Vieillir au centre de la ville plutôt que dans ses marges Aging in the City Centre rather than on the Fringe - Érudit

 
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Diversité urbaine

Vieillir au centre de la ville plutôt que dans ses marges
Aging in the City Centre rather than on the Fringe
Laure Blein and Nancy Guberman

Vieillir dans la ville                                                                 Article abstract
Volume 11, Number 1, Fall 2011                                                         The concept of urban life (identified with youth, consumerism and business)
                                                                                       seems to be totally incoherent with the dominant image of old people. As a
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1007746ar                                          result, we are lead to think that the city core is not adapted for older people
DOI: https://doi.org/10.7202/1007746ar                                                 and that they cannot age happily in those neighbourhoods. Thus, the
                                                                                       construction of large residences for the elderly is flourishing on the edges of
                                                                                       major cities like Montreal. This article proposes to explore urbanity and aging
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                                                                                       through the eyes of older residents of the city. It is based on research where we
                                                                                       met 26 older Montrealers who live in the core of the city and who do not wish
                                                                                       to age elsewhere.
Publisher(s)
Groupe de recherche diversité urbaine
CEETUM

ISSN
1913-0694 (print)
1913-0708 (digital)

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Blein, L. & Guberman, N. (2011). Vieillir au centre de la ville plutôt que dans ses
marges. Diversité urbaine, 11(1), 103–121. https://doi.org/10.7202/1007746ar

Tous droits réservés © Groupe de recherche diversité urbaine et CEETUM, 2011 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                             (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
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Vieillir au centre de la ville plutôt que
                                          dans ses marges
                                          Aging in the City Centre rather than on the Fringe

                                          Laure Blein
                                          UQAM ; CREGÉS (CSSS Cavendish)
                                          laure_blein@yahoo.ca

                                          Nancy Guberman
                                          École du travail social, UQAM ; CREGÉS (CSSS Cavendish)
                                          guberman.nancy@uqam.ca

                       résumé  Le concept de vie urbaine (culturellement associé à la jeunesse, à la
                       consommation et aux affaires) est en opposition avec la représentation que l’on se fait
                       de l’aîné. On croit en effet que les quartiers centraux de la ville ne sont pas adaptés
                       aux aînés et que ceux-ci ne peuvent y vieillir heureux. En raison de ce présupposé, les
                       contours des villes – ceux de Montréal en l’occurrence – voient croître le nombre de
                       résidences pour personnes âgées. Fondé sur l’étude « Vieillir chez soi », cet article se
                       penche sur la vie urbaine et le vieillissement du point de vue de 26 aînés montréalais
                       qui habitent des quartiers centraux et qui ne souhaitent pas vieillir ailleurs.
                       abstract  The concept of urban life (identified with youth, consumerism and busi-
                       ness) seems to be totally incoherent with the dominant image of old people. As a
                       result, we are lead to think that the city core is not adapted for older people and that
                       they cannot age happily in those neighbourhoods. Thus, the construction of large
                       residences for the elderly is flourishing on the edges of major cities like Montreal. This
                       article proposes to explore urbanity and aging through the eyes of older residents of
                       the city. It is based on research where we met 26 older Montrealers who live in the
                       core of the city and who do not wish to age elsewhere.
                       mots clés  Quartiers centraux, aînés, exclusion territoriale, exclusion identitaire,
                       exclusion symbolique.
                       keywords  Downtown core, older people, territorial exclusion, identity, symbolic
                       exclusion.

                       Diversité urbaine, , vol. , no  : -

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M         ’   dans le processus global du
                         vieillissement de la population. En , , % de la population
                montréalaise avait plus de  ans, contre  % dans le reste de la province
                du Québec (Institut de la statistique du Québec [ISQ]  a et b). À
                Montréal,   aînés avaient  ans et plus en  (ISQ  c). Cette
                population n’est toutefois pas répartie de la même manière sur toute l’île
                de Montréal. Si les banlieues et les contours de l’île « vieillissent », les
                quartiers centraux de la ville, eux, « rajeunissent » (Séguin, Apparicio et
                Negron ). Ces quartiers, dits centraux en opposition aux quartiers
                périphériques de l’île de Montréal, sont localisés à l’est, au nord, à l’ouest
                et au sud-ouest du centre-ville (quartier centre-ville), à courte distance
                en automobile ou en transport en commun. Ces quartiers, densément
                peuplés et socialement dynamiques sont : Rosemont, La Petite-Patrie,
                Centre-Sud, Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Michel, Mercier, Plateau-Mont-
                Royal, Ville-Marie, Vieux-Montréal, Hochelaga-Maisonneuve, Villeray,
                Outremont et Côte-des-Neiges. Ils sont situés à proximité des campus des
                quatre universités montréalaises (Concordia, Université du Québec à
                Montréal, Université de Montréal et McGill) et sont bien desservis par le
                transport en commun (métro, autobus et train de banlieue).
                     Cette inégalité dans la répartition de la population entre les quartiers
                centraux et les quartiers périphériques est due en partie à des mouve-
                ments internes de population. En effet, la population âgée quitte le centre-
                ville pour diverses raisons, encouragée par la concentration massive de
                résidences pour aînés à grande capacité d’accueil en périphérie de l’île
                de Montréal. Les aînés s’installent donc principalement au nord-est de
                l’île, dans les quartiers de Pointe-aux-Trembles, le long de la Rivière-
                des-Prairies (le boulevard Gouin, situé au nord de l’île de Montréal,
                est un corridor spécialisé en résidences pour aînés) et, à l’ouest, Pointe-
                Claire, Île-Bizard–Sainte-Geneviève, Beaconsfield, Pierrefonds-Roxboro
                et Dollard-des-Ormeaux (Carrefour montréalais d’information sociosa-
                nitaire [CMIS] ). Cependant, nombre d’aînés ont choisi de vieillir
                dans des quartiers centraux car ils disent s’y sentir à leur place, chez eux.
                     Il faut toutefois reconnaître que, contrairement à la situation en
                Angleterre (Phillipson ) ou aux États-Unis (Becker ), où les
                personnes âgées démunies vivent dans des centres-villes peu sécuritaires

