A propos du coq de clocher
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Revue trimestrielle 67* année N°2-1991 Le Numéro: 180 FB A propos du coq de clocher Editeur responsable : J. Willemart, rue des Dominicaine, 64 - 5002 Saint-Servais
Société Royale Sambre & Meuse (A.S.B.L) HAUT PATRONAGE M. Emile Wauthy, Gouverneur de la Province de Namur. M. Emile Lacroix, Gouverneur honoraire. Monseigneur R. Mathen, Ancien évêque de Namur. COMITÉ D'HONNEUR jfjF M. Ernest Montellier. CONSEIL D'ADMINISTRATION Président : Mme Françoise Jacquet-Ladrier, Les Ravins, 3 - 5100 Wépion.Tél. 081/46 05 42 Vice-Présidents : M. François Jacques et M. Christian Philippart. Directeur de la revue : M. Jacques Willemart rue des Dominicaines, 64 - 5002 Saint-Servais Tél. 081/73 92 98 Secrétaire ; Melle Marie-Louise Damoiseau, chausséedeLouvain,129 - 5000 Namur. Tél. 081/22 2613 Trésorière : Mme Chantai Willemart-Mat, rue des Dominicaines, 64 - 5002 Saint-Servais. Tél. 081/73 92 98 Membres : [vîmes A. Canivet, O. Maréchal-Pelouse, MellesM.-CI. Offermans, M. George " 1. J. Bovesse, A. Falise, J. Godefroid, A. Guilitte, E. Tonet. Les articles publiés n'engagent que leurs auteurs. Cotisation ordinaire : 550 FB Cotisation de soutien : 650 FB Cotisation de membre protecteur : 1.000 FB Compte : 068-2009608-86 de Sambre et Meuse - Le Guetteur wallon 5000 Namur
SOMMAIRE 67 A-1991-2 TRADITION p. 28 d A propos du coq de clocher Etienne GUILLAUME NUMISMATIQUE p. 35 d L'atelier monétaire de Fosses au Moyen Age Jean LECOMTE MA11940 p. 45 □ Madeleine de Wasseige : "Mon journal au fil de la plume" "L'exode" (deuxième partie) Odette MARECHAL-PELOUSE MIETTES D'HISTOIRE ET DE FOLKLORE d Sources et fontaines de Wallonie p. 53 WillyLASSANCE □ Edification de la chapelle du "chêne à l'image" àAndenelle, en 1758 p. 55 Jean-Louis JAVAUX COMPTES RENDUS p. 58 ASSEMBLEE GENERALE STATUTAIRE du 2 mars 1991 p. 35 COUVERTURE Namur, le nouveau coq du clocher de l'église de Saizinnes, avril 1990. (Photo Henri Guilitte)
TRADITIONS A PROPOS DU COQ DE CLOCHER La symbolique du coq dans l'histoire Depuis plus de deux millénaires, l'Occident a manifesté un intérêt certain pour le coq. Dans l'Ancien Testament, le livre de Job (38, 36) pose la question de savoir "qui a (... ) donné au coq l'intelligence", au 5e s. av. J.-C. déjà. Quant aux Grecs et aux Romains, ils sont, eux, friands de combats de coqs. Pour son exactitu de à marquer les étapes de la nuit, ils l'ont consacré à Phébus Apollon parce qu'il annonce l'astre du jour. Sur les sarcophages ou les stèles, sa représentation protège le défunt contre des puissances ennemies. Il est aussi consacré à Esculape, guéris seur des maladies. Il sert en outre de symbole à Mercure, dieu des négociants, à Mars, divinité guerrière. D'où vient, peut-être, ce goût antique pour les combats coqs 1 ordre de chanter". Dans l'évangik saint Mathieu (26, 34 et 75), le Christ s'adresse à Pierre en ces termes : "Avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois" ; c'est bien le cri du coq qui rend ainsi conscience à l'apôtre. Le poète latin chrétien Prudence écrit le Cathemerinon au 4e siècle ; il en intitule la première hymne Ad galli cantum ou Ad gallicinium et attribue au coq qui annonce l'aurore le symbole du Christ et de la résurrection. En effet, le chant du coq correspond à l'heure matinale de la résurrection, ce dernier est donc devenu inséparable de l'heure de vigilance et de prière. L'art paléo-chré tien s'est abondamment servi du gallinacé pour en illustrer ses monuments, sur le pourtour de la Méditerranée, et le coq figure en bonne place sur nombre de mosaï ques, de lampes à huile, d'étains, de tissus, de gemmes, de bas-reliefs... Au moyen âge, il devient l'emblème des prédicateurs qui doivent travailler sans cesse au salut de leurs frères et combattre les ennemis de la religion. Son surnom médiéval de "Chanteclerc" viendrait, selon une légende, de son cri lancé en défi aux projets du Malin, les faisant lamentablement échouer. Quant au coq gaulois, devenu le sym bole de la nation française, il aurait été choisi pour les vertus que les Romains lui attribuaient et que les Gaulois auraient reprises à leur compte. Selon une autre hypothèse, le choix de l'animal tiendrait au jeu de mots entre Gallus, le Gaulois, et gallus, le coq, chez les Romains d'abord, ensuite chez les érudits de la Renais sance. Plus récemment, la Région wallonne a repris le coq, dessiné par P. Paulus, comme emblème de son identité. Le coq occupe ainsi une large place dans les écrits tant profanes que reli gieux. Que symbolise-t-il en définitive pour l'Occident ? 28
Par opposition à la tortue, dont l'étymologie indique l'origine infernale et donc nocturne (du lat. pop. tartaruca (bestia), lat. class. tartareus, du Tartare, les Enfers), le coq(1) "veille dans la nuit sombre, marque les heures par son chant, réveille ceux qui dorment, célèbre le jour qui s'approche". C'est l'animal du jour, de la vérité ; il règne sur une cour en assumant son rôle de chef de famille ; il incarne l'activité, la vigilance, le courage, la hardiesse. Il est associé à la prière et à la résurrection dans la religion chrétienne. Il ne pouvait donc trouver meilleure place qu'au sommet des clochers. Les origines du clocher Durant les premiers siècles de la chrétienté, les églises ne possèdent pas de clocher. Il faut attendre le 8e ou le 9e siècle pour voir, en premier lieu, l'Italie ériger des clochers. Cette innovation se répand alors en Occident, principalement à partir du 11e et du 12e siècle. D'abord indépendant de l'église qu'il dessert, le clocher joue surtout un rôle protecteur pour la population. Ensuite, il se place sur l'église même, au-dessus du portail d'entrée, à sa gauche et/ou à sa droite, sur le