UNE NOUVELLE RURALITÉ ÉMERGENTE - Regards croisés sur les transformations rurales africaines 2e édition - Cirad
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UNE NOUVELLE RURALITÉ ÉMERGENTE Regards croisés sur les transformations rurales africaines 2e édition
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/ Juillet 2016 Le Cirad et le NEPAD, titulaires des droits, autorisent l’utilisation de l’œuvre originale à des fins non commerciales, mais n’autorisent pas la création d’œuvres dérivées. Photo de couverture : Geneviève Cortes Impression : Imp’Act Imprimerie, Saint-Gély-du-Fesc (34 - France) ISBN: 978-2-87614-718-8
Planche UNE NOUVELLE RURALITÉ ÉMERGENTE Regards croisés sur les transformations rurales africaines 2e édition
UNE NOUVELLE RURALITÉ ÉMERGENTE Regards croisés sur les transformations rurales africaines 2e édition Citation : Pesche D., Losch B. Imbernon J. (dir.), 2016, Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le programme Rural Futures du NEPAD, deuxième édition revue et augmentée, Montpellier, Cirad, NEPAD, 76 pages.
Cette deuxième édition, revue et augmentée, de l’atlas sur les transformations rurales africaines a été conçue à la demande du NEPAD sous le pilotage d’Ibrahim Assane Mayaki, secrétaire exécutif de l’Agence du NEPAD, et d’Estherine Lisinge Fotabong, directrice des programmes et de la coordination. Il s’inscrit dans le cadre du partenariat entre le Cirad et le NEPAD et a été préparé avec le soutien financier du NEPAD, de l’Agence française du développement (AFD) et du Cirad pour alimenter les travaux et débats du second Forum africain pour le développement rural (FADR) organisé à Yaoundé, Cameroun, du 8 au 10 septembre 2016. Il contribue aux réflexions du programme Rural Futures du NEPAD. La réalisation de cet atlas a impliqué 52 auteurs dont la liste détaillée figure en page 73. La coordination scientifique et éditoriale a été réalisée par Denis Pesche, Bruno Losch et Jacques Imbernon. Le Cirad est seul responsable des erreurs et omissions qui auraient pu survenir dans sa réalisation. Coordination générale : Infographie : Ibrahim Assane Mayaki Jean-Claude Lorente Estherine Lisinge Fotabong Cartographie : Audrey Jolivot Coordination scientifique Maquette et mise en page : et éditoriale : Laurence Laffont Denis Pesche Bruno Losch Révision : Jacques Imbernon Elsa Raymond
7 Avant-propos Cette deuxième édition de l’atlas Une nouvelle ruralité émergente est des collectivités territoriales pourrait être basé sur les spécificités publiée dans un climat particulier de baisse générale des cours des de chacune d’elles, sur leur écosystème, leur héritage culturel et leur matières premières et de ralentissement de la croissance africaine, savoir-faire combinés à l’innovation technologique et à l’apprentis- alors que nos économies n’ont pas su répartir équitablement les sage, en particulier des jeunes et des femmes. fruits de la croissance enregistrée dans les années où elle se classait Si une bonne dose de traitement social du secteur rural est une parmi les plus élevées au monde. condition sine qua non de son développement – comme ce fut Les tendances baissières des cours des matières premières, tout en et est toujours le cas dans les pays développés –, il n’en reste pas étant une contrainte, constituent également une opportunité, en ce moins que d’importantes actions passant par le marché doivent sens que les acteurs publics et privés vont devoir faire preuve d’un être simultanément mises en œuvre. La transition progressive de regain d’innovation et de créativité pour créer de nouvelles sources systèmes de solidarité à des systèmes mixtes de marché permettra de croissance endogènes, de richesse et d’emplois inclusifs et à en effet de stimuler l’investissement et le développement d’acti effets induits plus élevés sur les économies de la région. vités structurantes à même de jeter les bases de cette transfor mation tant recherchée. Aujourd’hui, l’enjeu est d’identifier de nouveaux leviers de crois- sance économique durable, leviers cette fois-ci fondés sur les prin- Les questions de gouvernance de nos ressources naturelles, combi cipes d’inclusion et d’équité, tout en maintenant un rythme soutenu. nées à celles des ressources financières qu’elles génèrent, consti- Réunir ces conditions permettra aux économies africaines de faire tuent la pierre angulaire de notre transformation structurelle ; elles face à une poussée démographique encore forte et à l’arrivée d’une requièrent des solutions idoines à tous les niveaux : global, régional, vague sans cesse grandissante de jeunes en quête d’éducation, de national et local. formation et d’emplois. Ces défis se posent dans un contexte de Au fil des années, cet atlas, qui évoluera progressivement vers un changement climatique et de fragilisation des ressources naturelles, dispositif collaboratif, servira d’outil de référence nous permettant exigeant l’utilisation de techniques productives adaptées aux défis d’effectuer un suivi des progrès réalisés vers ces objectifs et de maî- environnementaux. triser notre trajectoire vers la réalisation de l’Agenda 2063. Il rentre Les principes d’inclusion et d’équité impliquent l’adoption d’une donc parfaitement dans la panoplie des outils que l’Agence du approche et de politiques spatiales et territoriales, où les espaces NEPAD utilisera dans son rôle de think tank et d’évaluateur de la mise ruraux bénéficient d’autant d’aménagements et d’interventions en œuvre des politiques de transformation rurale de l’Union africaine. que les espaces urbains, où des investissements responsables sont effectués en milieu rural, où les femmes et les jeunes ont accès aux facteurs de production, en particulier à la formation, à la terre et à l’eau, aux sources de financement, aux énergies renouvelables, aux marchés et à des revenus reflétant le fruit de leur travail. Un renouvellement des politiques publiques centré sur le dévelop- pement local permettrait d’appréhender les problèmes à la source Dr Ibrahim Assane Mayaki et de leur apporter des solutions adéquates favorisant la rétention Secrétaire exécutif de l’Agence du NEPAD et l’ancrage des populations dans leurs terroirs. Le développement
