Vedettes malgré eux Pierre Hétu - Nuit blanche - Érudit
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Document generated on 02/18/2020 5:03 p.m. Nuit blanche Vedettes malgré eux Pierre Hétu Maudite langue! Number 36, June–July–August–September 1989 URI: https://id.erudit.org/iderudit/20143ac See table of contents Publisher(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (print) 1923-3191 (digital) Explore this journal Cite this article Hétu, P. (1989). Vedettes malgré eux. Nuit blanche, (36), 62–64. Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1989 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
II n'a plus qu'à filer son cocon et à s'enterrer dans un livre qui lui sert de chrysalide. Illustration de J.J. Grandville (Jean Ignace Isidore Gerard) Vedettes malgré eux 62 NUIT BLANCHE
Les bons auteurs n'ont pas à lutter pour se faire connaître; au contraire, s'ils répugnent au vedettariat, c'est plutôt à ne pas se faire connaître qu'ils emploient des tactiques de Sioux. L'écriture et le reste. À la recherche de J.D. Salinger de Ian Hamilton (Payot, 1988) tente de déjouer la stratégie d'un des auteurs les plus prisés de ce siècle à défaut d'en être bien connu. Mais il n'est pas le seul à choisir l'incognito. D rôle d'entreprise que celle qui avaient habitués à plus de détails de choses de l'écrivain à part cette consiste à rechercher, envers croustillants. photo antédiluvienne qu'affiche son et contre tous, la trace du héros Au delà de cette constatation, éditeur afin de prouver qu'il fait la qui nous a donné nos premiers L'écriture et le reste rappelle que promotion d'un auteur en chair et en frissons littéraires. Surtout l'anonymat désiré de Salinger n'a rien os — dans le cas de Salinger, le der- lorsque ce personnage s'appelle Je- d'un cas isolé. À tel point que l'on nier cliché officiel date de 1954. Les rome David Salinger, qu'il n'a pas pourrait se demander si, pour un écri- jaquettes des éditions Gallimard nous accordé une seule entrevue depuis vain, la coquetterie suprême ne apprennent également que Ducharme trente-cinq ans, que sa dernière publi- consisterait pas à se retirer de la mêlée est né à Saint-Félix-de-Valois, qu'il cation remonte à vingt-cinq ans et tout en prenant soin de ne pas faire a étudié chez les Clercs de Saint- qu'il demeure l'écrivain fétiche de oublier tout à fait sa production. Ainsi Viateur au Collège de Joliette et à la deux et presque de trois générations se réaliserait le vieux rêve d'une cer- Polytechnique où il a tenu six mois, d'adolescents qui ne parviennent pas taine école formaliste de donner à qu'il a voyagé au Mexique et aux à sortir complètement de l'enfance. l'œuvre une indépendance totale face États-Unis, qu'il est allé dans l'Arc- Voilà du moins la première observa- à son signataire. Un rapide tour d'ho- tique avec l'Armée canadienne — tion que l'on puisse faire après avoir rizon nous en convainc tant sont nom- l'engagement militaire le rapproche lu l'essai biographique très édulcoré breux les auteurs qui se prévalent de encore de Salinger — et qu'il croit que consacre Ian Hamilton (Trad. S. ce privilège. Ces marginaux ano- que «s'il n'y avait pas d'enfants sur Foltz) à l'auteur de L'attrape-cœurs nymes sont presque légion. D'où la terre, il n'y aurait rien de beau». (Laffont, 1986), reclus à Cornish, viennent donc leurs motivations ? Sans Toutes ces pistes conduiraient bien New Hampshire, depuis qu'il a doute de plusieurs sources parmi les- sûr au village natal, puis chez les constaté que le diable et le monde de quelles il serait difficile d'exclure la confrères de classe, les femmes