Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...

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Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...
FOCUS PAPER 37
                                                               Juillet 2018
Institut Royal Supérieur de Défense

                                      Présences chinoise et russe
                                      en Afrique : différences,
                                      convergences, conséquences

                                                          Eleftheris Vigne

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Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...
Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...
Juillet 2018

Présences chinoise et russe
en Afrique : différences,
convergences, conséquences

Eleftheris Vigne

Institut Royal Supérieur de Défense
Centre d’Études de Sécurité et de Défense
30 Avenue de la Renaissance
1000 Bruxelles

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Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...
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Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...
À propos de l’auteur

             Eleftheris Vigne est titulaire d’un Master en science politique
             orientation relations internationales de l’Université libre de
             Bruxelles. En continuité avec cette diplomation, il a réalisé un
             stage de février à mai 2018 au sein du Centre d’études de sécurité
             et défense de l’Institut Royal Supérieur de Défense (Bruxelles,
             Belgique) sous la direction de Mr Nicolas Gosset, attaché de
             recherche « Sécurité et Défense en Eurasie » au sein de l’institut.
             C’est à cette fin que la présente recherche a été effectuée. Ses
             centres d’intérêt convergent principalement vers les thématiques
             suivantes : l’étude des régimes internationaux de gouvernance, les
             politiques de défense et de sécurité ainsi que la gestion de crise,
             l’accent étant particulièrement mis sur les grands émergents.

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Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...
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Résumé

        L’Afrique constitue un enjeu géoéconomique et géopolitique essentiel pour les
nombreux acteurs étatiques présents, que ceux-ci soient considérés comme « traditionnels »,
« émergents » ou sur le « retour », avec quelles lignes de fracture, de coopération et quels
enjeux de rivalité. La présente étude se concentre sur les implications en Afrique de deux
puissances mondiales, non-occidentales et souvent présumées rivales de l’Union européenne.
On analyse d’abord les politiques africaines de la République populaire de Chine, « puissance
émergente », qui en moins de vingt ans est devenue le premier partenaire économique de
l’Afrique. On en compare ensuite les résultats avec les politiques africaines de la Fédération
de Russie, préalablement examinées, afin de définir dans quelle mesure Moscou inscrit son
« retour » – réel ou fantasmé – en Afrique. Enfin, à partir de la présentation de l’étendue des
présences chinoises et russes sur le continent, on détermine comment, et dans quelle mesure,
celles-ci rentrent en contradiction avec les intérêts européens.
         A bien des égards, Moscou et Pékin partagent des conceptions communes des rela-
tions internationales, telles que la mise en exergue des concepts de souveraineté et de non-
ingérence dans les affaires intérieures, et in fine, la reconnaissance de la pluralité des modèles
de développement des États – s'opposant en cela, aux normes et valeurs défendues par l'UE à
l'intérieur et à l’extérieure de ses frontières (et donc aussi en Afrique) sur des questions aussi
essentielles que la démocratie et le respect des droits humains. De même, les deux États sou-
tiennent des lignes proches sur la guerre civile en Syrie, ou encore, sur le terrorisme islamiste
international, bien que l’expérience démontre que, contrairement à Moscou, Pékin est beau-
coup moins enclin à intervenir militairement dans des zones de conflits.
        Nous allons toutefois nuancer ces lieux communs en apportant quelques éléments de
réflexion quant à l’évolution du rôle joué par la Chine dans la sécurité africaine et aux
espaces de coopération et de conflictualité potentielle existant avec les puissances historiques.

       Mots clés : Russie, Chine, Union européenne, Afrique, néo-colonialisme, armement.

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Table des matières
À propos de l’auteur .........................................................................................................i
Résumé .......................................................................................................................... iii
Table des matières ........................................................................................................... v
Liste des acronymes........................................................................................................ix
Introduction ..................................................................................................................... 1
Vecteurs et enjeux de la « Chinafrique » : un néo-impérialisme en devenir ? ................ 1
    1.        Présence chinoise en Afrique .......................................................................................... 2
    2.        Dimension économique................................................................................................... 3
         a)        Répondre à des besoins considérables de matières premières .................................. 4
         b)        Conquête du marché africain et débouchés chinois.................................................. 7
    3.        Enjeux politico-diplomatiques et idéologiques ............................................................. 11
         a)        Forum sur la coopération sino-africain (FOCAC) .................................................. 12
         b)        Émergence d’un « Consensus de Pékin » ? ............................................................ 13
    4.        Approche sécurité-défense de la Chine en Afrique....................................................... 14
    5. Conclusion partielle – Politique de prédation ou coopération gagnant-gagnant : quel
    prix à la non-ingérence dans les affaires intérieures ? ......................................................... 17
Le « retour » de la Russie en Afrique : Quels moyens pour quelle(s) ambitions? ........ 19
    1.        Présence russe en Afrique ............................................................................................. 20
    2.        Dimension économique................................................................................................. 21
         a) Ressources minières : des velléités oligopolistiques ?.................................................. 22
         b)        Énergie : des ambitions plus (géo)politiques qu’économiques ? ........................... 24
         c)        Nucléaire civil : un marché prometteur ? .............................................................. 26
         d)        Des échanges commerciaux limités ........................................................................ 27
         e)        Le commerce des armes : un puissant instrument d’influence politique ................ 30
    3.        Grands axes de la politique sécurité-défense de la Russie en Afrique .......................... 33
         a)        La lutte contre le terrorisme .................................................................................... 33
         b)        De l’activité des sociétés militaires privées russes en Afrique ............................... 34
    4.        Enjeux politico-diplomatiques : priorité des priorités ? ................................................ 35
         a)         Les Printemps arabes au Maghreb – Une Russie contre-révolutionnaire .............. 36
         b)         L’Afrique comme champ de désenclavement politique ........................................ 37
         c)     La présence russe en Afrique : terrain de construction d’un ordre international
         alternatif « post-occidental » ? .......................................................................................... 39
Conclusion – Chine, Russie et UE/États européens : acteurs antagonistes en Afrique ?43
Bibliographie ................................................................................................................. 47

