100 CLÉS NORMAND - Éditions des falaises
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Franck Boitelle 100 CLÉS du PATRIMOINE NORMAND © Editions des Falaises, 202 0 16, avenue des Quatre Cantons - 76000 Rouen 102, rue de Grenelle - 75007 Paris www.editionsdesfalaises.fr
SOMMAIRE PATRIMOINE NATUREL Le bocage, un milieu 41 Les fromages au cœur La bonne mine 70 Cire Trudon brûle pour l’abeille noire de l’Orne 100 du maquereau de Trouville 74 L’excellence sinon rien riche et protecteur 42 Pétillant poiré dans la Glass Vallée 101 A Carolles, Vauban du pays Domfrontais 75 PATRIMOINE vaut bien une cabane 43 ARCHITECTURAL 11 Le clos-masure, La pomme, reine de Normandie 76 PATRIMOINE CULTUREL 103 La petite robe noire A Caen, l’empreinte un patrimoine unique 44 En immersion de la poule de Gournay 77 de Guillaume 12 L’impressionnante muraille de la dans la Cité de la Mer 104 La cathédrale, Côte d’Albâtre 45 A Gisacum, plongée dans l’autre joyau de Bayeux 13 Les trésors naturels du Cotentin 46 PATRIMOINE INDUSTRIEL 79 l’univers gallo-romain 105 Des châteaux plus La forêt, superbe et mystérieuse 47 Le Palais Bénédictine La Normandie, ou moins gaillards 14 Des randonnées célèbre les noces de l’art terreau littéraire 106 Les trésors à couper le souffle 48 et de la gastronomie 80 A Rouen, l’Historial dessine de la cathédrale de Rouen 16 La Normandie, terre de cheval 49 Les lampes Berger le portrait de Jeanne 108 Au Manoir du Catel, Une région aux mille jardins 52 toujours dans la lumière 81 L’IMEC, la mémoire l’histoire d’un sauvetage 17 Berceau de la production On craque pour des Lettres 109 Modestes et majestueux de lin textile 53 la biscuiterie de l’Abbaye 82 L’ivoire, une passion dieppoise 110 colombiers normands 18 Au Marais Vernier, Bohin en pique pour l’art 83 A Lillebonne, les riches Les paris de Deauville 20 Dame Nature en majesté 54 Le formidable essor heures de Juliobona 111 La séduction profonde d’Etretat 21 Le Percheron, un cheval du drap d’Elbeuf 84 Les compagnies font L’Eure d’Evreux 22 de trait aux traits nobles 55 L’âge d’or de la faïence de Rouen 85 le cirque à La Brèche 112 Autour du Vieux Bassin Les miracles de Filt sait vous prendre Le Mémorial de Caen, d’Honfleur 23 Saint-Céneri-le-Gérei 56 dans ses filets 86 un musée pour la Paix 113 Jumièges, c’est pas la ruine 24 La Seine, industrieuse La madeleine, tout un art 87 Au rendez-vous et charmeuse 57 des « illustres » 114 Le Havre au cœur Mauviel 1830, en béton armé 25 Ces talus que tout feu tout flamme 88 Alençon, patiente l’on nomme « fossés » 58 comme une dentellière 116 Le colombage séduit toujours 26 Normandie AeroEspace La vache Normande, quelle star ! 59 fait décoller les entreprises 89 A Granville, L’étonnante église de Ménil-Gondouin 28 Une région pleine le génie d’un créateur 117 Sous le regard de l’Archange 29 PATRIMOINE d’énergie nucléaire 90 Une terre de musiciens 118 Ce pont qui parle de Dieppe 30 GASTRONOMIQUE 61 Le Véritable Cherbourg Au Havre, le MuMa Les élégants « papillons » joue les stars 91 entre ciel et mer 119 A Vire, on sait faire l’andouille 62 du pont Flaubert de Rouen 31 « Au bon beurre » d’Isigny 63 Dieppe, « la ville Les Beaux-Arts de Rouen Sur la route des moulins 32 aux quatre ports » 92 en tête d’affiche 120 La revanche du bulot Le pont de Normandie, de Granville 64 Fécamp maintient Une lumière bénie symbole d’une région réunifiée 34 Le calvados, le cap au large 93 des peintres 122 Rouen, où s’est aussi écrite l’eau-de-vie pleine d’esprit 65 Granville a bon port 94 La magie du Parc de Clères 123 l’Histoire de France 35 Le canard de Duclair Le port du Havre, Les plages du Débarquement 124 Saint-Lô a des atouts passe à table 66 un géant tourné vers le large 96 Des salles de spectacle dans sa Manche 36 Le cidre, reflet de son terroir 67 Une région majeure pour le à foison 125 Saint-Wandrille : La coquille Saint-Jacques raffinage et la pétrochimie 97 Un parcours initiatique une histoire agitée 37 est de toutes les fêtes 68 Les bases normandes au Scriptorial d’Avranches 126 Tous pèlerins sur Le homard du Cotentin de Renault 98 L’inestimable trésor de la route des abbayes 38 a du caractère 69 La saga Saint-James 99 la Tapisserie de Bayeux 127
6 E Le Tréport Glass Vallée 7 H Yè C re s Dieppe N Varengeville-sur-Mer M A Bres le Fécamp Neufchâtel- Étretat SE IN E - en-Bray Cherbourg MARITIME Yvetot Clères Lillebonne St-Wandrille e ll e Le Havre nd A Duclair Gournay- Douve Pont de Normandie Rouen en-Bray Marais Jumièges Trouville-sur-Mer Honfleur Vernier Lé vriè Isigny- re sur-Mer Deauville Bayeux Grand- ut e Ta Bourgtheroulde Elbeuf Caen E Se Div in H St-Lô C e es N E U R E Giverny te Ep Vir A C A L V A D O S e Soull M es Évreux Îles Sie Chausey Granville nn Falaise e e Vire R is l Villedieu- e n ure on les-Poëles nt E re Cha Or Carolles e Iton n Ménil-Gondouin Avre Argentan Sé e Le Mont- St-Michel Avranches Saint-Sulpice- Lonlay-l’Abbaye sur-Risle Sélune O R N E Mortagne- Sa rthe au-Perche Alençon Saint-Cénéri-le-Gérei
