Le lien entre la croissance et l'emploi : quelles sont les particularités de l'Afrique ? - African Development Bank

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Accélérer le développement de l’Afrique cinq ans après le début du XXIe
                                 siècle

 Banque africaine de développement – Consortium pour la recherche économique en
                                     Afrique

 Le lien entre la croissance et l’emploi : quelles sont les
              particularités de l’Afrique ?

                                     Bernadette Dia Kamgnia
                                     Université de Yaoundé II
                                     Email: dkamgnia@yahoo.com
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    Le lien entre la croissance et l’emploi : quelles sont les
                 particularités de l’Afrique ?1
                                                   Bernadette Dia Kamgnia

1. Introduction
La croissance économique et la performance macroéconomique globale de l’Afrique
subsaharienne des deux dernières décennies ont souvent été qualifiées d’assez
« remarquables », comme l’ont souligné certains auteurs, dont Easterly et Levine (1995).

Ces affirmations sont toutefois malheureusement des exagérations démenties par les faits. En
voici quelques exemples. i) Le taux de croissance moyen du PIB réel par habitant de l’Afrique
subsaharienne est en baisse, ayant passé de deux pour cent dans les années 1970 à 0,3 pour
cent dans les années 1980, pour n’atteindre que 1,3 pour cent dans les années 1990. ii)
L’Afrique est la région du monde qui a le plus de difficulté à briser le cycle du sous-
développement. iii) L’Afrique et plus particulièrement l’Afrique subsaharienne, connaissent
une poussée démographique impressionnante associée à un faible revenu par habitant et
comptent par conséquent le plus grand nombre de pays les plus pauvres de la planète : au
début des années 1990, 16 des 20 pays les plus pauvres au monde étaient en Afrique
subsaharienne. Selon Islam (2004), le pourcentage de personnes vivant avec moins d’un
dollar US par jour s’est accru de 47;4 pour cent en 1990 à 49,0 pour cent en 1999, et on
prévoit qu’il diminuera à 46 pour cent seulement d’ici 2015. iv) La position de l’Afrique dans
l’économie mondiale s’est détériorée à la suite d’un déclin du pourcentage des exportations de
produits primaires et du manque d’opportunités de diversification, alors qu’elle ne réussissait
pas à attirer les investisseurs étrangers.

En fait, la politique économique de la majorité des pays africains, après leur indépendance et
jusque dans les années 1970, était résolument centrée sur un interventionnisme massif de
l’état. Cette période a été marquée par le financement de grands projets dans le domaine des
infrastructures, du bâtiment, des travaux publics, des usines, de l’industrie, etc. Toutes ces
dépenses étaient rendues possibles par les tendances favorables des termes de l’échange des
produits primaires, dont ces économies étaient de grandes exportatrices. La décennie 1980 ne
s’est toutefois pas présentée aussi favorablement. La détérioration des termes de l’échange des
principaux produits de base, ainsi qu’un lourd endettement extérieur et des problèmes
budgétaires inquiétants, commencèrent à peser sur les pays africains.

Une telle situation « catastrophique » devait justifier l’adoption massive de Programmes
d'ajustement structurel (PAS). Mais si les PAS permirent de rétablir certains équilibres
macroéconomiques importants, du point de vue social, ils eurent des effets dévastateurs ; ceci
entraîna leur élargissement à un autre composant, la dimension sociale des PAS, qui devait en
théorie atténuer les conséquences sociales de l’exécution de ces programmes.

Heureusement, l’environnement macroéconomique s’est amélioré à l’échelle du continent
depuis le milieu des années 1990. Les quelques phases d’expansion conjoncturelles qui en ont
résulté ont permis à certains pays d’obtenir l’annulation d’une partie, voire de la totalité, de
1
 Je suis reconnaissant à Ebecke Christian pour son aide dans le rassemblement des informations et des données
nécessaires à la réalisation de cette étude.
3

leurs dettes multilatérales ou bilatérales ; cela a suscité chez la population africaine l’espoir
que les choses allaient enfin changer. Cependant, comme l’on souligné les rapports de
plusieurs organismes internationaux (Banque mondiale, ONUDI, CNUCED…) la croissance
économique observée sur le continent demeure trop faible pour soutenir des stratégies
efficaces de réduction de la pauvreté.

Au cours de la période post-PAS, les gouvernements ont certainement constitué la principale
source de création d’emplois en Afrique. En effet, selon Hugon Ph. (2001), la création
d’emplois dans l’administration centrale et les entreprises publiques correspond à la logique
distributive des économies axées sur la maximisation de la rente qui prévaut dans les pays
africains ; elle constitue le principal instrument de partage des excédents provenant des
économies de plantation et/ou basées sur l’exploitation minière. La présence des États sur le
marché du travail était si remarquable que, selon Rosanvallon (1995), ces interventions étaient
la manifestation de deux rôles majeurs : la fonction de réglementation et celle d’employeur.
En effet, les États régissaient les conditions d’embauche et de licenciement de la main-
d'oeuvre. En tant qu’employeurs, les États africains ont créé eux-mêmes de nombreux emplois
de deux manières principales : les services publiques et les entreprise publiques et
parapubliques. À la suite de la mise en œuvre des PAS, plusieurs pays on connu une profonde
perturbation de la dynamique de création d’emplois dans le secteur moderne, qui a entraîné
des pertes d’emplois massives, particulièrement dans les entreprises publiques et
parapubliques mais aussi dans les entreprises privées. Depuis ce temps, malgré quelques
phases de reprise économique cyclique, le chômage reste élevé.

En effet d’après le rapport ILB (2005), l’offre de meilleurs emplois et revenus aux salariés du
monde entier et, plus particulièrement, des pays en développement, n’a jamais constitué une
priorité politique. En outre, cette étude indique que si l’expansion économique a permis une
solide croissance de l’emploi et une amélioration des conditions de vie dans certaines régions
d’Asie, d’autres régions, telles que l’Afrique ou certaines parties de l’Amérique latine,
comptent de plus en plus de personnes travaillant dans de mauvaises conditions, surtout dans
le secteur agricole. Le rapport KILM (Key Indicators of the labour market) affirme également
que pour des millions de salariés de ces pays, les nouveaux emplois offrent souvent un revenu
qui leur permet à peine de se hisser au-dessus du seuil de pauvreté et sont très en deçà de ce
qu’on pourrait qualifier d’emplois productifs et adéquats.

