2015 : ANNUS HORRIBILIS POUR L'UNION EUROPENNE ? - janvier 2016
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2015 : ANNUS HORRIBILIS POUR L’UNION EUROPENNE ? Par Pénélope Debreu* Le 7 janvier 2016 L'année 2015 restera-t-elle comme l'année où l'Union européenne, frappée de crises politiques multiples, aura seulement pansé ses plaies sans procéder aux réformes nécessaires, faute d'avoir posé un diagnostic sur les causes profondes des maux qui l'affectent ? Il est urgent de proposer un diagnostic d'ensemble sur la nature des multiples crises qui frappent aujourd'hui l'Europe. A défaut, les graines de désintégration semées cette année sont assurées de germer et de fleurir dès l'année qui vient. Les bouleversements en cours sont d'une triple nature. Ils sont de caractère structurel puisque les crises existentielles de l'intégration européenne sont causées par un manque d'intégration à un moment où l'Union européenne en aurait le plus besoin. Mais ces bouleversements reposent aussi sur des raisons politiques, à savoir l'affaiblissement des institutions et principes communs, désormais apparemment trop faibles pour réagir en temps de crise. Et enfin, des causes conjoncturelles mais lourdes doivent aussi alerter, que ce soit les divisions nord-sud ou est-ouest entre Etats membres, la force des populismes anti-européens partout en Europe ou la montée des séparatismes régionaux (en Ecosse et Catalogne notamment). Plus précisément, le diagnostic met en exergue : • Un vice anatomique fondamental dans les deux réalisations phares de l'Union européenne que sont la zone euro et l'espace Schengen • Des institutions communes affaiblies dans leur rôle de médiatrices, et donc dans leur légitimité • Un choc mortifère entre démocraties nationales • Des forces de désintégration croissantes symbolisées par le risque du Brexit • Une Union impotente face aux crises géopolitiques qui se développent à sa périphérie * Pénélope Debreu est un pseudonyme. Terra Nova – Note - 1/14 www.tnova.fr
A ces bouleversements de grande ampleur, il convient de répondre par des adaptations fondamentales. Les crises internes nous montrent que l'Europe de la libéralisation – ôter les restrictions pour assurer et gérer une intégration économique profonde – n'est pas adaptée pour traiter des chocs asymétriques tels que la crise grecque ou celle des réfugiés. Il est temps de se rendre compte que l'Europe économique gérée « en bon père de famille » entre 28 dirigeants nationaux ne répond plus aux enjeux du moment. De la même manière, les crises géopolitiques à nos frontières appellent des réponses politiques d'envergure et rapides qui requièrent des instruments traditionnellement réservés à la protection de la souveraineté nationale (frontières, police, armée). Nous traçons pour l’avenir les pistes suivantes : - Redonner espoir : une croissance durable et équitable - Réformer la gouvernance européenne : d'indispensables progrès supplémentaires dans l'intégration - Revaloriser les institutions européennes - Permettre un sursaut démocratique - Eviter le Brexit, mais pas à tout prix - Promouvoir une vraie politique des frontières et du voisinage Terra Nova – Note - 2/14 www.tnova.fr
INTRODUCTION L'année 2015 restera-t-elle comme l'année où l'Union européenne, frappée de crises politiques multiples, aura seulement pansé ses plaies sans procéder aux réformes nécessaires, faute d'avoir posé un diagnostic des maux profonds qui l'affectent ? Le panorama des crises qui atteignent l'Europe frappe par son ampleur et sa diversité, mais aussi par la difficulté, voire l'incapacité de l'Union européenne à y répondre dans l'urgence. Leur cumul est ce qui met aujourd'hui l'Union européenne en danger. Ainsi, la crise de l'euro et de la dette grecque s'est temporairement calmée en 2015 avec un accord de refinancement de la Grèce conditionné à des réformes économiques et administratives drastiques. Auparavant, l'Union avait adopté une série de législations visant à encadrer davantage les risques pris par le secteur bancaire, et renforcé le processus de surveillance des budgets des Etats membres de la zone euro. Pourtant, la question du partage de la dette, le renforcement de la gouvernance et la démocratisation de la zone euro ont été repoussés à plus tard. De la même manière, l'afflux massif de réfugiés provenant de régions en conflit (Corne de l'Afrique, Moyen-Orient) n'a pas été anticipé alors que ces conflits avaient déjà engendré des mouvements massifs de populations vers les Etats voisins. Elle a fait voler en éclat les principes sur lesquels la politique d'asile européenne était bâtie, sans élaborer rapidement une alternative efficace, faute de solidarité entre Etats membres. Le seul moyen qu'ont trouvé les Etats est la réintroduction de contrôle ou de barrières aux frontières, ou de « quotas » nationaux de réfugiés. Conséquence directe, le droit d'asile et le simple droit humanitaire d'aide aux personnes vulnérables semblent reniés et l'Europe apparaît aux yeux du reste du monde comme renonçant à ses valeurs. Tout dernièrement, les tragiques attentats de Paris, comme ceux qui les avaient précédés à Paris même (Charlie Hebdo), à Bruxelles (musée juif), et ceux qui furent avortés (dans le train reliant Paris à Bruxelles), ont montré que l'échange de renseignements et la coordination opérationnelle entre polices européennes était défectueuse, que ce soit dans la surveillance des réseaux et individus dangereux ou dans celle du franchissement des frontières. Malgré d'indéniables progrès institutionnels et législatifs depuis quelques années1, l'Europe de la sécurité butte toujours sur le refus des Etats d'accroître les compétences européennes en matière de police et de renseignement. La crise des réfugiés comme celle du terrorisme sont directement liées à une série de crises géopolitiques à la périphérie de l'Europe : conflit ukrainien et annexion de la Crimée par la Russie, printemps arabes de 2011 écrasés dans le sang et provoquant les guerres civiles de Libye et de Syrie, conséquences des interventions militaires en Irak et en Afghanistan, effondrement de plusieurs Etats de la Corne de l'Afrique et prolifération du terrorisme islamique dans le Sahel. Pour beaucoup d'entre elles, ces crises se nourrissent les unes les autres. Elles ont toutes montré une Europe désunie et incapable de peser sur les acteurs régionaux. 