UNE MISE À JOUR SUR LA SITUATION EN SYRIE - GROUPE SPÉCIAL MÉDITERRANÉE ET MOYEN-ORIENT (GSM)
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
GROUPE SPÉCIAL MÉDITERRANÉE ET MOYEN-ORIENT (GSM) UNE MISE À JOUR SUR LA SITUATION EN SYRIE Projet de rapport Ahmet Berat ÇONKAR (Turquie) Rapporteur 040 GSM 19 F rév. 1 | Original : anglais | 4 avril 2019 Tant que ce document n’a pas été adopté par le Groupe spécial Méditerranée et Moyen-Orient, il ne représente que le point de vue du rapporteur.
040 GSM 19 F rév. 1 TABLE DES MATIÈRES I. INTRODUCTION: UN CHAMP DE BATAILLE MODIFIÉ EN PROFONDEUR .............1 II. LA CRISE DIPLOMATIQUE ACTUELLE.................................................................4 III. LA POSITION DE LA RUSSIE ................................................................................6 IV. RÔLE ET AMBITIONS DE L’IRAN .........................................................................8 V. LA POSITION D’ANKARA ..................................................................................... 10 VI. LA POSITION D’ISRAËL ....................................................................................... 13 BIBLIOGRAPHIE................................................................................................... 15
040 GSM 19 F rév. 1 I. INTRODUCTION : UN CHAMP DE BATAILLE PROFONDÉMENT MODIFIÉ 1. Depuis ses prémices, la tragique et sanglante guerre civile en Syrie a mis en exergue de nombreuses lignes de faille qui divisent la région et en menacent la stabilité. Ces lignes de faille ont des implications mondiales et reflètent souvent les rivalités à l’origine des politiques internationales actuelles. De ce fait, on ne peut pas se contenter de parler de simple guerre civile car nous assistons à une sorte de « grand jeu », dont les enjeux sont aussi élevés, tant pour les puissances régionales et étrangères que pour les acteurs non étatiques, que les intérêts sont contradictoires. 2. Néanmoins, au sein de ce « grand jeu », les conséquences humanitaires sont dramatiques et se sont étendues aux pays voisins, à l’ensemble de la région et jusqu’à l’Europe. La désastreuse crise des réfugiés, qui a obligé des millions de personnes à quitter leur foyer, est l’expression la plus flagrante des conséquences humanitaires transnationales de cette guerre. Depuis mars 2011, on estime que plus d’un demi-million de personnes ont été tuées, plus d’un million ont été blessées et environ 12 millions (la moitié de la population du pays avant la guerre) ont été forcées d’abandonner leur foyer. 3. Le mouvement de masse des réfugiés et des déplacés internes a lourdement pesé sur l’économie et la vie de plusieurs pays de la région, tels le Liban et la Jordanie. La Turquie, pourtant bien plus grande que ces deux pays, a également dû consentir d’immenses sacrifices pour accueillir plus de 3,6 millions de personnes désespérées fuyant le conflit. Les flux de réfugiés sont devenus un problème majeur dans les relations entre l’UE et la Turquie, ce qui montre que ce conflit a des ramifications inattendues dans le champ de la politique internationale et qu’il a fait émerger de nouvelles divisions basées sur des critères internationaux, confessionnels, ethniques et de classe sociale. Par ailleurs, la déclaration UE-Turquie, adoptée par les États membres et la Turquie le 18 mars 2016, a déjà permis d’obtenir des résultats tangibles en matière de contrôle de la migration irrégulière. On enregistre déjà une baisse notable des traversées irrégulières de la Mer Égée. L’accord a porté ses fruits en faisant clairement comprendre aux passeurs qu’ils ne pourraient plus y opérer. Cet accord a également donné aux réfugiés des moyens légaux de rejoindre l’Europe. En outre, la Turquie a dépensé près de 37 milliards de dollars pour le bien-être des Syriens (y compris à travers les municipalités et les ONG turques). Cet accord dispose également d’une autre composante : la promesse de contribution faite par l’UE, à hauteur de 3+3 milliards d’euros pour les Syriens en Turquie. Les 3 premiers milliards ont déjà été engagés. De ce montant, 2,07 milliards d’euros ont été dépensés auprès de diverses institutions. La Turquie prévoit que le reliquat sera déboursé au plus vite et que la mise en application sera accélérée. Étant donné qu’il est assez difficile pour un seul pays de venir en aide aux Syriens, il est crucial que la Turquie reçoive une assistance internationale afin qu’elle puisse satisfaire de façon adéquate et efficace leurs besoins les plus essentiels. 4. Il est également important d’analyser de quelle façon cette guerre a permis aux organisations terroristes extrémistes de combler le vide créé par l’effondrement de l’autorité de l’État syrien. Ces groupes, et Daech en particulier, ont gravement menacé la sécurité régionale, ainsi que la sécurité mondiale. Ce conflit se caractérise principalement par le fait que les groupes terroristes extrémistes opérant dans le sud et l’ouest du pays ne sont finalement pas parvenus à obtenir l’adhésion de la population. Leur fanatisme et leur extrême violence ont contribué à fractionner le camp des opposants de Bachar al-Assad. Dans ce contexte, la tâche qui consistait, pour les gouvernements opposés à ce régime, à identifier et soutenir des alternatives viables était rendue extrêmement complexe. La présence de ces groupes a également poussé la coalition menée par les États-Unis à prendre des mesures actives pour contester le contrôle exercé par Daech sur certaines zones en Syrie et en Iraq. 5. La bonne nouvelle, c’est que Daech a perdu une grande partie des territoires qu’il avait occupés en Syrie et en Iraq. La mauvaise, c’est évidemment que le pays est toujours dirigé par un régime despotique et que Daech, loin d’avoir rendu complètement les armes, travaille à sa 1
