LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR

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LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR
COMMISSION DES
SCIENCES ET DES
TECHNOLOGIES (STC)

LA LUTTE
ANTI-SOUS-MARINE
DE L’OTAN :
RECONSTRUIRE LES
CAPACITÉS ET SE
PRÉPARER POUR
L’AVENIR

Projet de rapport spécial

Leona ALLESLEV (Canada)
Rapporteure spéciale

089 STC 19 F | Original : anglais | 15 avril 2019

Tant que ce document n’a pas été adopté par la commission
des sciences et des technologies, il ne représente que le point
de vue de la rapporteure spéciale.
LA LUTTE ANTI-SOUS-MARINE DE L'OTAN : RECONSTRUIRE LES CAPACITÉS ET SE PRÉPARER POUR L'AVENIR
089 STC 19 F

                                                     TABLE DES MATIÈRES

I.     INTRODUCTION ............................................................................................................ 1

II.    L’IMPORTANCE DE LA MER POUR L’ALLIANCE ......................................................... 2

III.   LA MENACE DES SOUS-MARINS RUSSES POUR L’OTAN......................................... 3
       A.  LES SOUS-MARINS DANS LA STRATÉGIE DE LA RUSSIE ............................... 3
       B.  L’ÉTAT DE LA FLOTTE SOUS-MARINE RUSSE .................................................. 7

IV.    LA SITUATION EN ASIE DE L’EST ................................................................................ 9
       A.   LES RÉCENTES AVANCÉES DE LA CHINE ........................................................ 9
       B.   LES CAPACITÉS NAISSANTES DE LA CORÉE DU NORD ............................... 11

V.     LES LACUNES DES ALLIÉS EN MATIÈRE DE CAPACITÉS DE LUTTE ASM ET LA
       MODERNISATION EN COURS .................................................................................... 11
       A.   ÉTAT DES LIEUX GÉNÉRAL DES CAPACITÉS ALLIÉES DE LUTTE ASM ....... 11
       B.   LES SOUS-MARINS TACTIQUES : HAUTE QUALITÉ MAIS BILAN NUANCÉ ... 13
       C.   LES AVIONS DE PATROUILLE MARITIME : DES CAPACITÉS TRÈS
            DÉFICITAIRES .................................................................................................... 14
       D.   LA MODERNISATION EN COURS DES FRÉGATES AU SEIN DE L’ALLIANCE
            ............................................................................................................................ 15

VI.    VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA LUTTE ASM ....................................... 16
       A.  LA TECHNOLOGIE DES CAPTEURS ................................................................. 16
       B.  LES SYSTÈMES MARITIMES SANS PILOTE ..................................................... 17

VII.   CONCLUSIONS PROVISOIRES .................................................................................. 19

       BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE...................................................................................... 21
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I.   INTRODUCTION

1.     Les Alliés ont assisté, ces dernières années, à un renforcement majeur des patrouilles de
sous-marins russes dans leurs zones d’opération. Le ministre de la défense du Royaume-Uni,
Gavin Williamson, estime qu’il y a eu une multiplication par 10 de ces patrouilles entre 2011 et 2017
(Cecil et Collins, 2018). De fait, les marines alliées ont repéré des sous-marins russes sur certains
sites très sensibles : à seulement 350 km de la côte Est des États-Unis, non loin de l’emplacement
de la dissuasion nucléaire britannique, et à proximité de câbles de communication sous-marins
essentiels. Tout cela a inspiré à l’amiral James G. Foggo III, actuel commandant des forces navales
des États-Unis pour l’Europe ainsi que du Commandement de forces interarmées de l’OTAN installé
à Naples, la réflexion suivante : « Les sous-marins russes rôdent dans l’Atlantique, testent nos
défenses, défient notre contrôle des mers et préparent l’espace de bataille du complexe milieu sous-
marin afin d’avoir une avance dans un éventuel conflit à venir » (Foggo et Fritz, 2016). Si la Russie
est peut-être la menace sous-marine la plus immédiate pour l’Alliance, d’autres flottes sous-marines
doivent également inquiéter les Alliés. D’une part, les projets d’expansion de la Chine au niveau
mondial (par exemple, la nouvelle route de la soie, ou la présence accrue de ce pays dans l’Arctique)
vont de pair avec une hausse de ses investissements en matière de défense, notamment la
modernisation de ses sous-marins. D’autre part, tandis que la Corée du Nord cherche à se doter
d’une dissuasion nucléaire opérationnelle dirigée contre l’un des membres de l’OTAN en particulier,
sa marine cherche à concevoir des sous-marins équipés de missiles balistiques à lanceur naval.

2.      L’augmentation des patrouilles de sous-marins russes doit inquiéter les responsables
politiques et militaires de l’Alliance. Depuis la première guerre mondiale, les sous-marins
représentent une menace très importante pour les navires civils et militaires en raison de leur
furtivité, leur discrétion acoustique et leur vitesse (Perkins, 2016). Un sous-marin peut à lui seul
fermer un passage maritime stratégique et ainsi menacer aussi bien les navires de commerce que
les groupes aéronavals avec porte-avions. Les sous-marins peuvent donc empêcher toute projection
de puissance navale et rompre les lignes de communication maritimes essentielles. Lorsqu’ils sont
équipés de missiles de croisière d’attaque au sol, ils peuvent aussi mettre en danger des sites
terrestres de grande importance. C’est en fait ainsi qu’a procédé la Russie pour attaquer des cibles
en Syrie depuis la Méditerranée orientale. Contrairement à d’autres capacités militaires « dures »
comme les chars voire les missiles, les sous-marins sont aussi très adaptés pour les opérations
asymétriques et hybrides car ils permettent la tromperie et le démenti. On note en particulier que la
menace s’est considérablement accrue concernant les câbles de communication sous-marins, qui
assurent 97 % des transferts de données à l’échelle planétaire. Les sous-marins à usage spécial
jouent à cet égard un rôle clé car ils peuvent discrètement mettre sur écoute ou couper ces câbles
en vue de recueillir de précieux renseignements ou de perturber des services vitaux.