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vi
viii
Liste des acronymes
  APL      Armée populaire de Libération

  BAII     Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures

  BRICS    Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud (groupement)

  CSNU     Conseil de sécurité des Nations-Unies

  FOCAC    Forum sur la coopération Chine-Afrique

  IDE      Investissements directs étrangers

  OBOR     One Road, One Belt Initiative (Routes de la Soie)

  PCC      Parti communiste chinois

  RDC      République démocratique du Congo

  RPC      République populaire de Chine

  UA       Union africaine

  UE       Union européenne

  UEE      Union économique eurasiatique

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x
Introduction
        Le 28 novembre dernier, le Président français Emmanuel Macron choisissait une
ancienne colonie française d’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso, comme point de départ de
sa première tournée en Afrique et y prononcer son discours de politique africaine devant un
auditoire de jeunes étudiants à l’université de Ouagadougou1. Le surlendemain, c’est au
Ghana, pays membre du Commonwealth et ancienne colonie britannique en Afrique de
l'Ouest, qu’il concluait sa tournée africaine, afin, selon la communication officielle de
l'Elysée, d’envoyer un « message sur la démocratie, [car] la force de la démocratie ghané-
enne est reconnue par tous » 2. Dans l’intervalle de ces deux jours, c’est pour la capitale éco-
nomique ivoirienne, Abidjan, qu’il s’était envolé. S’y tenait la cinquième édition du sommet
UA-UE réunissant tous les trois ans dirigeants européens et africains avec pour objectif
officiel la définition des orientations futures de la coopération entre les deux continents3.
        Quelques mois plus tard, en mars 2018, le désormais ex-Secrétaire d'État américain,
Rex Tillerson, se rendait également en Afrique subsaharienne4. Au même moment, son
homologue russe, Sergei Lavrov, y consacrait le déplacement de la délégation diplomatique
russe la plus importante depuis trente ans5. Quant à la Chine, elle organisera, en septembre
prochain, la septième édition du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), une série
de conférences ministérielles entre les dirigeants chinois et leurs homologues africains.
        À tout le moins, ces différentes visites montrent l’intérêt certain que portent l'ensem-
ble des puissances mondiales au continent africain, mais aussi la compétition renouvelée
qu’elles semblent s'y livrer. A l’évidence, l’Afrique constitue un enjeu géoéconomique et
géopolitique essentiel, pour les nombreux acteurs étatiques présents, que ceux-ci soient consi-
dérés comme « traditionnels », « émergents » ou sur le « retour »6, avec quelles lignes de
fracture, de coopération et quels enjeux de rivalité. C’est ce à quoi s'attache cette étude.
        En particulier, on se concentrera sur les implications en Afrique de deux puissances
mondiales, non-occidentales et souvent présumées rivales de l’UE. On analysera d’abord les
politiques africaines de la République populaire de Chine (RPC), « puissance émergente » qui
en moins de vingt ans, est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique 7. On en
comparera ensuite les résultats avec les politiques africaines de la Fédération de Russie, que
nous aurons examiné au préalable afin de définir dans quelle mesure Moscou inscrit son
« retour » – réel ou fantasmé – en Afrique. Enfin, à partir de la présentation de l’étendue des
présences chinoises er russes sur le continent, on déterminera comment, et dans quelle
mesure, celles-ci rentrent en contradiction avec les intérêts européens.
1
  Laurent Larcher, « Emmanuel Macron en tournée africaine », La Croix, 27 novembre 2017.
2
  Ibid.
3
  Conseil européen, 5e sommet Union africaine-UE, 29-30/11/2017,
http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2017/11/29-30/.
4
  Il s’est rendu à Djibouti, en Éthiopie, au Kenya et au Nigeria. (Après sa tournée africaine, Rex Tillerson est
remplacé au département d’État par Mike Pompeo, patron de la CIA, Jeune Afrique, 13 mars 2018).
5
  Ainsi, le ministre des Affaires étrangères russe est arrivé à Addis Abeba le vendredi 9 mars 2017 au soir, quel -
ques heures avant que son homologue américain n’en parte (RFI, En Afrique, Sergueï Lavrov et Rex Tillerson
«s’évitent soigneusement», RFI Afrique, 10 mars 2018).
6
  L’on entend par acteurs « traditionnels », les anciennes métropoles coloniales (en premier lieu, la France et
Royaume-Uni) mais aussi les États-Unis et l’Union européenne ; et par acteurs « émergents », principalement le
Brésil, l’Inde, la Chine auxquels on peut inclure d’autres États actifs en Afrique tels que la Turquie ou encore
l’Arabie Saoudite, mais dont on exclut la Russie pour laquelle nous privilégions la terminologie de puissance sur
« le retour » en raison de l’implication de l’URSS en Afrique pendant la Guerre Froide.
7
  On parle bien ici d’acteur étatique, sans quoi, l’UE prise dans son ensemble est devant la Chine.

