2021 L'HABITAT SOCIAL PRIX DE THÈSE SUR - Grand prix - L'Union sociale pour l'habitat
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PRIX DE THÈSE SUR L'HABITAT SOCIAL 2021 Lauréats Grand prix Gaspard Lion Prix spéciaux Anne-Laure Hincker Jourdheuil Pierre Waechter
SOMMAIRE Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.1 Présentation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.2 Jury 2021. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.3 Grand prix - Gaspard Lion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.4 Prix spécial - Anne-Laure Hincker Jourdheuil. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.12 Prix spécial - Pierre Waechter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.20 Autres thèses remarquées par le jury . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.28
ÉCLAIRER LES ENJEUX, ÉDITORIAL ENCOURAGER LES JEUNES CHERCHEURS D epuis 2014, l’Union sociale pour l’habitat, la Caisse des Dépôts et l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts ont engagé ensemble une dyna- mique de coopération avec les milieux de la recherche : lancement d’un prix de thèse et de l’article scientifique sur l’habitat social, organisation de journées d’échanges entre chercheurs et acteurs de l’habitat avec le Réseau des acteurs de l’habitat et le Réseau recherche habitat logement (REHAL), publication régulière d’un panorama recensant l’ensemble des travaux sur l’habitat et le logement, lan- cement ou accompagnement de nouvelles recherches… L’objectif fondamental de notre action À travers ce prix, nous sommes heureux conjointe est d’améliorer la compréhension cette année encore de primer des thèses d’un secteur d’activité, l’habitat social, qui de très grande qualité sur des sujets aussi représente 4,7 millions de logements en divers et éclairants que le logement non France, détenus et gérés par quelque ordinaire des classes populaires (Gaspard 630 organismes Hlm présents dans tous Lion), le rôle de la Véfa dans la production les territoires et accueillant près de du logement social (Anne-Laure Hincker 10 millions de personnes. Les travaux des Jourdheuil) ou la place du tiers-secteur chercheurs permettent en effet de poser associatif de l’habitat (Pierre Waechter). un regard pointu et objectif sur les enjeux actuels du secteur, tout en apportant le Nous souhaitons que la présente publica- recul et une capacité de rupture très tion incite tous les acteurs de l’habitat précieuse pour les opérationnels. Il s’agit social à se saisir de ces travaux, particu- également de mieux faire connaître les lièrement accessibles et bien rédigés, et à problématiques des acteurs de l’habitat développer de nouvelles occasions de dia- social aux chercheurs, ainsi que d’encou- logue avec le monde universitaire et de la rager les jeunes générations à développer recherche. des travaux dans notre domaine et d’inciter les enseignants et responsables de labora- toires de recherche à les orienter en ce sens. Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat Éric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts Sylvie François, présidente du Groupe Poste Habitat, présidente du jury Pierre Laurent, responsable du développement à la direction des prêts de la Banque des Territoires, vice-président du jury
2 PRÉSENTATION UN PRIX DE THÈSE SUR L’HABITAT SOCIAL Des thèses de qualité, qui renouvellent dence de Pierre Laurent, responsable du notre compréhension de l’habitat développement à la direction des prêts de la social Banque des Territoires. Le jury composé de 27 membres compte également des dirigeants Créé en 2014, le prix de thèse sur l’habitat d’organismes Hlm, des membres de la Caisse social décerné par l’Union sociale pour l’ha- des Dépôts et des universitaires et chercheurs bitat, la Caisse des Dépôts et l’Institut pour reconnus. Hélène Peskine, secrétaire per- la recherche de la Caisse des Dépôts récom- manente du Plan urbanisme, construction, pense tous les deux ans les meilleures thèses architecture (PUCA), fait partie du jury en qui contribuent à éclairer les enjeux de ce tant que personnalité qualifiée. secteur : son économie, sa production, son renouvellement, sa gestion, ses usages, son L’organisation du prix bénéficie des conseils histoire, sa mission sociale, son rapport du Réseau recherche habitat logement aux politiques de l’habitat, son inscription (RÉHAL), qui contribue à la reconnaissance territoriale, sa contribution à la transition de sa qualité et à sa portée scientifique. Le énergétique et écologique, ses qualités archi- prix a également reçu le soutien du ministère tecturales et morphologiques, tant au niveau de l’Enseignement supérieur, de la Recherche national, voire international, que local ou et de l’Innovation, ainsi que du PUCA. micro-local. La valorisation des travaux Ces thèses, qui peuvent émaner de toutes les disciplines académiques, doivent égale- Au-delà de l’aide à la publication de la thèse ment comporter des qualités de lisibilité et lauréate, l’Union sociale pour l’habitat et la être facilement appropriables par un public Caisse des Dépôts souhaitent faire connaître de professionnels du secteur. largement aux professionnels et militants du logement social les travaux primés ou Un jury composé de professionnels remarqués par le jury. Les jeunes chercheurs et de chercheurs seront appelés à intervenir dans le cadre du Congrès Hlm et dans différentes rencontres Pour l’édition 2021, le jury a examiné les thématiques qui émailleront l’année. Leurs 30 thèses concourantes, sous la présidence travaux seront présentés sur les supports de Sylvie François, présidente du Groupe de communication papier et numérique des Poste Habitat, membre du comité exécutif deux organisations. de l’Union sociale pour l’habitat au titre de la Fédération des Coop’HLM et la vice-prési-
