MARKETING Le low-cost dans la restauration - Cas pratique du restaurant du Vieux-Bourg à Saillon (Valais) Auteur Natalie Sarrasin, HES-SO Valais
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
MARKETING Le low-cost dans la restauration Cas pratique du restaurant du Vieux-Bourg à Saillon (Valais) Auteur Natalie Sarrasin, HES-SO Valais Octobre 2009 Mots-clés restauration, crise, low-cost, stratégie prix, yield management, Saillon, réservation, internet
La problématique de ce cas marketing est de démontrer que l’innovation dans le système de calcul du prix d’un service peut avoir une incidence directe sur la demande. « En restauration, les charges proportion- nelles liées au personnel et aux frais fixes ont augmenté. Le problème, c’est que le nombre de personnes attendues pour un service de midi ou du soir n’est jamais connu à l’avance. Afin de pallier à cette problématique, une réduction de prix est offerte aux personnes qui prennent le temps de réserver quelques jours à l’avance leur table, ça permet de planifier les besoins en personnel et ressources pour le service, de mieux répartir les convives sur la semaine et de soigner l’accueil ». M. Luisier, propriétaire du restaurant le Vieux-Bourg de Saillon. Origine de l’idée de créer un restaurant low-cost M. Claude Luisier est une personnalité bien connue de la région de Saillon. Impliqué dans les sociétés locales, initiateur de nombreuses idées, il est l’une des figures marquantes de la petite bourgade. Depuis vingt-cinq ans, son destin est lié à celui du restaurant le Vieux-Bourg à Saillon dont il est propriétaire. Fort de son expérience dans la restauration (cafetier restaurateur, fromager affineur et service traiteur), il va au bout de sa passion pour les produits authentiques en complétant ses connaissances par une formation de fromager d’alpage en 1985. La réputation des fromages de M. Luisier n’est plus à faire et s’étend jusqu’au Maroc ! Ses compétences en affinage et sa fameuse cave voûtée, spécialement aménagée pour la maturation des fromages, assurent à ses fromages, provenant de tout le Valais et d’ailleurs, un développement exceptionnel. En 1984, M. Luisier débute une activité de traiteur avec « Le Jardin » situé dans la station touristique d’Ovronnaz, à vingt minutes de Saillon. Ce service traiteur basé sur des produits du terroir couvre tout le Valais romand, ainsi que le Chablais, pour une clientèle allant de 10 à 400 personnes et rencontre un franc succès. En 1995, par souci de rationalisation, il ouvre à Leytron, une cuisine pour le service traiteur. Cuisine dont le restaurant du Vieux-Bourg peut bénéficier pour la préparation de ses plats. En effet, pour le restaurant du Vieux-Bourg, le maximum de préparation est assuré par le laboratoire traiteur et au restaurant ne subsiste que la dernière touche et la présentation. La gestion des stocks et du travail est donc ainsi optimisée. Comme beaucoup de restaurants de village, le restaurant du Vieux-Bourg a énormément de peine à 2009 / ns -2-
assurer sa rentabilité. Après une tentative de location et une deuxième de mise en gestion qui se révèlent toutes deux catastrophiques, il décide de reprendre les choses en main. La réputation de l’établissement en a toutefois énormément souffert et le restaurant ne compte quasiment plus de clientèle du village. En 2009, c’est décidé, dernière tentative pour faire fonctionner le restaurant et si cela ne suffit pas, le bistrot sera transformé en appartement ou autre... L’expérience traiteur de M. Luisier lui fait observer que la grande différence entre un restaurant et le service traiteur est la capacité à planifier l’engagement du personnel. Si au traiteur les cuisiniers sont occupés en permanence durant leur temps de travail grâce aux commandes préétablies, au restaurant le cuisinier fait de la mise en place le matin, puis il attend le client. L’occupation de son temps n’est donc pas optimisée. Afin de réduire les coûts de personnel, M. Luisier a introduit la fermeture du restaurant le matin avant 11h et l’après-midi, soit de 15h à 18h, périodes creuses extrêmement difficiles à rentabiliser. L’objectif de ce projet entrepris par M. Luisier est