Diversité urbaine.11.1.corr 2.indd 104                                                          12-01-11 10:01 PM
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                       et laissés à l’abandon, les quartiers centraux de Montréal offrent une
                       situation qui se rapproche de celle de l’Allemagne (Fobker et Grotz )
                       ou de Tokyo (Campbell et Campbell ), où vivre dans des quartiers
                       centraux permet le maintien de l’autonomie et des réseaux sociaux.
                       Contrairement à l’évolution d’autres villes nord-américaines, celle de
                       Montréal n’a pas donné lieu au triste spectacle d’un centre-ville délabré
                       cerné par des zones commerciales. Les quartiers centraux sont relative-
                       ment bien entretenus et sécuritaires. Les zones commerciales denses sont
                       insérées dans le centre-ville (l’arrondissement de Ville-Marie) et sont
                       desservies par le transport en commun. Elles sont reliées par la ville
                       souterraine, ce qui permet aux personnes à mobilité réduite d’avoir accès
                       aux services sans avoir à affronter les intempéries. En termes de qualité
                       de vie, Montréal occupe le quatrième rang parmi les villes nord-améri-
                       caines. Le taux de criminalité y est faible et touche à peine les aînés ; seul
                        % d’entre eux sont victimes de crimes (Signes vitaux du Grand Montréal
                       [SVGM]  ; Statistique Canada ). Il est possible à Montréal de se
                       loger à moindre coût qu’ailleurs au pays. En effet, pour chaque  $
                       dépensé dans le reste du Canada pour se loger, on ne dépense que  $ à
                       Montréal (SVGM ). Une certaine mixité sociale a été maintenue dans
                       les quartiers centraux, garantie par la présence d’un parc HLM (Jeanne-
                       Mance dans l’arrondissement Ville-Marie) développé en concordance
                       relative avec l’accessibilité des services pour les aînés qui y habitent
                       (Apparicio et Séguin ), et de coopératives d’habitation qui assurent
                       un meilleur accès au logement et un aménagement d’espaces verts. En
                       outre, la Régie du logement surveille la spéculation immobilière et la
                       hausse des loyers.
                           Toutefois, le phénomène de gentrification et la spéculation immo-
                       bilière finissent souvent par grever les ressources financières des aînés
                       montréalais –  % de ceux-ci perçoivent le supplément du revenu garanti,
                       alloué aux aînés dont les revenus autres sont faibles ou nuls (Agence
                       de la santé et des services sociaux de Montréal [ASSSM]  : ). Les
                       quartiers centraux de Montréal sont certes des zones économiques
                       denses, mais également des endroits où les groupes communautaires sont
                       plus nombreux et plus actifs. Si la gentrification de certains de ces quar-
                       tiers (Plateau-Mont-Royal, Centre-Sud, Ville-Marie, Rosemont) a eu pour
                       effet de multiplier les commerces plus luxueux, elle n’a cependant pas
                       éradiqué le commerce de proximité (épicerie, boulangerie, dépanneur,
                       pharmacie).
                           Au regard de ces caractéristiques, il apparaît que vieillissement et vie
                       urbaine ne sont pas antinomiques, comme en témoignent les participants
                       à la recherche. Au contraire, vivre dans des quartiers centraux permet à
                       ces aînés d’entretenir et de créer de nouveaux liens, parfois interculturels

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                et intergénérationnels, d’avoir accès à des services et à des lieux d’impli-
                cation sociale, en toute sécurité, de voyager dans la ville même s’ils ne
                conduisent plus, bref, de renforcer leur sentiment d’autonomie, et ce,
                même s’ils ont développé des incapacités.

                La recherche et son contexte
                La recherche Ageing in place – Vieillir chez soi a été conçue à un moment
                où le gouvernement du Québec a soulevé la question de la nécessité de
                développer des milieux alternatifs au domicile, qu’on appelle nouvelles
                formules d’habitation (NFH) ou projets novateurs, des ressources collec-
                tives d’hébergement pour les personnes âgées ayant des incapacités
                relativement importantes mais ne requérant pas un placement en milieu
                d’hébergement. La voix des personnes âgées elles-mêmes était peu pré-
                sente dans ce débat, notre étude permettant de faire entendre leur point
                de vue sur ce qu’ils jugent comme des lieux de vie agréable pour des
                personnes âgées malades ou ayant des incapacités, et ce qu’il faut pour
                que ces lieux deviennent des chez-soi. Si l’aîné demeure encore largement
                un « impensé urbain » (Aubré et al.  : ), le fait que des personnes
                âgées veulent demeurer dans les quartiers centraux doit nous permettre
                de repenser à la fois la vieillesse et la ville.
                    Notre objectif de départ était de comprendre les dimensions du chez-
                soi pour les personnes âgées en perte d’autonomie, de voir en quoi ces
                aînés s’identifient ou résistent à certaines formes d’assignation identitaire
                et quel lien cela a (ou pas) avec le lieu où elles habitent. Nous espérions
                que notre étude puisse contribuer à sensibiliser les décideurs, les gestion-
                naires et les professionnels aux sens que revêt le chez-soi pour des aînés
                et qu’ils puissent intégrer ces dimensions dans l’offre de services à domi-
                cile et les choix résidentiels proposés aux aînés. L’analyse du discours a
                permis de faire émerger un thème inattendu : le sentiment d’appartenance
                des aînés aux quartiers centraux et au centre de la ville.
                    Les données que nous avons recueillies sur le rapport à la ville des
                personnes âgées fragilisées ramènent au cadre théorique plus large de la
                recherche, soit aux pratiques d’exclusion sociale et aux stratégies de
                résistance à l’exclusion identitaire et symbolique par rapport au lieu
                d’habitation : « L’exclusion symbolique prend majoritairement la forme de
                représentations et d’images négatives […] L’exclusion sociale entraîne
                souvent aussi une invisibilité des personnes âgées dans les univers poli-
                tique, social et culturel… » (Billette et Lavoie  : ). Lorsque l’identité
                d’une personne est réduite à une seule catégorie d’appartenance et qu’en
                outre, la représentation de ce groupe est surtout péjorative, on parle
                d’exclusion identitaire. Ce type d’exclusion renvoie à l’interpellation

