L'évolution de la formation professionnelle continue : une perspective internationale
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EDHEC BUSINESS SCHOOL PÔLE DE RECHERCHE EN ÉCONOMIE, ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES ET RÉFORME DE L'ÉTAT 393-400 promenade des Anglais 06202 Nice Cedex 3 Tél. : +33 (0)4 93 18 32 53 Fax : +33 (0)4 93 18 78 40 L’évolution de la formation e-mail : joanne.finlay@edhec.edu professionnelle continue : une perspective internationale Janvier 2011 Arnaud Chéron Directeur de Recherche, EDHEC Business School
Résumé La formation professionnelle continue est Divers arguments peuvent être avancés un des axes d’action retenus par la pour expliquer cette chute de l’accès à Commission Européenne dans l’agenda de la formation professionnelle continue Lisbonne. Un état des lieux dans les pays en entreprises, et justifier du point de européens sur les vingt dernière années vue de l’efficacité économique le relatif fait apparaître une réduction des efforts désengagement observé des Etats. dans cette direction que nous proposons Un argument important repose sur le d’interpréter au vu des enseignements de phénomène qualifié de « turbulence la théorie économique. Pour établir ce économique », et de son interaction avec constat, nous nous appuyons notamment l’optimalité des décisions de formation sur les données d’enquête collectées par professionnelle récemment mise en Eurostat (Continuous Vocational Training évidence par Belan et Chéron [2010]. On Survey en 1999 et 2005). a en effet observé au cours des vingt dernières années que les travailleurs qui D’une part, notre constat établit une forte connaissent des épisodes de chômage hétérogénéité entre les pays. La disparité subissent pour des durées de chômage des dépenses engagées par les entreprises comparables, des pertes salariales plus en matière de formation professionnelle importantes qu’auparavant. Ceci laisse à est essentiellement reliée aux écarts de penser que le bénéfice de l’expérience et taux d’accès. En 2005, les pourcentages des formations accumulées, constituant d’effectifs employés ayant participé dans le capital humain des travailleurs, est plus l’année écoulée à une action de formation difficilement transféré entre les emplois. étaient compris entre 10% et 61% au sein Dans ce contexte, tout investissement en l’Union Européenne (34% en moyenne et formation effectué par une entreprise 46% en France). D’autre part, le début tend à être spécifique à l’entreprise : il des années deux mille a été globalement devient moins aisé pour un travailleur de caractérisé par une diminution des efforts le valoriser en dehors de cette entreprise. en faveur de la formation professionnelle Or, traditionnellement, l’intervention de continue, principalement pour les pays dans l’Etat dans le domaine de la formation lesquels, à la fin des années quatre-vingt- professionnelle continue se justifie eu dix, les dépenses étaient les plus élevées égard à cette dimension transférable des (pays nordiques, France et Royaume-Uni). formations. Les entreprises ont en effet Ce constat, surprenant a priori, vaut non tendance à ne pas suffisamment investir seulement pour les dépenses effectuées dans la formation de leurs travailleurs, par les entreprises mais aussi pour les notamment parce qu’elles négligent les subventions des Etats. En France, le ratio bénéfices des formations dispensées pour des dépenses publiques en programmes les éventuels futurs employeurs. Au bilan, de formation continue rapportées au PIB en période de forte turbulence économique, était au début des années deux mille les investissements en formation tendant à revenu à un niveau comparable à celui être spécifiques aux entreprises, il se peut du milieu des années quatre-vingt (soit que le besoin en subventions publiques environ 0,25%). se fasse moindre et prenne une forme différente. Ce document constitue une synthèse de travaux scientifiques conduits au sein de l'EDHEC. Pour plus d'informations, nous 2 vous prions de vous adresser à Joanne Finlay de la direction de la recherche de l'EDHEC : joanne.finlay@edhec.edu Les opinions exprimées sont celles des auteurs et n'engagent pas la responsabilité de l'EDHEC.
A propos de l'auteur Arnaud Chéron est professeur des Universités en Sciences Economiques (Le Mans) et directeur de recherche sur l'évaluation des politiques de l'emploi au sein du pôle économie de l’EDHEC. Ancien chercheur à l’EUREQua et au CEPREMAP, il a obtenu son doctorat en 2000 à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Il a effectué des recherches dans les domaines de l’économie de l’emploi, les politiques publiques et les cycles économiques, donnant lieu à de nombreuses publications dans des revues académiques françaises et internationales (Annales d’Economie et Statistiques, Revue Française d’Economie, Journal of Economic Theory, Review of Economic Dynamics) ainsi qu’à des réalisations professionnelles (contrats avec le Ministère du Travail, le Commissariat Général au Plan et la Commission européenne). 3
Table des matières Introduction......................................................................................................................................... 5 1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe .... 7 2. Faut-il accroître les dépenses publiques en faveur de la formation professionnelle continue des employés ? ............................................................................................................... 17 Conclusion ........................................................................................................................................ 24 Références.........................................................................................................................................................25 Position Papers et Publications du Pôle de Recherche en Economie de l’EDHEC.............. 26 4