3 © Marwen Farhat JURY 2021 Présidente › Louis-François Le Glass, responsable des analyses Sylvie François, présidente du groupe Poste Habitat, financières pour la région Grand-Ouest, Banque membre du comité exécutif de l’Union sociale pour des Territoires l’habitat au titre de la Fédération des Coop’HLM › Amaury Pinchon, responsable du pôle réaména- gement et expertise financière, direction des Vice-président prêts, Banque des Territoires Pierre Laurent, responsable du développement, › Ludovic Valadier, directeur régional adjoint Île- direction des prêts, Banque des Territoires de-France, directeur de l'appui au développement des investissements et des participations, Banque Personnalité qualifiée des Territoires Hélène Peskine, secrétaire permanente du PUCA, Plan urbanisme, construction, architecture Représentant l’université et la recherche › Jean-Yves Authier, sociologue, professeur à l'Uni- Membres versité Lyon 2, chercheur au Centre Max Weber Représentant l’Union sociale pour l’habitat (UMR 5283, CNRS) et ses fédérations › Claire Carriou, professeure à l’Ecole d’urbanisme › Amélie Debrabandère, directrice générale de Sia de Paris, Lab’Urba Habitat › Enrico Chapel, architecte, professeur des ENSA, › Gilles Dupont, directeur général d’Hérault Logement École nationale supérieure d’architecture de Tou- › Chantal Élie-Lefebvre, présidente d’Essonne-Habi- louse, laboratoire LRA tat, membre du conseil fédéral des Coop’HLM › Marc Dumont, professeur en urbanisme et aména- › Valérie Fournier, directrice générale d’Immobilière gement de l'espace à l’Université de Lille, chercheur 3F, présidente de la Fédération des entreprises au laboratoire Territoires, Villes, Environnement et sociales pour l’habitat Sociétés (TVES) › Cathy Herbert, présidente de l’AFPOLS › Norbert Foulquier, professeur de droit à l'Université › José de Juan Mateo, directeur délégué, Procivis Paris 1-Panthéon-Sorbonne, co-directeur du Immobilier SERDEAUT › William Le Goff, responsable de pôle performance › Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au patrimoniale et observation, Aorif, l’Union sociale CNRS, laboratoire LISST-Cieu (UMR 5193, Uni- pour l’habitat en Île-de-France versité de Toulouse, CNRS. EHESS) › Sabine Véniel-Le Navennec, directrice d’Habitat › François Madoré, professeur à l'Institut de géo- social en Occitanie-Midi-Pyrénées graphie (Igarun) de l'Université de Nantes, Labo- ratoire Espaces et SOciétés (UMR 6590, CNRS) Représentant la Caisse des Dépôts › Thierry Oblet, sociologue, maître de conférences › Thomas Audou, directeur de projet, Institut pour à l’Université de Bordeaux, chercheur au Centre la recherche de la Caisse des Dépôts Emile Durkheim › Isabelle Bonnaud-Jouin, responsable du service Economie Mixte de la direction de l’investissement › Marie Gaudier, chargée d’études, service des études, direction des prêts, Banque des Territoires Coordination › Guillaume Gilquin, responsable du service des › Dominique Belargent, responsable des partenariats insti- études, direction des prêts, Banque des Territoires tutionnels et de la recherche, direction des affaires pu- › Isabelle Laudier, responsable de l’Institut pour la bliques, de la communication et du digital, l’Union sociale recherche de la Caisse des Dépôts pour l’habitat
Prix de thèse sur l’habitat social 2021 4 2021 LAURÉAT GRAND PRIX GASPARD LION « Habiter en camping. Trajectoires de membres des classes populaires dans le logement non ordinaire » Thèse de doctorat en sociologie dirigée par Isabelle Backouche et Olivier Schwartz, soutenue le 13 juin 2018 à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Docteur en sociologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Gaspard Lion est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Sorbonne Paris Nord, où il est responsable du parcours « Insertion et intervention sociale sur les territoires » de la L3. Membre du laboratoire Experice et chercheur associé au laboratoire du Cerlis, ses travaux portent sur les classes populaires et la question du logement. lion.gaspard@gmail.com Bref aperçu Au croisement de la sociologie jectoires, des ressources, des fonctions du camping – qui des classes populaires et de la expériences et des styles de constituent également trois sociologie urbaine et du loge- vie de ses habitants. Le camping styles de vie distincts – aux ment, cette thèse porte sur résidentiel est de fait apparu caractéristiques particulières de l’une des formes de logements comme remplissant trois grandes cette forme d’habitat non ordi- non ordinaires qui a connu un fonctions sociales, segmentant naire, mais aussi à des res- développement massif en la population qui le pratique : il sources, des trajectoires et des France, dans les territoires peut représenter une alternative socialisations résidentielles dif- ruraux et périurbains, au cours à la maison individuelle inac- férentes, articulées à des dis- de ces dernières années : le cessible, figurer un déclassement positions populaires relativement camping résidentiel. Combinant subjectif et objectif ou encore homogènes. Elle identifie enfin immersion ethnographique dans s’apparenter à une solution qui les causes, les dynamiques et plusieurs campings de la région pallie la pénurie de logements les conséquences des pratiques parisienne, entretiens, archives abordables, évitant ainsi le de délogement, en documentant et statistiques, elle montre l’exis- dénuement extrême de la rue. «de l’intérieur» un cas de fer- tence d’une véritable stratifica- Inscrite dans une approche à la meture de terrain de camping, tion interne à cet habitat, eu fois contextualiste et disposi- exemple de concrétisation du égard à l’hétérogénéité des tionnaliste des manières d’ha- risque associé au statut juridique situations résidentielles, des tra- biter, la thèse rapporte ces trois de cet habitat.