d’augmenter la capacité d’utilisation du personnel de base en l’occupant suffisamment pour atteindre le seuil de rentabilité. Pour le restaurant du Vieux-Bourg, le point mort est dépassé si le restaurant accueille vingt clients en moyenne par jour, entre le service de midi et celui du soir. Voyageant beaucoup, M. Luisier a constaté le succès des offres low-cost liées à l’aviation civile. Sur les vols petits courriers, la différence de service offerte entre les compagnies nationales et les compagnies low- cost n’est pas déterminante. Aussi, il s’est attelé à reproduire le modèle pour son restaurant. Introduire un système de réservation électronique faisant bénéficier au client final d’une réduction substantielle (allant dégressivement en fonction du taux de remplissage du restaurant de 50 à 10%) sur la facture liée à la nourriture et en contrepartie, lui peut mieux planifier l’engagement de son personnel grâce aux réservations anticipées. Les réservations se font sur le site www.vieux-bourg-saillon.ch, il est à relever que cette adresse longue et comportant deux tirets n’est pas optimale à communiquer. Le processus de réservation est peu conventionnel, puisqu’il n’est pas dynamique, mais nécessite deux étapes afin de valider si le jour et à l’heure choisie un rabais est encore disponible. Le design du site n’est pas très actuel, mais permet d’aller à l’essentiel. Le site est uniquement en français. Description du restaurant Le restaurant le Vieux-Bourg est une auberge de village comme on en trouve beaucoup en Suisse. Son enseigne donne le ton : « Le Vieux-Bourg – La maison du fromage ». Comme sa clientèle est principalement touristique, c’est bien les plats du terroir (fondue, raclette, assiette valaisanne, …) que les chalands cherchent en franchissant sa porte. Grâce à ses connaissances personnelles 2009 / ns -3-
dans l’affinage des fromages, M. Luisier a agrémenté sa carte d’un plat du berger, comportant une dégustation à volonté d’une vingtaine de fromages, accompagnés de pommes-de-terre en robe des champs et d’une salade. Ce positionnement « plats du terroir » a permis à M. Luisier d’obtenir le label « saveurs du Valais 2009 » qui est décerné aux restaurants pouvant affirmer « ici, on mange valaisan ». Au bénéfice d’une terrasse ombragée d’une trentaine de places et d’une quarantaine de places intérieures, le restaurant a une capacité maximale d’environ quarante couverts. Or si le week- end la capacité minimale d’une vingtaine de couverts est facilement assurée, ce n’est pas le cas les jours de semaine. En plus des mets traditionnels, le chef propose une carte qui évolue au fil des saisons : le printemps chante le temps des asperges qui est une des grandes spécialités de Saillon, l’été voit arriver son festival de salades, l’automne, le restaurant rencontre un franc succès grâce à son offre de chasse et l’hiver réchauffe les corps avec des plats « grand-mère » qui fleurent bon les senteurs de notre enfance. Lancement du concept Le projet low-cost a été lancé en mars 2009 sur les mercredis et jeudis soirs. En effet, les week- ends le restaurant arrive à assurer une capacité de remplissage suffisant contrairement à la semaine. Devant le succès de ce premier essai, M. Luisier a décidé d’élargir l’offre à l’ensemble de la semaine (week-end compris). A la mi-avril, les médias ont eu vent de son initiative et le restaurant a ainsi profité d’une excellente couverture médiatique gratuite : article rédactionnel dans le Nouvelliste, dans Le Matin, interviews sur Canal 9 et à la TSR. Cette couverture médiatique a augmenté drastiquement la notoriété du concept, du restaurant et de son site internet. Si bien que pour les mois d’avril et mai la demande a doublé du jour au lendemain. Autre constatation, l’ambiance dans le restaurant a également évolué. Le client qui profite de l’offre arrive dans un état d’esprit positif, car il a déjà réalisé une bonne affaire. Son humeur est donc favorable et il est dans de bonnes dispositions pour profiter de son repas, prendre du bon temps et donc consommer mieux ! Certainement que l’accueil chaleureux et le sourire sympathique de Mme Line Dessimoz, l’actuelle tenancière, y sont également pour quelque chose. Du côté de l’offre, la visite du client était attendue, son arrivée a pu être préparée avec grand soin. 2009 / ns -4-