qu'il l'édition se ressemblaient à bien des paranoïa de l'artiste. Mais à lui seul, a aimées, les éditeurs, les produc- égards. Ce qui ne l'empêche pas de ce facteur n'explique pas tout et il teurs, etc. Si d'aventure, le biographe toucher des droits sur les 250 000 faudrait y ajouter le désabusement de arrivait jusqu'à lui, il y a fort à parier exemplaires de son roman qui se ven- ceux qui sont depuis longtemps reve- que Ducharme — qui n'a jamais ac- dent chaque année depuis sa parution nus de tout et qui n'ont plus rien à cordé la moindre entrevue — conti- en 1951 — précisons que, depuis attendre d'un milieu qu'ils vomissent ; nuerait de taire farouchement son his- 1970, le livre est traduit en trente sans doute aussi la timidité couplée à toire. langues. Un tel sujet devait nécessai- une forme de pureté qui se refuserait rement donner de grandes misères à à dissoudre l'œuvre dans la grande L'entourloupette Ajar un biographe, race dont on dit qu'elle chaudrée médiatique. Romain Gary - Emile Ajar appartient pourrait faire regretter d'avoir eu une à une autre catégorie d'écorché vif vie. Dès qu'il est informé du projet, rigolo qui, de sa tanière, arrive à se Salinger allègue qu'un livre du genre Chez nous, Réjean Ducharme payer la tête d'un cercle littéraire qu'il ne ferait pas plaisir à Holden Caul- méprise. Dans son cas, le canular est field. Hamilton ne se décourage pas aussi adroitement construit que la On compte chez nous un beau cas pour autant et, au moment de percer trame d'un excellent roman policier de claustration volontaire et il se un mystère qui s'éclaircissait au fil et ce ne sera qu'après son suicide nomme Réjean Ducharme. À maints des témoignages et du dépouillement qu'on mettra la main sur le codicille égards, l'auteur de L'avalée des ava- d'une précieuse correspondance, une qui permettra de résoudre l'énigme lés (Gallimard, 1982) partage avec Sa- guerre juridique éclate entre l'idole Gary. À l'origine de la métamorphose linger des liens de parenté. D'abord, et son fidèle. L'ermite embauche une de Gary en Ajar, une bonne dose de chacun à sa façon, les deux roman- armée de juristes. D'une politesse cynisme et la conviction que la cri- ciers placent dans l'adolescence une toute britannique, comme les person- tique tend plus souvent qu'autrement sorte de salut en mettant en scène des nages salingériens au sortir des col- à miser sur le nom de l'écrivain pour personnages d'une lucidité aiguë qui lèges de la Côte est, Hamilton s'est encenser ou éreinter une œuvre. L'as- les opposent au monde adulte. Dans plié aux exigences des avocats et aux tuce de l'auteur des Racines du ciel chacune des deux œuvres, le style se ordonnances de la cour pour arriver (Gallimard, 1972) a été telle qu'il caractérise par une simplicité qui à sortir un livre dont l'intérêt réside s'est vu décerner le Goncourt à deux donne l'impression que les héros par- davantage dans la démarche de l'es- reprises. Grâce à la complicité de son lent la langue de ceux qui n'ont pas sayiste que dans les révélations trou- neveu, une réelle biographie du ro- accès à la parole. Imaginons mainte- blantes qu'on eût pu y retrouver sur mancier bicéphale ne s'est avérée pos- nant à quoi ressemblerait une enquête le père de l'emblématique Holden. sible qu'à titre posthume. Comme biographique menée autour du roman- Les biographies non autorisées nous quoi l'aube avait bien tenu sa pro-* cier québécois. Nous connaissons peu NUIT BLANCHE 63