Planche 9 avant-propos 2. ruralité, activités, 3. focales régionales....................... Page 49 Par Ibrahim Assane Mayaki...............................................Page 7 ressources............................................ Page 31 Planche 16 liste des illustrations...............................Page 10 Conflits d’usage des terres dans Planche 8 le bassin du Congo : quelles régulations ?............... Page 50 Diversité des revenus et des trajectoires agricoles d’ici à 2050................. Page 32 introduction ........................... Page 13 Planche 17 Le delta du fleuve Sénégal : Planche 9 quel modèle agricole ?............................................................ Page 52 1. dynamiques structurelles......Page 15 Une agriculture d’exportation très contrastée et en deçà de son potentiel............................................... Page 34 Planche 1 Planche 18 La densification Lac Tchad : le lac de tous les enjeux......................... Page 54 rurale et urbaine se poursuit.............................................. Page 16 Planche 10 Présences chinoises en Afrique : Sommaire Planche 19 Planche 2 un rôle dans l’agriculture en devenir.............................. Page 36 L’illusion de l’abondance : enjeux fonciers agricoles L’emploi des jeunes : dans le Vakinankaratra, à Madagascar........................ Page 56 un défi pour l’ensemble du continent............................ Page 18 Planche 11 Activités extractives : nouvelles dynamiques Planche 20 Planche 3 et impacts sur la ruralité..................................................... Page 38 Penser le territoire face au défi démographique Mégapoles et archipels : à Ségou, au Mali......................................................................... Page 58 une armature urbaine en devenir..................................... Page 20 Planche 12 Photovoltaïque et téléphonie mobile : Planche 21 Planche 4 des technologies décentralisées Dynamiques migratoires : La mobilité pastorale : adaptées aux espaces ruraux........................................... Page 40 un enjeu sahélien devenu sous-régional...................... Page 60 des profils contrastés et un fort potentiel................ Page 22 Planche 13 Planche 22 Planche 5 Tendances des acquisitions foncières Le corridor Ouagadougou - Accra : Quelles options de transition économique ? à grande échelle en Afrique................................................ Page 42 l’inclusion spatiale par le vivrier........................................ Page 62 Des approches sectorielles au modèle territorial... Page 24 Planche 6 Planche 14 Planche 23 Les organisations régionales en Afrique : Le bois : une ressource majeure Que faire avec les eaux souterraines entre superposition, concertation et action.............. Page 26 au service du développement économique................. Page 44 en Afrique du Nord ?.............................................................. Page 64 Planche 7 Planche 15 Planche 24 La décentralisation en Afrique : L’or bleu et ses enjeux : L’eau, une ressource encore peu maîtrisée une chance pour les zones rurales ?........................... Page 28 tensions hydriques en Afrique........................................... Page 46 en Afrique de l’Ouest............................................................... Page 66 Notes.................................................................................... Page 69 Sources................................................................................ Page 71 Auteurs................................................................................. Page 73
10 Liste des illustrations 11 p. 38 18 p. 54 C23 Part des activités extractives C40 Les zones inondées du lac Tchad. dans les exportations par pays. C41 Pôles et flux d’échanges C24 Activités extractives et dynamiques rurales. autour du lac Tchad. Fig. 20 Modélisation de l’espace 12 p. 40 géographique du lac Tchad. C1 Les Etats d’Afrique. p. 12 C15 Les organisations régionales en Afrique C25 Accès des populations à l’électricité. et leurs chevauchements. C26 Lumière des villes de nuit. 19 p. 56 1 p. 16 C27 Rayonnement solaire global. C42 Evolution de la densité de population. C2 Indice de fécondité. Fig. 7 Circulation des personnes et intégration C28 Souscriptions à des services C43 Demandes de certificats fonciers C3 Rapport villes/campagnes. commerciale : résultats obtenus par de téléphonie mobile. par commune. C4 Densité de la population. Communauté économique régionale. Fig. 13 Electrification urbaine et rurale. Fig. 21 Evolution du nombre et de la superficie Fig. 1 Evolution comparée de la population rurale Taux de raccordement au réseau. des exploitations agricoles. par grandes régions et pays. 7 p. 28 Fig. 2 Evolution de la fécondité. C16 La décentralisation : 13 p. 42 20 p. 58 C29 Transactions foncières C44 Répartition de la population les textes et les moyens. à grande échelle en Afrique. de la région de Ségou en 1987. 2 p. 18 C5 Importance de la population active C17 Environnement institutionnel des Fig. 14 Projets d’acquisition selon leur statut. C45 Répartition de la population agricole. collectivités locales. Fig. 15 Principaux pays acquéreurs de terres. de la région de Ségou en 2009. C6 Nombre de jeunes arrivant sur le marché Fig. 16 Nombre de contrats et de surfaces C46 Occupation de la population Fig. 8 Finances et budgets locaux. par secteur d’activité. du travail. acquises par an. Fig. 22 Evolution des superficies aménagées, Fig. 3 Structure de l’emploi en Afrique 8 p. 32 14 p. 44 cultivées et des rendement en riz subsaharienne. C18 Evolution des revenus agricoles à l’Office du Niger. C30 Couvert arboré et déforestation. 