile, gouaches, aquarelles ainsi que des marines, ses bateaux quittant le port ou pris dans des En couverture gravures. tempêtes, ses ciels éblouissants et ses exceptionnels Départ pour le bal (San Né en 1775 à Londres, ce célèbre paysagiste de la couchers de soleil embrasant l’horizon, ainsi que des Martino), exposée en 1846. période romantique s’éteint en 1851 à Chelsea dans scènes mythologiques ou des peintures historiques. Huile sur toile, 61,6 × 92,4 cm. la même ville, à l’âge de 76 ans, après avoir effectué Fasciné par les prouesses technologiques de son de très nombreux voyages tout au long de son temps, il n’hésite pas à introduire dans ses toiles des Acceptées par la nation dans le cadre existence. éléments modernes issus de la révolution industrielle, du Legs Turner en 1856. Photos: Tate Le titre de l’exposition «The Sun is God1» reprend comme le chemin de fer et le bateau à vapeur, tout les dernières paroles que Turner aurait prononcées en en pressentant l’impact néfaste. avant sa mort, au matin du 19 décembre 1851, Au fil de cette exposition conçue telle une expérience comme l’a noté son médecin. «Le temps était très immersive, Turner parvient à nous emporter dans terne et sombre, mais juste avant 9 heures du matin, d’aériens et merveilleux tourbillons de sensations au le soleil a éclaté et a brillé directement sur lui avec sein de ses espaces océaniques ou célestes. Héritier cet éclat qu’il adorait contempler2.» des maîtres de la peinture tels que Titien, Rembrandt Attribué de même à l’une des sept sections de ou Poussin, le «peintre de la lumière» annonce les IMPRESSUM l’exposition, ce titre révèle combien le soleil et plus révolutions de l’art moderne, de l’impressionnisme Editeur ESH Médias Editions, rue de l’Industrie 13, 1950 Sion largement la lumière occupaient une place de Claude Monet à l’abstraction lumineuse de Mark Responsable des magazines absolument centrale dans son œuvre. Passionné par Rothko. Didier Chammartin Rédacteurs Julia Hountou, Jean- les théories scientifiques relatives à la lumière et à la Henry Papilloud, Sophia Cantinotti, couleur, Turner n’a cessé sa vie durant de restituer Julia Hountou Antoinette de Wolff-Simonetta, Catherine Buser, Charles Delaloye dans ses toiles le rayonnement solaire et ses Réalisation Sonia Pitot innombrables et subtils effets lumineux, tout en Publicité impactmedias 1 Le Soleil est Dieu Impression Swissprinters AG s’inspirant des représentations mythologiques et 2 Dr Bartlett, in A.J. Finberg, «The Life of J.M.W. Turner», R.A., Tirage 79 000 exemplaires symboliques de l’astre. Oxford, 2nd ed.1961, p.438. Monsieur Diffusion Encarté dans «Le Suivant une pluralité thématique établie par le Nouvelliste» et distribué à la Fondation Pierre Gianadda. CONSEILS PERSONNALISÉS XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX COSTUME ET SPORTSWEAR SUR-MESURE XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX VÊTEMENT MONSIEUR SA, PLACE CENTRALE 3, 1920 MARTIGNY PAGE 3
WILLIAM TURNER «The Sun is God» LA RÉINVENTION DU PAYSAGE OU LA NATURE CONSOLATRICE Artiste prodige et prolifique, travailleur acharné, prêt à toutes les expérimentations formelles, voyageur infatigable, Joseph Mallord William Turner (1775-1851) est l’une des figures de proue du roman- tisme en Angleterre et, sans conteste, un incroyable visionnaire. Fils d’un barbier et perruquier du quartier de Covent Garden, à Londres, il apprend en autodidacte le dessin et l’aquarelle. Grâce à ses prédisposi- tions exceptionnelles, il est très tôt remarqué par des antiquaires, des Grèves du Duddon, Cumbrie, vers 1825-1832. la lagune et l’éclat du soleil. A me- graveurs et d’illustres architectes, Mine de plomb, aquarelle et craie sur papier, 27,6 × 45,2 cm. sure que son art évolue, Turner s’af- qui l’emploient comme apprenti. franchit des conventions picturales Tout jeune, il expose des aquarelles académique de l’époque – le jeune pour les restituer avec une expressi- et des diktats académiques pour se d’architecture ingénieusement éla- prodige, muni de ses crayons et de vité inégalée. laisser avant tout guider par ses borées, grâce auxquelles il se distin- sa boîte d’aquarelle, parcourt seul, Les deux premières parties de l’ex- émotions. Si sa singularité et son gue dans le microcosme artistique. tout d’abord la Grande-Bretagne à position, «Mémoire, imagination audace artistique suscitent souvent Admis à 14 ans à l’école de la Royal pied, à cheval ou en bateau, «noir- et synthèse» et «Mise en situation», l’incompréhension de ses pairs, sa Academy de Londres, il suit cissant» des centaines de carnets de montrent comment Turner illustre sensibilité exacerbée, à fleur de d’abord les cours d’après l’antique paysages ébauchés au fusain et à la les récits mythologiques ou histori- peau, lui permet de se laisser totale- puis d’après le modèle vivant, jus- mine. Sa prodigieuse mémoire lui ques en créant d’impressionnants ment absorber par les multiples qu’en 1793. Cette même année, il permet d’enregistrer les tonalités paysages où l’imagination l’em- paysages qui se déploient sous ses reçoit un prix de la Royal Society of changeantes et les effets lumineux porte sur l’exactitude. yeux. Arts pour ses dessins et sa maîtrise aux différents moments de la jour- Profondément épris de liberté tant des paysages. Il admire particulière- née, qu’il transcrit à l’aquarelle ou à Dissolution de la réalité dans sa vie que dans sa pratique, ment Claude Gellée, dit «le l’huile sur toile une fois de retour dans la lumière Turner parvient à s’échapper régu- Lorrain», Titien, Nicolas Poussin, dans le calme de son atelier. La section 3 de