Introduction La stratégie arrêtée au Conseil européen de entreprise ou Etat). Il valait initialement (en Lisbonne en mars 2000 par les quinze Etats 2000) 7,1%. L’objectif fixé pour 2010 était membres de l’Union européenne visait à d’atteindre le chiffre de 12,5% : en 2006, ce faire de l’économie européenne « l’économie pourcentage équivalait à 9,6% et stagnait de la connaissance la plus compétitive encore à 9,7% en 2007. Un examen détaillé et la plus dynamique du monde d’ici à du rapport fait subrepticement apparaître2 2010, capable d’une croissance économique qu’une des causes de ce résultat mitigé sur le durable accompagnée d’une amélioration thème de la formation et de l’éducation tout quantitative et qualitative de l’emploi et au long de la vie pouvait être attribuée à la d’une plus grande cohésion sociale ». Le volet diminution, dans un grand nombre de pays, éducation et formation de cette stratégie de la formation professionnelle continue en était initialement structuré autour d’objectifs entreprises. chiffrés concernant cinq grands axes : le pourcentage (1) d’élèves en difficulté (apprentissage de la lecture), (2) de sorties Dans une perspective internationale prématurées du système scolaire, (3) de (essentiellement européenne) et historique, diplômés du secondaire, (4) de diplômés de l’objectif de la présente étude est d’examiner l’enseignement du supérieur, et enfin (5) en détail la place et l’évolution de la formation d’adultes (entre 25 et 64 ans) participant à professionnelle continue des travailleurs en des actions d’éducation ou de formation. situation d’emploi. Il s’agit de discuter les déterminants de l’hétérogénéité entre pays et Le rapport publié en 2008 par la Commission de son évolution dans le temps, pour évaluer européenne (Progress towards the Lisbon la pertinence d’un éventuel accroissement objectives in education and training), faisant des dépenses des Etats en faveur de la référence à la période 2000-2006, a permis formation professionnelle continue. Cette de faire un bilan à mi-parcours : si les pays réflexion s’appuie en partie sur le rapport européens étaient en avance par rapport à rédigé par Bassanini, Booth, Brunello, De l’objectif fixé de pourcentage de diplômés du Paola, Leuven [2005] (BPL par la suite) pour supérieur (axe 4), il n’en était pas de même le compte de l’OCDE. En préambule, nous sur le pourcentage d’élèves en difficulté (axe proposerons une brève synthèse de ce rapport 1) qui avait même augmenté sur la période, permettant d’identifier les grands traits les autres axes 2, 3 et 5 ayant connu un caractéristiques de la formation continue progrès inférieur à celui initialement fixé. dans divers pays, et plus particulièrement en Europe. Ce rapport exploite différentes Plus précisément, le cinquième volet sur sources de données relatives à la fin des l’éducation et la formation tout au long de la années quatre-vingt-dix. vie était décrit par un indicateur retenu par la Commission européenne correspondant au Partant de là, nous souhaitons aborder rapport entre le nombre de personnes âgées differents aspects de l’enjeu de la formation entre 25 et 64 ans déclarant avoir participé au cours de la vie professionnelle et de l’action durant le mois précédent l’enquête à une de l’Etat dans ce domaine. Tout d’abord, d’un action de formation ou d’éducation, et la point de vue purement factuel de statistique population totale de ce groupe d’âge1. Cet descriptive et afin de décrire la situation indicateur inclut donc tout type de personne sur le passé récent, nous prolongeons les (chômeur, employé ou inactif), tout type de travaux de BPL, en examinant : d’une part, formation (générale ou spécifique à l’emploi), le rôle des différents aspects de la formation et tout type de financement (travailleur, professionnelle continue (volume horaire et 5 1 - Il est ici fait référence aux données Eurostat du Labor Force Survey. 2 - Seules 3 pages sur un rapport en contenant 232 sont en effet consacrées à ce résultat somme toute intrigant.
Introduction taux de participation) dans l’explication des différences européennes de dépenses en la matière réalisées par les entreprises ; d’autre part, l’évolution de l’accès à la formation professionnelle continue en Europe entre 1999 et 2005 ; enfin, l’évolution des dépenses des Etats en faveur de la formation professionnelle continue jusqu’au milieu de la première décennie des années deux mille. Ensuite, nous proposons d’étudier les arguments théoriques susceptibles, d’expliquer l’accès à la formation professionnelle et son évolution et de justifier l’évolution observée sur le passé récent des dépenses publiques de formation. 6
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe Notre analyse factuelle comprend deux leurs salariés. La figure 1.1.1 met ainsi en temps. En préambule, nous proposons évidence que dans les pays nordiques, en donc une synthèse du rapport OCDE réalisé France et au Royaume-Uni, les employés par Bassanini, Booth, Brunello, De Paola, ont relativement plus accès à la formation Leuven [2005] (BPL). A partir de données professionnelle qu’aux Etats-Unis, alors caractérisant la formation professionnelle que l’inverse prévaut pour les pays d’Europe continue durant la deuxième moitié des de l’est, mais aussi pour l’Italie, la Grèce, années quatre-vingt-dix, BPL examinent l’Espagne et le Portugal3. l’hétérogénéité des dépenses de formation professionnelle entre pays, et identifient Sur l’ensemble des pays considérés, un ensuite, d’une part, les facteurs communs certain nombre de facteurs communs, expliquant cet accès, et d’autre part, le caractérisant l’accès à la formation rôle des institutions dans l’explication des professionnelle continue, peuvent être différences résiduelles. identifiés : (a) en moyenne, 80% des cours de 1.1 Synthèse de l’étude de formation professionnelle continue sont Bassanini, Booth, Brunello, De financés par les entreprises ; même s’il Paola, Leuven [2005] : analyse existe des différences significatives entre européenne de la formation pays, sur l’ensemble des 16 pays de professionnelle continue en l’OCDE étudiés par BPL, il apparaît que les entreprises entreprises constituent systématiquement Selon BPL il existe, au sein même de le principal financeur. Qui plus est, le l’Europe, une forte hétérogénéité des tableau 1.1 montre l’ampleur des dépenses efforts réalisés par les entreprises en engagées par les entreprises, exprimées en matière de formation professionnelle de pourcentage de la masse salariale, soit en Figure 1.1.1 : Pourcentage d’employés (entre 25 et 64 ans) ayant bénéficié au moins d’une action de formation dans l’année et nombre d’heures de formation par employé formé Source : Bassanini, Booth, Brunello, De Paola, Leuven [2005] participation Données OCDE, deuxième moitié des années 1990 7 3 - La formation professionnelle continue pose des problèmes de mesure, notamment concernant le contenu des formations dispensées. Les problèmes soulevés par cette question, et plus généralement de la mesure du capital humain, ne seront pas discutés dans cette étude.
