Les gaspillages et les pertes de " la fourche à la fourchette " Production, distribution, consommation
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Les gaspillages et les per tes de la « fourche à la fourchette » Les gaspillages et les pertes de « la fourche à la fourchette » Production, distribution, consommation par Madame Annie Soyeux Centre d’études et de prospective. Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, 117 de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du Territoire. Madame Barbara Redlingshöfer Mission d’anticipation Recherche, Société et développement durable. Institut national de la recherche agronomique (INRA). Madame Céline Laisney Centre d’études et de prospective. Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du Territoire. Les vues exprimées dans cet article n’engagent que ses auteurs. Elles ne représentent pas les positions officielles du ministère de l’Agriculture. Demeter
L’ a g r i c u l t u r e , c h a m p g é o p o l i t i q u e d u xxie siècle D 1. Qu’est-ce que u fait de la croissance démogra- Cette problématique des pertes et gaspillage phique et des changements de n’est pourtant pas récente. L’homme a une le gaspillage comportements alimentaires, la longue expérience de préservation et de demande alimentaire mondiale pourrait, et les pertes ? protection des ressources alimentaires, tant selon les sources, encore augmenter de 40 % en termes de stratégies de conservation que Des définitions existent pour les termes à 70 % d’ici à 2050. Une pression très forte « pertes » et « gaspillage » : de lutte contre les nombreux ravageurs qui pèse donc sur la production agricole pour • Pertes ou, en anglais, losses : selon la FAO, le concurrencent en matière alimentaire « pertes signifie une modification de la dis- les décennies à venir. Or, celle-ci est déjà très contrainte : non seulement par les limites et cette expérience a contribué à sa survie. ponibilité, de la comestibilité ou de la qua- de la biologie, de l’agronomie et des aléas Suite à la Conférence mondiale de l’alimen- lité d’un aliment qui le rend impropre à la naturels, mais aussi par les changements de tation organisée en 1974, un programme consommation humaine ». À noter qu’en régime alimentaire (davantage de produits ambitieux de la FAO, baptisé Prevention of ce sens, les pertes de denrées alimentaires animaux, qualité sanitaire, etc.). Le change- food losses, a été mis en place pour les pays du peuvent être quantitatives et qualitatives ment climatique et l’urbanisation pèseront Sud : il a eu des résultats, mais il demande (sanitaire, nutritionnelle, propreté, pureté, sur les surfaces agricoles et la disponibilité des capitaux qui manquent. Dans les socié- etc.) 2. Dans le contexte des pays du Sud, on de l’eau. tés modernes et opulentes des pays du Nord, parle de pertes post-récolte, c’est-à-dire de Il existe un autre levier pour accroître l’offre c’est une préoccupation qui a émergé au pertes survenues de la récolte à la distribu- disponible : la réduction des pertes et des tion, tout au long de la supply chain 3. tournant du millénaire, en même temps que gaspillages, thème longtemps négligé. Selon • Gaspillage ou, en anglais, wastage : c’est celle sur l’obésité, et plutôt pour évaluer la « l’action de trier et de mettre au rebut déli- l’Organisation des Nations unies pour l’ali- mentation et l’agriculture (FAO), le volume réelle surconsommation quantitative. De bérément ou consciemment une ressource ali- total de nourriture perdue ou gaspillée nombreuses publications scientifiques amé- mentaire, alors qu’elle est parfaitement comes- chaque année équivaudrait à plus de la moi- ricaines, britanniques et suédoises, relayées tible ». On parle de gaspillage en aval de tié de la production céréalière mondiale par des associations de consommateurs la chaîne alimentaire : c’est-à-dire dans la (2,3 milliards de tonnes en 2009 – 2010). belges ou suisses, mettent en avant la ques- distribution, la restauration et au domicile Les pays industriels et les pays en dévelop- tion du gaspillage de nourriture. Comme des ménages 4. 118 pement (PED) gaspillent grosso modo les souligné dans la prospective Agrimonde 1, Aujourd’hui, comme le montre la Figure 1, mêmes quantités de nourriture : soit, res- deux rapports l’ont médiatisée en 2011 : les pertes alimentaires majeures ne se pro- pectivement, 670 millions et 630 millions celui de la FAO, Global Food Losses and Food duisent pas aux mêmes stades du système ali- de tonnes. Mais les enjeux sont différents. mentaire dans les pays du Nord et les pays du Waste et celui du Foresight britannique, The Sud. Dans les pays du Nord, les gaspillages Dans les pays en développement, certains Future of Food and Farming : challenges and semblent se produire majoritairement au n’ont même pas les moyens de protéger leur production par une bâche ou un sac. Dans choices for global sustainability. De plus, dans niveau de la distribution et de la restauration les pays développés, ne sachant plus ce que un projet de rapport datant de juin 2011, domestique et hors foyer. Dans les pays du famine veut dire, on gâche sans même s’en le Parlement européen a proposé de décla- Sud, les pertes se produisent surtout après la apercevoir car le temps a plus de valeur que rer l’année 2013 Année européenne de lutte récolte, au cours du stockage, du transport et le produit alimentaire. Il s’agit donc d’un contre le gaspillage alimentaire. des premières opérations de transformation élément–clé dans l’équation de la sécurité Mais si le gaspillage et les pertes font leur (pertes post-récolte). alimentaire mondiale. entrée (ou leur retour) sur l’agenda politique Dans le monde, la grande diversité de situa- Les accès à l’eau, au sol cultivable et à l’éner- international, l’essentiel reste encore à faire tions dans lesquelles surviennent pertes et gie constituent des moteurs de conflits bien gaspillages rend difficile une distinction et ce n’est pas si simple. En effet, il existe des plus puissants que ceux liés à la recherche de nette entre les deux phénomènes. La for- leviers, dont certains sont déjà utilisés sans mule anglaise food waste englobe d’ailleurs, matériaux stratégiques car ils sont facteurs être généralisés, mais aussi des verrous de de survie. Or, pertes et gaspillages accen- sans précisions, pertes et