040 GSM 19 F rév. 1 réinvention. En outre, la violence inouïe que Daech a employée à l’encontre de ceux que le groupe pensait faire rentrer dans ses rangs a ouvert une brèche pour al-Qaida, qui vient de lancer une campagne visant à se présenter comme un groupe extrémiste modéré dont les attaques ne cibleraient que les non-sunnites (AP-OTAN, 2018). Il importe ici de rappeler que la Turquie, en particulier, est très préoccupée par le rôle que jouent les Unités de protection du peuple du Parti de l’union démocratique (YPG/PYD) dans le nord du pays. Elle classe ces unités, branche syrienne du PKK qui représente une grave menace pour la sécurité nationale et la stabilité régionale, comme une organisation terroriste. 6. En Syrie, la situation sur le terrain a radicalement changé au cours des cinq dernières années. Les interventions russes et iraniennes en soutien au régime de Bachar al-Assad, ont eu un rôle décisif, à presque tous les égards, au moins dans le sud du pays. L’État syrien a fait preuve d’un certain degré de résilience qui, dans un premier temps, en a surpris beaucoup et qui a obligé un grand nombre de pays à revoir leurs stratégies vis-à-vis de la région. La Russie a joué un rôle crucial dans ce domaine et apparaît dans ce conflit comme un interlocuteur essentiel dans la région (IISS, 2019). 7. Tandis que le régime d’al-Assad était clairement en retrait en 2012, il est ensuite parvenu à reprendre le contrôle sur de larges bandes de territoire, tout en obtenant l’adhésion de certains groupes qui n’avaient simplement pas pris position. La fracture de l’opposition, le manque de soutien étranger et le rôle prépondérant joué par les extrémistes ont eu pour effet de rassembler les différentes parties de la société syrienne autour de Bachar al-Assad. Le territoire qui était sous le contrôle de Daech s’est réduit comme une peau de chagrin au cours des deux dernières années. Le groupe ne contrôle désormais plus qu’un petit territoire près d’Abu Kamal, il est entouré par les forces du régime à l’ouest et par les Forces démocratiques syriennes (FDS) majoritairement représentées par les YPG/PYD à l’est. 8. Rares sont les analystes qui pourraient affirmer aujourd’hui qu’une des forces nationales qui combattent encore le régime a gagné une influence suffisante pour pouvoir le renverser, même si certaines poches de résistance restent opérationnelles. Une grande partie du pays située le long des frontières avec la Turquie et l’Iraq n’est pas sous le contrôle du régime d’al-Assad, or cette région est actuellement au cœur de l’attention internationale (évoqué ci-après). Mais dans le Sud, les forces du régime syrien, les groupes militaires qui leur sont fidèles ou leurs alliés ont repris de grands pans de territoire des mains de groupes d’opposition. Bachar al-Assad a tiré parti de ces victoires sur le champ de bataille pour défier les groupes d’oppositions dans l’ensemble du pays. Bien qu’amoindrie, il reste toutefois une poche de résistance au régime dans le sud de la Syrie. En outre, les accords de réconciliation ont empêché le régime d’accéder à certains territoires, qui sont restés sous le contrôle des forces d’opposition pendant de nombreuses années. 9. Par conséquent, dans la région de la Ghouta orientale, à l’est de Damas, l’armée syrienne, soutenue par les patrouilles de la police militaire russe, a repris une enclave contrôlée par l’opposition. À Deraa, les forces du régime, avec leurs alliés russes, ont lancé une offensive contre les groupes d’opposition sur ce territoire, qui s’est soldée par la reprise d’un certain nombre de villes des provinces de Quneitra et Deraa, dans le sud du pays. Ces forces se sont ensuite déplacées vers la zone démilitarisée entre la Syrie et Israël, créée en 1974. En juillet 2018, toute la province de Deraa a été reprise aux groupes d’opposition. Les frappes aériennes effectuées pendant cette offensive ont forcé 160 000 Syriens à abandonner leur foyer. 10. Dans le nord de la Syrie, les troupes turques et les forces de l’opposition syrienne ont mené des opérations de lutte antiterroriste (opérations « Bouclier de l’Euphrate » et « Rameau d’olivier ») contre Daech et des YPG/PYD qui avaient été soutenues par les États-Unis, le long de la frontière turco-iraquienne. Actuellement les FDS, majoritairement représentées par les YPG/PYD, contrôlent une large bande de territoire dans l’extrémité nord-est du pays, y compris les villes de Raqqa, Qamishli et Hasakah. Les FDS constituent une force majeure dans la région mais elles sont 2
040 GSM 19 F rév. 1 majoritairement représentées par les YPG/PYD, que la Turquie considère comme un groupe terroriste lié au PKK. 11. La province d’Idlib, au nord-ouest, est restée un des derniers bastions des forces de l’opposition – principalement constitué de membres de l’Armée syrienne libre (ASL). Maintenant que le régime syrien a consolidé son contrôle sur la plus grande partie du sud, il se tourne vers le nord. Des kamikazes ont frappé la région à de nombreuses reprises et il s’agit probablement de la première phase d’une offensive généralisée qui pourrait mettre sérieusement en danger les quasi 3 millions de personnes qui habitent dans la région, dont la plupart sont des réfugiés venant d’autres parties du pays. Les membres des forces d’opposition seraient actuellement 70 000. La région est attenante à la ville de Latakia qui héberge la plus grande base aérienne russe du pays (Chughtai, 2018). 12. Comme suggéré plus haut, l’évolution la plus significative de la situation en Syrie au cours des deux dernières années a été la réduction très notable de la superficie du territoire sous contrôle de Daech. Par exemple, en octobre 2017, les FDS ont repris Raqqa, qui était le centre de commandement de Daech en Syrie depuis 2014. Cette bataille a suivi de près la bataille de Mossoul, menée dans le cadre de l’opération Inherent Resolve (OIR) du Groupe de forces interarmées multinationales (GFIM) de la coalition internationale menée par les États-Unis contre l’État islamique d’Iraq et du Levant (ISIL). Le GFIM-OIR a été mis en place par le commandement central américain en décembre 2014 à la suite de l’importante expansion territoriale de Daech-ISIL en Iraq, en juin 2014, l’objectif étant de déloger Daech des grandes villes syriennes. Le centre de commandement est situé dans le camp Arifjan au Koweït et les frappes aériennes ciblant la Syrie ont été menées par les forces des États-Unis, de l’Australie, du Bahreïn, du Canada, de la Belgique, de la France, des Pays-Bas, de la Jordanie, d’Arabie saoudite, de la Turquie, des Émirats arabes unis et du Royaume-Uni. D’énormes efforts ont été menés pour informer les forces russes de ces frappes pour éviter des accidents dans l’espace aérien de la Syrie. (Situation au mois de janvier 2019) 3
