AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19 - FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE - UNI Global Union
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AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19: FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE “Amazon est une société exceptionnellement bien gérée qui a manifesté une formidable capacité à dégager des opportunités et à mettre en place des processus répétables pour en tirer parti. En revanche, elle manque de vision quant au coût humain de sa croissance implacable et de son accumulation de richesse et de pouvoir. Si certaines des choses que fait Amazon nous déplaisent, nous devons instaurer des garde-fous juridiques pour y mettre fin. Il n’est pas nécessaire d’inventer : il suffit d’appliquer rigoureusement la législation anti-trust et celle qui assure l’autonomie et un salaire de subsistance pour les travailleurs et qui leur permet de se prendre en charge. Voilà qui ouvre clairement une voie à suivre pour l’avenir.” Tim Bray, ancien Vice-président d’Amazon, qui a démissionné pour protester contre les pratiques d’Amazon durant la pandémie de coronavirus.
INTRODUCTION La pandémie de coronavirus a eu une immense incidence sur les travailleurs et les communautés de par le monde. Sous l’effet du confinement, la demande en matière de commerce électronique et de cloud computing (prestations informatiques en vailleurs en Espagne, en Italie et en France ont été nuage) a connu une hausse spectaculaire, ce qui a forcés de s’adresser aux autorités gouvernementales accru d’autant l’influence d’Amazon sur notre éco- ou de faire grève pour obliger Amazon à veiller à nomie et sur notre société. leur sécurité. Le message est clair : Amazon accepte de se comporter correctement, mais uniquement La pandémie, qui a déjà eu des effets dévasta- à condition que les travailleurs syndiqués, le gou- teurs sur une bonne partie de notre économie, vernement et la société civile l’y obligent. Amazon pourrait accélérer les tendances à long terme qui doit mieux faire. concentrent le pouvoir entre les mains d’un petit nombre de grandes entreprises technologiques. Dans le contexte de ses très médiocres perfor- La crise a encore consolidé le rôle du commerce mances sociales, Amazon occupe depuis la pandé- électronique en poussant les magasins physiques à mie une position de marché renforcée qui constitue mettre la clé sous la porte. Selon de nombreuses une menace pour nos économies et nos sociétés. prévisions, au moins une partie des achats en ligne L’influence d’Amazon se fait sentir bien au-delà du vont devenir permanents, ce qui va modifier le secteur de la distribution. Ce géant de la technolo- paysage urbain des villes grandes ou petites du gie est non seulement une force du commerce en monde entier. ligne, mais aussi un leader du cloud computing, de la retransmission vidéo, de la distribution phy- Le succès d’Amazon durant la crise a encore no- sique des produits d’épicerie, de la pharmacie, et a tablement augmenté la fortune de son fondateur, manifesté des ambitions à se développer dans les Jeff Bezos, qui était déjà l’homme le plus riche du réseaux sans fil, les soins de santé et la fourniture monde. Entre le 18 mars et le 17 juin, celle-ci est de services Internet. Amazon est une menace non passée de 113,0 à 156,8 milliards de dollars, puis seulement pour les travailleurs, à 182,6 milliards début juillet, lorsque l’action d’Amazon a atteint son sommet historique. Jeff mais aussi pour ceux qui défendent la sphère Bezos est ainsi devenu, et de très loin, l’homme le privée et les libertés civiques ainsi que la diversité plus riche du monde. Mais Amazon n’en a pas as- du marché. Le monde où nous vivons n’est pas la sez fait pour les travailleurs qui permettent à l’en- propriété d’Amazon : c’est à nous qu’il appartient. treprise de fonctionner. Nous devons veiller à ce que le rétablissement de Amazon n’a pas écouté les travailleurs qui pro- la pandémie de coronavirus aboutisse à un monde testaient contre les risques qui mettaient leur vie plus juste, plus durable et plus démocratique que le en danger. Aux États-Unis, Amazon a licencié des précédent. Ce combat commence dès aujourd’hui. travailleurs de la technologie et des entrepôts qui voulaient assurer leur sécurité. En Europe, des tra- Christy Hoffman Secrétaire Général du UNI Global Union FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE 5
RÉSUMÉ ANALYTIQUE Préparée à une expansion rapide avant même la pandémie, Amazon a tiré parti de sa position dominante dans la distribution électronique et dans les services web durant la crise pour devenir un acteur incontournable de la vie moderne dans de nombreux marchés. Son influence politique et écono- mique ayant progressé aussi rapidement que ses recettes, l’ascension de l’en- treprise soulève des questions fondamentales sur la manière dont Amazon devrait être structurée et réglementée. Amazon contrôlait déjà 50% du marché du commerce électronique aux États-Unis, mais durant la crise de la COVID-19, le trafic sur Amazon.com a progressé de 20%, alors que la demande de certains services, tels que la li- vraison de produits d’épicerie à domicile, explosait de quelque 90% pendant que les magasins physiques étaient temporairement fermés dans un grand nombre de pays. Bon nombre de ces magasins de distribution traditionnels ne seront pas à même de supporter une fermeture de plusieurs mois et ne rouvriront plus jamais, ce qui réduira encore la concurrence pour les distri- buteurs en ligne. Mais les magasins physiques ne sont pas les seuls à avoir été mis à rude épreuve pendant que les recettes d’Amazon progressaient. Les vendeurs tiers qui utilisent la plateforme Amazon Marketplace se sont eux aussi retrouvés piégés. Amazon a temporairement mis un terme aux livraisons de produits non essentiels de tiers aux