Algodystrophie des membres inférieurs au cours de la grossesse Algodystrophy of the lower limbs during pregnancy

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Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 178–186
                                                                                                                   http://france.elsevier.com/direct/ANNRMP/

                                                                      Cas clinique

             Algodystrophie des membres inférieurs au cours de la grossesse

                        Algodystrophy of the lower limbs during pregnancy
  M. Sellami a,*, F. Frikha b, H. Fourati a, M. Ezzedine a, N. Hdiji a, M.-H. Elleuch b, S. Baklouti a
                                                a
                                                  Service de rhumatologie, CHU Hedi-Chaker, 3029 Sfax, Tunisie
                              b
                                  Service de médecine physique et rééducation fonctionnelle, CHU Habib-Bourguiba, Sfax, Tunisie

                                                    Reçu le 23 novembre 2005 ; accepté le 31 janvier 2006

Résumé

    La survenue d’une algodystrophie (AD) des membres inférieurs au cours de la grossesse est rare et probablement méconnue. Ses mécanismes
physiopathologiques restent discutés et apparaissent complexes et multifactoriels. Les auteurs rapportent dans cette étude rétrospective descrip-
tive, six observations de patientes atteintes d’AD des membres inférieurs au cours de la grossesse, vues entre 1993 et 2004. L’analyse des
résultats cliniques, radiologiques et évolutifs, comparés à la littérature, permet de dégager les principales caractéristiques de cette variété
d’AD : installation progressive au deuxième ou au troisième trimestre, localisation préférentielle à la hanche gauche, associée ou non à d’autres
régions articulaires des membres inférieurs qui peuvent aussi être atteintes isolément, et déminéralisation radiologique. L’IRM, sensible, spéci-
fique et non invasive, est actuellement l’examen de choix dans le diagnostic précoce et différentiel. L’évolution est favorable en quelques mois
avec guérison généralement sans séquelles.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract

    Algodystrophy (AD) of the lower limbs during pregnancy is rare and probably underdiagnosed. The physiopathologic mechanisms remain
under discussion and seem multiple and complex. This report describes a retrospective survey of 6 patients seen between 1993 and 2004 who had
algodystrophy of the lower limbs during pregnancy. Comparing the clinical, radiological and evolutionary results to the literature allows for
identifying the main features of AD during pregnancy: disease progression during the second or third trimester, preferential localization of the
left hip associated or not with other lower limb joint involvement and decalcification as seen on radiography. Magnetic resonance imaging
(MRI), which is accurate, specific and non-invasive, is currently the exam of choice in early and differential diagnosis. The evolution is favour-
able in a few months, with general recovery without disability.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Algodystrophie ; Grossesse ; Membres inférieurs

Keywords: Algodystrophy; Lower limbs; Pregnancy; Regional complex syndrome

1. Introduction                                                                   somotrices en réponse à des agressions variées. Certains fac-
                                                                                  teurs vertébropelviens sont susceptibles de favoriser la
   L’algodystrophie est un ensemble de manifestations doulou-                     survenue d’une algodystrophie des membres inférieurs. La
reuses extrêmement polymorphes liées à des perturbations va-                      grossesse, bien que rarement en cause, semble être, par le biais
                                                                                  de facteurs essentiellement mécaniques, une de ces étiologies
                                                                                  encore mal connues.
  * Auteurcorrespondant.                                                             Nous rapportons six observations d’algodystrophie des
   Adresse e-mail : monasellami@yahoo.fr (M. Sellami).                            membres inférieurs au cours de la grossesse, et à l’aide d’une
0168-6054/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.annrmp.2006.01.009
M. Sellami et al. / Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 178–186                               179

revue de la littérature, nous essayons d’en préciser les caracté-
ristiques cliniques, radiologiques et évolutives.