040 GSM 19 F rév. 1 13. En outre, la Turquie a mené deux opérations majeures de lutte contre le terrorisme sur le territoire syrien. La première était l’opération « Bouclier de l’Euphrate » qui ciblait principalement les menaces émanant de Daech. L’ASL, soutenue par les Forces armées turques (FAT) et les forces aériennes de la coalition, a lancé l’opération en vertu de la clause relative au droit de légitime défense de l’article 51 de la Charte des Nations unies. Au terme de celle-ci, une superficie de 2 015 kilomètres carrés et 243 zones résidentielles de tailles variées ont été libérées de l’emprise de Daech, ce qui a permis d’établir une « zone libre de terrorisme » et de couper Daech de son seul accès terrestre aux frontières de l’UE. Après avoir coupé le contact frontalier de Daech avec la Turquie, l’Europe et l’OTAN, la Turquie a pu se concentrer sur les menaces émanant du PKK et de sa branche syrienne, les YPG/PYD (Yesiltas, Seren et Ozcelik, 2017). II. LA CRISE DIPLOMATIQUE ACTUELLE 14. En décembre 2018, après une conversation téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, le président Trump a tweeté : « Nous avons vaincu l’EI en Syrie, ma seule raison d’être là-bas durant la présidence Trump ». Il a ensuite ordonné au Pentagone le retrait immédiat des 2 000 soldats américains en Syrie – une décision qui a conduit à la démission du secrétaire à la défense James Mattis et de l’envoyé spécial de Washington pour la coalition globale de lutte contre l’EI, Brett McGurk. Cette décision du président Trump de rapatrier hâtivement les troupes américaines de Syrie s’est heurtée à une opposition généralisée. La Turquie, en tant qu’Alliée, a soutenu cette décision des États-Unis et a proposé de coordonner le retrait des forces américaines. En tant que membre de premier plan de la coalition anti-Daech, la Turquie a également souligné qu’il importait que la Turquie, les États-Unis et les pays alliés continuent de travailler ensemble pour combattre et éliminer les derniers éléments de Daech afin qu’ils ne constituent plus une menace pour la sécurité dans la région. 15. Étant donné que Daech constitue une menace sérieuse et permanente pour la stabilité et la sécurité internationale, il serait prématuré d’affirmer que cette organisation terroriste a été vaincue, car elle a mis en place les conditions de sa régénération. Bien que la coalition anti-Daech ait remporté d’importantes victoires en Iraq et en Syrie, cette idéologie reste attrayante pour ceux qui vivent en marge de la vie politique et économique, dans la région et au-delà. Le cœur du problème est là. Cette organisation peu structurée dispose malgré tout de 35 000 combattants dans la région, en particulier dans des zones où l’autorité de l’État est affaiblie. Il n’est pas inutile de souligner également qu’al-Qaida s’est discrètement regroupée au cours des dernières années et que cette organisation est désormais forte de quelque 30 000 membres. 16. Du fait de ces défaites militaires, Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daech, a commencé à prévenir ses membres de ne pas voyager vers la Syrie et leur a conseillé de se rendre plutôt vers d’autres centres d’activité en Afrique du Nord, en Asie du Sud ou en Asie du Sud-Est. Ce changement de stratégie vise à assurer la pérennité de l’organisation et cela implique que les nouvelles attaques ciblant les pays occidentaux, tels que l’attentat à la bombe lors d’un concert à Manchester, étaient planifiées depuis ces régions et non plus depuis l’Iraq ou la Syrie. Cela semble suggérer que l’organisation se décentralise et qu’elle développe de nouvelles façons de compenser la perte du territoire qu’elle contrôlait en Syrie et en Iraq. Des 35 000 à 45 000 combattants issus de 120 pays différents, environ 15 000 ont fui la Syrie et l’Iraq et se sont déplacés vers des points névralgiques tels que le Soudan ou sont retournés dans leurs pays d’origine, y compris vers l’Europe pour un grand nombre d’entre eux. Une série de tentatives d’attentats contre des compagnies aériennes commerciales, dont certains n’ont pas pu être déjoués, montre à quel point le groupe reste actif et extrêmement dangereux. 17. Par ailleurs, al-Qaida a tenté de survivre aux tentatives d’élimination de ses chefs et a également décentralisé ses opérations et ses centres de planification. Le groupe s’est aussi adapté dans un autre domaine : il a commencé à éviter de mener des attentats terroristes ciblant des 4
040 GSM 19 F rév. 1 musulmans et à critiquer ce type d’attentat – une politique que certains qualifient d’extrémisme modéré par opposition à la politique de Daech. Il s’agit clairement d’une stratégie visant à regagner le soutien des extrémistes politiques qui ne sont néanmoins pas en accord avec les tactiques employées par Daech (AP-OTAN, 2018). 18. Le président de la Turquie, M. Erdogan, a, dans un premier temps, soutenu la décision du président des États-Unis de retirer les troupes américaines de Syrie, mais il a également souligné que ce retrait devait être soigneusement planifié et coordonné avec les principaux partenaires. Il a également annoncé que la Turquie était le seul pays qui avait la capacité et la volonté de remplacer les troupes américaines dans cette région de la Syrie. Il est important de rappeler que la Turquie était le premier pays à déployer des troupes terrestres contre Daech en Syrie. Selon le président Erdogan, cette opération a permis de couper l’accès du groupe aux frontières de l’OTAN et de l’empêcher de mener des attentats terroristes en Turquie et en Europe. Les troupes turques, aux côtés des combattants de l’Armée syrienne libre, ont mené des combats de rue afin de déloger les insurgés à Al Bab, qui était jusqu’alors le bastion de Daech. En évitant les frappes aériennes, ces combats ont laissé intactes les infrastructures de la ville. Les troupes turques ont également libéré la petite ville de Dabiq, qui est aussi le nom du tristement célèbre magazine de propagande de Daech, et où Daech pensait mener sa bataille d’Armageddon. 