clients, tout en continuant à expédier ses propres produits non essentiels. Cette décision a porté atteinte aux deux millions de revendeurs autorisés qui dépendent d’Amazon pour l’accès aux marchés, mais qui sont également en concurrence directe avec les produits de l’entre- prise. Seuls ceux qui possédaient les infrastructures et les capacités leur per- mettant de vendre et de livrer leurs produits en dehors du marché Après avoir renforcé sa position et face à une crise d’Amazon ont pu atténuer leurs économique, Amazon est bien positionnée pour pertes, mais ils sont en minorité. effectuer, à des prix dérisoires, des acquisitions Étant donné qu’une bonne par- tie du travail, des activités scolaires destinées à neutraliser la concurrence. et du divertissement est diffusée à domicile, nous sommes davantage tributaires d’Amazon Web Services qui héberge des services tels que Zoom ou Netflix. À la fin de 2019, la part de marché d’AWS dans les services en nuage était estimée à 33%, soit plus que la part cumulée de ses trois plus grands concurrents, et ses ventes ont explosé de 33% au premier trimestre de 2020, ce qui est un signe d’une croissance rapide à venir. La part de marché de l’entreprise est si importante qu’une journaliste a déclaré qu’elle ne pouvait pas « fonctionner normalement » en évitant AWS. Tout comme Amazon.com est largement devenue le marché du commerce électronique, AWS est devenue l’Internet. Après avoir renforcé sa position et face à une crise économique, Amazon est bien positionnée pour effectuer, à des prix dérisoires, des acquisitions destinées à neutraliser la concurrence. Elle a déjà commencé: l’achat par 6 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
Amazon d’une part de la socié- té en ligne de livraison de repas Deliveroo a fait l’objet d’une approbation accélérée en avril 2020 afin de sauver Deliveroo de la faillite. Début mai 2020, des bruits ont couru selon lesquels Amazon envisageait d’acheter AMC Entertainment Holdings Inc., le plus grand opérateur de cinéma au monde, ce qui donne- rait au studio d’Amazon un canal direct et efficace pour atteindre les cinéphiles aux États-Unis et en Europe. Aux États-Unis, Amazon semble vouloir acheter le distributeur J.C. Penny, désor- mais en faillite. En Inde, Amazon à l’encontre d’Amazon. Selon certaines sources, envisage de relever la part qu’elle détient dans le début 2020, la Federal Trade Commission a re- groupe Future Retail, dont le prix de l’action s’est cueilli des éléments relatifs à la manière dont Ama- effondré sous l’effet de l’un des confinements les zon donne la priorité à ses produits et à ses services plus rigoureux du monde. sur ceux de ses partenaires et de ses concurrents. Le Non content d’absorber une part de marché de 23 avril 2020, une enquête du Wall Street Journal plus en plus grande, Amazon bénéficie d’un autre montrait qu’Amazon utilisait des données venant avantage compétitif : un régime d’évitement fiscal de ses propres vendeurs pour lancer des produits exceptionnellement agressif. Ces six dernières an- concurrents. Cette publication a renforcé les pres- nées, Amazon n’a payé que 7,8 milliards de dollars sions politiques exercées sur l’entreprise : le 28 d’impôts sur le revenu, soit 11 fois moins qu’Apple avril, un sénateur a incité le ministère américain et 4,4 fois moins que Microsoft ou Walmart. En de la Justice à ouvrir une enquête pénale anti-trust Europe, Amazon ne paye pratiquement pas sur la base des constats du Wall Street Journal, et d’impôts ; au contraire, ces deux dernières le 1er mai, un groupe de sept législateurs a envoyé années, Amazon Europe a bénéficié de crédits une lettre à Jeff Bezos pour lui demander de témoi- d’impôts pour plus d’un demi-milliard d’euros. gner devant le Congrès à propos de déclarations Ce comportement a directement contribué au antérieures de l’entreprise selon lesquelles celle-ci sous-financement structurel de services publics, et n’utilisait pas de données de tiers pour lancer des notamment de systèmes de soins de santé, deve- marques privées concurrentes. nus brutalement vulnérables durant la pandémie. Ces actions ne doivent pas s’arrêter là. De même Cette situation est loin d’être celle de nombreux que notre monde va radicalement changer après distributeurs traditionnels et autres hypermarchés la pandémie, Amazon va devoir changer, elle aus- qui s’acquittent de leur juste part d’impôts – des si. Mais l’entreprise va-t-elle accroître son emprise impôts dont la perception sera vitale pour les gou- sur nos marchés et sur nos communautés ? Cela vernements qui voudront essayer de financer leurs dépendra de la résistance qu’y opposeront les ré- plans de reprise économique après le coronavirus. gulateurs, les organisations communautaires, les Ces derniers mois, des voix de plus en plus nom- syndicats et les militants anti-monopoles. breuses se sont élevées pour réclamer des enquêtes FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE 7
i DOMINATION DU MARCHÉ AVANT LA CRISE Lorsque la crise du coronavirus s’est déclenchée, Amazon était en position de force. Depuis des années, le géant du commerce électronique connaissait une croissance rapide sur le plan des ventes, de l’impact, des effectifs et du prix de l’action. Cette croissance impressionnante était alimentée par une série de choix stratégiques qui primaient sur les bénéfices et le bien-être des employés. Cet effort pour obtenir une part de plus en plus grande du gâteau a fait d’Amazon le plus grand distributeur en ligne et d’Amazon Web Services (AWS) la plus grande entreprise de cloud computing au monde. De 2013 à 2019, ses revenus ont augmenté en moyenne de 46% par an – contre 10,3% pour Microsoft ou 8,7% pour Apple. Dans l’intervalle, les revenus des grands distributeurs traditionnels progressaient marginalement, voire diminuaient. Dans la même période, le chiffre d’affaires de