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe moyenne 2,2% dans l’Union européenne formation professionnelle lors des phases en 1999 4. Les principaux pays où le de récession économique, qui se traduisent financement des entreprises dépasse cette par un besoin de réorganisation, et pendant moyenne sont également ceux que l’on lesquelles le coût d’opportunité en termes retrouve dans le quart nord-est de la figure de renoncement à produire est réduit (du 1.1.1. Tel est ainsi le cas dans les pays de fait d’une demande de biens en berne). l’Europe du nord comme la Norvège (2,3), - Les entreprises investissent plus en la Suède (2,8) et le Danemark (3), mais aussi formation lors des phases d’expansion, la France (2,4) et le Royaume-Uni (3,2). car les profits supplémentaires réalisés permettent de dégager des marges Tableau 1.1 : Dépenses de formation professionnelle payées par les entreprises en pourcentage du coût total de la main- additionnelles de financement. d’œuvre Union européenne (25 pays) 2,2 A partir des données du panel européen Belgique 1,6 des ménages (1996-2001), BPL soulignent Bulgarie 1,0 donc que l’effet (ii) serait dominant. Nous République tchèque 1,9 reviendrons sur ce point ultérieurement Danemark 3,0 en examinant l’évolution des dépenses de Allemagne 1,5 formation entre la fin des années quatre- Estonie 1,8 vingt-dix et le début des années deux Irlande 2,4 mille. Grèce 0,9 Espagne 1,5 Concernant la typologie des entreprises France 2,4 qui financent des actions de formation Italie 1,7 professionnelle et des employés qui en Lettonie 1,1 bénéficient, on peut retenir : Lituanie 0,8 Luxembourg 1,9 (c) Les entreprises de grande taille forment Hongrie 1,2 plus que les entreprises de petite taille. Pays-Bas 2,8 Autriche 1,3 (d) L’accès à la formation professionnelle Pologne 0,8 continue croît avec l’éducation initiale des Portugal 1,2 employés et décroît en revanche avec leur Roumanie 0,5 âge. Slovénie 1,3 Finlande 2,4 Au bilan, BPL mettent en évidence que Suède 2,8 ces différentes sources d’hétérogénéité Royaume-Uni 3,2 expliquent approximativement la moitié des Norvège 2,3 écarts d’accès à la formation professionnelle Source : Enquête Eurostat auprès des entreprises CVTS, 1999 continue entre pays. (b) les investissements en formation sont BPL examinent finalement le rôle des contra-cycliques : les entreprises dépensent institutions dans l’explication des plus en matière de formation lorsque le différences résiduelles d’accès à la chômage augmente et que le PIB est en formation professionnelle continue entre deçà de son niveau potentiel. Il existe en pays européens, avec pour principaux théorie deux effets de sens opposé : résultats : - Les entreprises investissent plus en 8 4 - Rappelons que nous comparerons ensuite ces données avec l’enquête de 2005 publiée par Eurostat.
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe (e) Concernant la régulation du marché 1.2.1 Evolution de l’accès à la des biens, plus la concurrence entre les formation professionnelle continue firmes est grande, plus les entreprises entre 1999 et 2005 choisissent d’investir dans la formation de Nous utilisons donc dans un premier temps leurs salariés. les données fournies par Eurostat sur l’éducation et la formation tout au long (f) Sur le marché du travail, la protection de la vie. Plus précisément nous exploitons des emplois a des effets contrastés selon les données d’enquête du Continuous qu’elle renvoie à une diminution de la part Vocational Training Survey (CVTS) qui des emplois temporaires (favorable à la donne accès à un ensemble d’informations formation) ou à des coûts de licenciement homogènes pour l’ensemble des 25 pays plus grands sur les contrats « réguliers » de l’Union européenne. L’enquête CVTS (défavorable à la formation). menée auprès des entreprises en 1999 et 2005 répertorie des informations qui (g) Un système de retraite plus généreux, concernent (i) l’ampleur des dépenses n’incitant pas à la prolongation d’activité, consacrées à la formation professionnelle pèse sur la formation des seniors. continue, financées par les entreprises durant l’année écoulée, (ii) le nombre d’heures de formation dont a bénéficié, 1.2 Evolutions des dépenses en moyenne sur un an, chaque employé privées et publiques pour la formé, et (iii) le pourcentage des effectifs formation professionnelle ayant eu accès à une formation l’année continue : quelles tendances ? précédente. Nous proposons à présent d’étendre les travaux de BPL. Tout d’abord, nous Notre objectif ici est de déterminer si, étudions un certain nombre de statistiques conformément à « l’agenda de Lisbonne » descriptives en examinant non seulement fixé en 2000, il y a eu une progression la base de données Eurostat de 1999 sur de la formation professionnelle continue la formation professionnelle continue en ou, au contraire, s’il y a eu une tendance entreprises, mais également