VERS UNE NOUVELLE NORMALITÉ : FINANCER UN SECTEUR DES FEMMES PROSPÈRE ET EN SANTÉ - Ontario Nonprofit ...
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VERS UNE NOUVELLE NORMALITÉ : FINANCER UN SECTEUR DES FEMMES PROSPÈRE ET EN SANTÉ CE RAPPORT A ÉTÉ AVEC LA Mai 2020 CORÉDIGÉ PAR : CONTRIBUTION DE : La Fondation canadienne Imagine Canada des femmes Ontario Nonprofit Network (ONN) Le Centre canadien de politiques alternatives 1 Kathleen Lahey
Vers une nouvelle normalité est une série de rapports sur l’égalité des genres dans le contexte de la pandémie de COVID-19. La série examine les risques que fait peser la pandémie sur les droits fondamentaux des femmes, et propose de nouvelles façons de chercher à atteindre l’égalité des genres au Canada dans le cadre des efforts de relance post-pandémie. Copyright © 2020 La Fondation canadienne des femmes se représente et représente les corédactrices, le Centre canadien de politiques alternatives, Ontario Nonprofit Network et Kathleen Lahey. Ce rapport est un document de source ouverte et l’autorisation d’en citer, reproduire ou distribuer gratuitement des extraits est accordée. Les corédactrices doivent être créditées dans les citations et reproductions. Nous remercions Imagine Canada pour sa contribution.
INTRODUCTION La Fondation canadienne des femmes s’associe avec l’Ontario Nonprofit Network (ONN), Imagine Canada, le Centre canadien de politiques alternatives et la professeure Kathleen Lahey pour présenter cette analyse de la situation du secteur des femmes au début de la pandémie et dans le contexte de la crise précipitée par les mesures de confinement. Le présent rapport fait état de l’érosion dont souffraient déjà les organismes au service des femmes et les groupes luttant pour l’équité de genre avant la pandémie, et démontre comment cette érosion a aggravé la vulnérabilité du secteur des femmes dans le contexte actuel d’urgence, laquelle vulnérabilité touche bien sûr principalement les femmes et les autres groupes vulnérables. Les femmes affichent des taux de violence genrée et de précarité financière supérieurs à d’autres groupes de personnes, et les organismes qui les servent sont à l’avant-plan des propositions d’interventions innovantes et opportunes. Malheureusement, des décennies de compressions budgétaires, de financement par projet plutôt qu’au fonctionnement et de mesures d’austérité ont transféré au secteur des femmes la responsabilité des services essentiels de première ligne, comme le soutien aux survivantes d’agression sexuelle, tout en le privant du financement dont il a besoin. La crise de la COVID-19 est l’occasion d’examiner les conditions actuelles du secteur des femmes et de proposer une nouvelle façon d’aller de l’avant aux bailleurs de fonds qui le soutiennent. 1
UN SECTEUR ESSENTIEL, DES SERVICES ESSENTIELS Le terme « secteur des femmes » est Les services offerts par le secteur des employé pour décrire le mouvement des femmes sont des programmes de services femmes et les services offerts aux femmes. sociaux. Les groupes offrent des Les services à l’intention des femmes, selon interventions directes ainsi que des services cette définition, visent à répondre aux globaux et auxiliaires, dont le soutien et le besoins particuliers des femmes et à offrir suivi psychologique, l’éducation et le des programmes fondés sur une analyse de développement des compétences, la genre, dans une optique d’équité. Ces prévention en matière de santé publique services comprennent les refuges pour ainsi qu’un système de soutien qui sert de femmes, les centres de soutien aux filet de sécurité aux femmes et à leurs survivantes d’agression sexuelle et les familles. Ce soutien comprend aussi des centres de femmes. Les services aux activités de sensibilisation après les heures femmes incluent également des organismes de travail, du soutien à la garde d’enfants et qui sont généralement axés sur les services l’accès à des conseils juridiques et communautaires, mais offrent des services financiers. La plupart, si ce n’est la totalité, conçus spécifiquement par et pour les de ces groupes sont des organismes sans femmes. Les mouvements de femmes sont but lucratif ou des organismes de constitués de groupes qui luttent pour bienfaisance. Ces services sont essentiels et l’équité des genres et travaillent sur le plan font partie d’un système de sécurité sociale des politiques et de la défense des droits à sain. Ces groupes travaillent dans le but l’échelle locale, régionale et nationale; ces d’améliorer les déterminants sociaux de la groupes jouent un rôle important dans la santé des personnes, au Canada, qui promotion et l’amélioration des résultats en subissent des oppressions imbriquées et matière d’équité des genres pour les doivent surmonter les obstacles structurels femmes dans toute leur diversité. Ils que ces multiples oppressions dressent s’attaquent également aux inégalités sous- contre elles. jacentes qui vulnérabilisent les femmes sur le plan structurel. 2
