Vivre le Vieux Pierre de Billy - Continuité - Érudit

 
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Continuité

Vivre le Vieux
Pierre de Billy

Numéro 72, printemps 1997

Vieux-Montréal

URI : https://id.erudit.org/iderudit/16960ac

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Éditeur(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (imprimé)
1923-2543 (numérique)

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Citer cet article
de Billy, P. (1997). Vivre le Vieux. Continuité, (72), 48–52.

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Vivre
                                                   le Vieux                                  VINCENT DI CANDIDO,
                                                                                                 LE GALÉRISTE

                                                                                     V
                                                                                                     incent Di Candido est un
                                          La vie d'un quartier, fut-il historique,                   homme pour qui l'engage-
                                                                                                     ment dans la vie de quartier
                                                                                                     n'est pas une vaine formule.
               est d'abord et avant tout insufflée p a r les gens qui y vivent,                      Il n'y a pas cinq ans qu'il a
                                                                                                     emménagé sur la rue Saint-
                    qui y travaillent, qui l'habitent dans ses coins et recoins,     Paul qu'il est déjà devenu éditeur de
                                                                                     l'annuaire des marchands du Vieux-
                                                                                     Montréal, directeur du mensuel Échos du
         dans son endroit comme dans son envers et sous toutes les cou-              Vieux-Montréal et président de l'asso-
                                                                                     ciation des commerçants de son quartier.
                          tures. C'est ce que font les Vincent Di Candido, George    Il mène tout ça en parallèle avec les acti-
                                                                                     vités de son commerce, Le relais des épo-
                                                                                     ques, une galerie d'art spécialisée dans la
                                      Coulombe, Pierre Benoît, Claude Piché....      production d'artistes montréalais. «Je n'ai
                                                                                     pourtant pas de goût particulier pour les
                                         p a r Pierre de Billy                       postes de prestige et les dîners de cham-
                                                                                     bre de commerce, tient-il à préciser. Mais
                                                                                     quand je suis arrivé dans mon nouveau
                                                                                     coin, j'ai réalisé avec stupeur que le taux
                                                                                     d'inoccupation des locaux commerciaux
                                                                                     atteignait des sommets de côté-ci du
                                                                                     vieux quartier. Il fallait faire quelque
                                                                                     chose. Les commerçants de mon coin
                                                                                     manquaient cruellement d'outils pour lut-
                                                                                     ter contre cette léthargie dont souffrait le
                                                                                     Vieux-Montréal. Au premier chef, il deve-
                                                                                     nait impératif de créer un organisme pou-
                                                                                     vant vraiment les représenter et faire
                                                                                     entendre leurs griefs et aspirations à la
                                                                                     Ville et dans les ministères. »

                                                                                            U N EFFET D'ENTRAÎNEMENT
                                                                                     À vrai dire, il existait déjà, à l'arrivée de
                                                                                     Vincent Di Candido, une association de
                                                                                     commerçants du Vieux-Montréal, mais
                                                                                     Vincent Di Candido estimait que l'orga-
                                                                                     nisme représentait mal les marchands
                                                                                     qui, comme lui, avaient pignon sur rue
                                                                                     plus à l'ouest. Il commence donc par fon-
                                                                                     der l'Association des commerçants de la
                                                                                     rue Saint-Paul Ouest. Intéressés par le

                                                                                     « Le Vieux-Montréal, c'est notre quartier, un
                                                                                     lieu que nous voulons vivant. »
                                                                                     Vincent Di Candido, le galériste.
                                                                                     Photo: Mark Anthony Price