Prix de thèse 2021 5 Résumé et apports pour les acteurs du logement social Alors qu’il existe une abondante littérature institutionnels et associatifs, et de l’exploi- sur le logement social et sur les formes tation de données statistiques variées, de extrêmes de privation de logement, les situa- nombreux documents et d’archives, la thèse tions intermédiaires, entre la rue et le loge- documente aussi bien la diversité des situa- ment standardisé, sont restées relativement tions résidentielles, des trajectoires, des mal connues, et ce malgré leur importance expériences vécues, des styles de vie et des numérique et leur très fort accroissement rapports aux institutions sociales et poli- depuis la fin des années 1980. De même, la tiques des habitants des campings – soit focalisation d’un grand nombre de l’existence d’une stratification interne – que recherches sur les villes et en particulier la commune précarité statutaire qui les sur les grandes agglomérations va de pair rassemble. avec la quasi absence de travaux sur les formes de « mal-logement » et de pauvreté 1. Trajectoires, styles de vie et en milieu rural et périurbain. En partant rapports au logement non ordinaire de ce double constat, l’objectif de cette thèse des classes populaires était précisément de remédier à cet « angle Le premier chapitre contextualise l’objet et mort » de la recherche en se donnant pour présente le cadre théorique et méthodolo- objet la forme de logement non ordinaire gique de la thèse. que constitue le camping résidentiel, soit une situation en pleine expansion qui inter- Dans un premier temps, il réinscrit le cam- roge directement l’offre publique en matière ping résidentiel dans la longue histoire des de logement social, mais aussi ses modalités difficultés de logement des classes popu- d’accès, ainsi que les logiques du (non) recours laires, de manière à mieux saisir ce qui fait la au droit en la matière. spécificité de la « crise » contemporaine mais aussi de manière à montrer en quoi le cam- À partir d’une enquête ethnographique ping résidentiel peut être considéré comme intensive menée en immersion dans cinq l’un des symptômes les plus emblématiques campings résidentiels de la région parisienne de l’entrée dans une nouvelle crise du loge- durant quatre ans (267 jours d’« observation ment, marquée par la baisse de la solvabilité participante », dont trois ans en résidant de des ménages, l’augmentation des prix du façon intermittente dans une caravane ins- marché locatif privé, et l’engorgement du tallée dans un camping), d’une centaine parc Hlm, et finalement la réapparition spec- d’entretiens réalisés auprès d’habitants de taculaire depuis la fin des années 1980 des plusieurs campings, de gérants et d’acteurs formes de logement non ordinaire(1). (1) Alors que les formes de logements non ordinaires, qui dérogent au droit commun et dont les statuts sont fai- blement protecteurs, avaient connu une diminution sans précédent au cours des trois décennies d’après-guerre, la thèse montre que ces formes de logement effectuent une très forte réapparition à partir des années 1980, au point qu’elles se retrouvent dès le début des années 1990 aussi nombreuses qu’au début des années 1960.
Prix de thèse sur l’habitat social 2021 6 En partant du constat que les habitants des profondie des trajectoires et quotidiens de campings résidentiels – et plus largement différents profils d’habitants qui composent les habitants de ce qu’il est convenu d’appe- trois fractions des classes populaires. Dans ler le « mal-logement » – étaient presque tou- ces chapitres, il s’agit de saisir et de différen- jours saisis à travers un point de vue cier les logiques de recomposition des styles largement légitimiste et dominocentré, for- de vie résidentiels et des rapports au loge- tement empreint de misérabilisme, ce cha- ment en fonction de trajectoires, d’espaces pitre insiste dans un second temps sur et de rapports sociaux qui sont distincte- l’intérêt d’adopter une perspective qui, ment apparus comme spécifiques durant nourrie des apports de la sociologie des l’enquête. classes populaires, tienne compte à la fois de leur position dominée au sein de la hiérar- 2. L’accession à la semi-propriété chie sociale et résidentielle mais aussi de la populaire spécificité de leurs pratiques culturelles et Alors que les études existantes montrent de leur rapport au monde – autrement dit en quoi les ménages populaires, voire les sur la nécessité d’une « double lecture » à la « petits-moyens », qui parviennent à accéder fois légitimiste et relativiste, attentive à l’hé- à la propriété le font dans des conditions de téronomie, aux inégalités et aux rapports de plus en plus difficiles sur le marché résidentiel domination aussi bien qu’aux formes d’au- traditionnel, le deuxième chapitre de la tonomie symbolique des cultures popu- thèse, révèle l’existence, pour des fractions laires. Il insiste également sur l’intérêt de populaires qui ne peuvent accéder à la pro- prêter attention à la stratification interne au priété sous ses formes « pleines », de filières monde des campings, aux écarts de styles de d’accès alternatives à la propriété, ou plutôt vie en prenant en compte leurs ressources, à la semi-propriété, par le bas et «informelles», leurs trajectoires sociales et résidentielles, sans aide ni reconnaissance des pouvoirs leurs socialisations antérieures et les dispo- publics. Loin des représentations qui assi- sitions qu’elles ont construites, ainsi que les milent le camping résidentiel à la misère et effets socialisateurs du camping résidentiel. au dénuement, il dévoile la présence dans Ce premier chapitre présente enfin les des campings «haut de gamme» de personnes conditions dans lesquelles les données d’en- proches des fractions stables des classes quête ont été produites en revenant sur les populaires, intégrées au marché du travail quatre types de méthodes employées (eth- et pouvant parfaitement se loger sur le mar- nographie, entretiens, archives, et statis- ché résidentiel « classique » qui décident tiques), le choix des terrains effectués et le d’élire domicile dans des campings. type de relations instaurées avec les habi- tants des lieux. La première partie montre qu’il s’agit le plus souvent d’un projet d’accession à l’habitat Pour rendre compte au mieux de la diver- individuel, déclenché par une série de fac- sité du « mal-logement » en périphérie des teurs : le désir de quitter le parc social et/ou grandes agglomérations et en milieu popu- de se soustraire aux différentes contraintes laire, une typologie des situations rencon- induites par la location et par l’habitat col- trées a été élaborée. Les trois chapitres lectif ; l’inaccessibilité croissante de la maison suivants sont ainsi consacrés à l’analyse ap- individuelle pour les classes populaires ; un