3 p. 20 (2010-2050). C31 Stock sur pied et production annuelle de bois. 21 p. 60 C7 Agglomérations urbaines C19 Surface récoltée par actif en 2010 C32 Consommation de bois-énergie et stock C47 Les mobilités pastorales. de plus de 10 000 habitants. sur pied per capita. et projections en 2050. Fig. 23 Indice de variation annuelle C8 Noyaux de peuplement urbain. Fig. 17 Principaux pays exportateurs de bois. des précipitations au Sahel (1900-2010). Fig. 4 Croissance de la population urbaine par région. 9 p. 34 15 p. 46 22 p. 62 C20 Part des exportations agricoles C33 Disponibilité et dépendance C48 Les flux vivriers (niébé, maïs, igname) 4 p. 22 dans les exportations totales. en ressources hydriques. entre le Burkina Faso et le Ghana, C9 Migrations de populations connexions et complémentarités. Fig. 9 Principaux pays exportateurs agricoles. C34 Consommation et usages de l’eau. entre pays et régions. C49 Les routes du maïs, de la piste au goudron. C35 Accès à l’eau potable. C10 Transferts monétaires issus de la migration. Fig. 10 Part relative des principaux groupes Fig. 18 Principaux pays d’irrigation. de produits dans les exportations agricoles 23 p. 64 Fig. 5 Emigration africaine hors du continent. C50 Pression sur les ressources Fig. 6 Pays africains accueillant le plus grand nombre totales. 16 p. 50 en eaux souterraines de migrants internationaux. C36 Conflits d’affectation des terres à El Hajeb (Saïss), au Maroc. 10 p. 36 dans le bassin du Congo. C51 Territoires de l’eau à Biskra, en Algérie. 5 p. 24 C21 Acquisitions foncières et centres C37 Recouvrement entre les concessions C52 Utilisation intensive des eaux C11 L’Afrique selon le poids économique forestières et les titres miniers. de surface et souterraines, des pays. de démonstration agricole chinois. C38 Recouvrement entre les titres miniers à Kairouan, en Tunisie. C12 L’Afrique selon le poids démographique Fig. 11 Importations et exportations et les aires protégées. des pays. 24 p. 66 avec le reste du monde. C13 Croissance moyenne du PIB par habitant. 17 p. 52 C53 Barrages hydrauliques, C22 Investissements directs étrangers chinois C39 Dynamique des espaces agricoles conflits et risques de conflits liés à l’eau dans le delta du fleuve Sénégal. en Afrique de l’Ouest. 6 p. 26 en Afrique. C14 Les organisations régionales en Afrique Fig. 19 Extension des périmètres irrigués C54 Les systèmes de production agricole et les pays membres. Fig. 12 Echanges commerciaux Chine-Afrique. dans le delta du fleuve Sénégal. irrigués en Afrique de l’Ouest.
introduction Bruno Losch Denis Pesche Géraud Magrin Jacques Imbernon
12 0° 30° E C1. Les Etats d’Afrique Sources : Nasa 2014. MAROC TUNISIE Mer Méditerranée 30° N ALGÉRIE SAHARA OCCIDENTAL LIBYE ÉGYPTE CAP-VERT MAURITANIE MALI NIGER SÉNÉGAL TCHAD SOUDAN ÉRYTHRÉE GAMBIE BURKINA FASO DJIBOUTI GUINÉE GUINÉE-BISSAU BÉNIN SIERRA LEONE GHANA NIGÉRIA ÉTHIOPIE CÔTE D'IVOIRE RÉPUBLIQUE SOUDAN DU SUD LIBÉRIA CENTRAFRICAINE TOGO CAMEROUN SOMALIE GUINÉE ÉQUATORIALE OUGANDA CONGO KENYA 0° GABON RWANDA SAO TOMÉ-ET-PRINCIPE RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Océan Indien BURUNDI TANZANIE SEYCHELLES Océan Atlantique COMORES ANGOLA MALAWI ZAMBIE MOZAMBIQUE 0m ZIMBABWE MADAGASCAR NAMIBIE BOTSWANA 2 500 m SWAZILAND MAURICE LESOTHO AFRIQUE DU SUD 5 000 m 30° S 0 500 1 000 Kilomètres Une nouvelle ruralité émergente Regards croisés sur les transformations rurales africaines
13 13 se réapproprier le développement ’ampleur inédite de circulations multiples – mobilité des produits et des personnes, diffusion des L idées – facilite l’émergence de nouvelles territorialités fondées sur la mobilisation de ressources aux ancrages multiples, facilitant l’innovation et contribuant à la recomposition des espaces. des territoires D’un côté, le développement fulgurant de la téléphonie, les progrès – encore timides – de l’accès à l’énergie, la construction de grandes infrastructures de transport ou d’irrigation accroissent Dans le contexte d’une mondialisation traversée par de fortes tensions, où la planète est fortement l’attractivité de certains territoires, parfois au détriment d’autres. L’essor des activités confrontée aux enjeux du changement climatique et de l’épuisement des ressources non renou minières et l’attrait d’investisseurs locaux et étrangers pour les terres agricoles les plus fertiles velables, l’Afrique est face au défi d’inventer des modèles de développement originaux. Ceux-ci sont souvent mis en avant comme de nouveaux leviers pour le développement. Ces activités, par devront être à même de répondre aux besoins considérables liés à l’amélioration des conditions la concentration des capitaux qu’elles supposent, la diversité des acteurs qu’elles mobilisent, la de vie de la population, à l’évolution démographique et à la nécessaire diversification écono multiplicité des échelles de décision qu’elles impliquent et leurs impacts ambivalents sur le déve- mique, sans pour autant reproduire à l’identique des modèles de croissance passés, dont la loppement des territoires qui les accueillent, illustrent la complexité des processus en cours. soutenabilité n’est pas assurée. Ce défi est au cœur de l’Agenda 2063 de l’Union africaine pour la transformation structurelle du continent. Il impose de mobiliser l’ensemble des ressources L’autre versant des transformations rurales, moins visible car plus fragmenté et moins médiatisé, territoriales