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                       althussérienne (Butler ) ou à la réduction d’un individu à sa « patho-
                       logie » (cf. le fou chez Foucault  ; Katz ). Pour les personnes âgées,
                       l’exclusion identitaire revient à nier les multiples identités, expériences et
                       trajectoires de vieillesses des personnes âgées en attribuant à chacun des
                       membres les caractéristiques générales et réductrices des « aînés » (malades,
                       passifs, conservateurs, etc.). Quant à l’exclusion territoriale, elle « peut se
                       traduire par un possible confinement des personnes âgées dans des lieux
                       en dehors du social, comme le domicile ou un milieu d’hébergement »
                       (Billette et Lavoie  : ). L’exclusion territoriale se pense souvent en
                       termes d’isolation et d’enfermement des personnes âgées, que ce soit dans
                       le milieu institutionnel ou à domicile (Bois ). On parlera alors de
                       « géographie cachée » des villes (Aronson et Neysmith ). Les per-
                       sonnes âgées vivant chez elles et ne pouvant avoir de contacts avec les
                       autres à cause de leur état de santé sont alors « exclues » de l’intérieur. À
                       travers la question de l’exclusion territoriale se pose également la question
                       de l’adaptation de la ville, du mobilier urbain et des systèmes de transport
                       public aux personnes âgées. Ces trois formes d’exclusion sociale montrent
                       qu’identités et espaces sont intimement liés. L’espace géographique est
                       devenu un axe conceptuel majeur dans la compréhension des politiques
                       de l’identité (Keith et Pile , dans Becker ). À des identités corres-
                       pondent donc des espaces, espaces qui ont une influence sur les identités.
                           Laws () montre que le processus historique d’exclusion identitaire
                       des personnes âgées en Amérique du Nord s’est construit parallèlement
                       à leur exclusion territoriale. La figure de l’aîné indigent et improductif
                       émerge, selon Laws, avec l’avènement de la société industrielle. Dès lors
                       en ville, l’espace de travail (l’usine) est séparé du lieu d’habitation et les
                       exigences de productivité excluent toute une série de travailleurs, y com-
                       pris les personnes âgées. Elles se trouvent dès lors confinées dans des
                       « poor-houses » qui seront bientôt recyclées en maisons d’accueil pour les
                       anciens travailleurs sans ressources. Après la Seconde Guerre mondiale,
                       c’est la construction des banlieues (comme zone de vie quasi exclusive des
                       jeunes adultes actifs et de leurs enfants) autour des grandes villes, qui
                       assignent du coup les personnes âgées, surtout les plus démunies, à vivre
                       dans des centres-villes laissés à l’abandon (Cowgill , dans Laws ).
                       Depuis les années , la volonté de dynamiser les centres-villes puis de
                       gentrifier les quartiers centraux (donnant un accès rapide au centre-ville),
                       la spéculation immobilière qui en a résulté et le développement de ces
                       quartiers comme des lieux d’action, de consommation, de loisirs « jeunes »
                       – les urban glamour zone (Sassen ) –, transforment ces quartiers en
                       des endroits dans lesquels les aînés ne sont pas censés s’épanouir. Après
                       avoir été assignés à résidence au centre-ville, parce que les banlieues
                       étaient avant tout un lieu de vie imaginé pour les jeunes familles, les aînés

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                sont désormais sommés de quitter les quartiers centraux pour s’installer
                dans les marges de l’île de Montréal.
                    Cette invitation à vieillir en zone périphérique s’explique en partie par
                contraste entre la conception de ce que doit être un quartier du centre-
                ville et la représentation de la figure de l’aîné. Les personnes âgées perçues
                comme inactives, lentes, fragiles, dépendantes (Laws ), comme un
                problème social (Puijalon et Trincaz ) ou, comme le souligne Taboada
                Leonetti, en tant que citoyens « sans utilité sociale, voire nuisible(s),
                repoussant(s), privé(s) de dignité, de raison d’être, et de valeur » ( :
                -), sont ainsi renvoyées vers des espaces qui supposément leur cor-
                respondent, des espaces généralement situés en périphérie, loin des
                quartiers centraux. On s’attend à ce que les personnes âgées y vieillissent
                « entre elles », dans le calme, dans des développements d’habitation « pour
                aînés ». L’exclusion identitaire et symbolique (réduction des personnes
                âgées à un stéréotype dégradant) se joint ainsi à une exclusion territoriale.
                Mais qu’en pensent les personnes âgées elles-mêmes ?

                Aspects méthodologiques
                L’entrevue individuelle semi-dirigée et la technique de photo elicitation
                constituent nos deux méthodes de cueillette des données. Nous avons
                élaboré un schéma d’entrevue thématique autour de trois thèmes : le chez-
                soi (définition, en quoi l’habitat actuel constitue ou non un chez-soi, la
                trajectoire résidentielle) ; le quartier (partie prenante ou pas du concept
                de chez-soi, les liens sociaux, l’accès aux services et aux ressources, leur
                utilisation ainsi que les activités) ; leur opinion sur ce qui constitue le
                meilleur lieu pour vieillir, pour eux et pour les aînés ayant développé des
                incapacités.
                    À la fin de l’entrevue, nous proposions aux interviewés de prendre au
                moins dix photographies. Cette deuxième étape de la recherche visait à
                leur permettre d’illustrer les propos tenus lors de l’entrevue sur ce qui
                fait de leur demeure un chez-soi ou pas. Cinq personnes n’ont pas souhaité
                participer à la prise de photos, car cela leur paraissait « trop compliqué »
                ou n’en avaient pas envie. Une fois les photos prises et développées, nous
                avons convenu d’une seconde rencontre où les participants nous ont parlé
                des photos et nous ont expliqué la signification de celles-ci en lien avec le
                thème du chez-soi. Nous avons choisi de compléter les entrevues indivi-
                duelles par la méthode de photo elicitation, et plus particulièrement celle
                de l’auto-photographie (Phoenix ) qui vise à contrebalancer le désé-
                quilibre dans la relation de pouvoir entre le chercheur et la personne
                interviewée (Packard  ; Phoenix  ; Pink ). Contrairement
                à lors de la première entrevue, nous n’avions cette fois pas de guide