l’exposition, intitu- lièrement des étroits cénacles lon- Salvator Rosa et Canaletto pour leur lée «Lumière et atmosphère», porte doniens qui brident sa fougue en traitement magistral des couleurs et Expressivité inégalée plus spécifiquement sur la fascina- trouvant refuge dans l’immensité des effets de lumière. Hardi et insa- Grâce à sa fine observation de la tion constante de Turner pour les de la splendide nature, propice à tiable, ce virtuose précoce cherche nature, Turner en révolutionne le phénomènes météorologiques, du l’évasion, au ressourcement et à la rapidement à surpasser ses maîtres, mode de représentation conven- crépuscule à l’aube. Cet amoureux contemplation. En s’immergeant sans hésiter à s’inspirer de certains tionnel. Sa formation de topogra- des cumulonimbus, des stratus, de la dans le merveilleux «miroir» du de leurs motifs afin de les réinterpré- phe accroît sa perception aiguë des brume, des mélancoliques nébulosi- macrocosme, il parvient admirable- ter au gré de son imagination. Sa phénomènes météorologiques, des tés, de l’ombre et des ténèbres, mais ment à «mesurer avec émotion et maestria se voit couronner en 1801 détails géologiques et animaliers et aussi des fulgurants miroitements, sincérité les humeurs de la nature», par son élection comme membre à des effets chromatiques de la lu- des chatoiements nacrés ou des dit l’écrivain et critique d’art John part entière de la Royal Academy of mière. Sa maîtrise de l’huile, de flamboiements… privilégie la lu- Ruskin, admirateur et défenseur de Arts. C’est en grande partie grâce à l’aquarelle, du dessin et de la gra- mière dont le rayonnement finit par Turner. L’intensité, la puissance des ce succès – académique – que vure lui permet d’innover en mé- dissoudre la réalité au profit d’une éléments ne cessent de l’inspirer, de Turner peut vivre de son art et par la langeant les spécificités des diffé- vision souvent proche du mirage. le stimuler, de le vivifier et de suite affirmer son indépendance. rentes techniques, comme en attes- Si ses voyages à travers la Grande- l’exalter. Réconfortants, ils lui pro- tent les œuvres de l’exposition. Bretagne et l’Europe continentale curent l’apaisement. Consolants, ils Un voyageur insatiable Elles montrent de même à quel ont été une source d’inspiration in- viennent finalement réveiller son Avant tout captivé par la peinture point l’aquarelle joue un rôle es- épuisable, c’est à Venise que Turner sentiment d’appartenance à un de paysage – un genre qui occupe sentiel dans sa manière de capter fait l’apprentissage de la lumière, grand Tout. Bacchus et Ariane, exposée en 1840. Huile sur toile, 78,7 × 78,7 cm. une place secondaire dans le milieu l’intensité des forces de la nature captant l’atmosphère vaporeuse de Julia Hountou >> PAGE 4 PAGE 5
Les œuvres de la maturité ou l’éblouissement métaphysique TURNER «THE SUN IS GOD» DU 3 MARS AU 25 JUIN 2023 Reprenant les derniers mots (1846), au moment où les bateaux prononcés par Turner au seuil emmènent les invités à l’un des lé- de sa mort en 1851 à 76 ans, à gendaires bals masqués de Venise. Chelsea (Londres), la section 4, Turner trouva une inspiration fé- intitulée «The Sun is God», nous conde dans la sublime «ville de éblouit par la splendeur des œu- l’eau» qu’il visite pour la pre- vres de la maturité. Au sommet de mière fois en 1819 (de 1833 à son art, cet incroyable innovateur 1846, les scènes vénitiennes re- s’autorise toutes les audaces. La présentent un tiers de ses créa- hardiesse et la liberté de ses em- tions). Cette œuvre fut son dernier brasements chromatiques ne ces- tableau de la ville. sent de nous subjuguer et de nous A l’arrière-plan, la cité des Doges émerveiller. et ses édifices «noyés» dans la brume se détachent tels des Passionné par l’ombre silhouettes spectrales. Si l’archi- et son opposé tecture indique encore l’horizon, Occupant une position centrale la structure des bâtiments qui dans son œuvre, l’astre ainsi déi- commence à s’estomper guide fié suggère la dévotion de l’artiste notre regard vers l’unique point de à la lumière et plus largement aux fuite, matérialisé par l’éclat du éléments naturels. Sa vie durant, soleil couchant. Désireux de trans- ce brillant coloriste cherche sans mettre des impressions fugitives, relâche à comprendre la composi- Turner peint avec lyrisme tion de la couleur, de la lumière et l’embrasement étincelant qui plus généralement son interaction envahit l’eau de ses reflets dorés avec la «matière» du monde. en irradiant le ciel de tonalités Dès le XVIIIe siècle, de multiples subtiles et chatoyantes. Les publications consacrées à la cou- formes commencent à se dissou- leur paraissent. En 1704, le physi- dre, à se dématérialiser, à tendre cien anglais Isaac Newton analyse de plus en plus vers l’abstraction les rayons lumineux à travers des pour se concentrer sur l’essentielle prismes et identifie les sept cou- énergie solaire. Alors qu’à cette leurs du spectre (rouge, orange, époque en Angleterre le public jaune, vert, bleu, indigo et violet). apprécie les détails réalistes, Turner en prend connaissance. Turner préfère suggérer pour lais- Passionné par l’ombre et son op- ser libre cours à l’imagination. posé, par les harmonies et les con- trastes chromatiques, ce dernier Peintre voyageur lit et étudie notamment le «Traité Cet audacieux précurseur s’éver- des couleurs» du poète et drama- tua à pousser à leur paroxysme turge allemand Johann Wolfgang ces fascinantes tonalités ambrées von Goethe, paru en 1812 et tra que tant de confrères jugent criar- duit en anglais en 1840. Turner des à l’époque. Sur les routes possédait une copie annotée de d’Ecosse, de France, de Suisse ou cet ouvrage qui questionne le sen- d’Italie, il emporte des tubes rem- sible et les perceptions visuelles. plis de ses pigments de prédilec- Il ira même jusqu’à peindre en tion: or, ocre, miel, tournesol, ca- 1843 «Lumière et couleur» (la nari, blond vénitien, fleur de sou- théorie de Goethe). fre, jaune de chrome, laque de La splendeur dorée du coucher du jaune… Fou de ce coloris, il est le Départ pour le bal (San Martino), exposée en 1846. Huile sur toile, 61,6 × 92,4 cm. soleil nimbe la scène du «Départ premier à utiliser ces innovations pour le bal (San Martino)» mises au point par des scientifiques. >> PAGE 6 PAGE 7
