Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences - FOCUS PAPER 37 - Royal Higher ...
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FOCUS PAPER 37 Juillet 2018 Institut Royal Supérieur de Défense Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences Eleftheris Vigne 1
Juillet 2018 Présences chinoise et russe en Afrique : différences, convergences, conséquences Eleftheris Vigne Institut Royal Supérieur de Défense Centre d’Études de Sécurité et de Défense 30 Avenue de la Renaissance 1000 Bruxelles 1
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À propos de l’auteur Eleftheris Vigne est titulaire d’un Master en science politique orientation relations internationales de l’Université libre de Bruxelles. En continuité avec cette diplomation, il a réalisé un stage de février à mai 2018 au sein du Centre d’études de sécurité et défense de l’Institut Royal Supérieur de Défense (Bruxelles, Belgique) sous la direction de Mr Nicolas Gosset, attaché de recherche « Sécurité et Défense en Eurasie » au sein de l’institut. C’est à cette fin que la présente recherche a été effectuée. Ses centres d’intérêt convergent principalement vers les thématiques suivantes : l’étude des régimes internationaux de gouvernance, les politiques de défense et de sécurité ainsi que la gestion de crise, l’accent étant particulièrement mis sur les grands émergents. i
Résumé L’Afrique constitue un enjeu géoéconomique et géopolitique essentiel pour les nombreux acteurs étatiques présents, que ceux-ci soient considérés comme « traditionnels », « émergents » ou sur le « retour », avec quelles lignes de fracture, de coopération et quels enjeux de rivalité. La présente étude se concentre sur les implications en Afrique de deux puissances mondiales, non-occidentales et souvent présumées rivales de l’Union européenne. On analyse d’abord les politiques africaines de la République populaire de Chine, « puissance émergente », qui en moins de vingt ans est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique. On en compare ensuite les résultats avec les politiques africaines de la Fédération de Russie, préalablement examinées, afin de définir dans quelle mesure Moscou inscrit son « retour » – réel ou fantasmé – en Afrique. Enfin, à partir de la présentation de l’étendue des présences chinoises et russes sur le continent, on détermine comment, et dans quelle mesure, celles-ci rentrent en contradiction avec les intérêts européens. A bien des égards, Moscou et Pékin partagent des conceptions communes des rela- tions internationales, telles que la mise en exergue des concepts de souveraineté et de non- ingérence dans les affaires intérieures, et in fine, la reconnaissance de la pluralité des modèles de développement des États – s'opposant en cela, aux normes et valeurs défendues par l'UE à l'intérieur et à l’extérieure de ses frontières (et donc aussi en Afrique) sur des questions aussi essentielles que la démocratie et le respect des droits humains. De même, les deux États sou- tiennent des lignes proches sur la guerre civile en Syrie, ou encore, sur le terrorisme islamiste international, bien que l’expérience démontre que, contrairement à Moscou, Pékin est beau- coup moins enclin à intervenir militairement dans des zones de conflits. Nous allons toutefois nuancer ces lieux communs en apportant quelques éléments de réflexion quant à l’évolution du rôle joué par la Chine dans la sécurité africaine et aux espaces de coopération et de conflictualité potentielle existant avec les puissances historiques. Mots clés : Russie, Chine, Union européenne, Afrique, néo-colonialisme, armement. iii
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Table des matières À propos de l’auteur .........................................................................................................i Résumé .......................................................................................................................... iii Table des matières ........................................................................................................... v Liste des acronymes........................................................................................................ix Introduction ..................................................................................................................... 1 Vecteurs et enjeux de la « Chinafrique » : un néo-impérialisme en devenir ? ................ 1 1. Présence chinoise en Afrique .......................................................................................... 2 2. Dimension économique................................................................................................... 3 a) Répondre à des besoins considérables de matières premières .................................. 4 b) Conquête du marché africain et débouchés chinois.................................................. 7 3. Enjeux politico-diplomatiques et idéologiques ............................................................. 11 a) Forum sur la coopération sino-africain (FOCAC) .................................................. 12 b) Émergence d’un « Consensus de Pékin » ? ............................................................ 13 4. Approche sécurité-défense de la Chine en Afrique....................................................... 14 5. Conclusion partielle – Politique de prédation ou coopération gagnant-gagnant : quel prix à la non-ingérence dans les affaires intérieures ? ......................................................... 17 Le « retour » de la Russie en Afrique : Quels moyens pour quelle(s) ambitions? ........ 19 1. Présence russe en Afrique ............................................................................................. 20 2. Dimension économique................................................................................................. 21 a) Ressources minières : des velléités oligopolistiques ?.................................................. 22 b) Énergie : des ambitions plus (géo)politiques qu’économiques ? ........................... 