Prix de thèse 2021 7 parc privé comme un parc social qui propose 3. L’épreuve du déclassement et du très peu de petites maisons accessibles à logement intolérable des ménages de petites tailles ; et enfin le Avec l’augmentation des loyers et l’élargis- développement de l’attractivité et de la sement de la « crise du logement », un nom- sélectivité de certains campings et d’une bre croissant de personnes proches des frac- partie du marché des mobile-homes qui se tions stables des classes populaires, voire de présentent comme des alternatives à la mai- catégories sociales supérieures, jusque là in- son devenue inaccessible. tégrées sur le marché du travail et du loge- ment peuvent à la suite d’une « simple » rup- La deuxième partie expose la façon dont ture conjugale ou professionnelle se l’installation en mobile-home permet tout retrouver brutalement confrontées à d’im- à la fois d’accéder aux plaisirs de la maison portantes difficultés de logement. En consé- individuelle en renforçant un sentiment quence, il arrive de plus en plus fréquem- d’autonomie et de libération vis-à-vis de la ment que ces personnes soient contraintes situation résidentielle antérieure, de pour- de vivre dans des logements ne correspon- suivre une quête de respectabilité en se dis- dant plus à leur statut social. En analysant tinguant des fractions précarisées des classes la manière dont peuvent être vécues ces si- populaires habitant dans des cités Hlm, et tuations de décalage entre espace social et enfin de déployer un style d’habiter marqué espace résidentiel, le troisième chapitre par des caractères périurbains et ruraux et s’intéresse aux formes de déclassement ré- par un monde de loisirs populaires. sidentiel en les analysant dans leurs dimen- sions objectives et subjectives. La troisième partie décrit enfin les limites et les risques de ce qu’il faut bien appeler La première partie porte sur l’analyse des une forme de pseudo–propriété ou de pro- trajectoires, de la perte du logement à l’ar- priété dégradée, qui fait de ces habitants rivée au camping en montrant l’importance des semi-propriétaires, dépourvus de tous du logement dans les dynamiques contem- les droits liés à la propriété mais aussi de poraines de « déstabilisation des stables ». ceux inclus dans le statut locatif. Elle sou- Après une rupture, ces personnes ont fait ligne d’abord l’existence d’une première en- face à des difficultés pour retrouver un loge- taille au statut de propriétaire constituée ment financièrement accessible et/ou adapté par le contrôle que les gérants exercent sur à leurs aspirations. Si ces habitants ont les habitats situés sur leurs terrains. Elle parfois reçu des propositions de logement montre ensuite que si l’achat d’un mobile- social qu’ils ont choisi de décliner, l’on home ne peut être assimilé à celui d’une montre que ces refus se comprennent au maison, c’est aussi qu’il ne représente pas regard des trajectoires sociales et résiden- un véritable investissement immobilier. tielles de ceux qui les ont émis. Habiter Elle révèle enfin que ces habitants sont dans les logements proposés aurait été soumis à une importante insécurité fon- contraire à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes cière : ils risquent à tout moment de devoir et à leurs dispositions et aspirations socia- quitter la parcelle si le gérant le décide, lement constituées. Leur installation au alors que leur habitat est en réalité bien camping est néanmoins vécue comme une moins mobile qu’il n’y paraît. solution par défaut et temporaire, même si
Prix de thèse sur l’habitat social 2021 8 le provisoire se met à durer et que les rées, il étudie les façons dont les pratiques demandes de Hlm, pour des raisons qui d’appropriation, de défense et de résistance sont expliquées, ne sont pas systématique- permettent de « faire rendre le maximum ment renouvelées ou les propositions de au minimum » et de trouver des formes de logement acceptées. satisfaction au sein de ces campings. La seconde partie interroge les effets du La première partie analyse les trajectoires déclassement résidentiel sur la perception de privation de logement personnel et d’ins- de soi et sur les relations avec autrui. Syno- tallation au camping en montrant comment nyme de relégation sociale et d’humiliation, et pourquoi ces habitants issus pour la plu- l’espace relationnel du camping n’est, à l’ins- part des fractions les plus précarisées des tar de ce qui avait été observé pour certaines classes populaires ont été exclus du parc du fractions des résidents de cité de transit ou logement ordinaire et conduits à renoncer du parc social, que très peu investi par les à une demande de logement social – six protagonistes de ce chapitre qui se coupent mécanismes qui restreignent le non recours en outre d’un certain nombre de leurs rela- aux droits sont distingués –, et finalement tions sociales. à investir le camping comme une « solution » durable et relativement satisfaisante. Enfin, la troisième partie est consacrée au vécu des contraintes matérielles induites La deuxième partie analyse comment ces par l’habitat. Plusieurs aspects sont abordés : habitants précarisés parviennent à faire le manque de confort éprouvé, les entraves « avec » les contraintes des habitats mais pratiques et symboliques à l’appropriation aussi à agir sur leurs espaces de vie et actua- de l’espace ainsi que les effets du temps et liser un ensemble de dispositions sociales des socialisations résidentielles antérieures et résidentielles héritées de leur socialisation sur l’expérience de cet habitat vécu comme primaire. S’il existe sans nul doute une part intolérable. de détournement du stigmate dans le rejet tranché de la vie en