L’importance du lien entre la croissance et l’emploi, et l’insistance sur le fait qu’une
croissance forte et soutenue est essentielle pour créer plus d’emplois, n’a jamais été aussi
fortement ressentie. En effet, le ILB a conçu des modèles permettant d’évaluer le rythme
d’une croissance durable. Selon ces modèles, le taux de croissance annuel du PIB mondial par
habitant doit dépasser deux pour cent (c’est-à-dire, plus du double du taux d’un pour cent
enregistré dans les années 1990) sur une période de plusieurs années, pour permettre à la
dynamique de création d’emplois de s’enclencher et de contribuer ainsi à diminuer de moitié
l’incidence de la pauvreté d’ici 2015. (ILB, 2003).

Dans le cas de l’Afrique, il faut se rendre à la triste évidence que le lien entre la croissance
économique et celle de l’emploi demeure très faible dans plusieurs pays, même lorsque les
efforts de croissance sont en voie de devenir durables. Nous avons donc voulu examiner trois
questions. 1) Quelles sont les particularités de la croissance économique en Afrique depuis la
seconde moitié des années 1990 ? 2) Pourquoi les efforts de croissance n’entraînent-ils pas la
création de nouveaux emplois ? 3) Quelles stratégies devrait-on mettre en œuvre afin de créer
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une croissance qui soit favorable à la croissance de l’emploi et donc, une croissance favorable
aux pauvres ?

L’étude avait pour objectif général d’analyser les particularités africaines du lien entre la
croissance et l’emploi. Plus particulièrement, l’étude a fait l’analyse des facteurs suivants : 1)
les caractéristiques des efforts de croissance en Afrique depuis la seconde moitié des années
1990 ; 2) les principales causes du peu d’emplois résultant de la croissance économique ; et 3)
les stratégies possibles pour créer une croissance favorable à l’emploi en Afrique. Par
conséquent, la section 2 analyse les conditions d’une performance de croissance en
amélioration constante en Afrique. La section 3 présente des données ainsi qu’une analyse sur
la faiblesse de l’emploi sur le continent. Dans la section 4, une analyse d’un modèle de
l’emploi par panel conduit à la recommandation de certaines stratégies en vue de maintenir un
lien entre la croissance et l’emploi en Afrique.

2. Une performance de croissance en amélioration constante en Afrique
Bien sûr, l’analyse de données économiques pertinentes pour la période 1960-2002 montre
que le taux de croissance annuel du PIB réel (par habitant) en Afrique était, la plupart du
temps, d’une faiblesse persistante et en ralentissement continu. Une telle faiblesse de la
croissance en Afrique, comparé aux autres régions du monde, a suscité de nombreuses études
au cours des deux dernières décennies, Globalement, bien que ces études aient surtout eu pour
objet de quantifier les performances des économies africaines, elles se sont également
interrogées sur les causes de ces performances, inspirés par l’influence de la théorie de la
croissance endogène. Plus particulièrement, deux groupes d’études apparurent. Alors que le
premier groupe était surtout intéressé aux facteurs déterminants de la croissance économique
en Afrique, le deuxième groupe mettait l’accent sur les causes de la faiblesse relative de la
croissance des économies africaines, ou sur les facteurs explicatifs de la croissance résiduelle
de l’Afrique.

En ce qui concerne les facteurs déterminants de la croissance, des auteurs tels que Levine et
Renelt (1992), Collier et Gunning (1997), Calamitsis, Basu et Ghura (1999) et Hoeffler
(1999) démontrent que l’investissement stimule la croissance économique. Selon Ghura et
Hadjimichael (1996), et Calamitsis, Basu et Ghura (1999) la croissance économique est
stimulée plutôt par les politiques qui i) réduisent la dette publique et l’inflation, ii) favorisent
la compétitivité externe, iii) encouragent les réformes structurelles et le développement des
ressources humaines et iv) réduisent le taux de croissance démographique. Selon Rodrik
(1994) et Fosu (2001), la contribution des exportations pourrait être confirmée dans un
environnement caractérisé par une diminution des restrictions commerciales et par des taux de
change réels avantageux. De plus, l’instabilité socio-politique (Nkurunziza et Bates, 2003;
Gyimah-Brempong et Traynor, 1999), l’absence d’ouverture des marchés internationaux,
l’enclavement et le climat tropical (Sachs et Warner, on 1997) demeurent des sources
importantes de la faiblesse de la croissance économique de l’Afrique.

Des modèles basés sur des variables nominales et portant sur des continents et des décennies
spécifiques ont été conçus pour tenter d’expliquer la croissance résiduelle en Afrique. Barro et
Lee (1993) ainsi qu’Easterly et Levine (1997) ont découvert que la variable nominale
représentant l’Afrique était significative, ce qui contredisait leur hypothèse de départ et les a
obligés à rechercher d’autres explications. Sachs et Warner (1996) ont toutefois éliminé cette
variable nominale et lui ont substitué d’autres données fondamentales de la croissance
économique. Collier et Gunning (1997) ont observé que la variable nominale africaine peut
avoir une incidence significative lorsqu’elle est associée à d’autres variables explicatives, bien
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que dans d’autres cas, son effet n’est pas significatif. Alors que Sachs et Warner (1997)
fondent leur explication sur le degré d’éloignement des pays africains, Easterly et Levine
(1997) estiment que la cause première de la faiblesse de la croissance en Afrique est le degré
de fragmentation ethnique et l’absence de capital social.

Heureusement, depuis le milieu des années 1990, on a pu observer une reprise du processus
de croissance dans plusieurs pays africains. Il faut néanmoins expliquer les différences de
croissance en Afrique afin de mieux comprendre les efforts de croissance actuellement
déployés. Cette section analyse donc la source des récents efforts de croissance en Afrique,
examine la performance des divers pays, individuellement et en tant que sous-groupes et,
enfin, étudie la question de la « qualité » de la croissance en Afrique, qui pourrait permettre
d’atteindre les OMD.

2.1.    Données sur la reprise de la croissance en Afrique depuis les
        années 1990
On peut interpréter la soi-disant reprise de la croissance sur le continent africain
dans un contexte mondial autant que d’un point de vue national, en identifiant la
quantité de périodes d’accélération de la croissance au cours des années 1980 et
1990.

