Un dilemme colonial allemand Habiller ou non le " nègre " ?

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Revue Ibla • Tunis • 1/2012 • n° 209 • pp. 111-128

                 Un dilemme colonial allemand
                 Habiller ou non le « nègre » ?
                                               Jonas Bakoubayi BILLY

   Jusqu'à présent, l’habillement des peuples soumis à la
colonisation occidentale n'a pas encore fait l'objet d'études. Ce sujet
permettrait pourtant de mieux comprendre certains aspects de
l’occupation européenne, notamment allemande, de l’Afrique.
    En 1919, suite à la première guerre mondiale, l’Allemagne avait
perdu, par décision du Traité de Versailles, toutes ses possessions
d’outre-mer. Pour autant, les ethnologues allemands n'étaient pas
restés inactifs. De plus, le parti national-socialiste arrivait au
pouvoir en 1933. Dans ses folles ambitions de conquérir le monde,
le Troisième Reich avait notamment dans son programme la
reconquête de ses anciens protectorats et l’acquisition de nouvelles
colonies, essentiellement en Afrique. Se posait alors la question du
traitement des peuples qu’il allait coloniser. Parmi les multiples
problèmes que devait résoudre le prétendant à de nouvelles colonies
figurait celui de l’habillement des « indigènes »1. Ainsi s’ouvrit,
pendant le Troisième Reich, un débat autour de l’habillement du
colonisé. Fallait-il laisser les colonisés dans leurs « costumes
d’Adam et Eve » (c’est-à-dire nus) ou devait-on les habiller
autrement ? Cette question divisa les prétendants à l’aventure
coloniale. Certains soutenant l’idée de laisser ces indigènes
déambuler nus, dans leur état de nature, d’autres étant partisans de
les habiller pour des raisons liées au travail.

1
  Le mot « indigène » (Eingeborener) désigne, selon le vocabulaire nazi,
les Noirs en général et les métis issus d’au moins un parent noir. Voir
Archives fédérales allemandes, NS 52/65, NS 52/66, NS 52/67 ; Jonas
Bakoubayi BILLY, Musterkolonie des Rassenstaats : Togo in der
kolonialpolitischen Propaganda und Planung Deutschlands 1919-1943,
Dettelbach, J.H. Röll Verlag, 2011, pp. 147 ff. Pour les nazis, les métis
étaient des Noirs et non des Blancs. Il en va de même aujourd'hui.

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Jonas Bakoubayi BILLY

   Pour les « conservateurs », laisser les indigènes se vêtir
signifierait d’abord les hausser au même niveau que les « êtres
civilisés ». Les illustrations de l’annexe I (a et b) témoignent du
parallèle qu'établissaient les nazis entre les peuples et les « races »
au sens nazi du terme1.
   Parmi les défenseurs de la thèse selon laquelle les indigènes
devaient continuer à vivre nus se trouvaient les Docteurs Hugo
Adolf Bernatzik, Felix Speiser, Ludwig Ferdinand Clauß, Diedrich
Westermann et bien d’autres. Ceux-ci considéraient l’introduction
de vêtements européens comme un facteur de « régression
démographique » dans les colonies. Selon eux, les maladies et les
épidémies qui décimaient les populations indigènes avaient leur
source dans les vêtements. L’ethnologue H. A. Bernatzik expliquait
même ce fait comme suit :
    « Il a été souvent signalé l’effet pernicieux de l’habillement des
indigènes. La gale, d’autres maladies de la peau et le typhus se
manifestent uniquement chez les indigènes habillés. D’autres
maladies, telle le “tinea circinata“, sont l’objet d’une vive
propagation à travers les habits. L’habillement inadéquat provoque
souvent aussi de graves affections de l’appareil respiratoire
(poumon). »2. A Christoph von Fürer-Haimendorf d'ajouter: « Là où
les peuples primitifs ont adopté cependant des vêtements étrangers
sans les habitudes correspondantes, là surviennent particulièrement
et en grande proportion des dermatoses et aussi la lèpre. »3.