19. La Turquie a toujours eu une position cohérente vis-à-vis de l’évolution de la situation le long de la frontière nord de la Syrie, essentiellement contre toute mesure risquant de menacer l’intégrité territoriale de la Syrie. Le gouvernement Erdogan s’est fermement opposé à la décision de l’administration Trump de 2017 de fournir des armes aux YPG/PYD, au nord de la Syrie, et considère depuis longtemps que ces forces sont un prolongement du PKK, que la Turquie, les États-Unis et de nombreux autres pays ont qualifié d’organisation terroriste. La Turquie craint fortement qu’en cédant le contrôle de cette région aux YPG/PYD, sa sécurité nationale soit mise à mal et que cette région ne devienne un refuge pour les terroristes du PKK de Turquie et d’Iraq. 20. Le président Erdogan a demandé la création d’une force de stabilisation dans cette région, composée de forces de sécurité issues de toutes les franges de la société syrienne, y compris de la communauté kurde. Les autorités turques, cependant, ne voudraient pas que des combattants entretenant des liens avec des organisations terroristes puissent prendre part à cette nouvelle force de stabilisation ni que ces combattants puissent participer aux conseils locaux élus par la population que le président Erdogan dit vouloir aider à mettre en place. Il a promis que la Turquie travaillerait avec ses amis et alliés, y compris la Russie, en vue de stabiliser la situation (Erdogan, 2019). 21. Au début du mois de janvier, le conseiller en matière de sécurité nationale John R. Bolton semble être revenu sur l’annonce du président Trump du retrait des troupes américaines, en déclarant aux journalistes que les forces américaines resteraient en Syrie jusqu’à ce que les derniers bastions de Daech aient disparu et jusqu’à ce que la Turquie garantisse qu’elle ne porterait pas atteinte aux FDS avec lesquelles les États-Unis avaient collaboré en Syrie. Pour sa part, Ankara a clairement établi que la Turquie n’accepterait pas un accord incluant les YPG/PYD, qui sont la force majoritaire des FDS. 22. L’Iran est également une composante de la stratégie des États-Unis. Début septembre, M. Bolton a déclaré aux journalistes que les États-Unis resteraient en Syrie aussi longtemps que les forces iraniennes seraient présentes dans le pays (Sanger et. Al, 2018). Le gouvernement israélien s’est également dit préoccupé par la présence de l’Iran en Syrie et avait paru surpris du revirement de la politique américaine annoncée par le tweet du président Trump. La reformulation par M. Bolton de la politique états-unienne, conditionnant la mission des États-Unis au retrait iranien, semble prolonger dans le temps le déploiement des troupes américaines, d’autant que rares sont ceux qui prévoient un retrait rapide des troupes iraniennes de Syrie. L’éviction des troupes iraniennes pourrait rester un des objectifs des États-Unis, mais cela demanderait un déploiement nettement plus 5
040 GSM 19 F rév. 1 important de forces américaines dans la région. Or le président Trump semble aller dans la direction diamétralement opposée. 23. La Turquie s’est fortement opposée à cette conception élargie de la mission états-unienne, a rejeté le postulat de départ et demandé à Washington de lui céder ses bases en Syrie. Le pays craint qu’une présence continue des États-Unis en Syrie ne risque d’offrir aux FDS et aux YPG/PYD un refuge à partir duquel elles pourraient instaurer un simulacre d’État qui serait nécessairement en contradiction avec la façon dont la Turquie envisage la stabilité régionale (Stein). En janvier, le président Erdogan a déclaré au parlement qu’il n’approuverait aucun accord qui offrirait une protection aux YPG/PYD (Chulov, 2019). 24. Depuis ces déclarations, le président Trump a confirmé sa décision de retirer les troupes américaines de Syrie, mais à un rythme plus lent qu’il ne l’avait initialement annoncé. Les orientations politiques ont donc été fixées. Il s’agit maintenant de savoir quelles seront les répercussions de ce changement de politique sur le terrain, et ce que cela signifie pour la Syrie, la Turquie, la Russie et le Moyen-Orient élargi. 25. Étant donné que les États-Unis réduisent leur présence en Syrie, la Turquie se prépare à y jouer un rôle plus important. Le gouvernement a jeté les bases d’un travail diplomatique avec la Russie. Il a également déplacé d’importantes forces et ressources militaires le long de la frontière avec la Syrie, à la fois pour se prémunir contre toute éventualité et pour indiquer que le pays est déterminé à empêcher cette région de la Syrie d’obtenir une quelconque autonomie ou souveraineté. Conformément au projet du président Trump de créer une zone de sécurité, la Turquie a entamé des discussions avec les États-Unis pour prévoir les différents stades de la création d’une zone d’environ 30 kilomètres visant à empêcher les YPG/PYD d’opérer le long, ou à proximité, de la frontière. 