gaspillages. Selon la tuent la pression sur ces moteurs de conflits. nature culturelle, psychologique, financière, définition de la FAO, les denrées alimentaires Leurs liens avec la géopolitique sont donc etc. Avant d’examiner ces leviers et ces ver- données aux animaux, car « impropres » à la étroits, étant donné que la question de l’in- rous, ainsi que les moyens de les surmonter, consommation humaine, sont considérées sécurité alimentaire conditionne la stabilité nous allons présenter les définitions et les comme des pertes, alors qu’elles nourrissent des espaces politiques. De surcroît, l’instabi- mesures du phénomène, puis les avantages les animaux qui, en retour, enrichissent l’ali- lité politique et les conflits armés figurent en économiques, environnementaux et autres mentation de l’homme en lait, viandes, œufs bonne place parmi les sources de gaspillage. à mener des actions contre ce qui constitue Ainsi, une partie de l’aide alimentaire inter- une faille dans le système alimentaire mon- nationale ne parvient-elle pas à ses destina- 1. Inra – Cirad, 2010. dial. 2. Tyler and Gilman, 1979. taires du fait de la désorganisation des trans- 3. Fao, 1981. ports, des barrages et des pillages. 4. Lundqvist, de Fraiture et al., 2008. Demeter
Les gaspillages et les per tes de la « fourche à la fourchette » Figure 1 Origines et localisation des pertes et gaspillages dans les systèmes alimentaires des pays du Nord et du Sud (Les nuances les plus foncées de gris indiquent les pertes les plus importantes) Pays du Nord Pertes et gaspillages Pays du Sud Rapport coût (main-d’œuvre) / prix de marché Outillage, accidents, dégâts d’animaux, à la récolte défavorable (fruits et légumes) accès limité au champ Dégâts d’animaux, absence du froid, Température, humidité, déshydratation, écarts de tri au stockage (ferme, entrepôt, etc.) récipients et emballages Emballages, températures, manipulations au transport (à plusieurs stades) Accidents, barrages, infrastructure, véhicules Freinte, pertes liées au procédé à la transformation (1e, 2e, …) Outillage, accidents Refus et retours, DLC * détérioration, conservation à la distribution (marchés, magasins, etc.) Écarts de tri grande distribution ? Confusion DLC / DLUO *, Rapprochement des pratiques manque de gestion ménagère, de connaissances, à la consommation (RHF **, domestique) des ménages aisés urbains à celles du Nord ? portions inadaptées, hygiène Source : Dualine, 2011 – Éditions Quae * DLC : date limite de consommation – DLUO : date limite d’utilisation optimale (ndlr) ** La restauration hors foyer comprend la restauration commerciale (du sandwich à la restauration gastronomique) et la restauration collective (ndlr). et poissons. De même, la définition du gas- nés par grandes régions dans le monde, des Dans les pays du Nord, différentes études pillage ne tient pas compte du fait qu’on jette chercheurs 5 ont établi que 208 à 300 kg de aboutissent à des taux de gaspillage des de la nourriture certes abîmée ou périmée, nourriture seraient gaspillés par tête et par ménages compris entre 14 % et 25 % des 119 mais qui aurait pu être utilisée si le consom- an dans les pays d’Europe et d’Amérique du achats alimentaires en volume, mais avec des mateur avait eu les connaissances culinaires Nord, dont 95 à 115 kg par les consomma- variations importantes selon les produits : les et les compétences ménagères nécessaires teurs. Dans les pays d’Afrique subsaharienne légumes et les fruits frais en vrac ou embal- (achats, stockage, accommodation des restes, et d’Asie du Sud et du Sud-Est, le volume lés, ainsi que le pain et les plats préparés ...) pour éviter à temps sa dégradation. Ce serait de 120 à 170 kg par tête et par an, dont arrivent en tête. En France, selon une étude gaspillage se produit largement sans que le seulement 6 à 11 kg par les consommateurs de l’Agence de l’environnement et de la maî- consommateur en ait conscience. (Figure 2). trise d’énergie, 7 kg de produits alimentaires Cette absence de définitions consensuelles des termes pertes et gaspillages peut partiellement Figure 2 expliquer les écarts importants d’estimations Pertes et gaspillages alimentaires dans les grandes régions du monde des volumes concernés selon les sources. De au stade de la consommation (consumer) et de la production plus, les données manquent souvent. On à la vente (production to retailing) ignore par exemple tout du gaspillage dans (Par tête, en kg par an – Chiffres 2007 – Source : FAO, Global Food losses and Food Waste, 2011) les pays émergents, alors même que ces pays sont probablement en train de se rapprocher des pays industrialisés en la matière, compte tenu de l’évolution rapide de leurs systèmes alimentaires (diversification des circuits avec pénétration de la grande distribution, indus- trialisation des filières, modification des régimes alimentaires). Plusieurs sources estiment le taux mondial de pertes et de gaspillages à environ 30 % de la production initiale destinée à l’alimen- tation humaine. Sur la base de la littérature et des bilans alimentaires de la FAO, décli- 5. Gustavsson et al., 2011. Demeter
L’ a g r i c u l t u r e , c h a m p g é o p o l i t i q u e d u xxie siècle encore sous emballage seraient jetés par an et données concernant les pertes post-récolte les déchets évitables, résultant de la deuxième par habitant et 20 kg non consommés. dans les pays du Sud : ceci essentiellement transformation (biscottes et biscuits cassés, Dans les pays du Sud et bien que la commu- pour les aliments de base et notamment les yaourts et lait aux dates limites de consom- nauté internationale ait pris conscience de céréales (Encadré 1). mation dépassées) sont incorporés dans la l’importance du phénomène dès les années soupe des cochons 6. La pêche fait également soixante-dix, les pertes post-récoltes restent Ces définitions constituent en elles-mêmes l’objet de pertes importantes : entre les prises peu quantifiées. Elles dépendent du stockage, un sujet de recherche : qu’est ce qu’un accessoires, les formats interdits et les quotas, mais aussi des variétés choisies, des condi- déchet ? Un co-produit ? Un sous-produit ? une part des animaux pêchés est rejetée à la tions climatiques et météorologiques lors Un effluent ? Un reste ? Une épluchure ? Un mer, alors que ces protéines animales pour- de la production