messe. Par son européanité, Gary ap- de vente à leurs principes». Tout cela rive à évoquer l'essai de Hamilton, porte une réponse à Hector Bianciotti à la faveur d'une onéreuse intégrité. Salinger s'est refusé à toute forme qui se demandait dans sa chronique Bien que cette race ne fasse pas beau- de concession aux «trompettes de la du Monde portant sur l'ouvrage de coup d'émulés, il s'en est trouvé pour renommée». Le succès phénoménal Hamilton si « la disparition volontaire dire «non merci» à Bernard. Parmi de L'attrape-cœurs a peut-être assé- en pleine gloire serait une tradition ceux-là, on comptait alors le psycha- ché la plume de son auteur. Quoi de l'Amérique du Nord» (11/11/88). nalyste François Roustang dont l'édi- qu'il en soit, depuis sa retraite, Salin- Pour appuyer son intuition, le critique teur, Jérôme Lindon (Minuit), a res- ger n'a pas publié une seule ligne et évoque les noms de Djuna Barnes pectueusement appuyé le geste. De la question de savoir s'il a malgré qui n'a, paraît-il, reçu personne au son côté, le philosophe François tout continué son œuvre reste ouverte. cours des quarante dernières années George s'élevait contre « l'effet Apos- L'essentiel de cette production litté- de sa vie et de Thomas Pynchon que trophes» qui selon lui reléguait les raire dort-elle dans un tiroir afin de sa mère protégeait des indésirables en vedettes du jour aux oubliettes dans punir la gourmandise de la presse et répondant invariablement aux admira- la huitaine qui suivait leur passage des éditeurs ? En filigrane de son es- teurs et aux journalistes que son fils sur le plateau d'Antenne 2. Des ro- sai, c'est ce que laisse entendre le était chez le coiffeur. manciers comme Marc Cholodenko biographe qui donne à lire un ouvrage et Michel Rio s'opposèrent, quant à courageux et respectueux compte tenu Vedettes malgré eux eux, à l'aspect spectacle qui tend à des circonstances de sa réalisation. Le syndrome Salinger s'avère donc dévaloriser l'œuvre au profit de la Ce jeu de fuites et de poursuites pas- une affection qui ignore les frontières performance médiatique de l'auteur. sionnera aussi bien les admirateurs géographiques. Un reportage réalisé Plus tard, le célèbre auteur du Parfum de Holden Caulfield que ceux de par Libération (11/9/85), à l'occasion (Fayard, 1986), Patrick Sùskind, pré- Sherlock Holmes. Et pour ce qui a de la 500e édition d'Apostrophes vient férera lui aussi rester à l'écart des trait aux inédits que la cour a interdit confirmer cette tendance. Pour souli- projecteurs. Ce qui n'empêchera pas de reproduire dans le livre, on se gner l'événement, le quotidien a mené son roman de faire un succès mondial. consolera en apprenant que la presse une enquête auprès des élus de Pivot Ce trop bref tour d'horizon américaine à grand tirage a sauté sur qui ont décliné son invitation. Comme soulève le problème du difficile équi- l'occasion pour se charger de les on devait s'y attendre, il a fallu cher- libre à conserver entre les aléas de rendre publics ! • cher un peu pour trouver des auteurs la célébrité et les exigences de la créa- prêts à sacrifier ainsi «leur chiffre tion. Pour de multiples raisons qu'ar- Pierre Hétu Le Carnet fantôme Noir de monde Louise Deschênes Julie Vincent roman, 12,95 $ théâtre, 12,95 $ Les Chroniques d'une Seconde L'Enfant de la batture à l'Autre Nicole Houde Marie Savard roman, 12,95 $ livre-cassette, 20,00 $ Sans Danger Immédiat? Encore une partie pour Berri ou L'Avenir de l'humanité sur une Pauline Harvey planète radioactive roman, 11,95 $ Rosalie Bertell (Prix Molson de l'Académie essai, 29,95 $ canadienne-française 1985) (Prix Nobel Alternatif 1986) DISPONIBLES O la pleine lune CHEZ VOTRE LIBRAIRE 223, 34° Avenue, Lachine, H8T 1Z4 64 NUIT BLANCHE
Vous pouvez aussi lire