1 « L'Union européenne et la lutte contre le terrorisme », Philippe Delivet, http://www.robert- schuman.eu/fr/questions-d-europe/0372-l-union-europeenne-et-la-lutte-contre-le-terrorisme Terra Nova – Note - 3/14 www.tnova.fr
Ces différentes crises – monétaire, humanitaire, sécuritaire, géopolitiques – ont révélé une défaillance profonde de l'esprit européen et du sentiment d'appartenance à une communauté de destin. La division entre Nord et Sud de l'Europe est apparue frontalement lors des discussions sur la prise en charge de la dette grecque. Les différences d'évaluation de la situation géopolitique n'ont jamais été aussi claires entre anciens et nouveaux Etats membres qu'au moment de la crise ukrainienne et de l'accueil des réfugiés du Moyen-Orient. Finalement, c'est peut-être cette crise d'une communauté de sens et de valeurs qui devrait le plus nous inquiéter. Face à ces crises qui s'accumulent et semblent s'accélérer, il est urgent de procéder à un diagnostic en profondeur. C'est uniquement en tirant les bonnes leçons des turbulences récentes dans le cadre d’un débat démocratique, non seulement national mais aussi européen, que des solutions efficaces et, espérons-le, le rebond de l'intégration européenne pourront être trouvés. A défaut, les graines multiples de désintégration semées ces dernières années et singulièrement en 2015 sont assurées de germer et de fleurir dès l'année qui vient. UN CUMUL ET UNE ACCELERATION SANS PRECEDENT DE DEFICIENCES INTERNES ET DE TURBULENCES EXTERNES Les bouleversements en cours sont d'une triple nature. Ils sont d'abord structurels : l’Union européenne souffre d'un déficit d’intégration au moment même où elle en aurait le plus besoin. Mais ces bouleversements ressortent aussi de raisons politiques, à savoir l'affaiblissement des institutions et principes communs, désormais apparemment trop faibles pour permettre de réagir en temps de crise. Et enfin, ils reposent sur des causes conjoncturelles mais lourdes qui doivent aussi alerter, que ce soit les divisions nord-sud ou est-ouest entre Etats membres, la force des populismes anti- européens partout en Europe ou la montée des séparatismes régionaux (en Ecosse et Catalogne notamment). UN VICE ANATOMIQUE FONDAMENTAL La crise grecque, continuation de la crise de l'euro entamée depuis 2008, et la crise des réfugiés, mais en fait celle de l'espace Schengen, pointent un même dysfonctionnement de la gouvernance de l'Union européenne. Plus qu'un problème de scoliose2, il y a dans chacune des réussites les plus emblématiques de l'Union européenne – monnaie unique et espace intérieur de circulation – un vice anatomique fondamental. Dans un cas, la monnaie unique a été bâtie sur une jambe fédérale, la Banque centrale européenne, et 22 jambes nationales s'agissant de la politique budgétaire des Etats. Dans l'autre, la disparition des frontières intérieures de l'Union européenne s'est accompagnée, trop tard et trop peu, d'une politique commune de gestion des frontières extérieures, comme si épuisée par cet immense succès, et ensuite par l'élargissement à 28, l'Union s'en était remise à la bonne volonté des Etats membres, préférant ignorer les problèmes de capacités de certains (sauf la Roumanie et la Bulgarie restées hors de l'espace Schengen) tout autant que de la volonté de coopérer d'autres. 2 http://www.institutdelors.eu/media/lemoteuroscolioseybertonciniijdoct2015.pdf?pdf=ok Terra Nova – Note - 4/14 www.tnova.fr
Dans les deux cas, une même cause : le refus d'autre chose qu'un partage minimum de souveraineté, le même court-termisme au moment de la prise de décision et l'incapacité à modifier l'architecture tant que l'édifice ne menace pas de s’effondrer. Et un même effet : le retour en arrière – sortie de l'euro, arrêt de la libre circulation – est désormais envisageable. DES INSTITUTIONS COMMUNES AFFAIBLIES DANS LEUR ROLE DE MEDIATRICES, ET DONC DANS LEUR LEGITIMITE Ce vice anatomique fait que les institutions européennes semblent ne plus être les bonnes enceintes pour traiter les différends entre Etats, encore moins pour gérer des crises d'ampleur historique. Or on a trop facilement cru que la confiance difficilement gagnée entre les Etats nations qui composent l'Union européenne était suffisamment forte et pérenne pour assurer la résolution des crises, même les plus graves. Rien n'est plus faux : la confiance entre Etats ne se décrète pas, même entre démocraties pacifiées de longue date. Elle se tisse patiemment grâce à des institutions médiatrices, qui doivent constamment prouver leur utilité et leur efficacité pour médiatiser les conflits et aider à leur résolution. Cependant, depuis trop longtemps, la plupart des gouvernements des Etats membres de l'Union ont dénigré