Afrique du Sud : Référendum 92. Le passage
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I MAGAZINE Afrique du Sud : Référendum 92. Le passage Om d’être une démonstration première et deuxième positions dans d’enthousiasme délirant pour leur préférence politique que dans un avenir non-racial, la victoire 1’70 des cas. massive de F.W. De Klerk trahit D’autres sondages effectués dans plutôt la volonté du Parti national la communauté sud-africaine noire de rester au pouvoir, de retarder ou (il est intéressant de noter au pas- de préempter le partage du pouvoir. sage que les sondages, à l’instar du référendum, isolent dans la plupart des cas les questionnaires pour (( Des uositions contrastées Blancs 1) des questionnaires pour (( gens de couleur supposant impos- )), Les Sud-africains blancs n’envi- sible une consultation commune, y sagent nullement les négociations compris sur des sujets purement comme un exercice permettant la pratiques) confirment la préférence mise en place d’un gouvernement présumée des Noirs pour 1’ANC. où 1’ANC - c’est-à-dire, dans leur Sur un échantillon de 1 300 person- esprit, les Noirs - dominerait. La (( nes (en milieu urbain possédant le grande majorité de ceux qui ont téléphone), 72 YO disent supporter voté “oui” au référendum l’ont fait l’ANC, 5 YO le PAC (Pan African dans l’optique de voir De Klerk au Congress) et 5 YO le Parti national. pouvoir 1) (L. Schlemmer, directeur Ces chiffres, qui datent de mai du Human Science Research Coun- 1991, n’avaient pas changé lors cil, in Daily News, 2-04-92). 10 YO d’un sondage ultérieur, en juillet. seulement des personnes favorables Interrogés sur leur degré de au référendum affirment soutenir sympathie pour tel ou tel mouve- des projets politiques plus progres- ment politique, ceux qui ont en sistes que ceux du Parti national, ce premier choix sélectionné I’ANC, se qui laisse à penser que la perspec- disent à 34 YO proches ou très pro- tive d’un avenir concrètement ches du SACP (Parti communiste) ; ((non-racial n’est pas particulière- )) 27 Yo désignent le PAC, 65 Yo le ment enthousiasmante pour la plu- Parti national et 32 Yo 1’AZAPO. part des Sud-Africains blancs et/ou L. Schlemmer qui commente ces que les (c mentalités ne sont pas )) résultats (Daily News du 2-04-92 et tout à fait prêtes à un tel change- Idicatar SA, vol. 9, no 2, 1992), ment. Un sondage réalisé par Mar- assure qu’ils confirment les analy- kinor (cité par le Daily News, ses de spécialistes locaux selon les- 2-04-92) en novembre 1991, portant quels 80 70 des Noirs sud-africains sur un large échantillon de Blancs préféreraient l’éventuel partage du - tant urbains que ruraux -, pouvoir entre les Noirs et les démontrait que I’ANC ne venait en Blancs qu’un gouvernement exclu- 126
sivement composé de leaders noirs. gouvernement savaient déjà avant Ces conclusions présentent l’avan- Noël 1991 qu’un événement majeur tage notoire de rassurer en partie se passerait à la mi-mars 1992. les Blancs et de soutenir les thèses Tous les moments politiques défendues par le Parti national. d‘importance - comme, par exem- ple, le succès du Parti conservateur aux élections de Potchefstroom, Une CamDapne de choc plus vieille ville, première capitale de la République du Transvaal, et Lors de la campagne du réEren- ville-référence pour 1’Eglise hollan- dum 92, 1’Etat sud-africain a eu lar- daise réformée à laquelle appartient gement recours aux media qui ont De Klerk - ont été utilisés dès lors diffisé massivement sa propagande. comme tremplin pour un processus Leur message était on ne peut plus programmé de longue date. clair: C’est oui ou le chaos D, (( message très efficace par sa dicho- tomie. Ainsi, ne pas voter non, dans Le poids des média cette logique, signifiait éviter le désastre et échapper à un gouver- Ce référendum a été hautement nement d’extrême-droite tout en médiatisé. I1 coïncidait avec le conservant De Klerk. 