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2
Vecteurs et enjeux de la « Chinafrique » : un
néo-impérialisme en devenir ?
        À la base de la politique étrangère chinoise contemporaine se trouve ce que les
autorités du Parti communiste chinois (PCC) ont conceptualisé depuis Jiang Zheming comme
les « cinq principes de la coexistence pacifique ». Ces principes sont : le respect mutuel de la
souveraineté et de l’intégrité territoriale, la non-agression mutuelle, la non-ingérence
mutuelle dans les affaires intérieures, l’égalité et les bénéfices mutuels et enfin, la coexis-
tence pacifique.8 Alors que les critiques occidentales portent sur l’insuffisance de ces seuls
principes pour répondre aux défis mondiaux croissants, demandant à Pékin de s’impliquer
davantage dans les affaires mondiales, en devenant une puissante dite « responsable »,
notamment dans la gouvernance de la sécurité africaine9, nous verrons dans quelle mesure
l’attachement à ces principes conduit effectivement la politique africaine de la RPC.
        Parallèlement, il ne faut pas perdre de vue que les États-Unis restent le principal
déterminant de la stratégie extérieure de la RPC. D’une part, parce qu’elle est l’unique super-
puissance militaire et, dans le même temps, la principale source de menace extérieure pour
Pékin. D’autre part, parce que Washington est devenu au cours des deux dernières décennies
le premier partenaire économique de Pékin (et réciproquement) conduisant, par ailleurs, leur
interdépendance économique à un niveau sans précédent. En conséquence et, en vue de
contrebalancer et affaiblir le poids des États-Unis dans les relations internationales, favoriser
la multi-polarisation du monde10 et promouvoir le multilatéralisme afin d’accroître son
influence11 constituent, à l’évidence, des éléments clés de la stratégie extérieure de Pékin.
Dans ce contexte, on verra comment la politique africaine de la RPC s’inscrit dans une
stratégie plus large de volonté et d’affirmation de puissance au niveau mondial.
        Enfin, contrairement aux États-Unis et aux États européens, Union européenne y
inclus, Pékin ne conditionne pas son aide et ses investissements au respect de critères
normatifs de gouvernance. En revanche, un critère politique essentiel domine : la reconnais-
sance de la politique d’une Chine unique12 comme condition préalable pour nouer des

8
  Jean-Pierre Cabestan, La politique internationale de la Chine. Entre Intégration et volonté de puissance, p. 75,
2e édition, Paris, Presses de Sciences Po, 2015.
9
   En témoigne, la visite officielle en Chine, du Président E. Macron, en janvier 2018, pendant laquelle fût
évoquée par Paris la possibilité d’une plus grande association de Pékin à la gestion des affaires internationales,
notamment la politique de sécurité au Sahel.
10
    Selon Jean-Pierre Cabestan, le discours chinois sur la multipolarité du monde a surtout pour objectif de
masquer l’inégalité croissante entre les grandes puissances et d’inciter ces dernières à coopérer avec la Chine,
sans les Etats-Unis et sans les Occidentaux, notamment au sein de nouvelles structures multilatérales (OCS,
BRICS). (Jean-Pierre Cabestan, 2015 op.cit.). Dans cette perspective, l’objectif réel de Pékin correspondrait
alors davantage à la recherche d’une forme de bipolarité.
11
   L’implication plus grande des forces militaires chinoises, l’Armée populaire de libération (APL), aux forces
multinationales de l’ONU en constitue une bonne illustration. Il convient néanmoins de mettre en évidence que
le multilatéralisme affiché par Pékin reste largement sélectif et sert surtout ses ambitions de puissance. (Jean-
Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p. 201)
12
    La reconnaissance de la politique d’une seule Chine implique comme préalable à toute collaboration
diplomatique avec Pékin, le retrait de toute relation diplomatique avec Taipei.

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relations officielles avec la RPC. De ce fait, sur les 54 États constituant le continent africain,
seul le Swaziland entretient encore aujourd’hui des relations diplomatiques avec Taipei13.
        In fine, renforcer le leadership chinois en Asie et devenir, à terme, une puissance aussi
influente que les États-Unis dans le monde, et ainsi modifier le fonctionnement des normes et
des institutions internationales afin de les rendre davantage conducteur des intérêts du pays
figurent désormais comme les priorités clairement établies de la politique étrangère de Xi
Jinping.14 Nous allons voir comment la politique africaine de Pékin participe à cette ambition.

        1. Présence chinoise en Afrique

        Si on procède à la cartographie des États les plus favorisés par la présence de la Chine
et de ses entreprises sur le continent (cf. infra), on trouve, d’une part, une présence plus
marquée dans les pays susceptibles d’assurer au géant asiatique un approvisionnement
régulier et au meilleur prix dans les secteurs énergétique et des matières premières minérales
et organiques (Angola, Nigeria, Soudan en ce qui concerne l’énergie; Afrique du Sud,
République démocratique du Congo dont les sous-sols regorgent de minerais…). D’autre
part, la Chine privilégie aussi les marchés les plus prometteurs, c’est-à-dire, les États
comptant une large population, et donc d’un vaste marché intérieur réel ou potentiel, ainsi
que d’un important besoin en infrastructures (Ethiopie, Nigéria, Algérie, Egypte). Enfin,
phénomène plus récent mais amené à prendre de l’importance en raison de la transformation
d’une économie chinoise se recentrant sur sa consommation intérieure, de plus en plus
d’industriels chinois délocalisent certaines de leurs productions dans des pays d’Afrique
prometteurs (Ethiopie). Ces entreprises chinoises installées en Afrique fabriquent des
produits destinés à l’export.
        S’il semble avéré que l’importance et la densité des relations que Pékin entretient
avec ses partenaires africains sont donc en grande partie liées à des considérations
économiques, il nous faut néanmoins souligner que les petits États moins bien dotés ne sont
pas pour autant négligés. Soucieux de maintenir son image de grand pays du Sud et d’y
accroitre son influence diplomatique, le ministère chinois des Affaires étrangères veille à ce
que ceux-ci reçoivent également une partie du gâteau15.
        Au total, la République populaire compte 52 missions diplomatiques dans les
capitales africaines, contre 49 pour Washington, et est le membre du Conseil de sécurité des
Nations unies (hormis donc la taille des contingents éthiopien, bangladeshi, indien, rwandais
pakistanais, népalais, égyptien…16) disposant du plus grand nombre de Casques bleus sur le
continent – en juillet 2017, plus de 2200, en RDC, Liberia, Mali, Soudan et Soudan du Sud17.
Et ce nombre est selon toute vraisemblance appelé à croître ces prochaines années18.