les institutions européennes, les ont affaiblies en privilégiant la voie intergouvernementale du Conseil des Chefs d'Etat et de Gouvernement, et en ignorant superbement le Parlement européen. Rien n'est plus vrai que dans le cas de la zone euro, laquelle est gérée par les ministres des finances réunis dans l'Eurogroupe, surveillée par la Commission européenne sans contrôle du Parlement européen, et mise en œuvre par les parlements nationaux sans qu'ils aient réellement été consultés en vue des orientations prises dans les instances européennes. Cet entrelacement entre le niveau européen et le niveau national est malsain puisque les Etats membres acceptent mal le contrôle de la Commission et des autres Etats membres sur leurs finances nationales, tandis que l'affaiblissement du contrôle des parlements nationaux n'est pas compensé par un contrôle démocratique au niveau européen à travers le Parlement européen. Pas étonnant alors qu'au moment où les différences entre Etats se font les plus vives, ces mêmes chefs d'Etat et de gouvernement préfèrent les invectives plutôt que le recours aux enceintes faites pour apaiser les tensions à travers la recherche de solutions mutuellement satisfaisantes. UN CHOC MORTIFERE ENTRE DEMOCRATIES NATIONALES La faiblesse de la médiation institutionnelle pour traiter les différends entre gouvernements entraîne un choc mortifère entre les démocraties nationales. L'Allemagne et les pays du Nord ou de l'Est étaient tout aussi légitimes à demander à la Grèce des efforts de stabilisation de ses dépenses publiques que les Grecs l'étaient à attendre des premiers plus de considération pour leurs souffrances sociales et leurs propres désillusions à l'égard de leurs gouvernements. L'Italie et la Grèce sont tout autant légitimes à attendre de l'aide pour faire face à l'afflux de réfugiés que l'Allemagne ou la Suède le sont à réclamer plus d'engagement de leur part dans le traitement des demandeurs d'asile. Mais ce n'est pas en opposant frontalement ces demandes démocratiques nationales qu’une action européenne tout aussi légitime sera favorisée. Terra Nova – Note - 5/14 www.tnova.fr
Et que dire du fossé historique et culturel entre les Etats-membres de l'ouest et les nouveaux Etats membres de l'Est, fondés depuis la chute du communisme sur un processus d'ethnicisation progressive de leurs Etats nations et d'absence d'expérience de la décolonisation et de l'arrivée de générations successives d'immigrants ? Tout en tenant bon sur les principes du droit d'asile et de l'égale dignité de chaque être humain, notamment face à la Hongrie de Viktor Orban, donner des leçons à ces nouvelles démocraties s'avérerait périlleux si l'on oublie que la raison principale de leur appartenance à l'Union européenne est d'abord un besoin de sécurité à l'égard de la Russie, cette puissance aujourd'hui menaçante face à laquelle l'Union européenne ne parvient pas à définir une doctrine. Dans ce contexte, une divergence croissante entre l'Allemagne et la France ne laisse pas d'inquiéter. Face à la crise des réfugiés, l'Allemagne semble dans un moment kantien de son histoire (fidélité aux droits universels, à ses engagements européen et constitutionnel), alors que tétanisée par les attaques terroristes sur son sol, la France semble dans un moment hobbesien (sécurité, lutte contre le terrorisme). Mais des deux côtés, un même sentiment d'incompréhension : les Allemands se sentent seuls dans leur crise (on ne les a aidés que du bout des lèvres), et les Français se sentent seuls face au terrorisme (les Allemands ne veulent pas entendre parler de « guerre » et considèrent à mi-mots que leurs voisins d'outre-Rhin exagèrent un peu). Or ces deux crises (terrorisme d'un côté, réfugiés de l'autre) ont les mêmes causes géopolitiques et sont aussi existentielles pour les deux parties que pour l'Europe elle-même. En somme, il n'est pas d'Union européenne sans Union respectueuse de ses démocraties nationales. Mais il n'est pas d'Union européenne pérenne sans sursaut démocratique au niveau de l'Union pour mettre un coup d'arrêt à cette confrontation dangereuse entre 28 démocraties nationales. DES FORCES DE DESINTEGRATION CROISSANTES – LE RISQUE DU BREXIT Faute d'être résolue, cette crise démocratique en Europe, qui touche aussi les institutions nationales, laisse place aux forces de désintégration. Populismes anti-européens, séparatismes régionalistes, ces forces prolifèrent dans la plupart des Etats membres, mais aucune n'est plus dangereuse pour l'Union que la folle aventure du referendum britannique sur la sortie de l'Union européenne, le désormais fameux « Brexit ». Le Premier ministre britannique s'est engagé, avec notamment comme objectif de sauver l'unité de son parti, à jouer aux dés l'avenir de son pays mais aussi l'avenir du projet européen. Il promet en effet aux électeurs britanniques qu'il obtiendra une réforme de l'Union européenne et que c'est sur la foi de cette réforme qu'ils devront se prononcer sur le maintien dans l'UE ou la sortie. Or que demande-t-il ? Il a quatre types d'exigences : des garanties multiples pour les Etats qui ne sont pas membres de la zone euro, au motif de se prémunir contre les effets sur leur économie de règles qui ne peuvent pas s'appliquer à eux ; des assurances que l'Europe se réformera économiquement pour renforcer sa compétitivité et son marché intérieur ; des garanties de respect de la souveraineté Etats à travers un renforcement des parlements nationaux et un abandon du concept d' « union sans cesse plus étroite » entre les peuples et nations d'Europe inscrit dans les Terra Nova – Note - 6/14 www.tnova.fr