56‘ anniversaire du président De Plus significativement, la remar- Klerk et - surtout - avec la quable constance dans la stratégie Coupe du monde de cricket, sport politique, la prise de décision et l’ini- extrêmement populaire en Afrique tiative personnelles de F.W. De du Sud, marquant la fin de l’isole- Klerk ont contribué à créer son ment international du pays. Lorsque image de force tranquille U. Depuis (( les représentants des équipes de février 1990, en inaugurant le chan- cricket demandent un vote favora- gement et en affichant depuis une ble aux réformes ils sont écoutés... opposition déterminée à l’usage de la De leur côté, les gouvernements violence (en rupture avec l’ère sécu- étrangers ont soutenu efficacement rocrate de l’ex-président Botha), il a la campagne en faveur du oui en (( )) conforté son autorité. Et peu à peu faisant miroiter des possibilités s’est forgée l’idée assez généralement accrues d’investissement ou, si le partagée dans la communauté blan- ((non l’emportait, le gel des inves- )) che (et sans doute ailleurs) que tant (( tissements, le renforcement des que De Klerk sera là, rien de grave sanctions et le retour tant redouté ne pourra arriver au pays D. Désor- à l’isolement de l’Afrique du Sud. mais, pour garder cette confiance, L’arrosage financier pour soutenir le De Klerk a pour impératif de conti- ((oui et l’utilisation des média ont )) nuer à prendre l’initiative du chan- été spectaculaires alors que les tracts gement : ce qui ne manquera pas de pour le ((non)), bien souvent de se produire. facture artisanale, étaient distribués Au sein du Parti national, des dans’ la rue. La victoire du . a oui )) plans sont prêts à parer à toutes les est donc en partie le résultat d’une éventualités car l’improvisation poli- formidable campagne jouant sur la tique n’est pas sa règle de fonction- crainte d‘un retour en arrière et sur nement, comme le prouve le réfé- un rappel du passé extrêmement rendum du 17 mars 1992 lui-même. négatif auquel refùsent désormais de En effet, des milieux proches du s’identifier les Sud-africains blancs. 127
AFRIQUE DU SUD En ce sens, F.W. De Klerk a rai- un système de gouvernement dont son de déclarer que la porte est fer- les velléités démocratiques s’alignent mée définitivement à l’apartheid sur des impératifs économiques et (discours du 18mars 1992, Cape des visées internationales. A la Town, Tuynhuys Gardens). pointe australe du continent Les Blancs n’ont pas été fran- ((perdu est en train d‘éclore, aux )) chement appelés à voter pour la yeux attentifs (?) du monde des poursuite du processus de réforme grandes affaires avide de nouveaux qui doit aboutir à la rédaction d‘une marchés, la tentative audacieuse nouvelle Constitution permettant à d’un capitalisme respectable D. (( la majorité noire d’être représentée au pouvoir, et cela bien que la que_stion posée ait été explicite Entre allégresse (
. . MAGA-ZINE j campagne du Parti national insistait premier nouveau gouvernement élu sur les dangers d‘un vote négatif et de sa composition. qui conduirait le pays à la généra- Le Parti national, qui a été lisation de la violence et à la fail- forcé d’accentuer énergiquement ses lite économique ((( suns De KZerk, propres positions pour barrer la cela ne peut qu’empirer étant l’idée )) route à 1°C pourrait bien, fort de à faire passer en premier lieu dans son succès au référendum, refuser la campagne contre le CP et sans de négocier à la Codesa sur ces doute, en suivant, dans celle contre divers points. I1 pourrait peut-être l’ANC), le motif authentique de la même, en cas de désaccord impor- consultation concernait la poursuite tant sur des concessions majeures, des négociations avec la majorité se montrer capable d’avoir recours noire du pays. à un autre référendum. Pourtant, Accusé - non sans quelque per- dire que De Klerk a fait