DES INÉGALITÉS SOUS-JACENTES : LE SECTEUR DES FEMMES ET LE SYSTÈME FISCAL La Fondation canadienne des femmes est travail de femmes, surtout de femmes l’une des plus importantes fondations pour racisées, immigrantes et autochtones (travail les femmes dans le monde et, parmi les genré et racisé); et les femmes et les fondations canadiennes, l’une des rares à se enfants représentent une importante part consacrer exclusivement aux femmes, aux des populations servies par ces femmes2. questions qui les concernent, aux organismes qui les servent et à l’égalité des genres. Par exemple, parmi plus de 200 80 % fondations énumérées sur le site Internet de des employé-e-s des organismes Charity Village1, moins de dix fondations communautaires et de bienfaisance mentionnent les femmes et les filles, tous sont des femmes contextes confondus. La plupart adoptent une approche « mainstream » qui ne priorise pas les interventions du secteur des Conséquemment, la perception du secteur femmes pouvant être caractérisées comme des femmes est teintée de stéréotypes de étant féministes, intersectionnelles ou genre négatifs : il est considéré comme ancrées dans la reconnaissance des étant dépendant, émotif, inférieur à la obstacles structurels et systémiques à masculinité (c.-à-d. à d’autres secteurs), l’égalité pour tous et toutes. inintelligent, incompétent, et devant Le secteur des femmes fait partie du toujours être guidé et surveillé3. La secteur communautaire et caritatif, un féminisation a des conséquences concrètes secteur historiquement et sur les organismes sans but lucratif et de traditionnellement féminisé, où le genre bienfaisance, leurs employé-e-s et les détermine largement le caractère communautés qu’ils servent. Par exemple, inéquitable et inadéquat du modèle de des dynamiques de pouvoir patriarcales financement. Selon les recherches menées émergent entre les organismes, d’une part, par l’ONN en 2018 au sujet des expériences et les donateurs et bailleurs de fonds, de travail des femmes au sein du secteur d’autre part, ou entre les directions communautaire de l’Ontario, la féminisation générales et les conseils d’administration. du secteur est le produit de divers facteurs. Les travailleuses du secteur sont Par exemple, 80 % des employé-e-s des surchargées, sous-payées et peu valorisées, organismes communautaires et de et les réponses aux besoins des bienfaisance sont des femmes (secteur communautés sont par conséquent majoritairement féminin); une grande partie inadéquatement financées. de leur travail est considérée comme du travail de prestation de soins, donc du 3
DES INÉGALITÉS SOUS-JACENTES : LE SECTEUR DES FEMMES ET LE SYSTÈME FISCAL D’autres facteurs aggravent ce contexte mécanisme permet aux contribuables de pour les organismes du secteur des rediriger ce qui serait autrement des femmes. Les recherches de l’ONN indiquent revenus gouvernementaux vers les activités que les organismes de femmes ont privilégiées par les donateurs et donatrices. davantage de difficulté à être pris au sérieux En 2010, les donatrices n’ont reçu que 29 % par les bailleurs de fonds, et les employé-e-s de ces avantages fiscaux, même si plus de de ces organismes sont moins bien payé-e-s femmes que d’hommes avaient fait des que ceux et celles du secteur en général. dons. En revanche, les donateurs ont reçu 71 Au sein du secteur sans but lucratif, les % des 2,4 milliards de crédits relatifs à des femmes se heurtent encore à un plafond de dons de charité personnels, et 70 % du verre quand vient le moment d’occuper des crédit de 0,4 milliard de dollars des dons de postes ailleurs que dans des organismes de charité faits par des entreprises. Ces femmes. Kate McInturff et Brittany Lambert, données genrées reflètent les faibles du Centre canadien de politiques revenus persistants des femmes ainsi que alternatives, constatent par ailleurs que les leur capacité réduite à faire des dons. Elles femmes employées par les organismes révèlent également que parce que les travaillant pour l’équité des genres sont revenus plus faibles des femmes sont parmi les moins bien rémunérées du secteur imposés à des taux moins élevés d’impôt sur sans but lucratif4. le revenu, dollar pour dollar, les femmes bénéficient en moyenne d’avantages fiscaux Les inégalités sous-jacentes sont également moins élevés en échange de leurs dons que en jeu dans les dynamiques de dons et dans les hommes. Ainsi, comparativement aux la structure fiscale qui sous-tendent le hommes, les femmes en tant que groupe ne secteur des femmes. Sur le plan des dons sont pas en mesure de faire autant de dons en général, les données canadiennes aux organismes de bienfaisance de leur révèlent clairement comment les structures choix, même si, globalement, moins canadiennes de financement d’œuvres de d’hommes font des dons. De plus, les bienfaisance renforcent et amplifient les préférences des hommes en matière de inégalités de genre structurelles existantes. dons de charité sont très différentes de En 2010, le gouvernement fédéral a « celles des femmes : les femmes soutiennent redonné » 2,8 milliards de dollars en crédits des activités de bienfaisance qui d’impôts et remboursements à des individus contribuent à répondre à des besoins et des entreprises qui avaient fait au total fondamentaux comme le logement adéquat, 12,9 milliards de dollars en dons de charité. les soins et les services de santé et Ces crédits d’impôt ont remis 22 % du total l’éducation, tandis que les hommes des dons de charité aux contribuables qui priorisent les sports et les loisirs5. étaient en mesure de réclamer des avantages fiscaux en raison des dons. Ce 4
UN FINANCEMENT ÉRODÉ, DES SERVICES SURSOLLICITÉS ET DES INÉGALITÉS CROISSANTES Le secteur des femmes a connu plusieurs aucune ressource supplémentaire n’a été décennies d’érosion de son financement, en accordée. Ce fut particulièrement le cas en plus d’être affligé par ce système qui Colombie-Britannique, au Québec, en reproduit les inégalités sous-jacentes (et Ontario et en Nouvelle-Écosse. En outre, les peut-être en raison de ce système). Entre femmes ont été presque complètement 2005 et 2015, le secteur a souffert d’une exclues des fonds de relance injectés dans perte de financement fédéral considérable des secteurs majoritairement masculins, lorsque le budget de Condition féminine comme l’industrie de la construction, qui a Canada a été réduit de 37 %, et plus de 30 profité d’un financement massif dans les groupes de femmes ont perdu 100 % de infrastructures en raison de la leur financement6. Le mandat de Condition prédominance genrée des hommes dans féminine Canada a également