Tendances mondiales.
Selon la CNUCED (2006), le taux de croissance annuel moyen du PIB est le plus élevé
depuis deux décennies pour les PMA en tant que groupe et pour les PMA africains en
particulier. Mais surtout, le taux de croissance du PIB réel des PMA africains a dépassé de
1,5 % ceux de l’Asie, alors que l’amélioration de la performance de croissance demeure
évidente sur des périodes de comparaison plus longues. Plus particulièrement, le taux
annuel moyen de croissance du PIB réel des PMA africains s’est accru de 2,7 pour
cent par an au cours des années 1990 à 5,2 pour cent par an entre 2000 et 2004. En
effet, le taux de croissance annuel du PIB réel est passé de 4,5 pour cent en 2003 à
6,5 pour cent en 2004, classant ainsi les PMA africains immédiatement derrière le
groupe des autres pays en développement, mais constamment devant les PMA
asiatiques et les PMA insulaires sur l’échelle ordinale, comme illustré au Tableau 1.
Qui plus est, les pays africains constituaient la majorité (12 sur 15) des PMA qui ont
connu un taux de croissance du PIB réel de 6 pour cent et plus en 2004, alors que
seuls le Bénin, la Guinée, le Mali, le Liberia, les Comores, l’Érythrée, le Niger et la
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République centrafricaine comptaient parmi les PMA que la CNUCED (2006) a
classifiés comme ayant un taux de PIB réel en deçà de 3 %.

 Tableau 1 : Taux de croissance du PIB réel des PMA et d’autres pays en développement depuis
 1990.
                       Période           1990-        2000-      2002-
 PMA                                     2000         2002        2004       2003       2004
 PMA                                      3,9          4,9         5,2        4,6        5,9
       dont :
       Bangladesh                         4,8          4,8         5,4        5,3        5,5
       Autres PMA                         3,5          4,9         5,2        4,4        6,0
 PMA africains                            2,7          5,2         5,5        4,5        6,5
 PMA asiatiques                           5,7          4,6         4,9        4,8        5,0
 PMA insulaires                            ..          2,2         4,2        3,4        5,0
 Autres pays en développement             4,9          3,0         5,9        5,1        6,7
 Source : CNUCED (2006)

Globalement, il existait peu de variations régionales dans la croissance observée en Afrique.
Évidemment, on estime que les pays exportateurs de pétrole infléchissent ces tendances de
croissance. Mais les plus récentes tendances ne sont pas uniquement alimentées par le pétrole.
Selon le rapport de la CNUCED (2006), en 2004, parmi les PMA dont le taux de croissance
du PIB réel était de 6 pour cent ou plus, quatre seulement étaient des pays exportateurs de
pétrole, contre 11 pays non exportateurs.

Sur une base strictement régionale, au cours de la décennie 1990-2000, le taux annuel moyen
de croissance du PIB réel n’a dépassé celui de la décennie 1980-1990 que dans deux régions
sur cinq, à savoir l’Afrique occidentale et l’Afrique australe (Figure 1). L’Afrique centrale a
enregistré la plus faible performance, avec un taux de 0,42 pour cent pour la période 1990-
2000 ; la raison pourrait en être l’instabilité politique qui sévit dans une grande partie de la
région, comme par exemple, en République démocratique du Congo, en République
centrafricaine et en République du Congo.

   Figure 1 : Croissance du PIB réel par région en Afrique, 1970-2000.
7

                                                                                                 1970-1980
                                                                                                 1980-1990
                                                                                                 1990-2000

            8,00

            7,00

            6,00

            5,00
      (%)

            4,00

            3,00

            2,00

            1,00

            0,00
                   West Africa   Central Africa   East Africa   Southern Africa   North Africa

    Source : élaboré par l’auteur à l’aide de données tirées des Indicateurs de développement de la Banque
  mondiale (WDI2005).

En fait, Pattillo et al. (2005) avaient déjà expliqué ce qu’on croyait alors être un
record exceptionnel au cours de la période 1997-2002, qui a été établi à 3,6 pour
cent par an, comparé aux 2,1 pour cent par an pour 1990-1996. D’après ces auteurs,
la croissance économique s’est fortement améliorée depuis le milieu de la décennie
1990. La croissance moyenne du PIB réel par habitant de l’Afrique subsaharienne a
atteint 2,0 pour cent en 1995-99, alors elle n’était que de –1,1 pour cent en 1990-94,
une progression partagée par tous les sous-groupes. Le nombre de pays dont le taux
de croissance du PIB réel excède 5 pour cent est passé de 4 à 15. Si la croissance
s’est ralentie quelque peu en 2000–03, les tendances se sont maintenues grâce aux
pays producteurs de pétrole et aux pays dotés d’abondantes ressources, où elle a
été amplifiée par une croissance de 21,6 pour cent en Guinée équatoriale ainsi que
par celle les pays en conflit, où elle a été stimulée par la reprise post-conflit en Sierra
Leone. Mais quels sont les faits à l’échelle nationale ?

Les faits à l’échelle nationale : une accélération de la croissance globalement
partagée.
L’analyse des accélérations de croissance semble fournir un cadre conceptuel
adéquat pour la comparaison de la performance des pays sur une base individuelle.
L’ouvrage pionnier de Hausmann, Pritchett et Rodrik (2004) en est un exemple. Ces
auteurs comparent le taux de croissance du PIB par habitant sur une période de sept
8

ans antérieure et postérieure à une année particulière. Selon ces auteurs, on est en
présence d’une l’accélération lorsque le taux de la période postérieure excède celui
de la période antérieure d’au moins deux pour cent et qu’il effectue un bond d’au
moins 3,5 pour cent, avec la condition supplémentaire que le niveau de PIB post-
accélération doit dépasser celui de la période précédant l’accélération (à l’exception
des périodes de redressement d’une crise). Pattillo et al. (2005) ont effectué une telle
analyse dans leur étude des modèles de la croissance africaine du milieu de la
décennie 1990.

Contrairement à Hausmann, Pritchett et Rodrik (2004), Patillo C, Gupta S, et Carey
(2005) (ci-après PGC) observent une période d’accélération de cinq ans, afin de
permettre l’identification des épisodes d’accélération de la croissance jusqu’à 1999.
Ils considèrent ainsi que plutôt qu’un seuil de 3,5 pour cent pour le taux de
croissance post-accélération, un bond de 2 pour cent est une progression admissible
de la croissance par habitant sur une période de 5 ans. PGC maintiennent toutefois
le critère exigeant que le niveau de PIB par habitant excède celui de la période
antérieure à l’accélération. Dans ce cadre conceptuel modifié visant à identifier les
phases d’accélération, PGC a identifié 34 phases d’accélération de la croissance en
Afrique subsaharienne, dont davantage ont eu lieu dans les années 1990 que dans
les années 1980, y compris plusieurs épisodes actuellement en cours, tel qu’indiqué
dans le Tableau 2. En outre, cette méthode modifiée a permis d’identifier 6 pays
ayant connu deux accélérations au cours de l’ensemble de la période, ce qui a
amené PGC à conclure que les accélérations sont un phénomène étonnamment
répandu.