toit... Certaines églises comp tent quelquefois plusieurs clochers. Chaque région, chaque pays, chaque époque se distingue souvent par la Charlemagne. panie - dont l'italien aurait tiré le mot campana, la cloche. Et bien sûr, les clochers sont surmontés d'une croix, elle-même sommée d'un coq, dans les pays du nord de l'Europe en tout cas. De la girouette au coq... les légendes et l'histoire Placer un coq au faîte d'un clocher, c'était quasiment une nécessité, naguère. En effet, le paysan consultait cette girouette et savait dès lors le temps qu'il ferait, quelle besogne il devrait entreprendre. Si les prévisions météorologiques ont considérablement évolué depuis quel ques décennies, personne ne doute cependant de l'utilité d'une girouette dans les campagnes. Mais pourquoi au sommet d'un clocher ? Deux amusantes légendes illustrent l'origine du coq perché sur son clocher. La première est française, elle raconte que saint Pierre, dans un mouvement d'impatience et en vertu du don de miracles qu'il avait reçu du Christ, envoya au sommet d'un clocher un coq dont la fanfare sonore lui rappelait trop durement son triple renoncement, et le malheu reux volatile y resta tristement empalé. La seconde légende vient d'Espagne. Un jeune coq, mal formé au point de n'avoir qu'une patte, un œil et une aile, voulut voir du pays. Sa mère lui recommanda de fuir les cuisiniers et les églises consacrées à saint Pierre. Il n'en fit rien. Après avoir insulté le père de l'Eglise, il fut capturé par les cuisiniers du roi qui l'empalèrent et le rôtirent. L'ayant malheureusement carbonisé, ils durent le jeter dehors et le vent le fixa au sommet d'un clocher. Si l'historicité de ces légendes n'est évidemment rien de moins que douteuse, il reste que le clocher, jusqu'il y a peu, l'endroit le plus élevé de la contrée, était visible de tous en tous lieux. Mais pourquoi un coq sur le clocher ? Pourquoi pas une flèche, un oriflamme, un poisson ? Parce que cet animal intelligent, aux quali- (1) Le mot coq vient de l'onomatopée du cri de l'animal, qui a éliminé l'anc. franc, jal, de gallus. 29
tés et aux mérites mentionnés plus haut, était tout désigné pour occuper cette situation do minante et cette importante fonction. En outre, le panache de sa queue donne merveilleuse ment prise au vent, sans comp ter qu'au moyen âge, ses ailes étaient déployées. La girouette n'est cepen dant pas une création médiéva le, mais bien antique, si l'on en croit Vitruve. Celui-ci rapporte en effet qu'Andronicos de Cyr- rhus plaça un triton de bronze, en guise d'anémoscope, au-des sus de la Tour des Vents qu'il construisit à proximité de l'agora romaine d'Athènes, au 1er siècle av. J.-C. Cette tour octogonale servait à la mesure du temps et à l'observation météorologi que : une clepsydre à l'intérieur et le triton sur le toit, que le vent orientait et qui désignait son origine en montrant un des bas-reliefs des côtés de l'octogo- ne(2). Il faut néanmoins atten dre le 9e siècle pour lire à nou veau des textes parlant de gi rouettes. Cette fois, ces derniè res sont exclusivement des coqs, La plus ancienne représentation figurée d'un coq de clocher repris par la religion chrétienne se trouve sur la tapisserie de Bayeux dite de la Reine Mathil- de (11e siècle). On y voit la pose du coq, qui semble avoir les qui en fait, pour toujours, un de ailes déployées. ses symboles. La première ima Source : M. BARRAUD, Recherches sur les coqs des égli ses, Paris, 1850, p. 289. ge d'un coq comme girouette se trouve, elle, sur la tapisserie de Bayeux, dite "de la reine Mathilde" (11e siècle), et elle représente la pose d'un coq sur le clocher de l'église de Westminster. A partir du 10e siècle, les textes sont de plus en plus nombreux à mentionner la présence d'un coq sur les clochers, notamment à cause de la foudre qui frappait souvent ce fragile instrument. La fabrication du coq C'est non seulement pour la symbolique attachée à ce volatile que le coq a été choisi comme girouette, mais aussi pour une raison matérielle bien compréhen sible : sa silhouette est facile à dessiner et à découper dans le métal. Ce métal est (2) Selon M. Barraud, Recherches sur les coqs des églises dans le Bulletin monumental, 2e série, t. 6, Paris, 1850, p. 279, une seconde girouette antique est mentionnée par l'auteur anonyme du De arte architectonica, qui parle, lui aussi, d'un triton de cuivre semblable au précédent, sur le temple d'An- drogée de Cyrène à Rome. Des investigations poussées n'ont permis d'identifier ce temple ni dans l'espace ni dans le temps. 30
généralement du cuivre ; on s'en est vraisemblablement toujours servi car, sans s'oxyder profondément comme le fer, il se travaille aisément, se plie à toutes les formes qu'on souhaite lui donner et, même réduit à une mince épaisseur, il reste solide, à l'inverse du plomb, par exemple. On rencontre également quelques coqs en zinc. Le coq est en outre assez souvent enrichi d'une dorure. Dans ce cas, c'est une feuille d'or qui est collée et tamponnée sur le métal. Parfois aussi, des reliques sont insérées dans les flancs de la girouette, en guise de protection contre les menaces de l'atmosphère ; on y trouve de temps à autre des parchemins, qui relatent alors la date de l'érection ou de la réparation du clocher. Dans la fabrication traditionnelle d'une girouette, le coq est le plus fréquem ment martelé, rivé et soudé. Le cuivre a une épaisseur moyenne de huit dixièmes de millimètre. Il est appliqué sur une forme de bois, parfois de plomb, dans laquel le sont creusés les reliefs du coq. Une fois que le dessin s'est imprimé sur le métal par martelage, on le place sur un coussin de cuir rembourré de sable et on le frappe à l'aide d'un marteau pour lui donner du volume. On chauffe