24 c) Nucléaire civil : un marché prometteur ? .............................................................. 26 d) Des échanges commerciaux limités ........................................................................ 27 e) Le commerce des armes : un puissant instrument d’influence politique ................ 30 3. Grands axes de la politique sécurité-défense de la Russie en Afrique .......................... 33 a) La lutte contre le terrorisme .................................................................................... 33 b) De l’activité des sociétés militaires privées russes en Afrique ............................... 34 4. Enjeux politico-diplomatiques : priorité des priorités ? ................................................ 35 a) Les Printemps arabes au Maghreb – Une Russie contre-révolutionnaire .............. 36 b) L’Afrique comme champ de désenclavement politique ........................................ 37 c) La présence russe en Afrique : terrain de construction d’un ordre international alternatif « post-occidental » ? .......................................................................................... 39 Conclusion – Chine, Russie et UE/États européens : acteurs antagonistes en Afrique ?43 Bibliographie ................................................................................................................. 47 v
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Liste des acronymes APL Armée populaire de Libération BAII Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures BRICS Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud (groupement) CSNU Conseil de sécurité des Nations-Unies FOCAC Forum sur la coopération Chine-Afrique IDE Investissements directs étrangers OBOR One Road, One Belt Initiative (Routes de la Soie) PCC Parti communiste chinois RDC République démocratique du Congo RPC République populaire de Chine UA Union africaine UE Union européenne UEE Union économique eurasiatique ix
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Introduction Le 28 novembre dernier, le Président français Emmanuel Macron choisissait une ancienne colonie française d’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso, comme point de départ de sa première tournée en Afrique et y prononcer son discours de politique africaine devant un auditoire de jeunes étudiants à l’université de Ouagadougou1. Le surlendemain, c’est au Ghana, pays membre du Commonwealth et ancienne colonie britannique en Afrique de l'Ouest, qu’il concluait sa tournée africaine, afin, selon la communication officielle de l'Elysée, d’envoyer un « message sur la démocratie, [car] la force de la démocratie ghané- enne est reconnue par tous » 2. Dans l’intervalle de ces deux jours, c’est pour la capitale éco- nomique ivoirienne, Abidjan, qu’il s’était envolé. S’y tenait la cinquième édition du sommet UA-UE réunissant tous les trois ans dirigeants européens et africains avec pour objectif officiel la définition des orientations futures de la coopération entre les deux continents3. Quelques mois plus tard, en mars 2018, le désormais ex-Secrétaire d'État américain, Rex Tillerson, se rendait également en Afrique subsaharienne4. Au même moment, son homologue russe, Sergei Lavrov, y consacrait le déplacement de la délégation diplomatique russe la plus importante depuis trente ans5. Quant à la Chine, elle organisera, en septembre prochain, la septième édition du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), une série de conférences ministérielles entre les dirigeants chinois et leurs homologues africains. À tout le moins, ces différentes visites montrent l’intérêt certain que portent l'ensem- ble des puissances mondiales au continent africain, mais aussi la compétition renouvelée qu’elles semblent s'y livrer. A l’évidence, l’Afrique constitue un enjeu géoéconomique et géopolitique essentiel, pour les nombreux acteurs étatiques présents, que ceux-ci soient consi- dérés comme « traditionnels », « émergents » ou sur le « retour »6, avec quelles lignes de fracture, de coopération et quels enjeux de rivalité. C’est ce à quoi s'attache cette étude. En particulier, on se concentrera sur les implications en Afrique de deux puissances mondiales, non-occidentales et souvent présumées rivales de l’UE. On analysera d’abord les politiques africaines de la République populaire de Chine (RPC), « puissance émergente » qui en moins de vingt ans, est devenue le premier partenaire économique de l’Afrique 7. On en comparera ensuite les résultats avec les politiques africaines de la Fédération de Russie, que nous aurons examiné au préalable afin de définir dans quelle mesure Moscou inscrit son « retour » – réel ou fantasmé – en Afrique. Enfin, à partir de la présentation de l’étendue des présences chinoises er russes sur le continent, on déterminera comment, et dans quelle mesure, celles-ci rentrent en contradiction avec les intérêts européens. 1 Laurent Larcher, « Emmanuel Macron en tournée africaine », La Croix, 27 novembre 2017. 2 Ibid. 3 Conseil européen, 5e sommet Union africaine-UE, 29-30/11/2017, http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2017/11/29-30/. 4 Il s’est rendu à Djibouti, en Éthiopie, au Kenya et au Nigeria. (Après sa tournée africaine, Rex Tillerson est remplacé au département d’État par Mike Pompeo, patron de la CIA, Jeune Afrique, 13 mars 2018). 5 Ainsi, le ministre des Affaires étrangères russe est arrivé à Addis Abeba le vendredi 9 mars 2017 au soir, quel - ques heures avant que son homologue américain n’en parte (RFI, En Afrique, Sergueï Lavrov et Rex Tillerson «s’évitent soigneusement», RFI Afrique, 10 mars 2018). 6 L’on entend par acteurs « traditionnels », les anciennes métropoles coloniales (en premier lieu, la France et Royaume-Uni) mais aussi les États-Unis et l’Union européenne ; et par acteurs « émergents », principalement le Brésil, l’Inde, la Chine auxquels on peut inclure d’autres États actifs en Afrique tels que la Turquie ou encore l’Arabie Saoudite, mais dont on exclut la Russie pour laquelle nous privilégions la terminologie de puissance sur « le retour » en raison de l’implication de l’URSS en Afrique pendant la Guerre Froide. 7 On parle bien ici d’acteur étatique, sans quoi, l’UE prise dans son ensemble est devant la Chine. 1