26. La Russie, pour sa part, s’est principalement employée à rétablir les liens avec son allié à Damas. Mais, dans la mesure où elle veut également maintenir une relation de collaboration avec la Turquie, elle doit trouver le juste équilibre. Le président Poutine a félicité le président Trump pour sa décision de retirer les troupes américaines du nord-est de la Syrie ; il y a vu une occasion de satisfaire ses grandes ambitions dans la région et au-delà. La Russie, cependant, craint que le déploiement de la Turquie dans la région n’aille à l’encontre du soutien que le pays apporte à l’effort constant de Bachar al-Assad pour rétablir un contrôle souverain sur la totalité du territoire syrien. Moscou doit donc trouver un juste milieu entre ses ambitions en Syrie et sa volonté de renforcer ses liens avec la Turquie. Cela ne sera pas facile, car la position de la Turquie sur l’évolution de la situation dans le nord-est de la Syrie est intimement liée à ses intérêts de sécurité nationale. La Turquie ne satisfera pas les ambitions de la Russie si cela risque de compromettre ces intérêts fondamentaux. III. LA POSITION DE LA RUSSIE 27. L’implication de la Russie dans le conflit syrien, que Moscou a ouvertement justifiée par la « guerre contre le terrorisme », est peut-être une des principales raisons qui expliquent comment le Bachar al-Assad a réussi à se maintenir au pouvoir en Syrie (Simons, 2019). En réalité, la Russie n’a mené que de rares missions contre Daech, elle a plutôt laissé la coalition dirigée par les États-Unis s’en charger. Au lieu de cela, elle s’est employée à redonner vie au régime d’al-Assad, qui était sur le point de s’effondrer et avait perdu tout crédit sur la scène internationale. Moscou a commencé par apporter une aide financière et diplomatique, elle a vendu des équipements militaires au régime à prix coutant et a finalement déployé ses propres forces pour mener des opérations revêtant une importance cruciale (Daher, 2018). Le Kremlin a également couvert le régime sur le plan diplomatique, et a brandi, à de nombreuses occasions, son véto au Conseil de Sécurité pour 6
040 GSM 19 F rév. 1 empêcher l’application de mesures condamnant Bachar al-Assad pour la guerre menée contre son propre peuple (Phillips, 2017). 28. En septembre 2015, lorsque le régime syrien semblait sur le point de s’effondrer, le Kremlin a offert son aide, et a même fini par déployer ses propres forces en Syrie, pour ce qui apparait aujourd’hui comme un grand tournant militaire dans ce conflit (Giustozzi, 2019). Depuis lors, Moscou a prouvé sa capacité à projeter sa puissance militaire dans la région, par des tirs de missiles précis, de longues missions aériennes et par la réussite d’opérations de ravitaillement par bateau à la fois complexes et décisives (Hamilton, 2018). La Russie a également apporté un soutien stratégique crucial à l’armée syrienne en matière de restructuration des forces, de puissance de feu et de manœuvre. Depuis 2017, les Russes ont progressivement repassé la main à l’armée arabe syrienne, qui est celle qui planifie et mène actuellement les grandes opérations. En livrant le système antiaérien S-300 à Damas, Moscou a clairement précisé son soutien à Bachar al-Assad et à ses alliés iraniens sur le terrain (Giustozzi, 2019). En d’autres termes, le régime n’aurait jamais pu reprendre du terrain sans le soutien constant de la Russie, ce qui a également contribué à rétablir l’influence de la Russie dans l’ensemble de la région. 29. Par conséquent, dans ce contexte où le régime d’al-Assad reprend inéluctablement le contrôle du territoire syrien, les conseillers russes l’encouragent à réintégrer d’anciens commandants de l’opposition dans la société syrienne. Moscou pousse également le régime vers une résolution politique du conflit, ce qui pourrait confirmer sa force d’influence régionale. La Russie cherche à identifier les compromis qui pourraient constituer les piliers d’un large accord. Elle a, par exemple, aidé à établir des zones de désescalade, tout en encourageant les YPG/PYD et le gouvernement turc à créer une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie. Elle a également maintenu des relations avec les États du Golfe, tout en travaillant étroitement avec l’Iran, leur ennemi juré. Elle a fermé les yeux sur le soutien de l’Iran au Hezbollah en Syrie et aux représailles d’Israël contre l’Iran et ses mandataires en Syrie (Gvosdev, 2019). Cet équilibre délicat a permis à la Russie de polir son image de pouvoir pacificateur tandis qu’elle continue de poursuivre avec détermination d’étroits intérêts nationaux, ce qui témoigne de la finesse de sa stratégie dans le cadre de ce conflit (Giustozzi, 2019). 30. La position de la Russie dans le conflit syrien laisse, en effet, apparaitre une stratégie globale de plus grande envergure (Gvosdvev, 2019). Le Kremlin s’emploie à rétablir la capacité de la Russie à projeter sa puissance dans l’espace eurasiatique, afin de protéger ses intérêts militaires, économiques et énergétiques. Il fait en sorte que les autres pays envisagent la puissance russe comme un acteur essentiel, capable de les aider à défendre leurs propres intérêts. Le rôle du Kremlin en Syrie est très révélateur en ce sens. À travers son influence dans le conflit, la Russie a cherché à prouver qu’elle était capable de se mesurer à l’Occident, mais surtout qu’elle était une puissance indispensable (Omelicheva, 2019). 31. À travers son implication dans le conflit syrien, la Russie a bénéficié d’un précieux terrain d’entrainement pour son armée, elle a montré de quelles prouesses elle était capable et elle a profité d’une base permanente pour ses opérations régionales, tout en renforçant la dépendance de la Syrie à ses formateurs et à ses systèmes d’armement. Cela lui a également permis d’obtenir l’accès à des renseignements régionaux inestimables (Borshchevskaya, 2018). En plus de la base aérienne de Khmeimim, exploitée par la Russie depuis 2015, Moscou et Damas ont signé en 2017 un accord permettant à la Russie de maintenir ses forces dans le port de Tartous pour une période de 49 ans ; la Russie affirme que le port sera la base navale de 11 navires de guerre et sous-marins nucléaires (Sogoloff, 2017). La Russie a donc renforcé sa capacité à projeter ses forces dans l’est de la Méditerranée et a développé et déployé un dispositif de déni d’accès/interdiction de zone crédible qui complique sérieusement la planification militaire des États-Unis dans la région (Borshchevskaya, 2019). 7