Tableau 2 : Épisodes d’accélération de la croissance en Afrique subsaharienne

               Décennie 1980                                  Décennie 1990
                               Croissance                                     Croissance
                                       Post-                                          Post-
             Début     Épisode        Épisode                Début     Épisode       Épisode
              date    Croissance     Croissance              date     Croissance    Croissance
 Botswana    1986         7.7           1.2        Angola    1993        4.9           2.6
 Burkina     1983         3.3           2.9        Bénin     1993        2.2           2.0
 Burundi     1983         2.4           -0.1      Botswana   1996        4.7               …
  Congo      1984         5.2           -2.7      Burkina    1994        4.7           3.2
9

  Gabon            1986         2.9          0.5       Cap Vert      1992        4.5           5.1
  Ghana            1983         2.9          2.0     Côte d'Ivoire   1993        2.3           -4.2
   Kenya           1984         2.5         -1.6       Éthiopie      1992        3.8           1.4
  Lesotho          1986         4.2          2.8       Gambie        1995        2.2           …
  Maurice          1984         7.3          5.6       Guinée        1994        2.3           0.0
 Mozambiq          1986         6.0          2.4       Guinée        1994        29.7         18.5
       ue                                             équatoriale
 Ouganda           1986         3.9          4.1        Malawi       1994        4.8           -3.5
Seychelles         1987         5.7          2.6      Mozambiqu      1994        7.1           5.1
                                                          e
 Tanzanie          1085         2.3         -1.6       Rwanda        1996        2.6           …
   Tchad           1983         3.3          1.4       Sénégal       1994        2.2           1.5
 Zimbabwe          1986         2.6         -1.2      Seychelles     1995        7.5           …
                                                        Sierra       1999        10.9          …
                                                        Leone
                                                       Tanzanie      1999        4.0           …
                                                        Tchad        1999        8.3           …
                                                       Zambie        1999        2.1           …
Source : Patillo C, Gupta S et Carey (PGC). 2005
Commentaires : Les accélérations soutenues correspondent aux cases grisées.
Selon PGC, chiffres sur le PIB par habitant en dollars U.S. Les phases d’accélération durent cinq
ans. La croissance post-phase correspond au taux de croissance annuel des cinq ans suivant la fin
d’une phase. Puisqu’une phase elle-même dure cinq ans, on ne peut calculer l’accélération des taux
de croissance post-phase après 1994. Une accélération soutenue (zones grisées) se caractérise par
une croissance moyenne par habitant d’au moins 2 pour cent pendant cinq ans après la fin d’une
accélération. Tous les taux de croissance sont calculés au moyen d’une régression du revenu par
habitant sur une base constante. Les accélérations où la croissance excède le seuil de 3,5 pour cent
de Hausman et al. sont marquées d’un astérisque (2004). Pour le Tchad, les dates de ce seuil
correspondent à l’accélération jusqu’à 1981 alors que pour le Rwanda, elles commencent en 1994.

Si les phases d’accélération sont si répandues, quelles sont alors les sources des récentes
tendances et accélérations observées dans le processus de croissance africain ?

2.2.        Les sources de la croissance récente en Afrique.
Pattillo et al. (2005) ont effectué une analyse bivariée accompagnée d’un modèle
probit multivarié pour étudier l’effet d’une grande quantité de variables explicatives,
dont la stabilité macroéconomique, le commerce, la dette, les institutions, le capital et
la géographie. Bien entendu, ces auteurs insistaient fortement sur le fait que
certaines de ces variables ont tendance à déclencher l’accélération, alors que
d’autres lui permettent de se poursuivre. Mais ils identifient de façon convaincante
10

trois variables qui seraient des facteurs contributifs à l’accélération : le commerce, la
productivité totale des facteurs (PTF) et un bon gouvernement. Nous examinons de
nouveau ces facteurs, afin d’en cerner plus précisément les effets.

Les particularités des effets du commerce en Afrique
Depuis le milieu des années 1990, la croissance semble s’améliorer sur le continent
grâce à l’expansion du commerce international. Plus particulièrement, l’amélioration
de la croissance semble être liée à une augmentation marquée de la part des
exportations du continent dans les exportations mondiales (Figure 2).
En fait, d’après la CNUCED (2006), seuls quelques PMA africains n’ont pas participé
à l’accroissement des exportations de marchandises en provenance d’Afrique. Entre
2002 et 2003, la valeur des exportations a chuté en termes nominaux en République
centrafricaine, en Gambie, en Guinée, en Mauritanie et en Somalie ; et entre 2003 et
2004, le Cap Vert, l’Érythrée, le Liberia et le Malawi ont connu un déclin de leurs
exportations. Cependant, des pays tels que l’Angola, la Guinée équatoriale, le
Sénégal et le Yémen comptaient parmi les 10 PMA les plus performants au cours
des deux périodes au chapitre de la valeur nominale des exportations. Le Sénégal
s’est retrouvé au sein des pays dont la bonne performance dans le commerce de
marchandises était due aux exportations de produits manufacturés ; pour certains
autres pays, elle était due aux exportations de pétrole.

 Figure 2 : Croissance et commerce en Afrique, 1990-2004.

         15
         10
          5
                                                                           Real GDP
          0                                                                Growth
          -5    1990-95            1995-00             2000-04
   (%)

         -10
         -15                                                               Percentage
                                                                           change in the
         -20
                                                                           share of
         -25                                                               exports

         -30
         -35
                                   periods
11

 Source : élaboré par l’auteur à l’aide des données du Secrétariat général de la CNUCED

Mais si le processus de croissance des exportations s’est amorcé en 1995 en Afrique
du Nord, l’Afrique subsaharienne a dû attendre les années 2000 avant de connaître
une évolution favorable dans ce domaine (Figure 3).

 Figure 3 : Croissance et commerce ,1990-2004.
                         Afrique du Nord                                                   Afrique subsaharienne

          20                                                                    10

          10                                                                     5

                                                                                 0
           0
                                                                                            1990-95          1995-00             2000-04
                   1990-95          1995-00             2000-04
                                                                                 -5
          -10
    (%)

                                                                                -10

                                                                          (%)
          -20
                                                                                -15
          -30
                                                                                -20
          -40
                                                                                -25

          -50
                                                                                -30

            Real GDP Growth   Percentage change in the share of exports               Real GDP Growth   Percentage change in the share of exports

 Source : élaboré par l’auteur à l’aide des données du Secrétariat général de la CNUCED
Dans l’ensemble, il y a encore beaucoup à faire, vu que le leader est en déclin alors que la part
de l’Afrique subsaharienne est toujours de moins de 10 %.