Walmart augmentait de 1,7% par an, tandis que celui de Carrefour diminuait. Aux États-Unis, Amazon. com représente près de la moitié du commerce électronique au détail, et son concurrent le plus proche est loin derrière.1 RÉSULTAT D’EXPLOITATION, 2017 2018 2019 EN MILLIONS DE DOLLARS US Distribution en ligne, total -225 5125 5340 Amérique du Nord 2837 7267 7033 International -3062 -2142 -1693 AWS 4331 7296 9201 Résultat d’exploitation consolidé 4106 12421 14541 Bénéfice net consolidé 3033 10073 11588 Figure 1: résultat d’exploitation d’Amazon En partie, Amazon a obtenu cette croissance en tolérant que ses opéra- tions enregistrent des pertes. Pendant des années, les bénéfices réalisés par Amazon Web Services (AWS) ont couvert les pertes des opérations de dis- tribution en ligne de l’entreprise. Comme le montre la figure 1, la division internationale d’Amazon perd toujours de l’argent après plus de 20 années d’existence : ces trois dernières années, les pertes d’exploitation nettes totales de ce segment se sont montées à 6,9 milliards de dollars. L’ascension d’Amazon repose également sur les pratiques agressives de l’entreprise vis-à-vis de ses concurrents, car elle utilise toute une série de techniques anti-concurrentielles pour acquérir une part de marché et se dé- barrasser des concurrents directs. Dans son rôle de distributeur, Amazon agit 8 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
à la fois comme vendeur et comme fournisseur de plateforme, en exploitant un marché où deux millions de vendeurs tiers sont autorisés à vendre leurs produits.2 Amazon a été accusée de tarification prédatrice et Amazon a été accusée de tarification de contrôle excessif sur les vendeurs tiers qui utilisent prédatrice et de contrôle excessif sa plateforme.3 Pour ces derniers, Amazon impose des dispositions contractuelles qui interdisent aux tiers de sur les vendeurs tiers qui utilisent sa vendre leurs produits à des prix inférieurs par le biais de plateforme. plateformes de commerce électronique concurrentes. 4 Des vendeurs tiers sont devenus dépendants de la plateforme Amazon et ont conclu des accords horizontaux sur les prix avec le géant du commerce électronique, ce qui, de facto, entrave la concurrence sur les prix.5 Amazon a également fait usage des innombrables données venant de ses serveurs web pour copier les produits et les services de ses concurrents ou obtenir un avan- tage compétitif au moment de pénétrer sur de nouveaux marchés.6 La croissance d’Amazon ne s’est pas arrêtée au commerce électronique et aux services en nuage. En 2017, l’acquisition de la chaîne américaine de magasins d’épicerie Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars a permis au géant du commerce électronique d’acheter une importante plateforme phy- sique, ce qui lui a donné le contrôle d’un grand nombre de sites urbains, et de posséder une vaste base de données d’achats susceptible d’être utile pour l’expansion de ses opérations d’épicerie en ligne et de ses offres de marques privées. ii RENFORCEMENT DE LA MAINMISE D’AMAZON SUR LE COMMERCE, ÉLECTRONIQUE OU NON, DEPUIS LA COVID-19 La pandémie de coronavirus a eu des effets dé- Les ventes de commerce électronique ont explo- vastateurs sur la distribution traditionnelle par le sé pendant l’épidémie. Selon Adobe, au cours de la biais de magasins physiques, en stimulant le com- pandémie de COVID-19, les achats en ligne sont merce en ligne durant la fermeture temporaire des devenus le mode de commerce numéro un pour magasins non essentiels. Aux États-Unis, plus de des populations soumises à d’énormes règles de dis- 90 grands distributeurs ont temporairement fermé tanciation sociale dans le monde entier et qui ont leurs magasins,7 alors que les analystes de marché choisi d’effectuer en ligne les achats qu’elles réali- prédisent que plus de 15.000 magasins fermeront saient précédemment en personne. Alors que près en 2020, très souvent définitivement.8 Dans la plu- d’un milliard d’individus se retrouvaient confinés part des pays d’Europe, les magasins qui vendent chez eux dans le monde entier,10 la distribution en des articles non essentiels ont été obligés de fermer ligne progressait dans tous les pays possédant une lors du confinement.9 infrastructure soutenant ce type d’opération. Un exemple de ce phénomène est la livraison à domi- cile en France, où les ventes ont augmenté de 90% FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE d’une année sur l’autre. 9
INCREASE IN SUPERMARKET AND ONLINE SALES IN FRANCE AFTER THE CORONAVIRUS OUTBREAK DURING THE WEEK OF 16 MARCH TO 22 OF MARCH, 2020, COMPARED TO THE CORRESPONDING MONTH OF LAST YEAR 100% 90% 80% 74% 74% 62% 60% 40% 35% 18% 21% 20% 0% ket ket l rmar rmar Hard Urba n Rura Drive Hom e Hype Supe co unts outle ts outle ts e l i very dis d Données: Nielsen, Statista Figure 2: Progression des ventes dans les supermarchés et en ligne en France Toutefois, tous les acteurs du commerce en Le confinement ayant accéléré le passage aux ligne n’ont pas tiré un profit identique de cette achats en ligne, Amazon a profité de la hausse de progression. Selon une enquête réalisée auprès de la demande dans pratiquement toutes ses branches 304 distributeurs aux États-Unis, seule une mino- d’activités : ventes en ligne, magasins physiques, di- rité (38%) s’attendait à ce que ses ventes en ligne vertissement et cloud computing. Cette croissance augmentent légèrement ou nettement durant le souligne l’occasion qui est offerte à Amazon dans confinement.11 Lors de l’accroissement des ventes ce nouvel environnement d’accumuler davantage électroniques durant la pandémie, les clients ne d’influence à l’encontre de ses concurrents. sont généralement pas passés des magasins phy- Entre le 5 et le 31 mars, le nombre total de vi- siques aux boutiques en ligne correspondantes, sites quotidiennes sur Amazon.com a augmenté de mais se