Le virus de l'autoritarisme et de l'inégalité (Alternatives économiques) - fsu 72

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Le virus de l’autoritarisme et de l’inégalité (Alternatives économiques)

    Eloi LaurentEconomiste, professeur à Sciences Po et à l’université de Stanford
    La crise sanitaire globale déclenchée par le Covid-19 (ou nouveau coronavirus) est, à son origine, une crise
    écologique : ce virus – comme avant lui le Sras, le Mers, Ebola et dans une certaine mesure le virus du
    Sida – est une pathologie de la frontière homme-animal. C’est parce que les humains sont allés trop loin
    dans la destruction des écosystèmes, la conquête de la biodiversité et la marchandisation du vivant qu’ils
    sont aujourd’hui affectés, paniqués et paralysés, en somme conquis à leur tour.

    Toute la question est à présent de savoir si les institutions humaines sont capables de résister à ce choc
    écologique et de l’atténuer ou, au contraire, si leur vulnérabilité va conduire à l’amplifier. L’urbanisation
    désormais universelle est à double tranchant : l’agglomération urbaine mondialisée est à la fois source de
    prospérité et de fragilité, tant les systèmes urbains contemporains sont, de concert, de puissants
    accélérateurs de bien-être et de formidables machines de propagation virale.
    Les attitudes observées comme les politiques mises en œuvre jusqu’à présent laissent penser que les
    institutions sociales de nombre de pays ne sont pas prêtes à faire face aux chocs écologiques du XXIe siècle
    de manière démocratique.

    Boucs émissaires                                A LIRE OMMAIRE
    Il y a d’abord la crise de confiance qui prend chaque jour de l’ampleur, entre les individus comme entre
    ceux-ci et leurs institutions. La discrimination, la violence parfois, dont sont victimes dans une certaine
    indifférence les personnes d’origine asiatique, en France comme ailleurs dans le monde (par exemple à San
    Francisco, où Chinatown est devenue un quartier fantôme) est un symptôme inquiétant de la nécessité
    anthropologique des boucs émissaires. Dans ce contexte, les institutions doivent prendre le relais pour
    contenir les peurs, réduire l’incertitude et produire de la confiance.
          A l’inverse de ce que pourrait être une réponse humaniste et démocratique, c’est
          l’autoritarisme qui tient lieu de politique sanitaire, en Italie comme au Japon
T
w   On mesure alors le prix de l’abaissement des protections collectives dans un pays comme la France, où
i   l’hôpital public, qui demeure l’un des meilleurs au monde, est martyrisé depuis des années par la logique
    comptable du tableau Excel, alors même qu’il est l’institution dans laquelle les Français ont le plus confiance
t
    (à 80 %). De même, comment avoir pleinement confiance dans l’information et l’action d’un gouvernement
t
    qui recouvre le contrat intergénérationnel que les Français ont passé entre eux après la Seconde Guerre
e   mondiale – le système de retraites par répartition – d’un nuage toxique d’incertitude inégalitaire ?
r
    A l’inverse de ce que pourrait être une réponse humaniste et démocratique, c’est l’autoritarisme qui tient
    lieu de politique sanitaire, en Italie comme au Japon. L’influence géopolitique grandissante du « modèle
chinois » se révèle en cette matière, comme en d’autres, redoutable, le masque de protection faisant
également office de bâillon mis sur les libertés civiles au nom de l’efficacité économique.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se trompe du tout au tout lorsqu’elle félicite le gouvernement
italien pour son « sacrifice » économique : c’est au contraire au nom de la course de vitesse pour redevenir
attractif économiquement que sont sacrifiés les libertés et les droits en Lombardie, en Vénétie et en Emilie-
Romagne, de même que c’est la perspective des jeux Olympiques d’été qui justifie l’empressement brutal du
gouvernement japonais.
Qui plus est, ces mesures de confinement font l’impasse sur l’inégalité sociale qu’elles engendrent. Le
télétravail n’a de sens que pour une partie de la main-d’œuvre, les employés de la restauration, du bâtiment
ou des transports pour ne parler que d’eux, souvent parmi les plus précaires, subiront de plein fouet des
pertes de revenu qu’ils ne peuvent précisément pas supporter.
Le Covid-19 est bien davantage qu’un agent infectieux : c’est un impitoyable révélateur de nos failles
collectives. De ce point de vue, la crise sanitaire est en train de muter, sous nos yeux, en alerte
démocratique.
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Coronavirus : « L’hôpital ne peut pas fonctionner comme une clinique privée qui choisit ses
patients pour optimiser sa plomberie »

Le Monde du 11 mars 2020.