13
   Benjamin Roger, Le Burkina Faso annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec Taïwan, Jeune
Afrique, 24 mai 2018.
14
   Engagée dès 2008, la stratégie d’affirmation de la puissance devient plus nette encore à partir de 2012-2013
et, dès 2014, Xi Jinping abandonne officiellement la diplomatie de « profil bas » prônée par Deng Xiaoping.
15
   Jean-Pierre Cabestan, 2015 op.cit., p. 488.
16
     Pour toutes données couvrant les missions de maintien de la paix des Nations Unies, voir site officiel :
https://peacekeeping.un.org/en/troop-and-police-contributors
17
   Munich Security Report 2018. To the Brink – and Back?, p.25; données fournies par le Mercator Institute for
China Studies (MERICS), “China’s Emergence as a Global Security Actor: Strategies for Europe”, juillet 2017.
18
   Ibid.

2
2. Dimension économique

       Le volet économique occupe une place primordiale dans la politique africaine de
Pékin et dans les relations sino-africaines. En Afrique, la Chine a consolidé sa présence
depuis une quinzaine d’années, jusqu’à devenir le premier investisseur en termes de volume
de capitaux investis (IDE)19 et le principal partenaire économique et commercial.20 En 2016,

19
   La Chine représenterait ainsi 39% des volumes de capitaux étrangers investis sur le continent africain. Cf.
Charles Bouessel du Bourg, Infographies: en 2016, la Chine est devenue le premier investisseur étranger en
Afrique, Jeune Afrique, 24 août 2017).
20
   Charles Bouessel du Bourg, 24 août 2017, op.cit.

                                                                                                            3
leurs échanges commerciaux ont atteint 160 milliards d’euros, soit davantage que ceux du
continent africain avec l’Inde, la France et les États-Unis réunis21.
        Ce renforcement croissant de la présence chinoise en Afrique est visible non
seulement à travers les investissements de ses entreprises publiques et privées, mais aussi via
l’aide au développement, le soutien d’État à la construction d’infrastructures et, enfin, le
dialogue avec les dirigeants africains. Cette coopération entre la Chine et l’Afrique s’est ainsi
matérialisée dès 2000 par un forum qui réunissait alors déjà 44 pays africains : le Forum de
coopération sino-africain (FOCAC) qui se tient depuis alternativement tous les trois ans en
Chine ou sur le continent africain.
        Les relations sino-africaines furent également marquées par la publication, en janvier
2006, d’un Livre blanc - La politique de la Chine à l’égard de l’Afrique - dans lequel sont
évoqués les objectifs de leur coopération sur les plans politique, économique, militaire et
culturel. Dans les faits, cette publication s’efforce surtout de démontrer le rôle positif joué
par la Chine sur le continent africain et de répondre aux critiques portées sur les effets pervers
de sa coopération.22 En 2013, le gouvernement chinois réitéra cet exercice dans un Livre
blanc consacré à la coopération économique et commerciale sino-africaine, et selon le
sinologue Jean-Pierre Cabestan, plus encore que par le passé, cette publication a rendu
manifeste « la volonté de Pékin de se justifier et de contrer les accusations contre le caractère
prédateur, voire néocolonial, de la présence chinoise en Afrique »23.

        a) Répondre à des besoins considérables de matières premières

        Le caractère « prédateur » prêté par beaucoup en Occident, mais aussi parfois (et de
plus en plus souvent) par les acteurs africains eux-mêmes, à la politique africaine de Pékin est
lié à son insatiable appétit pour les ressources naturelles dont dispose l’Afrique, appétit
découlant directement de l’essor de l’économie chinoise ces dernières décennies. La
croissance soutenue par l’industrie chinoise s’est doublée d’un besoin exponentiel en
hydrocarbures et en matières premières pour alimenter les lignes de production, créant une
situation de dépendance vis-à-vis de l’extérieur en matière de minerais et
d’approvisionnement énergétique.
        Les réserves en minerais de l’Afrique sont essentielles à l’industrie chinoise et,
comme pour le pétrole, la « diplomatie des ressources » chinoise accorde dès lors prêts,
remises de dette et constructions d’infrastructures en échange d’un accès privilégié à ses
entreprises aux précieuses matières premières africaines. Le Niger, constitue, à cet égard, une
importante réserve d’uranium, le Zimbabwe de platine et de chrome, et tandis que les sous-
sols de l’Afrique du Sud24 et de la République démocratique du Congo (RDC) regorgent de
minerais25, le Congo-Brazzaville et la Zambie exportent du cuivre26, la Guinée de la bauxite,
et de nombreux États ont d’importantes réserves de fer et de bois mais, de toutes les

21
   Sébastien Le Belzic, Le Maroc et les nouvelles routes de la soie : la troisième voie, Le Monde Afrique, 4
décembre 2017.
22
   Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p. 510.
23
   Ibid.
24
   L’Afrique du Sud détient les plus grandes réserves mondiales de platine et de chrome.
25
   La RDC est le premier producteur et exportateur mondial de cobalt, crucial pour la production de batteries
lithium-ion utilisées dans les secteurs automobile (voitures électriques) et de la téléphonie. La RDC est aussi,
entre autres, une importante productrice de coltan et de cuivre.
26
   80% de la production zambienne de cuivre prendrait chaque année la route de la Chine, selon les données du
cabinet international Deloitte (Ristel Tchounand, Chine / Matières premières : indispensable Afrique ?, La
Tribune Afrique, 1 avril 2017).

