ANALYSe Les scénarios de transition énergétique de l'ANCRE

La page est créée Bernard Alexandre
 
CONTINUER À LIRE
ANALYSE

    Les scénarios de transition énergétique
                  de l’ANCRE
                                                                                                ANCRE1

Alors que le Parlement doit débattre de la Loi de programmation de la transition
énergétique (LPTE), les organismes publics de recherche − regroupés dans
l’ANCRE − présentent leurs scénarios pour assurer cette mutation fondamentale
pour la France. Comment réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix
électrique en 2025 et diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre pour 2050 ?
L’ANCRE estime que des investissements considérables seront nécessaires pour
développer des nouvelles technologies et construire des réseaux de distribution,
ainsi que des changements dans le comportement des consommateurs.

   Les scénarios énergétiques de l’ANCRE                    CO2. Elles prennent en compte les marges de
(Alliance nationale de coordination de la                   manœuvre en termes d’usages de l’énergie – y
recherche pour l’énergie) ont été définis                   compris en matière de transfert entre vecteurs
par divers éléments de cadrage : un objectif                énergétiques – et les évolutions permises par le
de division par 4 des émissions de gaz à                    progrès technologique.
effet de serre à l’horizon 2050, l’engagement                  La décarbonation du système énergétique
gouvernemental d’une réduction à 50 % de                    à l’horizon 2050 suppose des changements
la part de l’énergie nucléaire dans le mix                  structurels très profonds. Elle devra s’appuyer
électrique à l’horizon 2025, une évolution du               sur la maitrise de la demande, par promotion de
mix électrique intégrant davantage d’énergies               l’efficacité énergétique et par des changements
renouvelables et un effort d’efficacité                     dans les comportements des consommateurs,
énergétique. Les « trajectoires » proposées                 ménages et entreprises, par le développement
partent d’une analyse des déterminants de                   d’une offre énergétique largement décarbonée,
la demande – globale et par secteur – et de                 et par une gestion ré-optimisée des réseaux
l’offre énergétique, ainsi que des émissions de             et des vecteurs énergétiques. Dans cet esprit,
                                                            l’ANCRE a défini trois scénarios principaux
                                                            et deux scénarios alternatifs, décrivant des
1. Article rédigé par Nathalie Alazard-Toux (IFP Energies
                                                            visions contrastées de l’avenir énergétique
nouvelles), Patrick Criqui (UPMF-CNRS, EDDEN), Jean-Guy     de la France à l’horizon 2050. Pour chaque
Devezeaux de Lavergne (CEA I-tésé), Emmanuel Hache          scénario, sont également identifiées les
(IFP Energies nouvelles), Elisabeth Le Net (CEA I-tésé),    ruptures technologiques nécessaires au respect
Daphné Lorne (IFP Energies nouvelles), Sandrine Mathy
(UPMF-CNRS, EDDEN), Philippe Menanteau (UPMF-CNRS,
                                                            des objectifs de réduction des émissions par au
EDDEN), Henri Safa (CEA I-tésé), Olivier Teissier (CSTB),   moins un facteur 4 dans le secteur énergétique
Benjamin Topper (CEA I-tésé).                               en 2050.

La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                           189
ANALYSE          Les scénarios de transition énergétique de l’ANCRE

       1. Description des scénarios                    fortement décarbonée, d’origine renouvelable
      et de la méthodologie retenue                    ou nucléaire, et la pénétration progressive de
                                                       l’électricité sur de nouveaux usages sectoriels
                                                       (transports automobiles, industrie, production
  A) Trois scénarios structurels                       d’hydrogène, etc.). Ce scénario repose éga-
                                                       lement sur une rupture technologique avec
Le scénario « sobriété renforcée » (SOB)
                                                       l’hypothèse d’un développement massif du
   La trajectoire proposée dans ce scénario
                                                       stockage d’électricité en mode inter-saison-
repose sur trois leviers : des comportements
                                                       nier (jusqu’à 38GW et 47 TWh), de façon à
de consommation énergétique vertueux et
« sobres » ; un effort renforcé en termes d’effi-      permettre la pleine utilisation de l’énergie pro-
cacité énergétique, avec notamment des inves-          duite par les EnR.
tissements importants pour la rénovation des           Le scénario « vecteurs diversifiés » (DIV)
bâtiments existants ; un développement im-                La trajectoire proposée dans le scénario DIV
portant des énergies renouvelables variables           repose sur la diversification des vecteurs au
(EnR).                                                 sein du système énergétique (électricité, cha-
   Les hypothèses du scénario SOB sur les              leur, gaz, liquides) : en valorisant des sources
modifications de comportement des consom-              de chaleur fatale (récupération de chaleur
mateurs concernent le secteur des transports,          basse-température, chaleur des centrales élec-
avec une évolution à la baisse de la mobilité et       triques et sources renouvelables) ; en dévelop-
du taux de motorisation individuels, le déve-          pant de manière importante les bioénergies,
loppement de modes de déplacements doux,               notamment les carburants sous forme liquide
du covoiturage, de l’auto-partage, etc. Elles          ou gazeuse ; et en mettant à nouveau en avant
s’appliquent également dans le secteur du bâti-        l’efficacité énergétique. La récupération de la
ment avec une moindre croissance des surfaces          chaleur des centrales nucléaires (80 TWh vers
par personne, une proportion plus importante           le résidentiel-tertiaire et 40 TWh vers l’indus-
de logements collectifs. Le scénario suppose           trie) est un élément important de ce scénario.
aussi une absence d’effets- rebond – bien que          Le potentiel théorique de valorisation de la
ceux-ci soient généralement observés après un          chaleur nucléaire est très important en France,
processus de rénovation – ainsi qu’une stabili-        étant donné la puissance du parc nucléaire ins-
sation puis une décroissance des consomma-             tallé ; pour autant, ce gisement est pour l’ins-
tions d’électricité spécifiques.                       tant totalement inexploité.
   Ces évolutions de comportement résultent
notamment (mais pas uniquement) de la mise                B) Les scénarios complémentaires
en place de dispositifs incitatifs appropriés (si-     La variante « nucléaire et ENR » (ELEC-V)
gnaux tarifaires) ou réglementaires. En termes            Ce scénario a été élaboré ultérieurement
de rupture technologique, ce scénario fait             afin d’évaluer les conséquences d’un mix élec-
appel au développement de solutions d’effa-            trique qui demeurerait plus proche du mix
cement de la demande électrique pour gérer             actuel pour le nucléaire, mais avec néanmoins
la variabilité des sources renouvelables et au         une progression significative des EnR.
développement de la capture et du stockage                Ce scénario conserve la base des hypothèses
de CO2 dans le secteur électrique et certaines         du scénario ELE, c’est-à-dire un effort d’effica-
grandes industries.
                                                       cité énergétique important et une utilisation du
Le scénario « décarbonation par l’électricité »        vecteur électrique pour assurer la décarbona-
(ELE)                                                  tion de nouveaux usages de l’énergie. Mais,
   Cette trajectoire met en avant le vecteur           dans ce cas, la part de l’énergie nucléaire dans
électrique et l’efficacité énergétique pour            l’électricité décroit moins et reste supérieure à
répondre aux objectifs de la transition éner-          50 % en 2025 et au-delà. Une part de cogé-
gétique. La décarbonation repose dans ce scé-          nération nucléaire est également intégrée dans
nario sur le développement d’une électricité           ce scénario. Un espace suffisant est néanmoins