3.    Un autre point qui doit inquiéter l’OTAN encore plus est le grave déficit de capacités de lutte
anti-sous-marine (ASM) qui existe au sein de l’Alliance. Selon le vice-amiral Sir Clive Johnstone,
commandant du Commandement maritime allié, l’OTAN se trouve dans une situation où « nous
manquons vraiment de chasseurs de sous-marins de haut niveau » (Fabey, 2018). Les Alliés se
sont aperçus tardivement de ce manque et se sont engagés à y remédier. L’OTAN a réalisé des
évaluations stratégiques, renforcé sa posture maritime, lancé des réformes de ses mécanismes de
commandement et de contrôle et intensifié son dispositif d’exercices de lutte ASM.

4.    De toute évidence, le défi de la lutte ASM requiert une adaptation à tous les niveaux, mais
celle-ci ne peut compenser le déficit de capacités. Ce projet de rapport spécial se concentre donc
sur la nécessité de reconstituer les actifs de l’OTAN en matière de lutte ASM sur les court et long
termes, sujet qui doit recueillir toute l’attention des Alliés. Les points abordés sont les suivants :

-    Démonstration de l’importance de la mer pour l’Alliance ;
-    Examen de la menace concrète que représentent les sous-marins russes pour l’OTAN ;
-    Présentation des principales avancées réalisées dans les flottes sous-marines de la Chine et
     de la Corée du Nord ;

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-     Description des manques de capacités de lutte ASM les plus critiques au sein de l’Alliance ;
-     Présentation des efforts de modernisation importants déployés dans les pays et à l’OTAN ;
-     Ébauche d’un futur où les capacités de lutte ASM intégreront les technologies émergentes.

5.     Ce projet de rapport sera examiné par la commission des sciences et des technologies (STC)
lors de sa réunion qui aura lieu à l’occasion de la session de printemps de l’AP-OTAN en 2019. Une
version révisée sera présentée pour adoption par la rapporteure spéciale lors de la session annuelle,
qui se tiendra à l’automne 2019. Ce projet de rapport complète le projet de rapport de la commission
de la défense et de la sécurité (DSC) de cette année, intitulé L’évolution de la sécurité dans
l’Atlantique Nord.

II.   L’IMPORTANCE DE LA MER POUR L’ALLIANCE

6.     L’importance qu’a la mer pour l’Alliance peut difficilement être niée (voir la carte 1). La défense
conventionnelle de l’Europe repose sur deux piliers (Breedlove, 2018). Premièrement, l’Alliance doit
disposer en Europe, y compris sur ses accès maritimes, d’une solide puissance militaire – composée
notamment de forces canadiennes et américaines – présente sur place et prête à intervenir.
Deuxièmement, les Alliés d’Amérique du Nord doivent être en mesure d’apporter du renfort au
continent européen et de le réapprovisionner en matériel et en personnel au moment d’une crise ou
d’un conflit. Le droit international, les normes et les organisations multinationales établissent le
principe de la liberté de navigation en temps de paix (Tamnes, 2018). Or, dans des situations de
crise, l’Alliance ne peut garantir cette liberté que si elle est en mesure d’exercer le contrôle des mers
et de projeter de la puissance en surface et sous l’eau.

7.     Comme son nom l’indique on ne peut plus        Carte 1 : Passage GIUK et passage de Suwalki
clairement, l’océan Atlantique Nord est au
cœur de l’Organisation du Traité de l’Atlantique
Nord. Il est une partie essentielle de la zone de
responsabilité de l’OTAN, ainsi que sa                  Passage
principale ligne de communication maritime              GIUK

(Olsen, 2018). Il est « l’élément vital de
l’OTAN », comme l’a si bien résumé le général
Philip M. Breedlove, ancien commandant
suprême des forces alliées en Europe
(Breedlove, 2018). Outre son importance                                               Passage de
                                                                                      Suwalki
militaire, cet océan reste l’élément fondamental
de la prospérité économique de l’Amérique du
Nord et de l’Europe, et héberge dans ses
profondeurs des câbles de communication
essentiels.

8.   Bien que l’océan Atlantique Nord soit
peut-être l’environnement maritime le plus
important pour l’Alliance, l’OTAN doit aussi être en mesure de contrôler – ou de garantir l’accès à –
ses autres zones de responsabilité maritimes, dont les plus importantes sont les mers Baltique,
Méditerranée et Noire.

9.    La mer Baltique relie neuf pays d’Europe, dont six membres de l’Alliance. Le trafic maritime
y est extrêmement dense. Presque 15 % du transport mondial de fret par voie maritime s’effectue
dans cette région (Nordenman, 2018). La mer Baltique est en outre la troisième grande région de
production d’énergie, après le détroit d’Ormuz et le détroit de Malacca. Si la Russie réussit un jour
à fermer la frontière terrestre, longue de 104 km, entre la Pologne et la Lituanie (baptisée le passage
de Suwalki), les accès maritimes via la mer Baltique seront également les seuls itinéraires
envisageables pour assurer le renfort et le réapprovisionnement de l’Estonie, la Lettonie et la
Lituanie.

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10. Au cours des dernières décennies, la mer Méditerranée est devenue de plus en plus
importante pour l’Alliance, et en particulier pour les neufs Alliés bordant son littoral. Le commerce
maritime entre les pays de la région représente presque un quart du commerce maritime mondial
(UFM, s.d.). Une autre raison majeure de son importance croissante est la situation sécuritaire
toujours difficile au Maghreb et en Méditerranée orientale. Un signe très visible de l’importance
grandissante de la mer Méditerranée a été le transfert du quartier général de la 6ème flotte des
États-Unis de Londres à Naples au milieu des années 2000.

