AERODREAM ARCHITECTURE, DESIGN ET STRUCTURES GONFLABLES 23.08.2021 - Centre Pompidou Metz
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SOMMAIRE 1. PRÉSENTATION P.3 2. PARCOURS DE L’EXPOSITION P.6 3. QUESTIONS AU COMMISSAIRE P.17 4. MOTS EN LIBERTÉ P.20 5. RESSOURCES P.39 6. INFORMATIONS PRATIQUES P.41 En couverture : Anish Kapoor, Ark Nova, 2013 © Anish Kapoor. All rights reserved DACS/ADAGP, 2021 Photo Credits: Anish Kapoor Studio; Iwan Baan; Yu Terayama; IAA Isozak Aoki and Associates 2 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
1.PRÉSENTATION AERODREAM. ARCHITECTURE, DESIGN ET STRUCTURES GONFLABLES > 23.08.2021 Galerie 3 Commissaires : Frédéric Migayrou et Valentina Moimas, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Centre Pompidou. Adaptation pour la Cité de l'architecture & du patrimoine : Stéphanie Quantin-Biancalani, Conseiller scientifique et Conservateur, responsable de la collection d’architecture moderne & contemporaine de la Cité de l'architecture et du patrimoine. L’exposition Aerodream. Architecture, design et structures gonflables a été conçue par le Centre Pompidou-Metz en coproduction avec la Cité de l’architecture & du patrimoine, avec le soutien du Centre Pompidou. Kengo Kuma, Fu An, 2007 © Kengo Kuma & Associates, Galerie Philippe Gravier, Paris L’image de l’Homo bulla, qui pour Erasme évoquait la brièveté de la vie, la fugacité du temps, référence des peintures de vanités depuis le XVe siècle jusqu’aux œuvres de Chardin ou Manet, se mêle avec celle du pneuma, du souffle, évocation du vivant, de l’animé, de l’âme pour les croyances religieuses. Le gonflable est aussi une enveloppe, une métaphore de la peau et de la finitude du corps, mais aussi de son extension, de son apesanteur, premier instrument du vol, de la montgolfière à l’épopée des aérostats. L’histoire des gonflables est empreinte de ces univers symboliques, de cette polysémie qui ressurgira avec force dans nombres de recherches qui participeront à l’efflorescence des projets d’artistes et d’architectes à la fin des années soixante. À l’inverse, l’histoire des gonflables est aussi une histoire industrielle étroitement liée à ses usages militaires initiés dès la Seconde Guerre mondiale (dirigeables, ensembles flottants et leurres gonflables...), puis avec le déploiement des radômes, des ballons sondes, notamment par la NASA. Après Frank Lloyd Wright, Richard Buckminster AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
Fuller trouvera dans le gonflable une extension de ses recherches sur les dômes géodésiques, initiation d’une architecture de la mobilité, sans fondation, mais aussi enveloppe climatique. L’apparition de nouveaux matériaux (caoutchouc et dérivés, plastiques, résilles tissées...) a démultiplié les usages et applications possibles des structures gonflables leur donnant une importante crédibilité architectonique exploitée par des architectes comme Victor Lundy, Walter Bird, Frei Otto, Gernot Minke, Cedric Price ou Arthur Quarmby. En mai 1967, un colloque sur le sujet fait évènement à Stuttgart et constitue la référence pour des collectifs d’architectes en quête d’une nouvelle architecture mobile et modulable comme Archigram, Ant Farm, Eventstructure Research Group, Coop Himmelb(l)au, Haus Rucker - Co, ainsi que pour des artistes du monde entier tels Graham Stevens ou Panamarenko et des architectes tels que Jean Aubert, Jean - Paul Jungmann, Antoine Stinco, Hans Walter Muller, Johanne et Gernot Nalbach ou Günther Domenig et Eilfried Huth. Mais c’est au travers de quelques expositions mythiques que le gonflable trouvera un écho international et une image publique, notamment l’exposition Structures gonflables au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1968, les pavillons de l’Exposition universelle d’Osaka en 1970 (dont ceux de Yutaka Murata et de Taneo) et enfin à Kassel pendant la documenta 4 (1968) où Christo installe son 5600 Cubicmeter Package ou la documenta 5 (1972) où Haus - Rucker - Co investira la façade du Musée Fridericianum. Dès lors, le gonflable gagne une image publique, s’impose comme un phénomène culturel, un mode de vie et s’incarne au travers de multiples formes, mobiliers, habitations, structures en adéquation avec une nouvelle culture de l’environnement. Les polymères plastiques qui se généralisent ouvrent à une extraordinaire efflorescence de créations, des formes et des couleurs. Le mobilier de Bernard Quentin, A.J.S. Aérolande, Quasar Khanh, de De Pas, d’Urbino et Lomazzi, accompagneront l’imagerie du pop art et celle d’une translucidité des décors et d’une porosité des pratiques sociales. Le débat écologique s’impose alors, sans la défiance à l’égard du plastique et des dérivés du pétrole, l’architecture gonflable semblant une « architecture de l’air », se soustrayant à l’occupation du sol, à l’inscription définitive et irréversible dans le temps et l’espace, et récusant les matériaux lourds. En Angleterre, l’artiste Graham Stevens s’emploie à donner une dimension écologique à l’utilisation des structures pneumatiques, comme source d’une irrigation possible des déserts. Le gonflable acquiert aussi une fonction critique et politique. Son impermanence lui donne, en effet, une nouvelle dimension temporelle, celle de l’évènement, de l’action, de la participation. Il est l’instrument possible pour toute intervention dans l’espace public, une fonction dont s’emparent les artistes comme ceux du Gruppo T, ou Piero Manzoni, Yves Klein, Hans Haacke, Otto Piene, Franco Mazzucchelli, Marius Boezem, Lars Englund, Andy Warhol... Les architectes en feront le support d’interventions politiques comme UFO en Italie, ou le medium d’une critique sociale pour le groupe Utopie et les architectes radicaux de la scène viennoise au travers des nombreuses interventions publiques ou performances d’Hans Hollein, Walter Pichler, Coop Himmelb(l)au, d’Haus Rucker - Co ou celles du groupe Hollandais Eventstructure Research Group. Vecteurs et support de la contestation qui gronde pour la génération des baby - boomers, les gonflables servent de prisme de lecture pour voir le monde qui nous entoure autrement (à l’instar des Urboeffimeri d’UFO) et pour vivre ensemble différemment (Instant City, Ibiza, 1971). Le gonflable est ainsi utilisé par le groupe A.J.S. Aérolande, pour remettre en cause le concours du prix de Rome à la veille de mai 68 et proposer une nouvelle manière de bâtir, festive et sans cesse transformable. 4 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