disponibles, celles des villes et des campagnes, afin d’utiliser à plein la diversité est porté par les efforts des familles rurales pour combiner leurs multiples activités, à cheval sur des dynamiques s patiales existantes. la ville et la campagne et parfois adossées aux ressources de la migration, et pour faire vivre des territoires parfois enclavés. L’audience croissante des organisations paysannes rend plus visible ces actions qui s’appuient souvent sur le dynamisme des marchés locaux, nationaux et trans • Valoriser les dynamiques territoriales frontaliers, associant producteurs, éleveurs, petits commerçants, entrepreneurs de transforma- Après deux décennies caractérisées par les politiques d’ajustement structurel et leurs consé- tion des produits agricoles et alimentaires… qui nourrissent les villes et génèrent la grande majo- quences, l’Afrique est engagée depuis une quinzaine d’années dans une nouvelle phase de rité des emplois actuels. Les exemples des corridors Ouagadougou - Accra ou Nairobi - Kampala, transformation : poursuite de la transition démographique et urbaine, croissance économique de la basse vallée du fleuve Sénégal ou de la région du lac Tchad illustrent cette intensité des flux soutenue tirée par un marché intérieur en expansion, hausse des prix des matières premières entre villes et campagnes. Ceux-ci redessinent la géographie économique en faisant émerger et regain des investissements extérieurs. Même si la conjoncture récente marquée par des de nouveaux pôles, au-delà des secteurs agricoles ou extractifs extravertis auxquels on associait conflits et un ralentissement de la croissance lié à la baisse des cours des produits miniers et jusqu’alors la modernité économique africaine. pétroliers incite à la prudence, ces changements ont fait passer le continent du risque d’impasse Entre espoirs, tensions et conflits, liés notamment à l’utilisation et à l’accès aux ressources natu- à l’espoir d’émergence. relles, un nombre croissant de voix se font entendre pour souligner l’importance d’inscrire ces dyna De telles dynamiques pourraient laisser croire que, suivant le modèle des transitions observées miques territoriales dans des débats ouverts sur les modèles de développement. L’ampleur des sur d’autres continents, le monde rural serait voué à un dépérissement progressif au profit de villes besoins liés à l’amélioration des conditions de vie de façon durable implique de conjuguer au mieux en pleine expansion et adossées à un processus solide d’industrialisation. Un examen attentif des performance économique, équité dans la redistribution des richesses p roduites et respect de l’en- mutations des économies et des sociétés africaines révèle au contraire un panorama beaucoup vironnement. Si l’insertion croissante de l’Afrique dans la mondialisation continue à offrir de larges plus complexe et diversifié, avec des écarts importants selon les pays et les régions du continent. opportunités, les aléas internationaux impliquent aussi de mobiliser au mieux l’ampleur du marché intérieur continental et de développer les ressources offertes par les dynamiques territoriales. Tout d’abord, la poussée démographique, qui verra l’arrivée de 1,35 milliard d’habitants supplé- mentaires d’ici à 2050, ne concernera pas que les villes, qui continueront à croître rapidement L’Afrique subsaharienne va connaître un changement démographique d’une amplitude inconnue sans atteindre le rythme du dernier quart de siècle. Les ruraux devraient rester majoritaires dans l’histoire. Alors que sa population avait augmenté au cours des quarante dernières années jusqu’aux années 2040 et la densification des campagnes se poursuivra avec 350 millions de dans des proportions équivalentes à celle de la Chine ou de l’Inde, la croissance des quarante nouveaux résidents en 2050. Le continent sera aussi la seule région du monde où la population années à venir sera plus de deux fois supérieure (1,4 milliard d’habitants supplémentaires au lieu rurale continuera à croître après cette date. Ensuite, les économies urbaines n’empruntent pas, de 650 millions) pendant que la population chinoise diminuera et que celle de l’Inde ne gagnera pour le moment, le modèle de développement fondé sur l’industrie observé ailleurs. Les villes que 400 millions d’habitants. africaines se sont principalement construites sur des rentes commerciales et administratives et sont caractérisées par l’ampleur de l’emploi informel, souvent peu qualifié, dans le commerce, les • Eviter les excès et les risques de la métropolisation services et les très petites entreprises de l’artisanat et de la construction. Seuls quelques pays situés aux deux extrémités septentrionale et méridionale du continent ont Or la densification démographique du continent façonne aussi les territoires du fait d’une imbri jusqu’ici véritablement engagé leur changement structurel, avec des économies plus diversifiées, cation toujours plus grande entre les villes, les campagnes et les bourgs qui les organisent. plus riches, adossées à une urbanisation territorialement équilibrée à forte densité économique, Une nouvelle ruralité émergente Regards croisés sur les transformations rurales africaines