11. Concernant la mer Noire, le trafic maritime y est beaucoup moins intense mais
l’environnement géopolitique y est très complexe, que ce soit pour l’OTAN dans son ensemble ou
pour la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie en particulier. Cela s’est vérifié plus particulièrement
avec le conflit entre la Russie et la Géorgie en 2008, l’annexion illégale et illégitime de la Crimée par
la Russie en 2014, et l’agression toujours en cours dans l’est de l’Ukraine. Cela dit, la situation
militaire de la région reste compliquée pour toutes les parties, car la convention de Montreux de
1936 impose des restrictions militaires strictes pour les États non riverains de la mer Noire. Ces États
ne sont ainsi pas autorisés à envoyer des sous-marins au-delà des détroits turcs. Des restrictions
s’appliquent également aux navires de surface, ce qui limite les capacités de lutte ASM disponibles.
Les limites concernent la taille des navires et des flottes, ainsi que la durée de séjour (21 jours
maximum). Par ailleurs, les pays riverains de la mer Noire ne sont autorisés à envoyer des sous-
marins au-delà des détroits que s’ils rejoignent leur base dans la mer Noire pour la première fois ou
s’ils ont subi des opérations de maintenance ou de réparation ailleurs que dans la région. Cette
clause est la raison probable pour laquelle deux nouveaux sous-marins appartenant à la flotte russe
de la mer Noire n’ont pas encore rejoint leur base mais demeurent à Tartous, en Syrie. S’ils pénètrent
dans la mer Noire, ils ne pourront partir et revenir que pour des opérations de maintenance ou de
réparation.

12. Avec l’apparition de nouvelles opportunités et de nouveaux défis sous l’effet du changement
climatique, le Grand Nord est une autre région méritant un suivi attentif de l’Alliance. Les projets
d’exploitation pétrolière et gazière dans l’Arctique pourraient modifier le marché mondial de l’énergie.
Les nouveaux itinéraires maritimes entre l’Atlantique et le Pacifique pourraient également modifier
le commerce mondial. La pêche commerciale dans l’Atlantique Nord et le Pacifique Nord représente
déjà quelque 40 % des captures de poisson à l’échelle mondiale. Le tourisme est en hausse.
En résumé, l’empreinte humaine dans l’Arctique s’accroît, et avec elle s’accroissent les intérêts des
États. Les sous-marins sont tout à fait adaptés pour opérer dans cette région et, ainsi, afficher une
présence, recueillir des renseignements utiles, présenter des défis hybrides et fermer des passages
de plus en plus encombrés. Outre la Russie, la Chine envisage à l’avenir d’envoyer des sous-marins
dans l’Arctique.

III.   LA MENACE DES SOUS-MARINS RUSSES POUR L’OTAN

       A.   LES SOUS-MARINS DANS LA STRATÉGIE DE LA RUSSIE

13. Les sous-marins russes s’inscrivent dans un contexte stratégique plus large. La grande
stratégie de la Russie consiste pour elle à retrouver son statut de grande puissance mondiale. Une
étape clé de ce projet est une profonde modernisation de l’armée s’appuyant sur une hausse du
budget de la défense. Aucun chiffre fiable ou clair n’est disponible publiquement concernant ce
budget. Selon l’une des estimations les plus plausibles, les dépenses de défense ont légèrement
baissé depuis leur niveau record en 2015, où la Russie consacrait 4,83 % de son PIB à la défense.
Ce niveau est resté élevé en 2018, à 4 % (IISS, 2019). Quoi qu’il en soit, les dépenses militaires
russes, y compris en matière de sous-marins, n’ont pas besoin d’être élevées pour produire des
effets asymétriques, comme nous le verrons plus bas. Outre la modernisation de son armée, la
Russie continue de chercher des zones tampons – politiques et militaires – dans ce qu’elle appelle
son « étranger proche ». D’une part, le pays mène des opérations hybrides et asymétriques pour
générer une incertitude stratégique et provoquer des surprises localisées (Metrick et Hicks, 2018).

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D’autre part, ses dirigeants cherchent à provoquer une surcharge tactique ciblée en créant des
« bulles » anti-accès/déni de zone (A2/AD) (Metrick et Hicks, 2018). Le littoral septentrional de la
Russie ainsi que les mers Noire et Baltique sont essentiels dans cette approche, et les sous-marins
jouent un rôle vital.

14. La stratégie maritime de la Russie vise deux grands objectifs : la fourniture et la protection
d’une dissuasion nucléaire s’appuyant sur des sous-marins, et la défense de son territoire
(Allport, 2018). En conséquence, la marine russe continue de privilégier a) le remplacement de ses
sous-marins dotés de charges nucléaires ; et b) le renforcement de ses forces navales aux fins de
la lutte antisurface et de l’attaque au sol conventionnelles.

15. De manière générale, les capacités navales de la Russie restent « très inférieures à la
puissance collective de l’Alliance » (Allport, 2018). Comme dans d’autres domaines, Moscou
cherche à compenser en augmentant au maximum ses atouts asymétriques, souvent avec succès.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le pays se tourne également vers les opérations hybrides
maritimes « pour faire de sa faiblesse une force », commente l’amiral James G. Stavridis, ancien
commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) (Stavridis, 2018). La Russie pourrait
utiliser toute la gamme des capacités civiles et militaires et opérer avec le plus d’ambiguïté possible
(Stavridis, 2018). À l’instar de certains autres actifs maritimes (par exemple, les navires soi-disant
civils, les forces d’opération spéciale amphibies ou les nageurs de combat), les sous-marins sont
tout à fait adaptés pour créer des effets pouvant être niés et conduire des opérations au fond des
mers.

16. Les responsables de la défense des membres de l’Alliance ont, en particulier, averti que la
Russie risquait de mettre sur écoute ou de sectionner des câbles de communication sous-marins,
car des navires russes ont été repérés à proximité (voir l’encadré 1 et la carte 2). Bien que ces câbles
soient conçus selon le procédé de redondance, leur mise sur écoute ou leur sectionnement pourrait
avoir des conséquences dramatiques pour les communications transatlantiques et
intra-européennes. Si le réseau sous-marin mondial était inutilisable, seuls 7 % environ des données
qu’il achemine pourraient être pris en charge par les satellites (Jones, 2018). Le système commercial
et financier international est très dépendant de ce réseau. La mise hors service du réseau aurait des
effets considérables et immédiats sur les marchés économiques jusqu’à ce que le trafic internet
puisse être rétabli par d’autres moyens ou que les câbles soient réparés (BBC, 2017 ;
Stavridis, 2018). Comme l’a indiqué un éminent analyste de la défense, la Russie a tiré des leçons
de sa campagne en Crimée : « l’accès physique à l’infrastructure de communication et aux
télécommunications » est la clé de la domination de l’information (BBC, 2017). En l’absence de
système de surveillance efficace, l’un des gros avantages que présente la mise hors service des
câbles sous-marins est la possibilité de nier l’avoir fait. Un incident de 2008 en apporte la preuve :
aucun acteur mal intentionné n’était à l’origine du sectionnement quasi-simultané de câbles
sous-marins allant du Moyen-Orient vers l’Europe et vers l’Asie ; les responsables étaient un navire
traînant une ancre et un glissement des fonds marins. Si cela se produisait pour des câbles ayant
une importance cruciale pour les Alliés, comment être sûr que le responsable est un État (Smith et
Hendrix, 2017) ? Même si un Allié détenait des renseignements fiables, serait-il en mesure d’en
communiquer une part suffisante pour convaincre les autres membres de l’Alliance ? Et quelles
seraient les conséquences si cela se produisait à des moments critiques ? Il est temps pour l’OTAN
de proposer une bonne réponse.