Tribune
A l’ère de la tarification à l’activité, l’épidémie de Covid-19 montre que l’« hôpital de flux », où aucun lit ne
doit être libre, est une aberration, estiment les médecins André Grimaldi, Anne Gervais Hasenknopf et
Olivier Milleron, dans une tribune au « Monde ».
Publié aujourd’hui

Tribune. Epidémie, plan blanc, mobilisation générale, l’événement infectieux actuel bouleverse tout, y
compris le fonctionnement de l’hôpital. Car sa mission est de répondre à la nécessité sanitaire. Rappel des
personnels en vacances, déprogrammation des interventions et hospitalisations programmées, libération de
lits en service demaladies infectieuses et dans certains hôpitaux en médecine interne ou polyvalente, car il
faut se tenir prêt : tout est fait pour faire face et c’est bien.
En février, quelques patients infectés sont restés quatorze jours hospitalisés, en surveillance. En mars,
changement : on n’hospitalisera que les patients ayant ou étant à risque d’une forme sévère de Covid-19…
Le temps est suspendu : transfert de patients pour libérer des lits et se tenir prêt, et les lits sont là, vides
pour quelques jours parfois, ils attendent les patients symptomatiques à soigner.La santé publique percute
le concept de l’« hôpital de flux », celui où pas un lit ne doit être libre car c’est du « manque à gagner » à
l’ère de la tarification à l’activité (T2A). A l’« hôpital de flux », le malade doit glisser vers la sortie, dans
un parcours fluide, rien ne doit faire obstacle dans la plomberie du soin. Et patatras ! La vision en tuyau ne
répond pas à la crise sanitaire.

Traiter aussi les autres cas
On découvre, s’il était besoin, l’aberration d’un financement de l’hôpital majoritairement par la tarification à
l’activité : l’impossibilité d’avoir des taux d’occupation des lits à 100 %. Oui, il faut disposer d’une structure
hospitalière publique assumant d’avoir, en permanence, des lits disponibles. La crise actuelle met en
exergue cette nécessité en phase épidémique du coronavirus SARS-CoV-2. Il faut isoler les patients
infectés, surveiller les cas peu sévères, mais risquant de s’aggraver, et prendre en charge les formes graves.
Et, tout au long de l’année, il faut disposer d’une marge d’activité et de lits disponibles pour accueillir les
enfants atteints de bronchiolite, les personnes âgées atteintes de grippe saisonnière et les urgences en
général. Car l’hôpital public ne doit pas et ne peut pas fonctionner comme une clinique privée qui choisit
ses activités et ses patients pour optimiser sa plomberie.
      « Combien le tarif d’un séjour pour coronavirus ? Et combien le non-séjour dans cette aile vide
      qui attend le malade ? »
Le nouveau coronavirus a le mérite de rappeler des évidences : on ne paie pas des pompiers simplement
pour qu’ils aillent au feu, on les souhaite présents et prêts dans leur caserne, même quand ils ne font que
briquer leur camion en attendant la sirène.
Alors comment va-t-on évaluer l’activité de soins à l’heure du Covid-19 pour calculer le financement des
hôpitaux ? Combien le tarif d’un séjour pour coronavirus ? Et combien le non-séjour dans cette aile vide qui
attend le malade ? Et combien la déprogrammation des patients qui auraient dû subir leur intervention et ne
pourront pas être hospitalisés car le légitime plan blanc vient percuter le flux dans la plomberie ? Les
hôpitaux, en première ligne pour la prise en charge du coronavirus, seront-ils pénalisés financièrement ? Les
hôpitaux gardant des lits vides en prévision d’un afflux éventuel de patients vont-ils avoir un plan
d’économies pour cette baisse d’activité ?

Il faut des financements supplémentaires
L’épidémie n’en est pas à son pic et on peut d’ores et déjà en tirer des enseignements : il faut financer les
hôpitaux indépendamment des séjours des patients, notamment en médecine générale. Le candidat Macron
avait promis la fin du financement de l’hôpital public par la T2A, mais aucune proposition sérieuse
alternative n’a été faite depuis trois ans.