d‘une tinence peut-être - par le Parti pierre deux coups en jugulant conservateur de demander rien l’extrême-droite et en renforçant sa moins qu’un chèque en blanc à position vis-à-vis de l’opposition de l’électorat, le Parti national a dû gauche serait péremptoire. En effet, . énoncer clairement quelques-uns des alors que de nombreux arguments principes de base de sa stratégie et du Parti national avaient pour but garantir aux Blancs la prise en de convaincre les plus indécis de compte de leurs intérêts directs dans l’aile droite du parti, une énergie les discussions à venir : le maintien considérable a été déployée pour de leur niveau de vie, la protection rallier les votes des libéraux et de contre la domination noire, le res- la gauche. Pour ce faire, le Parti pect de la langue et de la culture national a mis l’accent sur le fait et l’assurance d’une dévolution qu’un vote positif ne signifiait pas maximale du pouvoir au cas où un voter pour le Parti ou pour De gouvernement issu de 1’ANC pren- Klerk, mais pour les négociations. drait les rênes. Autant de promes- I1 serait à présent pour le moins ses indispensables pour gagner le équivoque de la part du Parti natio- réfErendum : seront-elles honorées et nal de vouloir interpréter chacun que signifient-elles concrètement ? des 1 924 186 oui comme autant (( )) Par (( garantie de la non- d’actes d’allégeance. En outre, domination par exemple, le Parti )), l’écrasante victoire au référendum national propose un système de pourrait bien s’avérer une épée à gouvernement par rotation et un double tranchant pour De Klerk, cabinet ministériel multipartisan laissant à Nelson Mandela toutes les obligatoire. La référence aux droits raisons de penser que la menace de culturels pourrait avoir pour effet la droite était surévaluée et que, de réserver à des groupes linguisti- maintenant, rien ne barre plus la ques spécifiques - Afrikaans - des route aux revendications de 1’ANC. écoles privées dont l’emplacement et De ce point de vue, l’argument la gestion ne pourraient être discu- d’une éventuelle prise de pouvoir tés. Bien entendu, on peut s’atten- de l’extrême droite survie de son dre à un rejet ferme de ces propo- classique cortège de catastrophes ne sitions par 1’ANC. I1 demeure tou- peut plus être agité par le Parti tefois que le plus grand désaccord national et l’atout passe désormais pourrait avoir lieu à propos de la dans le jeu de 1’ANC où les plus première nouvelle Constitution, du ((durs D pourraient même répliquer 129
. .. . . . .. . .. .....- -.. , . .. ..- , . . . . . . .. . . ,. . .” ._. .. ... , :. ..... .... .I qu’à présent l’urgence du compro- explose systématiquement dans les mis est bien moindre qu’avant le townships chaque fois qu’un événe- référendum. ment politique majeur est imminent Un facteur toutefois qu’il ne ou en cours, reste un problème faudra pas que I’ANC néglige est énorme qu’il faudra impérativement que l’électorat blanc n’est pas si régler sous peine de voir ce phéno- soudé ni uni que les résultats de la mène incontrôlé déborder des zones consultation du 19 mars le laissent d’habitations noires. Certains rap- entendre et que le ((ouiN n’a pas ports de la commission d’enquête la même signification pour tous. De sur la violence - la Goldstone Com- Klerk a pourtant réussi à drainer mission - concluent sur les risques habilement les votes en sa faveur élevés de voir le conflit ANC-IFP mais aussi à attirer l’attention et, (Inkhatu Freedom Party) gagner les dans certains cas même, l’appui de zones urbaines - c’est-à-dire les vil- la population noire sud-africaine. les blanches du Natal, (Durban (( )) et Pietermaritzburg) et entraîner une escalade de la violence difficile Les volcans assoupis à juguler. Sur le terrain, depuis quelques Le référendum de mars 1992 est semaines, les forces de sécurité sont un vote extraordinaire puisqu’il massivement