sont plutôt adressés aux suspects habituels 9,4%. En Italie, l’un des pays les plus touchés par tels qu’Amazon, eBay, Cdiscount, bol.com ou aux la pandémie de COVID-19, les ventes ont pro- divisions en ligne des grands distributeurs tels que gressé de 9% dans la première semaine de mars et Walmart, Target, Auchan ou Carrefour. Certes, les de 21% dans la seconde.12 ventes par le biais des plateformes de commerce en ligne de petits acteurs ont pu légèrement progres- La vente de produits d’épicerie sur Amazon.com ser, mais sans pouvoir compenser les volumes de a doublé durant la semaine du 16 mars par rapport ventes perdus dans les magasins physiques. à la semaine du 6 janvier, alors que les produits de beauté et de soins personnels augmentaient de L’ampleur exacte des effets de la pandémie sur 47%. Par ailleurs, l’intégration des ventes en ligne le commerce reste encore inconnue, mais il ne fait et hors ligne était renforcée, alors que la capacité guère de doute que la crise laissera de profondes de livraison des produits d’épicerie augmentait de traces sur la manière d’acheter et de consommer plus de 60% durant la pandémie et que le retrait des médias. Il ne fait pas de doute non plus qu’elle des articles en magasin s’étendait de 80 à plus de profitera aux grands acteurs, tels qu’Amazon, qui 150 magasins Whole Food. possèdent les capitaux leur permettant de traverser la tempête et d’en sortir renforcés. Amazon envisage d’affecter son bénéfice d’ex- ploitation du 2e trimestre, estimé à 4 milliards de dollars, à des dépenses liées à la COVID, en utili- AUGMENTATION DES VENTES sant ses énormes capitaux pour consolider sa po- D’AMAZON DURANT LA sition acquise dans la pandémie, que bon nombre de ses concurrents seront incapables d’égaler. COVID-19 10 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
Scott Galloway, profes- seur à l’Université de New York, prédit qu’Amazon construira la première chaîne d’approvisionne- ment à l’épreuve du virus, réalisera une forte percée autour de EPI, des tests et de la vaccination et pro- fitera de cette expérience comme d’un tremplin pour se lancer dans le sec- teur des soins de santé, qui représente un marché de plusieurs trillions de dol- lars par an. 13 Le 21 avril, au plus fort de la pandémie en Europe, et alors que les commandes enflaient, Amazon a décidé de sabrer les commissions d’affiliation qu’elle verse stocks. Selon de nombreuses sources émanant de aux sites web de tiers, ce qui, une nouvelle fois, a travailleurs et de syndicats, les livraisons d’articles perturbé de manière déloyale d’autres entreprises à non essentiels se sont poursuivies. son propre avantage tout en démontrant le pouvoir Cette politique a suscité la confusion et la pa- excessif qu’elle détient sur le marché.14 Depuis des nique parmi les vendeurs tiers. Dix jours après la années, Amazon exploite un programme de publi- mise en place des restrictions, Amazon a annoncé cité pour les affiliés qui permet aux membres de qu’elle allait étendre la gamme de produits accep- créer un lien vers des produits Amazon en échange tés dans ses entrepôts, en faisant une sélection ar- d’un pourcentage sur les ventes. Ce programme ticle par article. génère d’importantes recettes pour des sites web tels que BuzzFeed, The New York Times ou Vox Dans l’intervalle, des observateurs indépen- Media.15 dants soulignaient qu’Amazon favorisait sa propre liste de produits non essentiels par rapport à ceux des vendeurs indépendants, alors même que ces CONTRÔLE PAR AMAZON derniers proposaient des délais de livraison plus DE LA PLATEFORME OÙ courts. Amazon a fait porter la responsabilité de ELLE EST PRÉSENTE COMME cette situation sur un problème d’algorithme qu’elle a promis de corriger.16 CONCURRENTE, CE QUI FAIT En France, une décision de justice rendue en COURIR DES RISQUES AUX avril a obligé Amazon à collaborer avec les syndi- VENDEURS TIERS cats pour évaluer et mettre en place les mesures pertinentes afin de remédier aux risques pour la Le 17 mars, lors de l’apparition de l’épidémie, Amazon a annoncé qu’elle allait cesser temporai- rement de livrer à ses entrepôts des marchandises non essentielles venant de vendeurs tiers aux États- Le confinement ayant accéléré le Unis. Cette restriction, qui devait s’appliquer ini- passage aux achats en ligne, Amazon tialement jusqu’au 5 avril, a ensuite été prolongée jusqu’au 13 avril. a profité de la hausse de la demande Néanmoins, Amazon n’a pas cessé de livrer des dans pratiquement toutes ses marchandises non essentielles venant de ses propres branches d’activités. FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE 11
santé et la sécurité. À défaut, Amazon serait tenue de limiter ses ventes aux marchandises non essentielles. Suite à cette décision, Amazon a annoncé qu’elle allait temporairement fermer toutes ses activités en France.17 Après plusieurs semaines de fermeture, la société a finalement conclu un accord avec les syndicats, mais cet arrêt unilatéral de l’entreprise a affecté les tra- vailleurs et les clients, ainsi que les commerçants sur la plateforme Amazon Marketplace. La perte de ventes sur Amazon La perte de ventes sur Amazon Marketplace, même Marketplace, même pendant une pendant une courte période, peut être fatale pour de courte période, peut être fatale pour de nombreux vendeurs tiers. nombreux vendeurs tiers. Ainsi, Molson Hart, qui vend des jouets sur Amazon, déclare : « Si on nous interdisait temporairement de vendre sur Amazon.com, nous ferions sans doute faillite en trois à six mois. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. Cette situation est typique des petites et moyennes entreprises qui vendent en ligne de nos jours. En réalité, la plupart des entreprises telles que la nôtre mettraient sans doute la clé sous la porte encore plus tôt. »18 Selon certaines sources, plus de la moitié des vendeurs Amazon ont été affectés par la décision de l’entreprise de geler les envois Fulfilled by Ama- zon (FBA) durant la crise de la COVID-19.19 Tout en gelant FBA, Amazon n’a pas autorisé les vendeurs tiers à retirer leurs marchandises des entrepôts d’Amazon, ce qui signifie en pratique que « l’entreposage de stocks chez FBA pendant plus d’un mois entraîne des frais qui privent les vendeurs de tout bénéfice futur. »20 Seuls les vendeurs possédant les infrastructures et les capacités leur per- mettant de vendre et de livrer des produits en dehors du marché d’Amazon ont pu atténuer leurs pertes, mais ceux-ci constituent une catégorie mino- ritaire : de nombreux vendeurs disent réaliser au moins 90% de leurs re- cettes via Amazon, ce qui les rend particulièrement vulnérables.21 Certains vendeurs plus petits ont déjà annoncé des licenciements de travailleurs qui manient directement des envois Amazon. 12 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
AMAZON WEB SERVICES : UN MOTEUR EN TEMPS DE COVID-19 AWS est le principal moteur de la trésorerie de l’entreprise depuis des années, et les bénéfices réalisés dans le cloud computing subven- tionnent la recherche, les acquisitions et l’expansion internationale en stimulant des recettes par le biais d’opérations à pertes. On ne saurait surestimer l’importance stratégique d’AWS. Alors qu’il ne représentait que 12,5% du total du chiffre d’affaires, le secteur du cloud contri- buait à raison de 63% au résultat d’exploitation consolidé en 2019.22 Fin 2019, la part de marché d’Amazon dans les services en nuage était estimée à 33%, soit plus que la part cumulée de ses trois plus grands concurrents, comme le montre la figure 3 ci-dessous.23 La po- sition dominante d’Amazon sur le marché a apparemment attiré l’at- tention de la Federal Trade Commission des États-Unis (FTC) à la fin de 2019.24 Une journaliste qui a essayé de se débarrasser d’AWS dans sa vie en 2019 a conclu : « Amazon est profondément ancrée dans ma vie. Je l’utilise à plusieurs reprises chaque jour, parfois sans m’en rendre compte. Je ne peux pas fonctionner normalement sans elle. »25 CROISSANCE ANNUELLE PRESTATAIRE DE SERVICE EN PART DE MARCHÉ AU 4E EN 2019 PAR RAPPORT NUAGE TRIMESTRE 2019 À 2018 AWS 32.4% 33.2% Microsoft Azure 17.6% 62.0% Google Cloud 6.0% 67.6% Alibaba Cloud 5.4% 71.1% Autres 38.5% 24.4% Total 100% 37.20% Source: Canalys.com Figure 3: Part de marché d’AWS Alors que de plus en plus de personnes utilisent les services de vi- déo-conférence pour travailler ou suivre des cours à domicile et font davantage appel à la diffusion de divertissements à domicile, il est probable que la COVID-19 accroîtra le besoin de cloud computing jusqu’à ce qu’un vaccin ait été trouvé.26 Bien que cette évolution ne soit pas directement attribuable à la pandémie à ce stade, les ventes d’AWS ont augmenté de 33% au 1er trimestre, ce qui laisse entrevoir une trajectoire de croissance rapide en 2020. L’Internet est un bien public et la consolidation croissante des ser- vices web menace l’Internet démocratique lui-même. Il est essentiel de veiller à ce que les profits générés par AWS ne servent pas à subven- tionner de manière injuste des opérations à perte qui proposent des produits bon marché, des services bon marché et de la main d’oeuvre bon marché pour détruire des concurrents et constituer des monopoles qui, tôt ou tard, augmenteront les prix et rafleront tous les profits. FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE 13
iii L’ÉVITEMENT FISCAL ALIMENTE L’EXPANSION, CE QUI DÉSAVANTAGE LES CONCURRENTS La stratégie d’Amazon sur le long terme, qui INCOME TAXES, IN USD BILLIONS consiste à réinvestir la quasi-totalité de sa trésore- 25 rie dans l’expansion, la recherche et le développe- ment, aboutit à de maigres bénéfices et à de faibles 20 impôts (Voir Figure 4). Les grandes sociétés tech- 15 nologies sont connues pour éviter les impôts, mais Amazon en est le modèle incontesté. 10 RESEARCH AND DEVELOPMENT 5 EXPENDITURES, IN USD BILLION 0 40 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 35 Amazon Microsoft Apple 30 Carrefour Walmart 25 Figure 5: Impôts sur le revenu payés par Amazon et par d’autres 20 15 10 5 NET INCOME AS % OF REVENUE 0 35% 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 30% Amazon Microsoft Apple 25% 20% Figure 4: Dépenses de recherche par rap- port aux pairs 15% Amazon est à la fois une société technologique et 10% un géant de la distribution. La marge bénéficiaire nette moyenne d’Apple et de Microsoft sur les six 5% dernières années était respectivement de 21,9% et de 0% 24,4%. Celle d’Amazon a atteint le chiffre dérisoire 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 de 2,6%, ce qui correspond davantage à la rentabilité d’un groupe de distribution tel que Walmart (2,7%). Amazon Microsoft Apple Dans la période 2014-2016, Amazon a généré un Carrefour Walmart bénéfice net (USD 2,8 milliards) moins élevé que ce- lui de la chaîne française d’hypermarchés Carrefour Figure 7: Impôts payés par Amazon au fil (USD 3,4 milliards). Ce n’est qu’en 2018 et en 2019 du temps, par comparaison aux autres. qu’Amazon est parvenue à une marge bénéficiaire nette d’à peine plus de 4%, tout en restant largement à la traîne de ses concurrents de la technologie. 14 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