TURNER «THE SUN IS GOD» DU 3 MARS AU 25 JUIN 2023 La visite au tombeau, exposée en 1850. Huile sur toile, 91,4 × 121,9 cm. >> Une douzaine de teintes différen- énergie vitale au tableau. En nous tes ont été trouvées dans son ate- immergeant pleinement dans la lier, conservé aujourd’hui à la Tate. couleur, Turner cherche véritable- En optant pour un apprêt blanc, ment à aiguiser nos sens. Créant technique généralement employée sa «propre» lumière, il la projette en aquarelle et qui en peinture à sur le réel, tel un visionnaire éclai- l’huile était aussi pratiquée par rant le monde. De fait, à l’époque Thomas Gainsborough1, à l’oppo- romantique, il est souvent décrit sé des apprêts sombres en faveur comme «un génie doté d’une ca- chez ses prédécesseurs, Turner ac- pacité créative divine». Par centue encore l’éclat de cette cou- ailleurs, outre les effets scientifi- leur solaire. Au-delà du seuil du vi- ques, le rayonnement renvoie au sible, les infinies modulations de pouvoir mythologique et symbo- textures (lisses ou rugueuses), dont lique de l’astre. la consistance varie sur la toile (ta- Alors que ses adversaires le di- ches, plaques, pigments épais ou saient atteint de «fièvre jaune», ce Lever du soleil, pêche au merlan à Margate, 1822. aplatis par la brosse, le pinceau ou magicien et merveilleux alchi- Aquarelle sur papier vélin blanc, 38,8 × 49,7 cm. les ongles) qu’il déploie avec miste, capable de transmuer ses 1 maestria, amplifient la magie du matériaux en splendides œuvres tels que James Abbott McNeill Peintre, graveur et dessinateur britannique poudroiement qui baigne ses œu- de l’imagination, parle immédia- Whistler, l’impressionniste Claude (1727-1788), il est l’un vres et leur confèrent leur puissant tement à nos sensibilités actuelles Monet et, plus tard, l’expres- des plus célèbres portraitistes et pouvoir vibratoire. grâce à leur extraordinaire affran- sionnisme abstrait de Mark paysagistes de la Grande- chissement esthétique. Détenant Rothko ou l’abstraction lyrique Bretagne du XVIIIe siècle. Energie vitale une place capitale dans l’histoire de Zao Wou-Ki. De surcroît, la saturation ocrée de de l’art occidental, son influence la toile insuffle une prodigieuse fut déterminante sur des peintres Julia Hountou >> PAGE 9
L’esthétique du sublime TURNER «THE SUN IS GOD» DU 3 MARS AU 25 JUIN 2023 Objet à la fois d’étude et de Paysage avec eau, vers 1840-1845. A Lucerne, Venise et Margate, contemplation illimitées, le Huile sur toile 91,4 × 121,9 cm. par exemple, l’eau réfléchissante rayonnement solaire opère interagissant avec la lumière par- chez Turner un mouvement de ticipe de cette présence du su- l’être vers l’élévation, le dépas- qu’il oppose à la douceur ressen- émotionnels allant du calme à blime, accentuée par les effets de sement, voire la transcendance tie dans l’expérience du beau. l’effroi, en passant par la joie ou flou et de dissolution des formes. face à la grandeur des éléments. Comme beaucoup d’artistes de l’émerveillement. Emu et subjugué par les manifes- Empreinte de cet esprit, la sec- sa génération, Turner s’est inspi- Cette partie de l’exposition pré- tations grandioses de la nature, tion 4 de l’exposition embrasse le ré de «Recherche philosophique sente un magnifique ensemble de Turner exprime ses émotions thème du sublime – réinterprété sur l’origine de nos idées du su- paysages montagneux tels que face aux souverains couchers et par les philosophes Edmund blime et du beau» d’Edmund «Montagnes. Le Saint-Gothard» levers de soleil, aux tranquilles Burke et Emmanuel Kant – inspi- Burke, qui l’amène à explorer (1830) ou lacustres («Le lac, ou majestueux cours des rivières, rant le concept esthétique du ro- une nouvelle conception de la Petworth – Coucher de soleil», aux ondulations nuageuses sur mantisme. beauté fondée sur la crainte sus- étude, parmi une série, 1827- une plaine, à une pluie battante Transcendant le beau, le sublime, citée par les paysages grandioses 1828) découverts en Suisse et en glaciale… qui désigne une qualité d’ex- et la puissance des éléments na- Italie – dont un superbe ensemble trême amplitude ou force, est lié turels. Elaborant une conception de vues de Venise – où le motif de Halo lumineux au sentiment d’inaccessibilité éminemment sensible du pay- l’eau permet au peintre de déve- Par sa majesté saisissante, la spec- face à l’incommensurable; il sage, l’artiste cherche à restituer lopper une interprétation lyrique taculaire scène mythologique «Le mêle peur et admiration, frayeur les infinies variations atmosphé- de la nature. Ses marines et ses rameau d’or» (1834), également et émerveillement. Au XVIIIe siè- riques en utilisant le pouvoir sug- études de ciels offrent des images visible dans cette section, est par- cle, Burke dit du sublime qu’il gestif de la couleur, afin de nous fantastiques, profondément évo- ticulièrement à même de rendre produit une «terreur délicieuse», transporter dans différents états catrices de l’infini. l’idée du sublime. Illustrant un >> PAGE 11