4
ressources dont regorgent les sols et sous-sols africains, c’est l’enjeu énergétique, et plus
particulièrement le pétrole, qui suscite le plus la convoitise de la République populaire.
        En effet, longtemps auto-suffisante en hydrocarbures, la Chine est devenu importateur
net de pétrole dès 199327. Ses besoins pétroliers augmentant parallèlement à son essor
économique, les volumes importés atteignirent dès 2010 plus de la moitié de la
consommation domestique chinoise et, dès 2013, la Chine est devenue le premier importateur
mondial de pétrole28. En 2016, la Chine se classait au 2e rang mondial des plus gros consom-
mateurs, mais sa production ne couvrant désormais qu’environ le tiers de sa consommation,
la République populaire se voit désormais contrainte d’importer les deux tiers de ses besoins
restants. Cette situation a rendu la Chine particulièrement dépendante du Moyen-Orient d’où
provient la moitié de ses importations. Aussi, compte tenu de l’influence américaine sur la
zone et de la très grande instabilité régionale qui s’y est diffusée au cours des deux dernières
décennies en particulier, cette vulnérabilité géopolitique a poussé Pékin à diversifier ses
sources d’approvisionnement afin d’en garantir la régularité au meilleur prix possible.
        En parallèle, l’Afrique constitue avec un peu moins de 8% des réserves mondiales de
pétrole la troisième réserve au monde29. Largement destiné à l’exportation (à 90% environ30),
le pétrole africain, apparait dès lors, aux yeux de Pékin, comme une solution de premier plan,
afin d’amoindrir sa dépendance envers les producteurs du Moyen-Orient. Pékin y lie activités
de prospection, prises de participation et achats, et c’est plus particulièrement la région du
golfe de Guinée, et surtout l’Angola, qui vient nourrir la soif chinoise. En près de 10 ans,
Ryad a ainsi perdu près de 10% de ses parts sur le marché chinois au profit de la Russie, de
l’Iran et de l’Angola. En 2016, l’Angola fournissait 16% du pétrole à la Chine, soit autant que
l’Arabie Saoudite (16%), contre 17% pour la Russie.31
        Outre la nécessité de répondre aux besoins énergétiques de son économie, le secteur
agroalimentaire, et plus précisément les terres agricoles qui en raison de la désertification
croissante et d’une urbanisation non contrôlée commencent à manquer en Chine32, constituent
un autre secteur d’intérêt pour la Chine en Afrique. Par ailleurs, depuis 2003, la Chine est
devenue importatrice nette de produits agricoles. Néanmoins, comme le précise Deborah
Brautigam, professeure à l’université Johns-Hopkins, « on est bien loin de l’accaparement des
terres fantasmé par les médias occidentaux », et l’achat de terres agricoles africaines par la
Chine reste en réalité assez marginal en comparaison avec le volume total des investisse-
ments chinois sur le continent33.
        Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que c’est en relation avec les secteurs des
matières premières et des énergies fossiles que la Chine investit le plus. Ce qui ne fait que
conforter le lien étroit entre les besoins de l’économie chinoise et le développement des
investissements en Afrique. Enfin, il convient de porter un éclairage sur la nature des inves-
tissements en provenance de Chine. Ceux-ci associent des fonds d’aide directe au développe-
ment34 et des investissements de sociétés privées, mais aussi de grandes entreprises publi-

27
   Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p.181.
28
   Ibid, p. 75.
29
    Après le Proche-Orient et l’Amérique latine. (Pascal Le Pautremeat, L’Afrique : entre défis et succès
potentiels, loin des fatalités, Diploweb.com, 3 octobre 2015).
30
   Frédéric Munier, Géopolitique du pétrole : l’Afrique terrain de bataille, Diploweb.com, 11 septembre 2016.
31
   Emmanuel Hache, Fake news ou pragmatisme chinois sur les marchés internationaux ?, Tribune, Iris, 28
septembre 2017.
32
   La Chine possède 7 % des terres arables dans le monde, pour une population mondiale de 20 %.
33
   Christophe Le Bec, La Chinafrique fait sa révolution, Jeune Afrique, 17 novembre 2015.
34
   Les méthodes de calcul de l’aide chinoise diffèrent de celles de l’OCDE : à l’aide directe, Pékin ajoute le
financement du développement. Ainsi l’aide au développement chinois comprend les dons en devises et en
nature, les prêts sans intérêts et concessionnels, les dépenses de formation et d’assistance technique, ainsi que

                                                                                                               5
ques. En effet, les conglomérats à capitaux d’État occupent un rôle central dans le développe-
ment des investissements chinois dans les infrastructures, tant en Chine même qu’à l’étran-
ger. Quant au financement de ces investissements, il s’appuie notamment sur des fonds pu-
blics, ainsi que la BAII35, ce qui invite de nombreux experts à faire mention de l’émergence
d’un consensus de Pékin (voir infra).

    Focus sur le système chinois de prêts « infrastructures contre matières premières » : le
    « modèle angolais »
    Le « modèle angolais » est l’illustration parfaite de l’importance prioritaire accordée par la
    diplomatie chinoise aux États richement dotés en matières premières. L’aide chinoise –
    souvent sous forme de prêts - est alors liée à la réalisation de projets impliquant des
    entreprises chinoises dont le financement est garanti par l’exportation vers la Chine de
    pétrole ou minerais. En Angola, la Chine a ainsi construit l’industrie pétrolière en échange
    d’un accès privilégié à son pétrole, mais ce système a aussi permis l’implantation durable
    d’entreprises chinoises, principalement d’infrastructures (routes, voies ferrées, distribution
    d’électricité, télécommunications) et de construction, notamment un plan d’un million de
    logements. En 2016, l’Angola fournissait ainsi à la Chine 16% du volume total de ses
    besoins en pétrole, soit autant que l’Arabie Saoudite – seule la Russie faisant mieux avec
    17%. L’Angola est également le second partenaire commercial de Pékin en Afrique et,
    comptant au moins 400.000 individus, la diaspora chinoise en Angola forme l’une des
    plus importantes communautés chinoises du continent africain.
    L’origine du développement de ce modèle, au début des années 2000, est liée à la faible
    crédibilité internationale dont jouissaient alors les autorités angolaises, rebutant les
    investisseurs et bailleurs de fonds étrangers (FMI, BM) ne souhaitant pas s’y risquer à
    financer des projets de développement. Les autorités et les entreprises chinoises ne
    s’embarrassant pas d’autant de précautions, il en découla une relation étroite, mais aussi
    particulièrement opaque entre celles-ci, d’une part, et les militaires angolais et la famille
    de l’ancien président dos Santos, d’autre part. Enfin, parallèlement aux relations
    politiques, la coopération militaire entre la Chine et l’Angola, a connu de développements
    significatifs sous le règne de José Eduardo Dos Santos.
    Toutefois, le régime angolais a récemment connu une évolution majeure : le départ du
    pouvoir présidentiel de José Eduardo dos Santos, qui s’y était maintenu trente-huit ans, et
    la victoire électorale de son dauphin et remplaçant João Lourenço, investi troisième
    président angolais le 26 septembre 2017. Depuis, un nombre important de proches du clan
    dos Santos dont directement les enfants du prédécesseur eux-mêmes, ont été écartés
    d’institutions clefs du pouvoir angolais, laissant deviner, contrairement à ce que de
    nombreux observateurs anticipaient, une marge de manœuvre accrue du nouveau chef
    d’Etat angolais, que l’on dit parfois proche des États-Unis.
    Plus récemment, en septembre 2017, la Chine et la Guinée ont signé un accord similaire à
    20 milliards de dollars. Cet accord cadre prévoit l'octroi de ressources minières
    guinéennes à des sociétés chinoises contre le financement d'infrastructures à hauteur de 20
    milliards de dollars. Parmi les projets prévus dans l’accord figurent une raffinerie
    d’alumine et deux mines de bauxite.