Ces six dernières années, Amazon n’a payé que 7,8 milliards de dollars d’impôts fédéraux américains sur le revenu, soit 11 fois moins qu’Apple pendant la même période et 4,4 fois moins que Microsoft ou que Walmart (voir fi- gure 5). En fait, Amazon n’a payé qu’à peine plus du double des impôts sur le revenu payés par Carrefour, alors que la valeur d’Amazon sur les marchés financiers était de près de 37 fois supérieure à celle du distributeur français (voir figure 6).27 Sur le plan international, la société a été poursuivie en justice pour les avantages fis- caux illégaux qu’elle a reçus au Luxembourg. En 2017, elle a été condamnée à une amende de €250 millions, plus les intérêts, pour cou- vrir les impôts non payés pendant huit ans.28 Depuis cette décision de la Commission européenne, le comportement fiscal d’Amazon en Europe n’a guère changé : l’entreprise a continué à afficher des pertes et à engranger des crédits d’impôts. En 2018, Amazon Europe a réalisé une perte avant impôts de €493 millions, qui a plus que doublé en 2019 pour passer à €983 mil- lions. Amazon Europe a ainsi bénéficié de crédits d’impôts pour plus d’un demi-milliard d’euros ces deux dernières années (€241 millions en 2018 et €294 millions en 2019).29 Amazon a également été impliquée dans des contentieux fiscaux en France, où l’affaire a été réglée pour €200 millions, et en Italie,30 où elle a accepté de payer €100 millions. TOTAL INCOME TAXES 2014-2019, IN USD BILLIONS 50 40 30 20 10 0 Apple Microsoft Walmart Amazon Carrefour 2014 - 2016 2017 - 2019 Figure 7: Impôts sur le revenu 2014-2019 En décembre 2019, Fair Tax Mark a classé Amazon comme la pire entre- prise des « Silicon Six » (les entreprises appartenant aux six milliardaires les plus influents) sur le plan du comportement en matière fiscale, en déclarant: « Elle a payé en impôts 12,7% de ses bénéfices de la décennie, à une époque où le taux plafond d’imposition fédérale aux États-Unis était de 35% pour sept des huit années étudiées. » 31 FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE 15
iv LES TRAVAILLEURS D’AMAZON SONT EXPOSÉS À DES RISQUES IMPORTANTS ET LES EFFORTS DE L’ENTREPRISE SONT INSUFFISANTS Face à l’afflux de commandes arrivant durant le celle versée par d’autres entreprises telles que Al- confinement, Amazon avait deux défis à relever : bertsons, Target, Walmart, Krogers ou Safeway – elle avait besoin d’une main d’oeuvre accrue pour et n’a guère contribué à apaiser le personnel.37 Sans répondre à la hause de la demande, tout en ga- temps libre rémunéré disponible, de nombreux rantissant un niveau de protection suffisant à ses travailleurs ont dû mettre en danger leur santé et travailleurs. même risquer leur vie pour nourrir leur famille.38 Amazon était déjà l’un des plus grands em- Face à l’augmentation du nombre de cas de CO- ployeurs privés au monde, bien avant de recruter VID-19 dans les entrepôts Amazon, des employés 100.000 travailleurs en mars et d’annoncer le re- d’Amazon ont débrayé dans les sites de Queens, crutement de 75.000 autres en avril.32 NY,39 de Chicago, IL40 et de Detroit, MI.41 Les Les tensions dans les entrepôts se sont rapide- travailleurs de Detroit ont protesté contre le fait ment aggravées. Amazon a fait état de l’adoption qu’Amazon continue à expédier des articles non de certaines mesures telles que le recours à des ca- essentiels, ce qui accroissait leur charge de travail méras thermiques,33 la fourniture d’équipements et réduisait la capacité à garantir la distanciation de protection et l’encouragement à la distanciation sociale.42 Les travailleurs de l’épicerie dans la filiale sociale dans les entrepôts,34 l’autorisation du télé- d’Amazon Whole Foods Market ont également ré- travail pour les employés de bureau35 et le fait que alisé des arrêts de travail.43 tous les employés diagnostiqués comme atteints Amazon aurait licencié au moins six employés par la COVID-19 ou mis en quarantaine aient le qui s’étaient insurgés contre les politiques de l’en- droit de recevoir jusqu’à deux semaines de congés treprise durant la pandémie aux États-Unis, et payés aux États-Unis.36 plusieurs autres ont apparemment été visés par des La prime de risque de USD/EUR/GBP 2 par rapports disciplinaires de la part d’Amazon après heure versée aux employés d’Amazon «éligibles» avoir protesté.44 Le 4 mai, l’un des principaux in- durant la crise du coronavirus est comparable à génieurs d’Amazon, le Vice-président Tim Bray, a démissionné à titre de protesta- tion et a adressé à Amazon une lettre publique condamnant son comportement.45 Tandis que le virus se répan- dait, les pouvoirs publics se sont intéressés aux relations de travail d’Amazon et à sa performance en matière de santé et de sécuri- té. Un groupe de sénateurs amé- ricains a envoyé à Jeff Bezos, le CEO d’Amazon, une lettre qui disait : « Toute incapacité d’Ama- zon à garantir la sécurité de ses travailleurs fait courir un risque à ses employés, mais également à l’en- semble du pays. Le virus qui pro- voque la COVID-19 peut subsister 16 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
pendant 24 heures sur du carton et trois jours sur du organisé des grèves en vue d’obtenir une améliora- plastique et de l’acier inoxydable. »46 Une autre lettre tion des mesures de sûreté en réaction à la pandé- adressée à Amazon par des législateurs américains mie de COVID-19.54 En France, des travailleurs relevait : « Avant même la redoutable crise de santé de nombreux sites ont déclaré que les mesures que traverse le monde, ces sites avaient déjà des anté- de distanciation physique étaient insuffisantes cédents reconnus d’importantes violations des normes dans les entrepôts.55 Un tribunal français a statué de santé et de sécurité. »47 qu’Amazon ne pouvait vendre, temporairement, De grand investisseurs dans Amazon ont éga- que des articles d’alimentation, d’hygiène et de lement exprimé publiquement leurs inquiétudes. santé essentiels aussi longtemps qu’Amazon n’au- Les Fonds de pension de la ville de New York et rait pas évalué les risques liés à la COVID-19 avec le gestionnaire de fortune néerlandais APG, qui, les représentants du personnel et mis en place des ensemble, ont investi 4,2 milliards de dollars dans mesures de sûreté adaptées.56 En réaction, Ama- Amazon, ont envoyé une lettre ouverte au conseil zon a fermé ses entrepôts français.57 Par la suite, les d’administration d’Amazon pour évoquer les pro- syndicats ont négocié un