logement social que 4. L’habitat précaire assumé ces habitants affichent, cette partie montre ou l’expérience du « faire avec » qu’il ne faut pas pour autant sous-estimer S’il existe généralement une corrélation assez l’importance de ces socialisations et de ces forte entre conditions de logement objectives pratiques habitantes, qui forment sur le et opinions de satisfaction des occupants, les long terme des liens très forts à des habitats cas de disjonction ne sont pas rares. C’est ce qui sont aussi des supports biographiques type de décalage que le quatrième chapitre et des supports d’un style de vie populaire a pris pour objet. Alors que ces personnes auquel ils se montrent particulièrement habitent des habitats très sommaires, relati- attachés. vement proches de ceux des protagonistes du chapitre précédent, elles éprouvent de Alors qu’ils auraient droit au montant maxi- fait une certaine satisfaction résidentielle. mal des aides au logement et à des loyers En mettant l’accent sur les singularités de réduits s’ils occupaient un appartement en leur statut et de leur trajectoire socio-rési- Hlm, le camping apparaît en définitive dentielle, soit de leurs dispositions incorpo- comme un « choix » très coûteux pour ces
Prix de thèse 2021 9 ménages. La troisième et dernière partie conflit en cours et l’évolution des forces qui est ainsi consacrée aux ressources de la s’y opposent –, le processus de délogement, localité du camping ainsi qu’aux formes de et les raisons pour lesquelles il a été aussi « protection rapprochée » de manière à com- difficile aux habitants d’y résister, ainsi que prendre comment ces personnes parvien- les stratégies et difficultés rencontrées par nent à se maintenir dans cet espace le travailleur social pour permettre à ces ré- résidentiel. Il analyse les mécanismes de sidents d’obtenir un logement Hlm. dons et de contre-dons et de « travail à côté » dans lesquels s’engagent ces résidents pré- Enfin, la troisième partie analyse les réper- carisés afin de faire face aux difficultés éco- cussions de cette procédure et, plus géné- nomiques, mais aussi la façon dont ils ralement, de ce climat d’insécurité, sur les trouvent au camping un lieu d’entre-soi trajectoires résidentielles de court et social et communautaire protecteur, propice moyen terme en montrant notamment à l’autonomie symbolique. pourquoi tous les habitants ne réagissent pas de la même manière face à la pression 5. Ethnographie d’un délogement au départ qui s’exerce sur eux, et pourquoi Le cinquième chapitre analyse les implica- en fin de compte l’événement ne les désta- tions de la précarité statutaire associée aux bilise pas également dans leurs parcours habitats non ordinaires en documentant résidentiels. ethnographiquement le cas de la fermeture d’un terrain de camping résidentiel, soit Outre une meilleure connaissance du phé- aussi bien les pratiques de délogement, les nomène, ce dernier chapitre apporte ainsi logiques à l’œuvre et les procédés utilisés des éléments de compréhension sur les pro- par la municipalité, que les perceptions et cessus d’expulsions locatives, qui restent, les réactions de la trentaine de résidents à aussi bien en France qu’aux États-Unis, très l’année du lieu, aux différents moments de peu étudiées en dépit de leur caractère mas- la procédure. sif et croissant et des enjeux qui y sont associés. La première partie décrit la constitution du camping comme problème public local. Elle Conclusion analyse les mesures que met en place la mu- Alors qu’il existe de nombreux travaux sur nicipalité, au premier rang desquelles un l’histoire du logement social, sur ses dyna- projet de constructions de « chalets so- miques de peuplement ainsi que sur les pra- ciaux », lorsqu’elle reprend la gestion du tiques des bailleurs, on ne sait que peu de camping afin de « normaliser » la situation, choses sur les mécanismes qui conduisent avant d’étudier « par le bas » le rôle d’un tra- des individus à formuler une demande de vailleur social, et les procédés pratiques et logement social et à aller au bout du proces- symboliques utilisés dans la poursuite de sus et encore moins sur les ressorts du non- cette politique de relogement vers le parc recours au droit en la matière. Une telle social. situation de « non-recours » au droit mérite pourtant d’être analysée, tant les personnes La deuxième partie documente – scène « mal logées » sont nombreuses à ne pas de- après scène pour mieux donner à voir le mander de logement social.
Prix de thèse sur l’habitat social 2021 10 Ainsi, l’un des apports essentiels de ce travail En fin de compte, cette thèse souligne com- aura été de mettre en lumière la fréquence bien le non-recours aux droits et à l’offre des refus et des non-recours au logement publique en matière de logements peut être social parmi les habitants des campings le produit d’un manque de capitaux mais résidentiels et d’en rendre raison sociologi- aussi parfois d’un désintérêt ou d’un désac- quement en analysant la diversité des méca- cord sur les principes, les conditions, les nismes à l’œuvre, tels que l’importance des modalités et/ou le contenu de l’offre. Elle trajectoires sociales et résidentielles et des apporte autrement dit des éléments impor- processus de socialisations qui les traversent ; tants à l’analyse de la réception des poli- le manque, au sein du parc social, d’habitats tiques sociales par leurs destinataires. I individuels situés en zone rurale ou périur- baine accessibles à des ménages de petites tailles ; l’intériorisation de la « causalité du probable » et de la concurrence entre deman- deurs ; le décrochage entre les niveaux de loyers des logements sociaux et les budgets des ménages ; les inégalités de ressources culturelles et les difficultés à faire valoir ses droits ; les délais importants d’obtention du logement social et l’absence d’anticipation de la perte du logement ; la volonté de se soustraire aux contraintes induites par la location et par l’habitat collectif ; les dispo- sitions à la débrouille et le refus de dépendre d’autrui, et notamment d’individus situés plus haut sur l’échelle sociale ; ou encore le poids de la stigmatisation sociale du parc Hlm et les logiques de stratification internes aux classes populaires contemporaines, etc.