190                                                  La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014
créé pour un développement significatif des                   accroissement de la population de 15 % d’ici
EnR variables, compatible avec les objectifs                  2050 et une croissance économique qui aug-
européens dans ce domaine.                                    mente de 1,7 %/an en moyenne sur la période,
Le scénario de référence « tendancielle »                        La prise en compte des objectifs initiaux (at-
(TEND)                                                        teinte du facteur 4 et part du nucléaire de 50 %
   Une trajectoire « de référence » a également               en 2025) contraint le système et impose des
été construite, essentiellement à des fins de                 choix technologiques pour assurer à la fois la
comparaison et d’évaluation. Elle permet d’il-                production et l’équilibre de l’ensemble. Davan-
lustrer ce que serait la dynamique du système                 tage que toute autre industrie, le secteur de
énergétique français si l’on prolongeait les                  l’énergie se caractérise par des constantes de
tendances actuellement observées, en tenant                   temps très longues.
compte des engagements gouvernementaux                           L’évolution de la demande globale appa-
sur les politiques « énergie et climat ». Cette tra-          raît en rupture avec la tendance historique
jectoire n’est cependant pas « à parc constant »              d’augmentation continue de la consommation
puisqu’elle prend en compte les dynamiques                    énergétique par habitant. Cette inflexion rend
récentes, par exemple en termes de rythme                     compte à la fois d’un processus de saturation
d’installation des EnR.                                       que l’on peut déjà noter, mais aussi de chan-
                                                              gements nécessaires pour la réduction de la
  C) Méthodologie                                             consommation de ressources épuisables et des
   Les travaux de l’ANCRE ont été réalisés selon              impacts des activités énergétiques sur l’envi-
un processus combinant : une analyse puis une                 ronnement, global et local. Tous les scénarios
agrégation des évolutions des besoins énergé-                 misent sur un renforcement plus ou moins
tiques des différents secteurs ; une estimation               poussé de la sobriété énergétique, de l’utilisa-
des impacts de ces évolutions sur le secteur                  tion rationnelle de l’énergie et de l’efficacité
de l’énergie (production d’électricité, raffinage             à la production comme à la consommation.
de pétrole, transport et distribution de gaz                  Le tableau 1 illustre la nature des évolutions
et de chaleur) ; enfin une caractérisation de                 sociétales sous-jacentes aux différents scéna-
l’évolution du mix énergétique. Le cadre glo-                 rios. De ce point de vue, le scénario SOB se
bal reste le même pour tous les scénarios : un                différencie fortement des autres avec, en 2050,

                                                    Tableau 1
                          Évolution des modes de vie selon les scénarios
                                               Source : ANCRE
                                            2010                 2030                         2050
Population (millions d'habitants)           62,8                  68,5                        72,3
Scénario                                             TEND ELE / DIV         SOB     TEND ELE / DIV      SOB
Habitat
Mm²                                         2 539     3 063       3 063     2 957   3 559     3 559     3 377
m /hab
  2
                                             40        45          45         43     49         49        47
Part de l'habitat collectif (% logements)   43 %      44 %        44 %      46 %    45 %      45 %      49 %
Tertiaire
m2/emploi                                    52        55          55         52     55         55        52
Mobilité
Trafic passager (hors aérien) Gpkm           971      1 088       1 088      980    1 219     1 219      976
Parc de véhicules particuliers               31        37          36         32     43         39        17
(millions de véhicules)

La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                              191
ANALYSE             Les scénarios de transition énergétique de l’ANCRE