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Vecteurs et enjeux de la « Chinafrique » : un néo-impérialisme en devenir ? À la base de la politique étrangère chinoise contemporaine se trouve ce que les autorités du Parti communiste chinois (PCC) ont conceptualisé depuis Jiang Zheming comme les « cinq principes de la coexistence pacifique ». Ces principes sont : le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, la non-agression mutuelle, la non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, l’égalité et les bénéfices mutuels et enfin, la coexis- tence pacifique.8 Alors que les critiques occidentales portent sur l’insuffisance de ces seuls principes pour répondre aux défis mondiaux croissants, demandant à Pékin de s’impliquer davantage dans les affaires mondiales, en devenant une puissante dite « responsable », notamment dans la gouvernance de la sécurité africaine9, nous verrons dans quelle mesure l’attachement à ces principes conduit effectivement la politique africaine de la RPC. Parallèlement, il ne faut pas perdre de vue que les États-Unis restent le principal déterminant de la stratégie extérieure de la RPC. D’une part, parce qu’elle est l’unique super- puissance militaire et, dans le même temps, la principale source de menace extérieure pour Pékin. D’autre part, parce que Washington est devenu au cours des deux dernières décennies le premier partenaire économique de Pékin (et réciproquement) conduisant, par ailleurs, leur interdépendance économique à un niveau sans précédent. En conséquence et, en vue de contrebalancer et affaiblir le poids des États-Unis dans les relations internationales, favoriser la multi-polarisation du monde10 et promouvoir le multilatéralisme afin d’accroître son influence11 constituent, à l’évidence, des éléments clés de la stratégie extérieure de Pékin. Dans ce contexte, on verra comment la politique africaine de la RPC s’inscrit dans une stratégie plus large de volonté et d’affirmation de puissance au niveau mondial. Enfin, contrairement aux États-Unis et aux États européens, Union européenne y inclus, Pékin ne conditionne pas son aide et ses investissements au respect de critères normatifs de gouvernance. En revanche, un critère politique essentiel domine : la reconnais- sance de la politique d’une Chine unique12 comme condition préalable pour nouer des 8 Jean-Pierre Cabestan, La politique internationale de la Chine. Entre Intégration et volonté de puissance, p. 75, 2e édition, Paris, Presses de Sciences Po, 2015. 9 En témoigne, la visite officielle en Chine, du Président E. Macron, en janvier 2018, pendant laquelle fût évoquée par Paris la possibilité d’une plus grande association de Pékin à la gestion des affaires internationales, notamment la politique de sécurité au Sahel. 10 Selon Jean-Pierre Cabestan, le discours chinois sur la multipolarité du monde a surtout pour objectif de masquer l’inégalité croissante entre les grandes puissances et d’inciter ces dernières à coopérer avec la Chine, sans les Etats-Unis et sans les Occidentaux, notamment au sein de nouvelles structures multilatérales (OCS, BRICS). (Jean-Pierre Cabestan, 2015 op.cit.). Dans cette perspective, l’objectif réel de Pékin correspondrait alors davantage à la recherche d’une forme de bipolarité. 11 L’implication plus grande des forces militaires chinoises, l’Armée populaire de libération (APL), aux forces multinationales de l’ONU en constitue une bonne illustration. Il convient néanmoins de mettre en évidence que le multilatéralisme affiché par Pékin reste largement sélectif et sert surtout ses ambitions de puissance. (Jean- Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p. 201) 12 La reconnaissance de la politique d’une seule Chine implique comme préalable à toute collaboration diplomatique avec Pékin, le retrait de toute relation diplomatique avec Taipei. 1
relations officielles avec la RPC. De ce fait, sur les 54 États constituant le continent africain, seul le Swaziland entretient encore aujourd’hui des relations diplomatiques avec Taipei13. In fine, renforcer le leadership chinois en Asie et devenir, à terme, une puissance aussi influente que les États-Unis dans le monde, et ainsi modifier le fonctionnement des normes et des institutions internationales afin de les rendre davantage conducteur des intérêts du pays figurent désormais comme les priorités clairement établies de la politique étrangère de Xi Jinping.14 Nous allons voir comment la politique africaine de Pékin participe à cette ambition. 1. Présence chinoise en Afrique Si on procède à la cartographie des États les plus favorisés par la présence de la Chine et de ses entreprises sur le continent (cf. infra), on trouve, d’une part, une présence plus marquée dans les pays susceptibles d’assurer au géant asiatique un approvisionnement régulier et au meilleur prix dans les secteurs énergétique et des matières premières minérales et organiques (Angola, Nigeria, Soudan en ce qui concerne l’énergie; Afrique du Sud, République démocratique du Congo dont les sous-sols regorgent de minerais…). D’autre part, la Chine privilégie aussi les marchés les plus prometteurs, c’est-à-dire, les États comptant une large population, et donc d’un vaste marché intérieur réel ou potentiel, ainsi que d’un important besoin en infrastructures (Ethiopie, Nigéria, Algérie, Egypte). Enfin, phénomène plus récent mais amené à prendre de l’importance en raison de la transformation d’une économie chinoise se recentrant sur sa consommation intérieure, de plus en plus d’industriels chinois délocalisent certaines de leurs productions dans des pays d’Afrique prometteurs (Ethiopie). Ces entreprises chinoises installées en Afrique fabriquent des produits destinés à l’export. S’il semble avéré que l’importance et la densité des relations que Pékin entretient avec ses partenaires africains sont donc en grande partie liées à des considérations économiques, il nous faut néanmoins souligner que les petits États moins bien dotés ne sont pas pour autant négligés. Soucieux de maintenir son image de grand pays du Sud et d’y accroitre son influence diplomatique, le ministère chinois des Affaires étrangères veille à ce que ceux-ci reçoivent également une partie du gâteau15. Au total, la République populaire compte 52 missions diplomatiques dans les capitales africaines, contre 49 pour Washington, et est le membre du Conseil de sécurité des Nations unies (hormis donc la taille des contingents éthiopien, bangladeshi, indien, rwandais pakistanais, népalais, égyptien…16) disposant du plus grand nombre de Casques bleus sur le continent – en juillet 2017, plus de 2200, en RDC, Liberia, Mali, Soudan et Soudan du Sud17. Et ce nombre est selon toute vraisemblance appelé à croître ces prochaines années18. 