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                       d’entrevue. La seule consigne était d’essayer de comprendre le lien entre
                       les photos et le thème du chez-soi, selon les personnes interviewées. Les
                       entrevues ont été enregistrées sur support numérique, intégralement
                       retranscrites et analysées à l’aide du logiciel QDA Miner.
                           Les critères d’inclusion étaient les suivants : être âgé de  ans ou plus,
                       ne pas vivre en CHSLD (centre d’hébergement et de soins de longue
                       durée), avoir besoin d’aide pour accomplir certaines tâches et disposer de
                       revenus modestes. Nous ne visions pas de quartier en particulier. Afin
                       d’assurer l’hétérogénéité de l’échantillon, nous avons varié nos méthodes
                       de recrutement en faisant appel à des intervenants de programmes de
                       maintien à domicile, des intervenants en milieu communautaire et des
                       pairs (notamment deux aînées qui font partie de l’équipe de recherche).
                           Pour l’analyse des deux entrevues, nous nous sommes inspirés de la
                       méthode de construction empirique de la théorie (grounded theory)
                       (Glaser et Strauss  ; Strauss ) ou ce que Kathy Charmaz ()
                       appelle la théorie ancrée constructiviste. Cette méthode se caractérise
                       par un questionnement évolutif à partir du terrain et de la cueillette des
                       données vers une analyse comparative constante du contenu des entre-
                       tiens. Cette démarche dynamique permet un lien constant entre le contenu
                       issu du terrain et la théorie qui s’en dégage au fur et à mesure de l’avan-
                       cement de la recherche. Il s’agit de construire progressivement l’objet de
                       recherche.
                           L’analyse du matériel recueilli s’est faite en fonction de deux axes
                       d’analyse : inter-sujet et intra-sujet. Pour la codification, nous avons
                       employé à la fois une démarche déductive et une démarche inductive qui
                       crée les codes à partir du matériel produit. En effectuant un travail de
                       va-et-vient entre les textes et la codification, nous sommes passés de codes
                       plus descriptifs à une codification plus analytique. C’est par ce processus
                       de codification que nous avons pu relever dans le discours et dans les
                       photos prises par les interviewés divers aspects de leur rapport à la ville.
                           Nous avons arrêté le recrutement une fois la saturation des données
                       atteinte (Morse , cité dans Gallagher, Gretebeck, Robinson et al.
                       ), soit après avoir rencontré  personnes ( entrevues en tout) :
                       dix-neuf femmes et sept hommes, âgés de  à  ans – dix personnes
                       anglophones, douze francophones et quatre bilingues. Ils sont majoritai-
                       rement locataires (cinq sont propriétaires) et vivent souvent seuls (sept
                       sont en couple, une personne vit avec son petit-neveu, et une autre vit
                       avec son fils). Sept personnes vivent dans des appartements situés dans
                       des immeubles à gestion privée non spécialisés pour les aînés, trois dans
                       des immeubles adaptés pour les aînés (mais non exclusivement réservés),
                       trois dans des habitations à loyer modique (HLM) pour aînés, sept dans
                       des résidences pour aînés à gestion privée, deux en coopérative d’habita-

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                tion, quatre dans une maison familiale (ou duplex) et une en condomi-
                nium. Dix personnes sont natives de Montréal, certaines y ont toujours
                vécu, d’autres sont venues s’y installer – qu’il s’agisse d’une migration de
                la campagne (neuf) ou d’une immigration internationale (sept) – et
                d’autres encore y sont revenues après des séjours à l’extérieur de la ville,
                de la province ou du pays.

                Résultats
                Les quartiers centraux comme espaces relationnels
                Les témoignages des répondants indiquent à quel point le fait de vivre
                dans les quartiers centraux près des activités et des services de la vie
                urbaine permet de contrer les effets de la nucléarisation de la famille ou
                le veuvage, considérés comme des facteurs de solitude et d’isolement
                (Phillipson ). L’isolement géographique de la résidence en zone
                périurbaine est perçu comme un problème alors que vivre au centre de la
                ville de Montréal signifie une meilleure accessibilité aux ressources.
                    Une participante veuve, au revenu modeste et résidant sur le Plateau-
                Mont-Royal, près de la très animée rue Saint-Laurent, nous rapporte que
                vivre dans un quartier central lui permet de voir plus souvent sa famille
                que si elle vivait en zone périurbaine. Ses enfants, habitant et travaillant
                dans les quartiers centraux de Montréal, viennent en effet lui rendre visite
                régulièrement :
                      D’ailleurs j’ai un bel exemple dans la famille, qui demeure sur le boulevard
                      Gouin ! En plus que c’est au bout du monde ! Puis justement encore, j’ai ma
                      fille […] ses beaux-parents sont là-bas. Puis […] elle est venue déjeuner ici.
                      Mais elle me dit : « Maman, si tu étais sur le boulevard [Gouin] […] Je ne
                      pourrais pas faire ce que je fais là [venir déjeuner avant d’aller travailler] »
                      (femme,  ans, Plateau-Mont-Royal).