2. Observations

2.1. Observation no 1

   Mme S.H., primipare de 31 ans, consulte au septième mois
de sa grossesse pour des douleurs inguinales bilatérales sans
notion de facteurs déclenchants. Ces douleurs sont permanen-
tes, très intenses rendant tout déplacement impossible sans can-
nes. L’examen trouve une limitation importante et douloureuse
des mouvements des deux hanches. L’hémogramme et la vi-
tesse de sédimentation sont normaux. L’état général est bon.
Une IRM pratiquée devant cette symptomatologie intense
conclut à une algodystrophie des deux hanches en montrant
des anomalies de signal à type d’hyposignal T1, hypersignal
T2 des deux têtes fémorales s’étendant aux régions des deux
                                                                               Fig. 2. Radiographie du genou : déminéralisation du condyle externe gauche.
cols fémoraux.
   La patiente est traitée par mise en décharge, calcitonine et                mouchetée de la tête fémorale et du condyle externe (Figs. 1 et
rééducation. L’évolution clinique est bonne en trois mois, fa-                 2).
vorisée par l’accouchement, avec guérison totale.                                  La scintigraphie osseuse montre une hyperfixation de la tête
                                                                               fémorale, du condyle externe et de la diaphyse fémorale gau-
2.2. Observation no 2                                                          che (Figs. 3 et 4).
                                                                                   L’IRM a confirmé le diagnostic d’algodystrophie de la han-
                                                                               che gauche (Figs. 5 et 6).
    Mme D.R., 30 ans, primipare, sans antécédents, est hospita-
                                                                                   L’évolution clinique est favorable en six mois sous calcito-
lisée dans le post-partum immédiat pour douleur de la hanche
                                                                               nine, mise en décharge et rééducation quotidienne. Cependant,
et du genou du côté gauche, mécanique, s’accompagnant d’une
                                                                               la patiente garde des douleurs minimes à la marche au niveau
boiterie et impotence fonctionnelle partielle.
                                                                               de la hanche.
    Cette symptomatologie s’est installée au huitième mois de la
grossesse, sans facteur déclenchant précis.
                                                                               2.3. Observation no 3
    On note alors à l’examen une boiterie à la marche, et une
limitation douloureuse de la mobilité de la hanche. La mobilité
du genou est normale et il n’y a pas d’amyotrophie du quadri-                      Au septième mois de sa première grossesse, Mme M.S.,
ceps. Le reste de l’examen est normal. La vitesse de sédimen-                  âgée de 33 ans, a présenté de façon progressive une douleur
tation est à 45 la première heure. Sur les radiographies de la                 inguinale gauche, mécanique, d’intensité modérée. Elle
hanche et du genou gauche, on retrouve une déminéralisation                    consulte un mois après, et à l’examen on note une douleur à
                                                                               la mobilisation de la hanche gauche, qui n’est pas limitée.
                                                                               L’état général est conservé. La biologie trouve une vitesse de
                                                                               sédimentation à 30 la première heure et un hémogramme nor-
                                                                               mal. Le diagnostic d’algodystrophie est porté sur les données
                                                                               de l’IRM qui a montré des anomalies du signal de l’extrémité
                                                                               supérieure du fémur gauche (hypo- T1, hyper- T2) (Figs. 7 et
                                                                               8).
                                                                                   L’évolution est favorable au bout de deux mois, la malade
                                                                               étant traitée par calcitonine, décharge et rééducation.

                                                                               2.4. Observation no 4

                                                                                  Mme D.S, âgée de 37 ans, primipare, consulte 20 jours
                                                                               après son accouchement par césarienne, pour des douleurs de
                                                                               la racine du membre inférieur gauche, apparues au huitième
Fig. 1. Radiographie de la hanche gauche : déminéralisation mouchetée de la    mois de sa grossesse et aggravées en post-partum. Ces douleurs
tête fémorale gauche.                                                          sont mécaniques, d’intensité modérée, non améliorées par un
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                                                                                 Fig. 5. IRM, coupe frontale, séquence pondérée T1 : hyposignal de la tête
                                                                                 fémorale gauche.

                                                                                 Fig. 6. IRM, coupe frontale, séquence pondérée T2 : hypersignal de la tête
                                                                                 fémorale gauche.

Fig. 3 et 4. Scintigraphie osseuse : hyperfixation du tiers supérieur du fémur
gauche et du condyle externe gauche.

traitement antalgique. La patiente marche avec boiterie à l’aide
de deux cannes. À l’examen, la mobilité de la hanche est limi-
tée avec des douleurs provoquées très importantes. L’état gé-
néral est bon, la patiente est apyrétique avec absence de signes
cliniques de phlébite du membre inférieur. La vitesse de sédi-
mentation est à 83 la première heure, la C-réactive protéine est                 Fig. 7. IRM, coupe frontale, séquence pondérée T1 : hyposignal de l’extrémité
négative, la numération formule sanguine ne montre pas d’hy-                     supérieure du fémur gauche.
perleucocytose et l’examen cytobactériologique des urines est
stérile. La radiographie du bassin montre une hypertranspa-                         La scintigraphie osseuse montre une hyperfixation de la
rence diffuse de la tête fémorale gauche, sans anomalies de                      hanche gauche ainsi que des foyers de fixation au genou et
l’interligne articulaire.                                                        pied gauches et de la tête fémorale droite (Fig. 9).
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                                                                                 hyper- T2 des deux hanches prédominant à gauche (Figs. 10 et
                                                                                 11).
                                                                                     Le diagnostic d’algodystrophie au cours de la grossesse est
                                                                                 fait, la patiente est traitée par mise en décharge totale et calci-
                                                                                 tonine. Pour le pied, une kinésithérapie est associée fondée sur
                                                                                 les bains écossais. L’amélioration est rapide au bout de deux
                                                                                 mois. Vue huit mois après, la malade marche normalement,
                                                                                 avec persistance de douleurs positionnelles nocturnes.