alors la plaque de métal pour la rendre malléable et ainsi la retravailler et l'égaliser. On martèle ensuite le pourtour, qui doit être plat pour la soudure, puis on affine le tout. Cette opération doit évidemment être effectuée deux fois, puisque le coq est composé de deux faces identiques. Celles-ci sont alors soudées puis rivées ; le coq pivote com me girouette grâce à un roulement à billes de verre. Namur, septembre 1983, Place Marché-aux-Légumes, le nouveau coq du clocher de l'église Saint-Jean-Baptiste. La hauteur du coq varie de cinquante à cent centimètres, selon l'importance de l'édifice. Au-dessus du coq, on place souvent un paratonnerre ; grâce aux pro grès techniques, on y met à présent des pastilles radio-actives qui empêchent l'arc électrique de se produire. Mais hélas, les oiseaux ne s'y posent plus... Une autre méthode de fabrication des coqs est la galvanoplastie. Cette méthode permet de créer, par électrolyse, un objet métallique au départ d'un mou- 31
le, ou un dépôt en surface d'une couche de métal. Cette méthode particulière se pratique surtout en France pour la fabrication des girouettes ; elle donne une épaisseur métallique assez irrégulière et nécessite quatre jours au moins pour obte nir un métal suffisamment épais. La girouette, la foudre ou la foi chrétienne... Avant de terminer ce tour d'horizon réalisé du haut de nos clochers, voici quelques textes parmi les plus significatifs relatant des anecdotes médiévales qui ont trait à cette sympathique girouette. □ Saint Swithin, évêque de Winchester, dédicaça sa nouvelle église en 980. Le moine Wolstan célèbre cet événement dans sa Vie de saint Swithin : "Un coq d'une forme élégante et tout resplendissant de l'éclat de l'or occu pe le sommet de la tour ; il regarde la terre de haut, il domine toute la campagne. Devant lui se présentent les brillantes étoiles du nord et les nombreuses constellations du zodiaque. Sous ses pieds superbes, il tient le sceptre du commandement et il voit au-dessous de lui tout le peuple de Winchester. Les autres coqs sont les humbles sujets de celui qu'ils voient ainsi planant au milieu des airs, et commandant avec fierté à tout l'Occi dent ; il affronte les vents qui portent la pluie et en se retournant sur lui- même, il leur présente audacieusement la tête. Les efforts terribles de la tempête ne l'ébranlent point, il reçoit avec courage la neige et les coups de l'ouragan ; seul il a aperçu le soleil à la fin de sa course se précipitant dans l'océan, et c'est à lui qu'il est donné de saluer les premiers rayons de l'auro re. Le voyageur qui l'aperçoit de loin fixe sur lui ses regards : sans penser au chemin qu'il a encore à faire, il oublie ses fatigues ; il s'avance avec une nouvelle ardeur. Quoiqu'il soit encore en réalité assez loin du terme, ses yeux lui persuadent qu'il y touche". (cité et traduit par M. BARRAUD, Recherches sur les coqs des églises, p. 282, qui reprend en fait J. MABILLON, Les actes des saints de l'ordre de saint Benoît, [v. 1680], t. VII, Vie de saint Swithin). □ La foudre tombe, en 1091, sur le coq de la cathédrale de Coutances. Le chroni queur de l'évêque Gaufroy de Montbray relate l'événement : "L'évêque sentant sa mort approcher et gémissant des désastres qui étaient arrivés à l'église, envoya chercher en Angleterre le plombier Brisonet. Il fit boucher toutes les fentes de la tour de plomb, réparer les tours et le chevet, refaire et replacer sur la grande tour le coq doré que la foudre avait détruit. Quand on lui eut appris que le coq tout éclatant de dorures était rétabli et replacé à l'endroit qu'il occupait auparavant, il ordonna qu'en le soulevant avec les deux bras et les deux mains, on le mît sur son séant. Assis de la sorte sur son lit, il pria et rendit grâce à Dieu ; puis s'étant recouché : j'au rais craint, dit-il, si ma mort était arrivée plus tôt, que ce coq ou un autre semblable ne fût jamais remonté en cet endroit". (cité et traduit par M. BARRAUD, op. cit., p. 281, qui reprend en fait le Bulletin monumental de A. de CAUMONT, t. 15, p. 532). □ Au 13e siècle, Guillaume Durand s'exprime ainsi dans son Rational des divins offices, I, 1, 22, édition de 1574 : "Le coq placé sur l'église est l'image des prédicateurs : car le coq veille dans la nuit sombre, marque les heures par son chant, réveille ceux qui dorment, célèbre le jour qui s'approche ; mais d'abord il se réveille et s'ex cite lui-même à chanter, en battant ses flancs de ses ailes. Toutes ces choses ne sont pas sans mystère : car la nuit, c'est ce siècle ; ceux qui dorment, ce sont les fils de cette nuit couchés dans leurs iniquités. Le coq représente les prédicateurs qui prêchent à voix haute et réveillent ceux qui dorment 32
afin qu'ils rejettent les œuvres des ténèbres, et ils crient : "Malheur à ceux qui dorment ! Lève-toi, toi qui dors !" Ils annoncent la lumière à venir, lorsqu'ils prêchent le jour du jugement et la gloire future ; mais, pleins de prudence, avant de prêcher aux autres la pratique des vertus, ils se réveil lent du sommeil du péché et châtient leur propre corps. L'apôtre lui-même en est témoin, quand il dit : "Je châtie mon corps et je le réduis en servitu de, de peur que par hasard, après avoir prêché aux autres, je ne vienne moi-même à être réprouvé." Et de même que le coq, les prédicateurs se tournent contre le vent, quand ils résistent fortement à ceux qui se révoltent contre Dieu, en les reprenant et en les convainquant de leurs crimes, de peur qu'ils ne soient accusés d'avoir fui à l'approche du loup. La verge de fer sur laquelle le coq est perché représente la parole inflexible du prédica teur, et montre qu'il ne doit pas parler de l'esprit de l'homme, mais de celui de Dieu, selon cette parole : "Si quelqu'un parle, que *«e soient les discours de Dieu... " Et parce que cette verge elle-même est posée au-des sus de la croix ou du faîte de l'église, cela signifie que les Ecritures sont consommées et confirmées". (cité et traduit par E. VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire raisonné..., t. 4, s.v.coq, pp. 305-306). □ Un manuscrit médiéval, repris par E. DUMERIL dans ses Poésies latines du Moyen Age, Evreux, 1847, p. 12, donne ces indications : "Beaucoup de prêtres ignorent pourquoi d'ordinaire le coq se dresse au-des sus de la maison du Seigneur ; je vais vous l'expliquer en peu de mots, si vous daignez me prêter une oreille bienveillante. / Le coq, cette admirable créature de Dieu, est la figure du prêtre qui a soin d'une paroisse et s'oppo se à ce qui pourrait nuire à son troupeau. / Au-dessus de l'église, le coq se tourne contre le vent et tient avec soin sa tête relevée : ainsi, le prêtre, quand il devine l'approche de Satan, doit lutter contre lui pour sauver ses ouailles. / Seul de tous les oiseaux, le coq perché au milieu des airs, entend les concerts des anges : il nous apprend ainsi à rejeter les paroles des mé chants et à goûter les secrets des deux", (cité et traduit par E. MARTIN, Le coq de clocher, pp. 39-40). □ En 820, l'Italien Rampert, évêque de Brescia, fit fondre et placer un coq au sommet de son église. Il y fit graver une inscription : "Le seigneur Rampert, évêque de Brescia, ordonna de fabriquer ce coq, en l'année du Seigneur (...) 820, (...) durant la sixième année de son épiscopat". L'auteur qui cite cette anecdote affirme qu'à son époque (17e s.), on voyait encore ce coq de bronze à Brescia. (cité par M. BARRAUD, op. cit., p. 283 et par E. MARTIN, op. cit., p. 6, qui reprennent en fait F. UGHELLI, Italia sacra, t. 4, p. 535, édition de 1719). L'avenir du coq de clocher Actuellement, lorsqu'on érige une nouvelle église, il est devenu peu fréquent d'y voir un coq la dominant. Lourde erreur pour la perpétuation de cette antique tradition, alors qu'il est si plaisant, mais si rare, de devoir assister à la touchante cérémonie qui égaie de son folklore le village ou le quartier qui place un nouveau coq après avoir restauré le clocher de son église. Dégradation des traditions en cette fin de siècle trépidante ou, peut-être, étrange pérennité des choses ? Au siècle passé déjà, E. Viollet-le-Duc se plaignait de cette situation : "Ce symbole de vigilance, dit-il, de lutte contre les efforts du vent, placé au point le plus élevé des monuments religieux, appartient à l'Occident. Il n'est pas question de coqs placés sur les clochers des églises de l'Italie méridiona le. Serait-ce pour cela qu'on les a enlevés de la plupart de nos églises ? Ou que du 33
moins on ne les replace pas gé néralement lorsqu'on les restau re ?" (op. cit., s.v.coq, pp. 306- 307). En 1904, E. Martin (op. cit., p. 42) écrit, lui aussi : "Mais, s'il encourait une disgrâ ce, par cette manie d'innover qui tourmente notre génération, je pense qu'il trouverait des ar chéologues et des artistes pour plaider la cause de ce bon et fi dèle oiseau qui depuis tant de siècles nous donne des indica tions si utiles et des enseigne ments si précieux. De si longs états de service ne méritent-ils point des égards ?" Etienne GUILLAUME BIBLIOGRAPHIE — C. ARENDT, La significa tion du coq sur les clochers de nos églises, dans Organe Avril 1990 - Le nouveau coq est placé au sommet de l'église de Salzinnes (Namur). de l'art chrétien, Luxem bourg, 1886. — M. BARRAUD, Recherches sur les coqs des églises, dans Bulletin monumental (ou collection de mémoires et de renseignements sur la statistique monumentale de la France) publié par A. de Caumont, 2e série, t. 6, Paris, 1850, pp. 277-290. — R. BORDEAUX, Coqs sur croix de clochers, dans Bulletin monumental, 2e série, t. 7, Paris, 1851, pp. 527-529. — F. CABROL et H. LECLERCQ, Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, t. 3, 2e partie, Paris, 1914, s.v.cog. — J. CHEVALIER et A. GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles. Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, coll. Bouquins, R Laffont, 1983, s.v.coq. — A. GIRARD, Le coq, personnage de l'histoire, s.l.n.d. — P. LADOUE, Clochers, Paris, 1930. — E. MARTIN, Le coq de clocher. Essai d'archéologie et de symbolisme, dans Mémoires de l'Académie de Stanislas, Nancy, 1904, pp. 3-42. — M. PIGNOLET, Le coq des églises et son folklore, dans Terres d'Herbeumont à Orchimont, bulletin annuel, n° 8, 1982, pp. 32-38. — M. PIGNOLET, La symbolique du coq, dans Le Guetteur Wallon, 1985, pp. 81-104. — E. VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire raisonné d'architecture française du XIe au XVIe siècles, t. 4, Paris, 1875, s.v.cog. 34
NUMISMATIQUE L'ATELIER MONÉTAIRE DE FOSSES AU MOYEN AGE On sait qu'au Moyen Âge, la ville de Fosses faisait partie de la principauté de Liège et que celle-ci était elle-même un état membre de l'empire germanique. L'empereur était donc le souverain du prince-évêque de Liège. C'est en l'an 907 que l'abbaye de Fosses fut donnée, à titre perpétuel, à l'église de Liège par l'empereur Louis IV(1). A cette époque, le droit d'émettre de la monnaie était, en principe, un droit régalien, c'est-à-dire un droit réservé au souverain, à l'empereur. C'est Charlema- gne qui, en 805, avait décrété l'interdiction de frapper monnaie sans sa permission et ailleurs qu'au palais impérial(2). Toutefois, au cours du Xe siècle, les successeurs de Charlemagne, qui ré gnaient sur l'empire germanique et qui entretenaient de bonnes relations avec les princes-évêques de Liège, accordèrent à ceux-ci un "droit de monnayage" (un "jus monetze") dans trois villes de la principauté : Maastricht, Fosses et Huy. En 908, l'empereur Louis IV confia à l'église