été restreint, ces industries. de sorte que les organismes ne pouvaient Le secteur des femmes offre des plus lutter efficacement pour l’égalité. De protections essentielles à la santé et à la plus, le financement des organismes sécurité des personnes qui vivent au travaillant principalement auprès des Canada. Pourtant, ses organismes sont communautés immigrantes et réfugiées a partiellement et irrégulièrement financés été réduit en même temps. Selon l’Indice par une combinaison imprévisible de dons d’inégalité de genre des Nations Unies : « À individuels, de dons d’entreprises et de partir de 2005, le Canada a perdu subventions. En plus de prendre beaucoup de terrain dans des domaines énormément de temps à gérer, ce modèle clés de l’égalité de genre, chutant de 13 est inefficace, car les ententes ne durent places au classement mondial de 20087 ». que d’un à trois ans. Conséquemment, les C’est aussi pendant cette décennie qu’est groupes sont constamment en processus survenue la crise financière de 2008 et de recherche, de rédaction de demande et qu’une série de mesures d’austérité ont été de renouvellement d’un financement qui est, mises en place par divers gouvernements la plupart du temps, temporaire et axé sur provinciaux et territoriaux pour réduire un projet précis. Ce modèle s’avère donc leurs dépenses. Conséquemment, de extrêmement fragile. nombreux services pour les femmes ont dû fermer, ce qui a transféré des responsabilités supplémentaires vers d’autres organismes. Certains organismes ont reçu un financement accru pour compenser, mais dans la plupart des cas, 5
UN FINANCEMENT ÉRODÉ, DES SERVICES SURSOLLICITÉS ET DES INÉGALITÉS CROISSANTES Les rapports des organismes financement, il est essentiel d’avoir accès à communautaires et de bienfaisance (tout des données relatives à tous les aspects du particulièrement du secteur des femmes) financement, et que ces données soient révèlent qu’une crise du financement guette exhaustives et actualisées. les groupes. Le Rapport sur les dons de Le financement du secteur des femmes 2018 de CanaDon indique que les dons repose largement sur des entités privées privés au secteur caritatif sont en déclin à comme les entreprises, les fondations et les long terme et que le financement individus, ce qui peut occasionner une perte gouvernemental est de plus en plus dirigé d’autonomie décisionnelle pour de vers les grosses organisations de plus de nombreux organismes. Les groupes ne 200 employé-e-s. Or, en analysant les peuvent plus répondre à des besoins données depuis une perspective de genre, communautaires particuliers ou financer des il est clair que seuls quelques organismes services précis en fonction de leur mission, du secteur des femmes au Canada mais doivent plutôt répondre aux exigences comptent 200 employé-e-s ou plus, ce qui d’un modèle conçu en fonction des priorités exclut tous les autres organismes de ce des bailleurs de fonds. Cela signifie que des changement favorable aux gros organismes. programmes qui fonctionnent bien et La plupart des organismes du secteur des existent depuis plusieurs années doivent femmes emploient moins de 10 personnes, être démantelés, repensés ou réorganisés et selon le rapport sur les dons, ils font pour correspondre au modèle de projet partie de ceux qui mènent des campagnes imposé par les bailleurs de fonds en de financement et d’autofinancement fonction de critères parfois établis sans représentant presque 75 % de leurs consultation ou sans avoir mené de revenus, alors que ce chiffre, chez les recherche sur les pratiques prometteuses. organismes comptant de 10 à 200 employé- Ce financement est parfois conçu pour e-s, se situe plutôt autour de 50 %8. Les soutenir la capacité des organismes à se dons individuels connaissent également une lancer dans l’innovation ou à développer de diminution. En effet, la moyenne des dons nouveaux outils et de nouvelles annuels, pour presque tous les groupes méthodologies. D’autres bailleurs de fonds d’âge, est à la baisse. Le Rapport sur les privés se concentrent seulement sur les « dons de 2020 fait également état de cette coûts directs des programmes », ce qui tendance9. Nous pouvons nous attendre à limite le potentiel des organismes à prendre ce que le déclin des contributions soit part au plaidoyer et à la défense de droits exacerbé par la pandémie. Pourtant, pour ou à se consacrer au développement comprendre l’interaction précise entre les communautaire et à la collaboration écarts structurels de genres et le 6
UN FINANCEMENT ÉRODÉ, DES SERVICES SURSOLLICITÉS ET DES INÉGALITÉS CROISSANTES sectorielle. De plus, ce sont les organismes, financement provincial en grande partie et non les bailleurs de fonds, qui portent le garanti et récurrent. Mais le fait d’opérer fardeau de démontrer l’efficacité et des services financés par le gouvernement l’efficience de la prestation des peut s’avérer problématique pour les programmes, ce qui constitue une charge organismes qui critiquent les politiques de travail supplémentaire. publiques ou militent pour les transformer10. Des organismes du secteur des femmes Au cours des dernières années, la affirment avoir perdu une partie de leur Fondation canadienne des femmes a autonomie ainsi que leur capacité d’exercer financé des services sociaux essentiels qui une influence en matière de politiques ou devraient être pris en charge par le de contester des décisions du gouvernement. Des subventions ont gouvernement en raison de leur soutenu la mise sur pied d’équipes dépendance à l’égard du financement d’intervention en matière d’agression public. Ce problème est inhérent à tout sexuelle dans des collectivités rurales et rapport de financement régulier et garanti, nordiques; financé la création de trousses et peut être atténué en contestant les médico-légales pour