son nouveau à la stabilisation voire à la réduction volet issu de l’enquête menée en 2005. des efforts en faveur de la formation Nous sommes en mesure, d’une part, de professionnelle ? De même, sous quelle mettre en évidence l’évolution durant forme cela s’est-il traduit : plus ou moins cette période des investissements en d’heures dispensées, et/ou plus ou moins formation professionnelle financés par les de participants concernés ? entreprises, et d’autre part, d’identifier les rôles respectifs des volumes horaires et des Notre analyse permet de mettre en évidence taux de participation dans les différences trois enseignements que nous détaillerons et évolutions observées. par la suite : Ensuite, à partir de données OCDE, nous 1. L’hétérogénéité des dépenses de caractérisons l’évolution des dépenses formation professionnelle continue publiques en formation sur plus de vingt renvoie principalement aux différentiels ans, entre le début des années quatre- de taux de participation plutôt qu’aux vingt et le début des années deux mille. différences d’heures de formation dont bénéficie chaque employé. 9
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe 2. Parmi l’ensemble des pays européens respectivement le volume moyen annuel où les entreprises dépensaient le plus en d’heures de formation et le pourcentage actions de formation professionnelle en d’employés bénéficiant d’une action de 1999, on observe une très nette réduction formation dans l’année. Le Tableau 1.2.1 de l’effort consenti en 2005. reporte également le classement des pays pour chacun des trois critères d’accès à 3. Cette diminution de l’effort de formation la formation continue, en 1999 et 2005, des pays historiquement engagés se traduit du premier au dernier : D = dépenses principalement par une sélection accrue, de formation/masse salariale, H= nombre c'est-à-dire essentiellement par une d’heures de formation par employé formé, diminution du nombre de participants plutôt et TP= taux de participation aux actions que du volume d’heures individuelles. de formation. La figure 1.2.1 reporte la moyenne du Il apparaît tout d’abord que les différences ratio des dépenses annuelles de formation de dépenses de formation, tant entre pays effectuées par les entreprises sur le coût que dans le temps, renvoient plus aux total de leur main-d’œuvre. Cette figure écarts de taux de participation qu’aux hiérarchise les pays, de façon décroissante, différences de volumes horaires. On note sur la base du ratio calculé en 1999. A en effet qu’en 1999, la hiérarchie des cette date, les dépenses de formation dans pays selon les dépenses de formation ne les pays de l’Europe du nord (Norvège, se retrouve pas sous l’angle des volumes Finlande, Pays-Bas, Suède et Danemark) d’heures de formation par employé formé représentaient entre 2,3 et 3% de la masse alors qu’à l’inverse, elle est globalement salariale. Seuls la France (2,4%), l’Irlande respectée lorsque le critère d’analyse (2,4%) et le Royaume Uni (3,2%) faisaient retenu est le taux de participation à une aussi bien. A l’autre extrémité, on trouve formation (figures 1.2.1, 1.2.2 et 1.2.3) : les pays de l’Europe de l’est (avec autour il y a une forte correspondance entre de 1% voire moins), et des pays d’Europe les différences européennes de dépenses continentale comme l’Espagne, l’Italie, de formation et les différences de taux l’Allemagne et la Belgique qui se trouvent d’accès. dans une position intermédiaire. Par exemple, alors que c’est au Royaume- Ce critère « gomme » les effets de niveaux, Uni qu’en 1999 les entreprises dépensaient tant entre pays que dans le temps, le plus pour la formation professionnelle puisque les dépenses sont rapportées à continue en entreprises, ce pays n’était la masse salariale (alors que le niveau qu’au 23e rang selon le critère du nombre des salaires est fortement dépendant du d’heures (26 heures), et au 4e rang selon pays considéré, et évolue dans le temps). celui du taux de participation (49%).5 A Néanmoins, ce premier indicateur englobe l’inverse, un pays comme la Grèce, qui se trois composantes : le nombre d’heures de classe 22e selon le critère le plus englobant formation par participant, le nombre de des dépenses (0,9% de la masse salariale), participants, et enfin la qualité ou le niveau est au 6e rang en termes d’heures par moyen des formations qui détermine leur employé formé (39 heures), et au 20e coût moyen en unités de salaire. Les rang en terme de taux de participation figures 1.2.2 et 1.2.3 fournissent une (15%). Cette forte correspondance entre information, en 1999 et 2005, au sujet dépenses et taux de participation s’observe des deux premières composantes, soit également pour la France, respectivement 10 5 - Ceci suggère également que si ce pays se classe premier in fine, la qualité ou le niveau, et donc le coût, des formations dispensées (en unités de salaire) sont donc relativement élevés.