accord avec Amazon en blèmes de santé et de sécurité dénoncés par les France qui leur a permis de reprendre le travail en travailleurs. Ils ont appelé le conseil à surveiller toute sécurité.58 En Allemagne, les travailleurs ont les investissements dans la santé et la sécurité afin déclaré aux médias que les équipements n’étaient de garantir qu’ils apportent des améliorations aux pas convenablement désinfectés et que les mesures travailleurs, et ont promis de « leur demander des de distanciation physique n’étaient pas toujours comptes.48 appliquées.59 En date du 14 avril, près de 75 des 110 sites d’en- treposage d’Amazon aux États-Unis comptaient au moins un travailleur testé positif à la COVID-19. En mai, Amazon a refusé de divulguer le nombre total de travailleurs contaminés par le coronavirus, mais des sources officieuses ont évoqué le chiffre de plus de 900 travailleurs.49 Dans un rapport sur ce sujet, Hedge Clippers et la coalition Athena ont conclu : « L’ampleur et la gravité de la pandémie de coronavirus exigeront qu’Amazon prenne des mesures résolues pour protéger la santé publique. Étant l’un des plus grands employeurs du secteur privé dans le pays, Amazon est responsable de ses 300.000 employés qui font tourner ses vastes sites d’entreposage et de li- vraison ainsi que des centaines de millions de clients qui font appel aux livraisons d’Amazon. »50 Des travailleurs d’Amazon dans toute l’Europe ont protesté contre la situation en matière de sûre- té sur le lieu de travail et contre la charge de travail trop lourde après que plusieurs travailleurs ont été En Espagne, le syndicat Comisiones Obreras testés positifs à la COVID-19.51 Des travailleurs (FSC-CC.OO) a déposé une demande auprès des centres de traitement des commandes d’Ama- de l’inspection du travail (Inspección de Trabajo zon près de Milan52 et de Florence53 en Italie ont y Seguridad Social) en vue d’examiner la réponse d’Amazon à la pandémie sur le plan de la santé et de la sécurité après que l’entreprise a annoncé En mai, Amazon a refusé de divulguer le ses trois premiers cas de COVID-19 dans deux nombre total de travailleurs contaminés entrepôts espagnols.60 À San Fernando de He- nares près de Madrid, une équipe du ministère par le coronavirus, mais des sources du Travail a réalisé une inspection de 10 heures officieuses ont évoqué le chiffre de plus de et ordonné à Amazon de corriger les déficiences 900 travailleurs. dans les deux jours.61 Parmi ces mesures fi- guraient la mise en place de la distance phy- FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE 17
sique entre les travailleurs, la désinfection des sites les travailleurs et les fournisseurs, mais n’a pas reçu lorsque des travailleurs avaient été diagnostiqués de réponse. « Amazon refuse de reconnaître les syndi- comme porteurs du virus, la fourniture d’équipe- cats et de communiquer avec nous, » a-t-il déclaré.65 ments de protection individuels et la diffusion de L’Alliance syndicale Amazon d’UNI Global mises à jour quotidiennes sur les cas confirmés et Union dans 22 pays a demandé à l’entreprise d’ac- présumés.62 63 corder à ses travailleurs du temps libre rémunéré il- Au Royaume-Uni, des représentants du syndi- limité, des EPI nécessaires, des pauses pour se laver cat GMB ont signalé que des travailleurs de divers les mains et suffisamment de place pour la distan- centres de traitement des commandes d’Amazon ciation sociale. L’Alliance a également relevé : « La travaillaient par groupes de 200 à 300 personnes crise peut donner à Amazon l’occasion d’apprendre et devaient réutiliser des équipements sans dispo- que le dialogue social et la négociation collective sont ser de désinfectants pour les mains.64 Le bureau des outils vitaux que les sociétés et les entreprises mo- national du syndicat GMB a écrit à Amazon pour dernes mettent à profit pour protéger la santé des tra- réclamer des procédures d’urgence afin de protéger vailleurs et sauver des vies. »66 v LAISSERONS-NOUS AMAZON FAÇONNER LE MONDE D’APRÈS LA COVID-19 ? Des enquêtes antitrust contre Amazon étaient déjà en cours dans plusieurs pays avant la flambée de la crise du coronavirus. En Inde, la Commission de la concurrence (CCI) a ouvert une enquête sur Amazon et Flipkart après qu’un groupe de négociants s’était plaint que ces géants du commerce élec- tronique « accumulaient des milliards de dollars de pertes pour financer de la vente à très bas prix et pratiquer la discrimination à l’encontre des petits vendeurs. »67 En Europe, des enquêtes sont en cours, tant au niveau national qu’au niveau transnational. En juillet 2019, la Commission européenne a lancé une enquête antitrust à propos de l’utilisation de données des commerçants sur Amazon Marketplace.68 En février 2020, des sources ont affirmé que les régulateurs antitrust de l’UE envisageaient de plaider en faveur d’un ren- forcement des règles ex ante contre les géants de la technologie afin de pro- téger les intérêts des petits acteurs.69 Et le 11 juin, lors d’une contestation réglementaire à l’égard d’Amazon qui pourrait s’avérer être la plus impor- tante à ce jour, des sources ont rapporté que des fonctionnaires de l’Union européenne préparaient des accusations contre Amazon pour abus de posi- tion dominante dans le commerce sur Internet. Selon ces rapports, les ré- gulateurs ont constaté qu’Amazon étouffait la concurrence en utilisant des données recueillies auprès de commerçants tiers afin de stimuler ses propres offres de produits.70 Dans l’intervalle, en Espagne, la Commission nationale des marchés et de la concurrence examinait si Amazon pouvait être considérée comme un prestataire de services postaux et devrait donc être soumise à une vigilance accrue de la part des autorités.71 18 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