déployées dans les manifeste pour la première fois la townships et les transports en com- volonté d’une minorité blanche mun : leur mode d‘intervention est d‘accepter une rétrocession démo- supposé être davantage axé sur la cratique du pouvoir. Cela n’a jamais prévention de la criminalité et du eu de précédent. Aujourd’hui les terrorisme (patrouilles destinées à la nostalgiques de l’apartheid adoptent population, fouilles dans les trains, un profil bas et peu d’éléments interposition entre les factions riva- donnent à croire en la restructura- les). Maturit4 patience ét capacité (( tion solide des éléments les plus de ne‘gocier D sont les qualités recher- conservateurs j mais il serait naïf de chées par le général Johan Swart croire éteintes à jamais les passions (Weekly Muil, 20-26 mars 1992) et vaincu l’attachement féroce au chez les nouvelles recrues de la respect des droits culturels, écono- police. Ses effectifs devraient, pour miques et politiques de la minorité la seule ex-brigade anti-émeute blanche. rebaptisée Internal Stability Division De faSon subtile, De Klerk n’a - aux uniformes, logo et véhicules pas, dans ses commentaires sur redessinés - être augmentés de l’issue de la consultation, écrasé 12 O00 hommes dans les quatre ans totalement la droite ni fermé la à venir. porte aux conservateurs. Toutefois, Mais lorsqu’on connaît l’engage- ne sont pas totalement écartés les ment idéologique des sections spé- risques d’actes terroristes de la part ciales d’intervention de la police de quelques-uns des groupes sud-africaine et leur familiarité avec d‘extrême droite - qui représente la violence qui ne peut se muer du aujourd’hui moins de 6 Yo de la jour au lendemain en une volonté population sud-africaine - soucieux profonde de négocier (est-ce même de manifester leur existence et la possible ?), on peut douter du chan- force de leurs revendications. gement radical d’orientation des for- La violence, qui par ailleurs ces armées. Tant la police que 130
l’armée sont par ailleurs largement les leaders noirs. Ce vote est posi- compromises dans leur complai- tif, car il a, en quelque sorte, sance à l’égard de 1’IFP en guerre recomu tous les acteurs et il est contre 1’ANC dans les townships et hautement symbolique de voir De l’existence d‘une troisième force (( )) Klerk, Mandela, De Beer et Slovo potentielle en leur sein n’est pas à argumentant en public dans le exclure dans l’immédiat. même sens. Reste qu’à la CODESA la posi- tion de 1°C n’est plus tout à fait Au Sud. du nouveau ? au centre du terrain qu’occupe désormais De Klerk, grand gagnant Dans son énonciation publique de son r6férendum. De plus, 1°C du mythe fondateur de la nouvelle devra sans doute se montrer plus nation sud-africaine (((new South souple sur la question des sanctions, African), F.W. De Klerk a passé étant donné l’élan international avec brio l’épreuve de I’(( unité pour leur levée dès la proclamation blanche n, première étape dans sa des résultats. A n’en pas douter, les conquête de l’unité nationale. Alors discussions vont être âpres à la qu’au stade précédent, on pouvait CODESA, en ce qui concerne le observer un alignement des grandes partage du pouvoir, la date des élec- affaires et du nationalisme afrikaner, tions et la mise en place de la nou- aujourd’hui s’effectue la transition velle constitution. Mais c’est un vers un alignement de I’Etat, du F.W. De Klerlr serein et particuliè- monde des affaires et d’un nationa- rement préparé, soutenu localement lisme sud-africain. Bien que les réa- et surtout internationalement lignements avec les Noirs sud- appuyé sur un Parti national ren- africains ne soient pas encore visi- forcé qui fera face. bles, le (( oui)> au référendum replace tout le monde dans le débat, Véronique Faure dans le même bateau y compris (( )) Durban, avril 1992 131
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