                                                                                 2.5. Observation no 5

                                                                                     C’est au huitième mois de sa première grossesse qu’appa-
                                                                                 raissent chez Mme M.S., 38 ans, des douleurs au niveau du
                                                                                 pied droit avec œdème et tuméfaction, sans contexte trauma-
Fig. 8. IRM, coupe frontale, séquence pondérée T2 : hypersignal de l’extrémité   tique. Ces douleurs sont permanentes, à maximum nocturne,
supérieure du fémur gauche.                                                      et responsable d’une impotence fonctionnelle partielle. La mo-
                                                                                 bilité de la cheville est extrêmement limitée.
                                                                                     La radiographie de la cheville et du pied montre une très
                                                                                 importante déminéralisation avec respect de l’interligne articu-
                                                                                 laire. Au bout de quatre mois, et avec une mise en décharge et
                                                                                 traitement physique à base de bains écossais, massages à type
                                                                                 de drainage lymphatique et mobilisation active non doulou-
                                                                                 reuse, l’amélioration clinique est spectaculaire, avec une mobi-
                                                                                 lité normale de la cheville, ainsi que l’amélioration radiolo-
                                                                                 gique. La patiente garde des douleurs résiduelles minimes à
                                                                                 l’appui.

                                                                                 2.6. Observation no 6

                                                                                     Là encore, il s’agit d’une primipare de 37 ans qui se plaint
                                                                                 au quatrième mois de sa grossesse de douleurs des deux pieds
                                                                                 et du genou droit, d’intensité modérée, provoquées par la mar-
                                                                                 che, sans notion de traumatisme déclenchant. Après accouche-
                                                                                 ment à terme, survient une nette accentuation des douleurs res-
                                                                                 ponsable d’une impotence fonctionnelle importante.
                                                                                     L’examen trouve un œdème des deux avant-pieds sans si-
                                                                                 gnes inflammatoires locaux, une limitation de la mobilité des
                                                                                 deux chevilles plus marquée à droite et du genou droit.
Fig. 9. Scintigraphie osseuse : hyperfixation de la hanche gauche et du bord
supéroexterne de la tête fémorale droite.
                                                                                 L’amyotrophie du quadriceps droit est importante. L’état géné-
                                                                                 ral de la patiente est bon. La biologie est normale en particulier
                                                                                 la vitesse de sédimentation qui est à 25 la première heure. Le

                           Fig. 10. IRM, coupe axiale, séquence pondérée T1 : hyposignal des deux hanches prédominant à gauche.
182                                M. Sellami et al. / Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 178–186

                      Fig. 11. IRM, coupe axiale, séquence pondérée T2 : épanchement intra-articulaire et hypersignal des deux hanches.

bilan radiologique montre une déminéralisation des pieds                         3. Discussion
(Fig. 12) et du genou droit. Une scintigraphie est pratiquée,
montrant une hyperfixation des chevilles prédominant à droite,                   3.1. Pathogénie [7,10–12,35,42]
et du genou droit.
   Un traitement par calcitonine et kinésithérapie est entrepris.                    À l’encontre des algodystrophies (AD) des membres supé-
La guérison est obtenue en un mois : l’indolence est totale et la                rieurs, où intervient toute une variété d’affections cardiaques,
mobilité est parfaite. L’amélioration radiologique est retardée                  pleuropulmonaires, neurologiques ; celles des membres infé-
(Fig. 13).                                                                       rieurs sont moins fréquentes. Parmi les nombreuses causes
                                                                                 connues d’algodystrophie, la grossesse est rarement citée
                                                                                 comme une étiologie possible et ses mécanismes physiopatho-
                                                                                 géniques restent discutés. Elle semble favoriser la survenue
                                                                                 d’algodystrophie des membres inférieurs par le biais de fac-
                                                                                 teurs mécaniques : microtraumatismes dus aux mouvements
                                                                                 du fœtus, compression du nerf obturateur [13] ou du sympa-
                                                                                 thique pelvien [10] par l’utérus gravide. Il s’y ajoute des per-
                                                                                 turbations vasomotrices liées à la grossesse (stase veineuse).
                                                                                 Les perturbations hormonales au cours de la grossesse ne sem-
                                                                                 blent pas être incriminées du fait de la localisation presque ex-
                                                                                 clusive au niveau des membres inférieurs. Toutefois, il ne faut
                                                                                 pas mésestimer la part de certains facteurs métaboliques en
                                                                                 particulier l’hypertriglycéridémie [2,24,28,35].
                                                                                     Quant à la fréquente atteinte de la hanche gauche, elle est
                                                                                 due selon Curtiss [13] à l’habituelle présentation occipito-
                                                                                 iliaque antérieure gauche.