1
  Ludwig Ferdinand CLAUSS, Rasse und Seele. Eine Einführung in den
Sinn der leiblichen Gestalt, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1935, pp.
168 f. Bien qu’ils ne soient pas de race germanique (la race suprême),
les Italiens étaient considérés comme appartenant à la race supérieure.
Egon Leuschner, chargé de cours à l’Office politique des races,
justifiait cette appartenance par les liens politiques et économiques qui
existaient entre le Troisième Reich et l’Italie. Voir : Archives fédérales
allemandes, NS 52/37.
2
  Hugo Adolf BERNATZIK, Die große Völkerkunde. Sitten, Gebräuche
und Wesen fremder Völker. Band I Europa–Afrika, Leipzig,
Bibliographisches Institut AG, 1939, p. 28.
3
  Christoph VON FÜRER-HAIMENDORF, « Die Stellung der Naturvölker in
Indien und Südostasien », Diedrich WESTERMANN (dir.), Die heutigen

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HABILLER LE « NÈGRE » ?

    Von Fürer-Haimendorf poursuit en faisant remarquer « que la
lèpre aussi bien que la tuberculose sont des maladies de semi-
civilisation. C'est dans les zones de contact que ces maladies ont la
plus grande propagation. Là où des mœurs primitives entrent en
rapport avec celles d'un niveau avancé, là où des coutumes modestes
sont modifiées cependant que l'accommodation n'est pas complète,
c'est là que la lèpre trouve un nouveau terrain. Les coolies et les
manœuvres présentent le plus gros des cas. »1.
    La faute en était imputée aux commerçants européens qui avaient
introduit des vêtements occidentaux et surtout aux missionnaires qui
distribuaient gratuitement des vêtements aux fidèles.2 L’image de
l’annexe II montre une catholique de la station de mission de Tonga
portant des vêtements offerts par cette dernière. Ces vêtements sont
qualifiés ici par Bernatzik de « lambeaux nuisibles à la santé » 3.
   L’on attribua le recul démographique dans les colonies au port du
vêtement. Non seulement les habits transmettent des épidémies et des
maladies qui provoquent la perte du potentiel de procréation, mais ils
confrontent aussi l'indigène à un problème d’adaptation. Ceci
entraîne le découragement, la dépression et des suicides4. En
conclusion, « L’indigène devrait de nouveau se promener nu,
habillé d'un tablier de peau et de sandales ; ceci correspondait à sa
particularité. »5.
   Ainsi fallait-il laisser les indigènes nus pour préserver leur
santé et leur potentiel de procréation. Car les indigènes étaient
indispensables pour la mise en valeur des colonies et devaient
travailler chez leurs maîtres blancs. Bernatzik va plus loin en

Naturvölker im Ausgleich mit der neuen Zeit, Stuttgart, Ferdinand Enke
Verlag, 1940, p. 146.
1
  Ibid.
2
  Hans NEVERMANN, « Die Südsee und der Kontinent Australien », D.
WESTERMANN (dir,), Op. cit., p. 209.
3
  H. A. BERNATZIK, Op. cit., p. 29.
4
   H. A. BERNATZIK, Op. cit., p. 19 ff; Idem, « Die Begegnung der
Naturvölker mit der Zivilisation », Heinz ZEISS et Karl PINTSCHOVIUS
(dir.), Zivilisationsschäden am Menschen, München/Berlin, J. F.
Lehmanns, 1940, p. 17.
5
  Archives fédérales allemandes, NS 52/107.

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Jonas Bakoubayi BILLY

demandant une stricte interdiction de l’importation dans les
colonies des textiles européens qu'il considère comme un
préjudice imposé à l'être humain par la civilisation1.
    Or, cette doctrine de Bernatzik et d'autres coïncidait avec la
période où le commerce des textiles progressait dans les
colonies. C’était au Togo l’époque des « Nana Benz », nom
donné aux célèbres et riches revendeuses de tissus de Lomé qui
roulaient en Mercedes Benz. En effet, dès les années 1930, des
femmes entrepreneurs de Lomé avaient favorisé le
développement de l’habillement de la population à travers le
commerce des tissus. Avant même l'apparition de ces
commerçantes, l’importation et le commerce du textile était déjà
développés au Togo et dans les colonies en général et une grande
partie de leurs populations avaient pris goût aux tissus imprimés
et autres. Selon Andrea Reikat, le début de l'importation du
textile en Afrique de l'Ouest remonte au XVIe siècle.2 Le tissage
artisanal qui date du XIVe siècle3, n'était pas en reste, comme le
reconnaissent l'ethnologue et pasteur D. Westermann4, spécialiste
nazi de l'Afrique, et Hans Schomburgk5. Cette période était
l'époque du boom de l'industrie textile en Europe, ce qui
impliquait aussi l'exportation dudit textile dont le premier
débouché était les colonies.