Le gouvernement doit soutenir l’hôpital et annoncer un moratoire immédiat sur la T2A pour financer
l’hôpital public en sus de mesures supplémentaires immédiates de financement. En Italie, 1 milliard d’euros a
été débloqué d’urgence pour les hôpitaux. En France, la situation est analogue et il faudra, de plus, un plan
pluriannuel de recrutement et de revalorisation des personnels. Il s’agit de 3 milliards à 4 milliards, c’est
beaucoup mais c’est indispensable. Il faut très vite recruter les 40 000 infirmières qui sont nécessaires à
l’hôpital. Il faut rouvrir les lits fermés faute de personnel. Mais aussi remplacer les infirmières en arrêt
maladie ou en congé de maternité, pour obtenir des ratios d’effectifs supportables au regard du nombre de
lits,y compris en psychiatrie, qui est sous-dotée et asphyxiée.

Le plan blanc était la réponse attendue mais il finit d’épuiser les soignants qui fuyaient déjà, avant même
l’épidémie, des conditions de travail difficiles. Le gouvernement doit proposer au Parlement un correctif
budgétaire pour augmenter immédiatement l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam)
afin de financer l’hôpital en fonction de ses besoins.

André Grimaldi, professeur, diabétologue, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris ; Anne Gervais
Hasenknopf, médecin, hépatologue, hôpital Louis-Mourier, Colombes (Hauts-de-Seine) ; Olivier
Milleron, médecin, cardiologue, Bichat-Claude-Bernard, Paris.
ATTAC (article paru le 11 mars 2020)

Un monde instable et imprévisible à l’heure du coronavirus
mercredi 11 mars 2020, par Christophe Aguiton
Jamais, depuis 1945, le monde n’avait connu une situation aussi chaotique et instable dans un
enchevêtrement de crises aussi diverses que majeures : climat et environnement, migrations, guerres et
tensions géopolitiques, montée des autoritarismes, ralentissement du commerce mondial, soulèvements
populaires sur tous les continents, endettements et marchés financiers hors contrôle, et enfin la crise
sanitaire du coronavirus... Si ces crises sont interdépendantes – comment penser les questions migratoires
sans penser au climat, aux conflits et aux guerres – il nous faut choisir un angle et, aujourd’hui, l’épidémie
du coronavirus est un bon indicateur des fragilités de la situation internationale et des tendances
potentielles qu’elle révèle.