Eaux-de-vie et liqueurs aux ffruits it ddu Valais www.morand.ch Manoir de la Ville de Martigny TURNER «THE SUN IS GOD» DU 3 MARS AU 25 JUIN 2023 04.03 — 21.05.2023 FRAGILITÉS REFUGES >> passage du livre VI de «L’Enéide» Le lac de Buttermere avec une partie du lac Crummock Turner a visité le col reliant les de Virgile, Turner crée une œuvre Water, Cumberland, averse, exposée en 1798. Alpes suisses au nord de l’Italie lors David Brülhart mystérieuse aux accents fantasti- Huile sur toile, 88,9 × 119,4 cm. de son premier séjour sur le conti- Laure Gonthier ques. Le héros Enée veut pénétrer Acceptées par la Nation comme part du legs Turner en 1856. nent, en 1802, bien qu’il n’ait pas Coline Ladetto dans les Enfers pour y consulter traversé l’Italie à ce moment-là. Josette Taramarcaz Anchise, son père défunt. La Sibylle Fasciné par les structures rocheuses, de Cumes lui annonce qu’il doit of- Il nous invite à «voir» ce qui est im- multueuse, des lourdes nuées me- il représente ici une arche naturelle frir un rameau d’or d’un arbre sacré palpable et éthéré, nous conviant à naçantes, de l’eau aussi noire que encadrant une silhouette humaine, à Perséphone pour ce faire. La pein- nous interroger sur ce qu’il advient l’encre… «incarne» des formes de tandis que la mule chargée qui pré- ture montre le paysage autour du lac lorsque la vie nous «quitte». Cette plus en plus sinistres. Le peintre cède le personnage suggère la ru- Averne (à l’arrière-plan), où se situe énigmatique trouée éblouissante, au cherche l’inouï jusque dans desse de l’ascension. la porte du royaume d’Hadès. A cœur du décor naturel, métaphorise- l’épouvante. Ce qui l’intéresse gauche, la Sibylle tient une faucille t-elle la contrée redoutée où s’éva- alors, c’est le spectacle dramatique Moins connues que ses aquarelles et la branche coupée. Les Parques nouit notre existence? des éléments destructeurs en furie et ses peintures à l’huile, bien dansant à l’arrière-plan et le serpent qui embrasent dans le même temps qu’importantes pour l’artiste, les au premier plan évoquent les mystè- Face aux ténèbres sa palette. Ses sujets nous terrifient gravures de Turner sont également res de l’Erèbe. Dans l’Antiquité, le En contrepoint de la sublimation autant qu’ils nous subjuguent. mises en valeur dans cette ultime lac Averne, d’origine volcanique, de la lumière, Turner explore avec partie de l’exposition. Grâce à la re- était associé à l’enfer en raison des autant de virtuosité et de fougue la En regard de la nature productibilité du médium, aisément fumerolles et des gaz qui s’en déga- profondeur de l’ombre. Il dépeint Regroupant dix-huit œuvres parmi exploitable commercialement, il geaient. Turner le dépeint tel un des scènes tragiques où les élé- lesquelles dix gravures sur papier, la peut ainsi toucher un public plus grand halo laiteux légèrement bleu- ments se déchaînent: tempêtes section 7 – «En regard de la na- vaste. Ses œuvres, confiées à des té, presque aveuglant, empreint d’un spectaculaires, mers démontées, ture» – dépeint tout d’abord la fragi- graveurs professionnels, sont trans- caractère surnaturel. L’artiste rompt naufrages, incendies dévasta- lité de l’homme face aux forces et à posées fidèlement sur des plaques ici avec la figuration pour laisser s’ex- teurs. Ce sublime ténébreux ex- la magnificence de la nature, à l’ins- de cuivre ou d’acier afin de traduire primer sa sensibilité métaphysique. primé sous la force de la houle tu- tar de «Saint-Gothard» (1806-1807). en niveaux de gris les tonalités >> www.manoir-martigny.ch PAGE 13
TOUTE L’ÉNERGIE BIEN D’ICI LA GÉRANCE GIANADDA FAIT CONFIANCE À SINERGY ET DRANSENERGIE POUR L’INSTALLATION DE PLUS DE 2’000 M2 DE PANNEAUX PHOTOVOLTAÏQUES SUR SES BÂTIMENTS DE LA MAGNIFICENCE DES COULEURS AUX GRAVURES EN NOIR ET BLANC >> originales. Très exigeant, Turner Newcastel-on-Tyne, gravée par Thomas Lupton,1823. franchit le fleuve pour s’éloigner de supervise personnellement ce tra- Manière noire sur papier, 34,5 × 51,5 cm. Achat 1986. la campagne rurale. Ce «mirage» vail. S’il est capable de créer des Photos © Tate presque onirique du transport ferro- aquarelles d’une beauté et d’une viaire est sans conteste l’un des tout complexité remarquables, il parvient «Pluie, vapeur et vitesse» illustre la un pont tandis que des jeunes filles premiers témoignages artistiques de admirablement à les muer en noir et sensation d’accélération caractéris- sur le rivage évoluent à l’abri d’un la révolution industrielle. Le «Great blanc, en conservant les subtilités tique des nouvelles machines à va- saule. La composition marque ainsi Western Railway» est le chemin de des nuances et textures initiales. peur. Le paysage est composé selon la rupture temporelle entre le monde fer le plus rapide d’Europe à l’épo- Comme en atteste notamment la un schéma perspectif central où agraire pastoral d’antan (labour, cy- que; il fait la gloire de toute gravure «Pluie, vapeur et vitesse» l’action se concentre sur le train sur- cle, saison, rivière…) et la vitesse de l’Angleterre. De surcroît, la vue (1859-1861), les œuvres de cette gissant de la brume. Notre attention la révolution industrielle en marche. frontale de la machine, lancée à section témoignent de la fascina- se focalise sur la locomotive noire, Profondément avant-gardiste, toute vapeur – comme dans une tion du peintre pour la modernité comme phosphorescente, dont la Turner cherche à restituer l’impres- fuite en avant – symbolise l’expan- de son temps et de son engouement puissance semble poussée à son sion fugitive et atmosphérique de sion mécanique et son empreinte ir- particulier pour