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe au 5e et 6e rang selon ces deux critères, et seulement 11e selon le critère d’heures (36 heures pour un taux de participation équivalent 46%). Selon chacun des critères, la France est néanmoins au dessus de la moyenne européenne. Figure 1.2.1 : Dépenses de formation professionnelle en entreprises, en % du coût total de la main-d’œuvre Source : Données Eurostat – CVTS, Enquêtes 1999 et 2005. 11
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe Figure 1.2.2 : Heures de cours de formation professionnelle continue par participant Source : Données Eurostat – CVTS, Enquêtes 1999 et 2005. 12
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe Figure 1.2.3 : Pourcentage des effectifs participant à une formation Source : Données Eurostat – CVTS, Enquêtes 1999 et 2005 13
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe Tableau 1.2.1 : Rang des pays en fonction de l’ampleur de l’accès à la formation professionnelle continue en entreprises, par critère (dépenses/masse salariale = D, volume horaire moyen = H, taux de participation = TP), et par année (1999/2005) 1999 D H TP D / H / TP 1999->2005 1999->2005 1999->2005 Royaume-Uni 1 / 23 / 4 1->16 23->25 4->11 Danemark 2/ 3/ 2 2 ->1 3->9 2->9 Suède 3 / 17 / 1 3-> 4 17->3 1->5 Pays-Bas 4 / 10 / 8 4-> 5 10->2 8->10 France 5 / 11 / 6 5-> 2 11->14 6->5 Irlande 6/ 5/ 8 6-> 3 5->20 8->3 Finlande 7 / 11 / 3 7->12 11->20 3-> 8 Norvège 8 / 15 / 5 8->17 15->5 5->15 Luxembourg 9/ 6 / 11 9->5 6->4 11-> 3 Rep. Tchèque 10 / 25 / 7 10->8 25->24 7-> 1 Estonie 11 / 18 / 17 11->10 18->15 17->18 Italie 12 / 16 / 15 12->18 16->20 15->16 Belgique 13 / 17 / 8 13->10 17->7 8->7 Allemagne 14 / 22 / 12 14->15 22->9 12->14 Espagne 15 / 1 / 16 15->18 1->17 16->11 Autriche 16 / 20 / 14 16->13 20->15 14->11 Slovénie 17 / 24 / 12 17->5 24->13 12-> 2 Hongrie 18 / 8 / 22 18->8 8->1 22->21 Portugal 19 / 8 / 18 19->21 8->17 18->17 Lettonie 20 / 14 / 23 20->24 14->17 23->22 Bulgarie 21 / 13 / 21 21->21 13->9 21->22 Grèce 22 / 6 / 20 22->25 6->20 20->25 Lituanie 23 / 3 / 24 23->18 3->5 24->22 Pologne 24 / 21 / 19 24->14 21->9 19->19 Roumanie 25 / 1 / 25 25->21 1->7 25->20 Ensuite, entre 1999 et 2005, on peut De même, la Norvège passe du 8e au 17e observer une très nette homogénéisation rang, avec des dépenses de formation entre les pays : les pays d’Europe de qui chutent de 2,3% à 1,3%. A l’inverse l’Est rattrapent une partie de leur retard, la Hongrie passe du 18ème au 8ème alors qu’à l’inverse les pays dépensant rang, avec des dépenses de formation initialement le plus voient leurs efforts qui progressent de 1,2 à 1,9%. Dans ce de formation diminués (Royaume-Uni et tableau général, la France renforce sa pays nordiques notamment). Globalement, bonne position initiale (passe du 5e au 2e l’écart-type du ratio des dépenses de rang). formation sur le coût total de la main- d’œuvre diminue de 0,75 à 0,5. Qui plus est, cette relative convergence des dépenses de formation est principalement Ce phénomène de convergence peut due à l’homogénéisation des taux de s’illustrer au travers de divers exemples participation annuels à des programmes « parlants ». Au Royaume-Uni tout d’abord, de formation. On note en effet que dans les dépenses de formation passent de 3,2% des pays comme le Royaume-Uni, le à 1,3% de la masse salariale, qui rétrograde Danemark et la Suède, pour lesquels les donc du 1er au 16e rang selon ce critère. taux de participation étaient les plus 14
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe élevés, ces derniers ont chuté de plus 15 rythme de croissance du PIB supérieur à points en l’espace de 6 ans. A l’inverse, dix sa tendance de long terme. Ce diagnostic des onze pays qui dépensaient le moins joint de contra-cyclicité des dépenses en en formation continue ont vu leur taux formation continue et de croissance élevée de participation progresser. Au bilan, on peut aider à comprendre la diminution retiendra donc que les différences entre observée des dépenses de formation dans pays, en terme d’efforts consacrés par les des pays comme le Royaume-Uni ou ceux entreprises à la formation professionnelle de l’Europe du nord.6 continue de leurs employés, s’expliquent principalement par la plus ou moins grande 1.2.2 Evolution des dépenses des sélection opérée. Dans certains pays, les Etats en faveur de la formation entreprises ne proposent des actions de professionnelle continue sur vingt ans formation qu’à une petite partie de leurs Pendant cette période couvrant les années salariés. quatre-vingt-dix et le début des années deux mille, comment les Etats ont-ils Ensuite, le début des années deux mille soutenu la formation tout au long de la vie ? a vu une convergence s’opérer, avec Bien évidemment, les différentes politiques d’une part les pays de l’Europe de l’est publiques retenues sont multiformes, qui investissent plus dans la formation tant par les publics visés (employés ou continue, et à l’inverse, les entreprises des chômeurs, jeunes ou seniors, qualifiés ou pays nordiques et du Royaume-Uni qui non qualifiés) que par la nature même des se sont relativement désengagées. Si on actions proposées (dispositifs directement peut parler de rattrapage pour les pays de financés, subventions aux travailleurs ou l’Europe de l’est, ce qui s’est passé dans aux entreprises, exonérations de charges,…). les pays nordiques et au Royaume-Uni Notre objectif n’est pas ici de recenser la semble a priori plus étonnant. La référence diversité de ces politiques entre les pays, il aux travaux de BPL peut cependant nous est plutôt de fournir une analyse agrégée donner un premier éclairage à ce sujet : de l’évolution de l’effort global des Etats sur la base des années quatre-vingt- en faveur de la formation. dix, BPL identifient une contra-cyclicité des investissements en formation et ils Dans les indicateurs OCDE collectés par suggèrent que ce résultat pourrait Bassanini et Duval [2006] pour examiner s’expliquer comme suit : d’une part, le coût le rôle des institutions dans l’explication d’opportunité à dépenser dans la formation des différences internationales de taux (qui génère des rendements à long d’emploi, figure précisément un indicateur terme) plutôt que de cibler des dépenses relatif à la formation des adultes.7 Il permettant d’accroître immédiatement la correspond au rapport entre les dépenses production pour répondre à la demande, publiques en faveur de la formation est relativement plus grand en phase continue, et le PIB. Il inclut les dépenses d’expansion économique qu’en période de s’inscrivant dans le soutien à la formation récession ; d’autre part, les incitations aux professionnelle à la fois des employés et réorganisations et aux nécessaires formations des chômeurs.8 La figure 1.2.4 reporte qui les accompagnent sont accrues lorsque l’évolution de ce ratio pour différents pays. la conjoncture est mauvaise. Nous avons effectué des regroupements en fonction de la valeur moyenne de ce En Europe, le début des années deux ratio : en Australie, au Royaume-Uni et mille a été globalement marqué par un aux Etats-Unis, les dépenses publiques en 6 - Nous apporterons des arguments complémentaires lors de la discussion théorique menée dans la seconde partie de cette étude. 15 7 - Dans l’étude de Bassanini et Duval [2006], les dépenses de formation ne sont pas étudiées en tant que telles mais incluses dans un indicateur plus général de politiques actives d’emploi. 8 - Il ne nous est de ce fait pas possible d’isoler les dépenses engagées par les Etats spécifiquement pour soutenir la formation professionnelle continue des employés.