les survivantes de viol, dynamiques de pouvoir sous-jacentes à la en Alberta, qui ne veulent pas relation bénéficiaire/bailleur de fonds. immédiatement porter d’accusations; contribué aux salaires d’éducatrices Le gouvernement actuel a augmenté le travaillant auprès des enfants dans des budget et la portée du ministère des maisons d’hébergement pour femmes Femmes et de l’Égalité des genres. Grâce à violentées; et permis d’offrir de la nourriture ces changements, le secteur des femmes et du transport à des participant-e-s de est mieux financé depuis 2015. Néanmoins, programmes. Comme la Fondation se les gouvernements tardent à appliquer de concentre sur les personnes qui font face façon cohérente une analyse fondée sur le au plus grand nombre d’obstacles, elle genre dans plusieurs domaines. De finance souvent les organismes qui ont le nombreuses organisations de femmes moins de moyens. Malheureusement, la d’envergure nationale ont commencé à Fondation canadienne des femmes peut rebâtir leurs capacités, tout comme seulement financer environ 15 % des plusieurs organisations régionales. Par demandes qui lui sont présentées, et à contre, ces efforts ne remplacent chaque cycle de subventions, de nombreux aucunement les capacités antérieures, qui projets importants ne sont pas financés. étaient déjà insuffisantes pour répondre aux besoins des femmes au Canada. C’est pour Certains services, en particulier les refuges cette raison que le Plan national d’action pour femmes, bénéficient actuellement d’un 7
UN FINANCEMENT ÉRODÉ, DES SERVICES SURSOLLICITÉS ET DES INÉGALITÉS CROISSANTES pour l’égalité des genres au Canada et le Plan national de lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles font l’objet d’un appui généralisé. Des mesures comme celles-ci contribueraient grandement à garantir une coordination solide du secteur et une offre de services semblable dans toutes les régions du pays. La proportion du financement attribué au secteur des femmes est moins grande que celle accordée à d’autres secteurs, et les femmes sont doublement désavantagées par le système fiscal. Ce que l’on considère comme « normal » pour le secteur des femmes est en fait une combinaison d’inégalités extrêmes ayant plongé le milieu dans une crise bien avant l’apparition de la pandémie de COVID-19. Le secteur des femmes fait face à des urgences causées par la COVID-19 qui touchent toute la société, mais qui ont, de surcroît, des effets négatifs spécifiques sur les femmes. Les organismes doivent s’activer pour intervenir dans cette situation de crise et offrir davantage de services, et bon nombre d’entre eux le font effectivement en dépit des difficultés. 8
ENTRER DANS LA PANDÉMIE SANS FILET DE SÉCURITÉ Dans le contexte de la pandémie de vingt-deux pour cent (82 %) des organismes COVID-19, en raison du manque d’analyse ont peur de devoir fermer leurs portes11. comparative selon le genre et de données Toute baisse de revenus accable les quantitatives permettant de définir aisément organismes de bienfaisance, quels qu’ils l’étendue de l’impact de la crise sur le soient, mais le secteur des femmes a une secteur des femmes, la Fondation longueur de retard sur le reste du secteur canadienne des femmes, ONN, Imagine en raison des inégalités sous-jacentes. Canada et d’autres groupes se sont tournés Les OSBL et les organismes de bienfaisance vers les enquêtes en ligne, les consultations en général ont rarement des réserves de et les rencontres dans le but d’évaluer les fonds dépassant trois mois d’activité, une effets de la pandémie sur le secteur des norme employée dans le secteur pour femmes. Ainsi, la Fondation canadienne des contrôler leurs revenus et les distinguer des femmes a lancé un questionnaire en ligne le organisations à but lucratif. Lorsque des 23 mars pour recueillir les réactions des organismes parviennent à accumuler organismes à l’égard des impacts initiaux de d’importants surplus, il n’est pas rare que les la pandémie, en plus de consulter ses bailleurs de fonds décident de ne pas les partenaires et de collaborer avec eux pour soutenir. Quelques-uns des organismes qui surveiller et noter leurs besoins et leurs ont répondu au questionnaire de la inquiétudes. Fondation canadienne des femmes Le sondage de la Fondation canadienne des mentionnent être à quelques semaines de femmes a été envoyé à environ 500 devoir fermer leurs portes. Selon l’enquête organismes et a permis de recueillir 120 éclair menée par l’ONN12 au sujet des réponses dans toutes les provinces et tous impacts de la pandémie de COVID-19 sur le les territoires. Un peu plus de la moitié des secteur sans but lucratif et de bienfaisance répondant-e-s affirment être dans une en Ontario, 78 % des organismes situation financière précaire, pour toutes principalement au service des femmes, des sortes de raisons. Certains groupes ont dû filles et des communautés 2ELGBTQI+ fermer leur entreprise sociale, d’autres ont rapportent souffrir d’une perte de revenus annulé des événements de financement ou ou appréhender une perte de revenus liés ne bénéficieront pas des activités de aux campagnes de financement financement d’une tierce partie, et d’autres (événements de financement et dons s’inquiètent des choix des donateurs et annulés, par exemple). Ce pourcentage est donatrices individuel-le-s, qui se tourneront plus élevé que celui rapporté par le reste peut-être vers des services et interventions du secteur (74 %). À peine la moitié des d’urgence relatifs à la COVID-19. Quatre- organismes ayant temporairement cessé 9