PATRIMOINE ARCHITECTURAL “ Il m’a fallu du courage pour quitter le pays d’où je viens. Ce Pays est fièrement Beau, Sombre, Grand et Idéal. ” Jules Amédée Barbey d’Aurevilly
12 PATRIMOINE ARCHITECTURAL PATRIMOINE ARCHITECTURAL 13 A CAEN, LA CATHÉDRALE, L’EMPREINTE DE GUILLAUME L’AUTRE JOYAU DE BAYEUX C’est pour elle, pensent les historiens, que fut brodée la célèbre Tapisserie qui y était exposée une fois par an pour montrer aux fidèles le sort réservé au parjure Harol. Consacrée le 14 juillet 1077 par l’arche- vêque de Rouen Jean d’Ivry et par Odon de Conteville, en présence de son demi-frère Guillaume le Conquérant et son épouse Mathilde de Flandre, la cathédrale de Bayeux © CC BY-SA s’inscrit tout à la fois dans le style roman, qui fut celui de sa construction, et dans le style gothique normand correspondant aux périodes de sa reconstruction après les Par quel monument entamer la visite de la tutélaire d’une ville dont il a fait une cité incendies qui l’endommagèrent gravement. ville de Caen, et des témoignages de son majeure de la Normandie. Cible de première En premier lieu celui qui se déclara lors du extraordinaire passé que les bombes déver- importance des troupes anglaises durant la siège de la ville par Henri Ier d’Angleterre en sées par l’aviation alliée lors de la Bataille de Guerre de Cent Ans, elle sera récompensée 1105. Puis celui de 1160, alors que le chantier Normandie n’ont pas réduits en poussière ? pour sa loyauté par le roi Charles VII et confir- de restauration de l’édifice battait son plein. Par le château ducal, la citadelle édifiée mée dans ses privilèges en 1458. Vers 1180 s’opère la rencontre avec le style vers 1060 par Guillaume-le-Conquérant Entretemps, le duc de Bedford avait créé une gothique, d’abord par la reprise des bas-côtés © CC BY-SA sur un éperon rocheux dominant la basse université, aïeule de l’Unicaen qui propose de la nef, puis par celle du chœur et, un peu vallée de l’Orne, et dont le périmètre englobe aujourd’hui des formations pluridisciplinaires plus tard, par celle des parties hautes de aujourd’hui le musée de Normandie et le et des pôles de recherche de haut niveau. la nef qui s’éclairent de vastes baies. C’est, musée des Beaux-arts ouvert en 1970 ? Plus de 30 000 étudiants s’y retrouvent sur au milieu du XIIIe siècle, la première réa- Par l’abbaye aux Dames fondée par ce les différents campus de la ville, qui compte lisation du style rayonnant en Normandie. même Guillaume et son épouse Mathilde aussi plusieurs écoles d’ingénieurs ainsi que Dans le même temps, des chapelles viennent de Flandre, dédié à la Trinité et désormais de nombreuses formations au BTS : cette ville progressivement se loger entre les anciens Mais au fil des siècles, la cathédrale de siège du Conseil régional de Normandie ? au riche mais aussi parfois très douloureux contreforts romans des murs extérieurs. Sur Bayeux a aussi eu à affronter des dégrada- Ou encore par l’abbaye aux Hommes, qui passé, sait se tourner vers l’avenir comme la façade occidentale, des flèches viennent tions et pillages. Les uns perpétrés par les abrite l’Hôtel de ville, et dont l’église abbatiale en témoignent deux centres de recherche de ensuite couronner les tours romanes. De huguenots lors des guerres de religion en Saint-Etienne, consacrée en 1077, constitue pointe, le Ganil (Grand accélérateur natio- même, cette façade est reprise dans le style 1562 et 1563. Les autres causés par la Révo- la partie la plus ancienne ? nal d’ions lourds) et le Centre d’imagerie gothique et dotée de cinq porches richement lution en 1790 et par les outrages que susci- Elle aussi a été voulue par le Duc de Norman- cérébrale et de recherche en neurosciences. décorés. tèrent des décennies de délaissement d’un die et son épouse, pour se racheter dit-on Peuplée intra-muros d’un peu plus de 100 000 La tour centrale, commencée dans la pre- édifice meurtri, pillé, dont on a pu craindre d’une union à un degré de parenté interdit habitants, Caen est aussi le siège de la com- mière moitié du XIVe siècle, subit la foudre que certaines parties s’effondrent. par le droit canonique, mais aussi comme munauté urbaine Caen La Mer qui, regrou- en 1425. Restaurée entre 1477 à 1479, elle C’eût été une perte considérable : classée élément de pouvoir et d’autorité face à la pant plus de 260 000 habitants, est le second relève du gothique flamboyant à un premier au titre des monuments historiques depuis rébellion de barons locaux. plus important EPCI (Etablissement public niveau, puis du néogothique au second niveau 1862, fort heureusement épargnée par les Peu importe finalement le point de départ : de coopération intercommunale) de la région édifié au XIXe siècle, la tour étant couronnée bombardements et combats de l’été 1944, tout, à Caen, évoque Le Conquérant, figure après la métropole de Rouen-Normandie. d’un dôme de cuivre lui-même surmonté par la cathédrale de Bayeux est un authentique une tourelle et une flèche. joyau de la région .