Traités depuis leur origine ; et des limitations à la libre circulation des citoyens européens à travers une discrimination entre citoyens britanniques et européens en matière d'accès aux prestations sociales liées à l'emploi dans les quatre premières années de leur installation sur le sol britannique. Les discussions sont en cours, et ces demandes sont très fraîchement accueillies par les gouvernements et les institutions européens. Mais qu'adviendrait-il si satisfaction était donnée à ces revendications de retour au national ou de discrimination entre citoyens européens ? Elles font étrangement écho avec les diverses mises en cause prônées en France par le Front national, en Hongrie par M. Orban., voire par le nouveau gouvernement polonais de Mme Szydło. Faudrait-il alors également promettre de similaires retours en arrière à Marine Le Pen au nom de la démocratie nationale si par malheur elle venait à remporter les élections présidentielles de 2017 ? C'est en cela que le referendum britannique conditionné par une réforme européenne est un piège empoisonné pour toute l'Europe. UNE UNION IMPOTENTE FACE AUX CRISES GEOPOLITIQUES A SA PERIPHERIE La crise interne de l'Union européenne se double d'une crise de son environnement immédiat. De l'Ukraine à la Syrie et à l'Irak, de la Libye et l'Egypte aux Etats en faillite de la Corne de l'Afrique (Erythrée, Sud-Soudan) et de l'Afrique centrale, les soubresauts aux pourtours de l'Europe ont un impact sécuritaire et démographique immédiat sur elle. L'impotence de l'Union européenne n'est pas nouvelle, mais elle devient dramatique au moment où les effets des différentes crises se cumulent et où l'Union semble incapable d'influencer le cours des événements. L'échec à consolider les révolutions du « printemps arabe », et d'abord à définir une vision commune de long terme, est patent à l'égard de la Libye et de la Syrie. De même, les trop longues tergiversations avant d'adopter une position commune face à la Russie au sujet de l'Ukraine3 ont permis à Vladimir Poutine d'annexer la Crimée, sans réaction autre que des sanctions économiques. Ces échecs ne sont que le reflet d'une absence d'analyse partagée entre les Etats membres de la situation de l'environnement géopolitique de l'Union européenne. En partie explicable par la géographie et l'histoire variée de ses 28 Etats membres, cette situation révèle l'absence de sentiment d'appartenance à un destin commun ; or toutes ces crises régionales ne sont pas le problème de quelques Etats membres, mais le problème de tous. Or faute d'efficacité de l'action extérieure et de réactivité, les désordres syrien et irakien génèrent des événements tragiques comme les réfugiés noyés en mer mais aussi une fascination de la jeunesse pour cette nouvelle idéologie djihadiste débouchant sur les attentats terroristes. Et faute d'efficacité dans la gestion en commun des flux migratoires d'une part, et dans la coopération policière et judiciaire d'autre part, ces événements génèrent une crise identitaire de peur de l'autre, et d'abord de l'Islam. Pourtant, ce n'est pas par le repli sur soi que les sociétés européennes pourront agir sur des questions désormais globales que sont des flux migratoires d'ampleur historique et un terrorisme islamique protéiforme. 3 Précisons que ce qui a déterminé l'issue de la crise ukrainienne, c'est d'abord le schéma « Normandie » à l'initiative du couple franco-allemand, qui a ensuite permis l'élaboration d'une position commune des 28. Terra Nova – Note - 7/14 www.tnova.fr
Plus grave, les évènements extérieurs donnent le sentiment d'une perte de contrôle de l'Union européenne sur ses relations avec son environnement proche, à commencer par la maîtrise de ses frontières. D'un côté, les Etats membres réagissent en ordre dispersé pour réintroduire des contrôles aux frontières, alimentant ainsi une psychose sécuritaire et xénophobe. De l'autre, ils basculent vers un certain reniement des principes humanitaires ancrés dans les Traités européens, que ce soit en n'appliquant pas les accords de répartition des réfugiés ou, comme dans les Balkans, en bloquant le passage des réfugiés. Or qu'est-ce qui fait une entité politique souveraine si ce n'est sa capacité à assurer son intégrité territoriale et la sécurité de ses citoyens ? L'Union européenne ne pérennisera pas sa légitimité en tant qu'entité politique si elle n'assure pas à ses citoyens qu'elle est capable de gérer efficacement – et démocratiquement – ses frontières extérieures, et par extension, ses relations avec le reste du monde. DES PISTES POUR L'AVENIR Face à des bouleversements d'ampleur séculaire, il convient de répondre par des adaptations fondamentales. Les crises internes nous montrent que l'Europe de la libéralisation – ôter les restrictions pour assurer et gérer une intégration économique profonde – n'est pas adaptée pour traiter des chocs asymétriques tels que la crise grecque ou celle des réfugiés. Il est temps de réaliser que l'Europe économique gérée « en bon père de famille » entre 28 dirigeants nationaux ne répond plus aux enjeux du moment. De la même manière, les crises géopolitiques à nos frontières appellent des réponses politiques d'envergure et rapides faisant appel à des instruments traditionnellement réservés à la protection de la souveraineté nationale (frontières, police, armée). Il y a pourtant quelques lueurs d'espoir à l'horizon : la stabilisation de l'euro par des mesures de régulation bancaire et un meilleur