14 et plus efficacement intégrées dans la mondialisation. Ailleurs, les mutations économiques d’influence gagnées depuis une dizaine d’années par Al-Qaïda au Maghreb islamique et Boko dessinent une image indécise, où les faits de structure l’emportent encore sur les dynamiques Haram, dans la région soudano-sahélienne, ou celle plus ancienne de la Lord’s Resistance récentes. L’agriculture reste toujours le socle de l’activité d’une population majoritairement Army, en Ouganda et chez ses voisins du nord et de l’ouest, sont là pour le rappeler. rurale, et l’urbanisation se poursuit, principalement au profit des capitales et sur la base d’un secteur informel qui rend difficile le financement des infrastructures nécessaires, tout comme • Favoriser l’activité et l’emploi par le développement territorial le rééquilibrage vers les autres villes et les zones rurales. L’insertion dans la mondialisation reste Pour éviter des stratégies duales périlleuses assumant des zones d’investissement et de crois- fragile avec l’exportation de produits primaires peu ou pas transformés (minerais, forêt, agri sance d’un côté et des zones vouées au déclin de l’autre, tout en répondant aux impératifs du culture d’exportation). changement structurel, il faut sortir des sentiers battus du business as usual et de la conception Ces activités, surtout celles du secteur extractif, gonflent la croissance en valeur absolue et, dans traditionnelle des politiques publiques. quelques pays, stimulent une dynamique d’investissement. Cependant, elles n’ont que rarement Ce changement est d’autant plus nécessaire que l’Afrique fait face à un boom de sa population des effets d’entraînement réels, créent peu d’emplois et ne profitent guère à la majorité de la active qui va devenir la principale source de croissance de la force de travail mondiale. Dans les population. Elles stimulent la croissance des plus grandes villes par l’investissement des rentes quinze prochaines années, 440 millions de jeunes arriveront à l’âge de chercher un emploi. Cette dans le bâtiment et les travaux publics, ce qui conduit souvent à négliger l’urbanisation « d’en bas », arrivée massive de jeunes actifs est une chance exceptionnelle pour le dynamisme des écono- celle des petites villes, et l’agriculture en favorisant la voie en apparence plus facile des modèles mies africaines à condition toutefois que le niveau de formation soit renforcé et que l’environ alimentaires à base de produits importés. nement économique et institutionnel soit favorable aux investissements. Ces dynamiques accentuent une tendance à la métropolisation, renforçant toujours plus les Relever un tel défi suppose de sortir d’une approche trop segmentée et centralisée des poli- déséquilibres territoriaux hérités de l’époque coloniale, où le chef-lieu était généralement le port tiques publiques. En effet, malgré les avancées des politiques régionales et de la décentralisation, d’exportation, et amplifiés après les indépendances. Les Etats ont largement favorisé leur capi- l’essentiel des choix politiques et des investissements publics relève des Etats et de leurs adminis- tale, pour des raisons politiques, au détriment des petites et moyennes villes. Celles-ci se sont trations sectorielles, peu enclines à penser les territoires dans leur diversité et leur complexité. La développées en taille du fait de la croissance démographique mais sans bénéficier des investis- segmentation statistique entre le rural et l’urbain, dont les limites sont de plus en plus imprécises sements publics en matière d’infrastructures et de services, accentuant l’attractivité de la grande du fait de la densification et de l’évolution des modes de vie, tout comme celle de l’action publique ville et les écarts de population. Aujourd’hui, les effets de seuil entre la plus grande agglomération entre secteurs et domaines d’activité rend difficile la perception des dynamiques économiques, et les villes secondaires sont considérables dans de nombreux pays, et les besoins toujours plus sociales et spatiales réelles et leur accompagnement. grands, liés à cette macrocéphalie urbaine, sont un obstacle au développement de l’ensemble des territoires. Le phénomène est accru par le caractère horizontal et souvent mal contrôlé Il n’existe pas de priorité sectorielle miracle – à l’instar de l’industrialisation, souvent mise en du développement urbain, qui démultiplie les coûts des réseaux (de voirie, de transport, d’eau, avant – qui permettrait de répondre à l’ampleur des besoins du continent. Il existe au contraire d’assainissement et d’électricité) et la charge pour les finances publiques. un impératif de réinvestir dans des stratégies de développement durable, multisectorielles et spatialisées, permettant de s’appuyer sur les atouts et de prendre en compte les contraintes du Cette métropolisation, qui voit l’émergence par extension progressive de conurbations urbaines développement des différents territoires. de grande ampleur, de plus en plus difficilement gérables, conduit à une attention renforcée des pouvoirs publics pour le fait urbain au détriment des « affaires rurales ». Cette tendance est Cette « reterritorialisation » des politiques publiques passe par la mise en œuvre de démarches encouragée par les discours de la nouvelle économie géographique, qui voit dans les économies participatives, le renforcement des collectivités locales et de régulations concertées entre d’agglomération un moteur central de croissance, alors que la concentration des activités et des différentes échelles de gouvernance, le réinvestissement dans les infrastructures et les ser- hommes n’offre que des effets de levier très limités quand les activités sont à faible valeur ajoutée vices des bourgs ruraux et des petites et moyennes villes. Elle est à même de contribuer à une et les populations pauvres. redynamisation des processus de développement local et à la création d’emplois par la densifi cation des relations villes/campagnes et un meilleur accompagnement des initiatives. En pensant Il existe ainsi un enjeu de rééquilibrage des territoires qui passera par l’accompagnement simultanément le développement de l’agriculture et celui des petites villes dans une perspective des dynamiques rurales et le soutien au développement des villes secondaires. Sans quoi territorialisée