une mobilité plus faible de 20 % par rapport                     les infrastructures énergétiques. Issus des
au scénario tendanciel, ce qui, combiné aux                      analyses des experts des différents orga-
changements dans les modes d’usage, entraine                     nismes de recherche rassemblés dans les dix
un parc de véhicules particuliers diminué de                     groupes de travail de l’Alliance, ces scéna-
près de 60 %.                                                    rios reconnaissent néanmoins le rôle central
   Si l’essentiel des travaux de l’ANCRE s’est                   de la technologie. Ainsi, ils identifient des
focalisé sur la diminution des émissions de gaz                  ruptures technologiques qui, par nature, ne
à effet de serre du secteur de l’énergie, une                    sont pas acquises (tableau 2).
évaluation du positionnement global des scé-                   • Les scénarios permettent de décrire des tra-
narios de l’ANCRE dans un objectif de réduc-                     jectoires débouchant sur une baisse de 65
tion de l’ensemble des émissions de gaz à effet                  à 70 % de la totalité des émissions de GES
de serre a été réalisé2.                                         (tous secteurs confondus). L’atteinte du fac-
                                                                 teur 4 tous GES supposerait de nouvelles
       2. Les résultats des scénarios                            ruptures technologiques.
                                                                  A) Bilan en consommation
   L’analyse comparative des trois scénarios
                                                                  d’énergie primaire
structurels permet de comparer différentes voies
qui permettent d’atteindre le facteur 4 pour la                   Dans le scénario de référence TEND, l’énergie
réduction des émissions de CO2 en 2050. Deux                   primaire consommée est à peu près stable dans
résultats principaux ressortent de cette évalua-               le temps, les efforts de réduction venant contre-
tion qui n’en est encore qu’à ses débuts :                     balancer les effets dynamiques qui poussent à
• Les trois scénarios permettent d’atteindre le                l’augmentation des consommations, notamment
   facteur 4 sur les émissions de CO2 énergé-                  la démographie et la croissance économique.
   tique. Pour cela, il faut actionner plusieurs                  La consommation primaire est fortement ré-
   leviers, dont des évolutions marquées des                   duite par rapport à 2010 dans le scénario SOB
   comportements des ménages et des indus-                     (-32 %), alors qu’une différenciation assez nette
   tries et un investissement important pour                   apparait au niveau de l’énergie primaire entre
   les options d’efficacité, de renouvelables et               cette fois le scénario DIV et les scénarios ELE
                                                               et ELEC-V. En effet, alors que ces deux derniers
                      Tableau 2                                scénarios s’appuient plutôt sur le vecteur élec-
            Ruptures technologiques                            trique, le scénario diversifié suppose un impor-
                    Source : ANCRE                             tant développement des vecteurs issus de la
Scénario Type de technologies de rupture                       biomasse. La transition énergétique est donc
SOB          Captage, recyclage et stockage du CO2             obtenue, selon les scénarios, par un mix dif-
             (jusqu’à 40 MtCO2 en 2050)                        férent des trois leviers principaux : réduction
             Réseaux intelligents                              de la demande, décarbonation de l’électricité,
ELE*         Stockage électrique de grande capacité            décarbonation par les bioénergies.
             (38 GWe-47 TWh)                                      B) Bilan en consommation d’énergie finale3
DIV          Cogénération, notamment nucléaire
             (jusqu’à 80 TWh vers le résidentiel                  Le scénario SOB se distingue nettement des
             tertiaire et 40 TWh vers l’industrie en           autres scénarios en matière de consommation
             2050)                                             d’énergie finale, avec une baisse significative
* Le rapport de l’ANCRE souligne en outre que, dans le
scénario ELE, le niveau très élevé de stockage qui a été
                                                               3. Les calculs pour l’énergie finale sont au format « stan-
identifié ne pourrait être satisfait par les technologies
                                                               dard », c’est-à-dire qu’ils n’incluent ni les consommations
identifiées à ce jour.
                                                               à usages non énergétiques, ni les transports internatio-
                                                               naux. Leur prise en compte ajouterait environ 20 Mtep à
2. Pour une description des enjeux de périmètres, voir         la consommation finale d’énergie. Ce format « standard »
« Évaluation des émissions de gaz à effet de serre dans        permet une meilleure comparaison entre les scénarios de
les scénarios énergétiques de l’ANCRE », Elisabeth Le Net,     l’ANCRE et les autres scénarios proposés lors du Débat
Benjamin Topper, La Lettre de l’I-tésé, décembre 2013.         national sur la transition énergétique.

192                                                          La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014
300
                  266,3    266,2      266,3               266,3                 266,3               266,3
                       254,7
                                                                 236,9                                     240,7
        250
                                                                                    225,9
                                                                        220,9                                   218,5
                                          208                                               208,8
        200                                     180,6
                                                                                                                        2010
        150
                                                                                                                        2030

        100                                                                                                             2050

          50

           0
                     TEND                 SOB                 ELE                   DIV               ELEC-V
        Figure 1. Consommation d’énergie primaire 2010-2050* (en Mtep) - Source : ANCRE
   * Les calculs pour l’énergie primaire incluent les consommations à usages non énergétiques ainsi que les transports
                                                          internationaux.

par rapport au scénario TEND, de plus de 41 %                              plus « sobres » et les plus volontaristes suppo-
en 2050. Les scénarios ELE, DIV et ELEC-V enre-                            sant une réduction par deux de l’énergie finale
gistrent, pour leur part, une rupture de tendance                          sur la période.
moins affirmée avec une demande d’énergie                                     L’étude de l’évolution de la part des diffé-
finale de l’ordre de 110-112 Mtep en 2050. Cette                           rents types d’énergie pour chacun des scéna-
réduction de 27 % traduit déjà néanmoins un                                rios fait apparaitre des trajectoires communes,
effort considérable de maîtrise de la demande.                             notamment quant à une réduction de la part
    Ainsi, les scénarios de l’ANCRE se posi-                               des énergies fossiles dans la consommation
tionnent-ils parmi ceux qui supposent une                                  énergétique finale. Ainsi, les énergies fossiles
baisse significative de l’énergie finale, mais                             ne représentent plus que 40 % pour DIV et
sans toutefois déboucher sur la réduction de                               ELE, contre 50 % pour SOB à l’horizon 2050.
moitié de la consommation. Ce débat a été très                             Des évolutions communes apparaissent égale-
présent au sein du Débat national sur la tran-                             ment pour les énergies renouvelables, avec une
sition énergétique (DNTE), les trajectoires les                            hausse de la part de ces dernières pour les trois

        160          151                151                151                  151 150 152         151

        140                                   133                 131                                     131
                           115
        120                                         110              112                                     112

        100                      89                                                                                     2010
          80
                                                                                                                        2030
          60
                                                                                                                        2050
          40

          20

           0
                        SOB                   ELE                DIV              TEND               ELEC-V
               Figure 2. Consommation d’énergie finale 2010-2050 (Mtep) - Source : ANCRE