Cette nouvelle augmentation du chiffre d’affaires a même culminé à plus trente pourcent, ce qui était inespéré ! En fait, le chiffre d’affaires augmente, car le comportement du client change. Comme il bénéficie d’un rabais sur la nourriture, le client va profiter de ce « gain » pour choisir une bouteille de meilleure qualité, ou prendre un dessert. Le rabais accordé initialement joue donc le rôle « d’up-seller ». Il est clair que ce comportement n’est pas avéré dans tous les cas, mais globalement le client va s’orienter vers un repas au prix plus élevé que la moyenne. Description de la clientèle La clientèle du restaurant provient principalement de touristes, de personnes hors canton. Le restaurant est boudé des habitants de Saillon, mais après quelques rencontres, il est apparu que cette non fréquentation était liée partiellement aux précédents problèmes de gestion de l’établissement, mais surtout à des considérations historiques difficilement explicables, rationnelles ou convaincantes ! Il existe donc un potentiel réel d’augmentation de la clientèle en se basant sur les nouveaux habitants de Saillon et des environs, c’est-à-dire ceux installés depuis moins de cinq ans. En effet, ces cinq dernières années, la commune a considérablement augmenté son nombre d’habitants (1600 habitants en fin 2003, plus de 2000 fin 2008) et certainement que les nouveaux venus n’auront pas les freins historiques à tester une nouvelle table. De plus, une augmentation de fréquentation du restaurant est apparue après la diffusion d’un encart publicitaire dans le Nouvelliste, ceci tant à valider deux hypothèses : la demande est élastique et le potentiel d’attraction sur un public de proximité est possible. Pour ce qui est de la demande touristique, cette dernière est très saisonnière et volatile, difficile à capter et à lui appliquer une communication ciblée (à coût abordable). Les activités touristiques de Saillon sont largement portées par les Bains qui sont la locomotive touristique du village. Le mythe de Farinet attire également des promeneurs à Saillon, que ce soit pour le sentier des vitraux ou pour la passerelle. Mais il est évident que c’est la vigne à Farinet, travaillée par tant de célébrités, qui est à l’honneur. Chaque année des personnalités des sports, des arts et de la politique viennent la travailler: on y a vu l’Abbé Pierre, le Dalaï Lama, Zinedine Zidane, David Douillet, Caroline de Monaco, Roger Moore, Cécilia Bartoli, etc. Pour le restaurant du Vieux-Bourg, peut-on parler d’une politique de yield management ? Pour répondre à cette question, il faut encore s’en poser une deuxième : qu’est-ce que le yield management ? Ce concept peut se définir ainsi : une politique tarifaire extrêmement flexible et subtile, s’appuyant schématiquement sur l’état de l’offre et sur la nature de la demande. Par rapport aux politiques tarifaires traditionnelles, le yield management est une démarche plus fine, qui 2009 / ns -5-
incite à prendre des décisions et surtout à faire des prévisions, possibilité qui manquait depuis des années. […] Les tarifs pour une même prestation peuvent changer à tout moment, en fonction du client et de sa réservation. La finalité du yield management est d’optimiser les coûts du personnel et de maximiser le chiffre d’affaires total journalier. L’objectif n’est donc pas d’avoir forcément le restaurant plein, mais d’avoir le restaurant plein de clients rentables (adapté de « Les hôteliers découvrent le yield management », Mark Watkins, 1999). La relation avec le client sur le long terme est également importante, aussi il serait intéressant de voir si une stratégie de fidélisation (voire de parrainage) sur le long terme ne pourrait être profitable. Une action dans la tendance Selon M. Luisier, « quand de grands chefs abandonnent leurs établissements pour reprendre de simples brasseries, eux aussi font dans le low-cost » et il n’a pas tord. La tendance actuelle est à l’innovation sur le système de tarification afin d’attirer une nouvelle et plus