ENTRER DANS LA PANDÉMIE SANS FILET DE SÉCURITÉ leurs activités pensaient réussir à survivre avoir surtout besoin d’aide pour payer le jusqu’à six mois. Un peu plus du tiers (36 %) loyer ou l’hypothèque, de soutien pour des répondant-e-s affirment que l’impact garder leurs employé-e-s, de technologie financier total de la pandémie représentera pour répondre à la pandémie, ainsi que d’un moins de 100 000 $, tandis que 23 % des fonds gouvernemental de stabilisation14. répondant-e-s signalent un impact allant de Selon l’Organisation mondiale de la santé, la 100 000 $ à 249 000 $. violence fondée sur le genre augmente Au moment de publier ce rapport, 60 % des dans n’importe quel contexte d’urgence. pertes d’emploi causées par la COVID-19 au Des urgences comme les feux de forêt en Canada étaient subies par des femmes13. Alberta ou les inondations au Québec ont Selon une enquête menée par Imagine créé de multiples chocs pour les familles et Canada, un tiers des organismes de les collectivités : pertes de propriété, bienfaisance ont déjà mis à pied des déplacements, pertes de revenus et employé-e-s à cause de la pandémie, et changements temporaires ou à long terme d’autres organismes prévoient le faire. aux structures communautaires de base. Généralement, les employé-e-s de ces Toutes ces urgences ont eu des impacts en organismes sont des femmes, et la précarité fonction du genre, et le secteur des femmes des organisations a un effet sur la capacité doit être en mesure de faire face aux des femmes à obtenir des emplois décents menaces actuelles et futures à la stabilité au permanents et ainsi améliorer leur sécurité Canada. Dans le cadre du modèle actuel, économique et celle de leurs familles et les organismes continuent de travailler et communautés. Les problèmes de liquidité d’offrir leur expertise dans le contexte d’un ont d’importants effets sur le secteur des financement érodé et précaire. Cette femmes et de nombreux organismes ont situation ne peut plus durer. demandé du financement d’urgence à leur Pendant la crise de la COVID-19, les fondation communautaire locale, à personnes qui travaillent dans le secteur Centraide ou à d’autres bailleurs de fonds des femmes offrent des services essentiels : locaux. L’enquête éclair de l’ONN révèle elles doivent répondre à une augmentation que 40 % des organismes principalement de la violence fondée sur le genre; elles au service des femmes, des filles et des soutiennent des femmes et des enfants en communautés 2ELGBTQI+ rapportent avoir situation de logement précaire et dont la besoin de moins de 100 000 $ en sécurité alimentaire est compromise; elles financement d’urgence pour maintenir leurs offrent des services de garde d’enfants activités et répondre à l’augmentation de la d’urgence; et elles assurent des services demande. Les organismes mentionnent communautaires vigoureux et flexibles, 10
ENTRER DANS LA PANDÉMIE SANS FILET DE SÉCURITÉ capables de s’adapter aux circonstances les qu’un vaccin fiable ne sera pas disponible à plus exigeantes. Le sondage mené par la grande échelle. Selon certaines sources, cette Fondation canadienne des femmes révèle situation pourrait même perdurer de 12 à 24 que 67 % des répondant-e-s disent avoir mois, et s’ajoute à d’autres crises potentielles, lancé de nouveaux programmes ou services comme les inondations à Fort McMurray et en réponse à la pandémie; un peu plus de la divers phénomènes météorologiques liés aux moitié disent avoir constaté une changements climatiques. augmentation allant jusqu’à 30 % de la De nombreux organismes ont pris des demande de services à laquelle elles étaient mesures pour changer leur façon de faire en mesure de répondre. Plusieurs ont perdu afin de continuer à fournir leurs services, des bénévoles, non seulement à cause des notamment en offrant un service en ligne ou mesures de confinement, mais aussi parce par téléphone. L’enquête éclair menée par qu’une grande partie des bénévoles sont l’ONN révèle que 83 % des répondant-e-s des personnes retraitées ou handicapées, connaissent ou appréhendent une deux groupes particulièrement vulnérables perturbation de leurs services aux individus à la COVID-19. et à la communauté. Six organismes sur dix C’est dans ce contexte que la demande de (59 %) disent être ouverts et en service, services offerts par le secteur des femmes a mais ont dû modifier leur mode d’opération augmenté durant la pandémie. Les mesures habituel, et 19 % des groupes (presque un d’isolement ont exacerbé la violence sur cinq) ont dû fermer leurs portes15. conjugale et sexuelle, et les enfants et les Tout cela s’ajoute au stress que subissent les jeunes subissent davantage de violence travailleuses et travailleurs de première familiale, de négligence et de maltraitance, ligne, qui doivent réinventer leurs ou en sont davantage témoins. À cause des méthodes, se familiariser avec de nouvelles fermetures, les bénéficiaires des services technologies et tenir compte des questions n’ont toutefois plus accès aux organismes liées à la confidentialité et à la tenue de qui les soutiennent. dossiers tout en s’ajustant à la réalité du Même dans les provinces qui ont commencé télétravail. Un grand nombre d’employé-e-s à lever les restrictions afin que certains doivent s’adapter à ces nouvelles réalités secteurs (comme la vente au détail, le secteur sans la moindre mesure de soutien manufacturier et les chantiers de supplémentaire. Seule une petite minorité construction) puissent reprendre leurs de ces employé-e-s disposait déjà d’un activités, l’isolement social et les autres espace de bureau à domicile, mais tout le mesures seront vraisemblablement réactivés monde a dû s’ajuster rapidement pour sporadiquement tant et aussi longtemps réussir à travailler de la maison, dans des 11