2 numéro soixante-douze                                          D o s s i e r
Vivre le Vieux Pierre de Billy - Continuité - Érudit
dynamisme de cette nouvelle organisa-            d'hiver à la saison froide), Vincent Di
tion, d'autres commerçants du secteur            Candido donne plusieurs dizaines d'heu-
demandent à y adhérer. L'association se          res par semaine à son quartier. Du temps
mue donc Association des commerçants             et de l'énergie qui ne se traduisent pas
du Vieux-Montréal Ouest. « C'était               nécessairement par des tintements dans le
comme si tout se qui trouvait un peu trop        tiroir-caisse. «C'est notre quartier, un lieu
à l'ouest du noyau touristique de la place       que nous voulons vivant. Pour le moment,
Jacques-Cartier comptait pour quantité           il a besoin d'amis un tant soit peu désinté-
négligeable, se remémore Vincent Di              ressés. »
Candido. Beaucoup de commerçants en
souffraient. Il fallait changer cet état de                   PIERRE BENOÎT,
choses. »                                                    LE RESTAURATEUR

                                                 L
L'un des premiers gestes posés par cette                    es vieux quartiers semblent avoir
nouvelle association de westerners fut de                   cette faculté de donner de la
faire des représentations soutenues auprès                 couleur à leurs commerçants. Le
de la municipalité pour faire enlever ces                  Vieux-Montréal n'échappe pas à
affiches qui indiquaient «zone résiden-                     la règle. Pierre Benoît, proprié-
tielle » à l'entrée du secteur ouest du                     taire du restaurant La maison
quartier. «Visiteurs et touristes, dit M. Di     Cartier, est sans contredit un passionné.
Candido, étaient convaincus d'entrer dans        Cet homme d'affaires, dont la famille
un coin de la ville voué uniquement à            tient commerce depuis trois générations
l'habitation et où ils n'étaient pas les bien-   dans le Vieux, parle avec fougue de
venus. Pas fameux pour le commerce,              l'évolution de son morceau de la place
vous admettrez. » Au bout du compte,             Jacques-Cartier, fourmille d'idées et
l'engagement de Vincent Di Candido se            s'emporte contre «ceux qui profitent de
fait tellement omniprésent qu'il est pres-       l'afflux touristique pour faire n'importe
senti pour assumer la présidence du              quoi: les foires de manèges, les fast food
Regroupement des commerçants du                  qui nourrissent sans se soucier du goût,
Vieux-Montréal, poste qu'il occupe               on a vu passer toutes sortes d'absurdités
depuis 1994. «La toute première tâche à          issues d'esprits mercantiles; heureuse-
laquelle je me suis consacré a été d'établir     ment, le jeu s'est un peu calmé. »
un climat de confiance sur deux plans:           Pourtant, le restaurateur n'est pas à pro-
entre les commerçants et les résidents,          prement parler un « interventionniste »
puis entre les commerçants eux-mêmes.            partisan des trains de réglementations.
L'unité de ces derniers avait été minée          «Au contraire, j ' a i longtemps pesté
par un individualisme tenace. »                  contre les restrictions trop sévères
Italien d'ascendance, Français d'origine et      concernant les travaux sur les bâtiments
Montréalais d'adoption, Vincent Di               du Vieux-Montréal. Mais il me semble
Candido a choisi de s'établir dans la            tout de même que la libre entreprise
métropole alors qu'il n'avait que 21 ans.        pourrait s'accommoder d'un zonage res-
« Ma décision doit un peu beaucoup à une         ponsable. »
jeune femme du nom de Denise                     Pierre Benoît n'a jamais habité le Vieux-
Beaudet», dit le galériste en jetant un          Montréal et pourtant il y a pratiquement
sourire du côté de son épouse. Après avoir       grandi. « La place Jacques-Cartier, je la
occupé plusieurs métiers, il s'est lancé, il y   connais depuis toujours, puisque mon
a 12 ans dans le commerce de l'art, «un          père m'y amenait lorsqu'il venait voir aux
créneau pas facile, mais tout à fait enthou-     affaires de son hôtel. » Cet hôtel, c'était le
siasmant». Leur première boutique était          Nelson, un établissement que tous les            «Je verrais d'un b o n œil une corporation
située rue Sherbrooke, tout près du              Montréalais de 40 à 90 ans ont connu. Les        municipale indépendante p o u r le Vieux-
Musée des beaux-arts de Montréal. « Mais         plus âgés se souviendront peut-être de           Montréal. » Pierre Benoît, le restaurateur.
nous lorgnions du côté du fleuve, dit            l'hôtel Jacques-Cartier que le grand-père        Photo prise devant l'ancien édifice situé au
Denise Beaudet-Di Candido, car nous                                                               267 de la rue Saint-Paul Est, p r o p r i é t é de
                                                 de Pierre Benoît a acquis en 1927.
avons toujours été des amoureux du                                                                Pierre Benoît. La façade a été restaurée au
                                                 «C'était, dit Pierre Benoît, une auberge à
Vieux-Montréal. Quand la revitalisation du                                                        t o u t d é b u t de 1997 par l'architecte Michel
                                                 matelots assez malfamée que l'aïeul ache-        Lemaire. Un p r o j e t d e reconstruction limité
quartier a atteint un niveau viable et qu'un     tait pour profiter d'une offre d'expropria-      à la façade sur rue préserve ainsi le jardin
local abordable s'est libéré, rue Saint-Paul,    tion de la Ville qu'il croyait imminente.        Nelson situé à l'arrière.
nous avons sauté sur l'occasion. »               La Ville n'a pas exproprié l'auberge, il a       Photo : Mark Anthony Price
De tables de concertation en comités             bien fallu qu'il se débrouille pour l'opé-
d'organisation des fêtes (celle de               rer. » Voilà donc comment se fonde une
l'Histoire en été et celle de l'escapade         dynastie d'hôteliers.