et dans une logique de bassin d’approvisionnement et d’emploi, la rénovation des le risque est grand de voir se renforcer des phénomènes d’exode rural et de migration de politiques publiques est une des clés principales de la transformation structurelle du continent. grande ampleur vers les zones urbaines les plus peuplées – avec des tensions économiques, sociales, environnementales et politiques accrues – et de créer en parallèle des zones de marginalisation spatiale sans perspectives pour leurs populations. En l’absence de finan- cements compensatoires significatifs, le désengagement des pouvoirs publics et le délais Bruno Losch, Denis Pesche, sement des territoires constituent une porte ouverte vers une instabilité durable. Les zones Géraud Magrin, Jacques Imbernon Une nouvelle ruralité émergente Regards croisés sur les transformations rurales africaines
dynamiques structurelles Planche La densification rurale et urbaine se poursuit 1 1 Planche Quelles options de transition économique ? Des approches 5 Bruno Losch, Géraud Magrin sectorielles au modèle territorial Bruno Losch Planche 2 L’emploi des jeunes : un défi Planche 6 pour l’ensemble du continent Les organisations régionales Bruno Losch en Afrique : entre superposition, concertation et action Planche 3 Jacques Imbernon, Denis Pesche Mégapoles et archipels : une armature urbaine en devenir Planche 7 Cathy Chatel, Jacques Imbernon, La décentralisation en Afrique : François Moriconi-Ebrard une chance pour les zones rurales ? Denis Pesche, Amadou Diop Planche 4 Dynamiques migratoires : des profils contrastés et un fort potentiel Sara Mercandalli, Christopher C. Nshimbi
16 C4. Densité de la population en 2010 C2. Indice de fécondité (moyenne 2010-2015) Source : WorldPop 2013. Source : WPP 2015. 2,2 2,6 2,9 2,5 3,4 2,2 4,7 4,4 6, 4 7, 6 4,5 5,2 6, 3 2,4 5,8 3,3 5,6 5,1 4,9 5,7 5 4,2 4,6 4,8 5,1 5,2 4,4 4,8 4,7 4,8 6,6 5 4 5,9 4,4 4 5 4,7 6,2 6,1 2,3 5,2 5,2 6,2 2,3 5,4 Nombre d’hab. / km2 4 5,4 4,5 2 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -1 -2 -2 -2 -2 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 00 05 10 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 Une nouvelle ruralité émergente Regards croisés sur les transformations rurales africaines
1 Planche 17 la densification rurale t endance n’a pas été remise en cause par la reprise économique des années 2000. La densité moyenne de population sur le conti- nent est passée de 3,3 habitants au kilomètre carré en 1900 à 7,5 en 1950 et à 39,3 en 2015. et urbaine se poursuit Ainsi le rapport villes/campagnes reste en Depuis cinquante ans, les pôles denses se renforcent tandis que des fronts pionniers co- faveur des zones rurales et le ratio urbain/rural lonisent des aires jadis peu occupées (Mada- Le continent africain, vaste et inégalement l’Afrique australe, où le nombre d’enfants par reste inférieur à 1, à l’exception du Maghreb, gascar, Sud-Ouest ivoirien, Nord-Cameroun). peuplé, a connu une forte croissance de sa femme est passé en dessous du seuil de 3, et de l’Afrique du Sud et de quelques pays côtiers Même certains centres urbains sahariens se population au cours des cinquante dernières le reste de l’Afrique subsaharienne (entre 4 et du golfe de Guinée. Si la place relative des villes peuplent via le contrôle des activités extrac- années qui lui fait rattraper son déficit démo 5). La diversité existe aussi au sein de l’Afrique va continuer à se renforcer, offrant des débou- tives et des circulations malgré un environne- graphique ancien. La poursuite des dynami de l’Ouest, de l’Est et centrale, fortement cor- chés croissants pour les producteurs ruraux ment géopolitique instable. Les quelques cas ques en cours se traduira par une densification rélée au taux d’urbanisation, avec des régions (le rapport urbain/rural passera de 0,6 en de déprise rurale (Gabon intérieur, Kabylie, en du peuplement lourde de conséquences sur ou des pays où la fécondité reste supérieure à moyenne aujourd’hui à 1,2 en 2050), la popu- Algerie) relèvent de l’exception. le rapport des hommes aux ressources natu 6 (le Sahel central, la RDC, l’Angola). lation des campagnes continuera à augmen- relles, tout en renouvelant les configurations ter en valeur absolue. Il s’agit là d’une seconde De telles dynamiques exercent des pressions territoriales. L’Afrique subsaharienne va connaître un exception africaine, puisque la population croissantes sur les ressources naturelles : changement démographique d’une ampli- rurale devrait compter 350 millions d’habitants les systèmes agricoles extensifs à jachères tude inconnue dans l’histoire. Alors que sa supplémentaires d’ici à 2050 et poursuivre son • L’ampleur exceptionnelle population avait augmenté au cours des qua- expansion après cette date, contrairement au longues fondés sur des droits d’usage ligna- gers sont remis en cause. Les tensions entre de la poussée démographique rante dernières années dans des proportions reste du monde. usages (agriculture, élevage, urbanisation, africaine équivalentes à celle de la Chine ou de l’Inde, la extraction) et usagers des terres et des eaux croissance des quarante années à venir sera s’accroissent. Pour répondre à l’incertitude Le continent africain est la dernière région du monde à avoir engagé sa transition démogra- plus de deux fois supérieure (1,4 milliard d’ha- • Un peuplement recomposé climatique liée au changement global et au bitants supplémentaires au lieu de 650 mil- besoin d’augmenter la productivité agri- phique. Contrairement à l’Asie, où le change- lions) pendant que la population chinoise ment démographique fut rapide, cette tran- La poussée démographique renouvelle l’orga cole, les ressources hydriques sont davan- diminuera et que celle de l’Inde ne gagnera