de Liège la possession de la monnaie et du tonlieu(3) de Maestricht». De même, en 974, l'empereur Otton II accorda au prince- évêque Notger certains pouvoirs, tels le tonlieu, le marché et la monnaie, à Fos se^. En 985 enfin, l'empereur Otton III, en ratifiant en faveur de l'église de Liège, la donation du comté de Huy, y inclut la monnaie et d'autres revenus*6'. Ces concessions de "monnaie", au profit des princes-évêques de Liège, im pliquaient-elles, en faveur de ceux-ci, le droit d'exploiter eux-mêmes un atelier monétaire, le droit de frapper monnaie, ou, au contraire, se limitaient-elles à leur abandonner le bénéfice de la frappe ? La question a été controversée*7'. (1) Diplôme publié par C. KAIRIS, Notice historique sur la ville de Fosses, 1859, p. 89 et par J. BORGNET, Cartulaire de la commune de Fosses, 1867, pp. 4 et 5. - L'original du document, sur vehn, se trouve aux Archives de l'Etat, à Liège, et une photographie, conforme à l'original, est exposée au greffe de la justice de paix de Fosses. (2) F HENAUX, Considérations sur l'histoire monétaire du pays de Liège, dans Revue belge de numismatique (en abrégé R.B.N.), Bruxelles, 1846, p. 264. - H. FRERE, Les noms de lieux sur les monnaies carolingien nes de Belgique, dans R.B.N., 1977, p. 134, note 5. (3) Le tonlieu était l'impôt payé par les marchands, pour pouvoir exposer leurs marchandises. (4) J., baron de CHESTRET de HANEFFE, De la restitution aux évêques de Liège de certaines monnaies, soi-disant impériales, dans R.B.N., 1866, p. 5. (5) H. FRERE, Le droit de monnaie de l'évêque de Liège, dans La Revue Numismatique, Paris, 1966, p. 79. (6) de CHESTRET, op. cit., p. 5. (7) Au sujet de cette controverse, voir de CHESTRET, op. cit., pp. 1 et 2. 35
En ce qui concerne le diplôme impérial de 974 intitulé "Donatio thelonei, fori et monete in Fossis per Ottonem imperatorem"™ ("Donation du tonlieu, du marché et de la monnaie à Fosses, par l'empereur Otton"), un érudit liégeois, le baron de VILLENFAGNE, a écrit, au début du siècle dernier, ce qui suit : "Cherchons, s'il est possible, quel était ce droit de monnaie et les autres dont il est parlé dans ce diplôme. Selon certains, moneta signifie égale ment le droit de lever quelque redevance dans les lieux où l'on fabriquait les rnonnaies et celui de battre monnaie. Cette interprétation n'est pas sa tisfaisante ; il n'est pas croyable qu'on ait fait autrefois de la monnaie partout, c'est-à-dire dans les plus petites villes, telle qu'était alors Fosses et qu'elle a été depuis".(9) L'auteur de ce texte se trompe lourdement, car s'il est vrai que Fosses est devenue, à l'époque contemporaine, une petite ville d'importance secondaire, il n'en était pas de même autrefois. Déjà à l'époque mérovingienne et sous le règne des premiers carolingiens, le monastère de Fosses avait joué un rôle de premier plan dans l'expansion du monachisme irlandais. Dans un ouvrage récent consacré aux abbayes de l'Entre-Sambre-et-Meuse, Alain DIERKENS affirme que Fosses fut une "abbaye-clé pour la pénétration des moines irlandais sur le continent et que son rayonnement fut capital"(10). Au Xe siècle, Fosses n'avait rien perdu de son importance dans la principauté de Liège. Je n'en veux pour preuve que les termes mêmes de l'acte général de 980, qui s'exprime comme suit : "super universas pos- sessiones ejusdem matris ecclesie quarum iste sunt capitales : Hoiem, Fosses, Lo- bies, Tungres, Malisnes"in) (sur l'ensemble des possessions de cette même mère l'église dont les capitales sont : Huy, Fosses, Lobbes, Tongres et Malines). Fosses n'était donc pas, à l'époque, une petite ville insignifiante, mais elle comptait, au contraire, parmi les "capitales", parmi les chefs-lieux des "provinces" du pays de Liège. N'en déplaise au baron de yiLLENFAGNE qui, en tant qu'ancien bourg mestre de Liège(12), ne pouvait sans doute imaginer que son évêque ait pu user du droit de frapper monnaie autre part... qu'à Liège ! En tout cas, d'éminents spécialistes03) ont tranché la controverse relative à l'étendue du "droit de monnayage" accordé par le pouvoir impérial aux évêques de Liège : il s'agissait, bel et bien, du droit de frapper monnaie, d'exploiter un atelier monétaire et d'en percevoir les profits. "Il faut comprendre par le mot moneta écrit le baron de CHESTRET(14>, la monnaie dans le sens le plus large, c'est-à-dire l'atelier monétaire avec tout ce qu'il contient, ainsi que les profits et les droits attachés au monnayage". Quant à Hubert FRERE"5», il précise que "la frappe de la monnaie est un acte d'administration par lequel le prince, maître de la monnaie, met du numéraire en circulation pour les besoins de la vie économique. C'est également une opération lucrative, car l'émission est, pour le prince, le moyen de percevoir des revenus : elle se fait de manière telle que le cours des espèces nou- (8) C'est l'intitulé de Liber Cartarum : BORGNET, op. cit., p. 4. (9) H.-N., baron de VILLENFAGNE, Recherches sur l'histoire de la ci-devant principauté de Lièse 1812, cité par KAIRIS, op. cit., pp. 62 et 63. (10) A. DIERKENS, Abbayes et chapitres de l'Entre-Sambre-et-Meuse (VIP-XP siècles). Contribution à 1 histoire religieuse des campagnes du Haut Moyen Age, Sigmaringen, 1985, pp. 302 et 303. (11) II s'agit de l'acte général par lequel l'empereur Otton II confirme toutes les donations que ses prédécesseurs ont faites à l'église de Liège : G. KURTH, Notger de Liège, 1905, t. II, p. 64. Texte publié par CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Tungrensium, Trajectensium et Lod'iensium scrin- serunt auctores praecipui,Liège, 1612-1616, t. I, p. 209 et reproduit dans H. FRERE, Monnaies de leveque, frappées à Liège avant 1344 et à Avroy, dans R.B.N., 1963, p. 38, note 7. (12) Hilarion-Noël, baron de VILLENFAGNE d'INGIHOUL, fut bourgmestre de Liège en 1791 (Biogra phie nationale de Belgique,t. XXVI, col. 758). (13) Citons, parmi d'autres, PIOT, PETIT, DE COSTER, PROU, BLANCHET et ALBRECHT ; réfé rences dans FRERE, Le droit de monnaie..., op. cit., p. 70, notes 2 et 4. (14) De la restitution..., op. cit., p. 2. (15) Le droit de monnaie, op. cit., pp. 72 et 73. 36