1. Portrait statistique du recours à la formation professionnelle continue en Europe faveur de la formation des adultes sont en que, par le passé, à un moment donné, un effet trois fois plus faibles qu’en France, certain nombre d’Etats ont fait le choix de en Finlande ou en Allemagne, et même relativement moins soutenir la formation cinq fois inférieures à la Suède ou au professionnelle des adultes, tout comme Danemark. les entreprises ont moins investi dans la formation professionnelle de leurs Globalement, malgré cette hétérogénéité employés. La seconde partie de cette étude en niveaux, il est indéniable qu’une vise précisément à examiner les arguments dynamique globale peut être mise en théoriques susceptibles de comprendre, évidence : entre le milieu des années voire de justifier, ce relatif désengagement quatre-vingt et le milieu des années quatre- des entreprises et des Etats en matière de vingt-dix, les pays ont globalement accru formation professionnelle. leur soutien à la formation, alors qu’entre le milieu des années quatre-vingt-dix et le début des années deux mille cet effort s’est réduit. En France par exemple, le ratio dépenses/PIB était revenu en 2003 à son niveau de 1986. Dans les pays présentés, à l’exception du Danemark qui maintient un niveau élevé de dépenses publiques de formation, on a donc observé au début des années deux mille une convergence entre les pays, caractérisée par un nivellement vers le bas des dépenses publiques de formation. Notre objectif n’est pas ici de dresser un tableau complètement exhaustif et actualisé : il est simplement de souligner Figure 1.2.4 : Evolution du rapport entre les dépenses publiques en programmes de formation continue, et le PIB 16 Source : Données OCDE, extractions issues de la base fournie par Bassani et Duval [2006].
2. Faut-il accroître les dépenses publiques en faveur de la formation professionnelle continue des employés ? Théoriquement, la politique des Etats - La formation peut viser à accroître le en matière de soutien à la formation capital humain spécifique de l’individu, professionnelle continue est appréhendée à et donc lui apporter des connaissances et partir d’un critère d’efficacité économique. des compétences qui ne lui permettent Si les entreprises sous-estiment le rendement d’accroître sa productivité que dans son social des actions de formation qu’elles entreprise actuelle. dispensent à leurs employés, négligeant certaines externalités, alors il y a une De cette distinction Becker en déduit place pour des politiques publiques visant un certain nombre de résultats tant à stimuler la formation professionnelle positifs que normatifs, en inscrivant son continue des employés9. Nous proposons raisonnement dans un cadre concurrentiel tout d’abord de passer brièvement en où les travailleurs sont rémunérés à leur revue les arguments répondant à cette productivité. logique et qui nécessitent d’effectuer la distinction traditionnelle entre formation Sur le plan positif, qui concerne le en « capital humain général » et formation financement de la formation, Becker en en « capital humain spécifique ». Nous nous déduit ainsi que : attacherons ensuite à présenter les récents travaux de Belan et Chéron [2010], qui - Les travailleurs sont les seuls à avoir s’inscrivent dans cette lignée, et apportent des incitations à payer pour la formation notamment un éclairage sur l’évolution en capital humain général, directement du besoin en subventions publiques de la ou indirectement à travers des baisses de formation professionnelle continue. salaire. A l’inverse, les entreprises n’ont pas d’intérêt à payer pour quelque chose que le travailleur peut choisir unilatéralement 2.1 Retour sur les motifs d’aller exploiter, à tout moment, dans de l’intervention publique une autre entreprise, le marché du travail en matière de formation étant supposé concurrentiel. professionnelle continue - Concernant la formation en capital 2.1.1 L’approche « Beckerienne » humain spécifique, les rendements étant Selon l’approche développée initialement partagés entre l’employeur et l’employé, par Becker [1964], l’analyse de il y a également partage du coût de la l’intervention des Etats pour soutenir la formation. formation professionnelle doit s’opérer en distinguant le statut des investissements Dans ce contexte, il n’y a finalement en formation, même si concrètement il est pas de place pour une intervention souvent délicat de délimiter parfaitement publique visant à soutenir la formation ce statut : professionnelle continue. D’une part, les travailleurs internalisent parfaitement le - La formation peut viser à accroître le rendement de leur formation générale capital humain général d’un individu, et dans les diverses occupations futures ; ils donc lui apporter des connaissances et sont donc en mesure d’investir de façon des compétences qu’il peut valoriser dans optimale, sous réserve qu’il n’y ait pas de son entreprise actuelle, mais également contrainte d’accès au marché du crédit en dehors, et donc en particulier chez de leur permettant, au besoin, d’emprunter potentiels futurs employeurs. pour payer leur formation. D’autre part, le 17 9 - Qui plus est, dans la seconde partie de notre analyse théorique, nous soulignerons également qu’il est préférable pour les Etats de subventionner la formation professionnelle des employés plutôt que celle des chômeurs.