nisation du peuplement. Celle-ci a long- tage mobilisées. La pénurie menace parfois, sition est plus lente que prévu – les prévisions que 400 millions d’habitants. des Nations unies sont régulièrement revues à temps été marquée par ses faibles densités comme en Afrique du Nord. La déforestation la hausse – et elle s’accompagne d’une pous- moyennes et les contrastes entre pôles très affecte la biodiversité tout en fragilisant le sée exceptionnelle du peuplement : la popu- • Un lent basculement peuplés et zones presque vides d’hommes, capital environnemental. hérités de facteurs environnementaux et lation devrait atteindre près de 2,5 milliards du rural à l’urbain historiques entremêlés. Les zones à faible Avec la densification du peuplement, les limites d’habitants en 2050 (pour 1,2 milliard en 2015). Une telle évolution conduira à un retourne- Cette dynamique de peuplement accom- densité reflètent souvent l’aridité, comme le du rural et de l’urbain se brouillent. De nouveaux ment complet des rapports démographiques : pagnera le basculement progressif du rural Namib-Kalahari, la corne de l’Afrique et sur- territoires émergent aux périphéries des mé- l’Afrique aura 3,5 fois plus d’habitants que vers l’urbain. L’urbanisation africaine a été tout le Sahara. Elles correspondent aussi à la tropoles et des axes routiers r eliant les capitales l’Europe à cette même date alors que le conti- fulgurante, avec un nombre de citadins qui grande forêt équatoriale du bassin du Congo. régionales par des chapelets de villes secon- nent européen en comptait deux fois plus que à décuplé depuis les années 1950, mais elle Les régions de peuplements anciens se daires, comme entre la côte du golfe de Guinée l’Afrique en 1950. reste encore faible en regard de la moyenne situent dans des milieux fertiles, comme la val- et la zone soudanienne, ainsi que dans la partie mondiale, à l’exception des côtes méditer- lée du Nil ou les hautes terres des Grands Lacs, orientale des Grands Lacs. Des migrations intra Cette croissance s’explique par les progrès ranéennes et des régions minières d’Afrique d’Abyssinie et de l’Ouest-Cameroun, et dans et interrégionales de grande ampleur sont à sanitaires et le maintien d’une fécondité élevée du Sud. Au boom urbain des années 1950 à des environnements longtemps protecteurs, attendre de cette croissance démographique dont la conséquence est un taux de croissance 1970 (avec des taux de croissance annuels comme les montagnes d’Afrique du Nord et exceptionnelle et des inégalités spatiales du annuel moyen qui reste de l’ordre de 2,5 % avoisinants 7 %), a succédé une croissance les zones de mangroves d’Afrique de l’Ouest. développement qui risquent de s’accentuer en (contre 1 % en Asie). Ces valeurs moyennes des villes plus modérée, stabilisée autour Les régions d’exportation agricole ou minières l’absence de politiques d’accompagnement. agrégées masquent évidemment de fortes de 4 % par an depuis la décennie 1980, nées à la fin du xixesiècle ont aussi fixé des peu- différences opposant l’Afrique du Nord et conséquence de la crise structurelle. Cette plements urbains et ruraux importants. Bruno Losch, Géraud Magrin Une nouvelle ruralité émergente Regards croisés sur les transformations rurales africaines
18 C5. Importance de la population active agricole en 2013 Source : Faostat 2015. 20 23 20 3 23 50 73 82 75 73 69 62 49 15 73 92 78 41 78 35 54 23 76 64 C6. Nombre de jeunes arrivant sur le marché du travail (2015-2030) 58 60 60 52 44 (Représentation proportionnelle au nombre de nouveaux actifs) 63 Sources : WPP 2015, WUP 2014. (Voir note page 69.) 73 69 24 30 89 56 56 LIBYE 89 74 73 TUNISIE ALGÉRIE MAROC 78 SAHARA OCCIDENTAL Population active agricole / totale 68 MAURITANIE ÉGYPTE 61 68 en 2013 (%) 80 GAMBIE < 25 54 1 69 CAP-VERT SÉNÉGAL 25 - 45 31 42 7 GUINÉE-BISSAU SOUDAN ÉRYTHRÉE 45 - 55 27 BURKINA NIGER DJIBOUTI GUINÉE MALI FASO 55 - 70 38 SIERRA LEONE 6 LIBÉRIA TOGO BÉNIN NIGÉRIA > 70 CÔTE ÉTHIOPIE D'IVOIRE GHANA Données manquantes SOUDAN DU SUD SOMALIE TCHAD RCA OUGANDA KENYA CAMEROUN GUINÉE ÉQUATORIALE RWANDA GABON SAO TOMÉ-ET-PRINCIPE TANZANIE CONGO Fig. 3. Structure de l’emploi RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO BURUNDI en Afrique subsaharienne en 2014 MALAWI Source : Filmer et Fox 2014. MOZAMBIQUE Proportion de jeunes COMORES ruraux en 2030 (%) SEYCHELLES ANGOLA ZAMBIE 3,2% 70 NAMIBIE Découpage régional AFRIQUE SWAZILAND Informel - auto-emploi et TPE des Nations Unies DU SUD Informel - agriculture familiale 22% LESOTHO 62% Une nouvelle ruralité émergente Regards croisés sur les transformations rurales africaines
2 Planche 19 l’emploi des jeunes : un défi pour trouver une activité pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. C’est Le continent, en particulier l’Afrique subsaha- rienne, a des capacités de croissance considé- l’ensemble du continent l’équivalent de la population actuelle des rables liées tout d’abord à cette force de travail Etats-Unis et du Mexique. La répartition de en plein essor et ensuite à l’ampleur des res- ces jeunes actifs entre les pays du continent sources physiques encore disponibles, dont la traduit bien sûr les différences de taille et de mise en valeur devra être attentive à des choix La croissance et la jeunesse de la popula Le continent va ainsi être en mesure de « tou- structure d’âge de la population et c’est l’éco- techniques favorables à l’emploi, c’est-à-dire tion active représentent un atout considé cher » progressivement son dividende démo- nomie du Nigeria qui devra absorber les plus privilégiant la main d’œuvre au capital (méca- rable pour le développement de l’Afrique. graphique – le moment unique dans la dyna- gros effectifs (70 millions), suivi par l’Ethiopie, nisation, automatisation) tout