Prix de thèse 2021 11 Bibliographie Authier Jean-Yves, 2012, Espace et socialisation : regards sociologiques sur les dimensions spatiales de la vie sociale, Saarbrücken, Éditions universitaires européennes. Authier Jean-Yves, Bonvalet Catherine et Lévy Jean-Pierre (eds.), 2010, Élire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Lyon, Presses universitaires de Lyon. Bugeja Fanny, 2013, Logement, la spirale des inégalités. Une nouvelle dimension de la fracture sociale et générationnelle, Paris, Presses Universitaires de France. Dietrich-Ragon Pascale, 2013, « Qui rêve du logement social ? », Sociologie, 2013, vol. 4, n°1, p. 19-42. Dietrich-Ragon Pascale, 2009, Le logement intolérable. Habitants et pouvoirs publics face à l’insalubrité, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris. Driant Jean-Claude, 2015, Les politiques du logement en France, Paris, La Documentation française. Gilbert Pierre, 2014, Les classes populaires à l’épreuve de la rénovation urbaine. Transformations spatiales et changement social dans une cité Hlm, Lumière Lyon 2, Lyon. Groux Guy et Lévy Catherine, 1993, La possession ouvrière. Du taudis à la propriété (XIXe- XXe siècle), Paris, les Éditions de l’Atelier. Robert Christophe, Vaucher Anne-Claire et Domergue Manuel, 2014, Crise du logement. Bien la comprendre pour mieux la combattre, Paris, Le Cavalier Bleu. Schwartz Olivier, 1998, La notion de « classes populaires », Habilitation à diriger des recherches en sociologie, Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
Prix de thèse sur l’habitat social 2021 12 2021 LAURÉAT PRIX SPÉCIAL ANNE-LAURE HINCKER JOURDHEUIL « Une architecture de promoteur pour le logement social : la Véfa-Hlm » Thèse de doctorat en Aménagement et urbanisme dirigée par Yankel Fijalkow et Véronique Biau, soutenue le 2 juillet 2019 à l’Université Paris Nanterre. Anne-Laure Jourdheuil est docteure en aménagement de l’espace et urbanisme de l’Université de Paris Nanterre et architecte diplômée de l’Ecole Spéciale d’Architecture. Elle est membre du Centre de Recherche sur l’Habitat (UMR Lavue CNRS 7218) et de la Chaire partenariale Le logement demain. Elle est enseignante à l’Ecole © Jourdheuil Spéciale d’Architecture et maître de conférences associée à l’ENSA de Paris-La Villette. annelaure.jourdheuil@gmail.com Bref aperçu La production de logements entretiens avec des acteurs de tivités locales. Face aux évolu- locatifs sociaux par les promo- la production de la ville, analyses tions de leur cadre d’intervention, teurs immobiliers privés, et leur de la conception et de la réali- les architectes sont amenés à acquisition en Véfa par les bail- sation d’opérations mixtes, sortir de la dualité public/privé leurs sociaux, est un nouveau enquête sur la médiatisation dans la structuration de leurs mode de production des Hlm. des projets de logements activités. Montrant l’existence Elle induit à la fois des reconfi- contemporains et étude des inci- d’un lien de causalité entre type gurations dans les stratégies dences en matière de gestion de maître d’ouvrage et qualité des acteurs, dans l’architecture de ce mode de production. de la production, ce travail met de l’habitat et dans les relations Par la mixité des statuts qu’elle en lumière la permanence du sociales de voisinage. induit, la Véfa-Hlm est un outil caractère hétérogène des défi- Pour analyser le développement mobilisé au nom de la construc- nitions des qualités architectu- de la Véfa-Hlm et ses consé- tion de la mixité sociale. Cette rales du logement neuf. quences, deux approches ont thèse montre que la Véfa-Hlm Cette thèse contribue ainsi à été mobilisées : une étude sta- participe à une diversification l’analyse des mutations dans tistique et cartographique à de la production du logement les pratiques et représentations l’échelle du territoire francilien social en France et à une recon- des acteurs engagés dans la et une enquête qualitative figuration des relations entre fabrication de la ville. décomposée en quatre étapes : promoteurs, bailleurs et collec-
Prix de thèse 2021 13 Résumé et apports pour les acteurs du logement social Problématique années seulement, malgré les nombreuses Composante essentielle de la construction critiques formulées à son encontre par les des villes, le logement influe sur leurs formes, bailleurs sociaux ou les architectes. leurs organisations et leurs compositions sociales. Face à la problématique de la ségré- Dans le cadre de cette thèse, je propose gation urbaine, et des dynamiques de recom- d’analyser la diversification des modes de position sociale, le logement constitue un production du logement social, dont la Véfa- enjeu majeur : à la fois outil d’appropriation Hlm fait partie, comme réponse à six ensem- par ses habitants, outil de fabrication de la bles de questions majeures que pose la ville, outil social, il est aussi un enjeu production de la ville contemporaine : politique. - les questions de besoins quantitatifs de pro- duction de logements, sociaux notamment, Dans un contexte de régulation productiviste - les questions foncières et économiques du logement social (Gimat, 2017), les orga- auxquelles sont confrontés les acteurs de nismes Hlm, habitués à produire des loge- la production du cadre bâti, ments neufs en maîtrise d’ouvrage directe, - les questions de compétences des acteurs diversifient leurs modes de production engagés dans cette production, depuis le début des années 2000 en mobili- - les questions d’attractivité résidentielle sant notamment l’outil qu’est la Véfa-Hlm – auxquelles les collectivités locales font production de logements locatifs sociaux face et les modalités de régulation qui s’of- par les promoteurs immobiliers privés et frent à elles, acquisition en Vente en état futur d’achè- - les questions relatives à la qualité du loge- vement par les bailleurs sociaux. La crise ment contemporain, immobilière de 2008 a favorisé son déve- - les questions de mixité et de ségrégation loppement, en raison, notamment, des sociospatiale. mesures prises par le Gouvernement pour soutenir le secteur de la construction. Si en Formulant l’hypothèse d’un lien entre mode 2003 la Véfa-Hlm représentait à peine plus de production et architecture produite, j’ana- de 6 % des demandes de financement pour lyse la Véfa-Hlm comme une forme typique des logements sociaux neufs en Île-de- du développement urbain contemporain France, en 2016, la part de Véfa dans les qui met particulièrement en lumière les logements sociaux neufs était de 54 %(1). Les rapports politiques de production, implique évolutions des règles d’urbanisme des deux dans un même processus des acteurs pré- dernières décennies ont contribué à la bana- sents ailleurs en ordre dispersé et a une lisation de ce mode de production devenu incidence forte sur les qualités de l’archi- majoritaire en Île-de-France, en quelques tecture ainsi produite. (1) AORIF, données 2016 et DRIHL, Infocentre Sisal, Données 2017.