14 15 DES CHÂTEAUX PLUS OU MOINS GAILLARDS Maisons fortes, châteaux et manoirs, ruines de forteresses ou demeures de ancien arboretum de France A Gisors, le trésor des Templiers hante l’esprit prestige aménagées en musées, en lycées, en hôtels de luxe et tables répu- des visiteurs du château, place forte marquant la frontière entre le Duché de tées, il est impossible de tous les compter. D’ailleurs le plaisir réside aussi Normandie et les possessions françaises. Puis à Carrouges dans l’Orne, se dans les découvertes que l’on peut faire dans quelque village ou hameau dresse l’un des premiers témoins de la Renaissance en Normandie. recélant l’un de ces témoins de l’histoire régionale. Au Mesnil-en-Ouche, le château de Beaumesnil offre un merveilleux exemple La riche Normandie, enjeu de conflits entre les rois de France et d’Angleterre, de l’architecture baroque du début du XVIIe siècle. Non loin, à Sainte-Oppor- théâtre d’affrontements entre nobliaux rétifs à l’autorité de leur suzerain ou se tune-du-Bosc, c’est le château du Champ de Bataille qu’il faut visiter. Enfin disputant entre voisins des terres, charges et honneurs, champ de bataille les amateurs d’art et d’histoire ne manqueront pas de faire un détour par aussi des guerres de religion, est constellée de places fortes et donjons, de Vascoeuil, un lieu unique selon l’historien Jules Michelet qui y a son musée © Alan Aubry Château des Tourelles. Château de Mézidon-Canon Château de Saint-Just. Château de Martainville. remparts dont il ne demeure parfois que des vestiges comme à Arques-la- dans une dépendance, et vaut au lieu de bénéficier du label « Maison des Bataille en Seine-Maritime, à Gavray-sur-Seine et au Plessis-Lastelle dans la illustres ». Manche, ou encore à Ivry-la-Bataille, au Château Gaillard des Andelys et à Le site est également inscrit sur la route Normandie Vexin, un itinéraire pas- Montfort-sur-Risle dans l’Eure, où Jean Sans Terre n’a laissé que des ruines sant par le château de Martainville, propriété du département de la Seine-Ma- en 1204. ritime qui y a aménagé un musée des Traditions et Arts normands. Une belle A Falaise et à Caen, des forteresses content l’épopée de Guillaume le occasion de s’émerveiller. Conquérant et de ses descendants. Entre Bayeux et Carentan, c’est la Nor- mandie médiévale qui se raconte un peu au château de Colombières. Dans l’Eure, c’est le domaine médiéval d’Harcourt qui fascine, flanqué du plus
16 PATRIMOINE ARCHITECTURAL PATRIMOINE ARCHITECTURAL 17 LES TRÉSORS AU MANOIR DU CATEL, DE LA CATHÉDRALE DE ROUEN L’HISTOIRE D’UN SAUVETAGE financement par les indulgences payées par de riches bourgeois désireux de consommer du beurre et autres laitages durant le Carême. Trois portails aux tympans richement sculp- tés, le portail Saint-Jean, le portail Notre- Dame et le portail Saint-Etienne rythment cette façade et confèrent à l’édifice une grande majesté. Quant aux tympans du portail dit « des Libraires » qui ouvre sur le croisillon nord du transept, il s’orne d’une représentation du Jugement dernier, tandis © Eric Senders qu’à l’opposé, le portail dit « de la Calende » qui s’ouvre sur le croisillon sud du transept évoque la Passion du Christ. A l’intérieur, l’élévation de la nef, qui mesure 60 mètres de long pour une hauteur de 28 mètres, se développe sur quatre niveaux. Lauréat en 2013 du Grand trophée de la plus et une force de persuasion et de mobilisation Dans le prolongement de la salle basse de belle restauration de France, le Manoir du autour de son projet dignes d’éloges. © CC BY-SA la tour Saint-Romain, qui abrite le baptis- Catel, à Ecretteville-lès-Baons, près d’Yve- En 2010, le manoir était classé dans sa tota- tère, se présentent neuf chapelles dont une tot, ne conte pas seulement l’histoire d’une lité. En 2013, il remportait le titre de plus belle dédiée à Saint-Sever. Dans le bas-côté sud, maison forte érigée en 1270 par les abbés de restauration de France et l’année suivante, à après la chapelle dédiée à Saint-Etienne à la Fécamp, plus ancienne demeure seigneuriale l’occasion d’un chantier de fouilles mené par base de la tour de Beurre, se dressent sept de Haute-Normandie. Il porte aussi en lui, le CHAM (Chantiers, Histoire et Architecture autres chapelles. gravée dans sa pierre comme l’ont été les mil- Médiévales) sous le contrôle de la DRAC, l’ar- Installé à une fenêtre du premier étage de Quatre chapelles, dont l’une dédiée à Sainte- liers de graffitis tracés par des prisonniers en chéologue Thomas Guérin mettait au jour le la magnifique bâtisse qui abrite aujourd’hui Jeanne-d’Arc et ornée d’une plaque commé- attente de jugement, la passion d’un homme pont médiéval du XIIIe siècle donnant accès à l’office de tourisme de Rouen, Claude Monet morative, encadrent le transept. On y trouve pour une bâtisse médiévale à l’abandon, qui la porte fortifiée. Pour le propriétaire, « le rêve l’a représentée trente fois, variant les heures également l’accès à la crypte. Du déambu- menaçait