et de la récolte, de l’équi- parage ? De ces définitions découlent en par- raient nourrir l’aquaculture ou l’élevage. pement technique, du savoir-faire et enfin tie les écarts de quantification observables, le Enfin, les définitions du gaspillage renvoient de choix d’ordres culturel et social. Ainsi, en reste étant lié aux modalités d’estimations. La à des visions différentes des productions ani- maïs, les pertes en poids peuvent varier de frontière entre déchets inévitables, déchets males et végétales : bizarrement, la mortalité 3 % pour des variétés traditionnelles à plus évitables et produits alimentaires gaspillés est natale et néonatale des veaux et les mammites de 20 % pour des variétés hybrides. En riz notamment très mince, y compris en alimen- des vaches sont comptabilisées comme pertes – céréale la plus consommée par l’homme tation humaine comme le rappelle la fable de alimentaires 7, mais pas les pertes au champ et dont les pertes ont été beaucoup étudiées Pinocchio. Le pantin a faim et Giuseppe lui liées aux ravageurs. – il est possible de comparer l’ampleur et propose une poire qu’il mange d’abord éplu- chée. Mais, comme il a encore faim, la peau et 2. Pourquoi réduire les origines des pertes dans le système post- récolte de différents pays. Lors du stockage, les pépins y passent aussi. Aujourd’hui, le son le gaspillage le taux varie de moins 1 % dans une étude au du blé est incorporé dans les pains spéciaux, et les pertes ? Malawi à 12 – 13 % au Bangladesh, en pas- les amandes des noyaux d’abricot sont dissé- Si environ 30 % de la production alimen- sant par une fourchette de 3 à 6 % en Chine minées dans les confitures de luxe et celles des taire sont perdus en pertes agricoles ou en ou en Malaisie. Pour des tubercules humides pruneaux servent à fabriquer une huile aro- gaspillages, cela signifie que cette produc- comme le manioc et l’igname, les pertes peu- matique. Par ailleurs, l’agriculture alimente tion pourrait être considérablement accrue vent atteindre 45 % à 50 % en systèmes tra- aussi les animaux : une partie des déchets iné- en réduisant ceux-ci. Le gain ne serait peut- 120 ditionnels. Quant aux fruits, les pertes après vitables de l’agro-alimentaire (enveloppes des être pas de 30 %. Néanmoins, envisager une récolte seraient comprises entre 15 % et 50 % grains, drèches de sucreries et de brasseries, croissance de l’offre alimentaire de 10 % ou dans les pays en voie de développement. pulpes ou épluchures de pommes de terre, de 20 %, c’est beaucoup mieux que ce que Depuis plusieurs années, la FAO et ses par- résidus de fabrication comme les oranges ou promettent les techniques agricoles les plus tenaires de la recherche et du développement autres fruits macérés) passe essentiellement modernes, organismes génétiquement modi- investissent dans la constitution de bases de dans l’alimentation des ruminants, alors que fiés inclus. Pourtant, cette solution paraît moins « moderne », moins innovante et ceci >>> Encadré 1. explique sans doute qu’elle n’ait – jusqu’ici – guère eu d’échos et que l’augmentation de Deux réseaux d’informations disponibles la production et de la productivité agricole, sur les opérations et les pertes post-récolte dans les pays du Sud notamment dans les pays déjà les plus pro- ductifs, apparaisse comme la solution unique • APHLIS – Récemment créée, la base de données APHLIS1 concerne les céréales du au défi de nourrir neuf milliards de terriens sud et l’est de l’Afrique. Elle a permis de revoir la littérature en fonction de la qualité de en 2050. De plus, on sait que pour résoudre la collecte de données utilisée, en s’appuyant sur les acteurs locaux experts des systèmes l’équation de l’insécurité alimentaire mon- post-récolte spécifiques des pays. APHLIS fournit des estimations de pertes tenant diale, il faudrait que l’augmentation de la compte, entre autres, des différentes opérations post-récolte, de la zone climatique et du production intervienne dans les pays où la volume de production. Mais seules les pertes de céréales sont étudiées. À terme, la base croissance de la demande est la plus forte. est censée intégrer d’autres produits comme, par exemple, les légumineuses et d’autres Or, réduire les pertes permettrait d’atteindre zones géographiques (Afrique de l’Ouest, Asie, Amérique centrale et du Sud). cet objectif en agissant à la source et amélio- rerait l’autosuffisance de ces pays, les rendant • INPhO – La base de données, INPhO2 héberge un grand nombre de documents moins dépendants des importations ou de relatifs aux opérations post-récolte, parmi lesquels on trouve des valeurs de pertes. Elle l’aide alimentaire internationale. Cela contri- couvre les systèmes post-récolte des céréales de base (maïs, riz et sorgho) et du manioc, buerait à assurer une stabilité politique plus dans les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Une large panoplie d’informations importante en limitant les émeutes de la faim techniques sur les opérations post-récolte, la composition physico-chimique et nutrition- nelle des produits et des recettes de cuisine est disponible, avec l’objectif de soutenir le développement d’activités dans les secteurs des produits tropicaux. 6. Reseda, 2005 et 2009. 7. Définition FAO, 2011. Demeter
Les gaspillages et les per tes de la « fourche à la fourchette » qui touchent régulièrement les villes des pays virtuelle pour chaque baguette rassise. Aux >>> Encadré 2 en développement. États-Unis, 40 milliards de mètres cubes Tout cela milite en faveur de la réduction des d’eau seraient ainsi perdus, soit les besoins Postcosecha : gaspillages et des pertes dans les pays du Sud, annuels de 500 millions de personnes. Au stimuler l’économie les plus concernés par les problèmes d’insé- Royaume-Uni, l’empreinte « eau » du gas- par la réduction des pertes curité alimentaire. Toutefois, la lutte contre pillage alimentaire des ménages s’élèverait à le gaspillage est aussi nécessaire dans les pays 280 litres par personne et par jour, soit près Postcosecha est une stratégie d’aide du Nord et ce n’est pas seulement, comme le de deux fois leur consommation moyenne au développement rural mise en place disent certains, un « luxe de nantis » ou une visible et la production et l’emballage par la Direction suisse du façon de « se donner bonne conscience ». Dans des aliments