les annulations de dettes. Par ailleurs, si aucune condition de bonne gouvernance n’est attachée à l’aide chinoise,
celle-ci reste en grande partie liée à des projets de développement ou d’infrastructures qui stimulent les relations
économiques sino-africaines, favorisant les exportations chinoises. (Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit.)
35
   Acronyme pour Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures.

6
b) Conquête du marché africain et débouchés chinois

        En sus de la priorité qu’accorde Pékin à la sécurisation de ses importations de pétrole
et de matières premières africaines, le commerce sino-africain est également stimulé par les
exportations chinoises de matériaux nécessaires à la réalisation des projets d’infrastructures
financés par des bailleurs chinois sur le continent africain ou de produits de consommation
bon marché, voire désormais haut de gamme.
        Les entreprises chinoises signent aujourd’hui près du tiers des contrats internationaux
de développement d’infrastructures en Afrique36. En sus des infrastructures d’industries
extractives (ressources minières et pétrolières), la Chine et ses entreprises investissent aussi
dans les secteurs financier, de la construction et – plus modestement – manufacturier et
agricole. Les autorités chinoises ont notamment crée des parcs industriels au Nigeria, en
Zambie, en Éthiopie et à l'île Maurice. Ces parcs favorisent l’implantation d’entreprises
chinoises dans le secteur manufacturier.
        La densité et la diversification de ces investissements assurent à la Chine continentale
un double objectif. Premièrement, d’accroître les échanges avec les pays d’Afrique, en vue de
maintenir un taux de croissance élevé, et deuxièmement, de se positionner comme un acteur
économique et commercial incontournable pour les prochaines décennies. C’est ainsi, que les
investissements en Afrique, coïncident, avec le ralentissement tendanciel de la croissance
économique chinoise, passée de 14,2 % en 2007 à 6,3 % en 2017.
        La baisse relative mais réelle de la croissance de l’économie chinoise a donc eu un
impact direct sur la multiplication des projets d’acquisition et de construction des infrastruc-
tures en Afrique et à l’international37. Le lancement du projet des Nouvelles Routes de la Soie
en 2013 en est une illustration. Par ailleurs, le contraste entre la « facilité » avec laquelle la
RPC peut mobiliser ses importantes réserves en devises pour investir à l’étranger et les
difficultés des acteurs « traditionnels » à investir des capitaux aussi importants offre à Pékin
l’opportunité d’exercer son influence politique et son soft power, particulièrement en Afrique.
        Aussi, conscients de l’interdépendance entre leur économie et celle du reste du
monde, les dirigeants chinois entendent-ils multiplier les investissements dans les infrastruc-
tures sur la scène internationale. C’est notamment dans ce cadre qu’est né le projet One Belt,
One Road (OBOR) auquel prend pleinement part l’Afrique de l’Est, avec pour objectif éco-
nomique premier aux yeux de Pékin de relancer ses exportations en économisant sur les coûts
de transport et de logistique.
        Le ralentissement de la croissance mondiale depuis la crise bancaire et financière de
2007-2008 a entraîné un affaiblissement de la demande internationale en produits chinois. A
cette interdépendance entre l’économie mondiale et l’économie chinoise, s’ajoute pour l’em-
pire du Milieu, des coûts de production toujours plus élevés en raison d’une perte de compéti-
tivité et, en conséquence, des exportations et des taux de croissance dégringolant.38 Pour y
répondre, Xi Jinping lance dès 2013 le projet OBOR39, plus communément appelée « Nou-
velles Routes de la Soie », dans une optique de renforcer la dimension stratégique de la
« connectivité » de la Chine au reste du monde et particulièrement à l’Asie du Sud, le Moyen-
Orient, l’Europe-Eurasie et l’Afrique.
        Ce programme, devrait - en multipliant la construction de lignes de communication
routières, ferroviaires et maritimes (ainsi que le câblage internet) afin de relier la Chine à
l’Europe et à l’Afrique - permettre une économie sur les coûts de transport et de logistique et

36
   Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p.508.
37
   Ibid.
38
   Sébastien Le Belzic, L’Afrique au cœur de la nouvelle Route de la soie, Le Monde Afrique, 24 avril 2017.
39
   Acronyme de « One Belt, One Road », littéralement : « une ceinture, une route ».