dosage entre stabilité monétaire et coordination macro- économique montrent que la zone euro est le bon niveau pour réguler les marchés financiers et peut adapter – si elle le veut – son pilotage macro-économique aux circonstances ; la manière dont a été négocié l'accord de Minsk pour la stabilisation de l'Ukraine ainsi que l'accord sur le nucléaire iranien montrent que l'Europe peut peser sur la résolution des crises extérieures lorsqu'elle est unie et coordonne l'ensemble de ses moyens d'action. Il faut bâtir sur ces modestes avancées. Mais il faut aller au-delà. REDONNER ESPOIR : UNE CROISSANCE DURABLE ET EQUITABLE Sans tomber dans le piège de considérer que les causes et donc les remèdes des maux européens résident essentiellement dans la relance de l'économie européenne, il est évident qu'année après année, ce sont l'emploi et le chômage qui demeurent les principales préoccupations des citoyens européens, couplés à la hausse des inégalités, et d'abord face à l'impôt. Les outils dans ces domaines sont essentiellement nationaux (stimulation de l'investissement, règles du marché du travail, système de protection sociale, fiscalité...), et la volonté de réforme ou d'adaptation donc aussi. Mais l'Union européenne peut et doit agir là où les divergences entre Etats tournent à la concurrence déloyale et mettent en cause leur capacité à financer leurs systèmes de protection sociale ou à Terra Nova – Note - 8/14 www.tnova.fr
assurer l'équité face à l'impôt. L'harmonisation de la fiscalité des entreprises et la protection des droits des travailleurs se déplaçant dans l'Union doivent à cet égard être une priorité. L'Union européenne doit aussi se donner les moyens d'une croissance innovante. Le plan Juncker pour les investissements, approuvé cette année, est à cet égard une bonne chose pour apporter les financements qui s'étaient asséchés depuis la crise financière de 2008, mais sa puissance de feu reste modeste. Surtout, dans une économie mondialisée où la concurrence des pays émergents se place désormais sur des marchés à valeur ajoutée, encore faut-il que l'Europe s'oriente vers des domaines où elle est compétitive. Par ailleurs, cette compétition ne doit pas se gagner en perpétuant un modèle économique aussi destructeur de richesses naturelles qu'actuellement, et donc sans réduire notre consommation de ressources naturelles. Il est donc essentiel que l'Union européenne renforce ses initiatives et soutiens pour favoriser l'innovation technologique (financements, réglementations), et l'on pense ici aux enjeux du marché unique numérique. Il est également urgent de mettre en place une union de l'énergie porteuse de transition vers une économie à bas carbone4, et de favoriser un changement en profondeur de l'utilisation des ressources naturelles en allant vers une économie du recyclage (ou « économie circulaire »). REFORMER LA GOUVERNANCE EUROPEENNE : D'INDISPENSABLES SAUTS SUPPLEMENTAIRES DANS L'INTEGRATION En matière de gouvernance économique comme de gestion de nos frontières, l'Europe n'a fait que la moitié du chemin, et encore... Si elle veut non seulement renforcer, mais surtout sauver l'euro et l'espace Schengen, des réformes profondes allant vers plus d'intégration, donc de partage de souveraineté, sont indispensables. C'est à ce prix que la solidarité proclamée en temps de crise prendra forme en actes. La gestion de la crise de l'euro et de la crise de la dette grecque a paré au plus pressé, mais elle n'a pas traité des questions systémiques qui font l'incomplétude de l'union monétaire et l'inefficacité de sa gouvernance : comment réduire les divergences structurelles et gérer les chocs asymétriques quand la même discipline budgétaire s'applique à tous et que l'ajustement par la dévaluation de la monnaie nationale n'est plus une option ? Quelle solidarité entre Etats en matière de dette souveraine lorsque l'existence de la monnaie unique est en jeu ? Quelles régulations pour renforcer la soutenabilité du système bancaire européen sans que, en cas de crise de la dette privée, ce soit les contribuables qui doivent assurer la pérennité des banques ? Ces questions structurelles, apparues au grand jour pendant la crise des cinq dernières années , demeurent dans une large mesure irrésolues. Cependant, les présidents des cinq institutions européennes (Commission, Conseil européen, Eurogroupe, Banque centrale européenne, Parlement européen) ont présenté des propositions pour 4 Voir « Quelle ambition pour l'Union de l'énergie ? Un projet politique à la croisée des chemins », par Christophe Schramm, Antoine Guillou, Robert Schachtschneider,Philipp Fink, Institute of Public Affairs, Daniel Scholten, Michel Derdevet (http://tnova.fr/notes/quelle-ambition-pour-l-union-de-l-energie-un-projet-politique-a-la-croisee-des- chemins). Voir aussi « COP 21 : Sauver les négociationsou sauver le climat ? » par Alexis Frémeaux, Elisa Faure et Antoine Guillou (http://tnova.fr/etudes/cop-21-sauver-les-negociations-ou-sauver-le-climat) Terra Nova – Note - 9/14 www.tnova.fr