la vitesse, le comble alors qu’elle émerge d’un ri- l’accélération du temps. Les formes réversible sur la marche du monde. voyage et la prouesse technologi- deau de pluie au sein d’un paysage se dissolvent, ne laissant se détacher Cette thématique inspire de nom- que, dont il fut l’un des premiers à presque abstrait. L’impression de vi- que quelques éléments pour expri- breux artistes du XIXe siècle, tels EDOUARD BAER jouir mais aussi à entrevoir les dé- tesse est accentuée par la composi- mer l’énergie, la célérité et les effets que les impressionnistes, fascinés veloppements néfastes. tion en diagonale de la gravure, cou- de bruine. par les usines de la Seine; Claude pée en deux par la perspective des Monet en particulier, qui peint à de Ode à la nouveauté rails. A l’avant du convoi, un lièvre Empreinte sur la marche multiples reprises le train en gare de du monde LES ÉLUCUBRATIONS D’UN HOMME SOUDAIN S’éloignant de la douceur de ses tente d’échapper en courant à son Saint-Lazare à Paris. Les frères aquarelles vénitiennes et de la pure funeste destin. A droite de la redou- Symbole de la transformation politi- Lumière captent eux aussi la puis- FRAPPÉ PAR LA GRÂCE RÉSERVATIONS tradition du mouvement romanti- table machine, on distingue, dans la que, économique et sociale, le che- sance visuelle de ces machines as- SAINT-MAURICE TOURISME que, Turner célèbre ici l’industrie brume, des champs, un engin agri- min de fer révolutionne les échanges sourdissantes avec l’arrivée du train 024 485 40 40 moderne que ses pairs jugent artisti- cole; et, à gauche, une embarcation commerciaux. Aussi, Turner choisit en gare de La Ciotat. JEU 4 MAI WWW.MARTOLET.CH quement contestable. de pêche qui s’apprête à passer sous délibérément le moment où le train Julia Hountou 20H30 SAINT-MAURICE PAGE 15
Biographie WILLIAM TURNER 1775-1851 1775 Joseph Mallord William 1801 Présente une marine à la Turner naît le 23 avril à Covent Royal Academy of Arts qui lui Garden, à Londres dans une fa- vaut d’y être élu académicien. mille modeste. Son père était bar- bier et perruquier et sa mère, issue 1802 Durant cette année de paix d’une famille de bouchers. entre la France et la Grande- Neurasthénique, elle perd pro- Bretagne, il visite la France et la gressivement la raison et meurt en Suisse (dont Martigny). Se rend au 1804. Louvre où il découvre notamment Poussin. 1785 Agé de dix ans Turner est William Turner, autoportrait, vers 1799. envoyé chez son oncle maternel, 1804 Ouvre sa propre galerie Huile sur toile 74,3 × 58,4 cm. © Tate Joseph Mallord William Marshall, dans sa maison du 64, Harley à Brentford, petite ville sur les ri- Street (Londres). Les mécènes et ves de la Tamise à l’ouest de admirateurs s’y pressent. Londres. C’est à ce moment-là Internée en psychiatrie, la mère 1824 Visite la Belgique, le 1841-1844 Visites estivales que sa passion pour le dessin de Turner décède. Luxembourg, l’Allemagne et le en Suisse, séjourne souvent à s’éveille. nord de la France. Lucerne. 1807 Constitue son «Liber 1785 A Margate sur la côte nord- Studiorum» (Livre des Etudes), 1825 Travaille sur son projet 1845 Deux séjours dans les est du Kent, Turner produit une une collection d’estampes réalisées topographique «Vues pittoresques Hauts-de-France, alors que sa série de dessins de la ville et des entre 1807 et 1819 d’après ses en Angleterre et au Pays de santé décline. Président par environs préfigurant ses travaux peintures de paysages. Elu Galles». intérim de la Royal Academy ultérieurs. professeur de perspective à la pendant la maladie du président, Royal Academy School. 1826 Visite le nord de la France puis vice-président jusqu’en 1846. 1787 Premiers dessins signés et (Normandie, Picardie, val de Loire, datés. Son père l’expose dans la 1817 Visite la Hollande, la Bretagne); en 1829: Paris et vallée 1846 Déménage à Chelsea, à vitrine de son salon de coiffure. Belgique dont le site de la bataille de la Seine, Normandie et îles l’ouest de Londres et vit sous un de Waterloo. Anglo-Normandes; en 1832: Paris nom d’emprunt. 1789 Admis à la Royal Academy et la Seine. School (Londres). 1819-1820 Visite de nombreuses 1850 Expose à la Royal Academy villes en Italie (Turin, Milan, 1829 Le décès de son père affecte pour la dernière fois. 1790 Présente sa première aqua- Venise, Bologne, Rome, Naples, beaucoup le peintre, qui connaît relle à l’exposition annuelle de la Pompéi et Paestum). Lors de ces alors un épisode dépressif. 1851 S’éteint le 19 décembre à Royal Academy. voyages décisifs, il enregistre ses l’âge de 76 ans au domicile de sa impressions dans des croquis et 1833 Visite Berlin, Dresde, compagne Sophia Caroline Booth 1792-1796 Voyage au Pays de des notes dont il se servira Prague, Vienne et Venise. à Cheyne Walk, dans le quartier Galles et dans le Kent où il peint à ensuite dans de nombreux sujets de Chelsea et est inhumé le l’aquarelle, sur le motif, les classiques. Il revient plusieurs fois 1836 Se déplace en France et en 30 décembre à la cathédrale Saint pittoresques paysages. en Italie, en 1828-1829 (Gênes, Suisse, une source d’inspiration Paul de Londres. Florence, Rome, Ancône et Turin), privilégiée. 1796 Expose à la Royal Academy en 1833 (Venise), en 1836 (val 1856 Legs Turner à la National sa première peinture à l’huile d’Aoste), en 1840 (Venise). 1840 Peint l’un de ses tableaux Gallery, future Tate Britain. «Pêcheurs en mer». les plus engagés «Le Négrier» ou 1821 Visite Paris et parcourt la «Le Bateau négrier» qui traite du 1799 Elu membre associé de la Seine, réalisant des vues pour la sort des esclaves. Julia Hountou Royal Academy of Arts. gravure. PAGE 17