                                                                                                              7
donc in fine relancer les exportations chinoises, mais aussi donner un nouvel élan à la relation
Chine-Afrique en y associant notamment l’Afrique de l’Est (Ethiopie, Djibouti, Kenya),
l’Egypte, l’Afrique du Sud ou encore le Maroc40.
         Ce sont ainsi plus de la moitié des investissements prévus par la Chine dans le cadre
de ces Nouvelles Routes de la Soie qui serait consacrée à l’Afrique : « Ce sont surtout les
installations portuaires qui sont concernées. L’encerclement du continent par une dizaine de
ports financés par la Chine correspond ainsi à cette ‘ceinture’ évoquée par Pékin. 90 % des
importations et des exportations africaines passent par la mer. Durban en Afrique du Sud et
Port-Saïd en Egypte étant les deux plus importants ports de conteneurs du continent africain,
il était indispensable de proposer d’autres portes d’entrée dans la corne de l’Afrique et en
Afrique de l’Ouest et du Nord. »41. Pour les entreprises chinoises exportatrices de biens, si la
communauté considérable d’expatriés et touristes chinois constituent une cible, cette
« nouvelle route » est également une opportunité de s’imposer hors de Chine et de séduire
une clientèle africaine de plus en plus tournée vers la Chine et ses produits haut de gamme 42.
Ainsi, selon la Banque africaine de développement (BAD), la classe moyenne africaine
atteint déjà 350 millions de personnes, soit autant qu’en Chine continentale43. Enfin, pour des
raisons déjà évoquées (voir supra), fluidifier le transport de matières premières du continent
africain vers le géant asiatique et faire du continent noir une plate-forme de production vers
l’Europe constituent également des objectifs économiques primordiaux de ce grand dessein.
         En effet, les ambitions de ce programme sont aussi, naturellement, stratégiques. Ces
nouvelles voies de communications commerciales sont un moyen, pour Pékin, de faciliter
l’accroissement de son influence politique, et au-delà, de propager son soft power et son
modèle de modernisation autoritaire (voir infra Consensus de Pékin). Aussi, la République
populaire entend se développer comme une nouvelle puissance maritime à même de faire
face aux États-Unis44. En plus de l’usage commercial, plusieurs de ses nouvelles installations
portuaires serviront également un usage militaire. C’est le cas notamment de Djibouti qui
accueille aujourd’hui la première base militaire chinoise à l’étranger (voir infra), mais aussi
de Sao Tomé-et-Principe, des Seychelles et de Walvis Bay en Namibie, tous concernés par
des développements similaires quoique de moindre importance45. Enfin, l’un des enjeux du
projet est la maîtrise des standards, de la classification et des normes du commerce engendré.
L’objectif est donc également d’influencer sur la mondialisation juridique jusqu’ici largement
dominée par les États-Unis et dans une moindre mesure par l’Europe46.

40
   Sébastien Le Belzic, Ces marques chinoises qui débarquent en Afrique, Le Monde Afrique, 22 janvier 2018. ;
Pour une analyse inverse, selon laquelle, l’Afrique ne sera pas associée au projet OBOR, voir : Agnès Faivre,
Thierry Pairault : « La présence des Chinois en Afrique n'est pas une présence d'investisseurs », Le Point
Afrique, 20 février 2018.
41
   Sébastien Le Belzic, L’Afrique au cœur de la nouvelle Route de la soie, Le Monde Afrique, 24 avril 2017.
42
   Sébastien Le Belzic, Ces marques chinoises qui débarquent en Afrique, Le Monde Afrique, 22 janvier 2018.
43
   Ibid.
44
   Sébastien Le Belzic, L’Afrique au cœur de la nouvelle Route de la soie, Le Monde Afrique, 24 avril 2017.
45
   Ibid.
46
   Antoine Garapon, Les nouvelles routes de la soie : La voie chinoise de la mondialisation, IHEJ, 26 novembre
2016.

8
9
Focus sur l’Ethiopie : un miracle chinois en Afrique ?
     Pékin et Addis-Abeba ont établi un partenariat stratégique global dès 2003 et, depuis, les
     échanges de visites entre gouvernements et partis au pouvoir se sont multipliés. À partir
     de 2006, Pékin s’est engagé dans la mise en œuvre d’importants projets d’infrastructures
     en Ethiopie représentant 10% de l’ensemble des projets chinois sur le continent. Dès 2008,
     la RPC y établit un premier parc industriel où un nombre croissant d’entreprises chinoises
     sont venues s’installer et investir dans des secteurs variés tels que le cuir, la chaussure et
     l’assemblage automobile. Fort du succès de cette première expérience, et tablant sur les
     facilités légales introduites par les autorités éthiopiennes afin de faire du pays un des
     environnements les plus favorables aux investissements étrangers en Afrique, le pays
     inaugura à l’été 2016 un parc industriel plus grand encore, le Hawassa Industrial Park,
     situé à 300 km d’Addis-Abeba. Ce parc, d’un millier de kilomètres carrés, construit et
     développé avec des capitaux chinois est essentiellement destiné à développer l’industrie
     du textile et de l’habillement. Plus récemment, le 1er janvier 2018, a été inaugurée une
     ligne ferroviaire électrifiée, de 756 km, reliant l'Éthiopie à Djibouti construite par deux
     sociétés chinoises, la China rail engineering corporation et la China civil engineering
     construction corporation. Cette ligne permettant le transport de fret et de personnes, en
     partie financée par la banque Exim Bank of China, a coûté quatre milliards de dollars.
     Ainsi, pauvre en ressources naturelles, l’Ethiopie est pourtant devenue, depuis le début des
     années 2000, le principal bénéficiaire des prêts chinois en Afrique, ayant engrangé des
     financements pour la construction d’infrastructures pour un montant de l’ordre
     12,3 milliards de dollars au cours des quinze dernières années. À titre de comparaison,
     cela correspond à plus du double des montants prêtés ensemble au Soudan, producteur de
     pétrole, et à la RDC, dont les sous-sols regorgent de minerais.
     À l’évidence, l’intérêt que la République populaire porte à l’Ethiopie ne porte pas sur les
     matières premières dont elle pourrait bénéficier. En revanche, la croissance soutenue
     qu’affiche l’Ethiopie depuis près d’une décennie, ainsi que sa large population de plus de
     100 millions d’habitants, font du pays un marché particulièrement attractif à pour les
     entreprises chinoises désirant écouler leurs produits et soucieuses d’y produire à bas coûts.
     Au plan diplomatique, un second élément séduit également Pékin. L’Ethiopie est en effet
     une puissance régionale importante, arbitrant le siège de l’Union africaine (UA), et qui
     n’hésite pas à s’impliquer dans le règlement des conflits régionaux, notamment en
     Somalie et au Soudan du Sud. Autant d’éléments qui intéressent le régime chinois et ses
     ambitions internationales croissantes.