de disparaître. de redonner au site ses douves et sa beauté et les conditions climatiques et lui offrant, latoire, où se trouvent les gisants de Rollon Passionné de vieilles pierres, Frédéric Tous- originelle » commençait à devenir réalité. par cette série de tableaux, une notoriété (vide), de son fils Guillaume Longue-Epée, saint n’avait pas encore 40 ans lorsqu’à l’orée Depuis, le chantier de restauration, encou- internationale. William Turner, Camille Pis- de Richard Cœur de Lion et de son frère aîné de l’an 2000, il se lançait le défi un peu fou de ragé par une association de sauvegarde et saro et bien d’autres artistes, y ont trouvé Henri le Jeune, on accède à la chapelle de redonner à cette ruine rongée par le mérule, d’animation extrêmement motivée et soutenu l’inspiration. la Vierge, située dans l’axe de la cathédrale. défigurée par l’adjonction d’une maison d’ha- par les pouvoirs publics, a connu de nom- Au cœur de Rouen, la cathédrale Notre-Dame Avec son autel et son retable en bois sculpté bitation, effondrée par endroits, l’aspect breuses étapes qui permettent aujourd’hui fascine par son élégance, par la hauteur de et doré, portant un tableau représentant l’Ado- qu’avait sous Saint Louis ce lieu de haute au public de découvrir le manoir du Catel sa flèche en fonte surplombant une tour-lan- ration des bergers, cette chapelle constitue justice défendu par des douves profondes, et son extraordinaire corpus de graffitis de terne caractéristique du gothique normand, l’un des trésors de cette cathédrale dont on de puissantes tours et une porte fortifiée. prisonniers dans d’excellentes conditions. et par la richesse de sa façade occidentale n’oubliera pas d’admirer les vitraux dont les Inscrit à l’inventaire des monuments his- Des animations variées viennent ponctuer flanquée au nord de la tour Saint-Romain et plus anciens, datant de 1200 et surnommés toriques depuis le 17 mai 1944, l’ensemble la saison des visites. Faisant de cet endroit son toit en « hache », au sud de la tour de « les belles verrières », sont célèbres pour exigeait des soins d’urgence et de grande un incontournable de la découverte du Pays Beurre dont on ne sait si cette appellation leur couleur bleue dite « de Chartres ». Une ampleur, auxquels s’attelait le quadragénaire de Caux. vient de la couleur de la pierre ou de son prestigieuse lignée. sous le contrôle de la DRAC, avec un courage
18 19 MODESTES ET MAJESTUEUX COLOMBIERS NORMANDS Dans la cour du Manoir d’Ango à Varengeville-sur-Mer, se trouve « le plus En Normandie, l’édification d’un colombier étant un droit seigneurial, un pri- beau colombier de France », une merveille de silex, briques et grès agencés vilège soulignant la qualité et la puissance du maître des lieux, certains n’ont en frises de damiers, de losanges, en rangées de jours et de creux, couverte pas hésité à faire sculpter leurs armoiries au-dessus de l’entrée. Mais la pré- d’un dôme d’influence byzantine. Doté de 1 600 boulins et pouvant donc sence de ces colonies d’oiseaux, d’où s’envolaient chaque jour des milliers accueillir 3 200 pigeons, ce colombier est, par son élégance, par la maîtrise et de pilleurs de semences et de récoltes, était considérée comme un véritable la diversité des matériaux employés, l’un des éléments majeurs du palais d’été fléau par les paysans voisins qui firent campagne à la Révolution pour faire de l’armateur dieppois, financier de François Ier et grand amateur d’art, qui fit abolir ce droit féodal et obliger les maîtres à tenir les pigeons enfermés lors appel aux artistes et sculpteurs italiens pour orner cette magnifique demeure. des semis et des moissons. D’autres chefs-d’œuvre, tels le colombier des abbesses de Saint-Amand à Dès lors, la possession d’un colombier, même autorisée à tous, ne deve- Boos, celui du château de Vascœuil ou encore celui du château de Crève- nait plus rentable et l’on assista à un appauvrissement des colonies, puis cœur en pays d’Auge, illustrent l’importance, voire le prestige accordé à leur disparition progressive. Ne subsistaient que les bâtiments, transformés ces édifices en ce qu’ils témoignaient de la richesse, de l’influence et de la en étables, en réserves, en ateliers et même en habitations. Certains sont noblesse de leur propriétaire. devenus des lieux d’exposition appréciés, tel le colombier d’Offranville, près Mais beaucoup d’autres, plus modestes, avaient avant tout une vocation utili- de Dieppe. taire, comme pourvoyeurs de pigeonneaux à la chair tendre et raffinée, et four- Combien en reste-t-il aujourd’hui ? C’est difficile à dire. Plusieurs centaines nisseurs d’un excellent engrais riche en azote, acide phosphorique, potasse assurément. Du plus modeste au plus spectaculaire, le colombier normand et chaux, composé par les déjections des volatiles. offre un excellent prétexte de sortie et de jeux de piste. © Sabine Derouard