non consommés généraient Développement et de la coopération une économie mondiale ouverte, l’interdé- 14 millions de tonnes de CO2, soit 3 % à partir de 1980, d’abord au pendance des marchés est forte et les consé- des émissions. La campagne de sensibilisa- Honduras, puis élargie à toute l’Amé- quences des actions entreprises ici peuvent se tion affirme ainsi que réduire le gaspillage rique centrale. Elle a pour but de faire sentir loin. En effet, si l’on dit souvent alimentaire équivaudrait à ôter une voi- réduire les pertes post-récolte des ali- que la demande alimentaire mondiale est ture sur cinq des routes du Royaume-Uni. ments de base et de générer des reve- tirée par la croissance et les changements de Enfin, une étude réalisée par la Banque ali- modes de consommation des pays émergents, nus supplémentaires pour les locaux. mentaire du Bas-Rhin montre que les 816 Elle repose notamment sur une tech- les grands pays à hauts revenus sont encore tonnes de produits alimentaires collectées à l’origine de près de 40 % des importations nologie simple, accessible et acceptée en 2009 auprès des industries agro-ali- d’aliments, principalement des produits végé- par la population (principalement des mentaires, des grandes surfaces et des pro- taux destinés à l’élevage 8. Cette demande – et silos métalliques de taille familiale) et ducteurs ont permis d’économiser 1 770 ses gaspillages – réduit les disponibilités sur leur fabrication sur place par des arti- tonnes d’équivalent CO2, soit le volume le marché mondial et pèse sur les cours mon- sans locaux assurant également répa- généré par 13 millions de km parcourus diaux, handicapant les pays importateurs nets. ration et maintenance. Les bénéfices en véhicule à essence : ceci revient, pour ce Les actions sur la demande alimentaire sont seul département, à retirer 1 000 voitures du projet se situent autant au niveau donc aussi importantes que celles sur l’offre et de la circulation. des ménages (disponibilité et qualité peuvent plus facilement toucher des consom- • L es avantages économiques ne sont pas supérieure de la nourriture, situation 121 mateurs qui mangent déjà au-delà de leur faim non plus à négliger, d’autant qu’ils peuvent plus hygiénique dans la maison, (et de leurs besoins physiologiques). L’exercice permettre de justifier les sommes néces- charge de travail moindre pour les de prospective Agrimonde l’a d’ailleurs montré. saires à la prévention du gaspillage et des femmes, situation marchande plus Réduire le gaspillage dans les pays développés, pertes. Limiter les pertes après récoltes favorable, revenus supplémentaires en mettant en œuvre une forme de solidarité à bénéficie évidemment aux petits produc- aux artisans) qu’au niveau collectif l’échelle mondiale, va dans le même sens que teurs car leurs efforts sont mieux rémuné- (création d’emplois, stabilisation des les changements de comportements alimen- rés. De meilleurs stockages leur permettent prix de marché, réduction de la pau- taires prônés dans cet exercice. notamment de disposer de réserves plus en vreté, amélioration des conditions de Outre le fait que lutter contre le gaspillage adéquation avec leurs besoins, mais aussi de vie de la population) *. Devant le et les pertes serait un moyen de contribuer à vendre une partie plus importante de leur succès de Postcosecha (500 000 silos garantir la sécurité alimentaire mondiale et, production au moment le plus opportun utilisés en 2005), le silo métallique a notamment, de l’améliorer dans les pays en et donc de dégager de meilleures marges été diffusé dans seize pays répartis sur ayant le plus besoin, d’autres avantages sont comme en témoigne l’expérience de Post- trois continents depuis dix ans **. également à attendre : cosecha (Encadré 2). Pour les ménages, il Une expérience similaire est réalisée • L’impact environnemental du gaspillage s’agit d’un gisement de pouvoir d’achat avec un système de triple ensachage est de plus en plus mis en avant dans un significatif et facilement mobilisable dans du niébé, développé par des cher- contexte de prise de conscience de la un contexte d’augmentation des consom- cheurs de l’université de Purdue aux finitude des ressources naturelles et de mations contraintes (loyer, abonnements, États-Unis ***. Le système ferme her- la nécessité de réduire les émissions de santé, transport, etc.). En Grande-Bretagne, métiquement et permet de conserver gaz à effet de serre. « Jeter de la nourri- le gaspillage est ainsi estimé à 480 £ivres la production après récolte, au lieu de ture, c’est comme laisser un robinet d’eau (550 €uros) par an et par foyer et même à la vendre quand les prix sont bas. Le ouvert » expliquent les auteurs de l’étude 680 £ (780 €) pour les foyers avec enfants : projet développe également une de la FAO. Il faut en effet 1 000 litres d’eau soit une moyenne de 50 £ par mois chaîne d’approvisionnement locale en pour produire un kilogramme de farine ou (57 €uros). Enfin, pour les entreprises, la sacs. de blé et quinze à seize fois plus pour un réduction du gaspillage peut constituer un kilogramme de viande rouge. D’où l’image Site Internet : http://www.postcosecha.net) * Herrmann 1991 – ** FAO 2008 – *** Baributsa, issue d’une campagne de sensibilisation Lowenberg-DeBoer et al. britannique : on jette une baignoire d’eau 8. Rastoin, 2010. Demeter
L’ a g r i c u l t u r e , c h a m p g é o p o l i t i q u e d u xxie siècle élément de compétitivité : le Value Chain peuvent encore évoluer afin d’éviter les estime en effet que les cantines des lycées Management Centre (VCMC) canadien cite gaspillages : tailles des conditionnements et français jettent en moyenne 200 grammes des exemples d’entreprises agro-alimen- des portions, étanchéité, système de re-fer- de produits par personne et par repas, taires ayant réussi à réduire leurs coûts de meture pour empêcher que les produits ne dont une grande partie constituée de pain. 20 % et à augmenter leurs ventes de 10 % sèchent, se racornissent ou se renversent 9. L’obligation de suivre les grammages et de en améliorant l’organisation de leur chaîne Des innovations sont à attendre dans ce ne pas faire de surenchère sur les quantités de valeur afin de réduire pertes et gaspillages domaine, comme en témoigne le rapport est déjà une première étape prévue par la aux différentes étapes