La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                                                   193
ANALYSE              Les scénarios de transition énergétique de l’ANCRE

scénarios. Le scénario ELE se distingue avec                      dans le tertiaire contre, respectivement, 150 000
une part de 36 % en 2050 (32 % pour SOB,                          logements/an et 10 Mm²/an actuellement.
34 % pour ELE), contre 11 % en 2010. La part                          Dans le scénario SOB, l’effort de rénovation
des énergies fissiles se stabilise dans le scénario               du parc existant est fortement accru et passe à
SOB (19 %), alors qu’elle augmente pour être                      650 000 logements/an et 25 Mm² pour le ter-
portée à environ 25 % pour DIV et ELE.                            tiaire. Par ailleurs, la rénovation thermique est
                                                                  supposée économiser jusqu’à 70 % de l’énergie
   C) Évolution sectorielle                                       de chauffage par opération, sans effet-rebond
   des consommations énergétiques4                                notable.
                                                                      Les performances du parc neuf sont iden-
Évolution de la consommation d’énergie
                                                                  tiques dans les trois scénarios et répondent à
dans le secteur résidentiel-tertiaire
                                                                  l’introduction de normes thermiques sévères,
   Dans le secteur résidentiel et tertiaire, les prin-
                                                                  mais les scénarios se différencient en termes de
cipales différences entre les scénarios portent
                                                                  surfaces construites. Dans le scénario SOB, la
sur le rythme de rénovation du parc existant et
                                                                  proportion de logements collectifs augmente,
sur les performances de la rénovation5. Ainsi,
                                                                  ce qui se traduit par un ratio de surface par
dans les scénarios ELE et DIV, le rythme annuel
                                                                  habitant plus faible ; de même dans le tertiaire,
de rénovation est porté à 350 000 logements/
                                                                  les surfaces par emploi sont moins importantes
an (en moyenne sur la période) et 15 Mm²/an
                                                                  que dans les scénarios DIV et ELE.
                                                                      Dans le scénario de référence, la réglemen-
                                                                  tation thermique pour les logements neufs et
4. L’agriculture n’est pas présentée en détail dans cet ar-       la rénovation progressive du parc existant per-
ticle. Ce secteur fait l’objet d’une analyse approfondie dans     mettent de stabiliser la consommation totale
l’article de Elisabeth Le Net et Benjamin Topper, La lettre       d’énergie des bâtiments. Elle conserve en 2050
de l’I-tésé, décembre 2013. Le secteur énergétique se déduit
des précédents (en ce qui concerne son activité par éner-         un niveau proche de celui de 2000. Dans les
gie transformée). Sa structure est fortement modifiée dans        scénarios ELE et DIV, la consommation d’éner-
tous les scénarios, au bénéfice des énergies renouvelables.       gie (chauffage, eau chaude et rafraichissement)
5. Dans les scénarios ELE et DIV, le niveau de performance        diminue nettement du fait de l’accroissement
de la rénovation thermique permet en théorie d’économi-
ser 60 % par rapport à la consommation de référence du
                                                                  du rythme de rénovation thermique (-30 % par
parc existant, mais la prise en compte d’un effet-rebond          rapport à 2000). Elle décroit plus encore dans
limite le gain effectif de 10 %.                                  le scénario SOB en raison de l’effort massif de

                        Figure 3. Part des énergies fossiles, fissiles* et renouvelables
                      dans la consommation énergétique finale (en %) - Source : ANCRE
*Le fissile inclut la cogénération nucléaire.

194                                                             La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014
rénovation du parc existant (-55 %) par rapport       Les hypothèses en termes d’évolution de la
à 2000.                                            demande de mobilité divergent entre le scé-
                                                   nario SOB et les deux autres scénarios ELE et
                                                   DIV. Les tendances observées sur les dix der-
                                                   nières années sont poursuivies dans les scéna-
                                                   rios ELE et DIV. La mobilité des personnes, en
                                                   passagers-kilomètre (pkm), augmente de 25 %
                                                   entre 2010 et 2050, un accroissement essentiel-
                                                   lement lié à l’évolution de la population (plus
                                                   de 72 millions d’habitants en 2050, soit +15 %
                                                   par rapport à 2010). Sur cette même période le
                                                   transport de marchandise, exprimé en tonnes-
   Figure 4. Consommation d’énergie finale         kilomètre (tkm), augmente de 53 %.
   du secteur résidentiel et tertiaire (Mtep)
                                                      Dans le scénario SOB, l’hypothèse est faite
                Source : ANCRE
                                                   d’une modification forte des comportements
   Dans le scénario de référence TEND, la part     et des modes d’organisation. La mobilité par
des différentes sources d’énergie est peu mo-      personne diminue de 20 % en moyenne à l’ho-
difiée pour les usages thermiques, avec néan-      rizon 2050, ce qui conduit à une stabilité du
moins une baisse de la part du fioul. De même,     volume global de passagers-kilomètre, malgré
les parts de marché sont assez peu modifiées       l’augmentation de la population et des revenus.
dans le scénario SOB, qui se traduit cependant     Cette diminution est imputable à l’adoption de
par la disparition du fioul, un recul du gaz et    modes de transport « doux » (vélo, marche) et
une augmentation de la part relative de l’élec-    de nouveaux modes d’organisation (télétravail,
tricité, essentiellement liée aux usages spéci-    rationalisation de l’organisation de la distribu-
fiques. En revanche, les deux scénarios ELE        tion des biens, etc.). Les services de mobilité
et DIV présentent des mix très différents par      se développent, le rapport à la voiture parti-
rapport au scénario TEND. Dans le scénario         culière se modifie, permettant une adaptation
ELE, le développement massif des pompes à          du type de véhicule au type de déplacement
chaleur aérothermiques et des chauffe-eau          (petit véhicule électrique en ville, auto-partage,
thermodynamiques place l’électricité comme         etc.). Le parc automobile (véhicules particu-
première source d’énergie pour les usages de       liers, y compris flottes servicielles, véhicules
chauffage et d’eau chaude sanitaire. Dans le       utilitaires légers) diminue d’environ 40 % par
scénario DIV, la transformation majeure est due    rapport à 2010. En matière de transport des
au très fort développement de la chaleur en        marchandises, un effort très important est fait
réseau (grands réseaux urbains alimentés par       pour rationaliser le trafic, les circuits courts
la chaleur co-générée par les centrales élec-      sont privilégiés. La conséquence est un main-
triques ou réseaux indépendants alimentés par      tien du nombre de tonnes-kilomètre au niveau
des chaleurs de récupération ou issues de la       observé en 2007 (avant la crise), soit 360 mil-
biomasse) et, dans une moindre mesure, au          liards de tkm.
développement des autres sources de chaleur           La part relative des différents modes de
renouvelable (biomasse en usage direct, solaire    transport reste équivalente à celle de 2010 sur
basse température).                                l’ensemble de la période pour les scénarios
Évolution de la consommation d’énergie             DIV et ELE. Elle est profondément modifiée
dans les transports                                dans le scénario SOB : la part de la voiture
  Concernant le secteur transport, les diver-      dans la mobilité des personnes se réduit, pas-
gences entre les différentes trajectoires propo-   sant de plus 80 % en 2010 à 50 % en 2050. Ce
sées par l’ANCRE portent sur l’évolution de la     basculement se fait au profit du ferroviaire, des
demande de mobilité, la part relative des diffé-   transports en commun routiers et des deux-
rents modes de transport et les technologies et    roues motorisés ; dans le domaine du transport
vecteurs énergétiques privilégiés.                 de marchandises, un effort particulier est fait