velles soit supérieur à leur prix de revient ; le bénéfice sera appelé seigneuriage. Le prince, enfin, dit aussi les conditions d'utilisation de la monnaie dans toute l'étendue du territoire soumis à son autorité et les profits qu'il tire de l'émission pèsent sur ses sujets comme un impôt". Mais les princes-évêques de Liège allèrent plus loin : non contents d'exploi ter les ateliers monétaires qui leur avaient été concédés par leur souverain et d'en tirer profit, ils vont légiférer sur la monnaie, en fixer le poids, en déterminer le cours et édicter des amendes en cas d'infraction. Ils vont prendre l'habitude d'omettre le nom de l'empereur sur les pièces de monnaie, pour y substituer les noms de titulaires d'églises locales comme Saint-Servais à Maastricht et Saint-Domi- tien à Huy. Enfin, ils vont signer les pièces de leur propre effigie et de leur propre nom06'. En résumé, il est clair qu'à la fin du XIe siècle, l'évêque de Liège régentait la monnaie comme si l'empereur n'existait plus. Les concessions du jus monetae octroyées par les empereurs aux évêques de Liège ne prévoyaient certes pas une telle évolution. Certains, tels que CHALON(17) et PROU(18), y voient une véritable usurpation de droits, tandis que Hubert FRE RE09' le qualifie plus pudiquement "d'émancipations successives" des princes-évê ques à l'égard du pouvoir impérial. Mais revenons-en à notre bonne ville de Fosses et examinons de plus près la charte octroyant au prince-évêque Notger le jus monetse dans notre cité. Le diplôme, donné à Erfurt, en 974, est libellé comme suit : "In nomine Sancte et Individue Trinitatis (Au nom de la Sainte et Indivisible Trinité), Otto divina favente clementia imperator (Otton, empereur par faveur de la clémence divine)... ob amore Notkeri venerabilis Leodensis episcopi (par amour de Notger, vénérable évêque de Liège)... eidem venerabili episcopi concessimus ut in loco Fossas nuncupato thelonem, mercatumque et monetam... constitueret (nous concé dons à ce vénérable évêque les droits de percevoir le tonlieu, d'établir un marché et de battre monnaie dans le lieu appelé Fosses)"(20). Ce texte présente deux particularités qui méritent de retenir l'attention; Tout d'abord, il associe le droit de frapper monnaie aux droits d'établir un marché et de percevoir le tonlieu. Ensuite, il accorde ces droits, non pas à l'église de Liège, mais au prince-évêque en personne. Dans les concessions faites par les empereurs aux évêques de Liège, la mon naie n'était jamais citée seule et la cession du tonlieu accompagnait ordinairement celle de la monnaie (21\ comme à Maastricht en 908 et à Huy en 985. Or, c'est à Fosses, en 974, que, pour la première fois, la monnaie est associée non seulement au tonlieu, mais aussi au marché. Par la suite, ces trois notions seront souvent rapprochées, comme s'il s'agissait d'un ensemble allant de soi
même, mais bien à l'église Saint-Lambert de Liège que gouverne l'évêque(24). Il n'existe qu'une seule exception : à Fosses, où l'empereur Otton concède le droit de battre monnaie à Notger en personne. Comment expliquer cette singularité ? Sans doute par l'estime et l'affection que l'empereur portait au plus illustre des princes-évêques de Liège, "ob amore NotkerF. Quoi qu'il en soit, les évêques de Liège n'ont jamais possédé, en fait, les pleins pouvoirs sur la monnaie. Ils devaient suivre des règles consacrées par la coutume et par la loi, notamment au sujet du poids et du titre des espèces(25) et le chapitre Saint-Lambert surveillait les émissions de monnaie : "l'évêque avait le premier rôle, mais non le seul"(26), ce qui n'empêcha pas certains successeurs de Notger d'abuser de leurs droits, comme nous allons le voir. Voici donc les princes-évêques de Liège investis du droit de frapper monnaie à Fosses, dès l'an 974. Usèrent-ils de ce droit ?I1 semble que ni Notger ni ses successeurs immédiats ne le firent. Ils monnayèrent toutefois dans d'autres villes de la principauté, au XIe siècle(27). Certains auteurs affirment, mais sans en apporter de preuve tangible, qu'on possède un grand nombre de pièces sorties de la forge monétaire de Fosses au Moyen Âge(28). A notre connaissance, on n'a, jusqu'à présent, retrouvé que quatre types de monnaies frappées à Fosses à cette époque : un denier du prince-évêque Otbert, qui régna de 1092 à 1119. Un esterlin et un demi-gros frappés par le prince-évêque Hugues de Chalon en 1298. Un tournois émis par le prince-évêque Thibaut de Bar, dont le règne se situe entre 1303 et 1312(29). Précisons qu'au Moyen Âge, le denier était une pièce composée d'un alliage contenant une importante quantité d'argent (au moins 80%). Une obole valait la moitié d'un denier. Le gros n'était autre que la monnaie d'argent instituée par saint Louis. On qualifiait de demi-gros des monnaies dévaluées. L'esterlin, mon naie d'origine écossaise, valait un tiers de gros. Quant au tournois, ce fut d'abord la monnaie frappée à Tours au XIIe siècle, puis la monnaie émise en d'autres lieux sur le modèle de celle de Tours. Ceci dit, examinons de plus près lés pièces de monnaie fossoise qui ont été retrouvées jusqu'à présent. Le denier d'Otbert (1092-1119) Deux exemplaires de cette pièce ont été découverts en Russie, en 1896, et déposés au Cabinet royal des médail- (24) FRERE, Le droit de monnaie..., op. cit., p. 83. (25) HENAUX, op. cit., p. 273. (26) FRERE, Le droit de monnaie..., op. cit., p. 85. (27) Des pièces furent frappées à Liège, à Maestricht et à Huy sous le règne de l'empereur Otton II (983-996). L'évêque Théoduin (1048-1075) monnaya à Ciney et à Thuin. Enfin, on a retrouvé des pièces de monnaie émises par l'évêque Wazon (1043-1048) à Huy et par l'évêque Henri de Verdun (1075-1091) à Visé. (28) H. LE CATTE, Notes bibliographiques pour servir à l'histoire monétaire de la ville de Fosses dans R.B.N. 1880, p. 128. (29) Les reproductions graphiques de ces pièces sont dues à la plume de mon ami Hector COOREMANS auquel j'adresse mes remerciements. 38