ENTRER DANS LA PANDÉMIE SANS FILET DE SÉCURITÉ espaces aucunement conçus pour le travail Le passage au télétravail et la nécessité de à domicile. Il est soudainement devenu scolariser les enfants à la maison ont créé nécessaire, par exemple, de mettre à niveau une pression supplémentaire qui est le service Internet sans fil à la maison, de largement encaissée par les femmes sur le réquisitionner des espaces familiaux pour le marché du travail. La charge liée à la garde travail et de partager des ordinateurs, des enfants, par exemple, retombe téléphones et autres appareils, souvent sans généralement sur les femmes, et celles-ci aucune forme de compensation de la part sont plus isolées que jamais dans la crise de l’employeur. Il ne s’agit là que d’une actuelle. En effet, en temps normal, les partie des coûts de la pandémie qui n’ont grands-parents, d’autres membres de la pas encore été estimés et ne seront peut- famille, des gardien-ne-s ou d’autres être jamais remboursés. Ces difficultés ne personnes peuvent prêter main forte. font que s’ajouter aux inégalités Durant la pandémie, le secteur des femmes structurelles qui caractérisent ce secteur doit se démener encore plus que dans le d’activité en temps normal. Non seulement contexte du statu quo prépandémie. les femmes travaillent-elles au sein La pandémie a forcé un très grand nombre d’organismes fragilisés par un modèle de de travailleuses et de travailleurs à faire du financement précaire, mais en tant télétravail ou à continuer de travailler en qu’employées, elles font aussi les frais d’un première ligne et en situation de risque important écart salarial genré. En moyenne, élevé, comme dans les hôpitaux ou les une femme employée à temps plein gagne centres des soins de longue durée, des 75 cents pour chaque dollar gagné par un milieux de travail où la distanciation homme au Canada. Les oppressions physique est impossible. Cette nouvelle croisées aggravent encore cet écart salarial : situation révèle clairement que la double ce chiffre est de 65 cents chez les femmes charge qu’assument les femmes depuis autochtones, 67 cents chez les femmes toujours (soit la prestation de soins non racisées, et 54 cents chez les femmes en rémunérée en plus du travail rémunéré) est situation de handicap16. Le secteur dans son en train de devenir une triple charge de ensemble ainsi que les femmes qui y sont travail non payé en l’absence de services de employées sont ainsi plus vulnérables aux garde universels. Les infirmières et effets continus de la pandémie en raison travailleuses de la santé, qui sont toujours des inégalités financières existantes. majoritairement des femmes, doivent maintenant régulièrement travailler des quarts de 12 heures ou plus pour ensuite revenir à la maison et prendre soin des 12
ENTRER DANS LA PANDÉMIE SANS FILET DE SÉCURITÉ enfants ou répondre à d’autres besoins familiaux qu’elles sont les seules à pouvoir prendre en charge. Les milieux de travail qui entassent les employé-e-s dans des espaces exigus, les transports et les espaces de vie exposent les femmes à un risque d’infection extrêmement élevé et forcent tous les parents (souvent majoritairement des femmes employées dans des usines de transformation des aliments) à se séparer de leurs enfants pour les protéger ou à vivre avec eux au risque de leur transmettre le virus si les mesures de protection en milieu de travail sont inadéquates. Dans les résidences publiques et privées de soins de longue durée, les travailleuses doivent désormais assumer auprès des patient-e-s le rôle de proximité qui incombe normalement aux familles, lesquelles ne peuvent plus rendre visite à leurs proches. Pour un salaire scandaleusement bas, ces femmes se retrouvent ainsi à prendre davantage soin de leurs patient-e-s que de leurs propres enfants et familles. Il faut absolument reconnaître cette charge de travail supplémentaire assumée par les travailleuses et travailleurs pendant la pandémie. Il faut aussi reconnaître que ce fardeau est majoritairement porté par les femmes. 13
DANS L’IMMÉDIAT : LA GESTION DE CRISE Les gouvernements n’ont pas ignoré les offrent des services de soutien de première besoins du secteur des femmes pendant la ligne aux femmes et aux filles en dehors du crise de la COVID-19. Un financement réseau de refuges et de centres d’aide aux fédéral de l’ordre de 50 millions de dollars a survivantes de violence sexuelle. Ces été mobilisé et immédiatement transféré, organismes font de l’intervention et de la par Femmes et Égalité des genres Canada prévention en matière de violence fondée (FEGC), aux refuges et centres d’aide aux sur le genre. Là encore, ces groupes offrent survivantes de violence sexuelle pour leur des mesures d’aide indispensables qui ne permettre de répondre à l’augmentation de sont accessibles nulle part ailleurs. Ce sont la violence fondée sur le genre. Les lignes ces organismes qui déploient le filet social d’écoute téléphonique rapportent une qui manque à notre société. augmentation de 300 % des appels. Les Le gouvernement fédéral a également créé services policiers signalent quant à eux une une subvention salariale à laquelle ont accès augmentation des appels se rapportant à les organismes de bienfaisance, bien qu’il ne des incidents de violence conjugale, et les soit pas clair, à ce jour, combien de ces refuges affirment que les anciennes organismes ont pu s’en prévaloir, compte résidentes comme les résidentes actuelles tenu des critères d’admissibilité actuels. Les sont plus anxieuses, ont besoin de plus de travailleuses et travailleurs essentiels ont eu soutien et vivent une plus grande variété de droit à des suppléments salariaux. Le difficultés. Pour toutes ces raisons, il est secteur des femmes a également bénéficié essentiel que des fonds permanents soient d’autres mesures mises en place pour venir dégagés afin de répondre à ces besoins en aide aux petites et moyennes accrus. Nous estimons qu’environ 30 millions entreprises, mais ces mesures ont à peine de dollars des fonds de FEGC, jusqu’à suffi à répondre aux besoins, et le manque à présent, ont atteint presque tous les