Les effets de la productivité totale des facteurs
Bien sûr, Tahari, Ghura, Akitoby et Aka (2004) s’accordent avec Boswoth et Collins (2003)
pour dire que la stagnation de la PTF de la région a contribué de façon importante à la
faiblesse de la croissance de l’Afrique subsaharienne au cours de la période 1960-2002. Mais
ils précisent que la reprise économique actuelle (depuis 1997-2002, par rapport à 1990-
96) dont bénéficient certains pays africains depuis 1996 pourrait tout aussi bien être attribuée
à la récente poussée de croissance de la PTF. Tel qu’indiqué dans le Tableau 3, en Afrique,
la contribution de la PTF à la croissance est devenue positive (0,8 pour cent) en 1997/2002,
alors qu’elle était négative (-0,8 pour cent) en 1990-1996. Selon ces auteurs, les résultats
observés sont dans une large mesure imputables à l’amélioration de la performance
dans les pays où on estimait que les programmes du Fonds connaissaient du
succès, aux pays du franc CFA et à l’augmentation de la production de pétrole en
Guinée équatoriale.
12

    Tableau 3 : Sources de la croissance en Afrique subsaharienne
                                                             Contribution de (à la croissance du PIB réel par
                                                             habitant)
          Afrique subsaharienne               Taux de         Capital physique      Emploi       Productivité
    Période                                croissance du                                          totale des
                                           PIB réel en %                                           facteurs
    1990-1996                                    2.1                  1.3              1.6           -0.8
    1997-2002                                    3.6                  1.3              1.4            0.8
    Source : Tahari, Ghura, Akitoby et Aka (2004).

En effet, seuls les sous-groupes classés parmi les pays à revenu moyen, producteurs
de pétrole, sans conflit et membres de la zone du franc CFA on connu une
croissance positive de la PTF sur la période 1991-2000.

Malheureusement l’Afrique en général, et l’Afrique subsaharienne en particulier, sont
encore loin derrière les autres régions, surtout l’Asie orientale et l’Amérique latine, en
termes de croissance économique réelle. Les données suggèrent qu’un déficit
technologique relativement important serait la cause première des écarts de
croissance observés.                En effet, la part de la technologie dans la valeur ajoutée
manufacturière en Afrique demeure la plus faible au cours de la période 1990-2000
(Figure 4).

    Figure 4 : Croissance et écart de l’effort technologique entre l’Afrique et d’autres
    pays en développement, 1990-2000.

         60                                                                                            Real GDP
                                                                                                       gro wth 1990-
         50                                                                                            2000

         40

         30
                                                                                                       Shareo f
                                                                                                       M edium and
         20
                                                                                                       High
                                                                                                       Techno lgy in
         10                                                                                            M anufacture
                                                                                                       d Value
                                                                                                       A dded 1990-
          0
                                                                                                       2000
                S ub- S a ha ra n       E a s t A s ia     So ut h A s ia   La t in A m e ric a a nd
                    A f ric a                                                 T he C a ribbe a n

    Source :   élaboré par l’auteur à l’aide des données de la CNUCED sur les taux de croissance
    et des données de l’ONUDI sur la technologie

Une « bonne gouvernance » pourrait-elle modifier les tendances ? La réponse est
oui, non seulement pour des auteurs comme PGC, mais aussi selon l’enquête du
13

CEA. Il existe une corrélation positive entre la croissance économique du continent
au cours des années 1990 et la qualité de la gouvernance des pays.

L’effet d’une bonne gouvernance
En Afrique, une « bonne gouvernance » va de pair avec la croissance économique.
Comme illustré à la Figure 5, les pays les mieux administrés sont ceux qui ont
enregistré les taux de croissance les plus élevés depuis 1990 ; cela correspond
assez bien à l’idée courante qu’on se fait d’un bon gouvernement. En effet, Pattillo et
al (2005) ont observé que les politiques s’améliorent chez les pays en accélération et
sont meilleures que dans les pays dont la croissance n’a pas connu d’accélération.
De plus, l’Évaluation de la politique et des institutions nationales (EPIN) de la
Banque mondiale, une mesure globale des positions politiques, révèle l’existence
d’un lien positif avec les phases d’accélération sur les deux décennies.

    Figure 5 : La distribution de la croissance du PIB réel en Afrique par rapport à
    l’indice de gouvernance, 1990-2004.

                                                                           8

                                                                           6
        Real GDP growth 1990-2000

                                                                           4

                                                                           2

                                                                           0

                                    -2,5   -2   -1,5   -1           -0,5        0   0,5     1
                                                                           -2

                                                                           -4

                                                                           -6

                                                                           -8

                                                       Governance Index

    Source : données élaborées par l’auteur
    Remarque : L’indice de gouvernance au quel nous faisons référence ici correspond à une
    mesure de « la qualité de la réglementation ». Il a été choisi parmi les Indicateurs de
    gouvernance de la Banque mondiale.

Une bonne gouvernance, telle que décrite dans le Nouveau partenariat pour le développement
de l'Afrique (NEPAD), suppose l’existence d’institutions efficaces et responsables sur les
plans politique, judiciaire, administratif, économique et corporatif, ainsi que de règles bien
établies qui favorisent le développement, protègent les droits de la personne, respectent la
14

primauté du droit et garantissent aux citoyens une libre participation aux décisions qui ont une
incidence sur leur vie. Ainsi une bonne gouvernance doit, entre autres, assurer l’utilisation la
plus efficace possible des rares ressources disponibles afin de favoriser le développement,
augmenter la participation et la responsabilité ainsi que l’obligation de rendre compte, et avoir
la capacité de libérer la population de la pauvreté au fur et à mesure que la légitimité de l’état
est reconnue et établie. Pour ces motifs, la bonne gouvernance sous tous ses aspects s’est
avérée avoir un lien direct avec l’augmentation du taux de croissance, particulièrement grâce
à la création d’institutions qui soutiennent les marchés.

À cet égard, Easterly et Wetzel (1989)2, ont souligné le fait que les sociétés où les droits de
contrat, légaux et de propriété sont solidement établis ont des coûts de transaction plus bas, ce
qui leur permet de réaliser des gains commerciaux et d’atteindre un plus haut niveau de
croissance.