1
  H. A. BERNATZIK, « Die Begegnung der Naturvölker... », art. cit., p.
17; voir aussi Idem., « Zur Frage der Europäisierung », H. A.
BERNATZIK (dir.), Afrika. Handbuch der angewandten Völkerkunde,
Innsbruck, Schlüsselverlag, 1947, p. 53.
2
   Andrea REIKAT, Handelsstoffe. Grundzüge des europäisch-
westafrikanischen Handels vor der industriellen Revolution am
Beispiel der Textilien, Köln, Köppe, 1997, p. 15 ff.
3
  Brigitte MENZEL, Textil-Handwerk in Nord-Nigeria, Berlin, Stiftung
Preußischer Kulturbesitz, 1963.
4
   Diedrich WESTERMANN, Geschichte Afrikas. Staatenbildungen
südlich der Sahara, Köln, Greven-Verlag, 1952, pp. 9 f. (La rédaction
du livre fut commencée en 1939. Pour des raisons liées à la guerre, il
ne fut édité qu'en 1952).
5
  Hans SCHOMBURGK, Frauen, Masken und Dämonen, Berlin, H.
WIGANKOW, 1947, p. 59.

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HABILLER LE « NÈGRE » ?

   Déjà au XIXe un journaliste britannique écrivait au sujet de
l’Afrique, comme le rapporte Hilde Eynikel, « Le continent est si
vaste et peuplé que c’est sur lui que nous devons bâtir notre
politique économique. Pourquoi ne pas habiller les indigènes de
nos tissus, leur construire des maisons où installer nos meubles et
vivre à l’européenne ? Ce commerce est plus lucratif que ne l’a
jamais été la traite des esclaves »1.
   Nous n'évoquerons pas ici les importations par les colonies du
textile anglais, qui occupait la première place. Nous prendrons
plutôt l'exemple du Portugal qui est peu connu. En 1939, 3 251
tonnes de textile portugais étaient exportés dans ses colonies
contre 2 950 tonnes en 1935. Ainsi, malgré la guerre, l'importation
du textile en Afrique n'avait pas chuté, mais au contraire avait
étonnamment gardé son importance, voire même avait augmenté2.
Le textile à lui seul constituait plus de la moitié du commerce
entre l'Occident et l'Afrique de l'Ouest3.
    Au Togo également (Togo britannique et Togo français)
l’importation du textile occupait en 1937 une place prépondérante
dans le commerce. Les pays exportateurs étaient l'Angleterre
(environ 20 à 25 % de l'importation totale du Togo), le Japon
(environ 10 à 15 %), les États-Unis (environ 10,2 %), la Hollande
(environ 6 à 7 %) et l’Allemagne (environ 5 à 7 %).4 Ainsi,
l'interdiction de l'importation du textile dans les colonies était-elle

1
  Hilde EYNIKEL, Congo Belge. Portrait d’une société coloniale, Paris-
Gembloux, Duculot, 1984, p. 24.
2
   M. Anne PITCHER, Politics in the Portuguese empire. The State,
Industry, and Cotton, 1926-1974, Oxford, Clarendon Press, 1993, pp. 97
f. & pp. 284 ff.
3
  A. REIKAT, Op. cit., p. 161.
4
  Archives fédérales allemandes, R 1001/3833, feuillet n° 68; voir aussi:
August FULL, Fünfzig Jahre Togo, Berlin, Dietrich Reimer, 1935, pp.
258 ff.; Robert CORNEVIN, Histoire du Togo, Paris, Berger-Levrault,
1962, pp. 258 ff. De 1928 à 1933, l'importation du textile au Togo
occupait la première place avec une valeur de 70 367 FF. Voir : Otto
MARTENS et Oskar KARSTEDT, Afrika. ein Handbuch für Wirtschaft und
Reise, 1. Band Wirtschaft, 3. Aufl., Berlin, Dietrich Reimer, 1936, p. 95.