abondante clientèle. D’un point de vue purement marketing, il est évident que cette pratique est l’une des seules viables sur le long terme et surtout facile à communiquer. Car comment expliquer à un client une pratique du « plus pour le même prix » ? Sur l’ensemble du mix marketing, le prix et la communication, sont les deux points phares sur lesquels un travail peut être réalisé. Et pour le prix, sa variation doit impérativement passer par de la communication. Surtout dans un cas aussi particulier que celui-ci. La difficulté de cette pratique sera donc d’assurer une communication efficace sur le long terme. Mais toute initiative originale est bonne à prendre en cette période de crise où le consommateur, par peur d’un licenciement, d’une baisse du pouvoir d’achat ou autre, hésite à se rendre au restaurant. Autre canton, autre pratique. A Neuchâtel, un restaurant marocain propose à ses clients de fixer eux-mêmes le prix auquel il évalue son repas. Comme M. Luisier, son propriétaire est conscient qu’une telle pratique n’a pas sa place si le restaurant affiche systématiquement de bons taux de remplissage. Aussi c’est sur ses périodes creuses, soit pour lui, le repas de midi, qu’il va instaurer cette pratique ! En principe, il s’en sort très bien : « les gens mettent réellement ce qu'ils veulent; 50% sont très généreux, 15% profitent de l'aubaine pour laisser peu d'argent, et les autres font une estimation très correcte » assure le patron Hocine Akrid. Quelques chiffres Le prix moyen d’un repas au Vieux-Bourg est de trente-cinq francs, alors que le premier prix d’un plat se monte à vingt francs environ. La mise en œuvre de ce nouveau concept implique une réduction de 30% sur la marge de la marchandise. Il est donc impératif, pour la survie de l’établissement, d’accroître en parallèle le chiffre d’affaires. L’objectif est clair : augmenter la fréquentation. Il est évident, comme nous l’affirme Mme Line Dessimoz qu’aucune variation de qualité ne peut intervenir sur le repas. En effet, comment justifier une différence de qualité, de quantité ou de présentation entre une table bénéficiant du rabais et une table adjacente ? Le client ne serait pas dupe ! 2009 / ns -6-
Exemples de consommation Description Cas 1 Cas 2 Salade mêlée 8 Médaillons de cerf 34 Plat du berger (y.c.salade) 32 Salade verte 6 Vin (Cornalin) 44 Salade verte 6 Eau minérale 33cl 4.2 Escalope de volaille (y.c. salade) 24 Plateau de fromage 9 Croûte au fromage 22 Crème brûlée lavande 9 Eau minérale 1l 9 Café 3.4 Café 3.4 Café 3.4 Café 3.4 147 73.8 Nourriture 92 Nourriture 58 Boisson 55 Boisson 15.8 147 73.8 Nourriture à 50% 46 Nourriture à 50% 29 Boisson 55 Boisson 15.8 101 44.8 DIFFRENCE 46 DIFFRENCE 29 Rabais final 31% 39% Nourriture à 25% 69 Nourriture à 25% 43.5 Boisson 55 Boisson 15.8 124 59.3 DIFFRENCE 23 DIFFRENCE 14.5 Rabais final 16% Rabais final 20% Nourriture à 10% 82.8 Nourriture à 10% 52.2 Boisson 55 Boisson 15.8 137.8 68 DIFFRENCE 9.2 DIFFRENCE 5.8 Rabais final 6% Rabais final 8% 2009 / ns -7-
Globalement donc, la stratégie du low-cost porte ses fruits et ses retombées sont très positives pour le restaurant. Selon M. Luisier, en moyenne sur ses clients, c’est un rabais moyen de 10% qu’il accorde, rabais totalement amorti par l’augmentation de son chiffre d’affaires. Economiquement, M. Luisier tourne donc mieux avec un établissement mieux rempli, qu’avec une poignée de clients à plein tarif. Comme la clientèle de seniors a du temps, une capacité à utiliser internet et un intérêt à trouver des bons plans, le taux de remplissage va peut-être se poursuivre au-delà de la vague médiatique. Reste à espérer que le concept survive à cet été caniculaire et surtout permette de changer le comportement des clients en saison creuse. Pour le mois d’août, la tendance positive se confirme, septembre et octobre sont des mois qui fonctionnent bien grâce notamment à la carte de chasse. Le modèle prendra tout son sens entre le 20 novembre et le 20 décembre, période la plus difficile pour le restaurant du Vieux-Bourg. Aura-t-on acquis et fidélisé suffisamment de clientèle pour rentabiliser cette période ? CQFD. 2009 / ns -8-
Vous pouvez aussi lire