Au cours d’une longue carrière, Michel Darbellay a beaucoup photographié la nature. En toute MICHEL DARBELLAY, saison, par tous les temps. «Peintre impatient», il joue avec la lumière et capte avec son objectif des impressions, des ambiances, des le spectacle de la nature phénomènes météorologiques. De la pellicule au papier, il nous offre des œuvres que d’autres nommeraient croquis, esquisses, tableaux… EXPOSITION DE PHOTOGRAPHIES DU 3 MARS AU 25 JUIN 2023, GALERIE DU FOYER Tout naturellement, l’exposition de ses photographies s’inscrit en résonance avec les tableaux de William Turner, comme cela avait déjà été le cas en 1999 quand la Fondation présentait en parallèle «Turner et les Alpes» et «Les Alpes en photographies par Oscar et Michel Darbellay». Une vie marquée par les images Fils d’Oscar Darbellay et de Jeannette Mettan, Michel naît le 28 juillet 1936 à Martigny. Il effectue un apprentissage de photographe auprès de son père. Son diplôme en poche, il assiste Oscar dans le lancement d’une production artisanale de cartes postales noir et blanc. Il quitte le Valais et, après une année de travail à Gstaad puis à «LE SPECTACLE DE LA NATURE» Lausanne, il reprend, en 1959, un commerce de photographie à Michel Darbellay, Bramois, août 1977. © Médiathèque Valais-Martigny Martigny. Les images fixes ne lui suffisant pas, publie en 1983 «Le chuchotement La nature vues nous entraînent dans des il décide de se mettre à la caméra. des platanes», primé au Grand Prix dans tous ses états univers poétiques, où brillent dans Son premier film documentaire, mondial des guides touristiques à Homme de terrain, attentif aux un grand silence l’harmonie et la «Sortilèges du Canada», obtient le Paris, puis «Printemps du Grand- changements de lumière, Michel beauté des couleurs et des formes. premier prix au Festival du film Saint-Bernard», qui reçoit le premier Darbellay est sensible au passage Pris sur le vif mais guettés avec documentaire de Cannes en 1962. prix du Comité national suisse des du temps, aux rituels saisonniers, beaucoup de patience et d’acuité, L’année suivante, «Une ascension guides touristiques en 1989. L’artiste aux variations de couleurs. Avec ses ces paysages résonnent avec nos nouvelle», qui relate une varappe est honoré par d’autres prix, tels diverses professions, il se retrouve propres émotions. Ils nous arrêtent vertigineuse au Petit Clocher du celui de la Ville de Martigny 1978 le plus souvent en extérieur, aux un instant dans un temps suspendu, Portalet, est couronné en Italie et à ou le prix Alphonse Orsat 1982 pour prises avec les états d’âme de dame pénétré de magie. Le rythme New York. ses travaux sur la vigne et le vin. Nature: nuages, pluie, brume, effréné du siècle a disparu face à la Afin d’étendre ses possibilités, il Les archives photographiques et éclaircies, givre, vent, neige… majesté d’une nature créatrice des passe les brevets de pilote d’avion, cinématographiques de Michel Découvrir chaque jour un monde plus beaux tableaux jamais peints. de professeur de ski et de guide de Darbellay ont rejoint les collections renouvelé est d’ailleurs pour lui un Michel Darbellay a su saisir sur la montagne entre 1964 et 1967. Son de la Médiathèque Valais-Martigny enchantement perpétuel. En pellicule ces spectacles merveilleux troisième film, «Sion, ville candidate en 2010. En 2014, la Fondation montagne ou dans la plaine du et nous les transmet en héritage, olympique 1976», est primé aux Pierre Gianadda, qui a reçu toutes Rhône, le photographe prend plaisir comme des sujets de méditation. festivals des Diablerets, de Trente et les photographies la concernant, met à saisir les jeux atmosphériques qui de Huy. Dès 1981, il se consacre en valeur son regard sur les animent et bouleversent les entièrement à la photographie et à la sculptures du Parc de la Fondation paysages. La brume enveloppe et Sophia Cantinotti production de films. Il préside la au fil des saisons. A la suite de son masque des courbes familières, les et Jean-Henry Papilloud nouvelle Association valaisanne des décès le 20 avril 2020, elle lui rend nuages recomposent l’espace, le Commissaires de l’exposition photographes. hommage dans une grande soleil crée des ombres chinoises Après «Haute route» (1978) et exposition, «Michel Darbellay – majestueuses, la neige et la glace Michel Darbellay, Brouillard sur le Mont-Brun et le Catogne, février 2002. © Médiathèque Valais-Martigny «Valais jours d’œuvre» (1981), il Photographe». redessinent les lignes. Ces prises de PAGE 18 PAGE 19
Les giratoires de Martig ny, l’art dans la ville UN LIVRE RETRACE L’AVENTURE DES SCULPTURES SUR LES GIRATOIRES, DE 1994 À 2022 Les giratoires ornés de sculptures étroite avec les artistes, le tout céramiques monumentales de spectaculaires font partie du devenant un emblème unique et Hans Erni et Sam Szafran sur les paysage urbain de Martigny, incontournable de la ville, comme façades de plusieurs bâtiments, dont ils sont une caractéristique le souligne l’auteur: «Les rénovation de la maison Landry, appréciée des habitants et des hô- giratoires de Martigny offrent un sculptures à venir dans les jardins tes. L’aventure de leur choix et de lieu de rencontre vivant et de Brigitte au Barryland… Le leur pose a certes été suivie avec at- surprenant avec des artistes clés livre se termine sur la dernière tention par la presse régionale, de la sculpture suisse d’après- grande opération effectuée: la mais aucun ouvrage n’a tenté jus- guerre. Que ce principe n’ait pas restauration de l’Amphithéâtre qu’ici de raconter la singularité et eu jusqu’à ce jour d’épigone digne romain avec l’installation de l’histoire d’une démarche