Heureusement, la scène politique de plusieurs pays africains est devenue plus englobante et
permet aux citoyens de participer à l’élaboration des politiques nationales et régionales. Ceux-
ci participent également à des groupes de discussion sur la gouvernance, à des audiences
publiques, à des tables rondes d’actionnaires et à des dialogues communautaires (CEA, 2005).
Les améliorations en cours pourraient être encore meilleures lorsque le prix pour les chefs
d’état créé par le Dr. Ibrahim prendra effet (Encadré 1).

      Encadré 1 : Le prix pour les chefs d’état : une idée du patron de Celtel, le Dr. Mo
      Ibrahim

      Lors d’interviews accordées au journal kényan Daily Nation, le Dr Ibrahima déclare :
      Le 27 octobre 2006
      …« Rien, absolument rien, n’est plus important pour le développement africain que la bonne
      gouvernance. Aujourd’hui, je lance une fondation qui vise à changer de manière radicale les
      choix auxquels font face les chefs d’état africains…Ces derniers ont souvent risqué de perdre
      les privilèges du pouvoir et la sécurité financière lorsqu’ils quittent leur poste et cette situation
      pourrait en inciter certains à s’accrocher au pouvoir et à la corruption.

      Un prix de 5 millions de dollars sera versé sur une période de 10 ans et le gagnant percevra une
      pension annuelle de 200 000 dollars, et ce, jusqu’à sa mort…

      Le 30 octobre 06
      …« Le premier prix sera décerné l’année prochaine en octobre 2007 »…Le prix est destiné
      exclusivement aux chefs d’état africains pour récompenser et promouvoir la bonne
      gouvernance »....

2.3. Effets mitigés de la reprise de croissance sur la pauvreté
Les décideurs doivent se soucier du lien entre la croissance économique et la
distribution des revenus en général et, en particulier, de l’impact de la croissance sur
les personnes vivant sous le seuil de la pauvreté. En effet, la pauvreté est toujours

2
    Ces auteurs font référence à North (1987) et à la Banque mondiale (1987), Chapitre 4.
15

largement répandue dans les pays africains. Si, comme le soutient la CNUCED (2002)3,,
l’incidence de la pauvreté n’a pas diminué au cours des années 1990 dans l’ensemble des
PED, demeurant à 50 pour cent de la population totale, les taux les plus élevés se trouvent
surout dans les pays africains (Tableau 4) 4

Dans l’ensemble, les conditions de croissance favorables aux pauvres supposent,
d’une part, une élasticité de la pauvreté très négative et d’autre part, une distribution
moins inégale des revenus. Malheureusement, plusieurs études révèlent de façon
constante une faible élasticité de la pauvreté en ce qui concerne l’Afrique. Par
exemple, Besley et Burgess (2003) ont observé une élasticité de –0,73 à l’échelle
mondiale ; l’Afrique a l’élasticité la plus faible, à –0,49, alors que celle des pays en
transition est de –1,14.

    Tableau 4 : Estimations de la pauvreté dans un échantillon de pays africains selon les
    seuils de pauvreté internationaux : % de la population personnes disposant de moins
    d’un dollar par jour
                                                              Plus récente                         Taux de
                                               Année         estimation de        Période        changement
    Pays                                                      la pauvreté                         par année
    Burkina Faso                                1998               45           1994-1998             -4.5
    Burundi                                     1998               52           1992 -1998            1.7
    République centrafricaine                   1993               67
    Éthiopie                                    1995               31           1995 - 2000           -1.6
    Madagascar                                  2001               61           1999 – 2001           6.0
    Mali                                        1994               72
    Niger                                       1995               61           1992 - 1995           6.3
    Rwanda                                      2000               52
    Ouganda                                     1999               85           1996 – 1999           -0.3
    Zambie                                      1998               64           1996 – 1998           4.5
    Source : CNUCED (2006)

3
  Référence au rapport de la CNUCED de 2006.
4
  Évidemment, le rapport de la CNUCED (2006) estime qu’il est encore plus difficile de tirer des conclusions à
partir de ces données à cause des différences entre les tendances selon qu’on utilise le seuil de pauvreté
international et le seuil de pauvreté national. Mais nous pouvons considérer ces chiffres comme indiquant des
tendances générales et nous baser sur cette information.
16

Dans l’ensemble, nous reconnaissons que la croissance en Afrique réussit plutôt mal
à réduire la pauvreté. En effet, Tahari et al (2004) font remarquer que bien que la
récente reprise de la croissance économique s’est montrée encourageante, la région
a encore beaucoup de progrès à faire pour regagner le terrain perdu au cours des
trois dernières décennies et pour rejoindre les taux de croissance des autres PMA.
En particulier, les taux de croissance économique ne sont pas encore suffisamment
élevés pour permettre aux pays d’Afrique subsaharienne de vraiment réduire la
pauvreté qui y sévit. En fait, les taux de croissance nécessaires à beaucoup de pays
africains pour réduire la pauvreté de manière significative d’ici 2015 sont beaucoup
plus élevés que ceux des dernières décennies et il faudrait une poussée
considérable de la PTF pour les atteindre.

Mais si certains pays africains ont connu un redressement de leur croissance économique
depuis le milieu des années 1990, la croissance observée ne semble pas entraîner la création
de nouveaux emplois en Afrique. Le continent possède encore trop peu d’emplois productifs,
qui se sont avérés un des principaux moyens d’échapper à la pauvreté.

3. Le manque d’emplois productifs en Afrique
Si en général, les théories sur la croissance et les études empiriques qui s’y rattachent ont
tendance à confirmer l’existence d’un lien entre la croissance et l’emploi, nous estimons que
l’activité économique, telle qu’elle est menée sur le continent africain, n’est pas, dans
l’ensemble, favorable à l’absorption de la main-d'oeuvre, qui est en croissance, ainsi que la
dynamique de la pauvreté. Nous examinerons d’abord les déséquilibres entre l’urbanisation et
les capacités de production, puis nous analyserons la dynamique du lien croissance-emploi en
Afrique.

3.1. Déséquilibres entre l’urbanisation rapide et les capacités de production
Alors que la démographie en général et la population urbaine en particulier connaissent une
croissance significative, les capacités de production restent fortement limitées.