                    Le fait de vivre dans des quartiers centraux permet aux participants
                de rencontrer (par exemple au restaurant), d’accueillir (voire d’héberger)
                leurs amis ou la famille qui vont en ville, soit pour le travail : « Mon fils,
                il vient une fois par deux semaines, une fois par semaine […] parce [qu’il
                est) professeur […], ici, tout près, alors, souvent, il vient dîner […] » (femme,
                 ans, Rosemont) ; soit pour les loisirs : « J’ai beaucoup d’amis à Québec.
                […] Puis quand ils viennent à Montréal, […] moi j’ai toujours le bonheur
                de les accueillir » (ibid.).
                    Vivre dans les quartiers centraux à proximité des lieux de loisirs, de
                restauration et de travail a pour effet indirect de briser l’isolement même
                si les aînés eux-mêmes ne profitent pas de ces lieux. Comme le dit cette
                participante dont la résidence est proche de la rue Saint-Laurent :

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                             Le samedi soir […] le jeune couple, ils sont sortis avec mon gendre et ma fille,
                             au restaurant. Mais là, ils ont pensé à apporter le dessert pour le manger
                             ici. Ça fait que là, ils sont arrivés ici, il passait h […] puis sont partis d’ici
                             après minuit. Le jeune homme [du couple) s’est en venu du Maroc […]. Au
                             le Maroc, c’est le français, ça fait que j’ai parlé avec ce gars-là, j’ai même
                             parlé de politique … Ça fait qu’imagine là, je suis au septième ciel, je me
                             rends compte, j’ai des rencontres de même moi ! (femme,  ans, Plateau-
                             Mont-Royal).

                           Vivre dans des quartiers centraux permet aussi d’entretenir des rela-
                       tions amicales et de faire de nouvelles rencontres pouvant être à la fois
                       multigénérationnelles et multiculturelles. D’ailleurs, même si elles vivent
                       en résidence pour aînés, les personnes interviewées, pour la très grande
                       majorité, avouent ne pas vouloir s’entourer uniquement de « vieux monde ».
                       Plusieurs participants admettent que l’effet miroir est dur à accepter. Seuls
                       trois participants vivant en résidence et ayant des problèmes de santé
                       physique importants ne parlent pas de l’effet miroir. Ceux qui ne vivent
                       pas en résidence disent préférer habiter seuls dans leur appartement le
                       plus longtemps possible, quel que soit leur état de santé. Comme l’explique
                       l’une d’entre elles :
                             Parce que quand vous rentrez dans une maison de personnes âgées, vous ne
                             voyez plus d’enfants, vous ne voyez plus d’animaux. Là vous êtes vraiment
                             avec rien que du monde vieux. Tandis qu’ici, si vous voyez un enfant dans
                             le passage, un petit bébé, un chat, un chien, ça aide. […] Ça fait que notre
                             cerveau est moins encombré par les pensées de voir juste des malades puis
                             du monde qui ne fonctionne plus (femme,  ans, Centre-Sud).

                           Les participants, et en particulier les participantes, parlent avec fierté
                       de leurs contacts avec des plus jeunes, référant par là à leur propre jeu-
                       nesse de cœur, que ces contacts soient purement passifs : « C’est juste ici,
                       il y a une école secondaire, puis là… Je trouve ça bien quand les enfants
                       ça sort de l’école et puis ça jase puis tout ça, c’est de la jeunesse qui est
                       encore tout le temps avec moi tu sais, ni plus ni moins » (femme,  ans,
                       Rosemont) ; ou plus actifs : « C’est parce que moi j’ai besoin de tous les âges.
                       Moi j’aime l’intergénération, j’aime la jeunesse. J’aime être en contact avec
                       tous les âges ! C’est pour ça que je suis venue demeurer ici. Ça fait  ans.
                       J’avais peut-être ,  ans ? Je ne me rappelle pas tout à fait » (femme,
                        ans, Rosemont).
                           Les résidences en milieu périurbain ou en banlieue ne permettent pas
                       ces contacts intergénérationnels. Elles sont souvent construites loin des
                       zones résidentielles et deviennent des zones unigénérationnelles étendues.
                       Parlant de l’expérience d’une de ses amies qui vit dans une telle résidence,
                       cette participante dit :

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                      Mais tu es toujours face à toi-même, à ton miroir. […] Tu sais, c’est quelque
                      chose ! Ça fait que quand tu côtoies de la jeunesse comme vous, les jeunes,
                      tout ça, tu l’oublies, que tu es dans le déclin là hein ! […] Mais tu sais ce je
                      veux dire dans ces résidences-là, […] c’est ça : tu sors de la porte, tu ne vois
                      pas de la jeunesse. Ça c’est une tare : il n’y a pas de jeunesse ! (femme,  ans,
                      Rosemont).

                L’accessibilité des services, ressources et activités urbaines
                Contrairement à la vie en banlieue ou en zone périurbaine où l’usage de
                l’automobile s’avère indispensable pour les aînés (Lord et Luxembourgh
                ), vivre dans un quartier central signifie aussi de courtes distances à
                parcourir pour avoir accès aux épiceries, aux banques, aux services de
                santé, aux centres communautaires, etc. Pour plusieurs participants,
                l’accès à pied à des commerces et à des services leur permet de se sentir
                plus autonomes et de se maintenir en forme :
                      « Bien d’abord, moi c’est le Centre [ville] hein ! Je trouve ça fabuleux ! Quand
                      tu sors, voyez-vous, on traverse la rue pour aller à la pharmacie, on traverse
                      la rue, le petit parc, pour aller à la boulangerie. […] Oui, tout est, comme
                      on dit, à la portée de la main » (femme,  ans, Plateau-Mont-Royal).

                C’est aussi ce que dit cet homme (qui a eu trois pontages) :
                      Moi, je pars le matin, je vais sur la rue Saint-Hubert, je regarde les magasins,
                      puis je vais sur la rue Beaubien […] des fois je vais jusqu’à Bellechasse et je
                      reviens. L’après-midi, si je n’ai rien à faire, bien je reprends une marche […]
                      Puis aujourd’hui, bien je suis en forme, numéro un. Pourquoi ? Parce que je
                      ne reste pas assis ! » (homme,  ans, La Petite-Patrie).