de fabrication. sur le gaspillage publié le 1er août 2011 par Loi de modernisation de l’agriculture et de le Conseil national de l’emballage 10, et ce la pêche votée en 2010 et le Plan national 3. Comment réduire d’autant que les deux tiers des emballages de l’alimentation. En Australie, une asso- le gaspillage ? sont employés pour les produits alimen- ciation qui récupère les invendus a réussi à 3.1. Gaspillage et sécurité taires. Au niveau de la production, appa- obtenir un texte de loi dégageant la grande alimentaire mondiale raissent aussi de nouveaux équipements, distribution de toute responsabilité pénale, telles les machines à couper le caillé écono- dans le cas où une personne s’intoxique- Même si des données précises manquent dans misant 3 % de matière. rait avec un don, l’association s’engageant la plupart des pays du monde, les estimations • Les leviers peuvent aussi être de nature fis- à respecter la chaîne du froid. En Califor- globales indiquent que le potentiel de réduc- cale. La récente prise en compte des dons nie, les banques alimentaires font du lob- tion dû aux pertes et gaspillages est non négli- dans le calcul de l’assiette des impôts des bying pour obtenir la levée de ce verrou geable. Mais une prise de conscience globale, sociétés en France a encouragé la distribu- important qu’est la responsabilité pénale. puis la modification des comportements tion aux banques alimentaires. De même, En France, afin de supprimer l’obstacle lié de l’ensemble des acteurs concernés seront l’augmentation de la redevance pour les aux risques de rupture de la chaîne du froid, nécessaires pour le réduire efficacement. Des effluents chargés en matières organiques a l’association SITA / Fédération des banques leviers et des pistes d’actions existent dans provoqué une remise en question des pra- alimentaires recommande aux communes les pays du Nord comme du Sud, mais des tiques industrielles : en décembre 2009, de prendre SITA comme prestataire pour politiques publiques volontaristes et des lors du colloque Reseda, une entreprise de encourager les citoyens au tri. Il s’agit de recherches approfondies restent nécessaires sirop a reconnu avoir économisé 20 % de la filiale du groupe Suez Environnement, 122 pour donner une large portée aux mesures de matière après avoir constaté le montant de spécialiste du traitement et de la valorisa- réduction. sa redevance de traitement de l’eau, lors du tion des déchets. SITA s’engage à verser Dans certains pays du Nord, des évolutions renouvellement de son contrat. L’annonce quelques €uros par tonne d’emballages triés en cours dénotent une transformation des pour 2012 – dans le cadre de la loi Grenelle pour financer les bâtiments de tri sous tem- représentations et des stratégies des acteurs, 2 – d’une collecte sélective obligatoire des pérature qui manquent encore dans certains ainsi qu’une prise de conscience de la néces- déchets organiques par leurs gros produc- départements 11. sité de traiter ce qui apparaît de plus en plus teurs joue déjà un rôle de révélateur. Nul • Enfin, des leviers d’action peuvent concer- comme un vrai « problème public ». L’agricul- doute que sa mise en place progressive per- ner les comportements de consommation ture et les industries agro-alimentaires s’ins- mettra aux innovations de se diffuser dans via des campagnes d’information et de crivent déjà dans une démarche de réduc- tout le tissu industriel et artisanal. sensibilisation. À l’instigation de l’Agence tion des coûts et de limitation des pertes. • Les leviers peuvent également être d’ordre de l’environnement et de la maîtrise de Le déplacement d’usage des co-produits et normatif ou réglementaire. Ainsi, à titre l’énergie (ADEME), la Fédération natio- des sous-produits – de leur actuelle utilisa- d’exemple, les dates de péremption sont nale des associations de protection de tion en alimentation animale à une utilisa- très mal comprises et souvent confondues. l’environnement (FNE) consacre depuis tion en alimentation humaine – fait l’objet La date limite de consommation (DLC) novembre 2010 une partie de son site à de recherches appliquées, en particulier en concerne les produits frais et s’impose sur la prévention du gaspillage alimentaire, génie des procédés afin de limiter les pertes le plan microbiologique, alors que la date présente les économies réalisées, offre de matière. L’agro-alimentaire redécouvre limite d’utilisation optimale (DLUO) s’ap- des astuces et des conseils et propose des aussi le fonctionnement des « parcs éco-indus- plique aux produits d’épicerie en conserves recettes pour accommoder les restes. On triels », principe selon lequel les déchets des ou surgelés et concerne uniquement la pourrait également utiliser une partie des uns sont les matières premières des autres. conservation des qualités organoleptiques et cours de technologie du programme des • Les leviers peuvent être de nature tech- vitaminiques. Le débat sur la suppression de collèges pour donner des notions sur l’en- nique. En termes de logistique et de mentions ajoutant à la confusion est engagé vironnement, le développement durable, conservation, des progrès significatifs ont au Royaume-Uni et la remise en question le gaspillage en général et les coupler avec ainsi été faits concernant les containers, des modalités d’utilisation de ces formula- la gestion des stocks et les robots de pré- tions est en discussion au niveau européen. 9. On parle de plus en plus de « taux de restitution » entre le paration des commandes. L’informatisa- De même, en restauration collective, une poids affiché et le poids récupéré et consommé, de « cuille- rabilité » des emballages individuels. tion a permis une meilleure gestion des piste serait la refonte des grammages ins- 10. http://www.conseil-emballage.org/Publications.aspx. commandes et des stocks. Les emballages crits dans le code des marchés publics. On 11. http://www.banquealimentaire.org/partenaires/sita-001239 Demeter