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Encadré 1 : Déclarations notables concernant la menace relative aux câbles sous-marins
 Amiral de division Andrew Lennon,
 commandant chargé des sous-marins            Carte 2 : Réseau de câbles sous-marins      dans   la   zone
 au Commandement maritime allié               euro-atlantique (Source : TeleGeography)
 (Ripley, 2019) :

 « Nous constatons aujourd’hui une activité
 sous-marine de la Russie à proximité des
 câbles sous-marins qui, selon moi, est
 inédite. Ce pays s’intéresse clairement à
 l’infrastructure sous-marine de l’OTAN et
 de ses pays membres. »

 Général d’armée aérienne
 Sir Stuart Peach, chef d’état-major de la
 défense, ministère de la défense du
 Royaume-Uni (Peach, 2017) :

 « Il existe un nouveau risque pour notre
 mode de vie, qui est la vulnérabilité des
 câbles traversant les fonds marins. »

 Arnor Sigursjonsson, directeur général,
 direction de la défense, ministère des
 affaires étrangères d’Islande, décembre      17. Avec l’intérêt ravivé de Moscou pour les sous-marins,
 2018 (Willet, 2018) :                        deux concepts d’opération typiques de la guerre froide ont
  « Les câbles sous-marins ne relient pas     fait leur retour en ce qui concerne l’Atlantique Nord : les
  seulement l’Islande avec l’Europe et        « bastions » et la « défense des bastions » (Olsen, 2018).
  l’Amérique du Nord, ils assurent aussi la   Les bastions sont des espaces maritimes dans lesquels la
  liaison directe entre l’Amérique du Nord et Russie concentre sa dissuasion nucléaire navale.
  l’Europe au sud de l’Islande […] Si
  quelqu’un parvient à en perturber le
                                              Naturellement, ce pays tient à préserver la sécurité de ses
  fonctionnement, cela aura des               sous-marins stratégiques et protège donc intensivement
  conséquences majeures à l’échelle           ces bastions. Le bastion européen de la Russie se situe
  planétaire. »                               principalement le long des côtes septentrionales du pays
                                              (voir la carte 3). Le périmètre de défense de ce bastion
s’étend à l’avant de cette zone et jusqu’au passage GIUK (Groenland-Islande-Royaume-Uni). L’une
des raisons pour lesquelles ce passage est important pour la Russie est que, à partir de cette zone,
les capacités des États-Unis équipées de missiles de croisière Tomahawk peuvent frapper des
cibles vitales en Russie. Les responsables militaires russes sont bien conscients qu’ils ne peuvent
défier l’Alliance pour le contrôle de l’Atlantique Nord. Par conséquent, en période de crise ou de
conflit, les moyens navals russes – principalement
les sous-marins tactiques – chercheraient à                  Carte 3 : Défense du bastion russe
                                                             (Source : Expert Commission on Norwegian
empêcher que les navires des Alliés ne                       Security and Defence Policy, 2015)
s’aventurent au-delà du passage.

18. Tous les éléments de la stratégie maritime,
de la modernisation navale et des activités
opérationnelles russes ne sauraient cependant
être perçus comme foncièrement menaçants.
Après tout, l’armée russe se trouvait à un niveau
particulièrement bas lorsqu’elle a engagé des
efforts de modernisation. Les experts prudents
n’ont pas tous la même perception de la posture
maritime de la Russie. Certains jugent que la
stratégie et la posture maritimes de ce pays sont
fondamentalement défensives (Allport, 2018).
D’autres considèrent au contraire que les actions
de Moscou ont un but offensif (Olsen, 2018).

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19. La rapporteure se range plutôt du côté du second avis. L’un des problèmes fondamentaux de
la stratégie russe est que les actions que la Russie considérerait ou souhaiterait considérer comme
défensives – telles que refuser l’accès au-delà du passage GIUK pour protéger son arsenal
nucléaire – doivent être perçues comme un défi stratégique lancé à l’Alliance – une menace au lien
transatlantique. Un autre élément de la modernisation navale russe penche aussi du côté d’une
posture offensive : les nouveaux missiles longue portée Kalibr-3M14 à guidage de précision peuvent
atteindre aussi bien des navires de surface que des cibles terrestres situés à une distance de pas
moins de 1 500 à 2 500 km. Par conséquent, les sous-marins russes ne représentent pas seulement
une menace pour le lien transatlantique ; ils peuvent aussi refuser l’accès aux littoraux de l’Alliance
dans le cadre de la menace A2/AD, dont la portée est beaucoup plus vaste (Tamnes, 2018).
Les missiles Kalibr pourraient, même stationnés dans la mer Blanche et la mer de Barents, mettre
en danger des centres nodaux critiques situés à l’intérieur du territoire de l’Alliance. Si les
estimations maximales sont vraies, un sous-marin se trouvant dans la mer Blanche pourrait envoyer
un missile Kalibr sur le siège de l’OTAN à Bruxelles et dans au moins 13 capitales des membres de
l’Alliance (voir la carte 4). En période de crise ou de conflit, les sous-marins russes pourraient viser
d’importants ports de débarquement utilisés pour les renforts de troupes, voire les côtes Est de
l’Amérique du nord s’ils n’étaient pas détectés à l’ouest de l’Atlantique Nord. Un tel scénario aurait
des effets militaires, politiques et psychologiques importants sur les États membres et pourrait
ébranler la capacité et la volonté
de l’OTAN de remplir ses tâches Carte 4 : Illustration de la portée des sous-marins équipés de missiles
                                        Kalibr (estimations minimale et maximale)
fondamentales (Allport, 2018).