13 Benjamin Roger, Le Burkina Faso annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec Taïwan, Jeune Afrique, 24 mai 2018. 14 Engagée dès 2008, la stratégie d’affirmation de la puissance devient plus nette encore à partir de 2012-2013 et, dès 2014, Xi Jinping abandonne officiellement la diplomatie de « profil bas » prônée par Deng Xiaoping. 15 Jean-Pierre Cabestan, 2015 op.cit., p. 488. 16 Pour toutes données couvrant les missions de maintien de la paix des Nations Unies, voir site officiel : https://peacekeeping.un.org/en/troop-and-police-contributors 17 Munich Security Report 2018. To the Brink – and Back?, p.25; données fournies par le Mercator Institute for China Studies (MERICS), “China’s Emergence as a Global Security Actor: Strategies for Europe”, juillet 2017. 18 Ibid. 2
2. Dimension économique Le volet économique occupe une place primordiale dans la politique africaine de Pékin et dans les relations sino-africaines. En Afrique, la Chine a consolidé sa présence depuis une quinzaine d’années, jusqu’à devenir le premier investisseur en termes de volume de capitaux investis (IDE)19 et le principal partenaire économique et commercial.20 En 2016, 19 La Chine représenterait ainsi 39% des volumes de capitaux étrangers investis sur le continent africain. Cf. Charles Bouessel du Bourg, Infographies: en 2016, la Chine est devenue le premier investisseur étranger en Afrique, Jeune Afrique, 24 août 2017). 20 Charles Bouessel du Bourg, 24 août 2017, op.cit. 3
leurs échanges commerciaux ont atteint 160 milliards d’euros, soit davantage que ceux du continent africain avec l’Inde, la France et les États-Unis réunis21. Ce renforcement croissant de la présence chinoise en Afrique est visible non seulement à travers les investissements de ses entreprises publiques et privées, mais aussi via l’aide au développement, le soutien d’État à la construction d’infrastructures et, enfin, le dialogue avec les dirigeants africains. Cette coopération entre la Chine et l’Afrique s’est ainsi matérialisée dès 2000 par un forum qui réunissait alors déjà 44 pays africains : le Forum de coopération sino-africain (FOCAC) qui se tient depuis alternativement tous les trois ans en Chine ou sur le continent africain. Les relations sino-africaines furent également marquées par la publication, en janvier 2006, d’un Livre blanc - La politique de la Chine à l’égard de l’Afrique - dans lequel sont évoqués les objectifs de leur coopération sur les plans politique, économique, militaire et culturel. Dans les faits, cette publication s’efforce surtout de démontrer le rôle positif joué par la Chine sur le continent africain et de répondre aux critiques portées sur les effets pervers de sa coopération.22 En 2013, le gouvernement chinois réitéra cet exercice dans un Livre blanc consacré à la coopération économique et commerciale sino-africaine, et selon le sinologue Jean-Pierre Cabestan, plus encore que par le passé, cette publication a rendu manifeste « la volonté de Pékin de se justifier et de contrer les accusations contre le caractère prédateur, voire néocolonial, de la présence chinoise en Afrique »23. a) Répondre à des besoins considérables de matières premières Le caractère « prédateur » prêté par beaucoup en Occident, mais aussi parfois (et de plus en plus souvent) par les acteurs africains eux-mêmes, à la politique africaine de Pékin est lié à son insatiable appétit pour les ressources naturelles dont dispose l’Afrique, appétit découlant directement de l’essor de l’économie chinoise ces dernières décennies. La croissance soutenue par l’industrie chinoise s’est doublée d’un besoin exponentiel en hydrocarbures et en matières premières pour alimenter les lignes de production, créant une situation de dépendance vis-à-vis de l’extérieur en matière de minerais et d’approvisionnement énergétique. Les réserves en minerais de l’Afrique sont essentielles à l’industrie chinoise et, comme pour le pétrole, la « diplomatie des ressources » chinoise accorde dès lors prêts, remises de dette et constructions d’infrastructures en échange d’un accès privilégié à ses entreprises aux précieuses matières premières africaines. Le Niger, constitue, à cet égard, une importante réserve d’uranium, le Zimbabwe de platine et de chrome, et tandis que les sous- sols de l’Afrique du Sud24 et de la République démocratique du Congo (RDC) regorgent de minerais25, le Congo-Brazzaville et la Zambie exportent du cuivre26, la Guinée de la bauxite, et de nombreux États ont d’importantes réserves de fer et de bois mais, de toutes les 21 Sébastien Le Belzic, Le Maroc et les nouvelles routes de la soie : la troisième voie, Le Monde Afrique, 4 décembre 2017. 22 Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p. 510. 23 Ibid. 24 L’Afrique du Sud détient les plus grandes réserves mondiales de platine et de chrome. 25 La RDC est le premier producteur et exportateur mondial de cobalt, crucial pour la production de batteries lithium-ion utilisées dans les secteurs automobile (voitures électriques) et de la téléphonie. La RDC est aussi, entre autres, une importante productrice de coltan et de cuivre. 26 80% de la production zambienne de cuivre prendrait chaque année la route de la Chine, selon les données du cabinet international Deloitte (Ristel Tchounand, Chine / Matières premières : indispensable Afrique ?, La Tribune Afrique, 1 avril 2017). 4