Les gaspillages et les per tes de la « fourche à la fourchette » les problèmes d’hygiène de base et des élé- et moyennes entreprises et aux groupes de >>> Encadré 3. ments d’équilibre alimentaire et budgétaire femmes, cibles prioritaires. (Encadré 3). Aux États-Unis, des concours • Les techniques et les équipements de stoc- Grande distribution sont organisés entre établissements, en par- kage aux échelles familiale et communale et récupération des invendus ticulier les universités, pour encourager les (Encadré 2), le stockage et le transport her- économies, le tri et la récupération de tous métiques, l’amélioration du conditionne- Selon les banques alimentaires, le les consommables et distribuer des palmes ment et de l’emballage en particulier pour gaspillage de l’ultra-frais et des fruits de non-gaspillage. Au Royaume-Uni, une des produits périssables, une chaîne du froid et légumes dans les grandes et vaste refonte de l’enseignement ménager basée sur des aménagements traditionnels. moyennes surfaces françaises attein- a engagé des dizaines de millions de livres La capacité de stockage au niveau familial drait 600 000 tonnes par an. Elles sterling pour la réfection de cuisines édu- est importante pour éviter que les paysans ne estiment que le tiers pourrait être catives et la formation des maîtres dans les soient contraints de vendre leur récolte à bas prix, sous la menace de la perdre du fait des récupéré, alors qu’avec les 88 000 collèges et les écoles afin de réapprendre à ravageurs et qu’ils soient obligés d’en rache- tonnes de marchandises qu’elles col- cuisiner, établir des listes de courses, gérer le réfrigérateur et accommoder les restes. ter plus tard, au prix fort pour leur consom- lectent par an, elles ont secouru mation propre. 740 000 personnes en 2009, soit Dans les pays du Sud, la faible compatibilité • Des méthodes de stockage reposant sur l’em- l’équivalent de 176 millions de repas. entre des innovations techniques plaquées ploi de bio-insecticides peu nuisibles à la santé Les lots refusés restent, eux, propriété sur des pratiques traditionnelles et des condi- humaine et financièrement accessibles, sur des du transporteur qui les vend à bas tions locales est à l’origine de pertes à plu- méthodes traditionnelles ou sur des techniques prix pour solde de tout compte ou sieurs stades post-récolte : choix de variétés de lutte intégrée, accompagnées de formation à sont détruits car le retour en usine hybrides vulnérables aux ravageurs, mise en l’emploi des produits. place de saisons de production supplémen- coûterait trop cher. Des usines de « • L es infrastructures de transports, véhicules désemballage » commencent à se taires aux conditions météorologiques moins et conditionnement, la logistique. favorables, ouverture trop fréquente et non développer pour recycler une partie • L es infrastructures de communication (télé- contrôlée des conteneurs hermétiques de de ces produits en alimentation ani- phones portables, notamment) pour l’accès stockage des grains en atmosphère modifiée, aux informations de marché et pour les male, mais les quantités concernées etc. La prise en compte du contexte local ne sont pas connues. 123 opérations commerciales. et l’implication de la population dans une En 2010, les dons à des associations approche participative constituent des fac- 3.2.Innovations caritatives ont dépassé les 50 000 teurs déterminants du succès de la préserva- organisationnelles tonnes. En 2008, l’enseigne Carrefour tion de la récolte. Les pistes d’action envers La diffusion des connaissances et l’accès au aurait apporté 960 tonnes de dons la réduction des pertes post-récolte relèvent capital, aux investissements matériels, aux aux associations et la Fédération des de deux grands domaines : innovations tech- informations et aux marchés constituent éga- entreprises du commerce et de la dis- niques et innovations organisationnelles. La lement des leviers de réduction des pertes qui tribution assure que ses adhérents ont plus grande difficulté réside dans les moyens dépendent, entre autres, de la façon dont les fourni 30 % des produits collectés et le temps à mettre en œuvre pour faire opérateurs post-récolte et les services d’appui par les banques alimentaires en 2009. accepter ces solutions qui ont parfois un sont organisés. À ce titre, les organisations impact inacceptable sur l’équilibre social. Il Si ces dons permettent de minimiser de producteurs ou coopératives semblent y a besoin de solutions techniques pour tous le « gâchis », on est encore loin des les plus intéressantes : les cahiers des charges les stades des systèmes post-récolte. Parmi communs pourraient favoriser l’adoption 200 000 tonnes annuelles récupé- celles-ci : de bonnes pratiques et augmenter la valeur rables*. Au Royaume-Uni, FareShare, • Les équipements pour stabiliser les produits ajoutée des produits dans une démarche col- la Fédération des banques alimen- bruts (séchage, salage, sucrage, fumage, fer- lective. Des investissements coûteux, comme taires considère qu’elle pourrait mentations, traitements thermiques), en un système de réfrigération, pourraient alors réduire de 1,6 million de tonnes les visant l’efficacité technique en termes de être partagés. déchets alimentaires si elle avait les rendement, d’énergie (d’origine renouve- L’accès à un marché, qu’il soit domestique moyens logistiques de récupérer et de lable idéalement) et d’environnement, en se ou d’exportation, est un élément primordial distribuer les aliments consommables concentrant sur les qualités nutritionnelles pour que les opérateurs puissent valoriser jetés. Mais elle n’en a sauvé que 2 000 et sanitaires des produits obtenus. Ces trai- leurs efforts. Un soutien à la structuration tonnes en 2007, ce qui a néanmoins tements peuvent même créer de la valeur des filières et au commerce par des politiques permis de distribuer 3,3 millions de ajoutée et ouvrir des perspectives de nou- publiques efficaces et par des investissements repas. veaux marchés, d’exportation par exemple. privés est favorable. Autre élément primor- Les équipements sont souvent peu exi- dial : l’accès au prêt bancaire des paysans et * SITA France et Banque alimentaire du Bas-Rhin 2011. geants en capitaux et accessibles aux petites petits opérateurs pour les investissements Demeter