20. Si ce qui précède montre
l’importance de l’Atlantique Nord
dans la réflexion stratégique de la
Russie, la mer Baltique et la mer
Noire occupent aussi une place
centrale. La mer Baltique
présente une importance capitale
pour les intérêts russes. La moitié
environ du fret maritime de la
Russie transite par cette région,
qui sert aussi de passerelle
maritime pour l’enclave russe de
Kaliningrad (Nordenman, 2018).
Sur le plan opérationnel, les
sous-marins russes pourraient
utiliser la mer Baltique comme
une zone d’étape pour lancer des attaques de missiles de croisière, comme une aire de refuge avant
de progresser vers l’océan Atlantique, et comme une zone d’attente (Perkins, 2016). En temps de
paix, ces sous-marins peuvent aussi essayer de surveiller les Alliés et mener des opérations de
provocation et d’intimidation ciblées. Cela dit, la mer Baltique est un espace très difficile pour les
sous-marins en raison de son espace confiné et ses eaux peu profondes, de la densité du trafic et
de la présence d’une multitude de mines marines encore actives. Toutefois, associées à la faible
salinité de la mer Baltique, ces mêmes caractéristiques rendent les sous-marins très difficiles à
repérer. Cette mer représente donc un excellent espace d’entraînement pour les sous-marins
russes. Des experts prétendent que les partenaires de l’OTAN que sont la Finlande et la Suède
présentent à cet égard une « utilité » pour la Russie car ses sous-marins peuvent s’entraîner face à
des capacités de haut niveau sans risquer de se confronter à un Allié (Perkins, 2016).

21. Avant 2014, la flotte navale russe présente dans la mer Noire était dans un état de
délabrement. Pour preuve, un seul nouveau navire de combat de surface y a été affecté entre 1991
et 2014 (Gorenburg, 2018). Les missions en mer Méditerranée et dans le golfe d’Aden ont été
menées par d’autres navires (Gorenburg, 2018). Bien que la Russie n’ait pas, dans le cadre de sa
modernisation en cours, réalisé toutes ses ambitions relatives à la mer Noire, elle a néanmoins

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déployé un grand nombre de nouveaux navires de combat de surface dans les ports de cette mer
et rétabli une présence sous-marine permanente. Ses missiles Kalibr font planer un risque sur une
part importante du territoire de l’Alliance. Par ailleurs, Moscou utilise de plus en plus cette région
comme un tremplin pour sa projection de puissance en mer Méditerranée.

     B.    L’ÉTAT DE LA FLOTTE SOUS-MARINE RUSSE

22. Preuve de son importance stratégique, le programme de modernisation des sous-marins
bénéficie dans une large mesure d’un traitement de faveur dans le budget russe de la défense. Cela
a commencé à payer ses fruits en ce qui concerne la flotte russe, qui compte 58 sous-marins (ce
chiffre excluant ceux affectés à des missions spéciales) (IISS, 2019 ; voir tableau 1). Les sous-
marins les plus récents ne sont pas les plus modernes au monde – loin s’en faut –, car leurs modèles
datent d’il y a environ 10 ou 15 ans. Ils représentent néanmoins une nette progression en termes de
qualité. Ils sont extrêmement performants, et arrivent quasiment à égalité avec certains sous-marins
des membres de l’Alliance. Globalement, la modernisation des sous-marins est un investissement
rentable, car les sous-marins russes fournissent des résultats sans commune mesure avec les
ressources engagées (Hicks et al., 2016).

23. Les sous-marins Delta III et Delta IV continuent de représenter l’épine dorsale de la
dissuasion nucléaire navale de la Russie. La marine russe les remplace petit à petit par de
nouveaux sous-marins Boreï, dont l’atténuation acoustique et la propulsion ont sensiblement été
améliorées. Trois sont en service aujourd’hui, sur un total de huit prévus pour le début des
années 2020 (Connolly et Boulègue, 2018). La construction des trois premiers Boreï a cependant
connu de gros retards liés au développement des générateurs diesel, et plus particulièrement du
nouveau missile balistique nucléaire Bulava de 150 kilotonnes.

24. Les sous-marins nucléaires lanceurs de missiles de croisière Oscar II, rapides et furtifs,
figurent parmi les plus gros modèles jamais construits. Certains d’entre eux sont en train d’être
modernisés pour rester en service pendant encore 15 à 20 ans ; ils seront également réaménagés
pour pouvoir transporter jusqu’à 96 missiles Kalibr. Les sous-marins nucléaires à usage général
sont de trois types : Victor III, Sierra II et Akula. Certains des sous-marins Akula sont en cours de
modernisation.

25. Le successeur de tous les sous-marins nucléaires tactiques de la Russie est le polyvalent
Iassen. Les experts le considèrent comme extrêmement silencieux, quoique pas autant que les
modèles américains Seawolf ou Virginia. Le Iassen est conçu pour transporter entre 32 et
40 missiles Kalibr. L’un d’eux est déjà en service alors qu’un second – baptisé Iassen-M ou Husky –
est en phase de test pour cause de modifications. La Russie prévoit de mettre en service cinq autres
sous-marins Iassen d’ici 2024 (soit moins que l’objectif initial compris entre 8 et 10). La grande
difficulté pour la Russie sera de réduire les coûts. Le Iassen-M a déjà coûté quelque 1,68 milliards
de dollars américains.

26. Les sous-marins russes Kilo et Improved Kilo à propulsion diesel électrique sont utilisés
pour des missions anti-sous-marines. Le modèle Improved Kilo est très furtif et peu coûteux pour le
niveau de performance fourni. Les sous-marins Lada sont supposés remplacer ces deux modèles,
mais le programme a connu de gros problèmes et d’importants retards. Un problème de taille semble
être que la Russie a de grosses difficultés à concevoir et fabriquer un système de propulsion
anaérobie, une technologie moderne essentielle pour les sous-marins à propulsion diesel électrique.
Des spéculations selon lesquelles ce modèle pourrait être retiré au profit d’un nouveau type de
sous-marin, le Kalina, vont bon train.