Après la crise pétrolière de 1973 qui sonne le glas d’une idéologie de l’usage des plastiques, le gonflable s’efface progressivement, le courant post - moderne mettant à mal l’image de ce produit industriel. Mais depuis une dizaine d’années, avec l’apparition de nouvelles technologies plus écologiques, le gonflable retrouve ses lettres de noblesse et incarne une alternative pour nombres d’architectes (Diller Scofidio et Renfro, Nicholas Grimshaw, Arata Isozaki, Herzog & de Meuron, Snøhetta...). Il permet de réinventer les possibilités spatiales, introduit des expériences perceptives et cognitives différentes comme dans le Leviathan d’Anish Kapoor. L’apparition récente de textiles organiques laisse présager le développement de recherches où le gonflable pourra offrir des options innovantes à l’architecture, au design, et introduire à de nouveaux principes constructifs, ce que démontrent les expériences d’Achim Menges, Kengo Kuma, Mad Architects, Selgascano... « AERODREAM » EXPOSITION PRÉSENTÉE À LA CITÉ DE L’ARCHITECTURE & DU PATRIMOINE DU 6 OCTOBRE 2021 AU 14 FÉVRIER 2022 Opérateur du ministère de la Culture dédié à la valorisation de l’architecture et du patrimoine, la Cité a pour missions de sensibiliser, diffuser et enseigner l’architecture et l’urbanisme dans ses dimensions contemporaines et patrimoniales. Inaugurée en 2007 dans le Palais de Chaillot, elle est l’héritière d’une longue histoire dont les origines remontent à la fin du XIXe siècle et l’ambition d’Eugène Viollet-le-Duc de créer un musée de « moulages de statuaire et de sculptures d’ornements faits sur les plus beaux monuments du XIIe au XVIe siècle ». En 1882 nait le musée de Sculpture comparée, rapidement suivi par l’École de Chaillot en 1887, dont les missions de formation des architectes restaurateurs constituent une histoire parallèle et complémentaire à celle du musée. En 1980, l’Institut français d’architecture est créé et appelé devenir le lieu privilégié de rencontres et débats sur l’architecture moderne et contemporaine, bientôt complété par un centre d’archives d’architecture du XXe siècle. C’est en 2004 que les trois institutions sont réunies pour devenir un ensemble unique au monde, la Cité de l’architecture & du patrimoine. Institution plurielle, elle est à la fois musée, observatoire de la création architecturale, centre d’archives, plus grande bibliothèque d’Europe dédiée à l’architecture contemporaine et centre de formation des architectes et urbanistes de l’État et des architectes du patrimoine. Son projet se fonde sur la rencontre entre toutes les dimensions de l’architecture, entendue dans une définition ample et généreuse, dans l’histoire autant que dans le présent. Elle noue de féconds et multiples dialogues avec les mondes contemporains de la création (cinéma, photographies, littérature...) et de la connaissance. La Cité veut être la destination naturelle des amoureux de l’architecture d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Chaque année, elle conçoit une programmation qui s’adresse aussi bien au grand public qu’aux professionnels : expositions temporaires, ateliers pédagogiques, débats, colloques, éditions, projections... et s’affirme ainsi comme un centre culturel multiple, lieu de partage dédié à une réflexion sans cesse renouvelée, à l’équilibre entre passé et présent, entre patrimoine et architecture. Josep Ponsati, Sculpture gonflable Barcelona 77, 1977 Collection de l’artiste Photographie : Toni Vidal 5 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
2. PARCOURS DE L’EXPOSITION Le visiteur est invité à découvrir ce récit dans un espace fluide, structuré par des sections qui lui permettent de considérer des œuvres d’art plastique, de design et d'architecture. Un solide appareil documentaire l’accompagne. Si revues, ouvrages écrits, affiches, photographies resituent les œuvres dans leur contexte, une riche sélection de documents audiovisuels permet de rendre compte d’œuvres, de happening et d'installations souvent éphémères. De grandes projections d’extraits de films d’époque participent à la création d’un environnement coloré, ludique et polyphonique qui évoque la fébrilité et la créativité extravertie des années 1960. Si l’attention du visiteur est sollicitée par plusieurs œuvres en même temps, les vues dégagées de la suite du parcours lui permettent de placer un élément au sein du récit expositif tout en lui offrant la possibilité d’établir des relations strictement personnelles entre les œuvres. Des œuvres d’art plastique viennent émailler ce parcours : créations qui interrogent en permanence le statut de l’œuvre - objet, la dématérialisation de l’art et questionnent le rapport à la perception, au corps et à l’environnement. 6 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
SECTION 0 ART : MORPHOGÉNÈSE DE L’AIR L’art est un fil rouge qui traverse toute l'exposition. Si l’ampoule Air de Paris de Marcel Duchamp illustre un premier usage physique de l’air dans l’art moderne, ce n’est qu’avec Piero Manzoni que le gonflable y prend place, à la fois comme critique de l’objet d’art mais aussi comme évocation de l’artiste - créateur, représenté ici par la seule force de son souffle. Cette image organique, métaphore du corps de l’artiste, a été transfigurée par les membres du Gruppo T avec le Grande oggetto pneumatico, une hydre gonflable interagissant avec le public. C’est Otto Piene, membre du groupe ZERO, qui fera du gonflable un objet d’échange, renouvelant radicalement la relation de l’œuvre d’art à l’espace, aussi bien au sein des galeries ou des musées qu’au travers d’actions publiques. La critique de l’objet d’art s’exprime à travers la réinterprétation d’œuvres abstraites ou minimalistes, ainsi Iain Baxter transforme en gonflables des œuvres de Donald Judd ou de Mark Rothko quand les œuvres de Hans Haacke, Josep Ponsati, Christo et Panamarenko se gonflent jusqu’à donner l’impression de flotter. Enfin une