ressources dont regorgent les sols et sous-sols africains, c’est l’enjeu énergétique, et plus particulièrement le pétrole, qui suscite le plus la convoitise de la République populaire. En effet, longtemps auto-suffisante en hydrocarbures, la Chine est devenu importateur net de pétrole dès 199327. Ses besoins pétroliers augmentant parallèlement à son essor économique, les volumes importés atteignirent dès 2010 plus de la moitié de la consommation domestique chinoise et, dès 2013, la Chine est devenue le premier importateur mondial de pétrole28. En 2016, la Chine se classait au 2e rang mondial des plus gros consom- mateurs, mais sa production ne couvrant désormais qu’environ le tiers de sa consommation, la République populaire se voit désormais contrainte d’importer les deux tiers de ses besoins restants. Cette situation a rendu la Chine particulièrement dépendante du Moyen-Orient d’où provient la moitié de ses importations. Aussi, compte tenu de l’influence américaine sur la zone et de la très grande instabilité régionale qui s’y est diffusée au cours des deux dernières décennies en particulier, cette vulnérabilité géopolitique a poussé Pékin à diversifier ses sources d’approvisionnement afin d’en garantir la régularité au meilleur prix possible. En parallèle, l’Afrique constitue avec un peu moins de 8% des réserves mondiales de pétrole la troisième réserve au monde29. Largement destiné à l’exportation (à 90% environ30), le pétrole africain, apparait dès lors, aux yeux de Pékin, comme une solution de premier plan, afin d’amoindrir sa dépendance envers les producteurs du Moyen-Orient. Pékin y lie activités de prospection, prises de participation et achats, et c’est plus particulièrement la région du golfe de Guinée, et surtout l’Angola, qui vient nourrir la soif chinoise. En près de 10 ans, Ryad a ainsi perdu près de 10% de ses parts sur le marché chinois au profit de la Russie, de l’Iran et de l’Angola. En 2016, l’Angola fournissait 16% du pétrole à la Chine, soit autant que l’Arabie Saoudite (16%), contre 17% pour la Russie.31 Outre la nécessité de répondre aux besoins énergétiques de son économie, le secteur agroalimentaire, et plus précisément les terres agricoles qui en raison de la désertification croissante et d’une urbanisation non contrôlée commencent à manquer en Chine32, constituent un autre secteur d’intérêt pour la Chine en Afrique. Par ailleurs, depuis 2003, la Chine est devenue importatrice nette de produits agricoles. Néanmoins, comme le précise Deborah Brautigam, professeure à l’université Johns-Hopkins, « on est bien loin de l’accaparement des terres fantasmé par les médias occidentaux », et l’achat de terres agricoles africaines par la Chine reste en réalité assez marginal en comparaison avec le volume total des investisse- ments chinois sur le continent33. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que c’est en relation avec les secteurs des matières premières et des énergies fossiles que la Chine investit le plus. Ce qui ne fait que conforter le lien étroit entre les besoins de l’économie chinoise et le développement des investissements en Afrique. Enfin, il convient de porter un éclairage sur la nature des inves- tissements en provenance de Chine. Ceux-ci associent des fonds d’aide directe au développe- ment34 et des investissements de sociétés privées, mais aussi de grandes entreprises publi- 27 Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p.181. 28 Ibid, p. 75. 29 Après le Proche-Orient et l’Amérique latine. (Pascal Le Pautremeat, L’Afrique : entre défis et succès potentiels, loin des fatalités, Diploweb.com, 3 octobre 2015). 30 Frédéric Munier, Géopolitique du pétrole : l’Afrique terrain de bataille, Diploweb.com, 11 septembre 2016. 31 Emmanuel Hache, Fake news ou pragmatisme chinois sur les marchés internationaux ?, Tribune, Iris, 28 septembre 2017. 32 La Chine possède 7 % des terres arables dans le monde, pour une population mondiale de 20 %. 33 Christophe Le Bec, La Chinafrique fait sa révolution, Jeune Afrique, 17 novembre 2015. 34 Les méthodes de calcul de l’aide chinoise diffèrent de celles de l’OCDE : à l’aide directe, Pékin ajoute le financement du développement. Ainsi l’aide au développement chinois comprend les dons en devises et en nature, les prêts sans intérêts et concessionnels, les dépenses de formation et d’assistance technique, ainsi que 5
ques. En effet, les conglomérats à capitaux d’État occupent un rôle central dans le développe- ment des investissements chinois dans les infrastructures, tant en Chine même qu’à l’étran- ger. Quant au financement de ces investissements, il s’appuie notamment sur des fonds pu- blics, ainsi que la BAII35, ce qui invite de nombreux experts à faire mention de l’émergence d’un consensus de Pékin (voir infra). Focus sur le système chinois de prêts « infrastructures contre matières premières » : le « modèle angolais » Le « modèle angolais » est l’illustration parfaite de l’importance prioritaire accordée par la diplomatie chinoise aux États richement dotés en matières premières. L’aide chinoise – souvent sous forme de prêts - est alors liée à la réalisation de projets impliquant des entreprises chinoises dont le financement est garanti par l’exportation vers la Chine de pétrole ou minerais. En Angola, la Chine a ainsi construit l’industrie pétrolière en échange d’un accès privilégié à son pétrole, mais ce système a aussi permis l’implantation durable d’entreprises chinoises, principalement d’infrastructures (routes, voies ferrées, distribution d’électricité, télécommunications) et de construction, notamment un plan d’un million de logements. En 2016, l’Angola fournissait ainsi à la Chine 16% du volume total de ses besoins en pétrole, soit autant que l’Arabie Saoudite – seule la Russie faisant mieux avec 17%. L’Angola est également le second partenaire commercial de Pékin en Afrique et, comptant au moins 400.000 individus, la