20 PATRIMOINE ARCHITECTURAL PATRIMOINE ARCHITECTURAL 21 LES PARIS LA SÉDUCTION DE DEAUVILLE PROFONDE D’ETRETAT © CC BY-SA © CC BY-SA © CC BY-SA Son aiguille est probablement la plus connue souvenirs de Jean-Paul Rouve, ses paysages Ce n’est pas un hasard si l’élégante et dyna- nions de haute volée. Les familles aisées se au monde. La liste des personnalités qui y ont procurent une émotion réelle. Le sentiment mique station balnéaire de Deauville, avec son retrouvent entre elles dans les Bains Pom- habité ou séjourné en villégiature, pourrait d’évoluer au cœur d’un tableau d’Eugène casino, ses courses de chevaux et parcours péiens construits en 1923 et inspirés par les tenir la dragée haute aux villes balnéaires et Boudin ou de Gustave Courbet, d’Henri de golf, ses hôtels de luxe et ses fameuses thermes romains. Deauville, dans les Années aux stations de ski les plus huppées. Quant Matisse ou de Claude Monet, évidemment. « planches » bordant une plage de sable fin folles, est déjà le lieu où il faut se montrer, à celle des peintres, musiciens et écrivains On y lira Maupassant, bien sûr, qui en a fait où paressent des parasols de couleur main- The Place to be. inspirés par ses majestueuses falaises, le cadre de deux de ses nouvelles et voyait tenus fermés par le « nœud deauvillais », est La commune compte alors plus de 4000 habi- la « Manneporte », et la fureur de la mer dans la falaise d’Amont la silhouette d’un élé- surnommée le XXIe arrondissement de Paris. tants. Mais le développement du tourisme, les nuits de tempête, elle témoigne d’une phant énorme trempant sa trompe dans l’eau. Elle est en effet, depuis le début du XXe siècle l’implantation de nouvelles boutiques de luxe, séduction constante, ancrée dans l’estran On y lira Maurice Leblanc, L’aiguille creuse et l’inauguration du casino, puis l’ouverture l’attrait des « planches », des mondanités depuis le début du XVIIIe siècle et la découverte et quelques-uns des romans et nouvelles des hôtels Normandy et Royal, l’une des des- et de la prestigieuse programmation du du site par un certain Eugène Isabey, peintre rédigés dans sa maison, « le Clos Lupin ». tinations préférées des Parisiens. Centre International de Deauville, ont fait de scènes marines, de naufrages, et de la Et les merveilleux textes de trois auteurs A Trouville qui, avec quelques autres villes du que la pression foncière s’est accrue sur les misère des coureurs de grèves. contemporains, Patrick Grainville, Olivier littoral dont Dieppe, avait lancé la pratique habitants permanents au profit des résidents Chérie des romantiques, appréciée des Adam et Benoît Duteurtre, lequel pourrait des bains de mer, Deauville oppose à cette secondaires. poètes, jouant de ses charmes et de ses vous parler pendant des heures de Jacques époque une ambiance plus mondaine faite de Hors saison, les volets restent clos. Mais mystères pour attirer réalisateurs et artistes, Offenbach et de sa villa « Orphée ». jeux, de paris, d’achats dans des boutiques au moindre rayon de soleil, ces derniers y Etretat est l’une des communes les plus tou- Point de ralliement de familles qui s’y de luxe et de soirées de gala où se pressent sont majoritaires. Reliée à la capitale par ristiques de la région avec plus d’un million de retrouvent depuis toujours à la belle sai- des personnalités du monde du spectacle, une autoroute A13 bondée les vendredis et visiteurs par an et souvent plus de 3000 pro- son pour deviser en arpentant rituellement de la politique et de la finance. dimanches soirs, desservie par une gare meneurs par jour au sommet de ses falaises le « perrey », cette digue-promenade qui Elle fait le pari du luxe. Elle mise sur une de style néo-normand inscrite au titre des à la belle saison. La vue y est tout simplement protège la ville des sautes d’humeur de la clientèle huppée d’adhérents du Yacht Club, monuments historiques et faisant le lien avec spectaculaire. Même archi-connus, imprimés mer, Etretat bénéficie d’un attachement pro- d’habitués des tables de roulette, de fervents Trouville, Deauville est bien devenue, avec ses sur des cartes postales, des dépliants et des fond et fidèle. Un attachement normand, qui du Black Jack, et de clients de la joaillerie Van Bains Pompéiens et leurs 450 cabines, ses livres à des millions d’exemplaires, filmés ne se cache pas mais ne se dit pas non plus. Cleef & Arpels et de la styliste Coco Chanel. 643 mètres de « planches » en bois imputres- sous tous leurs angles pour des documen- Qui s’enracine durablement, tout simplement. Les turfistes s’y retrouvent pour des réu- cible d’azobé, la plage de Paris. taires ou des œuvres de fiction, comme Les