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Jonas Bakoubayi BILLY

de nature à porter atteinte à l'économie des puissances
colonisatrices elles-mêmes. Comme le montrent les photos ci-
dessous, le commerce du textile avait déjà eu des effets
progressistes sur les mentalités et l’idée du port de l’uniforme était
ancrée dans la mentalité des Togolais ainsi que dans celle des
autres peuples colonisés. Christoph von Fürer-Haimendorf affirme
en 1940 que l'indigène ne travaille chez le colonisateur que pour
payer les impôts, les vêtements et organiser des fêtes. Il écrit :
   « Aussitôt son besoin immédiat en argent liquide pour des
impôts, des vêtements ou pour des dépenses de fêtes satisfait, il
retourne de nouveau dans son village »1.
    Pour vaquer à leurs tâches quotidiennes, les indigènes
s'habillaient d'une manière rustique (comme ils le font encore
aujourd'hui) ; en revanche, ils s'efforçaient d'être élégants – à
l'occidentale – les jours de marché, les fêtes ou les dimanches pour
fréquenter l'église (Annexe III a et b). Les missionnaires exigeaient
d'ailleurs de leurs fidèles le port de cet accoutrement festif.
   La dernière photographie montre un fidèle d'une communauté
chrétienne de l'ex-Afrique Orientale Allemande à la sortie de la
messe. Bien qu'il fasse soleil et donc chaud, le fidèle, influencé par
la mode et la civilisation européenne, a son cache-col noué autour
1
  C. von FÜRER-HAIMENDORF, « Die Stellung der Naturvölker in Indien
und Südostasien », D. WESTERMANN (dir.), Die heutigen Naturvölker im
Ausgleich... op. cit. p. 154. Cette affirmation semble être un constat que
l'historien togolais Pierre Ali Napo confirme en 1997 dans le cas de son
pays. En effet, sous l'administration coloniale allemande ainsi que sous le
mandat français et britannique, les indigènes mobilisés au service du
colonisateur ne rentraient à la fin de leur contrat qu'avec des objets à peu
de chose près tels que sel de cuisine, bouteilles de boissons alcoolisées
(rhum et schnaps), mallettes fermant à clef, foulards, couteaux, miroirs,
ceintures, etc. ainsi que des objets dits de parure pour leurs femmes:
boucles d'oreilles, colliers, bracelets, bagues et autres. Voir, Pierre ALI-
NAPO, Histoire des travailleurs-manœuvres et soldat du Nord-Togo au
temps colonial (1884-1950). Livre I. La main-d'œuvre forcée pour le
Sud-Togo : du début de la colonisation au mandat français, Lomé,
Presse de l’Université, 1997 p. 127.

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HABILLER LE « NÈGRE » ?

du cou. L’habillement des colonisés à l’occidentale, encouragé par
les missions chrétiennes, irritait les Nazis. Notons que tous les
missionnaires n'approuvaient pas forcément l'habillement des
Noirs à l'occidentale.
    Dans les années 1930, la plupart des jeunes missionnaires
allemands en Afrique étaient sous l’influence du « Nouveau
Romantisme » ; ils tenaient donc en haute estime la culture
allemande et adhéraient à l'idéologie nazie. Ces jeunes
missionnaires allemands s’opposaient à l’habillement des
colonisés à l’occidentale pour éviter de les hisser au même
« niveau culturel que les Blancs ». Citons ici le cas des
missionnaires allemands de l’Eglise morave (Unitas Fratrum) en
Tanzanie.1 Parmi ceux-ci figurent les pasteurs Franz Rietzsch,
Joseph Busse, Walter Marx, Hermann Schnabel pour ne citer que
ceux-là2.
   Franz Rietzsch (1902-1978), le porte-flambeau de cette
idéologie, arriva en Tanzanie en 1931. Il désapprouvait le port des
pantalons, des chemises, des chaussures ou des cravates3 par les
Africains. Il ne trouvait pas normal que les cultures soient
mélangées. Le pantalon, la chemise, les chaussures et la cravate
étaient exclusivement européens. Ainsi voulait-il conserver la
suprématie et la culture blanches. Cependant il n'approuvait pas la
théorie qui voulait laisser les indigènes à leur nudité. Il exigeait
donc une tenue simple mais correcte pour tous les membres de la
chorale de sa communauté. Quiconque était mal habillé, n’était
pas autorisé à chanter dans la chorale.4