040 GSM 19 F rév. 1 32. La Russie a également des intérêts économiques importants en Syrie. Les compagnies énergétiques russes ont longtemps cherché à avoir un ancrage dans le secteur énergétique syrien (Borshchevskaya, 2018). Au lieu de s’efforcer d’obtenir directement une part des ressources du pays, elles ont activement investi dans les infrastructures de gaz et de pétrole. La Russie ne voit pas la Syrie comme un fournisseur de pétrole et de gaz en tant que tel, mais plutôt comme un éventuel carrefour énergétique de grande envergure, qui jouera un rôle dans l’orientation des ressources énergétiques vers le marché européen. Moscou a donc un objectif double : étendre son influence politique et militaire dans l’est de la Méditerranée tout en jouant un rôle dans l’approvisionnement mondial en pétrole et en gaz dont dépendent l’Occident, et l’Europe en particulier (Borshchevskaya, 2018). Plus la Russie exercera ce contrôle, plus elle pourra exercer une influence politique sur l’Europe. 33. Enfin, le rôle de Moscou en Syrie correspond à sa politique plus large de lutte contre le terrorisme. Entre 2011 et 2015, environ 900 à 2 400 citoyens russes se sont rendus en Iraq et en Syrie pour combattre aux côtés d’organisations terroristes extrémistes. En 2015, Daech a mis sur pied une branche russe, Vilayat Kavkaz, après l’arrivée dans ses rangs de la plupart des commandants intermédiaires de l’organisation Émirat du Caucase (Omelicheva, 2019). Bien que ce ne soit pas la première fois que la Russie est confrontée à cette forme de terrorisme, des évènements récents, tels que l’attentat mené contre l’avion reliant Charm el-Cheikh à Saint-Pétersbourg en 2015, ou l’explosion deux ans plus tard dans le métro de Saint-Pétersbourg, montrent que ces groupes représentent une réelle menace pour la sécurité de la Russie (Clarke, 2017). La Russie a donc mené sa propre lutte contre le terrorisme, même si elle a clairement été englobée dans son ambition d’établir un espace sécurisé à partir duquel le pays pourrait projeter ses forces dans la région. Cette lutte est donc restée secondaire et ne servait souvent que de prétexte pour l’emploi direct de la force. Selon Mariya Y. Omelicheva : « Pour le Kremlin, la Syrie est le théâtre d’opérations de sa stratégie anti-occidentale ; tandis que la lutte contre le terrorisme est une méthode éprouvée pour atteindre des objectifs politiques » (Omelicheva, 2019). 34. Quatre ans après le début de son intervention militaire, la Russie a atteint un grand nombre de ses principaux objectifs. Elle s’est posée en artisane de la paix en jouant un rôle de médiation entre une grande variété de parties prenantes ; et elle est parvenue à maintenir Bachar al-Assad au pouvoir tout en s’assurant une présence militaire à long terme et un accès économique dans la région. La Russie a donc tiré parti de la déroute en Syrie pour renforcer son rôle sur la scène internationale. IV. RÔLE ET AMBITIONS DE L’IRAN EN SYRIE 35. Les objectifs de l’Iran dans le conflit syrien sont restés les mêmes, et le pays n’a jamais cessé de soutenir le régime de Bachar al-Assad. En 2012 déjà, l’Iran avait mis en place un pont aérien vers Damas pour approvisionner le régime et lui fournir des équipements militaires essentiels (Gordon, 2012). En outre, il avait encouragé Bachar al-Assad à se préserver une bande de territoire stratégique au nord de Damas, et à renforcer ses capacités avant d’attaquer des bastions de l’opposition – un conseil qui s’est avéré très utile pour le régime (Phillips, 2018). L’Iran aurait également aidé le régime syrien à développer son arsenal d’armes chimiques et lui aurait apporté un soutien financier, y compris un prêt de 4,6 milliards de dollars en 2013 (Sadjapour, 2013). 36. L’Iran a également déployé des forces militaires en Syrie, principalement la Force al-Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique. Il a d’abord envoyé des conseillers au régime de Bachar al-Assad afin de l’aider à créer une force paramilitaire syrienne qui aurait réuni 50 000 hommes, baptisée Jaych al-Chaabi (Département du trésor des États-Unis, 2012). À mesure que la situation s’aggravait pour Bachar al-Assad, l’Iran a augmenté son implication militaire, jusqu’à déployer plusieurs milliers de soldats iraniens en Syrie. L’Iran a également envoyé la Force al-Qods, ainsi que des membres de l’armée conventionnelle iranienne, Artesh – une décision inhabituelle 8
040 GSM 19 F rév. 1 étant donné qu’Artesh est traditionnellement en charge de la défense du territoire national (Bucala et Kagan, 2016). Les forces iraniennes en Syrie ont assumé différents rôles, la plupart de ses membres assumaient un rôle de conseil et de supervision, alors que les milices chiites constituaient la majorité des combattants et étaient au cœur de l’intervention militaire de l’Iran (Hubbard et al., 2018). 37. Bien que les estimations varient, de 20 à 30 000 combattants étrangers auraient pris part au conflit syrien. Environ 6 000 d’entre eux sont des combattants et des conseillers du Hezbollah ; les autres sont dans leur majorité des combattants chiites d’origine afghane, iraquienne, libanaise ou pakistanaise qui se sont engagés dans ce conflit pour des raisons financières ou religieuses. Ces milices, créées, formées et financées par l’Iran, ne dépendent pas directement du régime syrien, mais plutôt de la Force al-Qods (Ghaddar, 2018). Il s’agit en réalité d’une réplique du modèle du Hezbollah et des Hachd al-Chaabi. Au-delà des activités militaires, ces milices sont façonnées par les doctrines idéologiques et politiques iraniennes et, même si Téhéran décidait de se retirer officiellement de ce théâtre d’opérations, l’Iran maintiendrait une très forte influence à travers ces forces irrégulières (Ghaddar, 2018). 