22 PATRIMOINE ARCHITECTURAL PATRIMOINE ARCHITECTURAL 23 L’EURE AUTOUR DU VIEUX BASSIN D’EVREUX D’HONFLEUR © CC BY-SA © CC BY-SA Avec une dizaine de sites classés ou inscrits à alliés de juin 1944, la ville n’en fait pas moins Une salle du musée de Honfleur abrite une le couturier Jean-Louis Scherrer et France l’inventaire supplémentaire des monuments preuve d’un réel dynamisme dans le domaine collection de coiffes, de dentelles et de Gall, et Françoise Sagan yvenait en voisine historiques, et quelques bâtiments valant culturel avec sa salle de musiques actuelles, costumes normands, ainsi que du mobilier depuis son manoir du Breuil à Equemauville. le détour, comme l’Hôtel de ville et sa jolie le Kubb, implanté face au Cadran, et dans régional. Mais c’est surtout pour sa collection On l’aura compris, Honfleur est une ville qui fontaine ou le Palais de justice installé dans le domaine économique grâce à l’industrie de tableaux de peintres ayant fréquenté les attire et inspire les artistes, les écrivains, les une ancienne chapelle eudiste, Evreux se pharmaceutique qui a pris le relais des usines abords du Vieux Bassin et composé la palette musiciens et poètes, et tous ceux qui, comme distingue par un patrimoine particulière- textiles et du travail du lin. de l’école d’Honfleur que l’on poussera la Jacques Brel dans sa chanson Vesoul, ont ment riche sur lequel veillent son premier Ainsi GSK (GlaxoSmithKline) est l’un des plus porte du musée Eugène Boudin, qui conserve voulu voir et ont vu Honfleur. évêque, Saint Taurin, dont les reliques sont gros employeurs d’Evreux, avec le centre hos- 92 œuvres, peintures et dessins, de l’artiste. Il y a donc foule, dans le « jardin des per- conservées dans l’église qui lui est dédiée, pitalier intercommunal Eure-Seine et la base Il y est entouré par Courbet, Monet, Jong- sonnalités » peuplé de bustes de femmes et et Saint Louis venu assister en 1259 à une aérienne 105 où se travaillent plus de 2 500 kind, Dufy, Alexandre Dubourg. On fait plus d’hommes qui, tel Samuel de Champlain qui cérémonie religieuse dans la ville natale de militaires et civils. mauvaise fréquentation… avait fait d’Honfleur l’un des ports de départ son confesseur. Le siège des éditions Atlas, l’imprimerie Boulevard Charles V, ce sont les Maisons vers la Nouvelle-France et la fondation de Du beffroi à la cathédrale Notre-Dame de Hérissey du groupe CPI, et le groupe Com- Satie qui s’offrent à la visite, dans un parcours Québec, ont marqué l’histoire de la ville. Une style gothique flamboyant et dont la flèche pin spécialisé dans la réalisation de sièges scénographique et musical original rendant autre représentation de ce grand navigateur s’élève à près de 80 mètres du sol, en pas- pour trains, complètent le rapide portrait hommage à ce compositeur né douze ans figure sur l’un des murs de la Lieutenance, sant par le musée installé dans l’ancien d’une économie locale qui tire aussi large- après, mais dans la même rue, que l’écrivain l’un des monuments classés d’Honfleur. La palais épiscopal, il y a matière à quelques ment parti, sur le plan commercial, de la et humoriste Alphonse Allais. Le musée qui ville, d’ailleurs, en regorge, invitant à prolon- journées de découverte dans la capitale de position centrale d’Evreux et de son statut lui est dédié, dans sa maison natale, présente ger la promenade autour du Vieux Bassin par l’Eure, et davantage encore pour peu que l’on de préfecture de l’Eure. la particularité d’être le plus petit de France. la découverte des greniers à sel, de l’église s’y rende pendant la saison des courses sur Cela l’aurait probablement fait sourire. Sainte-Catherine ou de la maison natale du l’hippodrome de Navarre ou lors du festival Charles Baudelaire y séjournait régulière- corsaire Jean Doublet. de musique Rock in Evreux. ment chez sa mère. Sacha Guitry y a épousé A moins que l’attrait du village des marques Héritière d’un riche passé, dont hélas de sa première épouse. Michel Serrault y pos- Normandy Outlet, ouvert en novembre 2017, nombreuses traces ont été effacées par les sédait une résidence secondaire dans la soit plus fort que sa soif de culture. bombardements allemands de juin 1940 et commune associée de Vasouy, tout comme
24 PATRIMOINE ARCHITECTURAL PATRIMOINE ARCHITECTURAL 25 JUMIÈGES, C’EST PAS LA RUINE LE HAVRE AU CŒUR à la notion de patrimoine. Trente ans plus tard, les ruines passent entre les mains de EN BÉTON ARMÉ la famille d’un agent de change parisien, qui les sauvegarde et fait construire le bâtiment de style « troubadour » accolé à la porterie. Les Lepel-Cointet aménagent aussi un parc à l’anglaise de 15 hectares, dont les arbres remarquables s’inscrivent en toile de fond d’une très agréable promenade vers le logis abbatial, où se tiennent régulièrement des expositions. © Sylvain Richon L’occasion de découvrir les deux gisants de pierre censés représenter les « énervés de Jumièges », dont la légende veut qu’ils aient © CC BY-SA été les fils du roi mérovingien Clovis II, punis pour s’être rebellés contre leur père, rendus infirmes et installés sur une barque qu’on D’une ville noire et triste où, selon l’adage, dernier quart du XIXe siècle par des dockers laissa dériver sur la Seine. Elle s’échoua à Maurice Leblanc en fit le cadre d’une aventure on arrivait en pleurant et dont on repartait séduits par un sport venu d’Outre-Manche. Jumièges, où saint Philibert