diaspora chinoise en Angola forme l’une des plus importantes communautés chinoises du continent africain. L’origine du développement de ce modèle, au début des années 2000, est liée à la faible crédibilité internationale dont jouissaient alors les autorités angolaises, rebutant les investisseurs et bailleurs de fonds étrangers (FMI, BM) ne souhaitant pas s’y risquer à financer des projets de développement. Les autorités et les entreprises chinoises ne s’embarrassant pas d’autant de précautions, il en découla une relation étroite, mais aussi particulièrement opaque entre celles-ci, d’une part, et les militaires angolais et la famille de l’ancien président dos Santos, d’autre part. Enfin, parallèlement aux relations politiques, la coopération militaire entre la Chine et l’Angola, a connu de développements significatifs sous le règne de José Eduardo Dos Santos. Toutefois, le régime angolais a récemment connu une évolution majeure : le départ du pouvoir présidentiel de José Eduardo dos Santos, qui s’y était maintenu trente-huit ans, et la victoire électorale de son dauphin et remplaçant João Lourenço, investi troisième président angolais le 26 septembre 2017. Depuis, un nombre important de proches du clan dos Santos dont directement les enfants du prédécesseur eux-mêmes, ont été écartés d’institutions clefs du pouvoir angolais, laissant deviner, contrairement à ce que de nombreux observateurs anticipaient, une marge de manœuvre accrue du nouveau chef d’Etat angolais, que l’on dit parfois proche des États-Unis. Plus récemment, en septembre 2017, la Chine et la Guinée ont signé un accord similaire à 20 milliards de dollars. Cet accord cadre prévoit l'octroi de ressources minières guinéennes à des sociétés chinoises contre le financement d'infrastructures à hauteur de 20 milliards de dollars. Parmi les projets prévus dans l’accord figurent une raffinerie d’alumine et deux mines de bauxite. les annulations de dettes. Par ailleurs, si aucune condition de bonne gouvernance n’est attachée à l’aide chinoise, celle-ci reste en grande partie liée à des projets de développement ou d’infrastructures qui stimulent les relations économiques sino-africaines, favorisant les exportations chinoises. (Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit.) 35 Acronyme pour Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. 6
b) Conquête du marché africain et débouchés chinois En sus de la priorité qu’accorde Pékin à la sécurisation de ses importations de pétrole et de matières premières africaines, le commerce sino-africain est également stimulé par les exportations chinoises de matériaux nécessaires à la réalisation des projets d’infrastructures financés par des bailleurs chinois sur le continent africain ou de produits de consommation bon marché, voire désormais haut de gamme. Les entreprises chinoises signent aujourd’hui près du tiers des contrats internationaux de développement d’infrastructures en Afrique36. En sus des infrastructures d’industries extractives (ressources minières et pétrolières), la Chine et ses entreprises investissent aussi dans les secteurs financier, de la construction et – plus modestement – manufacturier et agricole. Les autorités chinoises ont notamment crée des parcs industriels au Nigeria, en Zambie, en Éthiopie et à l'île Maurice. Ces parcs favorisent l’implantation d’entreprises chinoises dans le secteur manufacturier. La densité et la diversification de ces investissements assurent à la Chine continentale un double objectif. Premièrement, d’accroître les échanges avec les pays d’Afrique, en vue de maintenir un taux de croissance élevé, et deuxièmement, de se positionner comme un acteur économique et commercial incontournable pour les prochaines décennies. C’est ainsi, que les investissements en Afrique, coïncident, avec le ralentissement tendanciel de la croissance économique chinoise, passée de 14,2 % en 2007 à 6,3 % en 2017. La baisse relative mais réelle de la croissance de l’économie chinoise a donc eu un impact direct sur la multiplication des projets d’acquisition et de construction des infrastruc- tures en Afrique et à l’international37. Le lancement du projet des Nouvelles Routes de la Soie en 2013 en est une illustration. Par ailleurs, le contraste entre la « facilité » avec laquelle la RPC peut mobiliser ses importantes réserves en devises pour investir à l’étranger et les difficultés des acteurs « traditionnels » à investir des capitaux aussi importants offre à Pékin l’opportunité d’exercer son influence politique et son soft power, particulièrement en Afrique. Aussi, conscients de l’interdépendance entre leur économie et celle du reste du monde, les dirigeants chinois entendent-ils multiplier les investissements dans les infrastruc- tures sur la scène internationale. C’est notamment dans ce cadre qu’est né le projet One Belt, One Road (OBOR) auquel prend pleinement part l’Afrique de l’Est, avec pour objectif éco- nomique premier aux yeux de Pékin de relancer ses exportations en économisant sur les coûts de transport et de logistique. Le ralentissement de la croissance mondiale depuis la crise bancaire et financière de 2007-2008 a entraîné un affaiblissement de la demande internationale en produits chinois. A cette interdépendance entre l’économie mondiale et l’économie chinoise, s’ajoute pour l’em- pire du Milieu, des coûts de production toujours plus élevés en raison d’une perte de compéti- tivité et, en conséquence, des exportations et des taux de croissance dégringolant.38 Pour y répondre, Xi Jinping lance dès 2013 le projet OBOR39, plus communément appelée « Nou- velles Routes de la Soie », dans une optique de renforcer la dimension stratégique de la « connectivité » de la Chine au reste du monde et particulièrement à l’Asie du Sud, le Moyen- Orient, l’Europe-Eurasie et l’Afrique. Ce programme, devrait - en multipliant la construction de lignes de communication routières, ferroviaires et maritimes (ainsi que le câblage internet) afin de relier la Chine à l’Europe et à l’Afrique - permettre une économie sur les coûts de transport et de logistique et 36 Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p.508. 37 Ibid. 38 Sébastien Le Belzic, L’Afrique au cœur de la nouvelle Route de la soie, Le Monde Afrique, 24 avril 2017. 39 Acronyme de « One Belt, One Road », littéralement : « une ceinture, une route ». 7