                    Si la concentration des commerces et des services est plus dense dans
                les quartiers centraux, il en va de même pour la culture ou les loisirs.
                Vieillir dans un quartier central permet de maintenir une vie culturelle
                active à moindre coût. Nous faisons une distinction entre les activités
                culturelles passives (participation sans implication dans l’organisation de
                l’activité) et actives (participation à l’organisation de l’activité). La vie
                culturelle passive s’organise autour des bibliothèques de quartier, des
                concerts, des cours de tissage et de bricolage, des clubs sociaux, des
                groupes de lecture, des restaurants abordables (qui sont autant de points
                de rencontre), des conférences à l’École des aînés, etc. La vie culturelle
                active de nos répondants comprend l’animation d’une capsule littéraire à
                la télévision communautaire, l’animation de groupes de lecture, la mise
                sur pied d’un groupe d’aînés anglophones de l’est de Montréal (culturel-
                lement francophone), l’organisation de chorales ou de concerts, l’anima-

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Vieillir au centre de la ville plutôt que dans ses marges  113

                       tion d’un atelier d’introduction à l’informatique, ou encore l’organisation
                       d’ateliers culinaires multiculturels dans un centre communautaire.
                           La promenade dans des parcs accessibles et sécuritaires, loisir souvent
                       cité, est reconnue pour avoir une incidence positive sur la qualité de vie
                       et sur la longévité des aînés (Takano, Nakamura et Watanabe ).
                       Comme le dit ce participant : « Si vous voulez aller au Parc Jarry, vous avez
                       un beau parc ! […] J’y vais l’été, comprenez-vous, parce que c’est très joli,
                       très beau. Puis c’est un parc de sécurité, il y a pas mal de police, puis c’est
                       bien entretenu, là » (homme,  ans, La Petite-Patrie).
                           Alors que les grands parcs, plus à l’état naturel, sont situés sur les
                       marges de l’île, on retrouve davantage de petits parcs aménagés (offrant
                       des bancs ou des aires de jeux comme la pétanque, les jeux de table, etc.)
                       dans les quartiers centraux. De plus, les parcs permettent aux aînés de se
                       sentir inclus dans la vie urbaine, que ce soit d’une manière passive (voir
                       passer les gens) ou plus active (faire des rencontres, engager des conver-
                       sations). Contrairement aux aînés du sud de la France (Clément, Roland
                       et Thoër-Fabre  ; Mantovani ) ou d’Angleterre (Phillipson  ;
                       Phillipson, Bernard, Phillips et al. ), qui restreignent leurs sorties à
                       cause de leur sentiment d’insécurité, les enquêtés disent pouvoir profiter
                       de Montréal car ils s’y sentent en sécurité, et ce, tout quartier confondu.
                       Ils disent ne pas craindre de se déplacer la nuit tombée et profiter de
                       promenades à la brunante. Les conditions hivernales représentent le
                       danger le plus évoqué, lorsque les trottoirs deviennent glissants et que le
                       temps est propice aux maladies. Certains évitent même les sorties jusqu’au
                       printemps, risquant du coup de s’isoler socialement (André, Trudeau,
                       Marois et al. ).

                       Les quartiers centraux comme lieux d’implication
                       Le lien entre l’état de santé, la pauvreté et l’exclusion sociale des aînés a
                       été démontré (Bultez  ; Wenger ). Les personnes à faible revenu
                       et ayant des problèmes de santé (et surtout des problèmes de santé men-
                       tale) souffrent davantage d’isolement social et de solitude (Attias-Donfut
                        ; Cattan, White, Bond et al. ). Elles s’impliquent moins dans
                       leur milieu (Murphy ) alors que l’implication sociale est souvent
                       garante d’une qualité et d’une espérance de vie accrue (Andrew  ;
                       Richard, Gauvin, Gosselin et al. ). Vieillir avec des incapacités et avec
                       un faible revenu ne signifie pas nécessairement une absence de participa-
                       tion sociale (seules deux personnes ne font aucune activité à cause de
                       problèmes de mobilité). Les quartiers centraux offrent une multitude de
                       lieux de socialisation, qu’il s’agisse d’églises, de centres communautaires,
                       de bibliothèques ou de regroupements militants. Une personne ayant

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                développé des incapacités graves se réjouira d’avoir du « service à domi-
                cile » : « J’appartiens à deux cercles de lecture. Là, j’ai une mauvaise passe.
                Ça fait trois ans que ma santé n’est pas ce qu’elle devrait être. Alors j’ai
                plus de difficulté à participer. Mais c’est un groupe de lecture tellement
                gentil, elles viennent faire de la lecture ici ! » (femme,  ans, Centre-Sud).

                Les transports urbains
                L’autonomie dans les déplacements conditionne le sentiment d’inclusion
                dans la ville. Certains participants n’hésitent pas à traverser la ville en
                transport adapté ou en taxi, pour réaliser leurs activités, comme le men-
                tionnent les membres d’un couple :
                      Femme : We made arrangements with the adapted taxi to pick us up. So
                      they pick us up and bring us back home. […] Which is very nice ! And we go
                      down on the little elevator. And I have to hold the button to get down
                      [laughs).
                      Homme : Yeah, she’s the elevator driver ! She likes to operate it ! » (femme,
                       ans et homme,  ans, Notre-Dame-de-Grâce – NDG).

                    Vivre dans un quartier central permet de profiter d’un grand territoire
                même si les aînés ne conduisent plus ou pas. Un participant qui ne veut
                plus conduire en ville déclare ainsi : « Le métro, c’est merveilleux ça ! Et
                quand tu dis qu’en dix minutes tu es dans le centre-ville… ! » (homme,
                 ans, Centre-Sud). Son appartement situé près d’une station de métro
                lui permet de continuer d’assister à des concerts de musique classique et
                de fréquenter des restaurants à l’extérieur de son quartier.
                    La conduite en ville étant souvent décrite comme stressante par les
                interviewés, elle est remplacée ou complétée par l’utilisation du transport
                en commun. De même, l’accès au transport public les rassure même s’ils
                ne l’utilisent pas systématiquement. Par contre, certains diront que ces
                services trop mal adaptés à la perte de mobilité : portes trop lourdes dans
                les stations de métro, escaliers nombreux, ascenseurs presque inexistants
                et peu d’autobus adaptés. Certains participants ont alors recours aux
                navettes de l’âge d’or (il n’en existe que sept sur l’île), tandis que d’autres
                dépendront des services d’accompagnement, des taxis ou du transport
                adapté.