vidéo de Léviathan, la sculpture immersive d’Anish Kapoor clôt le parcours. Avec ses dimensions monumentales, cette œuvre a permis aux visiteurs de la Monumenta 2011 non seulement de pénétrer à l’intérieur d’une œuvre d’art mais de s’y promener, noyés dans la couleur. Si cette œuvre rassemble divers thèmes évoqués par les installations immersives radicales des années 1960, le propos a complètement changé et l’expérience fait beaucoup plus appel à la dimension poétique qu’à celle ludique des années de la contestation. Piero Manzoni (1933 - 1963) L’artiste italien inaugure l’art conceptuel par une réflexion ironique sur la condition de l’art. Tel le « souffle en conserve », ses sculptures pneumatiques suivent les pas de Marcel Duchamp qui avait encapsulé l’air de Paris en 1919. Ainsi Corpo d’aria (1959-1960), Scultura nello spazio (1960) et Fiato d’artista (1960) présentent des ballons remplis de sa propre respiration. Le temps fait son effet et Fiato, dégonflé, redevient de l’air. Avec Placentarium (1961), projet de théâtre pneumatique qui aurait abrité le Light Ballet d’Otto Piene, il transpose l’idée de la sculpture gonflable dans le domaine de l’architecture Piero Manzoni, Fiato d'artista, 1960 c. Ballon, wooden base, 2,5 x 18,2 x 18,2 cm Fondazione Piero Manzoni, Milan © Fondazione Piero Manzoni, Milano Courtesy Fondazione Piero Manzoni, Milano © Adagp, Paris 2021 7 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
Gruppo T Giovanni Anceschi (1939-), Davide Boriani (1936), Gianni Colombo (1937 - 1993), Gabriele Devecchi (1938 - 2011) Autour de la dynamique créée par la revue Azimuth, le Gruppo T, fondé en 1959 par Giovanni Anceschi, Davide Boriani, Gianni Colombo, Gabriele Devecchi signe un travail collectif, bien que chacun poursuive son activité propre en parallèle. Leurs recherches portent sur la cinétique, l’optique, le temps, l’espace et les interactions entre spectateurs et œuvre. Leur projet manifeste, Grande oggetto pneumatico, présenté en 1960 à la galerie Pater à Milan lors de l’exposition Miriorama 1, est composé de sept gigantesques tubes de plastique gonflable au volume variable. Gruppo T (G. Anceschi, D. Boriani, G. Colombo; G. Devecchi), Grande oggetto pneumatico - Ambiente a volume variabile, 1960 Archivio Gabriele Devecchi © Giovanni Anceschi, Davide Boriani, Archivio Gianni Colombo and Archivio Gabriele Devecchi 8 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
SECTION I UN NOUVEAU DOMAINE INDUSTRIEL Ce n’est qu’après l’essor des frères Montgolfier au XVIIIe siècle que Nadar tire parti de ses ballons et de la photographie pour l’observation militaire pendant la guerre de 1870. L’exploitation croissante du gonflable dans le domaine industriel mène à la création de multiples aérostats puis de dirigeables, dont l’exploitation économique s’arrêtera avec le désastre du Hindenburg en 1937. De façon concomitante, et grâce à l’utilisation du caoutchouc, les premières entreprises de pneumatiques (Dunlop, Goodyear, Michelin) permettent de nouvelles applications comme la création d’objets, de structures militaires ou industrielles (leurres tactiques pour tanks, canons, camions et bateaux) ou encore d’ouvrages d’ingénierie civile ou militaire (ponts, barrages, hangars et entrepôts). Le gonflable trouve alors une véritable fonction architecturale et des architectes pionniers comme Franck Lloyd Wright et Richard Buckminster Fuller développent des projets de bâtiments sans fondations, imaginés parfois à l’échelle urbaine. Les années 1960 connaissent l’expansion industrielle du gonflable grâce à des constructeurs ou des ingénieurs comme Walter Bird, Frei Otto, Victor Lundy, Cedric Price, lesquels se rassemblent dans des colloques fondateurs, le premier étant celui de Stuttgart en 1967. Frei Otto, Silos à grains ou à ciment, 1959 © saai | Archiv für Architektur und Ingenieurbau am Karlsruher Institut für Technologie, Carlsruhe Frei Otto (1925 - 2015) On doit à l’architecte allemand, lauréat du prix Pritzker en 2015, une théorie conséquente sur les structures pneumatiques. S’inspirant des formes organiques, il se réfère aux bulles de savon pour développer ses thèses sur les structures légères. Professeur et chercheur, Otto fonde en 1964 le Centre de développement pour les surfaces portantes légères, d’abord à Berlin puis à l’université de Stuttgart. Il transpose ses recherches dans des applications pratiques (silos à grains suspendus, enveloppes pour serres) et en particulier pour le Pavillon gonflable de l’Exposition universelle de Rotterdam de 1958. Richard Buckminster Fuller (1895 - 1983) Inventeur, architecte et designer autodidacte, Richard Buckminster Fuller dépose en 1954 un brevet pour des dômes géodésiques. Ceux-ci se composent de tétraèdres et octaèdres qui assurent à leur assemblage une légèreté et une stabilité structurelles. Il l’exploite pour des radômes (antennes radars militaires) ou pour le pavillon des États - Unis à l’Exposition universelle de Montréal en 1967. Sa proposition de dôme de deux kilomètres couvrant Manhattan et ses théories d’une gestion efficace de l’énergie font de lui un précurseur de l’écologie et la référence des groupes Archigram et Utopie comme d’autres mouvements de la contre-culture. 9 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
SECTION II L’UTOPIE CRITIQUE Des architectes comme Cedric Price et Johanne et Gernot Nalbach notamment, engagés dans la voie d’un usage architectural du gonflable, stimulent des recherches utopiques et critiques sur l’architecture pneumatique. En Angleterre Arthur Quarmby conçoit la maison Brighton Marina et réalise le dôme gonflable pour le film The Touchables (Robert Freeman, 1968). Avec des projets tels Instant City et Cushicle, le groupe Archigram développe un imaginaire visionnaire définissant un autre rapport au corps, à l’habitation et à la ville. Archigram fascine les protagonistes de l’architecture radicale autrichienne à l’instar de Coop Himmelb(l)au, Haus - Rucker - Co, Günther Domenig et Eilfried Huth. À travers de nouvelles mégastructures, ils imaginent des modes de vie offrant mobilité et flexibilité qui s’opposent aux structures urbaines historiques, ou les complètent. L’influence du groupe Archigram atteint Paris