donc in fine relancer les exportations chinoises, mais aussi donner un nouvel élan à la relation Chine-Afrique en y associant notamment l’Afrique de l’Est (Ethiopie, Djibouti, Kenya), l’Egypte, l’Afrique du Sud ou encore le Maroc40. Ce sont ainsi plus de la moitié des investissements prévus par la Chine dans le cadre de ces Nouvelles Routes de la Soie qui serait consacrée à l’Afrique : « Ce sont surtout les installations portuaires qui sont concernées. L’encerclement du continent par une dizaine de ports financés par la Chine correspond ainsi à cette ‘ceinture’ évoquée par Pékin. 90 % des importations et des exportations africaines passent par la mer. Durban en Afrique du Sud et Port-Saïd en Egypte étant les deux plus importants ports de conteneurs du continent africain, il était indispensable de proposer d’autres portes d’entrée dans la corne de l’Afrique et en Afrique de l’Ouest et du Nord. »41. Pour les entreprises chinoises exportatrices de biens, si la communauté considérable d’expatriés et touristes chinois constituent une cible, cette « nouvelle route » est également une opportunité de s’imposer hors de Chine et de séduire une clientèle africaine de plus en plus tournée vers la Chine et ses produits haut de gamme 42. Ainsi, selon la Banque africaine de développement (BAD), la classe moyenne africaine atteint déjà 350 millions de personnes, soit autant qu’en Chine continentale43. Enfin, pour des raisons déjà évoquées (voir supra), fluidifier le transport de matières premières du continent africain vers le géant asiatique et faire du continent noir une plate-forme de production vers l’Europe constituent également des objectifs économiques primordiaux de ce grand dessein. En effet, les ambitions de ce programme sont aussi, naturellement, stratégiques. Ces nouvelles voies de communications commerciales sont un moyen, pour Pékin, de faciliter l’accroissement de son influence politique, et au-delà, de propager son soft power et son modèle de modernisation autoritaire (voir infra Consensus de Pékin). Aussi, la République populaire entend se développer comme une nouvelle puissance maritime à même de faire face aux États-Unis44. En plus de l’usage commercial, plusieurs de ses nouvelles installations portuaires serviront également un usage militaire. C’est le cas notamment de Djibouti qui accueille aujourd’hui la première base militaire chinoise à l’étranger (voir infra), mais aussi de Sao Tomé-et-Principe, des Seychelles et de Walvis Bay en Namibie, tous concernés par des développements similaires quoique de moindre importance45. Enfin, l’un des enjeux du projet est la maîtrise des standards, de la classification et des normes du commerce engendré. L’objectif est donc également d’influencer sur la mondialisation juridique jusqu’ici largement dominée par les États-Unis et dans une moindre mesure par l’Europe46. 40 Sébastien Le Belzic, Ces marques chinoises qui débarquent en Afrique, Le Monde Afrique, 22 janvier 2018. ; Pour une analyse inverse, selon laquelle, l’Afrique ne sera pas associée au projet OBOR, voir : Agnès Faivre, Thierry Pairault : « La présence des Chinois en Afrique n'est pas une présence d'investisseurs », Le Point Afrique, 20 février 2018. 41 Sébastien Le Belzic, L’Afrique au cœur de la nouvelle Route de la soie, Le Monde Afrique, 24 avril 2017. 42 Sébastien Le Belzic, Ces marques chinoises qui débarquent en Afrique, Le Monde Afrique, 22 janvier 2018. 43 Ibid. 44 Sébastien Le Belzic, L’Afrique au cœur de la nouvelle Route de la soie, Le Monde Afrique, 24 avril 2017. 45 Ibid. 46 Antoine Garapon, Les nouvelles routes de la soie : La voie chinoise de la mondialisation, IHEJ, 26 novembre 2016. 8
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Focus sur l’Ethiopie : un miracle chinois en Afrique ? Pékin et Addis-Abeba ont établi un partenariat stratégique global dès 2003 et, depuis, les échanges de visites entre gouvernements et partis au pouvoir se sont multipliés. À partir de 2006, Pékin s’est engagé dans la mise en œuvre d’importants projets d’infrastructures en Ethiopie représentant 10% de l’ensemble des projets chinois sur le continent. Dès 2008, la RPC y établit un premier parc industriel où un nombre croissant d’entreprises chinoises sont venues s’installer et investir dans des secteurs variés tels que le cuir, la chaussure et l’assemblage automobile. Fort du succès de cette première expérience, et tablant sur les facilités légales introduites par les autorités éthiopiennes afin de faire du pays un des environnements les plus favorables aux investissements étrangers en Afrique, le pays inaugura à l’été 2016 un parc industriel plus grand encore, le Hawassa Industrial Park, situé à 300 km d’Addis-Abeba. Ce parc, d’un millier de kilomètres carrés, construit et développé avec des capitaux chinois est essentiellement destiné à développer l’industrie du textile et de l’habillement. Plus récemment, le 1er janvier 2018, a été inaugurée une ligne ferroviaire électrifiée, de 756 km, reliant l'Éthiopie à Djibouti construite par deux sociétés chinoises, la China rail engineering corporation et la China civil engineering construction corporation. Cette ligne permettant le transport de fret et de personnes, en partie financée par la banque Exim Bank of China, a coûté quatre milliards de dollars. Ainsi, pauvre en ressources naturelles, l’Ethiopie est pourtant devenue, depuis le début des années 2000, le principal bénéficiaire des prêts chinois en Afrique, ayant engrangé des financements pour la construction d’infrastructures pour un montant de l’ordre 12,3 milliards de dollars au cours des quinze dernières années. À titre de comparaison, cela correspond à plus du double des montants prêtés ensemble au Soudan, producteur de pétrole, et à la RDC, dont les sous-sols regorgent de minerais. À