27. La Russie possède peut-être les capacités de lutte sous-marine les plus sophistiquées au
monde (Allport, 2018). Les responsables de la défense de l’Alliance ont, en particulier, averti que la
Russie risquait de mettre sur écoute ou de sectionner des câbles de communication sous-marins de
l’OTAN ou du secteur privé. La Russie possède aujourd’hui des sous-marins Delta III, Delta IV et

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Oscar II convertis pour des missions spéciales, même si nombre d’entre eux ne sont peut-être pas
encore prêts. Ces sous-marins pourraient toutefois servir de navires porteurs pour les
mini-sous-marins et submersibles avec équipage de type Losharik, Paltus, Rus ou Consul, capables
de manipuler des objets dans les fonds marins, ou pour des systèmes sans pilote. On ne sait pas
très bien combien d’entre eux sont en service (Ripley, 2019). La direction principale russe de la
recherche sur les fonds marins a pour objectif d’accroître le nombre de ces mini-sous-marins
capables d’opérer au fond des mers.

28. Une autre menace sous-marine garde quant à elle tout son secret : le drone sous-marin ou
la torpille Poseidon (autrefois connu(e) sous le nom de Status 6 ou Kanyon). Le Poseidon s’est fait
connaître « accidentellement » il y a quelques années et est aujourd’hui souvent cité dans les
discours du président Poutine. La Russie prétend que ce drone pourrait transporter des charges
nucléaires de 100 à 2 000 mégatonnes utilisées pour la destruction et la contamination côtières. Les
charges nucléaires sont « frelatées » avec du cobalt pour une contamination maximale. Bien que
les informations dont on dispose soient trop rares pour juger de l’exactitude de ces données, il est
très important de suivre le projet de près.

          Tableau 1 : Sous-marins russes (Source : IISS, 2019)
                                                                            Encadré 2 : Les sous-marins russes
  Sous-marins stratégiques                                    Nombre        du point de vue régional
  Type Delta III (Projet 667BDR ; Kalmar)                               1
  Type Delta IV (Projet 667BDRM ; Delfin)                               6   Atlantique Nord : C’est à la flotte du
                                                                            Nord qu’est affecté le plus grand nombre
  Type Boreï (Projet 955/A ; Dolgorukiy)                                3   de sous-marins russes. Cette flotte
  Type Akula (Projet 941 ; Typhoon)                                (1)      compte huit sous-marins stratégiques
                                                                            (dont un en rénovation et un autre en
                                                                            réserve) et 21 sous-marins tactiques
  Sous-marins tactiques                                                     (quatre en rénovation et un en réserve)
  Sous-marins nucléaires d’attaque lance-missiles                           (IISS, 2019).

  Type Oscar II (Projet 949A ; Anteï)                                   8   Mer Baltique : La Russie possède
  Type Iassen (Projet 885 ; Severodvinsk)                         1+1*      aujourd’hui deux sous-marins de type
                                                                            Improved Kilo stationnés en mer
                                                                            Baltique, mais un seul était disponible
  Sous-marins nucléaires d’attaque                                          pour des opérations en 2016. Le pays
  Type Schuka-B (Projet 971 ; Akula I)                                  9   prévoit de stationner deux sous-marins
                                                                            de type Lada dans cet espace maritime
  Type Schuka-B (Projet 971M ; Akula II)                                2   d’ici 2024.
  Type Sierra II (Projet 945A ; Kondor)                                 2
                                                                            Mer Noire et mer Méditerranée : La
  Type Schuka (Projet 671RTM ; Victor III)                              3   Russie compte quatre sous-marins dans
  Type Sierra I (Projet 945 ; Barracuda)                           (1)      la mer Noire et deux sur sa base navale
                                                                            de Tartous, en Syrie (affectés à la flotte
                                                                            de la mer Noire).
  Sous-marins patrouilleurs
  Type Kilo (Projet 877 ; Paltus)                                   16
  Type Improved Kilo (Projet 636.6 ; Varshavyanka)                      6
  Type Lada (Projet 677 ; Petersburg)                               1*

  Sous-marins à usage spécial                                     12?

   Les chiffres entre parenthèses correspondent à des sous-marins pas
                           encore opérationnels.
                              * En phase de test

                                                                                                                   8
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IV.   LA SITUATION EN ASIE DE L’EST

29. Tandis que la Chine accroît sa présence mondiale dans des domaines cruciaux pour les
intérêts des Alliés, les membres de l’OTAN doivent garder un œil sur le défi que représentent les
sous-marins chinois. En Corée du Nord, par ailleurs, le programme de conception de sous-marins
et d’armes nucléaires continue de travailler à la mise au point d’une dissuasion navale dirigée contre
les États-Unis, menace qu’il serait périlleux pour l’Alliance d’ignorer. Cette section présente donc les
flottes sous-marines de ces deux pays.

      A.    LES RÉCENTES AVANCÉES DE LA CHINE

30. Comme en Russie, le gouvernement chinois est très secret lorsqu’il est question de stratégie,
de programmes et de budgets militaires. Les experts estiment que la Chine aurait consacré quelque
168,2 milliards de dollars américains à la défense en 2018, dont une part importante aux
investissements (IISS, 2019). Dans le contexte de ce projet de rapport, il est clair que les forces
armées chinoises sont extrêmement concentrées sur l’amélioration des forces sous-marines
existantes et la conduite de travaux de recherche-développement (R&D) de pointe pour sa future
flotte (IISS, 2019).

31. La Chine possède actuellement 4 sous-marins stratégiques ainsi que 54 sous-marins
tactiques – 6 à propulsion nucléaire et 48 à propulsion diesel électrique (IISS, 2019). Ils sont tous
moins performants que leurs équivalents russes, mais le pays fait de gros progrès en matière de
développement technologique. Deux principaux facteurs expliquent l’accent mis par la Chine sur
la modernisation de ses sous-marins. D’une part, ses dirigeants estiment que la dissuasion nucléaire
navale chinoise ne présente pas encore de capacité de frappe en second crédible, ce qui est
corroboré par la plupart des analystes (Zhao, 2018). D’autre part, la Chine investit des sommes non
négligeables dans les sous-marins tactiques dans le but de renforcer sa stratégie A2/AD, car elle
aimerait maintenir les États-Unis et d’autres puissances navales hors de la zone appelée « premier
chapelet d’îles » (voir la carte 5).