où des étudiants d’Emmerich – Jean Aubert, Jean - Paul Jungmann et Antoine Stinco, présentent des projets d’architecture pneumatique. Coop Himmelb(l)au Wolf D. Prix (1942), Helmut Swiczinsky (1944) L’agence Coop Himmelb(l)au naît dans un contexte de rupture avec le fonctionnalisme. Ses fondateurs envisagent l’architecture d’un point de vue psychique et relationnel et placent le concept de dématérialisation au cœur de leurs recherches. En résultent de spectaculaires constructions pneumatiques légères et transparentes comme Vertical pneumatic city (1968). En 1967 l’agence imagine une ville dotée d’une « armature vibrante », Cities with pulsating frame. Le lien entre la ville et l’individu se transforme en métaphores organiques, celles du souffle, de la vibration et de la pulsation. COOP HIMMELB(L)AU, City Soccer, Vienne, Autriche, 1971 © COOP HIMMELB(L)AU © Katharina Vonow Archigram Warren Chalk (1927 - 1987), Peter Cook (1936), Dennis Crompton (1935), David Greene (1937), Ron Herron (1930-1994), Mike Webb (1937) En 1961 six jeunes architectes anglais fondent le groupe Archigram. Leurs « architectures de papier » s’approprient le vocabulaire visuel de la société de consommation : mass- media, électronique et conquête spatiale transforment l’habitat en machine éphémère et hypertechnologique. La mobilité est au cœur de leurs projets de cités instantanées constituées d’agrégats de capsules, sans façade ni fondation, que l’on brancherait à des mégastructures tridimensionnelles. Plutôt que dans leurs réalisations, leur héritage se situe dans le renouvellement des moyens de représentation et la manière de penser l’architecture. 10 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
SECTION III TROIS GRANDES EXPOSITIONS : LE GONFLABLE COMME MEDIUM OU MEDIA Même si maints artistes et architectes ont recours au gonflable à la fois comme un instrument prospectif et critique, il obtiendra une large reconnaissance culturelle et politique grâce à des expositions d’envergure. L’exposition du groupe Utopie, Structures gonflables, fait le lien entre les recherches industrielles et celles de nouveaux créateurs, elle constitue un véritable manifeste bénéficiant d’une reconnaissance internationale immédiate. Parmi les créateurs présentés Bernard Quentin se distingue par son utilisation du gonflable dans les domaines du design, de l’architecture et de l’art plastique. L’Exposition universelle d’Osaka en 1970 offre une scène internationale au gonflable présentant les réalisations de nombreux pavillons (Pavillon du Groupe Fuji, Théâtre flottant de Yutaka Murata, Mushballoon de Taneo Oki), sans compter les architectures pneumatiques qui n’auront pas pu aboutir mais qui seront largement publiées. Après la documenta 4 de 1968 comprenant des interventions de Christo et de Walter Pichler, la documenta 5 de 1972 consacre l’usage du gonflable avec la fameuse intervention Oasis Nr.7 de Haus-Rucker-Co et l’Aeromodeller de Panamarenko. Yutaka Murata (1917 - 1988) À partir des années 1960, l’architecte japonais Yutaka Murata exploite les possibilités des structures tendues à membranes. Il se fait connaître lors de l’Exposition universelle d’Osaka en 1970. Il collabore avec l’ingénieur Mamoru Kawaguchi et applique aux gonflables le principe de monumentalité. Le Pavillon du groupe Fuji est une spectaculaire structure composée de seize tubes gonflables, reposant sur une fondation circulaire de 50 mètres de diamètre, conférant le sentiment d’une architecture organique, ouverte et modulable, à l’instar du Théâtre flottant, réalsé pour la même exposition. Yutaka Murata, Pavillon du groupe Fuji, Osaka, 1970 © Yutaka Murata © Photo courtesy of Osaka Prefectural Government Christo (1935 - 2020) et Jeanne - Claude (1935 - 2009) Parmi les empaquetages de Christo et Jeanne - Claude, l’air prend la place des monuments emballés dans deux projets monumentaux et éphémères. Créé avec les étudiants du Minneapolis School of Art en 1966, 42,390 Cubic Feet Package présentait l’air doublement comprimé dans deux-mille-huit-cents ballons colorés à l’intérieur de quatre ballons de recherche, qui furent suspendus à seulement 6 mètres du sol. Érigée pour la documenta 4 de Kassel (1968), 5,600 Cubicmeter Package est la plus grande structure gonflable sans armature jamais réalisée, contenant sept tonnes d’air et mesurant 85m de hauteur et 10m de diamètre. 11 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
Christo and Jeanne-Claude, 42,390 Cubic Feet Package, Minneapolis, Minnesota, 1966 Photo Carroll T. Hartwell © 1966 Estate of Christo V. Javacheff 12 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
SECTION IV SITUATIONS : LES ACTIONS POLITIQUES URBAINES Le montage simple et rapide d’une installation gonflable permet d’impliquer un large public dans des évènements ludiques. Dans un premier temps, concentrés sur le corps, les architectes multiplient les actions dans la ville : ils courent, travaillent, s’enveloppent ou se détendent dans des environnements du type bulle (Mobiles Büro de Hans Hollein, Unruhige Kugel de Coop Himmelb(l)au, Inflatable Body Suit de Mark Fisher). De plus vastes installations invitent le public à essayer, jouer, s’amuser et traverser des espaces pneumatiques (Giant Billard de Haus - Rucker - Co, Waterwalk Tube de Eventstructure Research Group). Ce sont autant d’occasions qui permettent d’utiliser le gonflable comme medium pour appréhender différemment l’espace urbain. Ces interventions rassemblent un public divers lors des actions impromptues d’UFO, organisées à Florence autour des Urboeffimeri, des évènements créés par Ant Farm aux États-Unis, ou encore à Ibiza avec Instant City de Bendito, Ferrater et Prada Poole. La dimension écologique du gonflable s’affirme avec force dans des œuvres de Graham Stevens tel Desert Cloud, lors de la Journée de la Terre organisée en 1970 à New York, avec le dôme de Yukihisa Isobe. Eventstructure Research Group Jeffrey Shaw (1944), Theo Botschuijver (1943), Sean Wellesley- Miller (?), Tjebbe van Tijen (1944) Les artistes réunis dans ce collectif opérant notamment aux Pays-Bas depuis 1967 utilisent les gonflables comme support pour la création d’installations et de happenings où l’interaction avec le