1
   Unitas Fratrum est peu répandue et n'est pas connue dans toute
l’Afrique.
2
   Constance HARTUNG, Der « Weg der Väter ». Ostafrikanische
Religionen im Spiegel früher Missionarsberichte, Münster, Lit-Verlag,
2005, pp. 442-446.
3
   Klaus FIEDLER, Christentum und afrikanische Kultur. Konservative
deutsche Missionare in Tanzania, 1900-1940, Gütersloh, G. Mohn,
1983, p. 119.
4
  Ibid., p. 119.

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Jonas Bakoubayi BILLY

   D'ailleurs certains théoriciens - au contraire de ceux que nous
avons précédemment cités - réfutèrent aussi l'idée de laisser les
indigènes en costume d’Adam et Ève. A leurs yeux, la doctrine de
Bernatzik pouvait avoir des conséquences regrettables dans la
mesure où les nazis voulaient éviter les affrontements directs entre
les fonctionnaires coloniaux et les colonisés, affrontements qui
n'auraient pas manqué de se produire si on contraignait ces
derniers à abandonner leurs vêtements.
    Effectivement, un conflit à propos de vêtement se déclencha à
Old Moshi (Tanzanie) en 1930. Le pasteur Bruno Gutmann avait
travaillé de 1902 à 1920 chez les Chagga1. Il tolérait et même
encourageait le port des vêtements européens par les fidèles de sa
communauté2. Les vêtements européens se substituèrent peu à peu
au kanzu (l’habillement introduit au XIXe siècle par les Arabes). En
1930, alors que le missionnaire Bruno Gutmann (1876-1966) était
en vacances en Europe, il fut remplacé par le pasteur Georg Fritze
(1889-1944). Au cours de la distribution de la communion, ce
dernier ôta le casque colonial de la femme de Joseph Merinyo,
l’un des hommes influents des Chagga, ce qui provoqua la colère
et l'opposition de celui-ci. Il envoya une lettre de protestation à la
maison mère à Leipzig et demanda l’ordination de 13 Noirs. Il n’y
eut pas de réponse de Leipzig, mais sa lettre eut finalement gain de
cause. Les autochtones purent être ordonnés pasteurs.
L’habillement qui était auparavant soumis à des lois fut laissé au
libre choix de chacun et Leipzig rappela aux missionnaires que
l’habillement est adiaphore ; ainsi donc légiférer était inopportun3.
    Parmi ceux qui étaient pour l'habillement de l'indigène, se
trouvait Maximilan von dem Hagen, un des intellectuels membres
influents du parti national-socialiste. Il suggéra :

1
   Jürgen Christoph WINTER, Bruno Gutmann 1876-1966. A German
Approach to Social Anthropology, Oxford, Clarendon Press, 1929, pp. 41 ff.
2
  K. FIEDLER, Op. cit., pp. 110 ff.
3
  Ibid., , p. 112.

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HABILLER LE « NÈGRE » ?