Prix de thèse sur l’habitat social 2021 14 Méthodologie œuvre des politiques de mixité sociale ont Étant certaine des liens entre conditions et également été abordées. effets de la Véfa-Hlm, j’ai travaillé à la mise en place d’une méthodologie sur-mesure, au Résultats croisement de plusieurs champs disciplinaires, La démonstration se déroule en six temps. en pensant l’articulation entre méthodes La première étape consiste à analyser la quantitatives et qualitatives comme un Véfa-Hlm en tant que mutation émergente moyen de répondre à la pluralité des ques- dans la production de logements locatifs tionnements que soulevait cette recherche. sociaux neufs, traditionnellement réalisée en maîtrise d’ouvrage directe par les orga- Ce travail repose principalement sur cinq nismes Hlm. Dans un deuxième temps, nous types de données : voyons en quoi la Véfa-Hlm participe d’une - Des données existantes : études de l’Institut reconfiguration – pouvant être perçue comme Paris Région et de l’APUR sur le territoire l’émergence d’une coopération déséquilibrée – francilien, bases de données sur la pro- des relations entre deux grands groupes d’ac- duction de logements neufs (Sitadel, RPLS, teurs de la commande du logement collectif Infocentre SISAL) ou encore données de neuf que sont les promoteurs immobiliers la Mutuelle des Architectes français assu- et les bailleurs sociaux. La troisième étape rance et de l’Ordre des architectes par met en exergue les spécificités des implan- exemple, tations des opérations de Véfa-Hlm en Île- - Des entretiens réalisés avec des acteurs de-France : le caractère contre-intuitif des de la production de logements sociaux en localisations franciliennes de ces projets a Véfa et des observations participantes à induit une analyse du rôle de régulation des des journées d’études et de formation, collectivités locales dans la production de - Une base de données, élaborée à partir de logements neufs. Le quatrième temps permet Sisal, concernant la production neuve de de montrer que, face aux évolutions de leur logements sociaux en Île-de-France, cadre d’intervention, dans la production du - Une analyse de documents provenant des logement neuf en particulier, les architectes acteurs rencontrés : pièces écrites et gra- sont amenés à sortir de la dualité public/privé phiques des projets étudiés, cahiers des dans la structuration de leurs activités ; nous charges, brochures commerciales, etc., avons ainsi pu observer la légitimation pro- - Une analyse de la médiatisation de cer- gressive de la commande de logements issue taines opérations de Véfa-Hlm dans la de la promotion privée. La cinquième étape presse spécialisée notamment. a permis de mettre en évidence le caractère hétérogène des définitions des qualités archi- Les analyses des projets et de leurs évolutions tecturales du logement neuf. Enfin, l’analyse ont permis de mettre en lumière la manière des modalités de gestion des ensembles mixtes dont les architectes sont amenés à faire évo- de logements, comprenant logements en luer leurs pratiques professionnelles en accession et logements sociaux, a permis de réponse à la modification de leur cadre d’in- montrer que la Véfa-Hlm est, par la mixité tervention. Les questions des qualités archi- des statuts d’occupation qu’elle induit, un tecturales du logement collectif contemporain outil mobilisé au nom de la construction de et de la modification des échelles de mise en la mixité sociale.