public est capitale. Leur pratique de l’art comme mouvement social et activité́ de récréation passe par l’utilisation de l’art comme un jeu d’exploration sensorielle. Parmi leurs autres projets, on note une incursion dans l’expanded cinema qui élargit les frontières du cinéma et brise les hiérarchies entre artistes et spectateurs, et des collaborations avec des pionniers du gonflable (Graham Stevens) et des groupes rock (Pink Floyd). Franco Mazzucchelli (1939) Proche de l’art conceptuel des années 1960, le Milanais Franco Mazzucchelli utilise le gonflable durant toute sa carrière. Avec sa série A. to A. (Art to Abandon) en 1970-1971, il poursuit ses recherches entamées en 1964 : il abandonne ses structures dans des zones urbaines et analyse les réactions des visiteurs. Affichant une volonté claire manifeste d’effacer son rôle d’artiste, il fait interagir le public de manière ludique avec ses œuvres gonflables. Son intervention devant l’usine Alfa Romeo en 1971 provoque la curiosité des ouvriers qui s’emparent des structures et créent un important embouteillage. Franco Mazzucchelli, A. To A. (Alfa Romeo Factory, Milan), 1971 Courtesy the Artist and ChertLüdde, Berlin; Photo: Enrico Cattaneo 13 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
SECTION V HABITAT : BULLES ET CELLULES La généralisation de l’usage du plastique a offert à de nombreux designers la possibilité de créer du mobilier aux formes variées utilisant de riches gammes de couleurs résonnant avec l’imagerie Pop Art des années 1960-1970. Avec la ligne Aerospace, Quasar Khanh est certainement le créateur qui en présente la plus large variété, allant de la conception de cloisons mobiles et de luminaires jusqu’à celle d’une maison gonflable. Si A.J.S. Aérolande réalise du mobilier modulaire à partir d’éléments simples (coussins, tubes assemblés en assise, banquette, canapé), d’autres designers se confrontent aux gonflables d’une manière occasionnelle–fauteuil Blow de De Pas, D’Urbino et Lomazzi, Inflatable Stool de Verner Panton. Les environnements conçus initialement par Quasar Khanh ou A.J.S. Aérolande construisent l’image de nouveaux styles de vie largement repris par la publicité, la mode et le cinéma et définissent la vision d’un certain futurisme. Quelques films marquants tels Barbarella, L’Écume des jours ou La Decima vittima véhiculent un imaginaire pop qui envahit les intérieurs populaires avec des modèles de mobilier gonflable commercialisés par la grande distribution. A.J.S. Aérolande Jean Aubert (1935-2015), Jean-Paul Jungmann (1935) et Antoine Stinco (1934) Fondé à Paris en 1966, le groupe A.J.S. Aérolande entend mettre les nouveaux matériaux technologiques au service de ses utopies politiques et propose des architectures pneumatiques dans la lignée de David Georges Emmerich. L’utilisation de matières plastiques rigides (PVC) présente une alternative aux préceptes de l’architecture moderniste. Toutefois, c’est par le mobilier qu’A.J.S. Aérolande réalise son idéal de mobilité, de légèreté et de modularité, imprégné de Pop Art et de science-fiction. En tant qu’architectes, ils intègrent le groupe Utopie qui organisera la première exposition française de structures gonflables. Quasar Nguyen Mahn Khanh (1934 - 2016) Né à Hanoï, Quasar débute sa carrière comme ingénieur en France et réalise des expériences sur l’air comprimé pour concevoir des structures gonflables. Fasciné par la transparence et la solidité des matériaux plastiques, il lance en 1967 sa marque de mobilier gonflable, Aerospace, et revisite les classiques telle la série « Chesterfield ». Marqués par la mode, les tendances psychédéliques et la conquête spatiale, ses gonflables colorés et fantaisistes sont réalisés comme une ligne de haute couture. Exposées dès 1968, ses créations connaissent un succès médiatique et commercial international immédiat. Quasar, Chauffeuse Apollo, 1968 Chauffeuse gonflable PVC souple bleu transparent, 80 x 76 x 90 cm Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris © droits réservés Photo Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP 14 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
SECTIONS VI UNE REACTIVATION SOUS CONDITIONS : TENTATIONS ET OPPORTUNITES La crise pétrolière des années 1970 ayant mis à mal l’usage du plastique, le gonflable perd son attrait et l’essor du postmodernisme privilégie le retour à des modes de construction plus traditionnels. Depuis l’an 2000, des architectes ont réinterprété les formes de l’architecture pneumatique en utilisant de nouveaux types de matériaux pour des architectures éphémères, des installations ou des équipements de grande échelle. Si Kengo Kuma réalise un espace pour la cérémonie du thé, Selgascano et Snøhetta créent des architectures « signal » pour des pavillons temporaires accueillant du public. Diller Scofidio et Renfro infiltrent un gonflable dans le Hirshhorn Museum, alors que Anish Kapoor conçoit une authentique salle de spectacle mobile en collaboration avec Arata Isozaki. D’autres architectes utilisent la technologie du gonflable pour des projets de grande échelle retrouvant par-là les aspirations des pionniers de l’architecture pneumatique comme Frei Otto : Rem Koolhaas et Cecil Balmond dans le Serpentine Gallery Pavilion, Herzog & de Meuron avec la réalisation de l’Allianz Arena à Munich et l’Atelier Zündel Cristea – AZC avec leur projet de pont gonflable pour Paris. Diller Scofidio et Renfro Elizabeth Diller (1954), Ricardo Scofidio (1935) et Charles Renfro (1964) Les trois architectes de l’agence prônent une approche interdisciplinaire et expérimentale de l’architecture, intégrant les arts plastiques, les installations et les performances. Leur projet non- réalisé, Bubble (2011), extension temporaire et gonflable du Hirshhorn Museum à Washington D.C., abrite un auditorium, un café et une place dans la cour intérieure du musée. La bulle transparente envahit l’espace vide et recrée une coupole au sommet du Hirshhorn Museum, un des rares édifices du National Mall à en être dépourvu, lui offrant ainsi une meilleure visibilité. Diller Scofidio + Renfro, Bubble: Hirshhorn Museum and Sculpture Garden © Diller Scofidio + Renfro Ark Nova L’artiste anglais Anish Kapoor (1954) et l’architecte japonais Arata Isozaki (1931), prix Pritzker 2019, unissent leurs efforts pour concevoir une salle de concert gonflable et itinérante commandée par le festival de Lucerne. En 2013, le festival se déplace au Japon et organise des concerts dans des localités affectées par le tremblement de terre et le tsunami de 2011. Inscrite dans une tradition d’architecture japonaise de l’urgence, face aux catastrophes naturelles, cette salle se monte et se démonte rapidement ; elle peut accueillir jusqu’à cinq cents personnes, devenant pour une soirée le symbole de la résilience. 15 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