32. La plupart des experts estiment que les sous-marins nucléaires chinois – notamment
stratégiques – sont bruyants comparés à leurs équivalents haut de gamme américains et russes
(Zhao, 2018). Les sous-marins stratégiques pourraient même être plus bruyants que les sous-
marins russes Delta III, conçus dans les années 70 et qui remontent aujourd’hui de deux générations
par rapport aux sous-marins stratégiques les plus élaborés de la Russie. La Chine ne commencera
à construire des sous-marins stratégiques de nouvelle génération qu’au début des années 2020
(Zhao, 2018 ; Chan, 2018). Une autre lacune des sous-marins stratégiques chinois est la portée
officielle des missiles balistiques à lanceur naval JL-2. Ces missiles ne pourraient atteindre le
territoire des États-Unis que si les sous-marins chinois réussissaient à franchir le premier chapelet
d’îles et gagner l’océan Pacifique. La Chine est en train de développer et de tester leur successeur,
le missile JL-3, qui serait capable de frapper des cibles situées à environ 9 000 kilomètres (Chan,
2018). Cette portée serait encore inférieure à celle des missiles nucléaires à lanceur naval les plus
performants des États-Unis et de la Russie et ne menacerait qu’une partie du territoire américain
depuis l’intérieur du premier chapelet d’îles.

33. Les sous-marins tactiques de la Chine devraient eux aussi connaître une rapide progression,
à la fois en taille et en performances. Les sous-marins tactiques à propulsion nucléaire chinois sont
jugés encore plus bruyants que leurs équivalents stratégiques (Zhao, 2018). Cela dit, le nouveau
modèle Yuan à propulsion diesel électrique intègre une technologie d’atténuation acoustique
empruntée aux sous-marins russes et possède un système de propulsion anaérobie – que la Russie
s’efforce également de mettre au point (Zhen, 2018).

34. La Chine investit considérablement dans les technologies pour accroître la survivabilité de
ses sous-marins, principalement en les rendant plus silencieux, par exemple à l’aide d’un système
de propulsion à hydrojet et de réacteurs nucléaires à haute température refroidis par gaz

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(Zhao, 2018). Le pays progresse également dans un autre domaine qui a longtemps été en retard,
celui des communications sous-marines (Zhao, 2018). La marine chinoise semble aujourd’hui
capable de communiquer avec ses sous-marins à des fréquences très basses, que seuls deux
autres pays ont jusqu’ici réussi à atteindre. Les chercheurs chinois travaillent par ailleurs
intensivement sur des systèmes de communication satellite et aéroportés à des fréquences
extrêmement basses. D’autres travaux notables entrepris par la recherche-développement en Chine
portent sur des capteurs quantiques capables de détecter la présence de sous-marins en mesurant
les champs magnétiques, sur des applications de l’intelligence artificielle pour les sous-marins, et
sur des véhicules maritimes autonomes sans pilote.

35. Selon les experts, la stratégie actuelle de la Chine en matière de sous-marins reprend le
concept de bastion mis en œuvre par l’Union soviétique dans les années 1970 et 1980 (Zhao, 2018).
Or, la Chine est nettement plus limitée géographiquement que ne l’était l’Union soviétique. Tout
d’abord, ses missiles balistiques à lanceur naval ont une portée relativement réduite. Ensuite, ses
eaux côtières sont très bruyantes. Des sous-marins de pays adverses pourraient donc facilement
se dissimuler et suivre discrètement des sous-marins stratégiques chinois. C’est l’une des raisons
pour lesquelles la Chine investit massivement dans les capacités de lutte ASM, notamment des
sonars installés dans les fonds marins jusque dans l’océan Indien. Un ultime problème est que les
voies que doivent emprunter les sous-marins chinois à travers les mers de Chine méridionale et
orientale ainsi que la mer du Japon sont beaucoup plus étroites que le passage GIUK (Zhao, 2018).
Il n’en reste pas moins que les sous-marins chinois sont allés patrouiller au-delà de cette zone, et
même jusqu’au golfe d’Aden. La Chine semble en outre préparer sa force sous-marine pour des
opérations futures dans l’Arctique (Tate, 2018).

Carte 5 : Les premier et second chapelets d’îles – versions américaine et chinoise (Source : Cavas, 2016)

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      B.    LES CAPACITÉS NAISSANTES DE LA CORÉE DU NORD

36. La Corée du nord possède l’une des plus vastes flottes sous-marines au monde. Selon une
estimation fiable, le pays détiendrait 73 sous-marins tactiques (IISS, 2019) ; d’autres experts
poussent ce chiffre jusqu’à 86 (NTI, 2018). Cependant, la plupart de ces sous-marins sont
relativement petits et incapables de s’éloigner vraiment de la péninsule coréenne ; d’ailleurs, même
s’ils le pouvaient, ils se heurteraient aux mêmes obstacles géographiques et aux mêmes moyens
de lutte ASM que la Chine.

37. Le programme de missiles balistiques pour les sous-marins Gorae laisse supposer que la
Corée du Nord projette de mettre en place une force sous-marine stratégique (NTI, 2018). Son
seul sous-marin Gorae (également appelé Sinpo-B) est utilisé comme plateforme de test pour y
lancer des missiles balistiques. L’incapacité du Gorae à rester en submersion plus de quelques jours
limite toutefois sa crédibilité en tant que dissuasion nucléaire et capacité de frappe en second. Rien
que pour cette raison, il est peu probable que la Corée du Nord envisage de déployer le Gorae dans
un cadre opérationnel.

38. Il semblerait que la Corée du Nord soit en train de construire un nouveau sous-marin porteur
de missiles balistiques, le Sinpo-C (NTI, 2018). On estime que ce modèle peut transporter plus de
2 000 tonnes et possède un faisceau de 11 mètres, ce qui en ferait le plus gros navire de la marine
nord-coréenne (Majumdar, 2018). Même si le Sinpo-C pouvait devenir un sous-marin stratégique
viable, la Corée aurait toujours besoin de nombreux sous-marins de ce type équipés d’armes
nucléaires pour imposer une dissuasion nucléaire navale qui soit crédible et pérenne. Toutefois,
compte tenu de leur utilité stratégique, les analystes prédisent que ces efforts ont peu de chances
de s’arrêter.