Croissance démographique, migrations rurales-urbaines et surplus de main-d'oeuvre.
Comme plusieurs organismes internationaux l’ont souligné, la population des pays africains
connaît une croissance rapide; ce qui contribue à leur causer plus de tort que de bien. En
effet, une telle croissance de la population, en augmentant la quantité de main-d'œuvre, limite
les autres capacités de production. La CNUCED (2006), par exemple, indique que la
population des PMA en âge de travailler connaît une croissance très rapide ; elle pourrait
augmenter de près de 30 pour cent entre 2000 et 2010.

   Figure 6 : Taux de croissance économique et démographique en Afrique
   1970-1980                                    1980-1990
17

           7,00
                                                                                                              7,00

           6,00                                                                                               6,00

           5,00                                                                                               5,00

           4,00                                                                                               4,00

                                                                                                        (%)
     (%)

                                                                                                              3,00
           3,00

                                                                                                              2,00
           2,00
                                                                                                              1,00
           1,00
                                                                                                              0,00
           0,00
                                                                                                                           ca              ca          ca            ca         ric
                                                                                                                                                                                   a
                                                                                                                       fri           A fri          fri          Afri         Af
                            a            a              a               a             a                            t A             l             t A
                         ric         ric            ric             ric           ric                             s           tr a              s             rn          t h
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                   t             l              t               n             h                               W             en                          ut            N
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                                                                           or
                                                                             t                                           C
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            W
                           C                            o ut              N                                                       gdp growth 1970-1980
                                                      S
                          gdp growth 1970-1980                                                                                   population growth 1970-1980
                          population growth 1970-1980

                                                                                              1990-2000
                                                                                                                                            gdp growth 1990-2000

                                                                                                                                            population growth 1990-
                                                                                                                                            2000

                                                   4,00

                                                   3,50

                                                   3,00

                                                   2,50
                                             (%)

                                                   2,00

                                                   1,50

                                                   1,00

                                                   0,50

                                                   0,00
                                                              West            Central     East     Southern        North
                                                              Africa          Africa      Africa    Africa         Africa

  Source : élaboré par l’auteur à l’aide de données de la Banque mondiale (WDI2005).

Dans le cas particulier des pays africains, les années 1970 se sont caractérisées par
une activité importante à l’échelle du continent. Plus intéressant encore, le taux de
croissance économique a dépassé celui de la population totale, comme l’indique la
partie a de la Figure 6. Pendant les années 1980 cependant, l’activité économique a
ralenti considérablement à l’échelle de tout le continent, entraînant les effets
indésirables des programmes d’ajustement structurel.
18

Figure 7 : Croissance de la population et de la main-d'œuvre
a. Afrique occidentale                                                        b.Afrique centrale
          3,5                                                                           3,5

               3                                                                         3

          2,5                                                                           2,5

               2                                                                         2

                                                                                  (%)
   (%)

          1,5                                                                           1,5

               1                                                                         1

          0,5                                                                           0,5

               0                                                                         0
                                                                                              1970-1980         1980-1990          1990-2000
                       1970-1980          1980-1990           1990-2000

                                                                                                   Population growth   Labor force growth
                             Population growth   Labor force growth

c.Afrique de l’Est                                                           d.Afrique australe
          3,5                                                                           3,5
               3                                                                          3
          2,5                                                                           2,5
               2                                                                          2
   (%)

                                                                                  (%)

          1,5                                                                           1,5
               1
                                                                                          1
          0,5
                                                                                        0,5
               0
                                                                                          0
                       1970-1980         1980-1990           1990-2000
                                                                                               1970-1980          1980-1990           1990-2000
                            Population growth    Labor force growth
                                                                                                  Population growth         Labor force growth

e.Afrique
                                                                             Population growth
               3,5                                                           labor force growth

                   3

               2,5

                   2
         (%)

               1,5

                   1

               0,5

                   0
                         1970-1980          1980-1990            1990-2000

Source : élaboré par l’auteur à l’aide de données de la Banque mondiale (WDI2005).
19

Malheureusement, une telle récession économique va de pair avec une croissance
démographique impressionnante : la croissance économique est inférieure au taux de
croissance démographique de trois régions sur cinq, c’est-à-dire l’Afrique occidentale,
l’Afrique centrale et l’Afrique du Sud. L’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Est enregistrent
des taux de croissance moyens du PIB réel qui dépassent le taux de croissance moyen de la
population (b de la figure 6). Finalement, bien que les années 1990 aient été marquées par une
certaine embellie économique sur le continent, le taux observé ne semble pas résister à une
population toujours croissante (e de la figure 6). C’est particulièrement le cas pour l’Afrique
centrale où les populations ont augmenté, alors que les conditions économiques se
détérioraient. En Afrique du Nord, pourtant, et dans une moindre mesure en Afrique
occidentale, la croissance économique reste encore plus élevée que la croissance de la
population.

Globalement, la population a augmenté parallèlement avec la force de travail (figure 7), ce qui
renforce la dynamique d’autosuffisance de la force de travail sur le continent.
Bien sûr la main-d’œuvre disponible s’est accrue dans tous les pays. Mais nous devons
prendre note qu’une telle croissance n’est rien d’autre que le résultat d’un exode de la force de
travail des campagnes vers les zones urbaines. Quelques exceptions toutefois, telles l’Égypte,
Maurice, et l’Afrique du Sud où la proportion de la population citadine a plutôt diminué par
rapport à la population rurale (tableau A1 Annexes). Si nous acceptons la supposition qu’il
existe une importante différence en ressources humaines entre le milieu rural et le milieu
urbain, alors il est clair qu’un tel afflux de travailleurs aurait pour résultat de submerger les
zones urbaines de travailleurs sous qualifiés.

Des capacités de production toujours restreintes.
Il est clair qu’il existe une relation entre la croissance économique et les dynamiques de
création d’emplois. En de normales circonstances, une forte croissance économique devrait
être associée à l’accroissement de l’emploi dans une économie ou une région donnée.
Pourtant tout dépend de l’évolution des capacités de production ; ce que nous considérons
comme étant les ressources de production, les capacités d’entreprendre et tout ce qui concerne
la capacité d’un pays à produire des biens et des services pour assurer sa croissance et son
développement.5 Les ressources productives, qui comprennent les ressources naturelles et
humaines, les ressources du capital physique et financier ne sont pas suffisantes. Elles ont
besoin d’être combinées aux capacités d’entreprendre d’une part et d’autre part aux liens de
production - circulation des biens et circulations des informations et de la connaissance,
circulation des ressources productives – afin de maintenir la production.