                                                                                 3.2. Fréquence
Fig. 12. Radiographie des deux pieds : déminéralisation mouchetée importante.
                                                                                    La survenue d’événements osseux pathologiques, algodys-
                                                                                 trophie et fracture, est rare pendant la grossesse [27,40]. Il est
                                                                                 très difficile d’apprécier la fréquence réelle de l’algodystrophie
                                                                                 au cours de la grossesse, car elle est probablement souvent mé-
                                                                                 connue. Approximativement, une centaine de cas ont été rap-
                                                                                 portés [3,9,17,24]. Le premier cas a été décrit par Renier en
                                                                                 1958 [29]. Un an après, Curtiss [13] rapportait trois observa-
                                                                                 tions de « déminéralisation transitoire de la hanche au cours de
                                                                                 la grossesse ». Serre [36] en 1973, sur 188 cas d’algodystro-
                                                                                 phie du membre inférieur, ne rapporte qu’un cas d’atteinte du
                                                                                 pied au huitième mois d’une grossesse et deux cas d’atteinte de
                                                                                 la hanche après accouchement dont un par césarienne. Dans le
                                                                                 travail de Lequesne portant sur 100 algodystrophies de la han-
                                                                                 che de 75 malades, l’auteur signale que trois cas sont survenus
                                                                                 lors d’une grossesse [25]. Dans une autre étude multicentrique
      Fig. 13. Radiographie des deux pieds après un mois d’évolution.            [1], sur 765 observations d’algodystrophie, sept cas soit 0,9 %
M. Sellami et al. / Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 178–186                             183