renforcer l'Union économique et monétaire5. Certaines sont ambitieuses, d'autres reprennent des éléments déjà en cours de développement, mais, preuve de la difficulté des instances européennes à traiter plus d'un sujet majeur à la fois, le rapport, publié en juin 2015, est toujours en attente d'examen par le Conseil européen. C'est pourtant par temps (plus) calme que les institutions de l'Union européenne devraient se pencher sur ses évolutions de long terme. De la même manière, passée l'urgence de la réaction aux attaques terroristes et de la gestion de l'afflux massif de réfugiés, il faudra à l'Union européenne une véritable proposition en matière de frontières extérieures et de coopération renforcée en matière de surveillance. Sauver les règles de l'espace Schengen et donc préserver la liberté de circulation au sein de l'espace européen passe en effet par une plus grande efficacité de la gestion des frontières dans tous les domaines : information, surveillance, coopération opérationnelle, renforcement des capacités des Etats6. Cela passe aussi par une capacité renforcée d'action contre les crimes transfrontaliers, donc un saut d'intégration en matière de coopération policière et pénale7. Et ceci, sans renier les engagements internationaux de l'Union et de ses Etats membres en matière de droit d'asile. Là encore, nous l'avons vu avec les événements de l'année 2015, une politique d'asile fondée sur la responsabilité des Etats du premier accueil ne peut faire face en cas d'afflux massif8. Dans tous ces domaines, c'est bien de sauts d'intégration dont l'Europe à besoin, alors même que les Etats sont extrêmement réservés à céder des éléments de souveraineté dans un domaine aussi symbolique que les frontières. REVALORISER LES INSTITUTIONS EUROPEENNES Il est temps de revenir aux origines de la construction européenne et de revaloriser ses institutions, qui font son caractère inédit dans l'histoire des relations entre nations. Or, revaloriser les institutions européennes signifie dire la vérité aux Français. C'est dire que le gouvernement français siège au Conseil et participe aux décisions, mais que ces décisions peuvent ne pas être toujours la solution défendue initialement par le gouvernement, car la décision se prend à la majorité des voix (et non par consensus – sinon c'est la paralysie ou le plus petit commun dénominateur). C'est ensuite rendre compte devant les Français, et d'abord devant leur Parlement, de la décision prise « à Bruxelles », quelle position y a défendue la France, et en quoi la décision prise est non seulement bonne pour la France mais surtout pour l'Europe. Bref, c'est ne pas avoir le compromis européen honteux. 5 http://ec.europa.eu/priorities/economic-monetary-union/docs/5-presidents-report_en.pdf 6 Voir à cet égard les propositions de Jacques Delors in Le Monde du 5 Novembre 2015, « Schengen est mort ? Vive Schengen ». « La création de centres d’identification et de traitement des demandeurs d’asile (« hot spots ») en Grèce et en Italie s’inscrit dans cette logique européenne : soyons solidaires de ces pays par générosité, mais aussi pour reprendre le contrôle de la situation à « nos » frontières. Et prolongeons sans tarder ce mouvement d’européanisation : mise en place de gardes-côtes et de gardes-frontières européens ; interventions maritimes sous mandat des Nations unies ; montée en puissance de Frontex, y compris dans les procédures de reconduite des migrants en situation irrégulière ; création de routes européennes d’immigration légale, etc. » 7 Voir Gabriel Arnoux, « Accroître les compétences pénales de l'UE, une question de crédibilité politique », http://tnova.fr/notes/accroitre-les-competences-penales-de-l-ue-une-question-de-credibilite-politique 8 Voir Joanna Pétin, « Crise migratoire en Méditerranée: le droit européen de l'asile et la solidarité remis en question », http://tnova.fr/etudes/crise-migratoire-en-mediterranee-le-droit-europeen-de-l-asile-et-la-solidarite-remis- en-question Terra Nova – Note - 10/14 www.tnova.fr
Dire la vérité, c'est aussi expliquer que les Français envoient 77 députés au Parlement européen, qui votent les lois européennes et contrôlent son exécutif, mais qu'ils ne sont que 77 sur 451 députés, et donc que pour peser, il est préférable de ne pas disperser les élus sur 8 groupes politiques, ni d'envoyer le plus grand contingent de députés européens français – ceux du Front national - dans le plus petit groupe en dehors des non-inscrits9. Car comme au Conseil, les décisions se prennent par une majorité de députés du Parlement, où les Français, déjà très dispersés, sont très loin d'être majoritaires. Dire la vérité sur l'Union européenne, c'est enfin ne pas mythifier ses organes exécutifs que sont la Commission et la Banque centrale, mais dire qu'elles travaillent dans le cadre d'un mandat, défini dans les Traités, encadré par des règles et placé sous le regard d'une autre institution emblématique : la Cour de Justice européenne. C'est rappeler enfin que les membres de ces institutions sont nommés par les gouvernements, et qu'en nommant les personnes les mieux qualifiées possibles10 et en engageant un dialogue permanent et respectueux avec elles, ces institutions savent être au service des Etats et des citoyens européens. UN SURSAUT DEMOCRATIQUE Le choc entre les démocraties nationales ne sera évité que si un sursaut démocratique est engagé à l'échelle de l'Union européenne. Dani Rodrik11 résume parfaitement le dilemme qui se pose à l'Europe : dans le triangle formé de la globalisation des forces économiques, de la démocratie politique et de la souveraineté nationale, les trois ne peuvent coexister en même temps. Pour sauver la démocratie, il faut soit un retour en arrière de l'intégration économique, ce qui serait désastreux, soit renforcer les institutions démocratiques à l'échelle du continent européen. En ce sens, trois chantiers au moins se dessinent. Le premier est celui de la démocratisation des institutions communes aux 28. Les élections européennes de 2019 sont ici en ligne de mire, et il sera essentiel de politiser leurs enjeux pour les rendre beaucoup plus attractives. Ceci passe entre autres par un agenda clair de désignation de candidats français à l'élection, des programmes réellement européens portés par les partis européens (plutôt que nationaux), ou encore la désignation de la Commission européenne sur base du résultat des élections12. 