                Une définition urbaine de l’autonomie
                À Montréal, la majorité des aînés vivent dans un appartement ou dans leur
                maison ( % des plus de  ans et  % des plus de  ans). Ces aînés, en
                particulier les femmes, vivent souvent seuls (SVGM ), comme plu-

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                       sieurs de nos enquêtés, qui précisent par ailleurs avoir besoin de soutien à
                       domicile. Même si les personnes rencontrées reçoivent de l’aide, parfois
                       sur une base quotidienne, elles se perçoivent comme étant « autonomes ».
                       Selon Lord, Després et Ramadier () ainsi que Lord et Luxembourgh
                       (), la notion d’autonomie pour les aînés ayant toujours vécu en ban-
                       lieue implique de pouvoir tout faire par soi-même (autonomie physique).
                       Ainsi que Wellman et Wortley l’ont remarqué, les personnes âgées en
                       milieu urbain deviennent le centre d’un réseau d’aide spécialisé (, cité
                       dans Phillipson  : ), ce qui, paradoxalement, renforce leur senti-
                       ment d’autonomie. Pour nos enquêtés, être autonome correspond à la
                       capacité de mobiliser un réseau compensant leurs incapacités, sans
                       dépendre de leur entourage pour réaliser les activités de la vie quotidienne
                       (autonomie décisionnelle). Recevoir de l’aide, même pour des tâches
                       essentielles, n’a pas d’influence sur leur sentiment d’autonomie. Cette
                       participante de  ans vivant dans le quartier centre-ville nous confie :
                       « Je suis heureuse parce que je fais ce que je veux ! […] Comme je viens de
                       vous dire, j’ai de l’aide pour nettoyer… Puis on vient mettre mes bas… ».
                       Plusieurs de nos répondants sont capables de vivre seuls, c’est-à-dire
                       d’habiter seuls un logement, même en résidence pour aînés tout en exer-
                       çant leur pleine volonté. C’est ce que souligne une participante : « Je ne
                       voudrais pas rester ailleurs qu’à Montréal, moi, parce qu’on a tout… Après,
                       bien ça te donne de l’autonomie, ça aussi hein ! […] Moi je m’en venais de
                       là-bas, parce que je veux mon autonomie. Ma vision de l’autonomie, c’est
                       de décider moi-même ce que j’ai envie de faire ! » (femme,  ans, Plateau-
                       Mont-Royal).

                       Mon quartier, ma ville, notre histoire
                       Lorsqu’on leur demande d’évoquer leur parcours résidentiel dans la ville,
                       les participants parlent avec entrain de la vie montréalaise de l’époque ;
                       s’ils sont nés à Montréal, de leur maison familiale ; s’ils y ont migré, de
                       leur premier point de chute dans la ville. Comme le remarque cette par-
                       ticipante :
                             Parce que quand tu vas dans des résidences […] [s’] ils prennent les gens du
                             quartier, même si tu ne les connais pas, tu peux parler :
                             – « Te souviens-tu de telle affaire qu’on avait ? Tel magasin ou telle affaire ? »
                             – « Ah ! Oui ! »
                             – « Ben ça n’existe plus ! »
                             Tu sais ce je veux dire, tu placotes comme ça. Mais si tu t’en vas dans une
                             autre affaire tu ne connais pas […] tu n’as rien en commun, tu sais. Tu n’as
                             rien contre, mais tu n’as rien en commun non plus, ça fait que c’est très
                             important de vivre dans [son] milieu tu sais (femme,  ans, Rosemont).

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                    Si certains envisagent de changer de quartier, c’est pour aller dans un
                autre quartier central, mais pas à l’extérieur de Montréal. Une seule
                participante a essayé d’aller vivre à la campagne, mais s’y trouvant isolée,
                elle est revenue vivre dans le quartier qu’elle avait toujours habité.

                Conclusion : les lieux du vieillir et l’exclusion sociale
                La figure de l’aîné improductif contraste avec l’idée de l’urbanité contem-
                poraine, affairiste et capitaliste (Castells ), culturellement identifiée
                comme jeune (Sassen ). L’aîné y apparaît comme un « impensé urbain »
                (Aubré et al.  : ). Or il semble, dans le cas de Montréal du moins,
                qu’au contraire, les quartiers centraux offrent des moyens, des services et
                des conditions de vie qui permettent aux personnes âgées de s’y sentir
                chez elles.
                    En outre, le fait de vivre dans un environnement intergénérationnel
                (que ce soit dans un immeuble à vocation familiale, à proximité d’une
                école, d’un parc aménagé pour les enfants, etc.) et interculturel permet
                de se sentir partie prenante de la vie sociale, même si les contacts sont
                indirects. La proximité des transports publics et des services, qu’il s’agisse
                des magasins ou des services de santé, caractéristique spécifique des
                quartiers centraux par rapport aux quartiers périphériques ou aux ban-
                lieues, permet de contrer l’exclusion territoriale, les ressources étant plus
                facilement accessibles. De plus, la possibilité de faire appel à une diversité
                de sources d’aide semble influencer positivement l’impression de maî-
                triser son espace de vie et le sentiment d’autonomie.
                    Les aînés ayant participé à notre recherche ont développé diverses
                stratégies afin d’actualiser leurs multiples identités et de continuer de
                vivre leur vie malgré des problèmes de santé. Ces stratégies sont princi-
                palement : participer à des activités ou les organiser, recevoir la visite de
                bénévoles, de la famille ou d’amis de passage, exercer leur mobilité en
                allant faire les courses ou en se promenant au parc, avoir des contacts
                directs ou indirects avec des personnes de tous âges, organiser une aide
                qui leur permet de se sentir autonomes par rapport à leurs proches.
                    Ainsi, plutôt qu’antinomiques, vieillesse et vie urbaine peuvent être
                complémentaires. Ceci devrait inciter les décideurs et les intervenants à
                être particulièrement vigilants sur les conditions du vieillissement de la
                population montréalaise. En effet, si « une offre généreuse de ressources
                urbaines (…) compense (…) le faible niveau de ressources individuelles »
                (Apparicio et Séguin  : ), on peut se questionner sur le but du
                développement des résidences pour aînés dans les zones périurbaines. En
                général, ces résidences sont très éloignées des commodités et des services
                (épiceries, groupes communautaires, services de santé), et peu desservies