Tableau 1                                                                             seule de nos patientes a présenté une algodystrophie au deuxiè-
Quelques cas d’algodystrophie de la grossesse et du post-partum selon la              me trimestre (observation no 6).
littérature
Auteurs                      Nombre des          Localisation
                             parturientes                                             3.4. Topographie
Cayla (1978) [10]            4                   Hanche, genou, pied
Vinceneux (1979) [42]        3                   Hanche, genou, pied
                                                                                          Sur le plan topographique, il existe, contrairement aux au-
Doury (1979) [14]            2                   Hanche, pied
Shifrin (1987) [38]          6                   Hanche, genou, pied                  tres algodystrophies des membres inférieurs, une prédominance
Coughlan (1988) [12]         3                   Hanche, genou, pied                  de l’atteinte de la hanche (dans 90 % des cas) avec une certaine
Herisson (1991) [21]         6                   Hanche, genou, pied                  préférence pour la hanche gauche [7,9,10,15,28,35].
Hamidou (1991) [20]          2                   Hanche
                                                                                          Dans notre série, les 13 localisations se répartissent entre six
Gouin (1992) [18]            2                   Hanche, genou,
Doury (1995) [15]            1                   Hanche                               hanches (deux droites, quatre gauches), trois genoux et quatre
Zrigui (2002) [43]           1                   Hanche, cheville, pied               pieds. L’atteinte de la hanche gauche est isolée dans deux cas,
Sergent (2003) [35]          1                   Cheville                             et associée à l’atteinte de la hanche droite dans deux cas.
Notre série                  6                   Hanche, genou, pied                      L’atteinte de la hanche peut être précédée ou suivie d’une
                                                                                      autre localisation (genou, cheville, pied). Il est possible que le
sont survenus lors d’une grossesse et dans la minorité des cas                        pied ou le genou soit atteint avec des formes extensives sans
d’atteinte de la hanche isolée chez les femmes, la grossesse                          que la hanche soit atteinte, d’ailleurs De Seze [37] rapporte le
représente le quart des étiologies retrouvées. Quant à Lafforgue                      cas d’une femme de 30 ans chez laquelle fut observée sept
[24], il a recensé cinq cas d’algodystrophie de hanche sur une                        jours après un accouchement normal, l’extension au genou
période de 11 ans. Dans notre série, nous avons colligé six cas                       d’une algodystrophie qui avait touché le pied droit au qua-
d’algodystrophie au cours de la grossesse parmi 101 algodys-                          trième mois de grossesse (Tableau 2).
trophies sur une période de 16 ans (soit 6 %) (Tableau 1).
                                                                                      3.5. Clinique
3.3. Âge, parité, moment d’apparition
                                                                                         La symptomatologie clinique de l’algodystrophie au cours
                                                                                      de la grossesse ne présente aucune particularité. On retrouve
   Selon la littérature, l’âge moyen des malades ayant présenté
                                                                                      en cas d’atteinte de la hanche une douleur inguinale méca-
lors de leurs grossesses une algodystrophie est de 32 ans [9,                         nique, à début progressif, s’accompagnant d’une gêne fonc-
18], et la primipare est presque aussi souvent touchée que la                         tionnelle parfois importante contrastant avec une mobilité sou-
multipare [10,15]. Nos malades sont âgées en moyenne de                               vent peu réduite à l’examen [4,7,10,15,42]. L’état général est
34,4 ans et sont toutes primipares.                                                   toujours conservé comme a été constaté chez presque toutes
   La majorité de ces algodystrophies surviennent durant le                           nos patientes. Parfois le diagnostic d’algodystrophie de la han-
troisième trimestre [9,15,16,18,24,30]. Mais elle peut se pro-                        che peut être méconnue dans les formes frustes et être confon-
duire durant le premier, deuxième trimestre, lors de l’accouche-                      du avec le diagnostic de syndrome douloureux pelvien de la
ment, après césarienne ou en post-partum [7,9,15,19]. Une                             grossesse, beaucoup plus fréquent [24]. Dans quelques cas ra-
Tableau 2
Les caractéristiques de certaines observations d’algodystrophie de la grossesse selon la littérature
Auteurs                       Âge (ans)                  Parité (nombre)       Moment de survenue (mois)    Topographie            Côte atteint
Curtiss (1959) [13]           28                         4                     6e                           Hanche                 Droit + gauche
                              28                         2                     8e                           Hanche                 Gauche
                              35                         3                     9e                           Hanche                 Gauche
De Seze (1960) [37]           30                         NP                    4e post-partum               Pied, genou            Droit
Beaulieu (1976) [5]           30                         2                     7e                           Hanche + genou         Gauche
Koura-Bemba (1977) [23]       32                         1                     7e                           Hanches                Droit + gauche
Cayla (1978) [10]             32                         1                     7e                           Pied + genou           Droit
                              32                         1                     6e                           Pied, genou, hanche    Droit + gauche
                              28                         3                     8e                           Hanche                 Gauche
                              21                         1                     3e                           Pieds                  Droit + gauche
Zrigui (2002) [43]            40                         3                     5e                           Hanche                 Gauche
                                                                                                            Genoux                 Droit + gauche
                                                                                                            Chevilles              Droit + gauche
Sergent (2003) [35]           33                         5                     3e                           Chevilles              Droit + gauche
Nos observations              31                         1                     7e                           Hanches                Droit + gauche
                              30                         1                     8e                           Hanche + genou         Gauche
                              33                         1                     7e                           Hanche                 Gauche
                              37                         1                     8e                           Hanches, genou, pied   Gauche + droit
                              38                         1                     8e                           Pied                   Droit
                              37                         1                     4e                           Pieds+genou            Droit + gauche
184                           M. Sellami et al. / Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 178–186