L’ a g r i c u l t u r e , c h a m p g é o p o l i t i q u e d u xxie siècle >>> Encadré 4. matériels. Un dispositif permettant l’accès Les freins culturels à la réduction du gas- au capital serait particulièrement utile (Enca- pillage ne doivent pas être sous-estimés. Dans Warehouse Receipt Financing dré 4). certaines cultures, par exemple, la nourriture ou Inventory Credit : l’exemple doit être abondante. En Amérique latine, les du financement du commerce 3.3. À la croisée de la technique portions sont souvent considérables et, en agricole par le crédit et de l’organisationnel, pour Indonésie, les restaurants servent leurs plats sur nantissement des stocks * le Nord comme pour le Sud sur une montagne de riz. Le consommateur Les déchets organiques, les résidus de cultures estimerait « ne pas en avoir pour son argent » De nombreux pays d’Afrique, d’Asie, et les produits impropres à la consommation s’il n’avait pas cette présentation, même s’il d’Amérique latine et récemment d’Eu- humaine ont toujours été valorisés dans l’ali- est bien incapable de tout manger. Dans les rope de l’Est se sont engagés à libérali- pays musulmans, le mois du Ramadan est mentation des animaux d’élevage. En retour, ser leurs économies. Dans ce cadre, les le bétail, fournit du fertilisant, sa force de tra- souvent à l’origine d’un gaspillage alimen- marchés agricoles sont concernés vail, une source alimentaire riche en protéine taire important. En Europe, l’absence de cou- puisque les organismes étatiques en et micro‑nutriments, une monnaie d’échange tume de doggy bags entraîne des pertes très charge de l’achat et l’entreposage de la et une « trésorerie à quatre pieds » face aux importantes en restauration. récolte entre la saison de production et imprévus et aux aléas futurs. La complémen- Par ailleurs, la logique commerciale qui la soudure n’assurent plus ce rôle. Le tarité entre l’homme, la plante et l’animal consiste à vendre le plus possible, les ventes retrait de l’acteur public fait place, – fondamentale dans les systèmes agricoles promotionnelles du type « deux pour le prix voire nécessite de nouvelles formes mixtes de polyculture - élevage – est source d’un », les portions trop importantes, sont d’organisation du commerce. Or, les de productivité des systèmes alimentaires et aussi des obstacles. L’expertise scientifique acteurs privés ont difficilement accès fait l’objet de nombreuses recherches. Des collective de l’Institut national de recherche aux crédits nécessaires au financement travaux portent par exemple sur l’améliora- agronomique (INRA) sur les comportements du commerce agricole car celui-ci n’est tion de variétés céréalières (maïs, blé, sorgho, alimentaires, publiée en juin 2010, souligne guère considéré comme fournissant millet) à double finalité, qui augmenteraient bien ces problématiques comportementales : une garantie dans la plupart des pays la capacité de nourrir les animaux avec les l’acheteur prend a priori l’emballage moyen concernés. Le crédit sur nantissement résidus de plantes sans compromettre les ren- sur un rayonnage, ni le plus petit, ni le plus des stocks – vieille méthode d’accès à dements en grain. De même, la fermentation grand. Si le conditionnement évolue dans un 124 l’argent et pratiqué dans plusieurs anaérobie, ou méthanisation, est une autre sens comme dans l’autre, il prend toujours le pays – est donc proposé par la FAO, la façon de valoriser les déchets organiques et conditionnement du milieu. Pour certains Banque mondiale et le NRI comme les déjections d’élevage en fournissant le gaz foyers ou certaines personnes (enfants), les une solution pour développer le sec- combustible et de l’engrais organique salubre. paquets ou portions sont trop grands et une teur agricole et créer un commerce Ces divers exemples illustrent l’importance partie du contenu, non consommé rapide- dynamique. de replacer la question des pertes et du gas- ment est perdu ou bien tout le contenu est Trois parties interviennent : la banque, pillage alimentaires dans des analyses systé- préparé et n’est pas mangé. Dans une société l’agriculteur et l’entreposeur. Le prin- miques plus larges, traitant la problématique consumériste, l’ensemble de la chaîne ali- cipe est que l’agriculteur dépose un générale de production et de valorisation de mentaire est intéressé à vendre le plus possible volume de son produit à l’entrepôt et la biomasse agricole. Les concepts de circuit sans se soucier de ce qui aboutit au rebut. reçoive de l’entreposeur un reçu certi- fermé, d’économie circulaire ou d’écologie Le gaspillage est également la conséquence de fiant le dépôt, le volume et la qualité industrielle, qui s’inspirent du fonctionne- la recherche d’une sécurité sanitaire la plus de son produit. Ce reçu équivaut à une ment des écosystèmes naturels où « pertes », élevée possible : autrement dit, du « risque garantie et lui permet d’obtenir un déchets et effluents générés dans un système zéro ». On a ainsi interdit depuis trente ans prêt bancaire qu’il peut utiliser à son deviennent input d’un autre système, peu- de récupérer les restes de table de la restau- gré. Le crédit sur nantissement des vent constituer des apports importants pour ration pour alimenter les cochons de peur stocks s’est montré efficace dans la réduire les pertes et gaspillages. qu’ils n’attrapent la peste porcine ou d’autres réduction des pertes de stockage et il maladies contagieuses. On jette aussi, par 3.4. Les verrous existants et les constitue un système complémentaire retour de plateaux, des yaourts ou desserts solutions pour les surmonter au stockage sur la ferme. Selon les non entamés pour cause de rupture de la expériences menées à Madagascar, au Il existe des verrous de nature psychique et chaîne du froid. Pour que le compromis Mali et au Niger, des technologies sociale aux changements de comportements avec les exigences sanitaires ne se fasse pas au améliorées de production auraient aussi bien des paysans, de la supply chain que détriment de la santé des consommateurs, il ainsi été plus facilement adoptées par des consommateurs : les habitudes de conser- faudrait développer des tests de détection du les paysans. vation et de consommation, l’abondance niveau sanitaire des produits rapides, précis de l’offre et la baisse continue des prix qui et accessibles. L’ensemble des règles d’hy- * Coulter 2010 ; Giovannucci, Varangis et al. 2000. a réduit la valeur non seulement marchande, giène, bâti au fur et à mesure des crises et des mais aussi symbolique, de l’alimentation. connaissances qui en ont découlé, a pour but Demeter