La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                    195
 	
  Voiture	
  ,	
  VUL	
  	
                                  799                   823                   847              871                                                      895                949                   1003                           Total                                        971,4486282 971,4486282 9
          	
  	
  Bus-­‐taxis	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
               50                    51                    53               54                                                       56                 59                     63
          	
  	
  2	
  roues                                                  22                    23                    24               25                                                       26                 28                     30                           Type	
  de	
  graphique	
  2	
  -­‐Tableau	
  2
          	
  	
  Fer	
  Passagers	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
         101                   103                   106              109                                                      111                118                    125
          Total                                                 ANALYSE      971                  1001 Les scénarios de transition énergétique de l’ANCRE
                                                                                                                        1030             1059                                                     1088               1154                   1219
          DIV
                                                                            2010                  2015                  2020             2025                                                     2030               2040                   2050
          	
  	
  Voiture	
  ,	
  VUL	
  	
                                  799                   823                   847              871                                                      895                949                   1003
          	
  	
  Bus-­‐taxis	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
               50                    51                    53               54                                                       56                 59                     63
           pour développer le ferroutage, multiplié par 3
          	
  	
  2	
  roues                                                  22                    23                    24               25                                                       26   d’une mobilité électrique poussée. Le scénario
                                                                                                                                                                                                                       28                     30
          	
  	
  Fer	
  Passagers	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
         101                   103                   106              109                                                      111                118                    125
           par rapport à son niveau actuel, soit un ac-
          Total                                                              971                  1001                  1030             1059                                                     1088
                                                                                                                                                                                                         DIV voit la structuration d’une importante filière
                                                                                                                                                                                                                     1154                   1219
           croissement de 50 % par rapport au niveau le                                                                                                                                                  de production de biocarburants de deuxième et
          Type	
  Graphique	
  (1-­‐Tableau	
  1)
           plus haut observé en 2000.
          SOB
                                                                                                                                                                                                         de troisième  DIV-­‐ELE
                                                                                                                                                                                                                                 génération.
                                                                                                                                                                                                            Quel que soit le scénario, la consommation
             1200	
                                                                                                                                                                                         1400	
  
                                                                                                                                                                                                         finale d’énergie du secteur transport diminue,
             1000	
  
                                                                                                                                                                                                         de 1200	
  
                                                                                                                                                                                                             40 à 57 % selon la trajectoire. Le scénario
                 800	
                                                                                                              	
  	
  Fer	
  Passagers	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
       SOB1000	
  qui, en plus d’un effort d’innovation, fait

                 600	
                                                                                                              	
  	
  2	
  roues	
                                                 l’hypothèse
                                                                                                                                                                                                             800	
               d’une forte réduction de la 	
  	
  Fer	
                    de-   Passagers	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  

                                                                                                                                                                                                                                                                                     	
  	
  2	
  roues	
  
                                                                                                                                    	
  	
  Bus-­‐taxis	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
            mande
                                                                                                                                                                                                             600	
  
                                                                                                                                                                                                                      de mobilité, conduit à la réduction la
                 400	
                                                                                                                                                                                                                                                               	
  	
  Bus-­‐taxis	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
                                                                                                                                    	
  	
  Voiture	
  ,	
  VUL	
  	
  	
                                plus importante.
                                                                                                                                                                                                             400	
                                                                   	
  	
  Voiture	
  ,	
  VUL	
  	
  	
  
                 200	
                                                                                                                                                                                      Toutefois, pour l’ensemble des scénarios, les
                        0	
                                                                                                                                                                              carburants
                                                                                                                                                                                                             200	
            fossiles représentent encore, en 2030,
                                        2010	
                   2015	
     2020	
     2025	
     2030	
     2040	
      2050	
                                                                          plus 0	
  de 65 % de l’énergie consommée dans le
                                                                                                                                                                                                                      2010	
   2015	
   2020	
   2025	
   2030	
   2040	
   2050	
  