                                                               D o s s i e r                                                          numéro soiixnnte-douze 2
Vivre le Vieux Pierre de Billy - Continuité - Érudit
Lorsqu'il a hérité de l'affaire, le père de
                           UN QUARTIER EN QUÊTE D'HABITANTS                                        M. Benoît y a aménagé une salle à man-
                                                                                                   ger fort courue des amateurs de bonne
         Le Vieux-Montréal souffre d'un mal            nager un parc riverain, redonnant du        table de la moitié du siècle. «Les gens de
         similaire à celui qui afflige l'arrondisse-   coup leur fleuve aux Montréalais et         la Bourse et les cadres du journal Le
         ment Vieux-Port-Place-Royale de la            attirant d'éventuels résidents. Mais on     Devoir aimaient venir dîner dans
         ville de Québec: il manque d'habi-            n'a rien trouvé de mieux que d'accu-        l'ambiance luxueuse de l'endroit. On y
         tants. En saison, il déborde de vie et        muler des immeubles sur les emplace-        voyait presque tous les midis un jeune
         de touristes. Mais l'hiver venu, c'est la     ments des hangars. »                        avocat ambitieux qui allait faire son che-
         désolation. «Ça fait trois décennies          Gaétan Trottier n'est pas le seul rési-
                                                                                                   min, dit avec finesse Pierre Benoît. Le
         que notre quartier est prisonnier du          dent à critiquer l'aménagement actuel
                                                                                                   gars s'appelait Jean Drapeau. »
         même cercle vicieux: pas de services,         du Vieux-Montréal. Certains habitants
         pas d'habitants, pas d'habitants, pas         actuels, s'exprimant sous le couvert de     Mais en 1971, cette salle à manger qui
         de services, dit Claude Piché, président      l'anonymat, en ont contre la façon          avait fait la fortune de la famille Benoît
         sortant de l'Association des résidents        dont ont été dépensées les envelop-         est d'un style complètement dépassé.
         du Vieux-Montréal. Un supermarché,            pes du ministère de la Culture et des       «Elle était passée de mode, voilà tout»,
         une pharmacie, une école primaire, une        Communications. «Une fois réalisés          dit Pierre Benoît, qui a racheté l'hôtel de
         ou deux boutiques de prêt-à-porter,           les projets de grande envergure             sa famille pour tenter de remettre l'entre-
         voilà au minimum les institutions et          comme la rénovation du marché               prise sur pied. «J'étais administrateur
         commerces qu'il faut pour insuffler de        Bonsecours, il ne restait plus rien,        dans une entreprise et le travail d'auber-
         la vie à une agglomération.»                  disent-ils, pour la remise en état des      giste à temps partiel ne faisait pas du tout
         Pierre Benoît se rappelle quant à lui         vieux bâtiments. Un vrai scandale
                                                                                                   partie de mon plan de carrière. Mais, bon,
         avoir, à une époque, crié sur toutes les      quand on sait dans quel état se trou-
                                                                                                   il fallait bien faire q u e l q u e chose. »
         tribunes: «Un Steinberg pour le               vent des édifices d'intérêt patrimo-
         Vieux!» Nous en avions fait un slogan,        nial.» Ces derniers interlocuteurs          Devant la somme prohibitive que lui
         dit le proprio de La maison Cartier.          demeurent sceptiques sur les tables         coûterait la rénovation des chambres de
         Mais pour ça, il faut un peu de volonté       de concertation comme celle portant         l'hôtel, Benoît décide d'en faire une
         de changer les choses. Commerçants            sur les «orientations de développe-         auberge de jeunesse, une formule qui, en
         et résidents du Vieux-Montréal sont           ment pour le Vieux-Montréal » qui a         ces glorieuses seventies de bohème, rem-
         tous d'accord sur le fait que le quar-        tenu ses assises en mai dernier.            porte un succès i m m é d i a t . « À c e t t e
         tier ne pourrait qu'y gagner à se don-        Le promoteur Georges Coulombe est           même époque, il m'arrive un bonhomme
         ner une véritable communauté. « Des           pour sa part plutôt optimiste. Au point     avec une drôle de prononciation qui dit