39. La Corée du Nord développe actuellement le missile balistique à lanceur naval Pukkuksong-1
(ou KN-11), qui aurait une portée d’environ 1 200 km (Missile Defence Project, 2018). Ce missile
aurait subi depuis 2014 quatre à six tests de lancement (Jeong, 2018). Selon la plupart des
observateurs, le pays a encore de nombreux défis techniques à relever pour que ce missile soit
opérationnel, le premier étant la capacité du missile à porter une charge nucléaire. La Corée du Nord
poursuit son développement du missile Pukkuksong, ce qui pourrait l’aider, comme elle en a
l’intention, à se doter d’un missile balistique à lanceur naval opérationnel.

V.    LES LACUNES DES ALLIÉS EN MATIÈRE DE CAPACITÉS DE LUTTE ASM ET LA
      MODERNISATION EN COURS

     A. ÉTAT DES LIEUX GÉNÉRAL DES CAPACITÉS ALLIÉES DE LUTTE ASM

40. Le principal objectif de la lutte ASM est de détecter les sous-marins des adversaires potentiels
dans un jeu « du chat et de la souris » (Perkins, 2016). Du fait de la difficulté de la tâche, cette lutte
repose sur des capacités militaires haut de gamme. Toutefois, comme le relève judicieusement
l’amiral Gary Roughead, ancien chef des opérations navales des États-Unis, c’est aussi « un
mélange d’art et de science » (Roughead, 2018). La lutte ASM d’aujourd’hui repose surtout sur un
ensemble de plateformes avec équipage utilisant des sonars actifs et passifs (voir l’encadré 3 et le
tableau 2) :

-     sous-marins tactiques ;
-     avions de patrouille maritime à voilure fixe ;
-     navires de surface équipés de sonars ;
-     hélicoptères ASM basés au sol ou sur des navires de surface ;
-     systèmes de détection acoustique installés sur le fond marin ou sur le littoral.

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41. La capacité globale de l’OTAN à mener des opérations de lutte ASM complexes a
considérablement diminué. Un exercice sur table réalisé en 2017 a montré que « ni les différents
États membres, ni l’Alliance dans son ensemble, ne sont actuellement capables de mener une
campagne de lutte ASM globale et coordonnée, que ce soit en temps de paix ou dans une situation
de conflit » (Smith et Hendrix, 2017). L’un des participants à l’exercice a indiqué qu’il faudrait au
moins 50 jours pour constituer une force de lutte ASM efficace. Bien que l’OTAN soit encore en
mesure de poursuivre des sous-marins isolés au niveau actuel des patrouilles russes, elle perdra
bien vite cette aptitude si les tendances actuelles se poursuivent (Perkins, 2016). En résumé,
l’Alliance a « perdu une grande partie de l’avance qu’elle avait acquise à la fin de la guerre froide »
(Perkins, 2016).

42. L’OTAN se trouve face à un double problème. D’une part, ses propres capacités de lutte ASM
ont diminué car le nombre de ses plateformes affectées à cette tâche a baissé, parfois de façon
dramatique. De plus, les capacités qu’elle possède encore vieillissent rapidement et rencontrent des
problèmes d’interopérabilité (Hicks et al., 2016). D’autre part, les moyens sous-marins des
concurrents de niveau quasi égal se sont considérablement améliorés – même s’ils ne parviennent
pas à détrôner les plus modernes des sous-marins alliés.

43. Plusieurs raisons expliquent – mais n’excusent pas – la situation actuelle. Au début des
années 1990, à mesure que la menace immédiate de l’Union soviétique reculait, les budgets de la
défense des Alliés ont commencé à sérieusement diminuer. Ils ont subi de nouvelles coupes
radicales après la crise financière de 2007/2008. Peut-être plus important encore, une réorientation
stratégique en faveur des forces militaires expéditionnaires a eu lieu après la fin de la guerre froide.
Bien que s’appuyant sur des motifs valables, cette réorientation a coûté cher à d’autres domaines
capacitaires, notamment la lutte ASM (Perkins, 2016 ; Allport, 2018 ; Hudson et Roberts, 2018) :

-        Les navires ont conduit de plus en plus d’opérations de sécurité maritime standard ou été
         réaffectés à des missions d’attaque au sol.
-        Les avions de patrouille maritime se sont de plus en plus concentrés sur des missions plus
         larges de renseignement, surveillance et reconnaissance.
-        Les navires équipés pour la lutte ASM ont presque cessé d’opérer dans les océans
         Atlantique Nord et Arctique.
-        Certains Alliés ont choisi de ne pas remplacer certaines de leurs capacités arrivées en fin de
         vie.

    Encadré 3 :
    Fonctionnement de base des sonars

    Sonars passifs : Ces sonars cherchent à repérer des sous-marins à l’aide d’hydrophones détectant les bruits émis
    par les systèmes de propulsion et les hélices, ainsi que ceux produits par les frottements de l’eau contre la coque des
    sous-marins. Ils sont normalement placés à la proue du sous-marin ou sur ses flancs, ou encore tractés par un navire
    de surface ou par un sous-marin. Les sonars installés dans les fonds marins ou à terre à des endroits critiques sont
    aussi de puissants outils de détection sous-marine. Leurs performances dépendent des caractéristiques de
    l’environnement océanique, principalement la température, la salinité et les bruits ambiants.

    Sonars actifs : Ces sonars détectent les sous-marins en émettant des sons et en écoutant les retours. Bien qu’ils
    fournissent une représentation précise de l’environnement marin, ils révèlent aussi de connaître la position du poste
    d’écoute, à moins que l’émetteur et le récepteur soient éloignés l’un de l’autre.

    Sonars actifs à basse fréquence : Testés pour la première fois à la fin des années 1980, les sonars actifs à basse
    fréquence ont accru la portée des sonars actifs et continuent d’évoluer. Ils deviennent la principale technologie en
    matière de capteurs utilisée pour détecter les sous-marins modernes à des distances utiles. Ils sont souvent intégrés
    à des systèmes de capteurs à barrette remorqués par des navires de surface, ou trempés depuis un hélicoptère.

    Sonars multistatiques : Les systèmes multistatiques sont un réseau de sonars actifs et/ou passifs répartis sur une
    zone d’intérêt. Ils offrent une très bonne triangulation, un niveau élevé de discrétion et des avantages sur le plan
    acoustique.

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