les de Berlin(30). La pièce fut publiée par MENADIER, dans le "Berliner Mùnz- blatt", en 1896(31), et par DANNENBERG, en 1898(32). L'avers de la pièce représente le buste d'Otbert, crosse, nu-tête, de face, entre deux annelets doubles*33», avec la légende "OBERT EPS" (OBERT EPISCO- PUS). On peut voir, à l'envers, un bâtiment flanqué de deux tourelles et entouré d'un mur d'enceinte, avec les lettres FO (FOSSES). Sur les pièces de monnaie frappées par les évêques de Liège, le premier symbole de l'autonomie est une crosse épiscopale. Ensuite apparaît un bâtiment important figurant la cité de Liège et enfin, à la fin du XIIe siècle, un bâtiment à deux tours, bien caractérisé : la cathédrale(34). L'évêque Otbert passe pour avoir fréquemment diminué la valeur de la mon naie. Il fut même, pour cette raison, réprimandé publiquement par l'archevêque de Cologne, en 1104(35). Les accusations portées contre Otbert paraissent fondées*36», et certains deniers de cet évêque étaient d'un poids tellement faible qu'on les prenait pour des oboles. Bref, ce prince est notoirement le premier évêque de Liège qui ait spéculé sur la monnaie et c'est pour cette raison qu'il a monnayé à Fosses. L'esterlin d'Hugues de Chalon (1296-1301) Cette pièce fut publiée dans l'"Annuaire de la Société française de numismatique", en 1888. Elle faisait, à l'époque, partie de la collection de maât Raymond SERRURE, de Paris(37). Elle porte à l'avers, une tête de face couronnée de trois rosés. Légende : EPISCOPUS : LEODIEN (évêque de Liège). A l'envers, une croix pattée cantonnée de quatre groupes de trois globules. Légende : MONETA FOSSES (monnaie de Fosses). L'esterlin frappé par les Edouard, rois d'Angleterre, et qui représente une tête de face, fut, au XIIIe siècle, imité par la plupart des seigneurs qui régnaient dans nos régions. Le prince-évêque de Liège, Hugues de Chalon, en fit forger à Huy et à Fosses ; il s'agissait, en fait, de monnaies dévaluées et composées d'un argent de bas titre(38). (30) C. DUPRIEZ, Un denier d'Otbert, évêque de Liège, frappé à Fosses, dans la Gazette numismatique, 1897, p. 49. (31) A. DE W., Monnaies liégeoises nouvelles, dans R.B.N., 1897, p. 38. (32) H DANNENBERG, Die deutschen Mùnzen des sâchschischer und frànkischen Kaiserzeit, t. III, compte rendu dans R.B.N., 1898, pp. 221 et 222. (33) Certains auteurs distinguaient, en numismatique liégeoise, une période calottée (1002-1167) et une période mitrée (1167-1344) ; voir HENAUX, op. cit., p. 263. (34) FRERE, Monnaies..., op. cit., p. 43. (35) DUPRIEZ, op. cit., p. 50. (36) de CHESTRET de HANEFFE, Numismatique de la principauté de Liège et de ses dépendances, Bruxelles, 1890, p. 81. (37) R. SERRURE, Numismatique liégeoise. Un esterlin frappé à Fosses, dans Annuaire de la Société française de numismatique et d'archéologie, 1888, pp. 259-261. (38) R. SERRURE, op. cit., p. 259. 39
Le demi-gros d'Hugues de Chalon (1296-1301) Cette pièce fut décrite par VON MADER en 1813, puis publiée dans la "Revue belge de numismatique" en 1871
Elle porte, à l'avers, dans le champ, la représentation classique et stylisée d'un chatel "tournois"(45), le tout entouré d'une bordure composée d'une crosse et de onze fleurs de lys. Légende : TH'B - EPISCOPUS (Thi baut, évêque). A l'envers, une croix brève et pattée. Légende extérieure : + NOMEN : DNI SIT : BENEDICTUM (Que le nom du Seigneur soit béni). Légende intérieure : + MONTA-PHOSIS (monnaie de Fosses). Il ne semble pas que l'évêque Thibaut de Bar ait, comme ses prédécesseurs Otbeft et Hugues de Chalon, frappé monnaie dans un but de spéculation ou de lucre. S'il a forgé monnaie à Fosses, c'est sans doute dans un souci de décentralisation moné taire, et peut-être pour asseoir son autorité aux confins de la principauté'46'. En conclusion, il est certainement établi qu'un atelier monétaire a fonction né à Fosses, au Moyen Âge, et qu'au moins trois évêques de Liège y ont frappé monnaie, depuis la fin du XIe siècle jusqu'au début du XIVe siècle. Cet atelier monétaire était situé dans la résidence même de l'évêque, près de l'actuelle place du chapitre, in domo sua(47). Les pièces étaient faites d'un alliage contenant de l'argent, et fabriquées suivant une technique assez simple. On forgeait à chaud les lames avec un marteau pesant et un mouton. On coupait ces lames en morceaux carrés, qu'on arrondissait avec de grosses limes et qu'on ajustait avec des limes moins fortes. Enfin, les flancs étaient frappés au marteau(48). Telles furent les activités de l'atelier monétaire de Fosses au Moyen Âge. Mais avant de clôturer cette étude, il nous reste à examiner un problème qui a intrigué les numismates et les historiens, depuis de nombreuses années : c'est celui de l'existence de mystérieuses pièces d'or qui ont circulé à Fosses. De quoi s'agit-il ? En 1137, le chapitre de Fosses avait donné le domaine de l'église du Rœulx à des moines, pour y fonder un monastère. Or, l'acte de donation stipule que, chaque année, ces moines devront payer au chapitre de Fosses, en tribut de respect et à titre de cens, "un denier d'or ou douze deniers"*49'. (45) Le château est stylisé de la même