2. Faut-il accroître les dépenses publiques en faveur de la formation professionnelle continue des employés ? capital humain spécifique, par définition, financièrement en mettant en place un ne peut pas être valorisé par le travailleur processus de recrutement. Sont également en dehors de l’entreprise qui le forme. invoquées les asymétries d’information Dès lors, si les termes des contrats de entre l’entreprise qui a formé l’employé travail permettent de garantir le partage et les autres entreprises qui ont une des coûts induits par de la formation information imparfaite sur l’aptitude du spécifique, les décisions prises sont là travailleur et le contenu de la formation aussi optimales. Cette analyse a prévalu suivie. Ces deux types d’imperfections pendant près de trente ans. tendent à réduire la transférabilité du capital humain général10. Dès lors, il se Toutefois, depuis une vingtaine d’années, peut qu’une entreprise ait intérêt à payer il a semblé nécessaire de reconsidérer ces une formation générale à son employé si différents résultats. Ce besoin de repenser elle en anticipe un gain. l’analyse positive et normative des choix de formation repose notamment sur une Plus précisément, Acemoglu et Pischke énigme empirique à laquelle l’approche [1999] caractérisent un phénomène Beckerienne n’apporte pas de réponse : les qualifié de « compression salariale » pour entreprises financent de la formation en qu’une entreprise choisisse effectivement capital humain général à leurs employés. de financer la formation en capital humain général de son salarié : ceci Un grand nombre de réflexions ont été suppose que l’écart entre la productivité menées pour résoudre cette énigme, et et le salaire est une fonction croissante ont pour trait commun, d’une part, de l’intensité de la formation. Jusqu’à un de prendre en considération l’existence certain niveau d’investissement qui dépend d’imperfections sur le marché du travail, du système productif de l’entreprise, le et d’autre part, de redonner une place niveau des profits augmente avec le niveau à l’intervention publique en matière de d’investissement en formation. formation professionnelle continue. Acemoglu et Pischke identifient précisément les hypothèses requises afin que, malgré les 2.1.2 Imperfections du marché du coûts induits par la formation en capital travail et politiques publiques en générale d’un salarié, l’entreprise accepte faveur de la formation professionnelle de contribuer au financement de cette continue formation. Ces hypothèses renvoient, d’une Différentes sources d’imperfections sont part, à l’existence de frictions sur le marché susceptibles de justifier le financement par du travail impliquant que les travailleurs ne les entreprises d’actions de formation en peuvent changer instantanément d’emploi, capital humain général. Il est généralement ce qui implique qu’un employeur qui fait référence aux coûts de recherche, qui forme un salarié anticipe que ce salarié par définition réduisent la mobilité d’emploi restera un minimum de temps dans son à emploi : le processus de rencontre entreprise. D’autre part, l’employeur (d’appariement) entre les postes vacants et doit également disposer d’un pouvoir de les travailleurs en recherche d’emploi est négociation significatif afin qu’il puisse long et coûteux, et ces coûts sont à la fois obtenir une contrepartie du coût formation supportés par les individus qui fournissent qu’il finance, par le biais du versement un effort de recherche et renonce à du d’un salaire sensiblement inférieur à la loisir, et par les entreprises qui s’engagent productivité finale du salarié concerné. 18 10 - On pourra se référer à Leuven [2005] pour avoir une présentation exhaustive de ces arguments.