   « Autrefois, il s’habillait ainsi quand il ne devait sortir de son
pantok [hutte] qu’après que le soleil eût cessé de chauffer le
monde ; dès qu’il devenait très chaud, il allait à l’ombre ; les soirs,
lorsque la fraîcheur de la nuit arrivait, il retournait dans sa chaude
habitation. Mais il laissait le travail aux femmes !
    Si l’indigène doit régulièrement et ponctuellement accomplir
son travail, il doit bien sûr porter des vêtements qui le protègent
contre les intempéries. Si, ensuite, les dimanches, ils [les
indigènes] se font plaisir, je ne vois en cela aucune contradiction
culturelle. Pendant le jour, comme les Blancs dans le monde
entier, les indigènes doivent travailler. Il est clair qu’ils sont autant
aptes aux travaux physiques en Afrique que les Blancs. Les soirs,
les dimanches et les jours fériés, s’il [l’indigène] mène sa vie de
clan de la manière qu’il veut, nous, les Allemands, ne le lui avons
autrefois pas interdit et ne le ferons pas à l’avenir. »1.
   Ainsi donc, pour von dem Hagen, c'était pour des raisons
économiques qu'il était nécessaire d’habiller les Noirs. C'est
pourquoi il proposa une tenue qui leur serait spécifique :
« Elle doit se composer d’un pantalon et d'une chemise
résistants, ainsi que de chaussures solides pour le besoin du
travail ; un chapeau de feutre sert de coiffure. Pour les
femmes, les habits imprimés bleus et rouges ou multicolores
et des foulards, de plus également des chaussures solides,
conviennent. »2.
    Cependant, le problème de l’hygiène demeurait. Ainsi,
Auslands-Organisation (Organisme national-socialiste pour
l’étranger), proposa-t-elle la construction d'habitations adaptées à
la nature et aux conditions de vie des indigènes. Les huttes
devraient être construites avec de l’argile et couvertes « d’herbes »
(chaume) et elles devraient être périodiquement incendiées pour
détruire les parasites3.

1
  Archives fédérales allemandes, NS 52/107.
2
  Ibid.
3
  Ibid., NS 9/280, f° n° 82.

                                  119
Jonas Bakoubayi BILLY

    Ainsi donc, si les indigènes devaient s’habiller, c'était pour être
le plus efficacement possible au service du fonctionnaire colonial :
ils avaient besoin de vêtements pour résister aux intempéries et
être réguliers et ponctuels au travail.
    Une fois le problème vestimentaire résolu, se posait un autre
problème : celui de l'alimentation et de la santé des indigènes.
Celui-ci faisait également l'objet d'études en vue de rendre
l'indigène plus apte au travail.
   Ainsi pour les nazis, quelle que soit l'approche des théoriciens
sur les conditions d'existence des indigènes, ces derniers ne
pouvaient être considérés que sous l'angle de la force de travail
qu'ils représentaient.
                                             Jonas Bakoubayi BILLY
                                          Archiv Grünes Gedächtnis

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Abréviations :
   -   FF : Francs français
   -   NS : Nationalsozialismus
   -   R : Reichskolonialamt
Sources archivistiques
   - Documents des Archives fédérales allemandes, Berlin-
Lichterfelde : NS 9/280, NS 52/37, NS 52/65, NS 52/66, NS
52/67, NS 52/107, R 1001/3833.
Bibliographie
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soldat du Nord-Togo au temps colonial: 1884-1950. Livre
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                              123
Jonas Bakoubayi BILLY

            Annexe Ia.
Parallèle entre une femme bochiman
 (ou bosjesman) et une Italienne

              124
HABILLER LE « NÈGRE » ?

        Annexe I b.
Archers de différentes races

          125
Jonas Bakoubayii BILLY

             Annexee II
Une catholique
     c           dans des
                      d vêtements
 offeerts par la missio
                      on de Tonga

              126
HABILLER LE « NÈGRE » ?

                          Annexe III a
     La chorale d’une communauté de la mission au Togo
   Source: Gustav Adolf GEDAT, Was wird aus diesem Afrika?
Erlebter Kampf um einen Erdteil, Stuttgart, Steinkopf, 1938, p.
                           280.

                             127
Jonas Bakoubayii BILLY

                          Annexe III
                                 I b
  La fierté des an
                 nciens fonctionnaires coloniaux aallemands
        Image inndésirable sous lee Troisième Reich
                                                  h
      Source : Pieerre ALI-NAPO, Histoire
                                   H        des travaillleurs-
manœuvres
m            et sold
                   dat du Nord-Togo o au temps coloniaal (1884-
1950).
1      Livre I. La main-d'œuvre forrcée pour le Sud-T Togo : du
début
d     de la coloniisation au mandatt français, Lomé, Presse de
                   l’Université, 1997
                                    7 p. 127.

                             128
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