9 Les 77 députés européens français sont répartis de la façon suivante : 20 PPE (sur 216) ; 13 S&D (sur 190) ; 7 ALDE (sur 70) ; 4 GUE (sur 51) ; 6 Verts (sur 50) ; 1 Europe des Libertés (sur 45) ; 21 Europe des Nations (sur 39) ; 2 non inscrits (sur 14). Le seul groupe où des Français ne siègent pas est le groupe ECR des conservateurs (75 membres). 10 La Commission Juncker et la nomination de Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne est en cela un progrès, mais beaucoup reste à faire dans les Etats majors politiques s'agissant de la désignation des députés européens.Voir notamment « Une analyse politique de la Commission Juncker : une nouvelle dynamique est-elle née ? », Pénélope Debreu (http://tnova.fr/notes/une-analyse-politique-de-la-commission-juncker-une-nouvelle- dynamique-est-elle-nee) 11 « The future of European democracy », Dani Rodrik, After the storm, Luuk van Middelaar et Philippe Van Parijs (ed.), Lannoo, 2015 12 Voir « Une analyse politique de la Commission Juncker : une nouvelle dynamique est-elle née ? », Pénélope Debreu (http://tnova.fr/notes/une-analyse-politique-de-la-commission-juncker-une-nouvelle-dynamique-est-elle-nee), et Etienne Rosée, « Elections européennes : comment accroître la participation et politiser les enjeux du vote » (http://tnova.fr/notes/elections-europeennes-comment-accroitre-la-participation-et-politiser-les-enjeux-du-vote) Terra Nova – Note - 11/14 www.tnova.fr
L'autre chantier est celui de la démocratisation de la zone euro. La conduite de la politique économique et budgétaire est un déni de démocratie tant au niveau national qu'européen. L'adhésion à long terme des citoyens à l'euro passe par une nouvelle gouvernance où parlements européen et nationaux prennent part aux grandes orientations et contrôlent et évaluent la mise en œuvre par les exécutifs13. C'est l'autre enjeu de la réforme de la gouvernance de l'union monétaire. Enfin, si les compétences de l'Union européenne doivent être renforcées en matière de coopération policière et de surveillance des frontières, ceci ne peut se faire au détriment des garanties des libertés fondamentales. Au-delà, le développement de l'économie et de la société numériques doivent pouvoir reposer sur la confiance des consommateurs et citoyens lorsqu'on en vient à l'utilisation des données personnelles qui les concernent. Or, comme l'ont montré les débats sur la révision de la directive relative à la protection des données à caractère personnel, puis l'annulation par la Cour de Justice européenne de l'accord avec les Etats-Unis en matière d'échange de données sur les passagers des compagnies aériennes, et les débats qui ont suivi sur le « Passenger Name Record (PNR), l'équilibre entre protection des droits individuels et besoins des opérateurs économiques ou des autorités publiques est très délicat à trouver. Cependant, tout progrès dans l'intégration européenne dans ces domaines devrait être accompagné d'un renforcement équivalent des garanties des libertés fondamentales et du contrôle du juge sur les opérateurs économiques utilisateurs de telles données et les institutions chargées de la sécurité intérieure et des frontières. EVITER LE BREXIT, MAIS PAS A TOUT PRIX Le piège serait de donner droit aux demandes du Royaume-Uni en pensant que cela n'aurait pas d'impact sur les opinions européennes et les tensions qui traversent partout les démocraties nationales quant à la signification de leur appartenance à l'Union européenne. Il serait tout aussi irresponsable de ne pas répondre à certaines attentes, pour autant qu'elles sont conformes à l'intérêt européen. Faute de quoi, le vote négatif au référendum sur le « Brexit » entraînerait un vote de demande d'indépendance de l'Ecosse, dans le but combiné de sortir du Royaume-Uni pour mieux rester membre de l'Union européenne. L'éclatement du Royaume-Uni est aujourd'hui une perspective envisageable. Ce n'est dans l'intérêt d'aucun pays européen. Pourtant, la montagne a accouché d'une souris, et c'est ce qu'ont rapidement fait savoir les partisans de la sortie de l'UE. Les demandes formulées par M. Cameron restent en effet assez générales, et donc exemptes de promesses détaillées sur lesquelles les eurosceptiques pourraient lui demander des comptes précis. M. Cameron s'est donc laissé une marge pour pouvoir faire campagne pour rester dans l'Union, et dans ce but, trouver les compromis nécessaires. Au fond, il a besoin d'une rude bataille médiatisée pour vendre le résultat à son opinion publique comme une victoire. Donnons- la lui ! 13 Voir par exemple Patrick Dollat, « Pour un gouvernement économique européen et démocratique » (http://tnova.fr/etudes/pour-un-gouvernement-economique-europeen-et-democratique) Terra Nova – Note - 12/14 www.tnova.fr