les recueillit du gentleman-cambrioleur Arsène Lupin, La en pleurant, Le Havre s’est métamorphosée Beaucoup plus qu’un cri de ralliement de dans l’abbaye qu’il avait fondée vers 654. Les Comtesse de Cagliostro. Victor Hugo y voyait, en une cité accueillante et active, qui a su syndicalistes, dans une cité ouvrière secouée deux infirmes partagèrent dès lors la vie de à l’instar de l’historien Robert de Lasteyrie, ajouter à l’attachement que lui portent ses par l’affaire Jules Durand et qui n’a jamais prière, d’apostolat et de travail des 70 moines « une des plus belles ruines de France ». habitants, un réel pouvoir de séduction envers oublié ses racines ni ses filiations. obéissant à la règle de saint Benoît. Roger Martin du Gard lui consacra une thèse. ses désormais nombreux visiteurs. Désormais cette fierté, ce sentiment d’ap- Quelques pillages vikings et une désertion George Sand, Turner, Lamartine et bien Cette spectaculaire métamorphose n’est pas partenance à une communauté qui a toujours des moines plus tard, l’abbaye renaissait d’autres, vinrent y chercher l’inspiration… seulement à porter au crédit des élus ni des affiché une forte identité, s’exprimaient aussi sous l’influence des ducs de Normandie, en Passé la porterie du XIVe siècle où des bancs architectes et experts qui ont su reconnaître, dans la mise en valeur du cœur en béton particulier de Guillaume le Conquérant qui de pierre accueillaient jadis les pèlerins, puis dans la reconstruction du centre-ville anéanti armé de la ville. Les initiatives furent mul- lui attribua les bénéfices de biens saisis en l’accueil et la librairie installés dans une mai- par les bombardements de juin 1944, le coup tiples, polymorphes. Et tout le monde s’y est Angleterre. Il s’agissait alors de participer au son néogothique du XIXe, les tours romanes de de « patte » exceptionnel de l’atelier d’Auguste mis, de sorte que si la « vitrine » du Havre mouvement qui voulait couvrir le pays d’un l’abbatiale Notre-Dame, hautes de 46 mètres, Perret, lequel s’était d’ailleurs personnelle- reste les quartiers autour de l’Hôtel de ville, « blanc manteau d’églises ». Le 1er juillet et les vestiges de l’hôtellerie laissant entrevoir ment chargé de dessiner les plans de l’Hôtel l’avenue Foch, la rue de Paris, le boulevard 1047, l’archevêque de Rouen Maurille pou- ceux de l’église Saint-Pierre, invitent en effet de ville et de l’église Saint-Joseph dont la François 1er rendant hommage au fondateur vait consacrer la grande église abbatiale, à la méditation et au romantisme. L’ensemble, tour-lanterne ornée des vitraux de Margue- de la ville en 1517 et l’avenue baptisée René dont l’histoire mouvementée sera encore et même la spectaculaire tour-lanterne dont il rite Huré constitue, à toute heure du jour, un Coty en l’honneur du président de la Répu- jalonnée par la visite de la maîtresse du roi, ne subsiste que le mur ouest, a pourtant failli enchantement pour les yeux. blique (1954-1959) né au Havre en 1882, c’est Agnès Sorel, venue retrouver Charles VII qui disparaître : vendue comme bien national en Elle n’est pas seulement due à l’inscrip- l’ensemble de l’agglomération qui a bénéficié y avait pris ses quartiers d’hiver vers la fin 1795 après avoir un temps servi de caserne, tion par l’Unesco du centre reconstruit, en de ce formidable élan. de la guerre de Cent Ans (elle est morte au l’abbaye de Jumièges fut exploitée comme juillet 2005, au patrimoine mondial de l’hu- Ville la plus peuplée de Normandie, Le Mesnil-sous-Jumièges le 9 février 1450) et carrière de pierres et les bâtiments conven- manité : au-delà de ce coup de projecteur Havre invite à une infinité de promenades d’une mise à sac en 1562 pendant les guerres tuels abattus l’un après l’autre, le dortoir du puissant, qui a donné une visibilité planétaire et de découvertes. On ne manquera pas le de Religion. XVIIIe siècle, une grande partie du réfectoire, à la Porte Océane, la ville doit aussi cette front de mer jusqu’à Sainte-Adresse, les jar- Protégée au titre des Monuments historiques le cloître puis le chœur de l’église abbatiale. métamorphose à ses habitants, à leur prise dins suspendus, le quartier Saint-François, depuis 1918, acquise par l’Etat en 1947, l’ab- En 1824, le nouveau propriétaire Casimir de conscience et à leur appropriation d’un les Docks Océane et les Docks Vauban, le baye est, depuis 2007, propriété du dépar- Caumont met heureusement un terme à patrimoine exceptionnel, unique au monde. MuMa, la Maison de l’Armateur, l’apparte- tement de la Seine-Maritime. La visite en ces destructions et lance une vaste opé- Fier d’être Havrais est devenu beaucoup plus ment témoin de la reconstruction... est ouverte pour quelques euros : Jumièges, ration de sauvetage sous la houlette d’ar- qu’un slogan pour supporters des « Ciel et Vaste programme. Mais à cœur de béton, c’est pas la ruine. chitectes et de sociétés savantes sensibles Marine » du HAC, le club doyen fondé dans le rien d’impossible !