2. Faut-il accroître les dépenses publiques en faveur de la formation professionnelle continue des employés ? Dans ces circonstances où les salaires de formation ne génère pas d’externalité progressent moins vite que la productivité (puisque par définition non transférable), avec les investissements en formation, une les entreprises sont néanmoins typiquement entreprise peut rationnellement choisir confrontées à un problème de « hold-up » : d’investir dans la formation professionnelle à l’issue de la formation en capital humain continue de ses salariés, même si cette spécifique, le travailleur peut en effet formation vise à accroître le capital humain faire peser sur l’entreprise la menace de général de l’employé. payer à nouveau le coût de formation, et donc bénéficier de ce rapport de force Ce mécanisme rétroagit sur l’analyse pour négocier des salaires plus élevés. Il en normative des choix de formation. En résulte un surcoût salarial qui contribue effet, seuls les travailleurs internalisent donc à réduire le rendement privé de parfaitement le rendement social des la formation professionnelle en capital investissements en capital humain général, humain spécifique pour les entreprises. c'est-à-dire le fait qu’ils puissent utiliser Cette interaction entre frictions de ce capital humain dans leur entreprise recherche, négociation salariale et actuelle, mais aussi dans de futures sous-optimalité des investissements en entreprises en cas de mobilité vers un formation est par exemple étudiée par autre emploi. A l’inverse, une entreprise Chéron et Rouland [2010]. qui finance de la formation générale le fait sans internaliser l’impact de cette décision Dans un contexte d’imperfections sur la productivité du travailleur dans de du marché du travail il y a donc futures entreprises en cas de débauchage indéniablement un intérêt à ce que les dudit travailleur. En d’autres termes, il Etats dépensent pour inciter les entreprises existe une externalité de débauchage, à accroître leurs investissements en et les entreprises qui forment négligent formation professionnelle continue, qu’il cette externalité. Dans des circonstances, s’agisse de capital humain général ou où donc les imperfections du marché du spécifique11. Au-delà de cette première travail conduisent les entreprises à se analyse structurelle, on peut se demander substituer aux travailleurs pour financer quels sont les facteurs macroéconomiques la formation générale, ce phénomène tend qui interagissent avec ce besoin de à impliquer un niveau d’investissement en subventionner la formation professionnelle formation insuffisant. Par conséquent, il y continue, et si ces facteurs n’ont pas été aurait, de ce point de vue, un effort global sujets à des variations ? En effet, même des entreprises en matière de formation si tous les Etats subventionnent à une professionnelle continue générale plus ou moins grande échelle la formation trop faible par rapport à ce qui serait professionnelle continue, on a observé une socialement souhaitable ; la régulation tendance commune à la décroissance durant de cet effort par la puissance publique les années quatre-vingt-dix (section 1.2.2). aurait des conséquences positives pour la On peut donc globalement questionner collectivité. l’optimalité de cette tendance. Entre-t- elle nécessairement en contradiction avec L’intervention de l’Etat peut également ce qui aurait été socialement souhaitable ? se justifier pour inciter les entreprises L’analyse générale proposée par Belan à accroître leur effort de formation et Chéron [2010] (BC ci-après) permet professionnelle des travailleurs en capital d’apporter des éléments de réponse à ce humain spécifique. En effet, si ce type questionnement précis. BC indiquent en 19 11 - Ces dépenses publiques peuvent se concevoir de plusieurs manières, sous la forme de subventions des coûts de formation, d’exonérations de charges accordées aux entreprises pour les emplois occupés par des travailleurs qui bénéficient de formations, etc…
2. Faut-il accroître les dépenses publiques en faveur de la formation professionnelle continue des employés ? particulier que la prise en compte d’une institutions du marché du travail et le plus grande « turbulence économique » choc macroéconomique de turbulence. Au peut justifier que les Etats dépensent final, la performance empirique du cadre moins pour la formation professionnelle proposé est remarquable. Elle laisse à continue. penser que ce phénomène de turbulence, combinée aux différences d’institutions, constitue un facteur explicatif important 2.2 Turbulence économique des ajustements du marché du travail à et formation professionnelle long terme. continue Qu’est-il entendu par turbulence L’objet de l’analyse proposée par Belan économique ? Ljunqgvist et Sargent, et Chéron [2010] est de dépasser cette depuis plus de dix ans12, soutiennent la analyse purement positive afin d’examiner thèse suivante : la persistance du chômage de quelle manière la turbulence est en Europe relativement aux Etats-Unis susceptible d’impacter l’analyse normative, s’expliquerait par l’interaction entre la plus et tout naturellement celle des choix grande générosité du système d’assurance de formation professionnelle continue. chômage en Europe et l’occurrence Ceci conduit à proposer une modélisation d’un choc macroéconomique commun, intégrant les frictions du marché du correspondant à un accroissement de la travail (technologie d’appariement et probabilité de perte du capital humain négociations salariales) tout en général pendant les épisodes de chômage. endogénéisant les choix de formation en C’est ce phénomène de dépréciation accrue capital humain général13. Ceci s’inscrit du capital humain, observé pendant les dans un environnement où il est donc années soixante et soixante-dix, qui est supposé que le passage par le chômage qualifié par ces auteurs de turbulence induit, avec une certaine probabilité, une économique. Ljunqgvist et Sargent dépréciation du capital humain général identifient ce choc macroéconomique en accumulé. Il se peut donc qu’un travailleur se référant, d’une part, au fait que le formé en emploi, qui connaîtrait une passage par le chômage est responsable période de chômage, ne puisse valoriser de pertes salariales plus conséquentes ultérieurement, dans d’autres entreprises, qu’auparavant, et d’autre part, qu’il y a ses formations passées.14 L’entreprise eu une augmentation de la dispersion des finance directement le coût de la formation salaires et de la volatilité intertemporelle dispensée au travailleur au moment de des rémunérations individuelles. l’embauche, mais ce dernier contribue également indirectement à ce coût en La problématique de ces auteurs est obtenant, toutes choses étant égales par essentiellement descriptive : il s’agit ailleurs, un salaire inférieur au salaire qu’il d’évaluer quantitativement la capacité obtiendrait avec une même productivité si d’un modèle frictionnel du marché du l’entreprise ne lui payait pas de formation travail, intégrant cette probabilité en capital humain général. La décision de d’obsolescence des connaissances, à formation professionnelle est modélisée expliquer la persistance des différentiels de au travers d’une variable de sélection. taux de chômage dans les années quatre- Les individus sont supposés hétérogènes vingts et quatre-vingt-dix entre l’Europe en fonction de leur formation initiale et les Etats-Unis. Il s’agit de considérer prise comme donnée, qui conditionne l’interaction entre leurs respectives leur aptitude et productivité en emploi. 20 12 - Leurs premiers travaux remontent à 1998 dans le Journal of Political Economy, « The European unemployment dilemna ». 13 - Ljunqgvist et Sargent considèrent a contrario que l’accumulation du capital humain est exogène. 14 - Les mobilités d’emploi à emploi sont ici négligées. Leur prise en compte complexifierait l’analyse produite sans pour autant modifier la portée des résultats obtenus.
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