manière que sur les monnaies émises à Tours, d'où l'appellation de "chatel tournois". (46) J. de CHESTRET, La question monétaire au pays de Liège, sous Hugues de Chalon, Adolphe et Englebert de la Marck, dans R.B.N., 1886, pp. 149 et suiv. (47) Annales Fossenses, op. et loc. cit. (48) HENAUX, op. cit., p. 267. (49) Acte de fondation de l'abbaye de Saint-Feuillen du Rœulx, dans Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. IV, 1867, p. 400. Le texte est rédigé en ces termes : "aureum nummum vel duodecim nummos", qui doivent se traduire par "un denier d'or ou douze deniers" ; voir J F NIERMEYER, Mediœ latinitatis Lexicon, Leiden, 1976, p. 724, qui enseigne "nummus i.q. denarius". A noter que J. de CHESTRET, Numismatique..., op. cit., p. 53, commet une erreur en affirmant qu'il s'agissait "d'un écu d'or ou douze deniers d'argent, monnaie de Saint-Feuillen" ; il semble que cet éminent numismate n'ait pas consulté le texte de l'acte de fondation de l'abbaye du Rœulx et qu'il ait raisonné par analogie avec d'autres textes relatifs à la monnaie d'or de Fosses. 41
De même, en 1198, l'acte de fondation du prieuré d'Oignies prévoit que les moines de ce prieuré seront placés sous la protection du chapitre de Fosses, moyen nant le paiement annuel, au dit chapitre, "d'un denier d'or valant douze deniers monnaie courante"'50'. En 1514, enfin, le chapitre de Fosses accorda aux Sœurs grises la gestion de l'hôpital Saint-Nicolas et, dans l'acte de cession, il est expressément stipulé que les Sœurs seront désormais tenues de payer, chaque année, au chapitre "un denier d'or en la valeur de douze patars, bonne monnaie, armoriée de Saint-Feuillen et de ses armes"(51). Ces redevances semblent avoir été régulièrement payées au cours des siècles. Ainsi, un registre du début du XVe siècle rappelle que le chapitre de Fosses rece vait chaque année, "une obole d'or" du prieuré d'Oignies. Un autre registre, datant de 1770, mentionne que, chaque année, les Sœurs grises et les moines de l'abbaye du Rœulx venaient présenter "une médaille d'or" au chapitre de Fosses, en lui demandant sa protection*52». L'analyse de ces textes mérite quelques réflexions. Tout d'abord, le parallélisme existant entre les actes translatifs de propriété de l'abbaye du Rœulx, du prieuré d'Oignies et de l'hôpital Saint-Nicolas, fait appa raître que si ces trois institutions avaient l'obligation de payer un tribut annuel au chapitre de Fosses, c'était en témoignage de dépendance à l'égard de ce chapitre qui, en contrepartie, leur devait aide et protection. Ensuite, on remarque que le mode de paiement de cette redevance, qui consistait en un "denier d'or" ou une "obole d'of au Moyen Âge, devient une "médaille d'or" aux Temps modernes. Dans son étude inédite sur la monnaie de Fosses, le doyen Crépin signale qu'il a, en fait, découvert une médaille d'or du XVIIe siècle "dans une caissette en bois, renfermant diverses petites boîtes à reliques"*53'. Grâce à l'amabilité de l'actuel doyen de Fosses, l'abbé P. Bero, j'ai pu retrouver cette médaille, qui repose toujours au presbytère. En voici la reproduction et la description*54' : A Vavers, un dessin gravé au trait représente un moine, les bras déployés, les mains éten dues et le crâne rasé, à l'excep tion d'une couronne de cheveux. La date est indiquée : 1671. A Venvers, une couronne surmonte les initiales S.F. sous lesquelles s'étalent trois feuilles d'une plante. (50) E. PONCELET, Chartes du prieuré d'Oignies, dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. XXXI, 1912, p. 3 ; le texte porte : "aureum denarium XII denarios publiée monete valentem". (51) C. KAIRIS, op. cit., p. 102. (52) Ces deux registres ne sont autres que le Nécrologue de Fosses (p. 23) et le Registre de la Chanterie (pp. 62 et 63), cités par J. CREPIN, La monnaie de Fosses, manuscrit inédit, pp. 8 et 9. J'ai pu consulter ce manuscrit grâce à la bonne obligeance de son possesseur, Monsieur Jean Romain, que je remercie vivement. Le doyen J. Crepin (1873-1938) a publié plusieurs études relatives au passé historique de Fosses. (53) J. CREPIN, op. cit., p. 10. (54) La médaille a été dessinée par H. LESIRE, greffier à la justice de paix de Fosses, que je remercie pour sa collaboration. 42
Que représente cette médaille et quelle est son origine ? Le doyen Crépin croit que la médaille, qui, selon lui, porte-les initiales de Saint-Feuillen (S.F.), est une de celles que les Sœurs grises ou les moines de l'ab baye du Rœulx devaient présenter, chaque année, au chapitre de Fosses(55). C'est possible, mais peu probable. En réalité, l'hypothèse la plus plausible paraît être celle qui m'a été fournie par le doyen Bero : le moine représenté à l'avers de la médaille est une figuration typique de saint François d'Assise, avec les initiales de celui-ci "S.F." à l'envers de la pièce. Or, lorsqu' on sait que les Sœurs grises de Fosses vénéraient saint François comme patron de leur couvent, il en ressort que la médaille émane, selon toute vraisemblance, de cette institution. Ne s'agit-il pas d'une médaille frappée à l'occasion d'une cérémonie, d'une commémoration ou d'un autre événement relatif au couvent des Sœurs grises ? Et même si la médaille est l'une de celles offertes, au XVIIe siècle, par le couvent des Sœurs grises, au chapitre de Fosses, cela n'en résout pas, pour autant, le problème des pièces d'or visées par les textes du Moyen Âge et décrites dans l'acte de cession de l'hôpital Saint-Nicolas(56). La question, en effet, est de savoir s'il s'agissait, à cette époque, d'une véritable monnaie ayant cours légal, ou d'un autre mode de paiement. Il y a quelque cent ans d'ici, la découverte et la publication, par plusieurs historiens
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