Prix de thèse 2021 15 Reconfigurations des relations entre grandes différences existent entre contexte acteurs de la production du logement local et national. De même, il existe des La Véfa-Hlm constitue une mutation impor- positions très hétérogènes dans les deux tante dans la production du logement social groupes d’acteurs que sont les bailleurs en France. Si elle peut être présentée comme sociaux et les promoteurs immobiliers. La permettant de répartir et déléguer la produc- Véfa-Hlm participe à la création de nouvelles tion de logements sociaux entre un plus grand scènes de négociation entre élus, organismes nombre d’acteurs, elle peut également être Hlm et promoteurs immobiliers. décrite comme ayant des incidences fortes quant à l’approche stratégique de localisation Un développement inégal sur le territoire des organismes Hlm : le choix de l’implantation francilien des opérations ainsi réalisées est dicté par les L’Île-de-France est un territoire tendu, dans propositions des promoteurs immobiliers et lequel le marché immobilier est très hiérar- non par une recherche de foncier. chisé et segmenté socialement et économi- quement. Au-delà du morcellement Au regard de la part prise par la Véfa-Hlm administratif et institutionnel, la région fran- tant dans la production neuve de logements cilienne est également caractérisée par un sociaux que dans la production totale des émiettement et une grande disparité des promoteurs immobiliers, des relations d’in- acteurs, promoteurs et bailleurs, amenés à y terdépendance entre ces acteurs semblent construire des logements. Ces acteurs sont s’être développées. tous confrontés à une difficulté majeure sur le territoire francilien : l’accès au foncier. En La Véfa-Hlm s’est développée très progressi- tant que territoire particulièrement tendu, vement pendant les quinze premières années la région se présente comme un espace pri- du dispositif, dans un contexte de montée en vilégié pour le développement de la Véfa- puissance des acteurs privés dans la fabrication Hlm. Néanmoins, ce développement présente de la ville. À la fin des années 2000, pour des dynamiques contre-intuitives par rapport répondre à la conjoncture de crise immobilière, aux données nationales : en Île-de-France, la les bailleurs sociaux ont été appelés au secours part de logements sociaux produits en Véfa des promoteurs immobiliers. Diverses évo- croît inversement à la tension des marchés lutions réglementaires et législatives ont immobiliers. L’analyse sur le territoire fran- ensuite participé au développement rapide cilien permet de rendre compte des rapports de ce mode de production. de force entre acteurs publics et privés : col- lectivités locales, organismes Hlm et promo- Malgré des craintes de certains acteurs du teurs immobiliers. Les évolutions de ce mode monde Hlm, notamment ceux engagés dans de production révèlent ainsi l’hétérogénéité le développement du parc, mais aussi de des capacités et volontés des différentes col- certains promoteurs immobiliers, des lectivités locales à réguler la production de logiques d’hybridation dans les méthodo- logements sur leur territoire. logies se sont mises en place entre bailleurs et promoteurs. Si nous avons montré des Le développement de la Véfa-Hlm s’opère phénomènes d’acculturation et de rapports dans un contexte de tension entre, d’un de force mouvants, il faut souligner que de côté, des finances publiques contraintes et,
Prix de thèse sur l’habitat social 2021 16 de l’autre, des volontés de continuer à mener Le changement de positionnement des archi- des politiques du logement ambitieuses. tectes face à la commande privée semble Afin de réguler et d’encadrer la production répondre à deux effets : «l’effet de contexte» de logements neufs, les collectivités locales et « l’effet de génération », auxquels s’ajoutent mobilisent divers instruments tels que sec- des évolutions culturelles de l’élite symbolique teurs de mixité sociale, chartes de la de la profession. Le glissement de la commande construction, maîtrise/veille foncière, etc. de logements du public vers le privé, renforcé La régulation par délégation à l’œuvre par- par la Véfa-Hlm, a eu une forte incidence ticipe paradoxalement d’un nécessaire ren- sur les modes de faire des architectes qui se forcement du pouvoir de régulation exercé sont adaptés à ce changement de contexte. par les collectivités locales, notamment Du fait de l’évolution générationnelle à l’œuvre, pour pouvoir faire construire aux promo- ces adaptations semblent s’inscrire durable- teurs ce qu’elles souhaitent. Soulevant des ment dans les manières de faire. Néanmoins, questions quant au risque de désengagement certains architectes gardent un regard très de la sphère publique dans la production critique sur le développement de la Véfa- urbaine, la Véfa-Hlm s’accompagne pourtant Hlm, envisagée comme une privatisation de dans les territoires attractifs d’un renforce- la commande de logements sociaux. ment du rôle du politique local notamment lié aux marges de manœuvre accrues qu’elle La Véfa-Hlm, à l’origine d’évolutions majeures induit. du cadre d’intervention des architectes maîtres d’œuvre dans la production de logements Une inflexion dans la dualité des sociaux, a notamment participé à une trans- marchés des architectes formation des modalités d’accès à la commande L’accroissement en volume et en parts de et à une remise en cause des missions com- marché que représente la promotion privée plètes comprenant la direction de l’exécution dans les marchés des architectes, et la baisse des travaux. Face à ces évolutions, les archi- parallèle de la commande publique de tectes développent des stratégies différentes : construction neuve, participent à l’inflexion au-delà des constats partagés de dégradation qui s’est opérée dans la dualité qui opposait des conditions d’exercice (difficulté accrue la logique de « réaliser des œuvres » dans la d’accès à la commande, multiplication des commande publique et celle de « faire des missions partielles, précarisation générale de affaires » avec le privé. Le processus de légi- la profession), des logiques de différenciation timation de la promotion immobilière a internes permettent de déconstruire l’idée emprunté plusieurs canaux : la reconnais- d’un groupe unitaire sur cette question. Le sance progressive de la production issue de développement de la Véfa-Hlm participe ainsi la promotion privée par les médias profes- à une reconfiguration forte des relations entre sionnels ; l’accroissement et la médiatisation les sphères de la création et du marché. des interventions pour les promoteurs privés des architectes reconnus pour leur travail Un débat sur la qualité du logement dans la commande publique, l’élite symbo- contemporain qui dépasse le cadre du lique ; un travail de légitimation par les ins- logement locatif social tances représentatives – Ordres et syndicats – Plusieurs architectes mettent aujourd’hui qui communiquent de plus en plus sur les en avant une baisse des qualités spatiales méthodes pour bien travailler avec la com- et d’usage des logements neufs, conséquence mande privée. notable de la diminution de leurs surfaces.
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