         estimations très sérieuses ont chiffré à      qu'il a décidé de tenter une percée du
                                                                                                   s ' a p p e l e r " l ' o u v r e - b o î t e " , Raymond
         plus de 65 millions de dollars la masse       côté des immeubles locatifs. «Ce ne
                                                                                                   L é v e s q u e , chansonnier et homme de
         monétaire qui s'envole dans la nature         sera pas un investissement aussi
         à cause du manque de services struc-          garanti que les locaux commerciaux,         théâtre de son état. Il demande à louer
         turants, dit Vincent Di Candido, prési-       estime-t-il, mais il faut bien que          ma vieille salle à manger pour y présenter
         dent du Regroupement des commer-              quelqu'un s'y mette si on veut insuffler    des revues. »
         çants du Vieux-Montréal. Même des             un peu de dynamisme dans ce quar-           Tout au long de la décennie qui suivra, le
         secteurs comme l'hôtellerie, qui              tier. » Résidents et commerçants se         Nelson est d e v e n u un haut lieu du
         devrait pourtant être florissant avec         mettent d'accord sur un nombre mini-
                                                                                                   Montréal nocturne, alternant les vocations
         l'afflux touristique, sont presque            mal de 3500 habitants pour rendre le
                                                                                                   de discothèque et de salle de spectacle.
         absents. »                                    Vieux-Montréal viable du point de vue
                                                       résidentiel. Mais, au-delà de ce chiffre,   En 1980, les inspecteurs du bâtiment fer-
         Pour Gaétan Trottier, propriétaire de
                                                       peu de gens osent s'avancer sur la          ment l'hôtel Nelson et Pierre Benoît met
         l'auberge-restaurant La maison Pierre
                                                       capacité du quartier de soutenir une        bientôt tout l'immeuble en vente, ne
         du Calvet, il est clair que si la situation
         stagne à cet égard, «c'est que cer-           population plus nombreuse. Pour le          conservant que sa lucrative petite crêpe-
         tains s'en fichent». M. Trottier réside       restaurateur Pierre Benoît, pourtant,       rie, voisine immédiate du N e l s o n : La
         dans le Vieux-Montréal depuis près de         ça ne fait pas de doute : « Allons bon !    maison Cartier.
         35 ans. «J'ai vu les soubresauts d'ago-       le Vieux-Montréal peut accueillir au        En ce qui concerne l'avenir du Vieux-
         nie d e m o n quartier, témoigne-t-il.        moins 20 000 habitants. Il est à prévoir
                                                                                                   Montréal, Pierre Benoît est relativement
         Quand j'avais 19 ans, il y avait une          que, passé le cap des 5000 résidents,
                                                                                                   optimiste, bien qu'il estime que tant que
         école primaire tenue par les sœurs,           les choses iront en s'accélérant. »
                                                       Au moment de mettre sous presse, la         son quartier ne sera pas un véritable lieu
         des épiceries et un marché, bien sûr,
                                                       Société de développement de                 de vie, la partie ne sera pas gagnée. «Je
         le marché Bonsecours. Tout ça a dis-
                                                       Montréal annonçait l'installation, mar-     verrais d'un bon œil une corporation
         paru en moins d'une décennie, miné
         par le laisser-faire de la Ville. En 1970,    ché Bonsecours, d'une épicerie offrant      municipale indépendante», dit le restau-
         il ne restait pas 300 habitants. Plus         produits fins et marques d'aliments         rateur, d'un ton inspiré.
         tard, quand on a voulu «développer»           courants. On attend aussi beaucoup
         le Vieux-Port, on croyait, nous les rési-     du retour des maraîchers au hall
         dents, que les autorités allaient saisir      Bonsecours, prévu pour l'été qui s'en
         l'occasion pour jeter à bas les vieux         vient. Ce n'est pas encore le super-
         entrepôts qui nous cachaient le fleuve.       marché, mais ça s'en rapproche.
         C'aurait été l'endroit rêvé pour amé-