Davantage d’appels à lancer des enquêtes contre Amazon ont également été émis aux États-Unis. Au début de 2020, la Federal Trade Commission a apparemment rassemblé des informations sur la manière dont Amazon donne la priorité à ses produits et services sur ceux de ses partenaires et de ses concurrents.72 Le 23 avril 2020, une enquête du Wall Street Journal a montré qu’Amazon utilisait des données venant de ses propres vendeurs pour lancer des produits concurrents.73 Cette pu- blication a amplifié la pression politique exer- cée sur l’entreprise : le 29 avril, un sénateur a incité le ministère américain de la Justice à ouvrir une enquête pénale antitrust sur la base des constats du Wall Street Journal,74 et plus tard, le 1er mai 2020, un groupe de sept légis- lateurs a envoyé une lettre à Jeff Bezos pour lui demander de témoigner devant le Congrès à propos des déclarations antérieures de l’entreprise selon lesquelles celle-ci n’utilisait pas de données de tiers pour lancer des marques privées concurrentes.75 Au Royaume-Uni, l’achat par Amazon d’une part de la société en ligne de livraison de repas Deliveroo est passé au crible de l’autorité de la concurrence depuis juin 2019 qui aurait dû rendre sa décision cette année. Toutefois, le 17 avril 2020, le régulateur a décidé de donner son feu vert à cette tran- saction car les conditions commerciales se détérioraient rapidement pour Deliveroo qui avait besoin des liquidités du géant de la technologie.76 Le cas de Deliveroo souligne à quel point Amazon s’est renforcée durant le confi- nement dû au coronavirus : la crise a facilité des reprises qui, dans d’autres circonstances, étaient mises en question par les autorités de la concurrence, parce que les petits acteurs ont eu du mal à surmonter ces périodes difficiles. Début mai, Amazon envisageait apparemment d’acquérir AMC Enter- tainment Holdings Inc., le plus grand exploitant de cinémas au monde, ce qui donnerait au studio d’Amazon un formidable canal pour atteindre les consommateurs. Il y a peu, une telle acquisition se serait heurtée au droit de la concurrence aux États-Unis : les Paramount Consent ...la crise a facilité des reprises qui, Decrees en vigueur depuis 1948 bloquent la capacité dans d’autres circonstances, étaient d’un studio à posséder des cinémas. Or, l’administra- mises en question par les autorités de tion Trump a ouvert une révision de ces décrets en 2019 en vue de les affaiblir.77 La pandémie a rendu la concurrence... cette transaction potentielle encore plus attrayante : avec l’expansion du virus et l’instauration du confine- ment, le prix de l’action d’AMC s’est effondré et la société s’est retrouvée au bord de la faillite. Ces exemples montrent comment, au sortir de la crise, la position ren- forcée d’Amazon et la crise économique générale pourraient permettre à Amazon de procéder à des acquisitions anti-concurrentielles qui n’auraient pas été admises en temps normal. FONCIÈREMENT IRRESPONSABLE 19
LES TRAVAILLEURS ET LEURS COMMUNAUTÉS DOIVENT ÊTRE AU CŒUR DE LA REPRISE La crise de la COVID-19 est en train de remodeler radicalement notre monde. L’un de ses effets secondaires regrettables est l’accélération de la do- mination exercée par Amazon sur nos marchés et, pour le dire tout net, sur de nombreux aspects de nos vies, sur nos modalités de travail, sur notre consommation de divertissements et sur notre communication. Jusqu’ici, l’entreprise n’a pas utilisé son influence comme une force pour le bien social : elle a évité les impôts, piégé des petites et moyennes entreprises et dégradé les conditions de travail. Alors que la pandémie fait souffrir bon nombre d’organisations, celle-ci offre à Amazon une opportunité d’augmenter ses revenus, sa trésorerie, ses budgets de recherche et de développement et sans doute ses bénéfices, tout en accélérant son entrée sur le marché des soins de santé. Face à l’extension de la crise dans notre économie, Amazon qui regorge de liquidités est bien positionnée pour procéder à des acquisitions à des prix défiant toute concur- rence ou à d’autres investissements qui vont encore consolider son pouvoir. L’exemple de Deliveroo, si le régulateur valide cette transaction, et l’intérêt manifesté pour AMC, J.C. Penny et Future Retail Group montrent le po- tentiel présenté pour Amazon par les opportunités créées par la pandémie. Les régulateurs suivent déjà de près la croissance de l’entreprise, mais da- vantage de vigilance est requise car aucune entreprise ne devrait avoir autant d’influence. Les dernières évolutions présentent des signes positifs à cet égard : la Commission européenne a lancé une enquête envers Amazon Marketplace l’an dernier, la Commission de la concurrence en Inde a ordonné une inves- tigation pour violations du droit de la concurrence, alors qu’aux États-Unis, des avocats américains ont déposé plainte contre Amazon pour position do- minante dans le commerce électronique et que le Congrès américain a de- mandé au ministère fédéral de la Justice d’ouvrir une enquête pénale contre Amazon et à Bezos de témoigner sous serment devant le Congrès.78 Les pressions réglementaires sur Amazon ne devraient pas se limiter aux questions de concurrence. Il est important que les gouver- nements assurent un financement suffisant aux systèmes publics de santé et d’éducation ; dans ce but, ils devraient imposer des règles plus strictes en matière de fiscalité afin de per- cevoir une part équitable des recettes et des bénéfices des géants de la technologie. Pour dire les choses simplement, de même que notre monde va radicalement changer après la pandémie, Amazon va devoir chan- ger, elle aussi. Mais l’entreprise va-t-elle en- core accroître son emprise sur nos marchés et sur nos communautés ? Cela dépendra de la résistance qu’y opposeront les régulateurs, les organisations communautaires, les syndicats et les militants anti-monopoles. 20 AMAZON ET LA CRISE DE LA COVID-19
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