38. L’Iran a également poursuivi une série d’objectifs religieux et culturels en Syrie et s’est servi des mouvements de population pour approfondir cet effort. L’Iran a poussé les communautés sunnites et les opposants du régime hors des banlieues de Damas et les a remplacés par des groupes favorables à Bachar al-Assad (Ghaddar et Stroul, 2019). La « loi numéro 10 » promulguée en avril 2018 en est un parfait exemple : elle donne 30 jours aux propriétaires fonciers pour se présenter en personne avec les documents relatifs à la transaction immobilière prouvant leur droit à la propriété. S’ils ne s’exécutent pas ou qu’ils ne présentent pas les documents adéquats, ils sont expropriés. Étant donné que de nombreux propriétaires fonciers ont fui les combats ou, dans certains cas, qu’ils risquent d’être arrêtés ou exécutés s’ils reviennent, cette loi doit être comprise comme une tentative du régime d’exproprier opposants et réfugiés. Nombre de propriétaires expropriés appartiennent à la communauté sunnite ; les alliés chiites de l’Iran et de Bachar al-Assad ont purement et simplement saisi leurs biens (Ghaddar, 2018). Légalement, les étrangers ne peuvent pas reprendre les propriétés des Syriens en exil. Pourtant, des entreprises iraniennes peuvent être propriétaires de biens en Syrie si elles participent à la reconstruction (Fisk, 2018). Selon les chiffres de la Syrie, plus de 8 000 biens immobiliers autour de Damas appartiennent désormais à des chiites étrangers. De même, l’Iran a renforcé son influence dans le sud en obligeant les combattants locaux à se déplacer vers les bastions de l’opposition du nord-ouest de la Syrie (Ghaddar et Stroul, 2019). 39. L’Iran a également fourni des services sociaux, religieux et économiques à certaines communautés dans lesquelles ses mandataires interviennent. Dans l’ouest de la Syrie, il aurait contribué à la construction de salles de réunion, de mosquées et d’écoles, parfois à des endroits où les institutions sunnites étaient bien implantées. À l’est et au sud, l’Iran a établi une relation presque clientéliste avec les tribus locales et a, par exemple, recruté de jeunes sunnites, sans emploi, à des postes non militaires au sein de ses milices. Enfin, l’Iran a créé un réseau d’écoles en farsi en vue d’ancrer son influence en profondeur et sur le long terme (Ghaddar et Stroul, 2019). 40. L’Iran a aussi signé une série de contrats économiques avec le régime. En 2018, le pays avait signé des contrats dans le domaine des licences de téléphonie mobile, des mines de phosphate, des terres agricoles et des infrastructures portuaires (Sinjab, 2018). En janvier 2019, Damas et Téhéran ont signé 11 accords et mémorandums d’entente supplémentaires dans de nombreux domaines tels que l’économie, la culture, l’éducation, l’infrastructure, l’investissement et le logement (AFP, 2019). 41. La présence permanente et multiforme de l’Iran en Syrie lui a permis de tisser un réseau encore plus dense dans le pays. L’objectif premier de Téhéran était, de toute évidence, de protéger le régime d’al-Assad. Depuis la révolution de 1979, les liens étroits que l’Iran entretient avec la Syrie 9
040 GSM 19 F rév. 1 sont au cœur de sa stratégie régionale. Pour les dirigeants iraniens, la Syrie apparait comme un précieux allié arabe dans une région qu’ils perçoivent comme essentiellement hostile (Goodarzi, 2009). D’un point de vue stratégique, la plus grande crainte de Téhéran serait qu’un régime ennemi détrône le régime de Bachar al-Assad, car cela nuirait à ses ambitions régionales (Mohseni et Ahmadian, 2018). L’Iran a donc sacrifié des fortunes et des vies pour préserver son influence et veiller à maintenir sur son flanc ouest un État dirigé par un régime qui lui est favorable (Phillips, 2018). 42. L’Iran a également conçu cette relation comme une composante de l’« axe de résistance » face à Israël. La Syrie a offert à l’Iran un pont terrestre à travers lequel il pouvait acheminer des équipements, des ressources et des conseillers à son allié libanais, le Hezbollah (Sadjapour, 2013). Selon l’Iran, le couloir qui relie les régions côtières alaouites aux territoires du Hezbollah au Liban, en partant de Homs et des banlieues de Damas vers al-Qalamoun était d’une importance capitale (Ghaddar, 2019). En consolidant son accès à la Syrie, l’Iran veille à poursuivre son soutien au Hezbollah et, par extension, à projeter sa puissance dans le Levant (Mohseni et Ahmadian, 2018). Selon certains analystes, l’expansion de l’Iran, à l’ouest et au sud de la Syrie, traduit son ambition plus profonde de se rapprocher du Plateau du Golan, ce qui menacerait directement Israël (Ghaddar, 2018; Yaari, 2018). Cela pourrait participer d’une volonté plus large de consolider son influence régionale et ses capacités de dissuasion – ce qui pourrait arriver si l’Iran rapproche ses actifs de la frontière israélienne (Mohseni et Ahmadian, 2018). 43. L’Iran a donc grandement étendu son influence sur la prise de décisions en Syrie et a, par exemple, établi deux bases militaires en Syrie, construit une usine de missiles à Baniyas et un camp militaire à al-Kiswah, qu’Israël a bombardé en 2017 (Delory et Kasapoglu, 2018). Mais elle a consolidé son pouvoir dans le pays sans porter atteinte à l’influence de la Russie. L’Iran a principalement investi dans des institutions parallèles, en laissant plus de latitude à la Russie pour qu’elle exerce son influence sur les structures étatiques (Ghaddar, 2018). Comme cette dernière, l’Iran a largement atteint ses objectifs premiers en Syrie. Le régime d’al-Assad semble avoir renforcé son contrôle sur la majeure partie du pays tandis que l’Iran garde la possibilité d’exercer son influence régionale (Smyth, 2018). V. LA POSITION D’ANKARA 44. Les nouvelles menaces qui ont pesé sur la sécurité en Syrie ont obligé la Turquie à changer sa position au cours du conflit. Selon certains analystes, la réticence croissante des États-Unis à projeter ses forces dans la région a créé un vide que les puissances régionales, y compris la Turquie, se sont vues contraintes de combler (Phillips, 2017). Quand la guerre en Syrie a éclaté en 2011, la Turquie n’avait d’autres solutions que de tenter de faire évoluer la situation (Manhoff, 2017). Après avoir essayé, à de nombreuses