en s’assurant Mais il s’agit aussi d’un défi majeur car l’ar mique des populations où le nombre d’actifs la RDC et l’Egypte. de conditions du travail décentes (pénibilité, rivée massive des jeunes sur des marchés et d’inactifs est respectivement le plus haut rémunération, protection). Ces atouts vont du travail très peu structurés est porteuse et le plus bas – puisque le ratio devrait se si- pouvoir être mobilisés pour répondre à la de- de fortes tensions. Ce défi impose des poli tuer à 1,6 en 2050 pour atteindre un plateau à • Quelles opportunités mande de l’économie mondiale mais surtout tiques publiques volontaristes ciblant la for 1,8 autour des années 2070. Ce dividende sera d’emploi pour les jeunes ? à celle d’un marché intérieur en pleine expan- mation et l’appui aux secteurs à fort contenu cependant moins important qu’en Asie de l’Est Les capacités d’absorption de la main- sion, qui comptera 1,3 milliard d’habitants sup- en main-d’œuvre. (la Chine a aujourd’hui un ratio de 2,5) du fait du d’œuvre sont dépendantes de la structure plémentaires en 2050. maintien d’une fécondité relativement forte et d’activité des économies, des ressources • Vers le dividende de l’allongement de la durée de vie. disponibles, du capital physique et humain et Toutefois, si les économies africaines ont des dynamiques de croissance. Aujourd’hui, amorcé une diversification, il est certain démographique africain Mais ce dividende ne sera effectif que si les que la structure d’activité ne va pas chan- conditions économiques offrent la possi- le continent reste marqué par l’importance Une des conséquences principales de la tran- bilité d’utiliser à plein cette force de travail de l’activité agricole. Les exceptions sont ger radicalement à court ou moyen terme sition démographique en cours – croissance supplémentaire. En l’absence d’opportuni- l’Afrique du Nord, les pays pétroliers du golfe et que les secteurs industriels et de services de la population et évolution de sa structure tés d’emplois, cette poussée de la population de Guinée et l’Afrique du Sud. Les activi- à haute valeur ajoutée ne vont pas offrir les d’âge – est la poussée spectaculaire de la active pourrait vite s’avérer un fardeau géné- tés informelles – non réglementées et non centaines de millions d’emploi attendus à population active (les 15-64 ans). Selon les rateur de tensions sociales et politiques. Les déclarées fiscalement – dominent et se l’horizon 2030. Les activités agricoles et les prévisions des Nations unies, d’ici à 2050, celle- « printemps arabes » sont là pour rappeler les concentrent dans l’agriculture familiale et les très petites entreprises devront nécessai- ci augmentera de 875 millions et représen- risques d’une jeunesse sans perspective. très petites entreprises du secteur artisanal, rement jouer un rôle central et les pouvoirs tera près de 70 % de la croissance de la force du commerce et du bâtiment. Les emplois publics doivent être attentifs à leur poten- de travail mondiale. Dans la même période, le dans les services formels et l’industrie ont tiel de développement, de modernisation et nombre d’actifs diminuera en Europe (– 90 mil- • Les jeunes, le plus souvent la part congrue. En consé- d’innovation. Celui-ci dépend de politiques lions) et surtout en Chine (– 215 millions). au cœur du défi de l’emploi quence, les emplois sont peu rémunérés et adaptées en matière de crédit, d’informa- L’ampleur de la demande d’emploi des jeunes n’offrent pas ou peu de protection sociale. tion, d’appui technique mais aussi de sécu- Cette croissance en valeur absolue va s’ac- risation de l’environnement économique et révèle bien l’ampleur du phénomène. Aujour compagner d’une amélioration du ratio entre Pour absorber leurs cohortes de jeunes, les institutionnel. Il implique aussi une amélio- d’hui, au niveau de l’ensemble du continent, la population active et inactive. Avec un a ctif économies africaines vont devoir se diver ration des conditions de travail et du statut ce sont plus de 20 millions de jeunes (entre pour un inactif dans les années 1980 et 1990, sifier et développer des secteurs pour- des jeunes travailleurs dont le déficit contri- 15 et 24 ans) qui sont à la recherche d’un pre- au plus fort de l’ajustement structurel (alors voyeurs d’emploi. Cette évolution implique bue au désintérêt des jeunes pour ce type mier emploi ou d’une activité pourvoyeuse de que la Chine avait deux actifs pour un inac- des politiques publiques adaptées por- d’activités, particulièrement en milieu rural. Il revenus. Cette cohorte annuelle va augmen- tif), l’Afrique a été durement handicapée tant tout d’abord sur la formation, qui doit nécessite enfin une revalorisation de l’agri- ter rapidement pour atteindre 33 millions en dans ses possibilités d’épargne, d’investis- être professionnalisante et répondre aux culture et des métiers de l’artisanat dans les 2030. A cet horizon de quinze ans, il ne s’agit sement et de consommation. La charge des besoins, et ensuite sur le développement médias, à l’école et par la classe politique, pas d’une projection : ces futurs actifs sont inactifs liée à une fécondité élevée a obéré le d’infrastructures et de services (communi- qui sont des conditions indispensables à la déjà nés. développement des capacités productives, la cations, transports, énergie, secteur finan- réponse au défi de l’emploi des jeunes. croissance des revenus et l’amélioration des D’ici à 2030, ce sont au total 440 millions cier) facilitant l’investissement et l’émer- conditions de vie. de jeunes hommes et femmes qui devront gence d’activités nouvelles. Bruno Losch Une nouvelle ruralité émergente Regards croisés sur les transformations rurales africaines
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