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Vieillir au centre de la ville plutôt que dans ses marges  117

                       par le réseau de transport en commun. Pour aller de ces zones au centre-
                       ville ou aux points de services, il est souvent nécessaire d’avoir une
                       automobile. Or la conduite en hiver au Québec (déneigement de la voiture
                       et du stationnement, rues glissantes, etc.), le stress de conduire en ville et
                       le développement d’incapacités font qu’un grand nombre de personnes de
                        ans et plus délaissent progressivement la voiture. En effet, seulement
                        % des aînés de plus de  ans ont un permis de conduire valide (Korner-
                       Bitensky, Toal-Sullivan et von Zweck ). Les répercussions de la ces-
                       sation de la conduite chez les aînés sont multiples, allant de la crainte
                       d’être un poids pour la famille à la dépression, à l’enfermement progressif
                       dans le domicile ou au changement dans la perception de soi (sentiment
                       d’être « vieux » et incompétent), surtout lorsque des moyens de transport
                       alternatifs ne sont pas disponibles (Bauer, Rottuna et Adler ). À ce
                       sujet, il a été démontré que la participation sociale est directement liée à
                       l’autonomie dans ses déplacements (Coughlin ) et que cette auto-
                       nomie est garante du maintien de l’identité des aînés (Lord, Després et
                       Ramadier ). Fobker et Grotz () ont montré qu’un environnement
                       approprié au vieillissement doit permettre d’accomplir ses activités quo-
                       tidiennes sans dépendre d’une automobile. Si nous ajoutons à cela que la
                       plupart des aînés vivant seuls sont des femmes, et que seulement  % des
                       Montréalaises de plus de  ans ont un permis de conduire (ASSSM
                       ), la question du choix du territoire dans lequel on vieillit s’impose.
                           Par contre, tout n’est pas parfait dans le centre de la ville. Quoique le
                       système de transport en commun soit très développé, le métro est très peu
                       accessible aux personnes à mobilité réduite et les autobus circulent moins
                       fréquemment en dehors des heures de pointe. De plus, les conditions
                       aléatoires de déneigement des trottoirs en hiver continuent à confiner
                       plusieurs personnes âgées dans leur domicile pendant plusieurs mois.
                       Ainsi, les facteurs contribuant à l’exclusion territoriale ne sont pas com-
                       plètement surmontés même dans les quartiers centraux.
                           Par ailleurs, le fait de vivre dans ces quartiers permet, comme nous
                       l’avons vu, de contrer un autre aspect de l’exclusion territoriale, soit
                       la ghettoïsation de la vieillesse. Si les résidences pour aînés en zones
                       périurbaines tentent effectivement de surmonter le fait d’être loin des
                       commodités en offrant celles-ci sur place (piscine, coiffeur, dépanneur),
                       elles ne peuvent pas échapper à l’homogénéité générationnelle (Lord et
                       Luxembourgh ).
                           Enfin, le déménagement d’un quartier lié à son histoire personnelle
                       pour aller vers un endroit où la notion de quartier ne s’applique pas coupe
                       l’individu de son passé et peut l’empêcher de tisser des liens avec ce
                       nouveau lieu « sans histoire ». On nie alors la multiplicité des identités et
                       des parcours de vie des aînés, et la seule référence à cet espace et aux

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                autres se réduit à celle de l’âge. Le renvoi des personnes âgées vers la
                périphérie les prive du pluralisme des quartiers centraux, et prive les
                habitants des quartiers centraux de la présence de ceux et celles qui en
                incarnent l’histoire.

                Note
                .    On peut identifier sept formes d’exclusion sociale (Billette et Lavoie ), soit
                      l’exclusion symbolique, identitaire, sociopolitique, institutionnelle, économique,
                      des liens sociaux significatifs et l’exclusion territoriale. Pour le sujet qui nous
                      occupe, nous faisons appel aux concepts d’exclusion symbolique, identitaire et
                      territoriale.

                Références
                Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, . Vieillir à Montréal, un
                   portrait des aînés. Montréal.
                Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, . « Portrait sommaire des
                   personnes âgées à Montréal », Dossier de l’organisation des services pour personnes
                   âgées de Montréal. Plan -. Montréal.
                André, P., I. Trudeau, C. Marois, C. et al., . « Les personnes âgées et l’hiver à
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                   Canada) », Revue de géographie alpine, vol. , no , p. -.
                Andrew, M. K., . « Le capital social et la santé des personnes âgées », Retraite et
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                Apparicio, P. et A.-M. Séguin, . « L’accessibilité aux services et aux équipements :
                   un enjeu d’équité pour les personnes âgées résidant en HLM à Montréal », Cahier
                   de géographie du Québec, vol. , no , p. -.
                Aronson, J. et S. M. Neysmith, . « Manufacturing social exclusion in the home
                   care market », Canadian Public Policy – Analyse des politiques, vol. , no , p. -
                   .
                Attias-Donfut, C., . « La vieillesse inégale », Communication, no , p -.
                Aubree L., I. Fourny, S. Kazmierczak et al., . Les personnes âgées et la ville.
                   Observatoire régional de l’habitat et de l’aménagement Nord-Pas de Calais, Lille,
                   CRESGE.
                Bauer, M. J., S. Rottuna et G. Adler, . « Older women and driving cessation »,
                   Qualitative Social Work, vol. , no , p. -.
                Becker, G., . « Meanings of place and displacement in three groups of older immi-
                   grants », Journal of Aging Studies, vol. , no , p. -.
                Billette, V. et J.-P. Lavoie, . « Introduction. Vieillissements, exclusions sociales et
                    solidarités », in M. Charpentier, N. Guberman, V. Billette et al. (dir.), Vieillir au
                    pluriel. Perspectives sociales. Québec, Presses de l’Université du Québec, p. -.
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                Bultez, J-P., . « Isolement et exclusion dans le vieillissement », Économie et huma-
                    nisme, no , p. -.

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