-; numérv soixante-douze                                            D o s s i e r
Vivre le Vieux Pierre de Billy - Continuité - Érudit
GEORGES COULOMBE,                                       beau-frère, j'apprenais sur le tas à accom-
                LE PROMOTEUR                                         plir certains travaux de m e n u i s e r i e . Ça
                                                                     n'allait pas tout seul, car je n ' é t a i s pas

D
                         ans son b u r e a u , G e o r g e s         s p é c i a l e m e n t d o u é p o u r les t r a v a u x
                         Coulombe garde une photo                    manuels. »
                         de l'époque où il débutait                  À entendre Georges Coulombe, il est clair
                         d a n s la v i e . L e j e u n e            que l'homme d'affaires est encore animé,
                         h o m m e b a r b u et v ê t u              un quart de siècle plus tard, de l'enthou-
                         d ' u n e salopette en jean de              siasme des débuts. « Ç a peut paraître
la photo a déjà cet air résolu du promoteur                          curieux, mais il y a, dans la remise à neuf
d'aujourd'hui. Après 2.1) ans dans la «biz-                          d'un vénérable bâtiment, un plaisir esthé-
n e s s » , ce b l e u e t t r a n s p l a n t é tôt à               tique qui n'est pas loin de la création artis-
Montréal peut affirmer sans p r é t e n t i o n :                    t i q u e de m o n p r e m i e r m é t i e r . Ils sont
 « Le parc immobilier du Vieux-Montréal,                             d'ailleurs nombreux les artistes et les créa-
j e le sais par c œ u r . » L o r s q u ' i l a fait                 teurs à venir s'établir dans mes locaux. Ils
l'acquisition de ses premiers b â t i m e n t s ,                    retrouvent dans le Vieux une ambiance et
les investisseurs ne se bousculaient pas au                          une tranquillité stimulantes qui tranchent
portillon pour a c h e t e r d e s i m m e u b l e s                 avec le rythme fébrile du reste de la ville. »
dans le coin. Le taux d'inoccupation des                             G e o r g e s C o u l o m b e ne p o s s è d e q u ' u n
immeubles atteignait alors des sommets et                            i m m e u b l e s i t u é hors d u p é r i m è t r e du
il fallait, pour s'imaginer faire des profits                        vieux quartier. L e Vieux-Montréal a fait
avec l ' i m m o b i l i e r , ê t r e un p e u r ê v e u r .        sa fortune; il s'y tient. Cela dit, si le Vieux
« O u a v o i r d u flair, c o r r i g e G e o r g e s               recèle son lot de bonnes occasions dans
C o u l o m b e . La spéculation restait hasar-                      l'immobilier, la rénovation et la location
d e u s e , mais la r é n o v a t i o n pour fins d e                d'espaces commerciaux ne s'offrent pas
location avait de l'avenir, j ' e n étais sûr. »                     au p r e m i e r i n v e s t i s s e u r v e n u . Avec un
Malgré toute l'ambition de ses 28 ans, le                            taux d e vacance voisinant les 30 %, le
j e u n e C o u l o m b e était loin de se d o u t e r               Vieux-Montréal engendre la méfiance des
qu'il d e v i e n d r a i t le plus important pro-                   gérants de banque et il faut apprendre à
priétaire immobilier particulier du Vieux-                           soigner ses locataires. « Un proprio qui se
Montréal, gérant 17 i m m e u b l e s c o m p r e -                  contente de faire du bureau et d'encaisser
nant au-delà de 40 000 mètres carrés. Il                             les loyers tient rarement le coup dans le
d é m o n t r a i t t o u t e f o i s un t a l e n t c e r t a i n   Vieux, estime le promoteur. Ça prend une
pour les affaires. Quelques années aupara-                           administration de terrain par ici, un suivi
vant, il travaillait c o m m e graphiste dans                        s o u t e n u , un e n t r e t i e n d i l i g e n t et d e s
les bureaux du siège social de la compa-                             c o n t a c t s r a p p r o c h é s a v e c la c l i e n t è l e .
gnie Alcan, mais il ressentait u n e sorte                           Notre quartier se d é m a r q u e du reste de
d ' e n n u i à travailler de neuf à cinq pour                       Montréal. Il ressemble à un gros village.
des patrons alors qu'il se sentait les capa-                         T o u t le m o n d e se connaît et il convient
cités de fonder sa propre entreprise. «J'ai                          de conserver des relations harmonieuses                              « Tout le m o n d e se connaît dans le Vieux et
ouvert ma propre boîte de c o m m u n i c a -                        e n t r e p r o p r i é t a i r e s , h a b i t a n t s et mar-      il convient de conserver des relations har-
tions et j'ai choisi d'aménager mes locaux                           chands. »                                                            monieuses entre propriétaires, habitants et
d a n s le V i e u x - M o n t r é a l . L ' a t m o s p h è r e                                                                          marchands. » Georges Coulombe, le p r o -
séculaire du q u a r t i e r m ' i n s p i r a i t et les                             CLAUDE PICHÉ,                                       moteur.
c o û t s d e location r e s t a i e n t à la p o r t é e                          LE RÉSIDENT ENGAGÉ                                     Photo : Mark Anthony Price
d'une entreprise débutante. »