                      Figure 5. Évolution des modes de transport                                                                                                                                         secteur. Le recul des carburants fossiles par rap-
                           dans le scénario SOB (en Gpkm)                                                                                                                                                port au scénario tendanciel est beaucoup plus
modes                               Source : ANCRE                                                                                                                                                       marqué à l’horizon 2050. Sur l’ensemble de la
elle de
e pour          Dans tous les scénarios, les rythmes d’inno-                                                                                                                                             période 2010-2050, les volumes de carburants
le est
             vation et de diffusion des technologies sont ac-                                                                                                                                            fossiles consommés sont au moins divisés par 3
énario
ans la
             célérés, avec une forte pénétration dans le parc                                                                                                                                            (SOB), voire par 4 à 5 (DIV et ELE). La part de la
 assant
 2050.       des motorisations alternatives et une améliora-                                                                                                                                             biomasse reste modérée dans SOB et ELE, res-
fit du
             tion de l’efficacité énergétique globale beau-                                                                                                                                              pectivement 15 % et 20 %, mais elle devient très
mmun
s.           coup plus rapide qu’observée sur les dernières                                                                                                                                              importante pour le scénario DIV, avec 37 % du
             décennies. Toutes les trajectoires mettent ainsi                                                                                                                                            total. Les émissions de CO2 fossile du transport
                                                                                                                                                                                                         sur la partie du « réservoir à la roue » sont ré-
             en évidence une hausse de la part des véhicules
                                                                                                                                                                                                         duites d’au moins 70 % dans le cas de SOB ; la
             électrifiés dans le parc : véhicules électriques
                                                                                                                                                                                                         réduction atteint près de 80 % dans ELE et DIV.
             (VE) et véhicules hybrides rechargeables (VHR).
             Elle représente au moins 25 % à l’horizon 2050,                                                                                                                                             Évolution de la consommation
             atteignant même 45 % dans le scénario ELE qui                                                                                                                                               dans le secteur de l’industrie
             met l’accent sur ce type de solution. L’effort                                                                                                                                                 Les scénarios ont été construits sur la base
             d’innovation permet de réduire la consomma-                                                                                                                                                 d’une méthode d’analyse factorielle croisant les
             tion unitaire des voitures continuant à utiliser                                                                                                                                            trois déterminants suivants : un indicateur d’ac-
             des carburants carbonés, de 50 % (ELE et SOB)                                                                                                                                               tivité de la branche, une intensité énergétique
             à 55 % (DIV) par rapport à 2010.                                                                                                                                                            et une clé de répartition des différents vecteurs.
                En termes de vecteurs énergétiques, le scé-                                                                                                                                              Les activités des branches sont les mêmes dans
             nario DIV se distingue par un développement                                                                                                                                                 les trois scénarios et leur construction a été
             soutenu du gaz et des biocarburants (liquides                                                                                                                                               calée sur le scénario Enerdata AMS-O pour la
             ou gazeux) à partir de biomasse ligno-cellulo-                                                                                                                                              DGEC6. Ce scénario suppose un taux de crois-
             sique. Dans le scénario ELE, l’hydrogène fait                                                                                                                                               sance économique et un taux de croissance de
             son apparition en 2030.                                                                                                                                                                     la production industrielle de 1,7 %/an jusqu’en
                Les hypothèses de changement sont égale-                                                                                                                                                 2030. Certains ajustements sectoriels ont cepen-
             ment de type organisationnel. Dans le scénario                                                                                                                                              dant été effectués, notamment concernant les
             SOB, on observe le développement d’une offre                                                                                                                                                productions de clinker (pour le ciment à usage
             de mobilité multimodale et de flottes servicielles                                                                                                                                          du bâtiment), de ferrailles et d’aciers7.
             adaptées au type de déplacement ainsi qu’une
             modification de l’aménagement urbain et des                                                                                                                                                 6. DGEC, 2011, « Scénarios prospectifs Énergie-Climat-Air
             infrastructures de transports. Le scénario ELE                                                                                                                                              à l’horizon 2030 », synthèse. 26 p.
                                                                                                                                                                                                         7. Les productions nationales de ces deux branches
             est caractérisé par le renforcement du réseau                                                                                                                                               suivraient une production en cloche résultant de la
             électrique et la construction d’infrastructures de                                                                                                                                          conjugaison de l’accroissement de la demande puis
             recharge allant de pair avec le développement                                                                                                                                               d’un effet de substitution par d’autres matériaux dans la

             196                                                                                                                                                                                  La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014
Figure 6. Consommation finale du secteur transport par type d’énergie
                 (en Mtep hors carburéacteur et soutes internationales) - Source : ANCRE

   La mise en œuvre de nouvelles technologies                en 2050 dans le scénario SOB. Compte-tenu
contribuerait à la réduction des émissions de                de la faiblesse de la production d’électricité
CO2 du secteur industriel (85 Mt CO2 en 2010,                « à flamme », l’industrie est le secteur qui en
soit 23 % des émissions françaises) et au respect            bénéficie le plus, avec 30 millions de tonnes/
des engagements internationaux. Le détail en                 an stockées. Le CO2 serait injecté dans les
termes d’intensité énergétique a été construit               couches du Dogger du Nord de la France. En
en distinguant l’intensité électrique et l’inten-            fin de période, la séquestration augmente les
sité en autres vecteurs. In fine, la modélisation            consommations d’énergies fossiles de l’ordre
retenue a été tout d’abord construite pour le                de 2 %, pour une diminution des émissions de
scénario SOB avec une analyse branche par                    l’ordre de 12 %.
branche, puis appliquée aux autres scénarios
                                                             Le rôle de la technologie dans l’efficacité
avec une hypothèse de mobilisation des poten-
                                                             énergétique du secteur industriel
tiels légèrement inférieure.
                                                                Pour le scénario SOB, la quasi-totalité du
   Au plan économique, le gain apporté (éco-
                                                             gain maximal « à technologies connues » est
nomies d’énergie, productivité, qualité...) doit
                                                             atteint en 2025-2030. Les effets des nouvelles
être élevé au regard du coût d’investissement
                                                             technologies jouent à partir de 2025 et prennent
et les systèmes proposés doivent être au moins
                                                             une grande ampleur dans les deux dernières
aussi fiables que ceux qu’ils remplacent. Dans
                                                             décennies. Les effets de substitution prévus
ce cadre, les systèmes d’aide à l’investisse-
                                                             par le scénario jouent un rôle déterminant,
ment « écologique » et/ou de bonus-malus au-
ront un rôle à jouer dans le déploiement des                 mais sont toutefois inférieurs aux hypothèses
technologies.                                                des autres scénarios. À grands traits, les effets
                                                             dus à l’innovation induisent une augmentation
Prise en compte de la capture                                d’efficacité énergétique de l’ordre de 30 % en
et séquestration du carbone (CSC)                            fin de période, les autres effets pesant pour
   La mise en œuvre de la technique de Cap-                  environ 20 %.
ture et stockage du carbone (CSC) est suppo-                    Le scénario ELE est bâti sur une trame proche
sée possible à partir de 2030. Au total, cette               du scénario précédent. Toutefois, le potentiel
technique serait à même de capturer et stocker               de gain en intensité énergétique est supposé
jusqu’à 40 millions de tonnes de CO2 par an                  moins fort. On suppose qu’une part significa-
                                                             tive de l’effort vise à profiter des gains d’inten-
construction (avec un taux accru dans le scénario SOB),      sité énergétique rendus possibles en premier
ainsi que d’un ralentissement de l’usage des produits
ferreux à partir de 2030, suite aux relatives baisses des
                                                             lieu par une forte substitution des énergies fos-
débouchés dans la construction et l’automobile, ainsi qu’à   siles par l’électricité puis par les EnR non élec-
une extension du recyclage.                                  triques. Globalement, ce gain est évalué à une