Les gaspillages et les per tes de la « fourche à la fourchette » de prévenir intoxications et maladies dans 3.5. Le coût du stockage, des soit 1 £ par an et par habitant depuis cinq ans un système de production de masse. L’opé- infrastructures de transport et que le programme est lancé. rateur agricole, artisanal ou industriel et la de la première transformation Conclusion distribution sont constamment en tension Pour lutter contre la faim dans la seule entre ces règles de prudence et les exigences Afrique subsaharienne, la FAO a chiffré les Dans un monde où la population ne cesse de de quantité, de délai et de prix du marché et besoins d’investissements à 940 milliards de croître et d’avoir des besoins alimentaires de dollars US d’ici à 2050. Presque la moitié plus en plus diversifiés, les questions de sécu- contraints par leur responsabilité juridique. (47 %) concerne quatre points-clés en termes rité alimentaire sont au cœur des relations Le Paquet hygiène a encore accentué la res- commerciales et diplomatiques de demain. ponsabilité des opérateurs. On jette donc de réduction des pertes : le stockage au froid et / ou au sec, les infrastructures routières Chercher à produire plus, à atteindre l’au- plutôt que de donner ou de céder à bas prix tosuffisance par différents moyens (dont les rurales, particulièrement importantes pour aux associations caritatives : par précaution, accéder aux marchés et à des systèmes de stoc- achats ou locations de terre à l’étranger) paraît faute de moyens d’arbitrage et de mesure ins- kage collectif, le développement des marchés tout à fait logique dans ce contexte. Mais cet tantanés des risques réels et pour se prémunir de plein-vent et de gros et les premières trans- impératif ne doit pas faire oublier qu’il existe contre des recours en cas d’accident. formations des produits bruts. Or, l’agricul- une autre solution à portée de main. Pour le Les verrous concernant l’aspect du produit ture dans ces pays a longtemps été négligée et moment, aucune nouvelle technique agri- (normes de qualité) sont en partie respon- les grands investissements se sont portés vers cole n’est susceptible d’accroître rapidement d’autres domaines. Alimenter les systèmes de la production de 30 %. Or, c’est ce que l’on sables du gaspillage. De nombreux produits stockage en froid par l’électricité solaire, par peut attendre d’un ensemble de mesures tech- agricoles sont rejetés par les distributeurs niques, réglementaires et organisationnelles. exemple, ne semble pas d’actualité. parce qu’ils ne respectent pas des standards Le coût de la lutte contre le gaspillage dans Cette vérité a pour mérite de faire d’une pierre de poids, de taille ou d’apparence et qu’ils les pays développés n’est pas négligeable non plusieurs coups : assurer un développement les imaginent invendables. Cependant, des plus : la campagne de sensibilisation menée équilibré, limiter l’impact sur les ressources, enquêtes montrent que les consommateurs au Royaume-Uni a ainsi nécessité 4 mil- améliorer les revenus des producteurs et pré- seraient prêts à acheter des produits moins lions de livres sterling et le Waste Reduction server le pouvoir d’achat des consommateurs... calibrés tant que leur goût n’est pas affecté. Action Plan (WRAP) a piloté des études pour Dès lors, il paraît justifié de consacrer des Il s’agit là encore d’une question d’éducation 420 000 £ivres sterling en cinq ans. Toute- moyens importants à la mesure et à la com- 125 des consommateurs. fois, les économies qui en ont résulté pour le préhension du phénomène et, d’autre part, à consommateur et en traitement de déchets la généralisation des « bonnes pratiques » déjà ont été estimées à plus de 300 millions de £, recensées en la matière. Bibliographie • Ademe, 2009, Campagne nationale de caractérisation des ordures ménagères : que trouve-t-on aujourd’hui dans nos poubelles ? Résultats de la campagne MODECOM 2007-2008 (http://www2.ademe.fr/servlet/getDoc?cid=96&m=3&id=62275&ref=23117&p1=B). • Even M.-A., Laisney C., 2011, La demande alimentaire en 2050 : chiffres, incertitudes et marges de manœuvre, MAAPRAT-Centre d’études et de prospective, Note d’analyse n°27 (http://agriculture.gouv.fr/analyse-no27-fevrier-2011-la). • FAO, 2011, Global Food losses and Food Waste, International congress SAVE FOOD at Interpack 2011 Dusseldorf Germany Food waste (http://www.fao.org/news/ story/fr/item/74312/icode/). • Foresight Government Office for Science, 2011, The Future of Food and Farming : challenges and choices for global sustainability. Final Project. : 208 p. (http://www. bis.gov.uk/assets/bispartners/foresight/docs/food-and-farming/11-546-future-of-food-and-farming-report.pdf). • Gustavsson J., J. Cederberg, et al., 2011, Global food losses and food waste : Extent, causes and prevention. Rome, FAO (http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/ags/ publications/GFL_web.pdf) • INRA, CIRAD, 2009, Agrimonde. Agricultures et alimentations du monde en 2050 : scénarios et défis pour un développement durable (http://www.paris.inra.fr/ prospective/projets/agrimonde). • Lundqvist, de Fraiture et Molden, 2008, Saving Water : From Field to Fork Curbing Losses ans Wastage in the Food Chain, Stockolm, SIWI, 36p. • Parfitt, J., M. Barthel, et al. (2010). «Food waste within food supply chains : quantification and potential for change to 2050.» Philosophical Transactions of the Royal Society B : Biological Sciences vol. 365 (1554) : 3065-3081. • Parlement Européen. Éviter le gaspillage de denrées alimentaires : stratégies visant à améliorer l’efficacité de la chaîne alimentaire dans l’UE. Projet de rapport, juin 2011 (http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/agri/pr/870/870326/870326fr.pdf). • Rastoin Jean-Louis / Ghersi Gérard, 2010, Le système alimentaire mondial. Concepts et méthodes, analyses et dynamiques. Éditions Quae • Redlingshöfer B. et Soyeux A. 2011, Pertes et Gaspillages : les connaître et les reconnaître pour les réduire et les valoriser, in DuAline – durabilité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux, Questions à la recherche, Esnouf, C., Russel, M. et Bricas, N. (Eds.), Rapport Inra Cirad (France), 112-129 (http://www.inra.fr/l_institut/ prospective/rapport_dualine). • WRAP, 2011, The Water and Carbon Footprint of Household Food and Drink Waste in the UK (http://www.wrap.org.uk/retail_supply_chain/research_tools/research/ report_water_and.html) Demeter
Vous pouvez aussi lire