                                                                     C
                                                                                       laude Piché a quitté cette
D é b u t a n t e , sa p e t i t e e n t r e p r i s e ne l'est                        a n n é e la p r é s i d e n c e d e
pas restée très l o n g t e m p s . En q u e l q u e s                                 l'Association des résidents
mois, Georges C o u l o m b e et ses associés                                          du Vieux-Montréal. «J'ai-
atteignent un chiffre d'affaires dépassant                                             mais bien c e t t e forme
le million de dollars. C'est à la m ê m e épo-                                         d'engagement, mais c'était
q u e qu'il acquiert ses premiers i m m e u -                        devenu un travail à temps plein. Cela dit,
bles. « J e m e souviens du tout premier.                            je ne serai jamais bien loin des préoccupa-
C ' é t a i t le 296, rue Saint-Paul, un vieux                       tions des résidents. Quand on est habitant
machin pas mal dégradé qui avait encore                              d u V i e u x , on r e s s e n t le b e s o i n d e le
de la gueule et dont le prix m'apparaissait                          défendre. »
r a i s o n n a b l e : 28 0 0 0 $ , c ' é t a i t pas cher,
                                                                     M. Piché est conseiller principal chez les
m ê m e dans les années 70. » Pour ses pre-
                                                                     consultants en communication du groupe
mières entreprises de rénovation, il a dû
                                                                     B D D S , dont le bureau se situe sur la rue
mettre la main à la pâte. «Aidé de mon
                                                                     Drummond, tout près du Vieux-Montréal.