La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                              197
ANALYSE         Les scénarios de transition énergétique de l’ANCRE

substitution de 3 Mtep en 2030 (et 6 Mtep en            réduction des GES, qui restent cependant com-
2050), essentiellement par l’électricité. La subs-      patibles avec une production agricole élevée.
titution est comptabilisée avec une équivalence            L’approche retenue a avant tout porté sur
à la consommation (0,086 Mtep substitués par            l’adéquation entre la demande énergétique
1 TWh). Il s’agit donc d’une demande élec-              totale des secteurs et l’offre domestique de
trique accrue de 35 et 70 TWh respectivement            biomasse techniquement récoltable, une fois
à ces deux dates. Dans ce scénario, les activités       déduites la demande alimentaire et la de-
de certains secteurs fortement consommateurs            mande non énergétique pour le bois (bois de
d’électricité (acier, hydrogène) sont plus impor-       construction et bois d’œuvre). Un élément-clé
tantes que dans les autres scénarios.                   dans l’évaluation des potentiels énergétiques
    Le scénario DIV est bâti sur les mêmes ten-         est de prendre en compte l’organisation géné-
dances en niveaux de consommation éner-                 rale du système productif, les choix de modes
gétique que le scénario précédent, avant la             de développement et d’usages des sols.
prise en compte des mesures de substitution                Les émissions de GES (énergétiques et non
accrues. Le développement des plates-formes             énergétiques) de l’agriculture sont reprises de
industrielles territoriales (écologie industrielle)     scénarios de l’INRA et elles sont cohérentes
amène toutefois une baisse de la consomma-              avec l’évolution du potentiel en biomasse dis-
tion, estimée à 5 % en 2050. La répartition entre       ponible, induisant une division par 2 des émis-
électricité et autres énergies reste ici identique      sions de GES du secteur à l’horizon 2050.
à celle du scénario ELE. Par contre, le spectre
                                                           D) Résultats pour la production d’énergie
énergétique est nettement élargi, avec un rôle
nettement plus fort des EnR, notamment de la               Une fois pris en compte le niveau de
chaleur et du biogaz issus de la biomasse.              consommation d’énergie finale, les scénarios
    Au total et compte tenu de la croissance de         se différencient par les moyens mis en œuvre
l’industrie, ce secteur voit sa consommation            pour la production de cette énergie. Si le scé-
d’énergie stabilisée sur la période de projec-          nario ELE suppose un recours plus important à
tion. Ceci n’est possible que parce que les             l’électricité, le scénario DIV fait un usage plus
intensités énergétiques diminuent de l’ordre            marqué de la biomasse et de la chaleur. Quant
de 30 %, sachant que certaines des IGCE ne              à ELEC-V, il repose sur une combinaison du
suivent pas le même sentier de croissance que           vecteur électrique et sur la récupération de
l’ensemble de l’industrie. Le reste des gains est       chaleur perdue sur les centrales thermiques.
dû à l’évolution du mix, avec une augmenta-
                                                        La production d’électricité
tion de la part de l’électricité (surtout dans le
                                                           La production d’électricité est déjà aujourd’hui
scénario ELE) et des énergies vertes (principa-
                                                        à près de 90 % décarbonée (< 65 gCO2/kWhe)8
lement la biomasse dans le scénario DIV). Des
                                                        grâce au nucléaire (77 %) et aux renouvelables
facteurs structurants sont aussi le recours à la
                                                        (13 %). Les hypothèses d’évolution des sources
cogénération nucléaire (40 TWh d’énergie ther-
                                                        d’énergie électrique communes à tous les scé-
mique dans le scénario DIV) et la capture et
                                                        narios sont les suivantes :
séquestration du CO2.
                                                        • Atteinte des objectifs nationaux en termes
Évolution de la consommation dans le secteur               d’énergies renouvelables en 2020.
de l’agriculture                                        • Introduction d’énergies renouvelables dans
   Dans l’exercice ANCRE, les déterminants de              le mix énergétique à un rythme encore plus
la demande d’énergie de l’agriculture et de la
sylviculture sont pris en compte de manière
                                                        8. Ce chiffre est à comparer à la valeur moyenne de
simplifiée, contrairement aux scénarios Ademe           529 gCO2/kWhe au niveau mondial, à celle des autres pays
2012, qui ont intégré des évolutions des modes          développés (OCDE 433 gCO2/kWhe, Allemagne 461 gCO2 /
de consommation alimentaire et leurs impacts            kWhe) et à celle de la Chine (766 gCO2/kWhe), chiffres
                                                        fournis par les statistiques de l’AIE (édition 2013 portant
sur l’agriculture, ou aux scénarios INRA 2013,
                                                        sur les chiffres de 2010). La France émet donc 6 à 7 fois
qui se sont focalisés sur de nouvelles pratiques        moins de CO2 pour sa production d’électricité que la plu-
culturales avec l’identification de dix actions de      part des autres grands pays du monde.