unique de ce nom dans un autre lieu est nouveaux gradins et la mise en en Suisse. A l’initiative de certes étonnant, mais s’explique valeur de l’espace attenant grâce à Matthias Frehner, ancien directeur par le rôle marginal que les la présence des statues en bronze du Kunstmuseum de Berne, la experts de l’art international ont de Jules César et des empereurs Fondation Pierre Gianadda a déci- toujours assigné aux giratoires. Auguste et Claude. Les gestes dé de combler cette lacune et lui a Il n’y a guère qu’à Martigny que généreux et bien pensés du confié la direction d’un livre, «Les l’art et la vie quotidienne mécène martignerain donnent giratoires de Martigny. L’art dans s’unissent pour constituer une ainsi à sa ville une touche la ville», en collaboration avec les grande parade.» définitivement originale et auteurs de ce texte. culturelle. Dans un entretien très instructif, Un ensemble artistique En parcourant cet ouvrage, nous Léonard Gianadda répond aux unique découvrons l’aventure d’un en- questions de Matthias Frehner. La présentation détaillée des semble artistique unique, concré- Oui, l’idée des sculptures lui est sculptures dévoile pour chaque tisé en trente ans, pièce après venue tout de suite lors de la créa- œuvre sa particularité, son rapport pièce. tion des premiers giratoires à à l’environnement, sa significa- Martigny. Non, il n’y avait pas de tion intrinsèque. Une importante Sophia Cantinotti plan préconçu au départ, la suite iconographie – essentiellement et Jean-Henry Papilloud étant liée à ses disponibilités finan- due aux photographes Michel cières. Le projet est lancé en 1994 Darbellay et Georges-André avec la proposition faite aux auto- Cretton – accompagne ces textes rités communales d’orner les pre- et donne à voir les réalisations miers ronds-points avec des réali- sous différents angles, du moment sations d’artistes suisses renom- de leur pose en présence des artis- «Les giratoires de Martigny. més. Ce serait un beau complé- tes à leur situation actuelle. Le L’art dans la ville» ment aux œuvres de sculpteurs in- portfolio des giratoires de nuit, si- 212 pages couleur, textes ternationaux qui animent le Parc gné Jean-Yves Glassey, propose bilingues français-allemand. de la Fondation Pierre Gianadda. quant à lui un regard surprenant En vente à la Fondation Pierre Trente ans plus tard, la cohérence sur les sculptures, révélées par les Gianadda. de l’ensemble est remarquable. lumières nocturnes de la cité. Des séries se sont mises en place, à Dans la seconde partie du volume, l’instar de la formidable enfilade le chapitre consacré aux biographies qui ponctue la route de Fully jus- Valentin Carron, 8 jours pour convaincre, 2015 © Photo Archimage, Jean-Yves Glassey et bibliographies des artistes permet qu’à l’avenue de la Fusion, avec de mieux appréhender l’intérêt successivement les créations de national et international des œuvres Gillian White, Silvio Mattioli, Une carte de visite types et surtout la question capitales de cette terra incognita.» matériaux, dimensions, formes et giratoires ont remplacé tous les présentées sur les giratoires de Valentin Carron, Bernhard pour Martigny centrale du rapport avec l’art: Il rappelle ensuite les différents couleurs, les œuvres exposées feux de circulation, permettant au Martigny. Celui consacré à l’«Art Luginbühl, Yves Dana, Antoine Dans sa large introduction, Matthias «Les giratoires artistiques sont éléments qui ont mené Léonard dans l’espace public sont parc de sculptures extra-muros dans la ville» rappelle, sous forme Poncet et Willy Frehner. Chaque Frehner, grand connaisseur de la toujours une tache blanche dans la Gianadda à la sculpture et les désormais «une carte de visite de s’étoffer. Entre 1995 et 2022, de notices, l’important mécénat de œuvre a son histoire, mais les choix sculpture suisse contemporaine à carte géographique de l’art. acquisitions majeures qui ont intéressante pour l’identité de dix-huit œuvres ont été posées Léonard Gianadda: vitraux de effectués par Léonard Gianadda ne laquelle il a consacré une thèse, Aujourd’hui, il est toutefois découlé d’une véritable révélation. Martigny en tant que ville d’art». en accord avec les autorités Hans Erni, Kim En Joong et relèvent jamais du hasard. aborde l’origine du giratoire, ses évident que Martigny est l’une des Grâce à la diversité de leurs styles, Au fil des évolutions urbaines, des communales et en collaboration Valentin Carron dans les chapelles, PAGE 20 PAGE 21
Léonard Gianadda offre le Corso à la ville de Martigny LE MÉCÈNE OCTODURIEN SAUVE LE CINÉMA DU QUARTIER DE SON ENFANCE Passionné du grand écran, Léonard Gianadda a décidé d’acheter le Corso habitants de Martigny et de sa ré- Léonard Gianadda apprend in- pour l’offrir à la ville de Martigny. © Le Nouvelliste gion des saisons de music-hall et cidemment l’automne dernier de théâtre de grande qualité. la mise en vente des deux salles de cinéma de Martigny, le Casino et Une première, le Corso. qu’il fallait suivre héroïquement de la commune de Martigny- le cinémascope A ses yeux, «il n’était pas envisa- tous les dimanches soir pendant Bourg (1916-1936), conseiller En 1953, ayant repris une salle de geable qu’une ville comme la nô- plus de trois mois… pour en con- national (1920-1928), par ailleurs cinéma à Genève, Adrien passe la tre n’ait plus de cinéma», expli- naître l’épilogue! grand-père de Pascal Couchepin, main à son fils Raphy. quait-il au «Nouvelliste». Il prend Dans un autre registre, on signale- et Marc Morand, député au Grand A peine installé aux commandes, contact sans délai avec leurs pro- ra la tenue d’une conférence don- Conseil (1917-1945) et président ce dernier introduit en 1954 une priétaires, Nelly Darbellay et ses née le 20 mars 1922 par le con- de la commune de Martigny-Ville grande innovation technique, et filles Martine et Nathalie. L’idée seiller fédéral Jean-Marie Musy (1921-1960). c’est une première pour notre can- que notre amateur de cinéma avait (1919-1934), conservateur fri- Plusieurs gérants se succèdent ton: le cinémascope. Raphy derrière la tête: racheter le Corso bourgeois. Il s’agissait de contrer également durant cette période, Darbellay préside en outre le pour l’offrir à la ville de Martigny. une initiative populaire lancée par jusqu’au rachat de l’édifice en Comptoir de Martigny (1972- Aussitôt dit, aussitôt fait, un prix le parti socialiste. Plus de 600 per- 1935 par Adrien Darbellay. C’est 2001), devenu par la suite la Foire d’acquisition est convenu entre sonnes se sont pressées dans la lui qui donna au Royal-Biograph du Valais, parallèlement au déve- les parties et le mécène octodu- salle pour écouter le chef du le nom de cinéma Corso, qui per- loppement de ses affaires privées. à un jet de pierre de la limite le sé- d’espèce un peu cédé à son côté rien de verser dans la foulée Département des finances, alors que durera jusqu’à nos jours. Déjà ex- Il entreprend ainsi à de nombreu- parant de la Ville – la fusion entre sentimental, puisque le Corso et CINEMA CORSO: INVITATION 1,5 million de francs à la munici- la population du Bourg et de la Ville ploitant depuis l’année précé- ses reprises la modernisation du les deux communes ne datant que ses alentours sont le quartier de palité de Martigny pour le rachat comptait ensemble moins de 5000 dente du Ciné-Etoile-Palace con- Corso, maintenant la salle de ci- de 1964! – le cinéma Corso a tou- son enfance, là où il a grandi et vé- A partir du 1er avril prochain, territoire étant constellé d’œuvres; de la salle, afin d’assurer la péren- habitants à l’époque! Imagine-t-on nu plus tard sous l’appellation de néma à un haut degré de qualité jours officié comme trait d’union cu ses jeunes années, l’immeuble dès lors propriété de la ville de nous citerons sans souci nité d’une activité cinématogra- aujourd’hui 2500 auditeurs se pré- Casino-Etoile, Adrien Darbellay technique et de confort pour ses entre les deux collectivités. Dans Miremont qui le vit naître en 1935 Martigny s’ouvre pour le cinéma d’exhaustivité les sculptures phique au coude du Rhône. cipitant dans un auditorium pour sera des années durant un acteur spectateurs. un article daté du 4 janvier 1952, étant contigu au Corso… Corso une nouvelle ère… agrémentant chacun de ses écouter un de nos sept Sages? culturel prépondérant, offrant aux Installé sur le Bourg, littéralement pour le 40e anniversaire de l’ou- Après la disparition de Raphy Pour marquer cette date, la ronds-points, le parc de sculptures Le premier cinéma Pour illustrer et souligner encore verture de la salle, le quotidien Darbellay en 2015, ce sont son population martigneraine est de la Fondation Pierre Gianadda, permanent du Valais cet ancrage local, on signalera «Le Rhône» en appelle à ce que le épouse et ses deux filles qui ont invitée à découvrir en avant- la chapelle protestante et les C’est en 1912 qu’est inaugurée à qu’au temps d u cinéma muet, la Corso continue de jouer son rôle: repris le flambeau. Elles vont première deux films réalisés par le vitraux de Hans Erni, la chapelle cet emplacement, sous une déno- fanfare Edelweiss du Bourg était «faire monter les Villerains au poursuivre l’exploitation du cinéaste Antoine Cretton. de la Bâtiaz et les vitraux du Père mination des plus «exotiques», la engagée par le directeur du Royal- «J’ai estimé Bourg, faire descendre les Casino et du Corso jusqu’au Le premier fait un état des lieux Kim… salle de cinéma du Royal- Biograph pour venir y jouer tous qu’il n’était pas Bordillons en Ville»! 31 mars; à partir du 1er avril pro- des richesses du passé de Le réalisateur Antoine Cretton, Biograph, à l’instigation d’un dé- les dimanches soir… envisageable chain entrera en fonction un nou- Martigny, conservées et mises en natif de Martigny, est également nommé Monsieur Blanc-Terrettaz qu’une ville comme Lieu de mémoire veau gérant sous l’égide de la mu- valeur dans son paysage urbain, l’auteur de nombreux films, en de Genève… C’est un événement Différents propriétaires la nôtre n’ait plus Ainsi donc, avec son action géné- nicipalité de Martigny. de l’époque romaine à la période particulier consacrés à la des plus marquants, il s’agit en ef- et gérants reuse, Léonard Gianadda a permis contemporaine: chacune Fondation Pierre Gianadda. de cinéma.» fet du premier cinéma permanent Le bâtiment passe ensuite entre le sauvetage d’un élément patri- Frédéric Giroud témoigne à sa manière de © Sabine Papilloud du Valais! Les films des débuts du différentes mains, dont des per- monial important de notre ville, l’histoire bimillénaire de notre ville. Projection au cinéma Léonard Gianadda, 7e art y furent projetés. On citera sonnalités majeures de notre vie un lieu de mémoire significatif. Le second invite à parcourir la ville Le Corso le samedi 1er avril prochain le 15 juin 2018 «Les mystères de New York», locale. On trouve par exemple en Au-delà de son geste altruiste, no- du coude du Rhône sous l’angle à 17 heures. Av. du Grand-Saint- film muet noir/blanc des années 1929, parmi les quatre coproprié- tre prodigue mécène concède aus- de «L’Art dans la cité», son Bernard 32, Martigny 1914-1915, en 14 épisodes (sic), taires: Jules Couchepin, président si volontiers qu’il a dans le cas PAGE 22 PAGE 23
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