refuges gagner demeure un motif d’inquiétude et centres d’aide aux survivantes partout au étant donné la gravité des lacunes qui Canada, soit environ 600 au total17. existaient déjà avant la pandémie. De plus, le gouvernement fédéral a annoncé De nombreuses fondations ont aussi la création d’un Fonds d’urgence pour mobilisé des fonds d’urgence, et plusieurs l’appui communautaire de 350 millions de ont recueilli des millions de dollars, mais le dollars, par l’entremise d’Emploi et secteur des femmes ne bénéficie que Développement social Canada, afin de rarement de ces montants, car ils ne sont soutenir les organismes communautaires. pas attribués en fonction d’une analyse Ces fonds doivent être distribués en comparative entre les genres. Pour bonifier fonction d’une solide analyse comparative le financement fédéral, quelques provinces entre les genres. De nombreux organismes ont reconnu les pressions subies par 14
DANS L’IMMÉDIAT : LA GESTION DE CRISE certains domaines et ont offert d’augmenter à l’échelle provinciale et territoriale. Puisqu’il leur financement. Le Québec, notamment, s’agit essentiellement d’une approche s’est engagé à débourser 2,5 millions de volontaire, généralement vue comme une dollars pour soutenir les interventions sorte de « complément sympathique », il est contre la violence fondée sur le genre. déjà évident que l’analyse comparative selon le genre a été négligée pendant la crise et À l’inverse, d’autres provinces ont déjà lancé qu’un grand nombre des mesures et des mesures d’austérité qui exposent les politiques mises en place n’en ont tout femmes et les familles à des risques simplement pas tenu compte. considérables. Le gouvernement de l’Alberta, par exemple, a mis à pied des Tel que mentionné, avant que la pandémie enseignant-e-s, et le Manitoba a coupé le ne frappe, les femmes étaient déjà financement des services aux jeunes et aux confrontées à des obstacles importants femmes et adopté une approche austéritaire dans leur quête pour bénéficier des du déconfinement. Ces décisions auront de conditions de sûreté, de sécurité graves répercussions sur notre secteur, économique et d’emploi, de logement et de puisqu’elles forcent les organismes toujours services de garde dont elles ont besoin. en activité à répondre à des besoins Bien avant l’adoption enthousiaste du supplémentaires, ce qui fait augmenter la Programme d’action de Pékin par le demande de services et oblige les gouvernement fédéral, dans les années organismes à mener des campagnes de 1990, le secteur des femmes avait fait de financement pour compenser la perte de l’élimination des obstacles à l’égalité pour financement public. Cette situation toutes les femmes un axe central de son d’inégalités au sein du secteur contribue à travail. Même si certaines des mesures perpétuer le modèle actuel inadéquat de d’égalité mises en place ont commencé à financement des services sociaux, faire une différence, les changements condamnant ainsi les services à la précarité demeurent modestes. Ainsi, les femmes et au sous-financement. canadiennes sont encore loin d’une égalité tangible, et les considérations Les groupes de défense doivent souvent relatives à l’atteinte de l’égalité doivent faire pression sur les responsables politiques être intégrées dès maintenant à la refonte pour que le gouvernement applique l’analyse du financement du secteur des femmes comparative selon le genre. Bien que cette ainsi qu’à toute stratégie de sortie de crise. analyse fasse maintenant partie du processus Un retour à l’ancienne « façon de faire » au d’élaboration des politiques au sein du sein de ce secteur n’est tout simplement cabinet fédéral, elle n’a toujours pas été pas envisageable. adoptée à tous les niveaux du gouvernement fédéral ni à tous les paliers de gouvernement 15
RÉÉVALUER LA NORMALITÉ : LES LIMITES DU MODÈLE DE FINANCEMENT La pandémie et le confinement ont exposé Canada ne peut tout simplement pas se et aggravé un grand nombre de failles. Le passer des services qu’offrent ces groupes. secteur des femmes continuera à s’attaquer Ce secteur est trop important pour que l’on aux inégalités dans un contexte où le accepte qu’il dépende d’un modèle fondé nombre de demandes de financement privé sur la précarité, lequel menace constamment présentées aux entreprises, fondations et de priver les personnes les plus vulnérables individus risque de connaître une forte de l’aide dont elles ont besoin. augmentation. En même temps, la chute des Les fondations et les grandes entreprises recettes publiques et le resserrement des peuvent intervenir pour soutenir ces restrictions en matière de dépenses organismes, mais elles préfèrent publiques placeront de plus en plus généralement soutenir des programmes et d’organismes et de personnes dans une projets pilotes à la pièce, et sont réticentes situation risquée. Le secteur des femmes à financer le fonctionnement et les activités devra opérer dans un environnement de base. Tandis que s’assèche le marqué par différents chocs sociaux et financement de base des services par les économiques, non seulement imputables aux gouvernements fédéral, provinciaux et effets de la crise, mais aussi aux difficultés territoriaux, les organismes s’éloignent de entraînées par les changements climatiques. leurs missions et se démènent pour survivre Pour atteindre des résultats satisfaisants en en combinant des subventions par projets, matière d’égalité des genres, il est temporaires et non renouvelables. nécessaire de déployer des actions fortes et Le modèle de financement actuel a créé un cohérentes : il faut harmoniser les services, état d’appauvrissement et de fragilité le financement et les politiques, et mener chronique qui se traduit par un déficit une analyse et un suivi serré des avancées. systémique où, pour être considérés