Anish Kapoor, Ark Nova, 2013 © Anish Kapoor. All rights reserved DACS/ADAGP, 2021 Photo Credits: Anish Kapoor Studio; Iwan Baan; Yu Terayama; IAA Isozak Aoki and Associates 16 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
3. QUESTIONS AU COMMISSAIRE 1 - Au travers les ballons, les aérostats, les dirigeables, l’histoire du gonflable est liée à celle de l’aéronautique, ou à celle de l’automobile. Comment le gonflable, à partir de ses usages industriels, va s’imposer dans le domaine de l’architecture ? L’histoire du gonflable croise différents récits qui ont nourri la culture et l’imaginaire, des simples bulles de savon, symboles de brièveté de la vie humaine dans la peinture aux premières montgolfières ouvrant la voie d’une nouvelle dimension de l’espace et d’un accès à l’apesanteur. Le gonflable accompagne les mutations industrielles du XXe siècle, des aérostats aux grands dirigeables jusqu’aux ballons stratosphériques, et stimule les recherches sur les structures pneumatiques trouvant de multiples applications dans le domaine architectural. Si la Seconde Guerre mondiale a développé la mise en œuvre de nouvelles applications pour des leurres (camions, tanks...), des abris (hôpitaux d’urgence, ponts, pontons, embarcations...), ce n’est que dans les années 1950 - 1960 que des architectes vont multiplier les projets trouvant dans ce principe de construction une souplesse et une rapidité de mise en œuvre, que le gonflable soit utilise comme un moyen de construction ou pour lui-même comme une enveloppe, tout à la fois clôture et couverture. Entre autres Richard Buckminster Fuller, qui collabore avec la NASA et trouvera dans les gonflables un aboutissement de ses recherches sur les dômes géodésiques, Frei Otto, qui multiplie les expériences sur de nouveaux programmes d’application (réservoirs, silos, pavillons d’exposition, salles de sports...), ou Walter Bird qui créera sa propre compagnie Birdair, réalisant de multiples projets pour les architectes. Des colloques (Stuttgart, 1967 ; Delft, 1972) rassembleront ces architectes rejoints par Cedric Price, Wallace Neff, Victor Lundy, Dante Bini, donnant au gonflable une importante crédibilité constructive. Les recherches sur les matériaux, sur les technologies de soudure et d’assemblage, sur la résistance de ces matériaux, mèneront à la construction de projets de plus en plus importants, des réalisations démonstratives qui marqueront les grandes expositions universelles internationales jusqu’à celle d’Osaka en 1970. 2 – À partir des années 1960, le gonflable trouve un usage critique, il devient un support de création pour des mouvements artistiques comme le spatialisme, l’Art conceptuel, le happening et devient le medium privilégié des architectes des mouvements alternatifs américains et en Europe du courant de l’Architecture radicale. À quoi correspond cet engouement ? Le développement de la recherche spatiale, de premiers vols spatiaux (Youri Gagarine, 1961), stimule l’imaginaire des artistes et le mouvement spatialiste fondé par Lucio Fontana s’emparera de cette idée d’un espace multidimensionnel et infini au travers de la réalisation d’œuvres immersives et participatives. Outre Piero Manzoni qui fait du ballon une métaphore de l’acte de création (Fiato d’artista, 1959), c’est le Groupe ZERO qui valorisera le gonflable comme medium. Akira Kanayama qui présentait déjà Balloon pour la première exposition du Groupe Gutai, (1955), participe avec des œuvres similaires lors des premières manifestation du Groupe ZERO stimulant l’usage des gonflables pour Yves Klein (Sculpture Aérostatique, Iris Clerc, 1957), pour le Gruppo T (Grande oggetto pneumatico, 1960) puis pour Otto Piene qui développera d’importantes actions urbaines (Sky Event, 1968) tout comme Hans Haacke à son arrivée aux États-Unis (Sky line,1967). Simultanément, après l’exposition 9 Evenings qui présentait des œuvres nées d’une collaboration entre artistes et architectes, Billy Klüver fonde Experiments in Art and Technology (E.A.T), une association regroupant de très nombreux créateurs et qui aidera à la production des Pillows (1960) d’Andy Wahrol, du Slipcover (1967) de Les Levine ou de la scénographie faites de coussins gonflés de Jasper Johns pour le chorégraphe Merce Cunningham. Les gonflables deviennent alors des instruments d’actions, d’happenings pour Alan Kaprow (GAS, 1966), d’actions publiques pour Ant - Farm (Clean Air Pod, 1970). Le gonflable et les pneumatiques deviennent des outils-medias tels pour des groupes comme Archigram avec Instant - City (1968) et pour UFO (Urboeffimero n° 6), mais aussi des supports d’intervention urbaine pour Hans Hollein, Haus - Rucker - Co (Giant Billard, 1970) ou Coop Himmelb(l)au. 17 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