198                                                   La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014
soutenu après 2020, avec plus de 100 GWe           La part du nucléaire
  en éolien et en solaire installés d’ici 2050.      dans la production d’électricité
• Élimination progressive, mais totale des cen-         Dans le scénario tendanciel, la réduction
  trales au charbon et au fioul.                     de la part du nucléaire dès 2025 impose un
• Des centrales à cycle combiné gaz (CCG)            remplacement par des cycles combinés gaz, les
  sont introduites en tant que de besoin pour        énergies renouvelables ne produisant pas suf-
  venir en soutien (back-up) aux énergies va-        fisamment d’électricité, en particulier aux ins-
  riables (éolien, solaire) lorsque celles-ci ne     tants de plus forte demande (soirées d’hiver).
  produisent pas, en complément des disposi-         Ceci est également vrai dans les scénarios SOB
  tifs destinés à optimiser le système énergé-       et DIV, mais dans une moindre mesure car la
  tique (stockage, conversions entre vecteurs,       demande totale est réduite dans SOB et, dans
  gestion de la demande, développement des           DIV, la diversification des sources comble une
  smartgrids).                                       partie du recul du nucléaire. Dans ELE, c’est
• Réduction à 50 % de la part du nucléaire           le stockage massif d’électricité qui permet de
  dans la production électrique dès 2025 pour        lisser la demande sur l’année (le stockage esti-
  l’ensemble des scénarios, à l’exception du         val étant restitué en hiver) et ainsi d’éviter le
  scénario ELEC-V.                                   recours au gaz.
  Les résultats de la production d’électricité en       Dans ELEC-V, la part du nucléaire n’est pas
2050 sont reportés sur la figure 7.                  contrainte, elle évolue naturellement au fur
                                                     et à mesure de l’introduction progressive des
Puissance électrique installée
                                                     énergies renouvelables. Ce faisant, la part du
   À l’horizon 2050, la majorité des énergies
                                                     nucléaire se réduit progressivement pour des-
renouvelables électriques étant variable, avec
                                                     cendre à 60 % en 2050.
des facteurs de charge de l’ordre de 15 à 30 %
(respectivement solaire, éolien), la puissance       La production de chaleur
électrique installée devient bien supérieure à          La chaleur joue un rôle important dans tous
la puissance appelée par le réseau, même en          les scénarios de l’ANCRE. En effet, plus de
période de pointe. La structure du mix élec-         50 % de la consommation d’énergie finale étant
trique est, dans tous les scénarios, fortement       à usage de chaleur, les scénarios s’attachent
dominée par la présence des énergies renou-          à prendre en compte les possibilités d’utili-
velables ce qui imposera, d’une part, une ges-       sation des chaleurs fatales (i.e. produite lors
tion dynamique et intelligente des réseaux           des processus industriels ou dans les centrales
(smartgrids) et, d’autre part, un renforcement       thermiques). La production de chaleur et son
des réseaux électriques sur le territoire national   utilisation sont promues dans tous les scéna-
et des interconnexions avec nos voisins euro-        rios, avec notamment un développement accru
péens (supergrids).                                  des réseaux de chaleur. Seuls DIV et ELEC-V

            Figure 7. Production électrique par type en 2050 (en Twh) - Source : ANCRE

La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014                                                     199
ANALYSE          Les scénarios de transition énergétique de l’ANCRE

                                                       électrique9. Ce phénomène vient du besoin
                                                       de backup en énergie fossile (gaz) pour pal-
                                                       lier à la variabilité des énergies renouvelables
                                                       installées à la place du nucléaire. À cette date
                                                       rapprochée, il n’apparaît pas possible de déve-
                                                       lopper des technologies permettant d’éviter cet
                                                       inconvénient.

                                                          3. Évaluation économique, sociale
          Figure 8. Part du nucléaire                     et environnementale des scénarios
         dans les différents scénarios
                Source : ANCRE
                                                          Le processus du DNTE, qui s’est déroulé au
                                                       cours du premier semestre 2013, a fait appa-
intègrent la cogénération nucléaire. Dans ces
                                                       raitre la nécessité d’une évaluation rigoureuse
deux cas, une partie de la chaleur produite par        des scénarios énergétiques, à mener dans le
les centrales nucléaires est récupérée pour être       cadre d’une approche multicritère. Dès le
injectée dans les réseaux de chaleur urbains. La       début de ses travaux de prospective, à l’au-
chaleur issue des énergies renouvelables (bio-         tomne 2012, l’ANCRE avait anticipé ce besoin
masse, biogaz, pompes à chaleur, géothermie,           en identifiant un jeu de critères10 prenant en
solaire thermique, déchets et autres renouve-          considération les préoccupations économiques
lables) est également utilisée de manière im-          et sociales, environnementales et sociétales, de
portante pour alimenter les réseaux, réseaux           politique de recherche et d’innovation.
classiques ou boucles basse température.                  Les efforts dans ce sens, menés soit dans le
                                                       cadre du DNTE soit dans le cadre des travaux
  E) Bilan des émissions de CO2                        de l’ANCRE, témoignent de l’importance des
                                                       progrès encore à accomplir pour mettre en
   Les émissions de CO2 dues à l’énergie sont          œuvre des procédures de mesure rigoureuse
estimées à partir des consommations d’éner-            des différents impacts des politiques et trajec-
gies fossiles. Pour l’évaluation « tous GES », le      toires énergétiques. Ce constat donne d’ailleurs
format utilisé est celui de la Convention cadre        des indications sur ce qui pourrait constituer
des Nations unies pour les changements clima-          un programme de recherche sur les outils
tiques (CCNUCC), ce qui conduit à déduire les          d’évaluation des conséquences sociales, éco-
soutes internationales (transports maritime et         nomiques et environnementales des choix de
aérien) et à ajouter au CO2-énergie : le CO2 non       politique énergétique. Les travaux de l’ANCRE
fossile (cimenteries, verrerie, sidérurgie, chaux,     adoptent cette démarche, mais ne présentent
tuiles et briques) ; le CH4 et N2O (agriculture        qu’une approche partielle du problème : ils
principalement, énergie, déchets, procédés in-         doivent aujourd’hui, dans bien des cas, se
dustriels) ; les HFC (climatisation, aérosol), PFC
                                                       9. La variante ELEC-V ne respecte pas la contrainte de
(des productions d’aluminium) et SF6 (industrie        50 % de nucléaire en 2025.
du magnésium, équipements électriques) ; les           10. Cet effort d’analyse répond notamment aux recom-
émissions fugitives (pertes dans le transport de       mandations de la commission Sen-Stiglitz-Fitoussi préco-
                                                       nisant l’instauration d’une « culture du tableau de bord »
gaz, déchets et solvants).                             pour l’évaluation des différentes politiques publiques.
   Tous les scénarios atteignent le facteur 4 sur      En effet, les recherches en économie du développement
les émissions de CO2 énergétique. La dyna-             durable montrent que, le plus souvent, il est impossible
                                                       de ramener la comparaison des politiques alternatives à
mique est cependant différente selon les cas.          un critère unique d’évaluation et a fortiori du seul critère
Notamment, les scénarios montrent qu’il est            économique. Il faut donc examiner les caractéristiques
impossible de limiter le recours au nucléaire à        et conséquences des scénarios à la lumière de plusieurs
                                                       indicateurs, dont certains pourront être quantifiés, y com-
50 % de l’énergie électrique en 2025 et de dimi-       pris parfois en termes économiques, alors que d’autres ne
nuer en même temps les émissions du secteur            pourront être appréciés que de manière qualitative.

200                                                  La Revue de l’Énergie n° 619 – mai-juin 2014
Vous pouvez aussi lire