reprises, de convaincre le président Bachar al-Assad de cesser toute répression contre son propre peuple, et face à sa réticence à mettre en œuvre des réformes substantielles, Ankara a opté pour soutenir activement l’opposition en Syrie. La Turquie a également renforcé ses efforts diplomatiques en vue de créer une coalition internationale capable de renverser le régime d’al-Assad (Manhoff, 2017). Il s’est avéré pratiquement impossible de réunir les opposants politiques et de mettre en place une coalition prête à intervenir militairement. Par exemple, le président Barack Obama, à l’époque, n’était pas disposé à engager les forces américaines, en particulier à la lumière de la très difficile expérience que les États-Unis avaient eue en Iraq. Parallèlement, la Russie avait commencé à mobiliser des ressources financières, diplomatiques et militaires afin de remettre le régime d’al-Assad sur pieds (Phillips, 2017). 45. La politique turque s’articule désormais autour de trois objectifs principaux. Le plus important de tous est l’élimination des menaces terroristes et la lutte contre les velléités séparatistes le long de ses frontières. Le conflit syrien a considérablement renforcé la puissance des YPG/PYD, la branche syrienne du PKK qu’Ankara et de nombreux Alliés considèrent comme une organisation 10
040 GSM 19 F rév. 1 terroriste et qui a mené des activités terroristes en Turquie et dans d’autres pays pendant des décennies (Stein, 2018). Ankara a qualifié le YPG/PYD d’organisation terroriste et estime que les zones qu’elle contrôle constituent une menace pour sa sécurité nationale (Zandee, 2019). Le soutien que les États-Unis apportent aux Forces démocratiques syriennes (FDS), qui sont majoritairement représentées par les YPG/PYD, est donc devenu une source de tension entre Ankara et Washington. Les FDS ont obtenu des armes et une formation militaire de la part des États-Unis et ont utilisé ce soutien pour prendre le contrôle de la partie nord-est du territoire syrien, proche de la frontière turque (Manhoff, 2017). L’objectif d’Ankara est désormais de mettre un terme à l’expansion territoriale des FDS et d’empêcher la création d’une autorité permanente, représentée en majorité par les FDS-YPG/PYD, le long de la frontière avec la Syrie (Young, 2017). 46. Ankara rappelle régulièrement que les YPG/PYD sont la branche syrienne de l’organisation terroriste PKK. En outre, elle affirme que le PKK/YPG/PYD ne peut pas représenter le peuple kurde. En effet, les Kurdes syriens ne peuvent pas être assimilés aux YPG/PYD. Les responsables turcs soulignent également que les YPG/PYD, en tant qu’organisation terroriste, n’ont aucune représentation légitime en Turquie, et que la Turquie n’a aucun problème avec les Kurdes syriens. La Turquie a ouvert ses portes aux Kurdes qui fuyaient l’oppression du régime de Saddam Hussein en Iraq et a accueilli plus de 200 000 Kurdes d’Ayn al-Arab lors des évènements qui se sont produits dans cette ville. Selon Human Rights Watch, Amnesty International et les Nations unies, les militants des YPG/PYD ont violé le droit international et commis des crimes de guerre, notamment : recrutement d’enfants, déplacement des villageois, arrestations arbitraires et exécutions des opposants politiques du PYD, détention abusive, et enlèvements et meurtres non élucidés (Amnesty International, 2018 ; Rapport du Conseil de Sécurité, 2018). Par conséquent, les YPG/PYD ciblent tous les groupes qui ne se soumettent pas à leur pouvoir, qu’ils soient arabes, kurdes, turkmènes ou chrétiens. 47. La Turquie a été la cible de nombreux attentats terroristes perpétrés par les YPG/PYD au cours des dernières années. Le 17 février 2016 rue Merasim à Ankara, des bus transportant du personnel militaire ont été attaqués par un kamikaze au volant d’une voiture piégée transportant un engin explosif improvisé (EEI) ; cet attentat a fait 29 morts, dont 12 officiers de l’armée, et 80 blessés. Le 13 mars 2016, place Kızılay à Ankara, des civils ont été attaqués à l’aide d’un véhicule piégé transportant un autre EEI ; cet attentat a fait 34 morts et 229 blessés. Le 10 décembre 2016, à Istanbul, à proximité de l’ancien palais de Dolmabahçe, un bus de la police anti-émeute a été attaqué par un véhicule piégé transportant également un EEI ; les officiers de police qui combattaient les terroristes près du parc de Maçka ont par ailleurs été attaqués par un kamikaze ; ce double attentat a fait 45 morts, dont 38 agents de police, et 237 blessés. Selon les documents officiels turcs, des membres de l’organisation terroriste PKK et YPG/PYD en Syrie ont mené 18 tirs de roquettes/missiles depuis 2017 contre les postes militaires turcs à Kilis, Sanliurfa, Hatay, Gaziantep, Sirnak et Mardin, le long de la frontière syrienne. 48. Ankara a constaté à de nombreuses reprises que le PKK et les YPG/PYD avaient les mêmes dirigeants, la même structure organisationnelle et militaire, le même modus operandi, les mêmes stratégies et les mêmes tactiques. Ils ont tous les deux les mêmes ressources financières et organisent leurs entrainements dans les mêmes camps. En un mot, il s’agit simplement de deux parties d’une même entité. D’ailleurs, un lien direct entre le PKK et les YPG/PYD a été établi par les publications d’universitaires indépendants et d’institutions internationales, y compris, mais pas uniquement, la Henry Jackson Society basée au Royaume-Uni (Orton, 2017) ; l’Institute for the Study of War (Kozak, 2016); la Revue de l’OTAN Defence Against Terrorism Review (Self et Ferris, 2016) ; le Centre national de lutte contre le terrorisme des États-Unis (Coats 2018 et 2019) ainsi qu’EUROPOL (EUROPOL, 2016). Dans ce contexte, Ankara a exprimé, auprès de nombreuses instances, son souhait que les Alliés soutiennent sa lutte contre le terrorisme et reconnaissent le YPG/PYD comme étant une organisation terroriste. Les conclusions des autorités turques et les décisions des tribunaux compétents au sujet des attaques ont montré que les terroristes 11
Vous pouvez aussi lire