                      Du grec « Krisis », la crise, en français, est avant tout une rupture, une discontinuité
                      qui peut ouvrir sur de nouvelles opportunités. L’épidémie actuelle répond
                      parfaitement à cette définition et elle porte en elle les germes des pires et des plus
                      souhaitables évolutions possibles.
                      La situation chinoise nous montre à quel point une situation d’urgence peut être
                      utilisée pour accentuer le contrôle de la population. Des milliers d’internautes chinois
                      ont ainsi été exclus des réseaux sociaux pour « propagation de fausses nouvelles » et
toute la population est aujourd’hui tracée par des applications sur mobile qui partagent avec la police, les
sociétés de transport et même les centres commerciaux, l’état de votre risque sanitaire et le détail de vos
derniers déplacements. En Europe nous n’en sommes pas là, mais, sans parler des nombreuses atteintes
aux libertés fondamentales dues aux obligations de confinement, il est clair que les gouvernements en
place tentent d’utiliser la focalisation des médias et du public sur le coronavirus pour reprendre la main
sur les opinions et le contrôle du calendrier. Mais si ces mesures coercitives sont acceptées par les
populations pendant le pic de l’épidémie, il est fort probable qu’un mécontentement populaire s’exprimera
fortement une fois celle-ci passée. En Chine, les très nombreux messages de soutien au docteur Li
Wenliang, le premier lanceur d’alerte à Wuhan, ou les cris de colère face à la vice-première ministre
chinoise Sun Chunlan en visite dans la ville en témoignent !
Par son ampleur, et parce qu’elle a d’abord touché la Chine, cette épidémie permet de mettre le doigt sur
les points faibles de la mondialisation néolibérale. Des secteurs stratégiques, comme l’industrie
pharmaceutique, délocalisent depuis des années des pans entiers de leur appareil productif. Aujourd’hui,
en pleine crise sanitaire l’Union européenne (UE) réalise que des médicaments de base sont en passe de
manquer à cause de la paralysie de l’industrie chinoise. L’industrie du numérique est également touchée de
plein fouet. Mais les dégâts ne se limitent pas à ces secteurs. Les grandes entreprises du secteur de
l’automobile, de l’aéronautique ou de la robotique ont développé des chaînes de production qui
s’étendent sur toute la planète et qui peuvent se gripper au moindre problème. Le Brexit avait déjà posé
une alerte, obligeant plusieurs grands groupes à revoir leurs politiques d’implantation d’usines, et le
coronavirus pourrait représenter la crise de trop pour de nombreuses multinationales.
Mais la mondialisation ne concerne pas que l’industrie et de nombreux secteurs vont être durablement
impactés par cette épidémie. Le tourisme, en plein boom, en est un des premiers. Il représente
aujourd’hui 10% du PIB et 10% de l’emploi au niveau mondial, en se concentrant sur un nombre limité de
lieux et de prestations. En France, le premier site visité est Disneyland Paris, bien devant la tour Eiffel ou
le Louvre, et au niveau mondial le secteur des croisières connaît une forte croissance, avec des paquebots
toujours plus grands, mais aussi premiers témoins de la maladie. Dernier élément, et non des moindres, la
mondialisation financière qui montre également sa fragilité. Les bourses du monde entier ont commencé à
chuter dès le mois de février, puis ont plongé le 9 mars à la suite de la très forte baisse des cours du
pétrole. Si, à l’heure où ce texte a été écrit il n’est pas possible de prévoir l’ampleur des événements à
venir, le coronavirus pourrait être le déclencheur d’une crise économique et financière de grande ampleur
par la conjonction, sans pareil, d’éléments de très forte fragilité.
L’épidémie montre les points faibles de la mondialisation néolibérale, mais permet aussi de mettre en
avant ce que pourraient en être les alternatives. L’histoire regorge de moments où des événements
imprévus, des guerres, des chocs politiques ou des mouvements sociaux ont accéléré des processus en
cours ou permis des bascules imprévisibles. Tout récemment la grève des transports en Île-de-France a
permis à des dizaines de milliers de personnes de découvrir les usages du vélo en ville, et les derniers
chiffres montrent que ce mouvement perdure. Sans commune mesure, la Seconde Guerre mondiale et les
années qui l’ont suivie ont jeté les bases de ce l’on a appelé l’État providence. Aux États-Unis, l’impôt
progressif mis en place pendant le New Deal par l’administration Roosevelt s’est durci avec un taux
maximal de 80 à 90%, en place jusque dans les années 1980. En France, le système de retraite
précédemment basé sur des fonds de capitalisation s’est effondré pendant la guerre. C’est ainsi que le
système de retraite par répartition a été mis en place à la libération.
Plus généralement, dans tous les pays développés, un taux élevé de prélèvement obligatoire nécessaire à la
reconstruction a été pérennisé pour mettre en place des systèmes de redistribution et de couverture
sociale. Un choc planétaire comme l’épidémie de coronavirus pourrait initier ou accélérer des
transformations nécessaires. La pénurie de médicaments a amené les institutions européennes, ces
dernières semaines, à réfléchir à une relocalisation de certaines chaînes de production pour assurer une
sécurité sanitaire sur le continent. Cette initiative pourrait être élargie à d’autres secteurs, la production
agroalimentaire, par exemple, pour répondre à la revendication historique de « souveraineté alimentaire »
défendue par les paysans de la Confédération paysanne et de la Via Campesina. Au niveau industriel, la
baisse des prix de machines à commandes numériques a permis un timide mouvement de relocalisation de
certaines productions. Les chaînes mondiales mises en place par les multinationales pour leurs
productions industrielles viennent de révéler leur fragilité, il serait temps de donner la priorité à une
relocalisation qui bénéficierait à l’emploi comme à l’environnement.
La crise du coronavirus a également montré qu’en cas de nécessité, des mesures « radicales » pouvaient
être mises en place. C’est le cas de la fixation des prix ou la réquisition pour des produits qui
connaissaient des phénomènes spéculatifs, comme le gel hydroalcoolique ou les masques de protection. Il
est déjà évident que l’UE - devant la crise économique qui s’annonce - va exonérer les pays membres des
obligations budgétaires fixées par le traité de Maastricht. Ce qui est possible, et juste, face aux
conséquences de l’épidémie devrait être mis en place de la même manière pour d’autres questions toutes
aussi importantes, comme la croissance des inégalités, le traitement inhumain des migrants, la crise
climatique ou l’effondrement de la biodiversité. La NASA a diffusé des images de la Chine avant et
pendant l’épidémie, qui montrent une quasi-disparition de la pollution en quelques jours. Il ne s’agit
évidemment pas de confiner sur le long terme toutes les populations, mais ces images montrent la
réversibilité de phénomènes si des mesures fortes sont prises.
La crise sanitaire mondiale nous indique des alternatives potentielles. Mais, à l’évidence, elles ne seront
mises en œuvre que si elles sont portées par des mouvements sociaux et un rapport de force à construire
pour changer le système. Ce sera tout l’enjeu des mois et années qui viennent !
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