26 27 LE COLOMBAGE SÉDUIT TOUJOURS Héritées du passé, mais aussi constructions récentes choisies pour leur inté- A la campagne, la maison à colombages ne connaît pas ce problème de limi- gration dans le paysage, pour le rappel de racines culturelles profondes ou tation de la surface disponible au sol. Ces maisons, souvent de plain-pied, y parce qu’elles peuvent être le fruit d’un projet collaboratif, notamment dans la sont couvertes de chaume de roseaux, de blé ou de seigle, qui leur a donné fabrication et la pose du torchis, les maisons à colombages sont solidement le nom de chaumière. Quant aux matériaux employés pour leur construction, implantées dans le terroir normand, dont elles constituent l’un des marqueurs. ils sont pour la plupart extraits de leur environnement proche. Des moellons, Leur élégant squelette, reposant toujours sur un soubassement fait de silex et du bois, et bien sûr du limon argileux et des fibres végétales, paille de blé ou de briques faisant barrage aux retombées d’humidité, leur donne un charme d’orge, voire de foin, qui serviront à fabriquer le torchis. Celui-ci, réputé pour incomparable. Il traduit autant, de nos jours, une recherche esthétique qu’une sa solidité et ses qualités isolantes en dépit d’un coût de revient faible, servira volonté, ancrée dans les siècles, de solidité et de longévité de la bâtisse. à remplir le treillis de bois, ou clayonnage, installé entre les colombes. En ville, deux styles se sont fait concurrence. Mais à la technique du « bois La mise en œuvre de ce torchis est une opération assez simple, mais physi- long », c’est-à-dire des poutres montant d’un seul tenant du bas vers le haut quement exigeante puisqu’il faudra fouler au pied et retourner plusieurs fois de la maison, reliées entre elles par des pièces horizontales, s’est progres- à la fourche le mélange de terre et de paille hachée pour obtenir une pâte sivement substituée celle du « bois court » favorisant les encorbellements homogène que l’on tressera pour l’appliquer, à la main et tresse après tresse, sur un ou plusieurs niveaux. La demeure s’en trouve ainsi agrandie par des entre les clayettes du treillis, en veillant à bien remplir le moindre interstice. excroissances en surplomb de la rue, ce qui n’est pas forcément du goût des C’est là sans doute, au sens littéral, en « boucher un coin ». passants dont le ciel se trouve obscurci. © CC BY-SA © CC BY-SA
28 PATRIMOINE ARCHITECTURAL PATRIMOINE ARCHITECTURAL 29 L’ÉTONNANTE ÉGLISE SOUS LE REGARD DE MÉNIL-GONDOUIN DE L’ARCHANGE voire dense en période estivale, conserver une part de mystère. Son plan largement remanié depuis l’ins- tallation en 966 de moines bénédictins – là où l’évêque Aubert avait fait édifier en 708 un premier sanctuaire en l’honneur de l’Archange –, la diversité des formes archi- tecturales marquant des époques d’agran- dissement, de changement de fonction, de reconstructions après des incendies ou effon- © CC BY-SA drements et enfin, la nécessité de préserver des espaces et des passages réservés aux moines, contribuent à faire de ce lieu une source inépuisable de découvertes. © CC BY-SA Lieu de pèlerinage majeur au Moyen Âge, forteresse dressée face aux troupes anglaises Depuis le sommet de la flèche, à 157 mètres lors de la guerre de Cent Ans, effroyable au-dessus du rivage, l’archange Saint-Michel prison surnommée « la Bastille des mers » Dans le département de l’Orne, les amateurs « vivant et parlant » en ornant la façade, la contemple les 12 000 à 15 000 personnes qui, par les malheureux qui y furent enfermés d’architecture religieuse ne manqueront pas voûte et le portail, de scènes religieuses en moyenne chaque jour, viennent visiter le jusqu’après le milieu du XIXe siècle, enfin de rendre visite à l’abbaye bénédictine du peintes et d’extraits de textes saints en fran- rocher le plus célèbre de France. rendue à la vie spirituelle grâce au retour XIe siècle de Lonlay-l’Abbaye qui abrite des çais comme en latin. « Confiance », « Cou- Un tiers seulement montera jusqu’à l’église de moines bénédictins en 1969 – rempla- bas-reliefs du XVIIe évoquant des étapes de rage », « La voie du Ciel est difficiles aux abbatiale pour quelques instants de recueil- cés depuis 2001 par les Fraternités monas- la vie de la Vierge, ou de se promener dans faibles et aux lâches », proclame la façade, lement, pour jouir d’un point de vue extraor- tiques de Jérusalem – le Mont a traversé les les ruines à ciel ouvert de l’abbaye fondée tandis que le portail ouvre la maison de « Dieu dinaire sur la baie depuis la terrasse, et pour siècles en surmontant toutes les épreuves, au VI siècle par Evroult, notable proche du dans son éternité ». découvrir aussi le cloître, le réfectoire des dont certaines l’ont amené tout au bord de pouvoir carolingien, à Saint-Evroult-Notre- On ne s’étonnera guère qu’à sa mort, les moines, ainsi que la salle des Chevaliers et la destruction et de la ruine. Dame-du-Bois. autorités du diocèse s’empressèrent de faire la salle des Hôtes de la Merveille dont le En 1862, l’abbaye et ses dépendances étaient Mais il est un lieu incontournable, éton- recouvrir ces inscriptions aussi colorées que seul nom traduit l’admiration portée à tra- classées au titre des monuments historiques, nant, qu’il faut absolument visiter, parce peu orthodoxes par un enduit à la chaux. Mais vers les siècles envers cette prouesse de cette inscription marquant le début d’une qu’il témoigne de la foi, des convictions et l’épisode de sécheresse de 1976 fit ressortir l’architecture médiévale puisque les deux longue période de restauration et de sau- de la liberté d’un homme d’église libre de la certaines fresques, décidant les membres bâtiments édifiés en granit qui la composent vetage. En 1979, le Mont-Saint-Michel et seconde moitié du XIXe siècle et du début du d’une association locale et la municipalité à et s’adaptent sur trois niveaux à la pente du sa baie entraient au patrimoine mondial de XXe : Victor Paysant, curé du Ménil-Gondouin restaurer « l’église vivante et parlante » de rocher, ont été construits au XII siècle. l’Unesco. Vingt ans plus tard, l’abbaye y était de 1873 à sa mort en 1921. Victor Paysant, dont un portrait orne d’ailleurs Source d’inspiration, puissant lieu de médi- de nouveau admise, comme composante des De l’église Saint-Vigor qui venait d’être l’intérieur de l’édifice, parmi bien d’autres tation, site culturel grâce à l’organisation Chemins de Compostelle. construite, ce personnage atypique, cultivé peintures naïves et de nombreuses citations. d’expositions et de concerts, l’abbaye sait Les trente-cinq habitants permanents du site et novateur, ami des arts, fit un lieu de culte aussi, en dépit d’une fréquentation soutenue, peuvent en être fiers. Et aussi l’Archange !
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