                                                                                              o s s i e r                                                                          ùxante-douze S
« Q u a n d on est habitant du Vieux, on
       ressent le besoin de le défendre. » Claude
       Piché, le résident engagé.
       Photo: Mark Anthony Price

       « Lorsque nous avons, ma compagne et
       moi, acheté notre demeure-condo du 305
       rue de la Commune, il y a huit ans, nous
       étions parmi les derniers à emménager
       dans notre petit complexe. Nous n'en reve-
       nions pas de notre chance de pouvoir ainsi
       vivre au bord du fleuve dans cette paix
       presque irréelle du Vieux-Montréal. On a
       l'impression, en revenant chez nous après
       le travail, de franchir une frontière invisible
       nous menant dans une autre ville. Une ville
       populeuse et détendue, l'été, avec ses six
       millions de visiteurs estivaux; une ville
       lénifiante qui respire l'Histoire l'hiver.»
       L ' a p p a r t e m e n t de Claude Piché est
       superbe. De la fenêtre du living, on peut
       voir des navires amarrés tout près aux
       quais du Vieux-Port. Les pierres d'origine
       des murs de la maison témoignent de la
       première vocation du bâtiment qui ser-
       vait, il y a un siècle et demi, d'entrepôt de
       fourrures. « De nombreux immeubles du
       Vieux-Montréal pourraient subir une
       transformation réussie comme celle-ci, dit
       Claude Piché. Il suffirait de stimuler la
       venue de nouveaux habitants en dotant le
       quartier de services de base. »
       Les chiffres semblent néanmoins encoura-
       geants, puisqu'en 20 ans, le Vieux-
       Montréal a vu sa population résidente pas-
       ser de 400 à 2000 habitants. «Et le plus
       intéressant, ajoute Claude Piché, c'est que
       25 % de ces nouveaux arrivants se sont
       installés dans les derniers cinq ans. Il y a là
       une tendance à renforcer, car nous pour-
       rions facilement accueillir plusieurs
       milliers de citoyens supplémentaires. »
       Au cours du mandat qui s'est terminé en
       novembre dernier, Claude Piché et son
       association ont orienté leurs efforts sur la
       promotion du Vieux-Montréal comme
       quartier résidentiel, mais ont dû aussi
       maintenir une saine vigilance pour éviter la
       « disneyisation » de la vieille ville. « Si on
       n'y prend pas garde, les boutiques attrape-
       touristes se multiplient comme par généra-
       tion spontanée. La préservation de la qua-
       lité de vie passe aussi par un refus de
       l'enlaidissement. De même, il nous arrive
       régulièrement un promoteur mégalo, fier
       d'avoir dégoté «l'idée du siècle». Il y a
       quelques années, un fabricant d'espadrilles
       songeait à aménager une immense surface
       pour le patinage à roues alignées.
       Heureusement, il n'a pas insisté. »

       Pierre de Billy estjournaliste pigiste.

0 numéro soixante-douze                                  D o s s i e r
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