res, la limitation des mouvements est importante pouvant                   [15,30]. Celle-ci se caractérise à l’IRM par une zone d’hyposi-
conduire au diagnostic de rétraction capsulaire comme dans                 gnal en T1, hyposignal en T2 bordé en dedans par une bande
l’observation de Brocq [8]. Pour les localisations articulaires            d’hypersignal.
périphériques, la symptomatologie associe des douleurs de type                L’IRM montre en cas d’algodystrophie un aspect typique
mécaniques ou inflammatoires avec tuméfaction et rougeur des               d’œdème médullaire avec hyposignal global de la tête et du
téguments [14,15,35].                                                      col fémoral sur les séquences pondérées en T1 et un hypersi-
   L’existence de formes asymptomatiques est niée par Curtiss              gnal sur les séquences T2. Ces anomalies sont retrouvées dans
[13] qui, ayant revu 100 pelvimétries de femmes enceintes, n’a             la majorité des cas [28], mais elles n’ont aucune spécificité, et
constaté aucune déminéralisation. Nous avons, en revanche,                 ne permettent de retenir le diagnostic d’algodystrophie de la
trouvé dans l’observation no 4 des atteintes radiologiques d’une           hanche qu’en l’absence de toute autre lésion osseuse [24].
hanche controlatérale, d’un pied et d’un genou qui sont asymp-                Toutefois, il est préférable d’éviter cet examen pendant le
tomatiques.                                                                premier trimestre [24].

3.6. Examens complémentaires                                               3.7. Traitement et évolution [4,7,10,12,20,35,40,42]

3.6.1. La biologie                                                             Au cours de la grossesse, le traitement est fondé sur la mise
   Les données biologiques ne sont pas spécifiques et leur in-             en décharge de l’articulation douloureuse grâce à l’utilisation
terprétation est difficile par le terrain sur lequel survient l’af-        de cannes permettant de supprimer les influx nociceptifs et
fection.                                                                   d’éviter la survenue de fracture du col [15]. La rééducation
   L’augmentation de la vitesse de sédimentation, retrouvée                est proposée afin d’entretenir la trophicité des deux membres
chez deux de nos patientes, est habituelle au cours de la gros-            inférieurs et la mobilité articulaire. Elle doit être précoce, pro-
sesse et n’a pas de valeur utile [5,7,10,15,20].                           gressive et prudente en respectant le principe de la non-
   De même l’élévation de l’hydroxyprolinurie mentionnée                   douleur. La kinésithérapie est fondée essentiellement sur les
dans certaines observations de la littérature, n’est pas à mettre          massages, les exercices de drainage circulatoire par des
sur le compte de l’algodystrophie, elle fait partie des constantes         contractions isométriques des différents groupes musculaires
modifiées lors du dernier trimestre de la grossesse [5,22].                et par la mobilisation active simple et analytique.
                                                                               La calcitonine en sous-cutanée, bien que n’ayant pas fait
                                                                           l’objet d’essai contrôlé et n’ayant plus d’AMM, a fait preuve
3.6.2. Les radiographies standards
                                                                           de son efficacité et semble être d’un apport très utile et donner
   Au cours de la grossesse, il faut éviter de pratiquer les exa-
                                                                           certaines satisfactions en pratique courante [14]. Elle constitue
mens radiologiques. Faites après accouchement, elles montrent,
                                                                           l’une des rares thérapeutiques autorisées pendant la grossesse
comme dans toute algodystrophie, la classique déminéralisa-
                                                                           [3,24]. La calcitonine entraîne un bénéfice rapide surtout si
tion homogène ou mouchetée, avec respect de l’interligne et
                                                                           prescrite précocement. L’amélioration porte principalement
absence de condensation [7,10,15]. Les images radiologiques
                                                                           sur la douleur.
sont en retard par rapport à la clinique d’environ un mois [35].
                                                                               Plusieurs études sont en faveur de l’intérêt de l’utilisation
                                                                           des bisphosphonates dans cette pathologie. Récemment, les
3.6.3. La scintigraphie osseuse                                            bisphosphonates en intraveineux ont été utilisés après accou-
    La scintigraphie au technétium 99m, réalisée également                 chement et en l’absence de lactation [34,41]. En 2000, Simi-
après l’accouchement, montre dans tous les cas, une hyperfixa-             noski [39] a mentionné le cas d’une patiente ayant présenté
tion intense non spécifique intéressant l’articulation concernée,          dans le premier mois de sa grossesse une algodystrophie sévère
dont le caractère multifocal est évocateur.                                des membres inférieurs responsable d’une impotence fonction-
    Il faut savoir que certains foyers d’hyperfixation peuvent             nelle totale ; les douleurs se sont accentuées après l’accouche-
intéresser des régions articulaires asymptomatiques (observa-              ment. Un traitement mensuel par pamidronate en intraveineuse
tion no 4) [7,15,20,24]. Toutefois, cette exploration reste d’uti-         a été entrepris pendant six mois. Quelques jours après la pre-
lité modeste [24].                                                         mière perfusion, les douleurs ont régressé et à la fin du traite-
                                                                           ment, les douleurs ont presque totalement disparu.
3.6.4. L’IRM                                                                   Dans une étude portant sur 15 patients, dont trois femmes
    Pratiquée au cours de la grossesse, est à l’heure actuelle le          enceintes, l’intensité des douleurs est passée de 71 à 4 mm sur
maître examen en matière d’algodystrophie de hanche [24,32]                l’échelle visuelle analogique (EVA) un mois après trois perfu-
permettant de porter un diagnostic précoce de certitude et de              sions de 45 mg de pamidronate [41].
faire le diagnostic différentiel avec d’autres pathologies. En ef-             Le fait que l’accouchement puisse conduire à la guérison, la
fet, le diagnostic d’algodystrophie de la hanche est parfois dif-          grossesse peut être raccourcie dans le but d’accélérer la guéri-
ficile avant l’accouchement, le tableau peut simuler ou être               son. L’allaitement, constituant un facteur surajouté de déminé-
confondu avec une tendinopathie, une radiculalgie, une arthro-             ralisation osseuse, est déconseillé dans le post-partum [35,40].
pathie infectieuse ou inflammatoire, une tumeur bénigne ou                     L’évolution de l’algodystrophie survenant au cours de la
maligne, et surtout avec l’ostéonécrose de la tête fémorale                grossesse est généralement favorable et la guérison survient
M. Sellami et al. / Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 178–186                                     185