        Le développement de l’Afrique de l’Est présente un intérêt stratégique majeur pour la
Chine car celui-ci lui permet de consolider ses politiques de sécurité et de défense, mise au
point dans le but de garantir la sécurité de ses voies d’approvisionnement maritimes et d’ac-
croître ses points de relais et sa présence militaire dans la région de l’océan Indien 47. L’ex-
emple éthiopien permet d’illustrer qu’en sus de la sécurisation de son approvisionnement en
matières premières, la politique africaine de la Chine relève aussi d’une ambition plus large, à
la fois dans sa dimension économique, mais aussi dans sa volonté holistique d’être présente
sur les autres fronts : diplomatique, stratégique, politique et culturelle48.

47
  Jeune Afrique, Les Chinois en Afrique : où sont-ils ? Que font-ils ?, 12 mars 2014.
48
  Notamment à travers la diffusion des instituts Confucius, dispensant des cours de langue (mandarin) et de
culture chinoises.

10
3. Enjeux politico-diplomatiques et idéologiques

        Ainsi, à travers son soutien aux activités chinoises en Afrique, le projet OBOR et
l’édification de la BAII, Pékin propose une architecture sino-centrée pour le commerce et
l’investissement qui voit son champ d’application en constante augmentation. En consé-
quence, la dépendance économique accrue des États africains vis-à-vis de la Chine pourrait
permettre à Pékin d'encourager (ou de contraindre) la coopération dans d’autres domaines49.
En somme, le développement des flux économiques et commerciaux entre la Chine et
l’Afrique concourt donc également à une influence politique grandissante de la République
populaire sur le continent africain.
        Entre la Chine et l’Afrique, les relations ne se sont jamais réduites à des considéra-
tions uniquement économiques. Le volet diplomatique des relations sino-africaines permit,
autrefois, l’isolement de Taïwan et l’assurance pour la République populaire d’entrer à l'ONU
en 1971. Les relations sino-africaines permirent également à Pékin de former des majorités
onusiennes capables de barrer la route aux résolutions antichinoises soumises par l’Occident,
notamment sur les droits de l’homme50. À l’inverse, le fait que la République populaire soit
membre permanent du Conseil de sécurité pèse forcément sur ces États africains qui n’y sont
pas représentés et qui peuvent en conséquence compter sur un puissant porte-voix51.
        Davantage encore depuis Xi Jinping, la politique africaine de Pékin participe d’une
stratégie plus large de volonté et d’affirmation de puissance au niveau mondial – l’ambition
chinoise de devenir une « puissance globale »52. Les priorités de la politique étrangère de Xi
Jinping sont clairement établies : au-delà de la mise en exergue de ses intérêts fondamentaux
ou tout simplement nationaux, Pékin souhaite davantage se faire entendre et participer d’une
manière plus active à la définition des normes internationales et in fine, devenir une super-
puissance aussi influente que les États-Unis dans le monde.
        Dans cette stratégie, le grand nombre d’États africains – aujourd’hui 54 – et le soutien
qu’une grande partie d’entre eux est prêt à apporter à Pékin dans les arènes internationales
jouent un rôle évident. À cet égard, si Pékin exerce sa diplomatie en faveur de la
multipolarité, en tissant une relation privilégiée avec la puissance régionale sud-africaine
(G20, BRICS), elle n’en oublie pour autant aucun État, et plus qu’un simple lieu consacré à la
coopération commerciale entre la Chine et l’Afrique, le Forum sur la coopération sino-
africain (FOCAC53) est alors l’occasion pour le gouvernement chinois de développer son in-
fluence politique et diplomatique sur le continent africain.
        À mentionner enfin, que l’Afrique constitue le lieu privilégié où le parti-État chinois54
teste la montée de son soft power55 et la possible promotion de son propre modèle de déve-

49
   Munich Security Report 2018. To the Brink – and Back?, p.24, disponible en ligne sur : https://www.security
conference.de/en/discussion/munich-security-report/munich-security-report-2018/
50
   Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p.507.
51
   Xavier Aurégan, « L’avenir de l’Afrique s’écrit-il en Asie? » », Asia focus n°37, Ifri, Juin 2017.
52
   Inspiré du concept américain de comprehensive national power, la notion chinoise de « puissance globale »
ou « complète » recouvre la capacité d’un pays de préserver et développer l’ensemble des forces matérielles et
spirituelles qu’il possède, dans les domaines politique, économique, scientifique et technique, militaire, éducatif
et culturel, diplomatique ainsi que de l’accès aux ressources naturelles. (Jean-Pierre Cabestan, op.cit., pp. 133-
134). La plupart des experts chinois et des sinologues occidentaux s’accordent néanmoins pour considérer la
Chine actuelle comme une « puissance partielle ».
53
   Acronyme anglais pour Forum On China-Africa Cooperation.
54
   Le terme de « parti-État » est ici préféré afin de souligner combien le soft power chinois n’est pas tant le
résultat d’un rayonnement culturel provenant d’une société civile active sur une base propre et autonome, mais
au contraire, une entreprise étatique dirigée par le PCC. En témoigne, la création en 2012 de la Chinese Public

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