3 – Le gonflable trouve finalement une importante résonance dans la culture populaire et semblait porter en lui, l’image d’un mode de vie nouveau, imposant une idée particulière de l’environnement. Quels ont été les apports de cette mythologie du gonflable ? L’utilisation des pneumatiques, qui avait déjà largement envahi le domaine architectural avec la réalisation de nombreux équipements, va sur une période assez courte, s’imposer comme l’instrument critique du modernisme, d’une architecture de la permanence, d’une rationalisation de l’espace habité et de l’environnement. À l’habitat minimum du fonctionnalisme moderne, les architectes du mouvement radical vont opposer une vision extrême, en optimisant l’utilisation des technologies liés au développement de la cybernétique, des médias et de l’informatique pour initier un mouvement critique des formes traditionnelles de l’habitat et de l’organisation de l’espace aussi bien à une dimension architecturale qu’à l’échelle urbaine ou celle des territoires. Le corps n’est plus une mesure abstraite mais un champ physiologico - cognitif auquel doit répondre une autre forme d’architecture. Le texte de Reyner Banham, A Home is not a House (1966), et les illustrations de François Dallegret réduit l’habitation à un cœur technique rassemblant tous les fluides (eau, électricité, médias...) au centre d’une enveloppe gonflable, un concept radicalisé avec le Cushicle et le Suitaloon (1966 et 1968) où l’habitat n’est plus qu’un vêtement, une peau technique appareillée qui peut se gonfler selon l’occasion. Le Minimalumwelt (1967) de Walter Pichler, le Mobile Office (1969) d’Hans Hollein répondent à ce mouvement critique qui revendique l’accès à d’autres formes d’expérience et de pratique de l’espace, la multiplication des casques dans les installations de Walter Pichler, de Haus- Rucker-Co se font écho de ce questionnement sur l’extension psycho-cognitive de l’espace et du temps. Il ne s’agit pas de chercher un espace autre, une île, ces recherches dépassent les notions d’utopie ou de dystopie. L’espace n’est plus défini comme une extension abstraite, un domaine d’inscription, et l’architecture doit alors se libérer, s’ouvrir au nomadisme, une architecture sans fondation, une évolution des dômes géodésiques de Richard Buckminster Fuller ou les constructions pneumatiques répondent à ces nouvelles aspirations. Du Dyodon (1968) de Jungmann au Gelbes Herz (1968) d’Haus - Rucker - Co, de la Villa Rosa (1968) de Coop Himmelb(l)au aux cellules de la mégastructure Stadt Ragnitz (1969) de Huth & Domenig, l’habitat est soumis à la mobilité, l’espace se transforme en un environnement qui anticipe les questions écologiques. 4. Comment interprétez - vous le soudain déclin du gonflable dans les années 1970 et le regain d’intérêt qu’il suscite pour de nombreux artistes et architectes majeurs aujourd’hui ? Finalement, l’engouement pour les gonflables s’est organisé sur une séquence de moins de dix années, correspondant finalement parfaitement à la crise sociale, politique et culturelle, aux revendications d’émancipation d’une nouvelle génération. Ces nouveaux environnements qui vont finalement apparaître dans les films et vont, au travers des lignes de mobilier (Quasar, A.J.S. Aérolande, De Pas - d’Urbino - Lomazzi), être diffusés par la grande distribution, révèlent un changement de mentalités qui, bien sûr correspond aux modèles économiques et sociaux des trente glorieuses et de l’American Dream, mais aussi de leur mise en crise, avec l’avènement des mouvements hippies et des mouvements politiques qui ébranleront la fin des années 1960. Le gonflable est pris dans cette ambivalence, image pop et colorée d’un capitalisme triomphant pour une part, et instrument d’une critique d’un modernisme ayant imposé un cadre fonctionnaliste unidimensionnel d’autre part. La crise pétrolière mettant fin à cet âge d’or du tout plastique, les voyages s’étant mués en modèles individualistes, loin des découvertes d’une conscience augmentée par la musique, les drogues, ainsi que le postmodernisme et sa distance cynique au monde mettront rapidement fin aux recherches alternatives autour des gonflables. Ce n’est qu’avec l’évolution des matériaux, les tensions de la crise écologique et l’infinie extension des réseaux numériques que le gonflable est réapparu fort de son ambivalence, tout à la fois porteur d’une mythologie des origines et simultanément d’une histoire technologique propre au monde industriel. La notion d’environnement étant devenue centrale avec les questions de densité urbaine, le réchauffement climatique, des artistes et des architectes ont réinvesti le domaine des architectures légères et les logiques de l’intervention, une façon de créer des évènements ouvrant à la réflexion sur les contextes architecturaux et urbains. Si l’Eden Project (1996) de Nicholas Grimshaw a renoué avec l’esprit de Fuller ou de Frei Otto, la salle de concert Ark Nova (2013) d’Anish Kapoor avec Arata Isozaki évoque l’itinérance et le nomadisme, Le Leviathan (2011) d’Anish Kapoor, ou à une moindre échelle la Tea House (2017) de Kengo Kuma, invitent à nouveau à des expériences immersives. Tous les possibles ouverts par les architectures gonflables semblent se réactiver au travers d'un nombre croissant de réalisations contemporaines confortés par l’apparition d’innovations 18 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
techniques et matérielles, mais c’est peut-être le projet The Bubble (2009) de Diller et Scofidio qui ouvre de nouvelles perspectives dans un dialogue effectif avec le Hirschorn Museum, une capacité à intervenir dans le construit pour créer des alternatives aux usages traditionnels de l’espace bâti. 19 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
4.MOTS EN LIBERTÉ POUR ALLER PLUS LOIN ENVOL Mots-clé : ciel, aérien, apesanteur, rêve, légèreté, liberté, émancipation Soumis à l’attraction terrestre, l’homme a toujours manifesté un intérêt profond pour se détacher du sol. Si sa nature semblait lui en interdire l’accès, il n’a cessé de chercher à conquérir le ciel par tous les moyens, et la création littéraire, artistique et architecturale reflète cette fascination pour l’aérien. Ce rêve d’apesanteur on le retrouve, entre autres, dans le roman de Jules Verne Cinq semaines en ballon (1863) qui offre grâce à l’aérostation une exploration de territoires jusque-là inconnus. Mais aussi dans la danse Serpentine de Loïe Fuller, chez Vaslav Nijinski dont le corps conserve la mémoire du vol jusque dans son asile suisse, moment immortalisé par un cliché de Serge Lifar venu le visiter, ou bien avec Noureev et son saut de la liberté à Orly en 1961. L’artiste Philippe Ramette crée des prothèses pour élever les corps, le couple d’artistes conceptuels russes Ilya et Emilia Kabakov, dont l’évasion est un thème récurrent, propose une paire d’ailes prête à l’emploi. Panamarenko et Rebecca Horn ont expérimenté des mécaniques à plumes et Hervé Di Rosa nous rappelle avec sa collection, que les super-héros, eux, peuvent