5
    Une definition que nous empruntons à la CNUCED (2006)
20

Selon Islam (2004), il est tout à fait possible de décrire clairement les différents
enchaînements qui conduisent à la création d’emplois en période de croissance économique.
Selon cet auteur, quand de forts taux de croissance économique conduisent à une capacité de
production soutenue, des offres d’emploi à productivité accrue sont générées. Ceci à son tour
permet une absorption et une intégration graduelles des chômeurs et des sous-employés à des
activités économiques en expansion avec un plus haut niveau de productivité. Ainsi les
pauvres peuvent parvenir à une meilleure productivité et augmenter les revenus deleur emploi
actuel ou se hisser à de meilleurs emplois demandant un niveau supérieur et/ou une meilleure
technologie. Le résultat de ce changement ainsi décrit se trouve dans : (i) une meilleure
productivité dans des secteurs et métiers divers (ii), une évolution de la structure de l’emploi
vers des métiers à haut niveau de productivité, et (iii) une augmentation du salaire réel, des
revenus de l’emploi indépendant et des revenus du salariat.

Une croissance économique soutenue exige l’expansion et le développement tout autant
qu’une totale utilisation des capacités de production.
Effectivement, l’intensification des capacités de production est un élément fondamental pour
permettre une création d’emplois viable dans l’économie. Plus spécifiquement, une
articulation de l’accumulation du capital avec le progrès technique est un facteur essentiel
pour développer l’emploi dans une économie de croissance.
Les faits, en Afrique, pourtant ne sont pas rassurants. L’accumulation du capital et les progrès
techniques ne semblent pas aller de pair. (figure 8).

Figure 8
Déséquilibre entre l’accumulation du capital et le progrès technique en Afrique, 1990-2000
Source : données élaborées par l’auteur d’après les informations de la CNUCED
Remarque : Le progrès technique, comme indiqué ici, est le taux de croissance annuel moyen
de la part des moyennes et nouvelles technologies dans la valeur ajoutée du secteur
manufacturier des pays considérés durant la période 1990-2000. L’accumulation du capital est
calculée avec le taux de croissance annuelle par rapport à la réserve gagnée par les pays
considérés durant la même période. Seuls les pays où les données étaient disponibles ont été
pris en compte.

Six pays ont eu une expansion concomitante en fonds propres et en effort technologique
(Sénégal, Togo, Cameroun, Éthiopie, Zimbabwe, et Malawi) durant la période 1990-2000.
Cinq autres présentent une dynamique différente, telle qu’une croissance du capital en fonds
propres associée à un affaiblissement de l’effort technologique (Mali, République
centrafricaine, Kenya, Madagascar, Zimbabwe).

Il est intéressant, pourtant, de noter que tous ces pays, dans notre exemple, ont une
accumulation constante du capital. Mais une telle accumulation du capital n’a pas toujours été
en corrélation avec l’effort technologique. On peut donc douter de la réelle efficacité de
l’accumulation du capital observée. On peut affirmer sans exagération qu’à l’évidence, le
continent africain a bénéficié d’une accumulation du capital sur la décade considérée. Mais
l’effort technologique supposé l’accompagner n’a pas toujours suivi ; ce qui a nui au
développement des capacités et par là-même à création d’emplois.

3.2 La dynamique due lien entre la croissance et l’emploi en Afrique
21

Vue d’ensemble du lien en termes d’arrière-plan théorique et revue de quelques études
pertinentes sur la question, suivie d’une évaluation des dynamiqus régionales du lien
croissance-emploi en Afrique.

La dynamique du lien croissance-emploi : vue d’ensemble
La dynamique est d’abord théorique. À ce sujet, deux questions se posent :
   (i)   Est-ce que les auteurs ont toujours considéré la croissance comme un facteur de
         développement de l’emploi ?
   (ii)  Ou bien l’emploi ne détermine-t-il pas plutôt la croissance ?

   La réponse à ces questions alimente une abondante littérature, relative à la loi d’Okun
   (1962) voir encadré 2.

   Encadré 2
   Enquête sur les relations entre la croissance et l’emploi : importance de la loi
   d’Okun
   Comme l’ont signalé Harris et Silverstone (2001), la loi d’Okun- la relation entre les
   changements du chômage et le rendement- est un concept important en macroéconomie à
   tant d’un point théorique qu’empirique.
   Théoriquement la loi d’Okun est le lien entre la courbe d’offre globale et la courbe de
   Phillips. Empiriquement, le coefficient d’Okun est une règle empirique en prévision et en
   politique. Effectivement, en utilisant des données trimestrielles de l’économie américaine
   durant la période 1947-1957, Okun réussit à montrer qu’il existe une relation inverse d’à
   peu près 1 pour 3 entre le taux de chômage et la croissance. En d’autres termes, une
   réduction de 1 % du taux de chômage provoque une hausse de la production de 3 % vice-
   versa. Ainsi pour un niveau stable de main-d’œuvre, une augmentation de la production
   conduit à une augmentation de l’emploi. À ce propos Okun, dans sa communication de
   1962, indique que l’élasticité de l’emploi à la croissance varie entre 0,35 et 0,40. Gordon
   (1984) renforce l’importance de cette loi en montrant qu’elle est devenue populaire en
   macroéconomie parce qu’entre autres, elle s’est avérée suffisamment stable et fiable
   durant ces vingt dernières années pour être érigée en tant que loi.

   Harris et Silverstone (2001) observent cependant que malgré son utilité théorique et
   empirique, la loi d’Okun présuppose une relation symétrique entre ses éléments. Ce
   présupposé, en vertu duquel les expansions et les contractions de la production ont le
   même effet absolu sur le chômage, pourrait ne pas toujours être approprié. Les auteurs
   observent également qu’étant donné le lien entre la loi d’Okun et la courbe de Phillips, il
   n’est pas étonnant que le renouveau d’intérêt pour les modèles testant l’asymétrie de la
   courbe de Phillips se double d’un intérêt similaire pour la loi d’Okun. À cet égard, ils se
   réfèrent à un certain nombre d’auteurs (Debelle et Laxton, 1997 ; Laxont et al. 1999, Lee
   2000 et Virén 2001).

   Pourtant Harris et Silverstone (2001), Courtney (1991) et Palley (1993) font partie de ceux
   qui pensent que le coefficient d’Okun peut être différent suivant que l’on est en expansion
   ou en contraction. Leurs explications concernant l’asymétrie dans la loi d’Okun inclut des
   changements dans les taux de croissance sectoriels et les taux de participation de la main-
   d’œuvre. Ainsi que l’ont souligné Lee (2000), Mayes et Viren (2000) et Viren (2001), ils
   utilisent des techniques économétriques contemporaines pour examiner l’asymétrie dans
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