Tableau 3                                                                          [5] Beaulieu JG, Razzano CD, Levine RB. Transient osteoporosis of the hip
Délais moyens d’évolution et de guérison de l’algodystrophie au cours de la             in pregnancy. Review of the literature and a case report. Clin Orthop
grossesse selon la littérature                                                          Relat Res 1976;115:165–8.
Auteurs                        Observation         Évolution guérison              [6] Billey T, Dromer C, Pages M, Caulier M, Lassoued S, Fournié B. Frac-
                                                                                        ture spontanée du col fémoral au cours d’une algodystrophie de hanche
Curtiss (1959) [13]            1                   Deux mois et demi
                                                                                        pendant la grossesse. Rev Rhum 1992;59:494–6.
                               2                   Deux mois
                               3                   Six mois                        [7] Bonnefoy-Cudraz M, Mazières B, Fauchier C, Lamy Y, Valentin L,
Rosen (1970) [31]              1                   Six semaines                         Roux H. Algodystrophie et grossesse, à propos de quatre cas. Rev
Longstreth (1973) [26]         1                   Cinq mois                            Rhum 1982;49:771–4.
Beaulieu (1976) [5]            1                   Trois mois                      [8] Brocq O, Carli P, Paris JF, Brouchiat C, Chagnon A. Rétraction capsu-
Nos observations               1                   Trois mois                           laire de la hanche au cours du post-partum. Rev Rhum 1993;60:629.
                               2                   Six mois                        [9] Brocq O, Simon E, Bongain A, Gillet JY, Euller-Ziegler L. Femoral neck
                               3                   Deux mois                            fracture complicating algodystrophy in pregnancy. Presse Med 1999;28:
                               4                   Deux mois                            1165–6.
                               5                   Quatre mois                     [10] Cayla J, Chaouat D, Rondier J, Guerin K, Frugier JC. Les algodystro-
                               6                   Un mois                              phies réflexes des membres inférieurs au cours de la grossesse. Rev
                                                                                        Rhum 1978;45:89–94.
                                                                                   [11] Chigira M, Watanabe H, Udagawa E. Transient osteoporosis of the hip in
dans un délai variable de quelques semaines à trois mois, par-                          the first trimester of pregnancy. A case report and review of Japenese
fois suivie d’une accentuation des douleurs en post-partum                              literature. Arch Orthop Trauma Surg 1988;107:178–80.
comme était le cas de trois de nos patientes (observations                         [12] Coughlan RJ, Hazleman BL, Crispa J, Jenner JR, Page Thomas DJ.
no 2, 4 et 6) (Tableau 3).                                                              Algodystrophy in pregnancy. Three case reports. Br J Obstet Gynaecol
                                                                                        1988;95:935–7.
    La restauration radiologique est souvent retardée de quel-                     [13] Curtiss PH, Kincard Jr. WE. Transitory demineralisation of the hip in
ques mois.                                                                              pregnancy. J Bone Joint Surg 1959;41:1327–33.
    Les complications de l’algodystrophie sont essentiellement                     [14] Doury P, Dirheimer Y, Pattin S. Algodystrophy, diagnosis and therapy of
liées au risque fracturaire (19 % des algodystrophies de han-                           a frequent disease of the locomotor apparatus. 1.Vol. Berlin-Heidelberg–
                                                                                        New York: Springer Verlag; 1981.
che) [9,28,33,35]. Dans notre série, nous n’avons observé au-
                                                                                   [15] Doury P. L’algodystrophie de la grossesse ou du post-partum. Sem Hop
cun cas se compliquant d’une fracture. La récidive est possible                         Paris 1996;72(3,4):117–24.
lors d’une grossesse ultérieure [6,9,18].                                          [16] Favier T, Begue T, Lelirzin R, Pidhorz L. L’algodystrophie de hanche au
                                                                                        cours de la grossesse. Presse Med 1993;22:270.
                                                                                   [17] Furno-Steib S. Coxopathies de la grossesse : analyse des cas observés