Mais pas à n'importe quel prix, bien sûr. Trois points seront décisifs14. Le premier est la nature exacte des demandes relatives à l'Union économique et monétaire. Revenir sur le principe d'une monnaie unique serait un grave retour en arrière, mais donner des assurances aux Etats non membres de l'eurozone (pas seulement au Royaume-Uni donc) ne devrait pas être impossible, sous réserve de ne pas freiner les développements futurs de l'Eurozone elle-même. Le deuxième point est la manière dont seront traitées les questions symboliques et institutionnelles sur la souveraineté nationale. Préciser le rôle des parlements nationaux est envisageable, mais il ne faudrait en aucun cas que ceci empiète sur le rôle du Parlement européen, qui doit rester la branche législa tive de l'UE et ne pas voir affaiblie sa légitimité. Cette demande rappelle surtout aux gouvernements nationaux qu'avant de voter les lois européennes, ils devraient en référer à leurs parlements. Et sur ce point, c'est moins Westminster qui est en défaut que la plupart des institutions nationales continentales, et d'abord les françaises... Le troisième point – exiger des citoyens européens un délai de quatre ans avant d'accéder aux prestations sociales liées à l'emploi – est le plus ouvertement contraire aux règles européennes de non-discrimination, et le plus porteur de précédent néfastes en termes de régression de l'acquis européen s'il lui était fait droit. Il est celui où la plus forte opposition est à attendre. Une dramatisation de ce sujet pourrait cependant permettre à M. Cameron de modifier sa position, lui-même ayant indiqué que celle-ci pourrait évoluer. UNE VRAIE POLITIQUE DES FRONTIERES ET DU VOISINAGE La peur est mauvaise conseillère. La peur de l'autre, surtout s'il est noir et/ou musulman, est potentiellement la plus dangereuse pour l'avenir de l'Union européenne. A elle de démontrer rapidement qu'elle sait se doter des politiques et outils pour agir sur les événements qui, naissant dans son environnement international immédiat, affectent directement l'adhésion de ses citoyens à une société ouverte. Au fond, les Européens doivent rapidement revenir dans l'Histoire et (ré)apprendre à agir dans les crises régionales qui les cernent. Ceci concerne au premier chef l'Allemagne. Pour cela, plusieurs facteurs sont essentiels. Le premier est de trouver un accord à la fois sur l'analyse des situations, les objectifs à atteindre, et sur les méthodes à employer. Ici, la politique à l'égard de la Russie est primordiale. Si elle est une menace à bien des égards (en Ukraine, en Syrie), la Russie fait également partie de toutes les solutions. Un tel accord devra impérativement convaincre les nouveaux Etats membres, pour lesquels la sécurité physique autant que l'approvisionnement énergétique prime toute résolution des crises moyen-orientales. Un contrat de confiance et de sécurité similaire devra être trouvé à l'égard des pays du bassin méditerranéen, et au-delà, à l'égard de l'Afrique sub-saharienne, pour rassurer les Etats membres du sud quant à la capacité de l'UE non seulement à pacifier son environnement immédiat, mais à traiter 14 Pour plus de détails, voir Richard Corbett, « Camerons's EU reforms : steering between the trivial and the impossible » (http://www.policy- network.net/pno_detail.aspx?ID=4941&title=Cameron%27s+EU+reforms%3a+steering+between+the+trivial+and+th e+impossible) Terra Nova – Note - 13/14 www.tnova.fr
sur le long terme les déséquilibres démographiques et économiques générateurs de flux migratoires massifs. Face à l'appel d'air démocratique sans précédent chez nos voisins du sud lors des « printemps arabes », l'Europe dans son ensemble, ou les Etats membres individuellement, sont restés spectateurs, avec l'exception malheureuse de l'intervention militaire française en Libye. Troisième facteur, la manière dont l'UE réussira – ou non – à être un acteur de premier plan dans la résolution des multiples crises moyen-orientales. Il n'est pas question ici de penser que seule, l'UE pourrait réussir ce que des décennies d'efforts – et d'échecs – de la part des Etats-Unis n'ont pas réussi. Cependant, face à certains acteurs régionaux clés, l'Union européenne est peut-être la seule à exercer une influence décisive, tirée de son pouvoir d'attraction lié d'une part aux négociations d'élargissement, dans le cas de la Turquie et des pays des Balkans, et d'autre part de sa puissance commerciale, dans le cas de l'Iran. Dans tous les cas, un facteur apparaît essentiel, c'est celui de l'unité entre Etats membres et entre les Etats et les institutions européennes qui les représentent (Haute Représentante pour les Affaires étrangères, Commission européenne), ainsi que la mobilisation coordonnée de tous les outils qui s'offrent à un groupe d'Etats comme ceux de l'Union européenne (diplomatie, aide financière, relations commerciales, renseignement et intervention militaire). L'histoire récente est pleine d'exemples de cavaliers seuls qui se sont révélés tragiquement inefficaces. Enfin, devra bien finir par être posée la question de la définition de la frontière extérieure de l'UE. Car non seulement une politique de gestion des frontières plus efficace dépend de la stabilité de cette frontière, mais le projet politique européen lui-même doit, pour se concrétiser davantage, se définir dans l'espace. Où s'arrête-t-il ? Les grands principes qui caractérisent l'UE ne suffisent plus à unir ses peuples. Se définir comme Européens en référence à une ligne imaginaire à l'est - puisque tout Etat européen a vocation à rejoindre l'Union européenne – ne peut faire identité commune. L'implicite actuel selon lequel les Balkans ont vocation à entrer dans l'Union européenne, tandis que l'Ukraine et la Turquie ne l'ont pas, est un entre-deux qui se révèle nauséabond pour nos relations avec nos voisins mais aussi un poison pour la démocratie européenne. Terra Nova – Note - 14/14 www.tnova.fr
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