l’évidence, l’intérêt que la République populaire porte à l’Ethiopie ne porte pas sur les matières premières dont elle pourrait bénéficier. En revanche, la croissance soutenue qu’affiche l’Ethiopie depuis près d’une décennie, ainsi que sa large population de plus de 100 millions d’habitants, font du pays un marché particulièrement attractif à pour les entreprises chinoises désirant écouler leurs produits et soucieuses d’y produire à bas coûts. Au plan diplomatique, un second élément séduit également Pékin. L’Ethiopie est en effet une puissance régionale importante, arbitrant le siège de l’Union africaine (UA), et qui n’hésite pas à s’impliquer dans le règlement des conflits régionaux, notamment en Somalie et au Soudan du Sud. Autant d’éléments qui intéressent le régime chinois et ses ambitions internationales croissantes. Le développement de l’Afrique de l’Est présente un intérêt stratégique majeur pour la Chine car celui-ci lui permet de consolider ses politiques de sécurité et de défense, mise au point dans le but de garantir la sécurité de ses voies d’approvisionnement maritimes et d’ac- croître ses points de relais et sa présence militaire dans la région de l’océan Indien 47. L’ex- emple éthiopien permet d’illustrer qu’en sus de la sécurisation de son approvisionnement en matières premières, la politique africaine de la Chine relève aussi d’une ambition plus large, à la fois dans sa dimension économique, mais aussi dans sa volonté holistique d’être présente sur les autres fronts : diplomatique, stratégique, politique et culturelle48. 47 Jeune Afrique, Les Chinois en Afrique : où sont-ils ? Que font-ils ?, 12 mars 2014. 48 Notamment à travers la diffusion des instituts Confucius, dispensant des cours de langue (mandarin) et de culture chinoises. 10
3. Enjeux politico-diplomatiques et idéologiques Ainsi, à travers son soutien aux activités chinoises en Afrique, le projet OBOR et l’édification de la BAII, Pékin propose une architecture sino-centrée pour le commerce et l’investissement qui voit son champ d’application en constante augmentation. En consé- quence, la dépendance économique accrue des États africains vis-à-vis de la Chine pourrait permettre à Pékin d'encourager (ou de contraindre) la coopération dans d’autres domaines49. En somme, le développement des flux économiques et commerciaux entre la Chine et l’Afrique concourt donc également à une influence politique grandissante de la République populaire sur le continent africain. Entre la Chine et l’Afrique, les relations ne se sont jamais réduites à des considéra- tions uniquement économiques. Le volet diplomatique des relations sino-africaines permit, autrefois, l’isolement de Taïwan et l’assurance pour la République populaire d’entrer à l'ONU en 1971. Les relations sino-africaines permirent également à Pékin de former des majorités onusiennes capables de barrer la route aux résolutions antichinoises soumises par l’Occident, notamment sur les droits de l’homme50. À l’inverse, le fait que la République populaire soit membre permanent du Conseil de sécurité pèse forcément sur ces États africains qui n’y sont pas représentés et qui peuvent en conséquence compter sur un puissant porte-voix51. Davantage encore depuis Xi Jinping, la politique africaine de Pékin participe d’une stratégie plus large de volonté et d’affirmation de puissance au niveau mondial – l’ambition chinoise de devenir une « puissance globale »52. Les priorités de la politique étrangère de Xi Jinping sont clairement établies : au-delà de la mise en exergue de ses intérêts fondamentaux ou tout simplement nationaux, Pékin souhaite davantage se faire entendre et participer d’une manière plus active à la définition des normes internationales et in fine, devenir une super- puissance aussi influente que les États-Unis dans le monde. Dans cette stratégie, le grand nombre d’États africains – aujourd’hui 54 – et le soutien qu’une grande partie d’entre eux est prêt à apporter à Pékin dans les arènes internationales jouent un rôle évident. À cet égard, si Pékin exerce sa diplomatie en faveur de la multipolarité, en tissant une relation privilégiée avec la puissance régionale sud-africaine (G20, BRICS), elle n’en oublie pour autant aucun État, et plus qu’un simple lieu consacré à la coopération commerciale entre la Chine et l’Afrique, le Forum sur la coopération sino- africain (FOCAC53) est alors l’occasion pour le gouvernement chinois de développer son in- fluence politique et diplomatique sur le continent africain. À mentionner enfin, que l’Afrique constitue le lieu privilégié où le parti-État chinois54 teste la montée de son soft power55 et la possible promotion de son propre modèle de déve- 49 Munich Security Report 2018. To the Brink – and Back?, p.24, disponible en ligne sur : https://www.security conference.de/en/discussion/munich-security-report/munich-security-report-2018/ 50 Jean-Pierre Cabestan, 2015, op.cit., p.507. 51 Xavier Aurégan, « L’avenir de l’Afrique s’écrit-il en Asie? » », Asia focus n°37, Ifri, Juin 2017. 52 Inspiré du concept américain de comprehensive national power, la notion chinoise de « puissance globale » ou « complète » recouvre la capacité d’un pays de préserver et développer l’ensemble des forces matérielles et spirituelles qu’il possède, dans les domaines politique, économique, scientifique et technique, militaire, éducatif et culturel, diplomatique ainsi que de l’accès aux ressources naturelles. (Jean-Pierre Cabestan, op.cit., pp. 133- 134). La plupart des experts chinois et des sinologues occidentaux s’accordent néanmoins pour considérer la Chine actuelle comme une « puissance partielle ». 53 Acronyme anglais pour Forum On China-Africa Cooperation. 54 Le terme de « parti-État » est ici préféré afin de souligner combien le soft power chinois n’est pas tant le résultat d’un rayonnement culturel provenant d’une société civile active sur une base propre et autonome, mais au contraire, une entreprise étatique dirigée par le PCC. En témoigne, la création en 2012 de la Chinese Public 11
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