4. Conclusion                                                                           dans un service de rhumatologie. Thèse de doctorat en médecine, Mar-
                                                                                        seille, 2001.
                                                                                   [18] Gouin F, Maulaz D, Aillet G, Pietu G, Passuti N, Bainvel JV. Fracture
   L’algodystrophie chez la parturiente est relativement rare et                        du col du fémur compliquant une algodystrophie de hanche au cours de
reste souvent méconnue. Elle touche les membres inférieurs                              la grossesse. À propos de deux observations. Rev Chir Orthop 1992;78:
avec une prédominance nette de l’atteinte de la hanche. Elle                            45–50.
est responsable de douleur pelvienne ou d’œdème des mem-                           [19] Guaquiere A. Les algodystrophies du membre inférieur à localisation
bres, situations couramment observées au cours de la gros-                              coxofémorale prédominante. Thèse de doctorat en médecine, Nancy,
                                                                                        1969.
sesse. Elle peut donc poser des problèmes diagnostiques no-                        [20] Hamidou M, Lassoued S, Fournie B, Fournié A. Algodystrophie de han-
tamment dans les formes frustes. Les examens d’imagerie                                 che et grossesse. J Gynec Obstet Biol Reprod 1990;19:324–6.
dominés par l’IRM constituent une aide au diagnostic positif                       [21] Herisson C, Bouquillard E, Marcelli C, Simon L. Algodystrophie de la
et différentiel. Quand le diagnostic de l’algodystrophie est                            grossesse et du post-partum. Rhumatologie 1991;43:49–54.
confirmé, il impose la décharge, une thérapeutique adaptée et                      [22] Klein L, Yen SSC. Urinary peptide hydroxyproline before and during
                                                                                        post-partum involution of human uterus. Metabolism 1970;19:19–23.
une rééducation quotidienne pour soulager les douleurs et évi-
                                                                                   [23] Koura-Bemba D, Bouchot M, Froment J, Buchard JM, Pluvinage C.
ter les complications. La guérison est habituellement obtenue                           Forme compliquée d’algodystrophie de hanche au cours de la grossesse.
au bout de quelques mois, favorisée parfois par l’accouche-                             Ann Med Nancy 1977;2:173–7.
ment, sans séquelles.                                                              [24] Lafforgue P, Furno-Steib S. Coxopathies induites par la grossesse. Rev
                                                                                        Rhum 2005;72:733–8.
                                                                                   [25] Lequesne M, Mauger B. Cent algodystrophies décalcifiantes de la hanche
Références                                                                              chez 74 malades. Rev Rhum 1982;49:787–92.
                                                                                   [26] Longstreth PC, Malinak LR, Hill CS. Transient osteoporosis of the hip in
                                                                                        pregnancy. Obst Gynec Surv 1973;41:563–9.
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                                                                                   [27] Perka C, Buttgereit F, Backhaus M. Pregnancy-induced algodystrophy. Z
      trophies : terrain et facteurs pathogéniques. Résultats d’une enquête mul-
                                                                                        Rheumatol 1998;57:399–408.
      ticentrique portant sur 765 observations. Rev Rhum 1982;49:761–6.
                                                                                   [28] Poncelet C, Perdu M, Levy-Weil F, Philippe HJ, Nisand I. Reflex sym-
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      the hip in pregnancy. A case report. Clin Exp Obstet Gynecol 1984;11:             tique de la tête fémorale et grossesse. À propos de deux observations
      152–5.                                                                            avec étude IRM. J Radiol 1988;69:611–5.
186                                  M. Sellami et al. / Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 178–186

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     22.                                                                                 d’un cas. Rev Rhum 2002;69:572–3.
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