voler. Georges Méliès marque l’histoire du cinéma avec son Voyage dans la lune (1902), considéré comme le tout premier film de science-fiction. Le domaine musical n’est pas en reste pour nous chanter notre besoin de toucher les étoiles. Défier l'apesanteur c’est questionner son mythe, mais aussi sa réalité scientifique. Le mythe d’Icare offre l’exemple d’un vol humain rendu possible par la technique, mais qui connait une fin tragique. L’ingénieuse invention mise au point par Dédale, le père d’Icare, ne résiste pas à la défiance d’un fils grisé par le vol et qui s’approche trop près du Soleil. La suite on la connaît, le ciel est un terrain de jeu risqué pour l’homme et pourtant, malgré l’avertissement, la majorité des esprits créatifs rejoueront la scène et tenteront, à la suite de Léonard de Vinci, de mettre au point des machines volantes plus lourdes ou plus légères que l'air. En avril 1961, le Soviétique Youri Gagarine est le premier homme à entrer en orbite autour de la Terre. Dans ce contexte de conquête spatiale, les artistes développent leurs propres moyens d’occuper l’espace céleste. Pressentant l’impact de cet événement, Yves Klein et Takis, en novembre 1960, revendiquent tous deux être les premiers à envoyer un homme dans l’espace. Klein effectue son célèbre Saut dans le vide, reproduit en une du Dimanche 27 novembre. Le journal d’un seul jour. Deux jours plus tard, à la galerie Iris Clert, Takis réalise sa performance L’impossible : un homme dans l’espace au cours de laquelle le poète Sinclair Beiles entre en lévitation grâce aux pouvoirs des champs magnétiques. Mais « s’envoler » signifie aussi s’élever, s’émanciper, acquérir une nouvelle liberté ainsi qu’un point de vue décentré sur le monde. L'exposition Vue d’en Haut du Centre Pompidou-Metz montre comment la vue aérienne, des premiers clichés pris par Nadar depuis un aérostat dans les années 1860, jusqu'aux images satellites, a fait basculer la perception des artistes sur le monde. La vue à vol d’oiseau fascine encore aujourd'hui, comme le montre le succès de La Terre vue du ciel de Yann Arthus-Bertrand ou la popularité de Google Earth. Lieu de l’émancipation du regard, le ciel devient aussi, dans les années 1960-1970, celui de la fabrique d’utopies mêlant l’imagination la plus débridée et les dernières innovations techniques. Les architectes reprennent alors le thème de la machine 20 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
volante à l’aide des structures gonflables, croisant le travail des ingénieurs et des industriels avec celui des architectes et des artistes. Pour ces créateurs visionnaires, la structure gonflable incarne le refus de toute inscription, que cela soit dans un site ou dans la continuité des traditions. Elle ouvre à une libération de l’homme et de l’architecture autorisant de nouveaux systèmes de construction et de nouvelles modalités d’habitat. À l’urbanisme architecturé de l’après-guerre jugé répressif et inerte, le gonflable autorise une architecture alternative flottante, légère, éphémère et mobile. Sources Exposition L’envol ou le rêve de voler à La Maison Rouge, Paris, du 16 juin au 28 octobre 2018 : https://archives.lamaisonrouge.org/documents/45mrjournalLenvolbd10394.pdf Vol et architecture dans la collection du FRAC Centre : https://www.frac- centre.fr/upload/document/pedagogique/2011/FILE_4f55e1ffeb65a_peda_11_thema_vol.pdf/peda_11_thema_vol.pdf Exposition Vues d’en haut au Centre Pompidou-Metz, du17 mai au 7 octobre 2013 : https://www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/images/dossiers/2013.09-VDH.pdf Exposition Le ciel comme atelier. Yves Klein et ses contemporains au Centre Pompidou-Metz, du 18 juillet 2020 au 15 mars 2021 https://www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/images/dossiers/DD_YK2.pdf À voir dans l’exposition Panamarenko, Henri Van Herwegen, dit (1940-2019) Christo (1935-2020) et Jeanne-Claude (1935-2009) Frei Otto (1925-2015) Otto Piene (1928-2014) AIR Mots-clé : élément, gaz, aérostat, pneumatique, bulle, transparence, espace Théorie des quatre éléments e (Hypothèse de certains philosophes grecs, Empédocle au V siècle av. J.-C, puis Platon et son disciple Aristote). C’est une façon traditionnelle de décrire et d'analyser le monde. Chaque substance présente dans l’univers serait constituée d’un ou plusieurs des quatre éléments fondamentaux- l’Eau, la Terre, le Feu, l’Air- en plus ou moins grande quantité. Pendant près de vingt siècles, ce modèle reste en vigueur dans le monde occidental, et s’il a quitté le domaine scientifique, on le rencontre encore dans la perception que nous avons conservée de notre environnement. Les quatre éléments demeurent surtout une riche source d'inspiration artistique, poétique, littéraire et, avec Gaston Bachelard (1884-1962), psychanalytique. Parfois on ajoute un cinquième élément au statut ambigu, l'Ether, dans lequel baignerait le cosmos. Appelé aussi quinte-essence, certains philosophes orientaux lui associent la notion du vide. Propriétés physiques de l’air Le terme « air » désigne le fluide gazeux, incolore, inodore et invisible qui constitue l’atmosphère terrestre. C’est un mélange de gaz qui, grâce au dioxygène qu’il contient, permet la combustion et la respiration indispensable à la vie. Comme tous les gaz, il n’a pas de forme propre et une quantité d’air donnée occupe tout le volume dont il dispose. L’air est compressible, mais pas indéfiniment. Il est expansible, se dilate quand on le chauffe. Il est élastique et reprend son volume initial quand on cesse d'agir sur lui. L’air peut changer d’état : il passe à l’état liquide lorsqu’il est fortement refroidi (environ -200°C). Il est également soluble dans l’eau. Des différences de température et de pression provoquent sa mise en mouvement, c’est ce qui se passe quand il y a du vent. L’air peut exercer une force, il déplace les objets, comme les ailes des moulins. L’air résiste et soutient, par exemple il ralentit le parachute. L’air est pesant : 1 litre d’air pèse environ 1,3 gramme (lorsque la température est de 25°C et la pression atmosphérique normale, c’est-à-dire de 1013 hectopascals). 21 AERODREAM / DOSSIER DÉCOUVERTE
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