comme L’égalité des femmes ne sera pas atteinte au dignes d’être soutenus, les organismes sont Canada à moins que le secteur des femmes obligés de faire la preuve de leur extrême ne s’efforce d’exposer les causes premières besoin et sous-financement. De plus, ceux-ci de l’inégalité, comme la violence et les sont incapables de mettre des fonds de obstacles économiques. Nous avons côté pour se prémunir contre le genre de également besoin d’un mouvement de risques qu’entraîne l’actuelle pandémie. femmes fort, constitué de groupes en quête d’équité militant pour des transformations La Fondation canadienne des femmes, le structurelles et offrant de l’expertise en Fonds égalité et Fondations matière d’analyse comparative selon le communautaires du Canada ont rédigé les « genre depuis une position d’autonomie. Le Principes de philanthropie féministe », un document évolutif visant à expliquer 16
RÉÉVALUER LA NORMALITÉ : LES LIMITES DU MODÈLE DE FINANCEMENT comment intégrer les approches du Le financement public peut offrir une plus féminisme en action dans les rapports de grande stabilité aux organismes et à leurs financement. Ces principes impliquent employé-e-s. Les refuges, par exemple, notamment l’allocation de « fonds durables, pourraient en quelque sorte servir de piliers viables, qui couvrent les frais administratifs aux collectivités en fournissant plusieurs de base, sont flexibles et prévisibles, et services en plus d’offrir des lits d’urgence durent plusieurs années ». Maintenant plus aux femmes et aux familles qui subissent de que jamais, le secteur a besoin d’un la violence genrée. Les gouvernements financement flexible et garanti plutôt que devraient se donner la mission de d’interventions ciblées par projet. Il a besoin reconstruire une infrastructure sociale pour de financement de base. assurer l’offre des services essentiels. Les pouvoirs publics doivent garantir la capacité Les gouvernements doivent garantir le de maintenir un niveau acceptable d’offre de financement d’un large éventail services dans toutes les régions du Canada, d’organismes. Actuellement, les refuges et et ces services doivent être maintenus en maisons d’hébergement reçoivent toutes circonstances. Durant la crise de la généralement la part la plus importante et la COVID-19, les gouvernements ont reconnu mieux garantie du financement public, que les organismes du secteur des femmes puisqu’ils sont soutenus par tous les paliers sont essentiels au bien-être des de gouvernement et que la plupart de leurs Canadiennes et Canadiens, et cette coûts sont couverts. Les refuges ont malgré reconnaissance doit dorénavant aller de soi tout des listes d’attente considérables, ils occupent des bâtiments vétustes qui doivent être rénovés et mieux aménagés, et n’ont pas les moyens d’appliquer les principes de conception universelle qui garantiraient une accessibilité complète à toutes les femmes en situation de handicap. Malgré ces lacunes, le modèle qui préserve dans une certaine mesure la sécurité financière des refuges est important et doit être élargi pour inclure d’autres domaines du secteur des femmes. 17
VERS UNE NOUVELLE NORMALITÉ : DES RECOMMANDATIONS POUR UN SECTEUR DES FEMMES PROSPÈRE ET EN SANTÉ Il est temps de bouleverser le statu quo en • Impliquer le secteur des femmes dans la matière de financement du secteur des prise de décision en veillant à toujours femmes. La pandémie est une occasion de inclure des organismes au service des repenser et de reconcevoir la place du femmes, en particulier des groupes en gouvernement dans les modèles de quête d’équité, dans les processus financement. Nous avons une chance de décisionnels à tous les paliers de remettre les cadrans à zéro. Si nous ne la gouvernement. Cela devrait comprendre saisissons pas, nous courons le risque bien des places au sein de comités réel de voir les structures fiscales publiques consultatifs et des compensations pour mettre en péril la durabilité des économies la participation des organismes, en humaines fonctionnelles. Il faudra encore reconnaissance de l’expertise du secteur, attendre pour être en mesure de quantifier à plus forte raison dans le processus de les répercussions à long terme du choc reconstruction post-COVID-19. actuel, mais la viabilité de la biosphère dont • Garantir la mise en œuvre de l’analyse dépendent la vie et le bien-être des humains comparative selon le genre plus dans les est elle aussi menacée. Il est temps pour le collectes des données relatives au gouvernement fédéral de transformer ses secteur sans but lucratif et de politiques fiscales et budgétaires de bienfaisance. Ces données permettront manière à prioriser et promouvoir la santé, de quantifier les failles structurelles en la sécurité et les capacités des êtres matière de financement et de soutien humains plutôt que les intérêts de aux organismes du secteur des femmes. l’entreprise privée et du secteur financier. • Intégrer l’analyse comparative selon le • Garantir le financement de base des genre plus comme condition au transfert organismes au service des femmes et de fonds du gouvernement fédéral vers des organismes en quête d’équité de les provinces et territoires, ainsi que manière à soutenir les avancées vers dans les ententes de principe avec les l’égalité des genres au Canada. organismes de bienfaisance et sans but • Tenir compte des acquis en matière de lucratif, y compris en ce qui a trait aux politiques favorables à l’égalité des fonds de stabilisation du secteur. genres, et reconnaître que le rôle du gouvernement est de maintenir et d’accroître les progrès réalisés par les femmes en garantissant la mise en pratique de l’analyse comparative selon le genre plus dans la définition des politiques, et ce, en toutes circonstances. 18
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